CHAPITRE V
En approchant du Faucon Millenium, Chewbacca sentit un parfum bizarre et il comprit aussitôt que quelque chose n’allait pas. Les narines plissées, il tenta d’identifier l’odeur mais n’y parvint pas.
En dépit de sa taille et de son poids, le Wookie, en chasseur accompli, savait se déplacer en silence…
Après avoir quitté Yan, il était venu jeter un coup d’œil au Faucon, puis il était parti à la pêche aux offres d’emplois, comme prévu. Hélas, il n’avait rien trouvé d’intéressant.
Ce qu’il aperçut lui glaça les sangs : un homme était accroupi au sommet de la rampe, un sac d’outils à côté de lui. Muni de cisailles à fusion, de sondes électroniques et d’une perceuse-laser, il portait en outre un casque à écouteurs qui devait lui servir à mesurer l’effet de ses manipulations sur le verrou électronique du sas.
Chewbacca gravit la rampe en silence, saisit l’intrus par le cou et le souleva du sol.
Les écouteurs et le casque tombèrent avec un bruit mat.
Chewbacca plaqua le petit non humain contre le sas du Faucon.
Faisant une bonne tête de moins que Yan Solo, l’intrus était couvert d’une fourrure noire brillante de mammifère aquatique. Les doigts et les orteils palmés, il arborait une longue queue et des oreilles pointues qui bougeaient sans arrêt.
Des dents carrées garnissaient son museau poilu. Et à voir ses yeux ratatinés, il devait être myope comme une taupe.
À l’évidence, il n’avait pas entendu Chewbacca arriver à cause du casque.
Frémissant d’indignation, il protesta d’une voix couinante qui gâcha une bonne partie de son effet.
— Pourquoi cette attaque, espèce d’imbécile congénital à fourrure ? Et comment osez-vous me malmener ? Je suis un agent de recouvrement patenté ! Et ce vaisseau figure sur la Liste Rouge !
Quand Chewie l’eut lâché, le petit être sortit une carte de son sac et la lui fourra sous le nez.
La pièce d’identité indiquait qu’un certain Spray, natif de la planète Tynna, était autorisé à agir au nom de la société Recouvrements Interstellaires Ltd., spécialisée dans les saisies et autres activités liées aux dettes impayées. Une photo confirmait qu’il s’agissait bien du petit intrus.
Chewbacca s’assura que le document était vrai, puis il regarda l’huissier interstellaire d’un air franchement hostile. Comme Yan, il détestait tous les agents de recouvrement de la galaxie.
Dans le monde du Wookie et de son ami, ne pas honorer une dette attirait rarement des ennuis avec la loi. La pratique était tellement courante dans le milieu des baroudeurs de l’espace que les autorités auraient passé le plus clair de leur temps à rechercher les mauvais payeurs. Comme les forces de police impériales, les Espos s’en lavaient les mains et laissaient les agences de contentieux privées s’occuper du recouvrement des dettes ou des saisies de vaisseaux.
Armés de la fameuse Liste Rouge, les types dans le genre de Spray écumaient littéralement la galaxie.
Spray ne se formalisa pas de l’air mauvais de Chewbacca. Il sortit de son sac un carnet très épais, l’ouvrit, et colla son museau sur le texte pour le déchiffrer.
— Oui, oui, voilà, marmonna-t-il. Seriez-vous, par extraordinaire, le capitaine Solo ?
Chewbacca secoua la tête. Poussant Spray hors de son chemin, il s’agenouilla devant le sas pour vérifier le verrou électronique. Quand il vit les dégâts que Yan avait remarqués plus tôt. Il se leva d’un bond et se tourna vers l’agent de recouvrement, décidé à en faire de la chair à saucisse.
Le Tynnien verdit d’indignation.
— Je ne suis pas responsable de ces dégâts ! couina-t-il. Vous me prenez pour une brute ? Un primitif qui ne connaît rien de la technologie moderne ? Je suis un agent de recouvrement patenté, mon cher, et en possession de tous les outils de sa profession ! Bref, j’évite d’abîmer les biens saisis ! J’ignore qui a trafiqué ce sas, mais ce n’est pas moi ! Après avoir neutralisé le système de sécurité, j’étais sur le point d’ouvrir le verrou – sans rien endommager – quand vous m’avez rudoyé. Maintenant que vous êtes là, je n’ai plus besoin de me fatiguer…
Spray consulta de nouveau son carnet et marmonna des chiffres. Puis il se campa devant le sas avec une assurance de propriétaire.
Chewbacca en resta bouche bée. En général, ses manifestations de colère faisaient fuir les gens à toutes jambes. À l’occasion, certains abrutis tentaient de l’attaquer, et ils le regrettaient toute leur vie. Mais ce nabot le traitait par le mépris !
— Ah, nous y voilà, dit Spray, ravi d’avoir retrouvé la bonne page. Votre capitaine doit deux mille cinq cents crédits à Vinda et D’rag, une entreprise d’ingénierie d’Oslumpex V. Yan Solo a purement et simplement ignoré sept – non, huit ! – commandements de payer !
« Huit, cher monsieur ! Vinda et D’rag ont logiquement présumé qu’il n’avait pas l’intention de les régler. Légitimement agacés, ils ont chargé mes employeurs de recouvrer leur créance. Bien… Si vous aviez l’amabilité d’ouvrir ce sas, je procéderai à la saisie. Évidemment, vous avez le droit de récupérer tous vos objets personnels, et…
S’il avait mieux connu Chewbacca, Spray se serait inquiété des grognements sourds qui sortirent de sa gorge. Et il aurait fui sans demander son reste en entendant le premier rugissement.
Impassible, il campa sur sa position pendant que le Wookie éructait un chapelet de jurons dans sa langue.
Le Tynnien se ratatina un peu plus à cause de la pollution sonore, mais il ne bougea pas, même quand le copilote du Faucon ponctua son discours de grands coups de poing sur la coque du vaisseau, qui résonna comme un gong.
Quand il s’arrêta enfin, à bout de souffle, Spray reprit la parole :
— Comme je vous le disais, j’ai ici un document m’autorisant à saisir ce…
Chewbacca s’empara du document que brandissait l’agent de recouvrement. Bien qu’il fût assez épais, le Wookie en fit une boule, la fourra dans sa bouche et l’avala tout cru.
Cela ne le calma pas pour autant. Confronté pour la première fois à une créature qu’il n’effrayait pas, il commençait à se sentir embarrassé. La scène ayant attiré l’attention de quelques passants et d’un bon nombre de droïds, il ne pouvait plus se contenter d’assommer le Tynnien.
— Cette ingestion intempestive ne vous aidera pas, mon cher Wookie, assura Spray. Je détiens plusieurs exemplaires de ce document. Votre capitaine ne semblant pas prêt à régler sa dette, auriez-vous l’obligeance d’ouvrir le sas ? Sinon, je devrai m’en charger…
Accablé, Chewie fit signe à Spray de descendre la rampe avec lui. L’agent de recouvrement devait parler à Yan. C’était la seule solution – à part le laisser saisir le vaisseau ou l’assassiner dans un lieu public.
Spray secoua la tête.
— Je crains que ce soit impossible, mon cher. Il est trop tard pour négocier. Il faut choisir entre le paiement immédiat ou la saisie.
Au cours de sa longue vie, Chewbacca avait appris que les grognements, même les plus belliqueux, étaient parfois insuffisants. Posant une patte sur chaque épaule de Spray, il le souleva jusqu’à ce qu’ils soient museau contre museau… et lui offrit un aperçu saisissant sur les crocs qui garnissaient sa bouche.
— Hum…, fit l’agent de recouvrement. Après tout, nous pourrions arriver à un accord et éviter à mes employeurs d’organiser une vente aux enchères publique. Vos arguments sont convaincants, cher monsieur. Où puis-je trouver votre capitaine ?
Chewbacca reposa le Tynnien sur le sol et fit de grands gestes en direction du sas. Comprenant le message, Spray sortit les outils idoines de son sac et réactiva le système de sécurité.
La voix de Max jaillit aussitôt de l’intercom.
— Qui est là ? Et pourquoi ce verrou a-t-il été désactivé ? Répondez immédiatement, ou j’alerte la sécurité du port.
Chewbacca aboya dans l’intercom.
— Copilote Chewbacca ? Bonjour, monsieur ! J’ai cru qu’on voulait encore cambrioler le vaisseau. Il y a déjà eu une tentative, et le capitaine Solo est parti enquêter à ce sujet. Il a envoyé Bollux à l’Embarcadère, et précisé que vous deviez l’y retrouver. Vous voulez monter à bord, monsieur ?
Le Wookie grogna d’agacement et poussa Spray le long de la rampe.
Le Tynnien fut obligé de trottiner pour suivre le rythme.
Max les rappela.
— Quelles sont mes instructions ?
L’agent de recouvrement se retourna et couina :
— Au nom de Recouvrements Interstellaires Ltd., je vous charge de veiller sur ce vaisseau !
— Au fait, tu t’appelles comment ? demanda la jeune femme alors que Yan et elle franchissaient le seuil de l’Embarcadère. Moi, c’est Fiolla, et je ne suis pas rancunière…
Solo trouva la déclaration étonnante pour une fille qui venait de l’insulter tout au long du chemin !
— Yan Solo, répondit-il, jugeant inutile de se creuser la cervelle pour trouver un pseudonyme à la noix.
Fiolla ne réagit pas, comme si elle n’avait jamais entendu ce nom.
Bollux n’avait pas trouvé Chewie à l’Embarcadère. Du coup, il attendait près de l’entrée, à côté d’un videur patibulaire.
Dès qu’il le vit, le droïd se dirigea vers Yan.
— Je n’ai pas envie de parler debout, Bollux. Viens t’asseoir avec nous.
L’Embarcadère étant exclusivement « meublé » avec du matériel recyclé, Yan conduisit ses invités jusqu’à une petite table fabriquée à partir d’une console de navigation récupérée sur un antique vaisseau de surveillance.
Quand Bollux et Fiolla furent installés, le droïd se tourna vers la jeune femme.
— Bollux, droïd ouvrier actuellement sans spécialité, et à votre service, madame.
Yan n’attendit pas que Fiolla se présente.
— On s’en fiche, mon vieux ! dit-il sèchement. Où est Chewie ?
— Incapable de le localiser, je suis venu ici, puisque c’est l’endroit où vous deviez entrer en contact avec lui.
Le serveur arriva sur ces entrefaites.
C’était un Sljee multi-tentaculaires, avec un grand plateau fixé au sommet de son petit corps en forme de dalle. Au milieu du plateau, un orifice permettait à ses antennes olfactives de s’agiter au milieu des verres comme une décoration exotique vivante.
— Vous prendrez quoi ? demanda-t-il abruptement.
Il sursauta en remarquant Bollux.
— Désolé, mais la maison interdit que les droïds s’asseyent aux tables. Messieurs, il faudrait que vous le laissiez dehors.
— Qui appelez-vous « messieurs » ? demanda sèchement Fiolla.
— Je vous prie de m’excuser, fit le Sljee. C’est mon premier jour, et je n’avais jamais quitté ma planète. Bref, je ne sais rien des aliens. Enfin, des non sljee, plutôt… Je suis affreusement désolé.
— Le droïd reste, lâcha Yan. Apporte-nous deux Flammes Totales, ou je dis au gérant, un vieil ami, que tu as insulté cette dame.
— Tout de suite, monsieur…
Le Sljee pivota sur ses multiples pattes et fila vers le bar.
— Donc, nous savons que je ne suis pas Zlarb, dit Yan à Fiolla. Et toi, qui es-tu ?
— Je ne suis pas une esclavagiste. À part ça, je t’ai dit mon vrai nom, enfin, une partie… Je m’appelle Hart-de-Pam Gorra-Fiolla de Lorrd, assistante commissaire aux comptes de l’Autorité du Secteur Corporatif.
Un cadre de l’Autorité, pensa Yan, accablé. Et si j’allais me rendre aux Espos, histoire d’oublier mes soucis dans une cellule douillette ?
Mais il continua la conversation.
— Les esclavagistes doivent avoir des comptes intéressants, et des notes de frais fascinantes…
— Probablement, mais je n’en ai pas consulté… Étant un commissaire aux comptes indépendant, je vérifie ponctuellement les opérations du Secteur. J’étais ici avec mon assistant quand j’ai appris qu’une bande d’esclavagistes trafiquait avec l’Autorité. Des cadres supérieurs et des Espos sont dans le coup. Et peut-être même le directeur régional de cette partie du Secteur, Odumin. Tu imagines ? Je n’ai jamais rencontré ce type, mais on dit qu’il a toujours gardé les mains propres. Un miracle, à ce poste ! Bref, je mène l’enquête, et qu’en j’en saurai assez, j’informerai le Conseil d’administration.
Fiolla sourit de toutes ses dents.
— Après, qui aura une super promotion, assortie d’une augmentation de salaire ? Yan, tu as devant toi Fiolla de Lorrd, une héroïne interstellaire ! Et toi, que fabriques-tu dans la vie ?
— Je loue mes services de pilote… Quand j’ai rencontré Zlarb, j’ignorais qu’il voulait me faire transporter des esclaves. Nous avons eu un… désaccord…, et il a mal fini. Cela dit, on me doit dix mille crédits, et je les veux ! Zlarb avait sur lui un message enregistré qui lui donnait rendez-vous ici pour le paiement. Je suis venu à sa place… Et toi, comment t’es-tu retrouvée dans ce pétrin ?
— Le rendez-vous était mentionné dans les informations que j’ai collectées. Zlarb t’en a dit plus ?
— Hélas non, parce qu’il a très mal digéré un tir de disrupteur. Mais sur sa datacarte, j’ai trouvé des numéros d’enregistrement de vaisseaux et des permis de location. Presque tous étaient liés à une agence d’Ammuud.
Fiolla hocha distraitement la tête.
— Ça t’ennuierait de me dire pourquoi je semble avoir soudain gagné ta confiance ? J’en suis profondément touché, bien sûr, mais…
— C’est simple : cette affaire est encore plus importante que je le pensais. Yan, il me faut de l’aide, et je ne peux pas la demander aux Espos. À ta manière, un rien radicale, tu parais savoir ce que tu fais. Et tu n’es pas membre de la bande d’esclavagistes, sauf si l’assassinat est une façon courante de régler leurs petits litiges.
— Tu ne crois pas si bien dire ! Mais n’aie pas d’illusions : je ne suis pas le genre de type qui aide gratuitement. Au fait, comment es-tu tombée sur moi ?
— Mon assistant, Magg, a découvert un message qui donnait rendez-vous à Zlarb ici, puis dans le désert. Quand j’ai vu que tu ne parlerais pas, je t’ai envoyé sur une fausse piste…
Yan blêmit, l’air féroce, et Bollux commença à craindre pour la sécurité de Fiolla.
— Et Magg m’a suivi pour m’éliminer, c’est ça ?
— Quelqu’un t’a attaqué ?
— Ouais… Et en faisant de son mieux pour m’estourbir !
— Je t’ai donné le numéro d’un hangar de l’Autorité. Magg et moi sommes arrivés ici dans le vaisseau que tu as vu. Je savais que le hangar serait vide, parce que nous attendons des pièces de rechange. Tant qu’elles n’auront pas été livrées, personne ne peut travailler sur ce navire. Yan, Magg a suivi ton ami poilu, quand il t’a quitté. C’est comme ça que nous avons repéré le Faucon. Comme nous n’avons pas pu entrer, j’ai décidé d’aller au rendez-vous de Zlarb, seule, comme ses chefs l’exigeaient. Pendant ce temps, Magg devait se renseigner à ton sujet…
Déboussolé par cette histoire compliquée, Yan ne s’offusqua même pas de la tentative d’effraction. Il était impressionné par l’ingéniosité de Fiolla, agacé par son arrogance… et surpris par sa naïveté.
Le serveur revint. Saisissant deux verres sur son plateau, il les posa devant Yan et Fiolla.
— Et voilà ! dit-il gaiement. Vous payez tout de suite ?
S’étant fait rouler deux fois par des clients peu scrupuleux, le pauvre aurait à l’évidence préféré un paiement comptant.
— Reviens tout à l’heure, répondit Yan.
Le Sljee essaya de mémoriser son odeur pour être sûr de le reconnaître, puis il s’éloigna, déçu.
Les Flammes Totales se révélèrent parfaites : un mélange idéal de feu et de glace.
— Aller dans le désert seule n’était pas un peu téméraire ? demanda Yan.
— J’avais une arme… Un modèle spécial, indétectable par le réseau. Beaucoup de cadres en portent. Comment aurais-je su que ce maudit truc s’enrayerait ?
— Où est ton assistant, en ce moment ?
— À l’hôtel, pour préparer nos affaires. Au cas où nous devrions quitter la planète en catastrophe.
— Ça pourrait bien arriver…, fit Yan, pensif. (Une idée lui traversa soudain l’esprit.) C’est Magg qui a esquinté mon vaisseau ?
— Je lui avais ordonné d’entrer et de chercher des informations… Il était sûr de pouvoir ouvrir un cargo en quelques minutes, mais il n’y a rien eu à faire ! Selon lui, il faudrait un atelier entier pour forcer ce verrou…
— J’aime être tranquille, dit Yan, peu désireux d’évoquer ses activités de contrebandier.
— Magg prétend que la banque centrale de l’Empire est moins bien protégée.
— Un type expérimenté, dirait-on…
— Je l’ai choisi à cause de ses… hum… aptitudes étendues. Vous devriez vous apprécier, tous les deux…
À cet instant, Chewbacca déboula, Spray collé à ses basques.
Il poussa le Tynnien dans un siège et s’assit en face de lui.
— J’ai rencontré la douce Fiolla, annonça Yan, et j’ai failli me faire tuer. Comment s’est passé ton après-midi ?
Chewbacca regarda la jeune femme, puis il désigna Spray et entreprit de raconter ses malheurs.
— Je déteste les agents de recouvrement, grogna Yan.
— Dans ce cas, je ferais aussi bien de vous laisser…, souffla Spray en essayant de se lever.
D’un coup de patte, Chewie le força à se rasseoir.
Débordé, Yan aurait donné cher pour être capable de traiter les informations aussi rapidement que Max. Théoriquement, Spray avait le droit de mobiliser les Espos pour saisir le Faucon…
Ayant remarqué l’arrivée de Chewbacca et de Spray, le serveur revint à la charge. Cette fois, conscient de sa gaffe avec la jeune femme, il fit très attention à ce qu’il racontait.
— Monsieur, dit-il au Wookie, que puis-je vous servir ? Et à votre ravissant rejeton, ici présent ?
Chewbacca eut un grognement irrité.
Déjà perturbé, Spray explosa de fureur.
— Nous sommes membres de deux espèces totalement différentes ! glapit-il.
— Tu as oublié ce que je t’ai dit tout à l’heure ? demanda Yan au Sljee.
— Je vous présente un millier d’excuses, monsieur…
— Que se passe-t-il ? demanda Fiolla, dépassée par les événements.
Spray leva ses mains palmées.
— Pour commencer, nous n’avons pas besoin de boissons, merci, dit-il au Sljee, qui se hâta de battre en retraite. Maintenant, venons-en à notre affaire. Capitaine Solo, vous devez deux mille cinq cents crédits à l’entreprise Vinda et D’rag. Sauf paiement immédiat, j’ai l’autorisation de saisir votre vaisseau. Soit dit en passant, ce navire semble avoir subi des modifications illégales…
Yan plissa les paupières.
— On dirait bien qu’un avorton au museau pointu rejoindra bientôt ses ridicules ancêtres…
— Yan, intervint Fiolla, lancer des menaces de mort dans un lieu public n’est pas…
— Reste en dehors de ça ! Pour ce que j’en sais, tu travailles peut-être avec ce charognard !
— Les menaces ne vous mèneront à rien, capitaine, dit Spray. Si vous refusez de payer, les Espos m’aideront à saisir votre vaisseau.
Yan se demanda s’il devait improviser quelque brillant mensonge, ou ordonner à Chewbacca d’assommer l’agent de recouvrement.
— Je paierai sa dette, lâcha soudain Fiolla.
Solo se tourna vers elle, bouche bée.
— Ferme le bec, lui conseilla Fiolla, ou tu finiras par marcher sur ta langue ! Yan, mon problème est plus compliqué que je le pensais. Il me faudra vérifier beaucoup de preuves avant de les présenter au Conseil d’Administration. J’ai besoin d’un moyen de transport rapide, et aucune envie de prendre les vaisseaux de ligne. Ni un navire de l’Autorité. À mon avis, tu aurais intérêt à filer d’ici avant que les Espos commencent à se poser des questions sur la disparition des scooters de location et sur les descendeurs qui se sont écrasés un peu partout… Si tu m’emmènes, je paierai ta dette. Et les dix mille crédits ? Ta meilleure chance de les toucher est de rester avec moi.
Fiolla se tourna vers Spray.
— Qu’en dites-vous ?
Le Tynnien se gratta le crâne, cligna des yeux et frétilla du museau.
— En liquide ? demanda-t-il enfin.
— Un bon de caisse de l’Autorité, dit Fiolla. La moitié maintenant, l’autre quand nous aurons terminé. Un bon de caisse, c’est aussi sûr que des lingots d’or !
— Recouvrements Interstellaires Ltd. préfère le remboursement des dettes à la saisie, déclara le petit mammifère. Mais je crains de ne pas pouvoir vous quitter des yeux jusqu’à ce que le solde ait été versé.
— Une minute ! lança Yan à Fiolla. Je n’emmènerai pas ce vampire miniature avec moi !
Spray campa sur ses positions.
— Capitaine Solo, la proposition de cette gente dame est la seule solution. Sinon, ce sera la fourrière.
— À moins de recourir au fameux coup de l’Agent-de-Recouvrement-Qui-Disparaît, lâcha Yan.
— Reste donc civilisé…, souffla Fiolla. Ça ne prendra pas longtemps. Et si tu refuses de m’aider, je serai obligée de mentionner ton nom dans mon rapport. Allons voir ce que cache cette agence de location, sur Ammuud, et je t’oublierai complètement…
Yan but d’un trait le reste de sa Flamme Totale. Le cocktail lui brûla l’estomac comme de l’acide, ce qui n’améliora pas son humeur. Il regarda Chewbacca, qui ne broncha pas, visiblement décidé à le laisser choisir la marche à suivre.
— Chewie, ramène Bollux et notre ami Pieds-Palmés au vaisseau. Je vais récupérer l’assistant de notre nouvelle patronne. Demande une autorisation de décollage et prépare un cap pour Ammuud.
Fiolla remplit un formulaire et appuya son pouce dessus pour valider l’autorisation. Puis elle tendit le bon à Spray.
Yan devina qu’elle avait une enveloppe de frais quasiment illimitée. Son poste dans l’Autorité devait être réellement important.
Chewie, Bollux et Spray se levèrent.
Le Tynnien fit une révérence à Fiolla.
— Merci d’être restée raisonnable pendant toute cette transaction, dit-il.
Chewbacca aboya un au revoir à Yan puis à Fiolla.
La jeune femme lui rendit son salut en wookie. Si elle n’émit pas un son correct, elle réussit à produire une grimace qui imitait à la perfection celle de Chewie.
L’ami de Yan, d’abord médusé, éclata de rire avant d’emboîter le pas à Bollux et au Tynnien.
— Tu es une bonne imitatrice, constata Yan.
— Normal, puisque je viens de Lorrd…
Les Lorrdiens avaient été réduits en esclavages pendant le Conflit de Kanz. Leurs maîtres leur ayant interdit de communiquer, ils avaient développé un langage par mimiques très subtil. Bien que les Chevaliers Jedi les aient libérés depuis des générations – à l’époque de la République – ils restaient les meilleurs mimes de la galaxie.
— C’est comme ça que tu as su que Chewie et moi observions la table 131 ?
— Vos expressions étaient aussi faciles à lire qu’un holo !
Étant donné son origine, il n’était pas surprenant que Fiolla veuille coffrer les esclavagistes. Mais qu’une Lorrdienne travaille si loin de sa planète natale, et pour l’Autorité, étonnait quand même Solo.
Il désigna d’un index le carnet de bons de caisse.
— Souvent, on obtient davantage de choses avec un blaster qu’avec un truc comme ça. Mais si j’en avais un, je m’achèterais une agréable petite planète, et je me retirerais des affaires !
— C’est pour ça que tu n’en auras jamais, répondit Fiolla. (Elle se leva.) Cette histoire d’esclavagistes m’apportera la gloire. Rien ne m’empêchera de siéger un jour au Conseil d’Administration !
Le serveur revint, approcha de Yan et de Fiolla, et leur tendit l’addition d’un tentacule hésitant.
— Je pense que c’est votre note, dit-il.
— Notre quoi ? s’écria Yan, qui n’avait pas un sou en poche. Nous attendons qu’une table se libère. Et tu voudrais déjà nous faire payer ? Où est le directeur de ce bouge ?
Le Sljee se tortilla de consternation. Son système sensoriel, parfait pour identifier ses compatriotes, disjonctait dès qu’il était en face d’autres races.
— Vous êtes sûr ? gémit le Sljee. Eh bien, j’ai dû vous confondre avec quelqu’un d’autre. (Il regarda la table vide.) Vous n’auriez pas vu partir ces clients ? Si je me suis encore fait escroquer, ça me coûtera ma place !
Incapable d’en supporter davantage, Fiolla sortit une poignée de crédits et les posa sur le plateau.
— Yan, tu es insupportable !
Le Sljee partit en gémissant de gratitude.
— Dans le monde où je vis, c’est « chacun pour soi et personne pour tous », lâcha Solo.