Pierre Mac Orlan
(1882-1970)
CHANSON DU VOYAGE
En allant de vergne en ville
Et de cambrouse en lieu-dit
J’ai aimé des cambrelines
Et des marques de gipsies
La roulotte poussait l’âne
Né près des Saintes-Maries.
Un tambour à sa fenêtre
Se balançait comme une cage
Où tremblaient de très beaux bruits.
Roger Wild à la fenêtre
Maître Pierre et ses soucis
Fumaient la pipe des ancêtres
À la santé des Zingaris.
Ils étaient donc dans la roulotte
À la merci des vieux chemins.
Les maillots roses si bien déteints,
Les bras fragiles des écuyères,
Le long tambour de Tabarin,
La Main de Gloire tant éphémère
Et les tréteaux si crucifères
Nous apportaient en ce chemin,
Par jeu de tarots et belote,
La vraie présence du Rabouin
Et des déductions assez moches
Et nous allions avec la Banque –
La route s’enroulait sous nos pas –
Vers des brouillards blêmes et gras
Et de gratuites Apocalypses
Ou d’imprévisibles saisons.
Les faridondaines classiques
Rythmaient le glas de nos chansons.
Auprès d’une place publique
Un messier roux leva la main :
— « Couchez ici, gens de la Banque
Et arrêtez vos pas clopins.
C’est l’asile des gymnastiques
Et des beaux poèmes forains. »
Le bout de la route était là…
La chanson s’éteignit un peu…
On coucha la Bonne Aventure
Dans les draps d’un petit lit bleu.
Poésies documentaires complètes