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QUATORZE

LE SANCTUAIRE

« À la guerre, chacun doit être préparé à la défaite. Elle est la plus insidieuse de nos ennemies et ne vient jamais de la manière dont nous l’attendons. »

— Maître de guerre Slaydo, Traité sur la nature de la guerre

La garde d’honneur approchait de la forteresse-sanctuaire de sainte Sabbat Hagio aux premières lueurs du jour. La neige avait cessé de tomber, et le décor montagnard était devenu d’une perfection sculpturale, blanc sous un ciel d’or.

La structure gigantesque s’élevait du basalte sur un promontoire sorti des glaces du sommet. La route courait le long de la crête, jusqu’au corps de garde imposant d’une porte ouverte dans le premier de deux remparts concentriques. À l’intérieur de ces murs se dressaient les bâtiments serrés de la Tempela Basilica, le monastère des tempelum ayatani, et un grand donjon carré surmonté d’un toit en croupe aux avant-toits relevés, auxquels les drapeaux de prière et les fanions votifs étaient accrochés. Les bâtiments et les enceintes du Sanctuaire étaient en basalte rose, les volets et les portes peints d’une laque rouge brillante, cerclés de cadres blancs. Au-delà des remparts et du haut donjon, au bord même du promontoire, se dressait un pilier de corindon noir au sommet duquel brûlait la flamme éternelle qu’ils avaient aperçue.

Gaunt fit s’arrêter la colonne sur la chaussée qui menait à la porte pour la rejoindre à pied avec Kleopas, Hark, Zweil, Rawne et une escorte de six Fantômes. Conformément aux estimations du sergent Mkoll, le voyage leur avait pris huit jours. L’affaire allait devoir être vite expédiée s’ils voulaient être revenus à la Doctrinopole dans les dix jours qu’il leur restait avant le terme de l’évacuation. Gaunt préférait ne même pas songer aux difficultés du trajet de retour. Les Infardi approchaient en grand nombre sur leurs talons, et pour autant qu’il le sût, aucun autre itinéraire ne descendait des Collines Sacrées.

À leur approche, les gigantesques portes rouges s’ouvrirent sous l’aquila sévère gravé à leur fronton, et ils commencèrent à gravir les marches. Six frères ayatani en robes bleues vinrent s’incliner devant eux sans un mot. Ils les menèrent en haut de l’escalier dont les larges marches de pierre avaient été dégagées de la neige, jusqu’à la porte de l’enceinte intérieure, puis les précédèrent dans un vestibule spacieux.

L’endroit était plongé dans une pénombre marron où la lumière pénétrait, froide et pure, par de hautes fenêtres. Gaunt entendait des chants, et le carillon sporadique de cloches ou de gongs. L’air était empli de fumée d’encens.

Il retira son képi et jeta un œil à ses alentours. Les mosaïques aux couleurs chatoyantes qui décoraient les cloisons montraient la sainte à différents instants de sa vie. Les petits portraits holographiques, encastrés dans des alcôves éclairées le long d’un des murs, étaient ceux de grands généraux, de commandants et d’Astartes qui avaient servi durant sa croisade. La grande bannière de Sabbat, une étoffe ancienne et usée, était suspendue à la voûte du plafond.

Des membres de l’ordre des tempelum ayatani pénétrèrent dans le vestibule par la porte opposée, approchèrent la suite impériale et s’inclinèrent. Ils étaient vingt, tous des hommes vieux, aux visages calmes et à la peau ridée, fatiguée par le vent, le froid et l’altitude. Gaunt les salua.

— Colonel-commissaire Ibram Gaunt, commandant en chef du Premier de Tanith, armée de libération de la croisade impériale. Voici mes officiers principaux, le major Rawne, le major Kleopas et le commissaire Hark. Je suis ici sur l’ordre du seigneur général Lugo.

— Vous êtes le bienvenu au Sanctuaire, officier, dit le chef de sa congrégation dont les robes bleues tendaient vers une teinte plus violette. Ses traits étaient aussi usés que ceux de ses frères, et ses yeux avaient été remplacés par des globes bioniques dont le regard laiteux donnait l’impression d’une cataracte prononcée. Mon nom est Cortona. Je suis l’ayatani-ayt de ce temple et de ce monastère. Nous vous souhaitons à tous la bienvenue, et nous saluons votre résolution pour avoir entrepris ce chemin ardu à cette époque de l’année. Peut-être accepterez-vous de prendre quelque rafraîchissement avec nous ? Vous êtes également libre d’aller vous recueillir à la chapelle, bien entendu.

— Merci beaucoup, ayatani-ayt. Des rafraîchissements seraient les bienvenus, mais je dois vous avertir que l’urgence de notre mission ne me laisse que peu de temps, même pour observer les rites de votre communauté.

Les impériaux furent guidés vers une antichambre où des bols de fruits secs et des gobelets d’une douce infusion avaient été posés sur des tables basses peintes. Ils s’assirent, Gaunt et ses hommes sur de petits tabourets, et les ayatani, y compris Zweil, sur les tapis. Les récipients circulaient dans la main de jeunes esholi en tenues blanches.

— Je suis très touché que votre seigneur général soit préoccupé par notre bien-être, reprit Cortona, mais j’ai bien peur que votre mission n’ait été un effort vain. Nous avons pleinement conscience de la présence ennemie qui cherche à renverser ce monde, et nous n’avons pas besoin de défenses. Si l’ennemi vient à nous, qu’il vienne à nous, car tel doit être l’ordre naturel des choses. Notre sainte croyait beaucoup dans le destin de chacun. Si le sort a décrété que le Sanctuaire devait tomber aux mains de l’ennemi et que nos vies seraient prises, il en sera ainsi ; les soldats ni les chars n’y changeront rien.

— Vous allez laisser le Chaos entrer ici avec la bouche en cœur ? demanda Rawne, incrédule.

— Surveillez vos paroles, major, le reprit Hark.

— Cette question est bien légitime, dit Cortona. Notre système de croyances est peut-être difficile à appréhender pour des esprits éduqués dans l’optique de la guerre.

— Sainte Sabbat était une guerrière, ayatani-ayt, lui fit placidement remarquer Gaunt.

— C’est vrai. Peut-être la meilleure combattante de toute la galaxie. Mais elle a à présent trouvé le repos.

— Votre sollicitude n’est pas fondée, mon père, si je peux me permettre, poursuivit Gaunt. Vous avez mal jugé la raison de notre venue. Nous n’avons pas été envoyés pour vous défendre. Le seigneur général Lugo m’a ordonné de récupérer les reliques de la sainte et de les ramener à la Doctrinopole avec tous les honneurs qui leur sont dus, afin qu’ils soient évacués de la planète.

Le visage de Cortona ne se départit pas un seul instant de son sourire impassible.

— J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous y autoriser, colonel-commissaire.

— Vous m’avez passablement estomaqué, murmura Zweil. Je n’aurais jamais imaginé que c’était pour cette raison que vous vouliez rejoindre le Sanctuaire ! Par le sang de la beati, colonel-commissaire ! Quel droit pensez-vous avoir ?

— Je ne fais qu’obéir à mes ordres, dit Gaunt. Ils se tenaient sur la terrasse du rempart intérieur, à regarder vers la gorge par-dessus les neiges éclatantes.

— Je croyais que vous aviez été envoyé pour protéger cet endroit ! Les ayatani tempelum n’allaient pas être ravis d’une présence militaire, mais cela ne concernait que vous.

— Et si je vous avais donné la raison de notre expédition, vous m’auriez conseillé de faire demi-tour ?

— Je vous aurais dit ce que l’ayatani-ayt vient de vous dire : les reliques de la sainte ne doivent pas quitter Hagia. C’est une de nos plus vieilles doctrines, l’une des prophéties émises par la sainte sur son lit de mort. Même votre général Lugo ou votre très estimé Maître de guerre Macaroth seraient mal avisés d’aller à son encontre.

— J’ai lu ce précepte de la sainte. Vous savez que j’ai étudié ses évangiles de près ; je croyais qu’il ne s’agissait que d’un… d’un caprice. D’un détail mineur.

Zweil secoua la tête.

— C’est sur ce point que vous n’arrêtez pas de vous tromper, mon garçon. La moitié du temps, vous lisez les écritures en n’y cherchant qu’un sens littéral, l’autre moitié, vous vous donnez trop de mal pour y trouver des significations cachées ! Quelle brillante analyse des textes ! Il vous faut de la tempérance. Il vous faut comprendre l’équilibre fondamental de la foi telle qu’elle nous anime. Si les ayatani entretiennent avec dévotion les coutumes et les traditions de la beati, vous deviez également vous attendre à ce que nous traitions les instructions de ses écrits avec le même respect et la même conviction absolue.

— Il est écrit, cita Gaunt avec soin, que si la dépouille de sainte Sabbat devait être emportée d’Hagia, à dessein ou par accident, les mondes de Sabbat succomberaient au Chaos pour toujours.

— Ça ne vous paraît pas assez clair ?

— C’est une prophétie très ouverte ! Un mythe folklorique qui ne cherche qu’à promouvoir la dévotion ! Cela ne va pas réellement se produire !

— Ah non ? Le regard de Zweil se perdit au-dessus des Collines Sacrées. Et pourquoi ? Vous croyez en la sainte, en son œuvre, en son incorruptible gloire. Votre foi en elle et en tout ce qu’elle représente irradie de vous. C’est même elle qui vous a amené jusque-là. Alors pourquoi refusez-vous de croire à sa prophétie ?

Gaunt haussa les épaules.

— Parce qu’elle est trop… trop insensée ! Trop vaste, trop tirée par les cheveux ! Trop improbable…

— Peut-être. Dites-moi, souhaitez-vous vraiment la vérifier en emportant sa dépouille de ce monde ?

Gaunt ne répondit pas.

— Eh bien, mon jeune ami ? Vous sentez-vous plus sage que la martyre la plus vénérée du secteur ? Ou bien Lugo ou Macaroth le sont-ils ? Allez-vous risquer de condamner un millier de systèmes habités, pour toujours, juste pour vérifier si cette prophétie est fondée ? Ne vous préoccupez pas de leurs ordres ou de leur supériorité hiérarchie. Ont-ils le droit de prendre ce risque, ou de vous ordonner de le prendre ?

— Je ne pense pas qu’ils en aient le droit. Ni moi non plus, finit par répondre calmement Gaunt après une longue réflexion.

— Vous n’avez même pas à considérer la question, dit Hark en s’approchant d’eux par-derrière. Vos ordres ne présentent aucune ambiguïté, colonel-commissaire. Ils ne laissent aucune place à l’interprétation. Lugo vous a bien signifié quel était votre devoir.

— Lugo commet une erreur, rétorqua Gaunt en fixant Hark d’un regard dur et décidé. Et je ne souhaite pas la prolonger davantage.

— Êtes-vous en train de songer à enfreindre vos ordres, Gaunt ?

— En effet. Et ça n’a pas d’importance. Ma carrière est terminée, mon régiment sera dissous, et selon toute vraisemblance, nous n’arriverons jamais à descendre d’ici vivants. Je rejette mes ordres en pleine connaissance de cause, parce qu’il est temps pour moi de montrer un peu de cran, et d’arrêter d’obéir au doigt et à l’œil à des hommes qui passent leur temps à se tromper !

Le regard de Zweil, totalement fasciné et suspendu au moindre de leurs mots, passait de l’un à l’autre des deux officiers impériaux. Hark coiffa lentement son képi à galon d’argent, soupira lourdement, et fit mine d’ouvrir le bouton du rabat de son holster.

— Oh, s’il vous plaît, épargnez-moi votre numéro, lui jeta Gaunt avec mépris en s’éloignant.

Ils étaient arrivés assez hauts pour que la neige contre laquelle Sanian les avait mis en garde fût devenue une réalité. Les flocons étaient légers mais insistants, et s’accrochaient à leurs sourcils comme à leurs vêtements. Plus haut, les nuages troublaient à ce point la visibilité que les grandes montagnes elles-mêmes leur étaient temporairement masquées.

Ils avaient finalement fait leurs adieux à l’Engin des Éclopés, deux heures auparavant, en l’abandonnant à un endroit du souka où une glissée de terre avait depuis longtemps emporté avec elle la dernière portion de chemin négociable. En chargeant sur leur dos tout ce qu’ils parvenaient à porter, ils avaient continué à pied.

Le sentier était aussi fin et pauvre que l’était l’atmosphère. Sur leur droite se dressaient les façades sud des sommets les plus hauts et les plus reculés des Collines Sacrées. Sur leur gauche, un grand versant de roche nue plongeait vers les ombres mystérieuses des ravins et des gorges qu’ils surplombaient. Tous les quelques pas, l’un d’eux délogeait un caillou du bout de son pied et l’envoyait dévaler la déclivité.

L’Échelle du Paradis avait été taillée par les premiers pèlerins peu de temps après la fondation du temple montagnard, il y avait donc six millénaires. Ces fidèles s’étaient livrés à leur tâche avec un enthousiasme zélé, en la considérant comme un acte de dévotion. Un escalier de cinquante kilomètres montait à présent vers les hauteurs sur quatre mille mètres, jusqu’au Sanctuaire. Peu de gens l’empruntaient encore, avait expliqué Sanian, car l’ascension était ardue, et même les pèlerins les plus décidés préféraient monter à pied en passant par les cols, une option qui ne leur était plus ouverte.

Ils étaient arrivés au pied de l’Échelle quand les premiers flocons s’étaient mis à tomber.

Elle ne ressemblait pas à grand-chose. Une succession de marches étroites et usées, taillées dans la montagne, érodées par le temps et les éléments, et où s’accrochait le lichen comme la rouille sur le métal. Ces marches faisaient uniformément une quinzaine de centimètres de hauteur, ce qui n’était pas excessif, et deux mètres de profondeur, hormis dans les virages. L’Échelle du Paradis montait parmi les rochers et disparaissait au-dessus d’eux.

— Ça a pas l’air bien dur, dit Greer en avalant les premières marches d’un pas léger.

— Ça va le devenir, je vous l’assure. Surtout avec ce temps qui menace. Les pèlerins choisissaient cette voie d’approche comme acte de contrition, leur apprit Sanian.

Ils commencèrent à grimper. Greer ouvrait impatiemment la marche, suivi de Daur, Nessa, Corbec et Dorden, puis de Milo et Sanian, Nessa, Derin, et enfin de Vamberfeld et Bragg.

— Il va s’épuiser s’il ne monte pas plus lentement, dit Sanian en montrant à Milo à quel point Greer s’était déjà éloigné.

Le reste du groupe adopta naturellement un rythme. Au bout d’environ vingt minutes, Corbec commença à sentir oppressé par la monotonie, et s’en évada par la pensée pour tâcher d’occuper son esprit. Il considéra la distance et l’altitude, la profondeur et la largeur des marches, fit mentalement un ou deux calculs.

— Combien de marches il est censé y avoir ? demanda-t-il à Sanian derrière lui.

— À ce qui se dit, vingt-cinq mille.

Dorden grommela.

— Pile ce que j’avais calculé, se réjouit Corbec, satisfait de lui-même.

Cinquante kilomètres. Des fantassins pouvaient couvrir cette distance en une journée, à l’aise. Mais cinquante kilomètres d’escalier…

Cela pouvait leur prendre des jours. Des jours longs et pénibles.

— J’aurais peut-être dû te demander ça il y a cinq cents mètres, Sanian, mais combien de temps ça prend, normalement, par ce chemin-là ?

— Cela dépend du pèlerin. Pour les plus fervents… Et en état de grimper… Cinq ou six jours.

— Oh, sacré nom de Feth ! grogna Dorden tout haut.

Corbec se concentra à nouveau sur les marches, où la neige commençait à tenir. D’ici cinq ou six jours, quand ils atteindraient le Sanctuaire, Gaunt serait potentiellement presque revenu à la Doctrinopole s’il voulait réussir à évacuer. Ils étaient en train de gâcher leur temps.

Cela dit, Gaunt et la garde d’honneur ne parviendraient jamais à redescendre de la montagne avec cette armée infardi qui arrivait sur eux. Gaunt allait certainement utiliser le Sanctuaire comme position à défendre et combattre depuis le sommet.

Corbec et les autres allaient devoir monter eux aussi, et aviser là-haut. Il était inutile de faire demi-tour maintenant. Ils n’avaient plus rien vers quoi retourner.

Seul devant l’entrée, Ibram Gaunt tira le loquet en arrière et poussa la porte du saint sépulcre. S’en échappèrent des voix mâles d’esholi, réunies dans une harmonie solennelle à huit parties. Un vent frais s’engouffrait en mugissant dans les cheminées d’aération du monastère.

Il ne savait pas à quoi s’attendre. Gaunt réalisa qu’il ne s’était jamais attendu à arriver jusqu’ici. Slaydo, pût-il reposer dans la paix de l’Empereur, Slaydo l’aurait envié.

La salle était singulièrement petite et très sombre. Ses murs habillés de corindon noir ne reflétaient aucunement la lumière des nombreuses rangées de bougies. L’atmosphère sentait la fumée, et la poussière sèche et musquée. L’odeur des siècles.

Il entra en refermant la porte derrière lui. Le sol était fait d’étranges dalles lustrées, qui miroitaient à la lueur des cierges et où le pas produisait un son étrange de matériau plastique. Gaunt réalisa qu’il foulait des portions polies de carapaces de chelon, opalescentes, foncées par la patine brune du temps.

De chaque côté de là où il se trouvait, le corindon s’enfonçait en alcôves. Dans chacune d’elle se tenait l’hologramme à taille réelle d’un Space Marine des White Scars, l’épée énergétique levée en signe de triomphe endeuillé.

Gaunt avança. L’autel se trouvait juste devant lui, lui aussi décoré d’écailles de chelon, et il s’en dégageait une luminescence éthérée : sertie dans sa face avant en relief, une magnifique mosaïque d’éclats de carapace colorés montrait la carte spatiale des mondes de Sabbat avec une précision cartographique. Derrière, une sorte de moitié de dôme, qui coiffait l’autel comme une capuche, avait été réalisé à partir d’une unique carapace, prise sur un chelon d’une taille extraordinaire, bien plus grand que tous ceux que Gaunt avait vus sur Hagia. En dessous, derrière l’autel, se trouvait le reliquaire en lui-même, dans un renfoncement caverneux qu’éclairaient les chandelles. À son entrée, deux présentoirs en bois aux couvercles ouverts, dans lesquels, sous une plaque de verre, on pouvait contempler les manuscrits originaux des évangiles.

Gaunt s’aperçut que son cœur battait plus vite. Cet endroit avait sur lui un effet extraordinaire.

Il dépassa les présentoirs des manuscrits. À sa gauche, il vit un coffre sur lequel diverses reliques étaient à moitié enveloppées de satin. Il y avait un bol, une plume pour écrire, un bâton de jiddi noirci par l’âge, ainsi que plusieurs fragments qu’il ne parvint pas à identifier.

À droite, posée sur un coffre semblable, se trouvait l’armure de la sainte colorée de blanc et de bleu. Ses plaques affichaient les traces d’anciens dommages, de trous noircis et de rayures, de bosses dont la peinture était tombée. Les marques des neuf blessures de son martyre. L’armure avait quelque chose d’étrange. Gaunt réalisa qu’elle était tout simplement… petite, volontairement construite pour un corps moins étoffé que celui du Space Marine moyen.

Devant lui, tout à l’arrière du dôme, l’attendait le véritable reliquaire, un cercueil ouvert recouvert d’une vitrine.

À l’intérieur gisait sainte Sabbat.

Elle avait refusé les champs de stase ou de suspension, mais son corps était demeuré intact après six mille ans. Ses traits s’étaient enfoncés, sa chair s’était desséchée, et sa peau était devenue d’un noir poli. Autour de son crâne se distinguaient encore des traces de cheveux fins. Gaunt regarda les bagues à ses doigts momifiés, le médaillon d’un aigle impérial agrippé entre ses mains, sur sa poitrine. Le bleu de sa tenue s’était presque entièrement effacé, et les pétales secs d’anciennes fleurs l’entouraient sur le capitonnage de velours.

Gaunt ne sut quoi faire. Il hésita, incapable d’arracher son regard de la forme flétrie mais incorruptible de la beati.

— Sabbat, murmura-t-il.

— Elle n’est absolument pas obligée de vous répondre, vous savez.

Il se retourna. L’ayatani Zweil se tenait derrière l’autel et le regardait.

Gaunt s’inclina rapidement et dignement devant la sainte et revint vers Zweil de l’autre côté de l’autel.

— Je ne suis pas venu chercher des réponses, lui dit-il à voix basse.

— Si, bien sûr. C’est vous qui me l’avez dit, quand nous sortions de Mukret.

— C’est du passé. J’ai fait mon choix à présent.

— Les choix et les réponses sont deux choses bien distinctes. Mais c’est vrai, vous avez fait votre choix. Un excellent choix, si je peux me permettre. Et brave. Celui que vous deviez faire.

— Je sais. Si j’ai pu douter, je ne doute plus maintenant que j’ai vu tout ceci. Nous n’avons pas à la déplacer. Elle restera ici. Elle restera ici aussi longtemps que nous pourrons la protéger.

Zweil acquiesça et lui tapota le bras.

— Ce choix ne va pas être bien accueilli. Pauvre Hark, j’ai bien cru qu’il allait nous chier un de ses reins quand vous le lui avez dit. Zweil s’arrêta de parler, puis regarda vers le reliquaire. Pardonne-moi mon langage, beati. Je ne suis qu’un pauvre imhava ayatani, qui devrait savoir tenir sa langue dans ce lieu saint.

Ils quittèrent le sépulcre ensemble, et remontèrent le couloir exposé aux courants d’air.

— Quand allez-vous annoncer votre décision ?

— Bientôt, si Hark ne l’a pas déjà fait savoir à tout le monde.

— Il pourrait vous retirer votre commandement.

— Qu’il essaye. Il verra que je peux faire beaucoup mieux que désobéir aux ordres.

La nuit tombait et une autre tempête de neige arrivait par le nord-ouest. L’ayatani-ayt Cortona avait autorisé les forces impériales à dresser leur campement entre les deux remparts. Cet espace était maintenant empli de tentes et de feux de camp chimiques. Les véhicules du convoi avaient été amenés au pied du rempart extérieur, excepté les véhicules de guerre, qui s’étaient déployés dans le col et mis à couvert pour garder l’approche du promontoire. Des postes pour les troupes et des nids d’armes lourdes fortifiés avaient également été creusés à l’extérieur, dans la neige. Tout ce qui remonterait le col rencontrerait une sérieuse résistance.

Dans une antichambre du monastère, Gaunt fit se rassembler les officiers et les chefs de section de la garde d’honneur, auxquels les esholi du Sanctuaire amenèrent de la nourriture et du thé. L’ayatani-ayt Cortona s’était joint à eux avec certains de ses prêtres, et aucun d’eux ne les admonesta pour l’amasec et le sacra qui circulaient. Les lampes vacillaient et le vent fouettait les volets. Hark se tenait au fond de la pièce, seul.

Avant d’entrer, Gaunt prit Rawne à part dans le couloir froid.

— Je tiens à ce que vous le sachiez le premier, lui dit-il. J’ai l’intention de désobéir aux ordres de Lugo. Nous n’allons pas déplacer la sainte.

Rawne leva des sourcils ronds.

— À cause de cette connerie de vieille prophétie ?

— Précisément à cause de cette connerie de vieille prophétie, major.

— Pas parce que tout est terminé pour vous ? demanda Rawne.

— Expliquez-moi.

Rawne haussa les épaules.

— On sait depuis le début que Lugo ne vous a pas à la bonne ; quand vous serez de retour à la Doctrinopole, que ce soit les mains vides ou avec des vieux os de la sainte, ce sera la fin, la fin de votre carrière et votre fin à vous. Comme je vois les choses, vous n’avez rien à perdre, pas vrai ? De dire à Lugo d’aller se faire foutre, et qu’il peut se carrer ses ordres dans son petit Œil de la Terreur, ça ne va rien changer pour vous. En fait, vous vous sentirez même mieux quand ils viendront vous mettre aux arrêts.

— Vous croyez que j’ai décidé ça parce que plus rien ne m’importe ? demanda Gaunt.

— Est-ce que c’est pas la vérité ? Depuis une semaine, vous n’êtes plus le même qu’au début. L’alcool. Les crises de colère, et votre putain d’humeur massacrante. Vous êtes en train de vous planter en beauté. À la Doctrinopole, vous avez tout fait foirer bien proprement, et depuis, vous êtes une vraie épave. Euh…

— Quoi ? grogna Gaunt.

— Permission de vous parler sans prendre de gants, commissaire ? Avec effet rétroactif.

— Comme si vous parliez toujours en prenant des gants.

— Non, je pense pas. Vous buvez encore ?

— Eh bien…

— Vous voulez que je vous croie quand vous dites que vous allez faire ça pour un vrai motif, et pas parce que vous vous foutez de tout ce qui peut arriver. Alors reprenez-vous. Ayez l’air moins paumé. Je ne vous ai jamais aimé, Gaunt.

— Je sais.

— Mais je vous ai toujours respecté. Parce que vous êtes solide et professionnel. Vous êtes un soldat et vous respectez un code de conduite. Bien sûr, c’est à cause de votre code à la con que Tanith a brûlé, mais vous vous y êtes tenu malgré ce que tout le monde pensait. Vous êtes un homme d’honneur.

— C’est ce que j’ai reçu de votre part qui ressemblait le plus à un compliment, major, dit Gaunt.

— Ça ne se reproduira plus, promis. Mais j’ai besoin de savoir… Est-ce que c’est encore à cause de votre code ? Est-ce que c’est pour l’honneur ? Cette mission est censée être une garde d’honneur… Vous voulez qu’elle mérite ce titre, c’est ça ?

— Oui.

— Alors prouvez-le. Prouvez-le à tout le monde. Prouvez-nous que ça n’est pas juste de la colère, du dépit, ou de la frustration parce que vous avez merdé et parce qu’ils vous ont tapé sur les doigts. Prouvez que vous n’êtes pas devenu une loque qui veut entraîner tout le monde avec lui dans sa chute. De toute manière, c’est fini pour vous, mais pas pour nous. Si on vous suit, le seigneur général nous fera tous passer en cour martiale et fusiller. Nous, il nous reste quelque chose à perdre.

— Je sais, dit Gaunt. Il se tut un moment, et regarda les flocons s’accumuler contre les vitres des fenêtres.

— Alors ?

— Vous voulez savoir pourquoi tout ça est si important pour moi, Rawne ? Et pourquoi j’ai aussi mal pris le désastre de la Doctrinopole ?

— Je vous écoute religieusement.

— J’ai dédié l’essentiel de mes vingt dernières années à cette croisade. À chaque pas, je me suis battu. Et ici, sur Hagia, la stupidité d’un seul homme… Notre cher seigneur général… A suffi à me forcer la main et à tout ruiner. Mais ce n’est pas seulement ça. La croisade à laquelle j’ai consacré ces années, nous la livrons en l’honneur de sainte Sabbat, pour libérer les planètes dont elle a fait des mondes impériaux il y a six mille ans. Je la tiens en très haute estime, et cet enfoiré de Lugo m’a fait manquer à mon devoir sur le monde qui était le plus sacré pour elle. Je n’ai pas seulement merdé durant une action de la croisade, major, j’ai merdé sur la propre planète de la sainte. Mais ça n’est pas seulement ça non plus.

Il marqua une pause et s’éclaircit la voix. Rawne le regardait fixement.

— J’étais l’un des favoris que Slaydo avait triés sur le volet pour mener cette guerre. Il était le meilleur commandant que j’aie jamais connu. La croisade était pour lui une affaire personnelle, car il était entièrement dévoué à la sainte. Elle était son inspiration. Elle était le modèle sur lequel il avait bâti toute sa carrière militaire. Il m’a dit qu’il considérait cette croisade comme une chance de lui rembourser cette dette qu’il avait envers elle. Je ne déshonorerai pas sa mémoire en échouant. Ici plus que n’importe où d’autre.

— Et laissez-moi deviner, dit Rawne. Ça n’est pas seulement ça non plus.

De la tête, Gaunt fit signe que non.

— Sur Formal Prime, durant les premiers mois de la croisade, j’ai combattu au côté de Slaydo pour reprendre les ruches. Ce fut un des premiers grands succès de la croisade.

Pour le banquet de la victoire, il a rassemblé ses officiers. Nous étions quarante-huit. Nous avons fait la fête. Nous étions tous un peu éméchés, et Slaydo aussi. Et c’est là qu’il… qu’il est devenu très solennel, avec cette espèce de tristesse qui prend certains hommes quand ils ont trop bu. Nous lui avons demandé ce qui n’allait pas, et il nous a répondu qu’il avait peur. Alors tout le monde s’est mis à rire ! Le grand Maître de guerre Slaydo avait peur ? Il s’est mis debout, assez difficilement ; il avait déjà cent cinquante ans, et les années n’avaient pas été tendres avec lui. Il nous a dit qu’il avait peur de mourir avant d’avoir accompli son œuvre. Peur de ne pas vivre assez longtemps pour voir la libération complète des mondes de la beati. C’est cette ambition qui le consumait, et il avait peur de ne jamais y arriver.

Nous lui avons assuré qu’il nous enterrerait tous. Lui ne riait pas, il a secoué la tête, et a dit en insistant que la seule façon dont il pouvait être sûr que sa tâche sacrée serait accomplie, la seule façon dont il pouvait atteindre l’immortalité et s’acquitter de son devoir envers la sainte, c’était au travers de nous. Il a demandé que nous prêtions tous serment. Avec notre sang. Nous avons utilisé nos baïonnettes et nos couteaux de table pour nous entailler la paume. Un par un, nous lui avons serré la main, et nous avons juré sur nos vies. Sur nos vies, Rawne. Que nous allions finir son œuvre. Que nous allions poursuivre cette croisade jusqu’à la fin. Et que nous allions protéger la sainte contre tous ceux qui lui voudraient du mal.

Gaunt tendit sa main droite, paume ouverte. Dans la demi-lumière bleutée, Rawne pouvait distinguer la vieille entaille pâle.

— Slaydo est mort à Balhaut, la plus grande de toutes les batailles, comme il le redoutait. Mais il reste vivant au travers de notre serment.

— Et Lugo vous ferait briser votre serment.

— Lugo m’a fait envoyer les blindés dans la Doctrinopole et réduire ses temples en cendre. Maintenant, Lugo veut que j’offense la beati et que je trouble son dernier sommeil. Je suis désolé si je vous ai semblé prendre tout ça très mal, mais maintenant, vous comprenez peut-être pourquoi.

Rawne acquiesça lentement.

— Vous feriez mieux d’annoncer la nouvelle aux autres.

Gaunt alla se placer au centre de l’antichambre bondée, déclina la boisson que lui offrait un esholi et se racla la gorge. Tous les yeux étaient sur lui et le silence se fit.

— À la lumière des derniers développements de notre mission, et… et d’autres considérations, je vous informe que j’apporte un changement à nos ordres, de mon propre chef.

Il y eut un murmure.

— Nous n’allons pas suivre les instructions du seigneur général Lugo. Nous n’allons pas emporter les reliques du Sanctuaire. Désormais, mes ordres sont que la garde d’honneur doit prendre position ici et défendre le Sanctuaire jusqu’à ce que notre position soit relevée.

Un tollé général emplit la pièce. Seul Hark demeura silencieux.

— Mais enfin Gaunt, les ordres du seigneur général… commença Kleopas en se levant.

— Ses ordres ne sont plus viables ni appropriés. En tant que commandant de terrain pouvant juger des choses telles qu’elles se passent ici, la décision est de mon ressort.

L’Intendant Elthan se leva à son tour, tremblant de rage.

— Vous allez tous nous faire tuer ! Nous devons être de retour à la Doctrinopole dans le délai prévu ou nous ne serons pas évacués ! Vous savez parfaitement qu’une flotte arrive vers nous, colonel-commissaire, comment osez-vous faire une telle suggestion !

— Rasseyez-vous, Elthan. Si cela peut vous être d’un quelconque réconfort, je suis désolé que du personnel non combattant comme vous et vos conducteurs soient pris dans tout ça. Mais vous êtes des serviteurs de l’Empereur, et parfois, votre devoir est aussi cruel que le nôtre. Vous allez obéir. L’Empereur nous protège.

Quelques-uns des officiers et tous les ayatani reprirent cette phrase en chœur.

— Commissaire, vous ne pouvez pas changer nos ordres. La voix du lieutenant Pauk trahissait son anxiété, et Kleopas s’empressa d’approuver de la tête les paroles de son subordonné. Nous allons tous subir les mesures disciplinaires les plus strictes. Les ordres du seigneur général Lugo ont été simples et précis, nous ne pouvons pas leur désobéir !

— Tu as vu ce qui arrive derrière nous par ce col, Pauk ? Tous se retournèrent. Le capitaine Leguin était adossé à un mur à l’arrière de la pièce. Je dis que la décision du colonel-commissaire est bonne, par nécessité. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas retourner à la Doctrinopole.

— Merci, capitaine, approuva Gaunt.

— Garde ton opinion pour toi, Leguin ! cria le capitaine Marchese, commandant du Conqueror P48J. Nous pouvons toujours essayer ! C’est ce que le seigneur général et le Maître de guerre attendraient de nous ! En restant ici, nous pouvons réussir à résister peut-être pendant une semaine, mais une fois que cette flotte arrivera, nous serons condamnés de toute façon !

Plusieurs officiers, parmi lesquels des Fantômes, applaudirent l’intervention de Marchese.

— Nous allons suivre les ordres ! Nous allons emmener les reliques, et tenter une percée maintenant ! Nous allons tenter notre chance dans un combat face à face contre les Infardi, et s’ils nous tuent, mieux vaut mourir de cette façon, avec gloire, que d’attendre une mort certaine !

D’autres voix de soutien se rallièrent à lui.

— Vous auriez vraiment dû être commissaire, capitaine Marchese. Vous savez tourner une bonne phrase pour inspirer les hommes. Gaunt sourit. Mais c’est moi qui suis commissaire, et qui suis votre commandant. Nous allons rester ici pour nous battre, comme je vous l’ordonne.

— S’il vous plaît, Gaunt, reconsidérez votre idée, l’implora Kleopas.

— On va mourir, commissaire, dit le sergent Meryn.

— Et d’une sale manière, encore, ajouta Feygor.

— Est-ce qu’on mérite pas d’avoir une chance, commissaire ? demanda le sergent Soric en redressant sa carrure trapue, sa casquette entre les mains.

— Vous méritez qu’on vous laisse toutes vos chances, Soric, dit Gaunt. J’ai considéré toutes nos options avec soin et celle-ci est la meilleure.

— Vous avez perdu l’esprit ! couina Elthan. Il tourna vers Hark un regard suppliant. Commissaire ! Par l’Empereur, faites quelque chose !

Hark s’approcha. La pièce retomba dans le silence.

— Gaunt. Je sais que vous me considérez comme votre ennemi depuis le début. Je comprends pourquoi, mais l’Empereur sait que je ne suis pas votre ennemi. Je vous admire depuis des années. J’ai étudié vos décisions, que d’autres hommes moindres n’auraient pas su prendre. Vous n’avez jamais eu peur de remettre en question les exigences du haut commandement.

Hark observa toute l’antichambre silencieuse et son regard revint vers Gaunt.

— C’est moi qui vous ai obtenu cette mission. Je fais partie de l’état-major du seigneur général depuis plus d’un an, et je sais quel genre d’homme il est. Il veut vous faire porter la faute pour la débâcle de la Doctrinopole et couvrir ainsi son propre manque de finesse stratégique. Après le désastre de la Citadelle, il voulait vous faire disgracier sur-le-champ, mais je savais que vous valiez mieux que ce qu’il laissait entendre. J’ai suggéré une dernière mission. Cette garde d’honneur. J’ai pensé qu’elle pouvait vous donner une chance de redorer votre blason, ou du moins d’achever votre carrière sur une note respectable. Je pensais même qu’elle pouvait laisser à Lugo le temps de réviser son opinion à votre égard. Une récupération réussie des reliques de ce monde au nez et à la barbe d’une armée ennemie écrasante pouvait même devenir une victoire, en lui donnant l’écho nécessaire. Lugo serait passé pour un héros, et vous, par conséquent, vous auriez gardé votre régiment.

Hark soupira et lissa l’avant de sa veste.

— Si vous désobéissez aux ordres, il n’y aurait pas de rédemption possible. Vous vous placeriez de vous-même dans la situation exacte où Lugo souhaite vous voir. Vous feriez de vous le bouc émissaire dont il a besoin. Je ne peux pas le permettre, d’autant moins en tant qu’officier de son commissariat personnel. Je ne peux pas vous laisser en charge de cette mission. Je suis désolé, Gaunt. Tout du long, j’aurai été de votre côté. C’est vous qui m’obligez à agir. En application du décret général 145.f, je prends le commandement de cette garde d’honneur. Nous continuerons de suivre nos ordres à la lettre. J’aurais aimé que les choses se terminent différemment, Gaunt. Major Rawne, veuillez vous faire remettre les armes du colonel-commissaire Gaunt.

Rawne se leva lentement. Il traversa la pièce comble jusqu’à Gaunt, et se posta à côté de lui, face à Hark.

— Je ne vois pas les choses se passer comme ça, vous savez.

— Ceci est un acte d’insubordination, major, articula posément Hark. Obéissez à mes instructions et privez-le de ses armes, ou vous serez mis aux arrêts pour les mêmes charges.

— Je n’ai peut-être pas été clair, dit Rawne. Allez-vous faire foutre.

Hark ferma les yeux, marqua une pause, les rouvrit et dégaina son pistolet à plasma.

Il le leva lentement et le pointa vers Rawne.

— Dernière chance, major.

— Dernière chance pour qui ? Regardez autour de vous.

Hark le fit. Une dizaine d’armes d’appoint étaient braquées sur lui par des officiers des Fantômes et quelques Pardusiens, parmi lesquels Leguin et Kleopas.

Hark rengaina son pistolet.

— Vous ne me laissez pas le choix. Si nous survivons, cet incident sera porté à l’attention du commissariat de croisade, avec la description de tous ses détails.

— J’ai hâte de voir ça, si nous survivons, dit Gaunt. Maintenant, nous allons nous préparer.

Dehors, dans le blizzard de la nuit, au repère 00.02 à l’entrée du col, l’éclaireur Bonin et les soldats Larkin et Lillo avaient pris position dans un des abris taillés dans la glace. Un radiateur chimique soufflait à leurs pieds, mais le froid était toujours aussi mordant. Bonin surveillait l’auspex portatif tandis que Larkin guettait le tourbillon de neige derrière la vision nocturne de sa lunette. Lillo se frottait les mains pour se les réchauffer, près de l’autocanon sur trépied.

— Du mouvement, annonça calmement Larkin.

— Rien sur l’écran, répliqua Bonin en vérifiant la plaque luisante de l’auspex.

— Ben tiens, regarde toi-même, dit Larkin en se décalant pour que Bonin pût glisser sa tête devant le fusil long soigneusement aligné.

— Où ça ?

— Un poil plus à gauche.

— Oh, merde, murmura Bonin. Des taches de lumière d’un vert fantomatique empruntaient le col : des centaines de lueurs, qui remontaient vers eux le chemin escarpé.

— Il y en a un paquet, dit-il en se reculant.

— J’suis sûr que t’en as pas vu la moitié, marmonna Lillo, les yeux rivés sur l’écran de l’auspex. Des symboles d’un jaune vif arrivaient sur le contour de l’holocarte. Le compteur tactique avait identifié au moins trois cents contacts, mais le nombre ne cessait d’augmenter tandis qu’ils regardaient.

— Prends la radio, dit Larkin. Préviens Gaunt que tout le Warp est en train de remonter le col.