-Darcy, nous nous connaissons depuis cinq jours fit remarquer Chris. Voulez-vous m'expliquer exactement ce que vous faites ?

Il se tourna vers Greta.

-Le jour où j'ai fait traverser la galerie à Darcy pour la première fois, elle a repéré le secrétaire Roentgen du premier coup d'oeil. Puis elle m'a dit qu'elle était " un peu de la partie ".

Darcy éclata de rire.

-Vous ne le croirez pas, mais c'est la vérité.

Greta Sheridan se montra fascinée.

-Quelle idée formidable ! Si cela vous intéresse, je peux vous signaler des affaires. Vous seriez étonnée de voir les meubles magnifiques dont les gens se débarrassent dans cette région, ou qu'ils vendent pour trois fois rien.

Un peu plus tard, Chris annonça:

-C'est moi qui fais la cuisine. J'espère que vous n'êtes pas végétarienne, Darcy. J'ai prévu des steaks, des pommes de terre au four, une salade.

-Je ne suis pas végétarienne. Et j'ai une faim de loup.

Greta Sheridan attendit qu'il eût quitté la pièce pour parler de sa fille et de la reconstitution du meurtre dans la série télévisée " Crimes-Vérité ".

-Lorsque j'ai reçu cette lettre m'annonçant qu'une jeune fille aimant la danse allait mourir à New York en souvenir de Nan, j'ai cru devenir folle. Rien n'est pire que d'être incapable de prévenir une tragédie dont on sait qu'elle va arriver.

-Excepté avoir l'impression d'en être responsable, dit Darcy. La seule façon de me pardonner à moi-même d'avoir incité Erin à répondre à ces maudites annonces est d'empêcher son meurtrier de faire d'autres victimes. La même intention apparemment vous anime. Je comprends combien il doit vous être douloureux de ressortir les lettres et les photos de Nan, et je vous en suis reconnaissante.

-J'en ai trouvé d'autres. Les voilà.

Greta désigna une pile de petits albums disposés sur le devant de la cheminée.

-Ils étaient rangés sur une étagère en haut de la bibliothèque et j'ai failli ne pas les voir.

Elle prit celui du dessus. Darcy approcha une chaise et elles se penchèrent ensemble sur les photos.

-Nan s'intéressait à la photo durant la dernière année, dit Greta. Nous lui avions offert un Canon pour Noël, aussi ces photos ont-elles été prises entre la fin décembre et le début du mois de mars.

Les années de jeunesse, songea Darcy. Elle possédait des albums semblables de ses années d'étudiante à Mount Holyoke. A la différence près que Mount Holyoke accueillait uniquement des filles. Sur ces photos, il y avait autant de garçons que de filles. Elles commencèrent à les examiner.

Chris apparut sur le seuil de la porte.

-Le dîner sera prêt dans cinq minutes.

-Vous faites très bien la cuisine, apprécia Darcy en avalant la dernière bouchée de steak.

Ils commentèrent l'allusion de Nan à un certain Charley qui aimait les filles chaussées de talons aiguille.

-Voilà ce dont j'essayais de me souvenir, dit Greta.

A la télévision et dans la presse, il était tout le temps question de chaussures à talons hauts. Ce qui me poursuivait, c'était la lettre de Nan à propos des talons hauts. Malheureusement, elle ne nous est pas d'une grande aide, n'est-ce pas ?

-Pas encore, dit Chris.

Chris apporta le plateau du café dans le petit salon.

-Tu fais un merveilleux maître d'hôtel, lui dit tendrement sa mère.

-Il m'a bien fallu apprendre, puisque tu refuses obstinément d'avoir quelqu'un à demeure.

Darcy pensa à la résidence de Bel-Air avec trois domestiques en permanence.

Lorsqu'elle eut fini son café, elle se leva pour partir.

J'aimerais beaucoup prolonger cette soirée, mais il me faut plus d'une heure pour rentrer chez moi, et je finirai par m'endormir au volant si je m'attarde trop.-

Elle hésita.-Puis-je seulement jeter encore un regard sur le premier album ?

Il y avait une photo de groupe au dos de la dernière page.

-Ce grand garçon en chandail de l'école, dit Darcy.

Celui qui détourne le visage de l'appareil. Il y a quelque chose chez lui... -Elle haussa les épaules.-J'ai seulement l'impression de l'avoir peut-être déjà vu quelque part.

Greta et Chris étudièrent la photo.

-Je peux reconnaître quelques-uns de ces enfants dit Greta, mais pas celui-là. Et toi, Chris ?

-Non. Mais regarde, Janet se trouve sur la photo.

C'était une des grandes amies de Nan, expliqua-t-il à Darcy. Elle vit à Westport.

Il se tourna vers sa mère.

-Elle vient toujours gentiment te voir. Pourquoi ne l'inviterais-tu pas un de ces jours ?

-Elle est tellement occupée avec ses enfants. Je pourrais m'y rendre moi-même.

Au moment où Darcy les quittait, Greta Sheridan remarqua avec un sourire:

-Darcy, je vous ai bien regardée pendant toute la soirée. Mis à part la couleur de vos cheveux, vous a-t-on jamais dit que vous aviez une ressemblance étonnante avec Barbara Thorne ?

-Jamais, répondit sincèrement Darcy.

Il semblait peu opportun de dire que Barbara Thorne était sa mère. Elle sourit à son tour.

-Mais je dois vous dire, madame Sheridan, que j'apprécie le compliment.

Chris l'accompagna jusqu'à sa voiture.

-N'êtes-vous pas trop fatiguée pour conduire ?

-Pas du tout. Vous devriez voir les longues étapes que je parcours lors de mes chasses au mobilier.

-Nous travaillons vraiment dans le même domaine.

-Oui, mais vous prenez les grandes routes...

-Viendrez-vous à la galerie demain ?

-Certainement. Bonsoir, Chris.

Greta Sheridan attendait à la porte.

-Elle est exquise, Chris. Véritablement exquise.

Chris haussa les épaules.

-C'est également mon avis.

Il se souvint du fard qu'avait piqué Darcy lorsqu'il lui avait demandé si elle était libre hier.

-Mais ne commence pas à faire des plans, Maman.

J'ai l'intuition qu'elle est déjà prise.

Pendant le week-end, Doug avait été l'exemple de tout ce qu'une femme peut attendre d'un mari et d'un père dévoué. Même sachant que tout ça n'était que comédie, Susan en vint à douter que Doug pût être un meurtrier.

Il alla voir Donny s'entraîner au basket-ball, puis organisa une partie de foot dans le jardin avec les enfants qui pouvaient rester. Il emmena ensuite tout le monde déjeuner au Burger King. " Rien de tel qu'une nourriture saine ", plaisanta-t-il.

L'endroit était rempli de jeunes couples accompagnés de leurs enfants. " C'est ce qui nous a manqué, pensa Susan. Mais c'est trop tard, maintenant. " Elle regarda Donny de l'autre côté de la table; il restait silencieux.

De retour à la maison, Doug joua avec le bébé, l'aidant à construire un château de cubes. " Mettons le petit prince à l'intérieur. " Conner hurla de joie.

Il emmena Trish faire une promenade sur sa trotti-nette. " On va dépasser tout le monde dans la rue, hein, mon petit lapin ? "

Il eut une tendre conversation avec Beth. " Ma petite fille devient tous les jours plus jolie. Il va falloir que j'élève une barrière autour de la maison pour empêcher les garçons de courir après toi. "

Tandis qu'elle préparait le dîner, il vint embrasser Susan dans le cou.

-Nous devrions aller danser un soir, chérie. Te souviens-tu comme nous dansions à l'université ?

Comme un vent glacé, ces mots mirent fin à l'espoir qu'il n'était peut-être au fond qu'un coureur de jupons.

Les chaussures de bal trouvées sur les cadavres.

Plus tard, au lit, Doug tendit la main vers elle.

-Susan, t'ai-je jamais dit combien je t'aimais ?

-Tu me l'as dit plusieurs fois, mais une en particulier me reste à l'esprit.

Lorsque j'ai menti pour toi après la mort de Nan Sheridan.

Doug se redressa sur un coude, la fixa dans l'obscurité.

-Laquelle? demanda-t-il d'un ton gentiment moqueur.

Ne lui laisse pas deviner tes pensées.

-Le jour où nous nous sommes mariés, bien sûr.-

Elle eut un petit rire nerveux.-Oh Doug, non, je t'en prie. Je suis réellement fatiguée.

Son contact lui était insupportable. Elle se rendit compte qu'elle avait peur de lui.

-Susan, que se passe-t-il ? Tu trembles.

Le dimanche ressembla au samedi. Un dimanche de famille unie. Mais Susan nota l'expression de lassitude dans les yeux de Donny, les rides d'inquiétude autour de sa bouche. Faut-il que jefasse part de mes soupçons à la police ? Et si j'avoue que j'ai menti pour lui il y a quinze ans, irai-je moi aussi en prison ? Et dans ce cas qu'adviendrait-il des enfants ? Et si jamais il se doutait de mes intentions, jusqu'où irait-il pour m'en empêcher ?

Lundi 11 mars

DANS la matinée du lundi, Vince téléphona à Nona.

-J'ai trouvé un psy pour votre émission. Le docteur Martin Weiss. Un homme sympathique. Intelligent. Membre de l'AAPL et très expérimenté. Il dit les choses franchement et participera volontiers à l'émission. Voulez-vous son numéro de téléphone ?

-Certainement.

Nona l'inscrivit, puis ajouta:

-J'aime bien Hank, Vince. Il est merveilleux.

-Il veut savoir si vous aimeriez le voir jouer quand commenceront les matchs de base-ball.

-J'amènerai le pop-corn.

Nona téléphona au docteur Weiss. Il convint de venir au studio mercredi à 16 heures.

-Nous enregistrons à 17 heures. Le programme sera diffusé jeudi soir à 20 heures.

Darcy passa une grande partie du lundi dans l'entrepôt à étiqueter des meubles pour l'hôtel. A 16 heures, elle se rendit à la galerie Sheridan. Une vente était en cours.

Elle aperçut Chris debout à l'extrémité du premier rang, le dos tourné. Elle se faufila dans le couloir jusqu'à la salle de conférences. Un grand nombre de photos étaient datées. Elle voulait en trouver d'autres remontant à la même époque. Peut-être trouverait-elle une autre photo de l'étudiant qui lui avait paru vaguement familier.

A 18 h 30, elle était toujours plongée dans ses recherches. Chris entra. Elle leva la tête, souriante.

-Les enchères semblaient animées. Etes-vous content de votre journée ?

-Très. Personne ne m'a prévenu que vous étiez là.

J'ai vu la lumière allumée.

-Cela tombe bien. Chris, ce garçon ressemble-t-il à celui que je vous ai montré hier ?

Il étudia la photo.

-Il me semble, oui. Ma mère a laissé un message il y a quelques minutes. Elle a vu Janet aujourd'hui. Cet étudiant faisait partie de ceux qui ont été interrogés à la mort de Nan. Il avait un faible pour elle, je crois. Il s'appelait Doug Fox.

Devant l'expression bouleversée de Darcy, il demanda:

-Vous le connaissez donc ?

-Sous le nom de Doug Fields. Par une petite annonce.

-Chérie, ils ont organisé une réunion au dernier moment. Je ne peux pas te parler, mais l'une des sociétés que nous avons recommandée à notre plus gros client vient de faire faillite.

Susan passa tant bien que mal la soirée. Elle donna un bain au bébé et à Trish, aida Donny et Beth à faire leurs devoirs.

Elle finit par éteindre les lumières et monter se coucher. Pendant des heures, elle resta étendue sans dormir. Il s'était arrangé pour rester un week-end à la maison. Et maintenant, il traînait à nouveau elle ne savait où. Et s'il était responsable de la mort de ces jeunes filles, elle était également coupable.

Si elle pouvait seulement partir... mettre les enfants dans la voiture et s'en aller aussi loin que possible.

Mais ça n'était pas si facile.

Le lendemain après-midi, après avoir vu Trish s'éloigner dans le bus de l'école et mis Conner au lit pour la sieste, Susan décrocha le téléphone et demanda aux renseignements le numéro du siège central du FBI à Manhattan.

Elle le composa et attendit. Une voix dit:

-FBI, j'écoute.

Il était encore temps de raccrocher. Susan ferma les yeux, se força à parler d'une voix intelligible.

-Je voudrais parler à quelqu'un à propos des meurtres aux chaussures de bal. J'ai peut-être des informations.

Le lundi soir, Darcy retrouva Nona pour dîner chez Neary's et la mit au courant au sujet de Doug Fox.

-Vince était absent lorsque j'ai essayé de le joindre, dit-elle. J'ai laissé un mot à son assistant.

Elle rompit un morceau de son petit pain et le beurra légèrement.

-Nona, qu'il s'appelle Doug Fox ou Doug Fields, c'est exactement le genre de type qui aurait attiré Erin et à qui elle aurait fait confiance. Il est beau garçon, brillant, artiste, et il a un de ces visages puérils qui auraient éveillé son instinct de maman poule.

Nona avait l'air grave.

-Qu'il ait été interrogé à propos de la mort de Nan Sheridan n'a rien de rassurant. Je préférerais que tu ne le revoies pas. Bien sûr, d'après Vince, un tas de types ne communiquent pas leur nom véritable lorsqu'ils répondent à ces petites annonces.

-Mais combien d'autres ont été interrogés au sujet de la mort de Nan Sheridan ?

-Ne te fais pas d'illusions. Jusqu'ici, on sait seulement que Jay Stratton a également été étudiant à Brown et que l'intendant de l'immeuble d'Erin a travaillé près de la résidence de Nan Sheridan il y a quinze ans.

-Je voudrais tellement que tout ça soit fini, soupira Darcy.

-N'en parlons plus pour l'instant. Cette histoire n'a cessé de te tourmenter. Comment va ton travail ?

-Oh, je l'ai négligé, bien sûr ! Mais j'ai eu un coup de téléphone qui m'a fait plaisir, aujourd'hui, à propos d'une chambre que j'ai décorée pour une jeune accidentée de seize ans. Je l'ai meublée avec les affaires d'Erin.

La mère voulait me faire savoir que sa fille Lisa est rentrée samedi de l'hôpital et qu'elle adore sa chambre.

Et sais-tu ce qu'elle a aimé tout particulièrement, d'après sa mère ?

-Quoi ?

-Te souviens-tu du poster qu'Erin avait fixé sur le mur face à son lit? Cette reproduction d'un tableau d'Egret ?

-Bien sûr. Aime la musique, aime danser.

Elles n'avaient pas remarqué que Jimmy Neary s'était approché de leur table.

-C'est ça, s'écria-t-il. Bon Dieu, c'est ça. C'est ainsi que commençait la petite annonce qui est tombée de la poche d'Erin, ici, à cet endroit même.

Mardi 12 mars

LE mardi, Susan engagea une baby-sitter pour la journée et prit le train pour New York. Vince lui avait demandé de venir à son bureau. " Je comprends combien c'est pénible pour vous, madame Fox ", avait-il dit avec précaution. Il ne voulait pas lui annoncer qu'ils étaient déjà sur la piste de son mari. " Nous ferons notre possible pour ne rien divulguer aux médias, mais plus nous en saurons, plus notre tâche sera facilitée. "

A 11 heures, Susan se trouvait au quartier général du FBI.

-Vous pouvez contacter l'agence Harkness, dit-elle à Vince. Ils avaient pris Doug en filature. J'aimerais croire que c'est simplement un coureur de jupons, mais s'il s'agit d'autre chose, je ne peux le laisser continuer.

Vince vit le chagrin qui déformait le visage de la jolie jeune femme assise en face de lui.

-En effet, vous ne pouvez le laisser continuer, dit-il doucement. Toutefois, entre le fait de savoir que votre mari court les femmes et penser qu'il peut être un assassin, il y a un grand pas à franchir. Comment y êtes-vous parvenue ?

-J'avais vingt ans à peine et j'étais tellement amoureuse de lui.

On aurait dit que Susan se parlait à elle-même.

-C'était il y a combien de temps ?

-Quinze ans.

Vince resta impassible.

-Qu'est-il arrivé à cette époque, madame Fox ?

Les yeux fixés quelque part sur le mur derrière lui, Susan raconta à Vince qu'elle avait menti pour couvrir Doug à la mort de Nan Sheridan, et que Doug avait prononcé le nom d'Erin dans son sommeil, la nuit où son corps avait été découvert.

Vince attendit qu'elle eût terminé.

-L'agence Harkness sait-elle où se trouve son appartement ? demanda-t-il ensuite.

-Oui.

Après avoir révélé tout ce qu'elle savait ou soupçonnait, Susan sentit une immense lassitude l'envahir. Il ne lui restait plus à présent qu'à vivre avec elle-même pour le restant de son existence.

-Madame Fox, je vais vous demander quelque chose d'extrêmement pénible. Nous avons besoin de comparer nos informations avec celles de l'agence Harkness. Le fait qu'ils aient pris votre mari en filature pourrait être d'une grande utilité. Pouvez-vous agir normalement avec lui pendant un jour ou deux? Ne l'oubliez pas, notre enquête peut l'innocenter.

-Sauvegarder les apparences n'est pas difficile avec mon mari. La plupart du temps, il ne me remarque pas, excepté pour se plaindre.

Lorsqu'elle fut partie, Vince appela Ernie.

-Nous tenons notre première chance et je ne veux pas la gâcher. Voilà mon plan...

Le mardi après-midi, Jay Charles Stratton fut arrêté pour vol. Les inspecteurs de la police départementale de New York, conjointement avec le personnel de la sécurité de la Lloyd's de Londres, avaient découvert le receleur d'une partie des diamants volés. Le reste des pierres qui formaient le contenu de la pochette disparue furent retrouvées dans un coffre-fort loué au nom de Jay Charles.

La réunion s'était éternisée et l'ambiance dans les bureaux était tendue. Comment expliquer à vos meilleurs clients que les comptables d'une société vous ont grugé ? Ce genre de malentendu n'était plus censé se produire.

Doug appela chez lui à plusieurs reprises et s'étonna d'entendre la baby-sitter au téléphone. Il se tramait définitivement quelque chose. Il ferait mieux de rentrer à la maison ce soir. Remettre les choses au point avec Susan ne serait pas trop difficile. Il sentit sa confiance en lui l'abandonner. Elle ne commençait quand même pas à soupçonner... A moins que ?

Mardi en fin d'après-midi, Darcy rentra directement chez elle en sortant de son travail. Tout ce qu'elle désirait, c'était faire réchauffer une boîte de soupe et se coucher tôt. La tension des deux semaines dernières la rattrapait. Elle le sentait.

A 20 heures, Michael téléphona.

-J'ai déjà entendu des voix épuisées, mais la vôtre bat tous les records.

-Je n'en doute pas.

-Vous avez trop exigé de vous, Darcy.

-Ne vous inquiétez pas. Jusqu'à la fin de la semaine, j'ai l'intention de rentrer directement du bureau chez moi.

-Excellente idée. Darcy, je suis obligé de m'absen-ter pendant quelques jours, mais réservez-moi votre samedi, voulez-vous ? Ou dimanche ? Ou mieux encore, les deux jours ?

Darcy rit.

-Disons samedi. Amusez-vous bien.

-Ça n'a rien d'amusant. Il s'agit d'un séminaire psychiatrique. On m'a demandé de remplacer un ami obligé de se décommander. Vous voulez savoir à quoi ressemble un rassemblement de quatre cents psy dans une seule pièce ?

-J'ai du mal à l'imaginer.

Mercredi 13 mars

LE Jour J, pensa Nona tout en ôtant sa cape qu'elle jeta sur le canapé. Il n'était pas tout à fait 8 heures du matin. Elle constata avec satisfaction que Connie était déjà arrivée et que le café passait dans le percolateur.

Connie la suivit dans son bureau.

-Ça va être formidable, Nona.

Elle portait des tasses qu'elle venait de laver.

-Je crois que Cecil B. DeMille réalisait ses films à grand spectacle en moins de temps qu'il ne m'a fallu pour boucler ce reportage, dit Nona d'un ton désabusé.

-Vous avez réalisé vos émissions habituelles pendant que vous mettiez celle-ci au point, lui rappela Connie.

-Mettons. Il faut vérifier par téléphone que tous nos invités seront présents. Avez-vous envoyé à chacun une lettre de confirmation ?

-Bien sûr.

Connie parut surprise qu'on pût lui poser cette question. Nona sourit.

-Je suis désolée. Mais Hamilton s'est montré tellement réticent sur cette émission, et Liz si décidée à en tirer les avantages en me laissant payer les pots cassés s'il y a le moindre ennui...

-Je sais.

-Parfois, je me demande si vous n'êtes pas aussi à même que moi de diriger ce bureau, Connie. Il y a un seul domaine où j'aimerais que nous soyons dissemblables.

Connie attendit.

-J'aimerais que vous sachiez parler aux plantes.

Vous êtes comme moi. Vous ne les voyez même pas.

Elle désigna la plante sur le rebord de la fenêtre.

-Cette pauvre chose n'en peut plus. Donnez-lui un peu à boire, voulez-vous ?

Len Parker était fatigué mercredi matin. Hier, il n'avait cessé de penser à Darcy Scott. En sortant de son travail, il avait rôdé autour de son immeuble et l'avait vue sortir d'un taxi aux environs de 18 h 30. Il avait attendu jusqu'à 22 heures, mais elle n'était pas réapparue. Il voulait réellement lui parler. Les autres fois, il lui en avait voulu de s'être montrée si désagréable avec lui. Quelque chose lui avait semblé important l'autre jour, mais ça lui échappait maintenant. Il se demandait s'il s'en souviendrait à nouveau.

Il enfila l'uniforme du service de l'entretien. C'était épatant de porter un uniforme, vous n'aviez pas un sou à débourser sur les vêtements de travail.

Lorsque Vince arriva à son bureau mercredi matin, sa secrétaire avait noté un message de Darcy Scott.

Darcy avait passé la journée à travailler sur différents projets en ville, mais elle voulait lui faire savoir qu'Erin avait probablement répondu à une petite annonce commençant par " Aime la musique, aime danser ". C'était sans doute le genre d'annonce auquel avaient répondu les autres disparues, pensa Vince.

Retrouver les auteurs des petites annonces était un travail ardu. Le type qui voulait cacher sa véritable identité pouvait falsifier quelques papiers, ouvrir un compte bancaire, et prendre un numéro de boîte postale où magazines et journaux lui expédiaient les réponses. Pas de nom. Pas d'adresse domiciliaire. Les services des boîtes postales offraient le secret professionnel a leurs clients.

La recherche promettait d'être longue. Mais cette petite annonce lui rappelait quelque chose. Il joignit ses enquêteurs au téléphone. Le filet se resserrait sur Doug Fox, également connu sous le nom de Doug Fields. Le dossier établi sur lui par l'agence Harkness était une véritable aubaine.

Fields sous-louait l'appartement depuis deux ans depuis l'époque de la disparition de Claire Barnes.

Joe Pabst, le détective de Harkness, s'était installé à une table près de Fox au SoHo. Il était clair qu'il avait rencontré la femme qui l'accompagnait par une petite annonce.

Il lui avait donné rendez-vous pour aller danser.

Il avait un break.

Pabst était certain que Fox possédait une sorte de planque quelque part. Il l'avait entendu dire à la spécialiste en affaires immobilières qu'il avait une petite maison où il aimerait bien l'emmener.

Il se faisait passer pour un illustrateur. L'intendant du London Terrace avait eu l'occasion d'entrer dans l'appartement de Fields et disait qu'il était rempli de dessins, des dessins vraiment bons.

Et il avait été interrogé durant l'enquête concernant la mort de Nan Sheridan.

Mais c'était une preuve indirecte, se rappela Vince.

Fox plaçait-il des petites annonces, y répondait-il, ou faisait-il les deux à la fois ? Fallait-il brancher son téléphone sur écoutes pendant un temps, voir ce qui en résulterait ?

Devaient-ils le faire venir pour l'interroger ? Pas facile de décider.

En tout cas, Darcy Scott savait que Fox était suspect.

Elle ne se laisserait pas coincer par lui.

Et si, en prime, il s'avérait que Fox avait placé l'annonce qu'Erin portait sur elle ? " Aime la musique, aime danser. "

A midi, le quartier général du FBI à Quantico alerta Vince. Ils avaient reçu des appels provenant des services de police de tout le pays. Vermont, Washington D. C., Ohio, Géorgie, Californie. Cinq autres boîtes de chaussures dépareillées avaient été envoyées. Toutes contenaient une chaussure de marche et une sandale du soir à talon haut. Toutes avaient été adressées aux familles des jeunes femmes habitant New York et déclarées disparues au cours des deux dernières années.

A 15 h 30, Vince s'apprêtait à quitter son bureau pour les studios de l'Hudson Cable. Sa secrétaire l'arrêta au moment où il passait devant sa porte et lui tendit le téléphone.

-M. Charles North. Il dit que c'est important.

Vince haussa les sourcils. Ne me dites pas que cet avocat prétentieux et que les scrupules n'étouffent pas se décide à coopérer.

-D'Ambrosio, dit-il d'un ton sec.

-Monsieur D'Ambrosio, j'ai beaucoup réfléchi à cette histoire.

Vince attendit.

-Il n'y a qu'une seule explication possible au fait que mes projets soient tombés dans des oreilles indiscrètes.

Vince sentit son intérêt s'éveiller.

-Lorsque je suis venu à New York au début du mois de février, pour régler les derniers détails de mon installation, mon associé principal m'a emmené à une soirée donnée au Plaza. Le gala des auteurs dramatiques de la 21st Century. L'assistance était brillante. Helen Hayes, Tony Randall, Martin Charnin, Lee Grant Lucille Lortel. On m'a présenté à un grand nombre de gens pendant le cocktail. Mon associé était désireux de me faire connaître. J'ai parlé à un groupe de quatre ou cinq personnes juste avant que le dîner soit annoncé.

L'un des hommes présents m'a demandé ma carte, mais je ne me rappelle plus son nom.

-A quoi ressemblait-il ?

-J'ai une très mauvaise mémoire des visages et des noms, ce qui doit sûrement dérouter un homme de votre profession. Je n'ai qu'un vague souvenir de lui. Environ un mètre quatre-vingt-cinq. Pas tout à fait quarante ans.

S'exprimant bien.

-Croyez-vous que si nous obtenions la liste des invités à ce gala, cela réveillerait votre mémoire ?

-Je ne sais pas. Peut-être.

-Très bien, monsieur North. Je vous suis reconnaissant de m'avoir téléphoné. Nous allons établir cette liste et peut-être pourrez-vous demander à votre associé s'il reconnaît les noms des personnes avec lesquelles vous vous êtes entretenu.

North parut inquiet.

-Et comment expliquerai-je la nécessité de cette information ?

La gratitude que Vince commençait à ressentir à l'égard de North s'évanouit.

-Monsieur North, dit-il sèchement, vous êtes avocat. Vous savez sûrement obtenir un renseignement sans explication.

Il raccrocha et appela Ernie.

-Je veux la liste des personnes présentes au gala des auteurs dramatiques de la 21st Century qui a eu lieu au Plaza début février, dit-il. Vous devriez l'obtenir facilement. Vous savez où me trouver.

Le 13 mars, jour de l'anniversaire de Nan: elle aurait eu trente-quatre ans hier.

Depuis longtemps déjà, Chris fêtait son anniversaire le 24, en même temps que celui de Greta. C'était moins douloureux pour tous les deux. Hier, sa mère avait téléphoné avant qu'il ne quitte son bureau. " Chris, je bénis tous les jours le ciel de t'avoir. Heureux anniversaire, cheri. "

Il l'avait appelée, ce matin.

-C'est le jour difficile, Maman.

-Je suppose qu'il en sera toujours ainsi. Es-tu certain d'avoir envie de participer à cette émission ?

-Si j'en ai envie? Sûrement pas. Mais si j'ai une chance de pouvoir aider à résoudre cette énigme, cela en vaut la peine. Peut-être un spectateur se souviendra-t-il d'un détail concernant Nan.

-Je l'espère.

Greta soupira. Son ton changea.

-Comment va Darcy ? Chris, elle est si charmante.

-Je crois que toute cette histoire l'a épuisée.

-Participera-t-elle aussi à l'émission ?

-Non. Et elle ne veut même pas la regarder.

La journée fut calme à la galerie. Chris put mettre ses papiers à jour. Il avait donné instruction de le prévenir si Darcy venait. A 14 heures, il téléphona à son bureau.

Sa secrétaire lui dit qu'elle travaillait en ville toute la journée et avait ensuite l'intention de rentrer directement chez elle.

A 15 h 30, Chris hélait un taxi pour se rendre aux studios de l'Hudson Cable. Qu'on en finisse une fois pour toutes, pensa-t-il d'un air résolu.

Les invités se rassemblèrent dans le hall. Nona les présenta. Les Corra, un couple d'environ quarante-cinq ans. Ils étaient séparés. Ils avaient chacun répondu réciproquement à leur annonce mutuelle. C'était le catalyseur qui les avait rapprochés.

Les Daley, un couple d'une cinquantaine d'années, l'air sérieux. Ni l'un ni l'autre ne s'était jamais marié auparavant. Ils avaient longtemps hésité avant de passer des petites annonces. Ils s'étaient rencontrés il y a trois ans. " Tout alla bien dès le début, dit Mme Daley. Je m'étais toujours montrée beaucoup trop réservée. J'ai pu mettre sur le papier ce que j'étais incapable de dire à quiconque. " Elle était chercheuse scientifique. Il était professeur d'université.

Adrian Greenfield, la pétulante divorcée proche de la cinquantaine. " Je me suis beaucoup amusée, raconta-t-elle aux autres. En fait, ils ont fait une erreur d'impression. Ils étaient censés écrire que j'étais aimable. Au lieu de cela, ils ont mis que j'étais aisée. Je vous jure, j'ai reçu du courrier par brouettes entières. "

Wayne Harsh, timide président d'une fabrique de jouets. Un peu moins de trente ans. Le rêve de toute future belle-mère, décréta Vince. Harsh prenait plaisir à ses rencontres. Dans son annonce, il déclarait qu'il était frustré de voir ses jouets faire le bonheur des enfants dans le monde entier alors qu'il était sans enfant.

Désireux de rencontrer une femme gentille et intelligente de son âge à la recherche d'un brave garçon qui rentrerait tous les soirs chez lui et ne balancerait pas ses affaires à travers la pièce.

Les tourtereaux, les Cairone. Ils étaient tombés amoureux dès leur première petite annonce. A la fin de la soirée, il s'était mis au piano du bar où ils s'étaient donné rendez-vous et avait joué " Emmène-moi à l'église sans tarder ". Mariés un mois plus tard.

-Jusqu'à ce qu'ils se présentent, j'ai craint de n'avoir aucun jeune couple, confia Nona à Vince. Ces deux-là vous feraient croire aux romans d'amour.

Vince vit entrer le psychiatre, le docteur Martin Weiss, et s'avança à sa rencontre.

Weiss était un homme d'une soixantaine d'années avec un visage énergique, une belle tête couronnée de cheveux gris, des yeux bleus au regard pénétrant.

-Merci d'être venu à la dernière minute, dit Vince.

-Bonjour, Vince.

Vince se tourna pour voir Chris se diriger vers eux. Il se souvint que c'était l'anniversaire de la mort de Nan Sheridan.

-Ce n'est pas le meilleur jour pour vous, dit-il.

A 16 h 45, Darcy se laissa tomber sur la banquette arrière du taxi avec un ouf de soulagement. Elle avait enfin rattrapé le temps perdu. Lundi prochain, les peintres attaqueraient les travaux à l'hôtel. Ce matin, elle avait apporté aux propriétaires une brochure du Pelham Hotel à Londres. " C'est un petit hôtel, à la fois élégant et intime. Il ressemble au vôtre dans la mesure où les chambres et le hall de réception sont de dimensions réduites, le salon parfait pour recevoir des visiteurs. Remarquez le petit bar dans le coin. Vous pouvez avoir le même. Et étudiez les chambres. Il n'est pas question de rechercher quelque chose d'aussi luxueux, mais nous pouvons en donner l'effet. "

Ils étaient visiblement ravis.

" Maintenant, pensa Darcy, je dois me mettre en rapport avec l'étalagiste de Wilston's. " Elle avait été choquée de constater que le jour où l'on défaisait les vitrines, les tissus étaient souvent vendus pour trois fois rien. Des mètres et des mètres de marchandise d'excel-lente qualité.

Elle secoua la tête, s'efforçant de déloger une migraine persistante. " J'ignore si j'ai attrapé un virus ou si ce n'est qu'un simple mal de tête, mais je vais me coucher tôt ce soir encore. " Le taxi s'arrêtait devant son immeuble.

Dans l'appartement, le répondeur clignotait. Bev avait laissé un message. " Darcy, tu as reçu un appel complètement farfelu il y a une vingtaine de minutes.

Rappelle-moi dès ton retour. "

Darcy composa sans attendre le numéro de son bureau.

-Bev, quel est ce message ?

-C'était une femme. Elle parlait à voix très basse.

Je l'entendais à peine. Elle voulait savoir où elle pouvait te joindre. Je n'ai pas voulu lui donner le numéro de téléphone de ton appartement, et lui ai promis de te communiquer le message. Elle a dit qu'elle était dans le bar où se trouvait Erin le soir de sa disparition, qu'elle ne l'avait pas dit parce que l'homme qui l'accompagnait n'était pas son mari. Elle a vu Erin rencontrer un homme qui entrait au moment où elle s'en allait. Ils sont partis ensemble. Elle se souvient bien de lui.

-Comment puis-je la joindre ?

-Tu ne peux pas. Elle ne m'a pas laissé son nom.

Elle demande que tu viennes la retrouver dans ce bar.

C'est le Eddie's Aurora dans la quatrième rue, sur Washington Square. Elle a dit que tu viennes seule et que tu l'attendes au bar. Elle y sera vers 18 heures, à moins qu'elle ne puisse se libérer. Ne l'attends pas plus longtemps. Elle rappellera demain si vous ne vous voyez pas ce soir.

-Merci, Bev.

-Ecoute, Darcy, je vais rester tard au bureau. J'ai un examen à préparer et il n'y a pas moyen de travailler chez moi, avec le va-et-vient des copains de la fille qui partage mon appartement. Rappelle-moi, veux-tu ? Je voudrais seulement savoir que tout va bien.

-Tout ira bien. Mais, c'est entendu, je te rappellerai.

Darcy oublia qu'elle était fatiguée. Il était 16 h 55.

Elle avait juste le temps de se rafraîchir le visage, de brosser ses cheveux, et de remplacer son jean poussié-reux par une jupe et un pull-over. " Oh, Erin ! pensa-t-elle. Peut-être touchons-nous au but. "

Nona regarda défiler le générique tandis que les invités bavardaient tranquillement, encore à l'écran, mais hors son.

-Amen, dit-elle lorsque l'écran s'obscurcit.

Elle se leva d'un bond et se dirigea vers le plateau.

-Vous avez été merveilleux, dit-elle. Chacun de vous. Je ne pourrais jamais assez vous remercier.

Les invités eurent un sourire détendu. Chris, Vince et le docteur Weiss se levèrent ensemble.

-Je suis content que ce soit terminé, dit Chris.

-C'est compréhensible, dit Martin Weiss. D'après ce qu'on m'a dit, vous et votre mère avez montré un courage remarquable dans toute cette histoire.

-Il le faut bien, docteur.

Nona vint les rejoindre.

-Les autres s'en vont, mais je voudrais que vous veniez tous les trois dans mon bureau prendre un verre. Vous l'avez mérité.

-Oh, je ne crois pas...-Weiss secoua la tête, hésita. -Je dois prévenir mon cabinet. Puis-je le faire d'ici ?

-Bien sûr.

Chris hésita. Il se sentait soudain terriblement abattu. La secrétaire de Darcy lui avait dit qu'elle devait rentrer directement chez elle. Il se demanda s'il pourrait l'inviter à dîner.

-Est-ce que je peux prendre une ligne pour téléphoner moi aussi ?

-Allez-y.

Le bip se mit à sonner à la ceinture de Vince.

-J'espère que vous avez plusieurs téléphones dans les parages, Nona.

Vince téléphona depuis le bureau de la secrétaire de Nona. Il devait appeler Ernie au siège du gala des auteurs de la 21st Century. Ernie avait une foule de nouvelles de premier ordre.

-J'ai la liste des invités. Devinez qui assistait au gala cette nuit-là ?

-Qui?

-Erin Kelley et Jay Stratton.

-Incroyable.

Il se rappela la description faite par North de l'homme qui lui avait demandé sa carte. Grand. Pas tout à fait quarante ans. S'exprimant bien. Mais Erin Kelley !

L'après-midi où il l'avait accompagnée dans l'appartement d'Erin, Darcy avait choisi la robe rose et argent qui serait le dernier vêtement de son amie. Darcy lui avait dit qu'Erin l'avait achetée en vue d'un gala. Puis, lorsqu'il était venu prendre la boîte de chaussures adressée chez elle, elle lui avait dit que la chaussure du soir dans le paquet était mieux assortie à la robe rose et argent que celles achetées par Erin elle-même. Il sut soudain pourquoi les chaussures allaient si bien avec la robe. Le meurtrier d'Erin assistait au gala et il l'avait vue porter cette robe.

-Venez me retrouver au bureau de Nona Roberts, dit-il à Ernie. Nous regagnerons Federal Plaza ensemble.

Dans le bureau, le docteur Weiss semblait plus détendu.

-Pas de problème. Je craignais qu'un de mes patients veuille me voir ce soir. Madame Roberts, je vais profiter de votre amabilité. Mon plus jeune fils est étudiant en dernière année de communication et sortira diplômé de l'université en juin. Comment peut-il débuter dans ce métier ?

Chris Sheridan avait transporté le téléphone depuis la table de Nona jusqu'à la fenêtre. D'un air absent, il passa un doigt sur la plante poussiéreuse. Darcy n'était pas chez elle. Lorsqu'il avait téléphoné à son bureau, sa secrétaire était restée évasive. Elle attendait de ses nouvelles plus tard. " Une réunion importante de dernière minute. "

Un pressentiment l'assaillit. Quelque chose clochait.

Il le savait.

Darcy n'était pas censée attendre au-delà de 18 heures.

Elle resta jusqu'à 18 h 30, puis décida d'abandonner pour ce soir. Visiblement, la femme qu'elle devait rencontrer avait eu un empêchement. Elle paya son Perrier et s'en alla.

Elle sortit dans la rue. Le vent s'était levé à nouveau, vous transperçant presque le corps. " J'espère que je vais trouver un taxi ", se dit-elle.

-Darcy, je suis si heureux de vous trouver.

Votre secrétaire m'a dit que vous étiez ici. Montez vite.

-Oh, vous êtes mon sauveur ! Quelle chance !

Len Parker se blottit dans le renfoncement d'une porte de l'autre côté de la rue et regarda disparaître les feux arrière de la voiture. Exactement comme la dernière fois où Erin Kelley était sortie et où quelqu'un l'avait interpellée depuis ce break.

Et si c'était la même personne qui avait tué Erin Kelley ? Devait-il téléphoner à cet agent du FBI ? Son nom était D'Ambrosio. Len avait sa carte.

Le prendrait-il pour un fou ?

Erin Kelley l'avait planté sur place et Darcy Scott avait refusé de dîner avec lui.

Mais il s'était montré odieux avec elles.

Il devait peut-être téléphoner.

Il avait dépensé un fric fou à suivre Darcy Scott en taxi depuis ces deux derniers jours.

Et le téléphone ne lui coûterait qu'un quarter.

Chris se détourna de la fenêtre. Une question lui brûlait les lèvres. Vince D'Ambrosio venait de rentrer dans la pièce.

-Savez-vous si Darcy a un de ces maudits rendez-vous ce soir ? demanda-t-il.

Vince vit l'inquiétude sur le visage de Sheridan et feignit d'ignorer le ton agressif. Il savait qu'il n'était pas visé.

-D'après Nona, Darcy avait l'intention de se coucher tôt.

-C'était son intention.

Le sourire s'effaça sur le visage de Nona.

-Lorsque j'ai téléphoné à son bureau, sa secrétaire m'a affirmé qu'elle devait rentrer directement chez elle en quittant l'hôtel qu'elle redécore.

-Eh bien, quelque chose l'a incitée à changer d'avis, rétorqua Chris. Sa secrétaire a l'air très mystérieux.

-Quel est le numéro de son bureau ?

Vince s'empara du téléphone. Lorsque Bev répondit, il se présenta.

-Je suis inquiet au sujet des projets de Mlle Scott.

Si vous savez de quoi il s'agit, je veux être mis au courant.

-J'aurais préféré qu'elle vous rappelle elle-même...

commença Bev, mais elle n'eut pas le temps de poursuivre.

-Écoutez, mademoiselle, je n'ai pas l'intention de me mêler de sa vie privée, mais si ces projets ont un rapport avec une petite annonce, je veux le savoir. Nous sommes près de résoudre cette affaire, mais personne n'est encore en état d'arrestation.

-Bon, promettez-moi de ne pas...

-Où est Darcy Scott ?

Bev le mit au courant. Vince lui communiqua le numéro de Nona.

-Demandez à Mlle Scott de m'appeler immédiatement lorsque vous aurez de ses nouvelles.

Il raccrocha.

-Elle a rendez-vous avec une femme qui affirme avoir vu Erin Kelley quitter Eddie Aurora's dans le Village le soir de sa disparition, et peut décrire l'homme qu'elle a rencontré à l'extérieur du bar. Cette femme ne s'est pas manifestée auparavant parce qu'elle était en compagnie d'un autre type que son mari.

-Vous y croyez ? demanda Nona.

-Ça me paraît louche. Mais si Darcy la rencontre dans ce bar, il ne devrait pas y avoir de problème.

Quelle heure est-il ?

-Dix-huit heures trente, dit le docteur Weiss.

-Darcy devrait donc téléphoner à son bureau d'une minute à l'autre. Elle était censée ne pas attendre au-delà de 18 heures si son interlocutrice ne se présentait pas.

-La même chose n'est-elle pas arrivée à Erin Kelley? demanda Chris. Si je me souviens bien, elle s'est rendue chez Eddie Aurora's, n'y a trouvé personne, est partie, et a disparu.

Vince sentit un frisson lui parcourir la nuque.

-Je vais leur téléphoner.

Lorsqu'il eut le bar en ligne, il les bombarda de questions, écouta, puis raccrocha brutalement.

-Le barman dit qu'une jeune femme répondant au signalement de Darcy est sortie il y a quelques minutes.

Personne ne l'a rejointe.

Chris jura entre ses dents. L'instant où il avait découvert le corps de Nan il y avait quinze ans lui emplit l'esprit avec une clarté atroce.

Une hôtesse de la réception frappa à la porte entrouverte.

-M. Cizek, du FBI, dit que vous l'attendez, dit-elle à Nona.

Nona acquiesça.

-Faites-le entrer.

En même temps qu'il franchissait la porte, Cizek sortait d'une grosse enveloppe de papier kraft l'épaisse liste des invités du gala de la 21st Century. Elle s'était coincée. Il secoua l'enveloppe, l'attache qui retenait les feuillets tomba et ces derniers s'éparpillèrent sur le sol.

Nona et le docteur Weiss aidèrent à les rassembler.

Chris serrait et desserrait les poings. Sa nervosité n'échappa pas à Vince.

-Nous avons deux suspects principaux, lui dit-il, et nous les faisons suivre tous les deux.

Le docteur Weiss examinait les feuillets qu'il avait ramassés. Comme s'il pensait tout haut, il fit remarquer:

-J'aurais cru qu'il était trop occupé avec ses petites annonces pour se rendre à des réceptions.

Vince se tourna promptement vers lui.

-De qui parlez-vous ?

Weiss parut embarrassé.

-Du docteur Michael Nash. Pardonnez-moi, c'est une remarque contraire au code professionnel.

-Il n'y a pas de code professionnel qui tienne à ce point, dit sèchement Vince. La présence du docteur Nash à ce gala peut être un élément très important.

Vous ne semblez pas beaucoup l'aimer. Pourquoi ?

Tous les yeux étaient tournés vers Martin Weiss. Il sembla s'interroger en lui-même, puis prononça lentement:

-Cela ne doit pas sortir des murs de cette pièce.

L'une des anciennes patientes de Nash, et qui est maintenant suivie par moi, l'a rencontré dans un restaurant avec une de ses amies. Revoyant cette jeune femme par la suite, elle l'a taquinée à ce propos.

Vince sentit des fourmillements le parcourir comme chaque fois qu'il voyait un début de solution dans une affaire.

-Poursuivez, docteur.

Weiss sembla mal à l'aise.

-La jeune amie de ma patiente a raconté qu'elle avait rencontré cet homme en répondant à une petite annonce et elle ne s'est pas étonnée qu'il ait menti sur son nom et ses activités. Elle ne se sentait pas à l'aise avec lui.

Vince sentit que le docteur Weiss pesait soigneusement ses mots.

-Docteur, dit-il, vous savez à quoi nous nous attaquons. Vous devez me parler en toute franchise.

Quelle est votre véritable opinion sur le docteur Michael Nash ?

-Je considère contraire à l'éthique de faire des recherches pour un ouvrage professionnel en utilisant de faux prétextes, dit prudemment Weiss.

-Vous évitez de répondre, lui dit Vince. Si vous étiez au banc des témoins, comment le décririez-vous ?

Weiss détourna les yeux.

- Solitaire, dit-il catégoriquement. Refoulé.

Aimable en surface mais fondamentalement asocial.

Souffre probablement de symptômes profondément enracinés qui ont commencé à se manifester dès l'enfance. Toutefois, c'est un dissimulateur-né et il peut tromper beaucoup de professionnels.

Chris sentit le sang battre à ses tempes.

-Darcy a-t-elle rencontré ce type ?

-Oui, murmura Nona.

-Docteur, continua rapidement Vince. Je veux entrer en contact avec cette jeune femme immédiatement et connaître les termes de l'annonce qu'il avait fait passer.

-Ma patiente me l'a apportée pour me la montrer, dit Weiss, je l'ai à mon cabinet.

- Vous souvenez-vous si elle commence par

" Aime la musique, aime danser " ? demanda Vince.

Au moment où Weiss répondait " Oui en effet, c'est cela ", le bip portatif de Vince sonna. Il décrocha le téléphone, composa le numéro et aboya son nom. Nona, Chris, le docteur Weiss et Ernie attendi-rent sans dire mot, voyant les rides se creuser sur le front de Vince D'Ambrosio. L'appareil toujours à la main, il leur expliqua:

-Ce fêlé de Len Parker vient de téléphoner. Il suivait Darcy. Elle est sortie du bar et est montée dans le même break que celui dans lequel est montée Erin le soir de sa disparition.

Il s'arrêta et ajouta laconiquement:

-Un break Mercedes noir, enregistré au nom du docteur Michael Nash, de Bridgewater, New Jersey.

-Vous avez changé de voiture.

-J'utilise celle-ci surtout à la campagne.

-Vous êtes revenu plus tôt de votre séminaire.

-Le conférencier que je devais remplacer s'est senti assez bien pour venir quand même.

-Je comprends. Michael, vous êtes très aimable, mais je crois que je vais rentrer directement à la maison ce soir.

-Qu'avez-vous avalé pour dîner hier soir ?

Darcy sourit.

-Une boîte de soupe.

-Appuyez votre tête sur le dossier et reposez-vous.

Dormez si vous le pouvez. Mme Hughes aura fait une flambée, un bon dîner et ensuite vous pourrez dormir sur le chemin du retour.

Il se pencha et lui caressa doucement les cheveux.

-Ordre de la faculté, Darcy. Vous savez bien que j'aime prendre soin de vous.

-C'est agréable de sentir que quelqu'un s'occupe de vous. Oh !

Elle tendit la main vers le téléphone de la voiture.

-Puis-je appeler ma secrétaire ? Je lui ai promis de la tenir au courant.

Il posa sa main sur la sienne et la serra. " Je crains qu'il ne vous faille attendre d'être arrivée à la maison.

Le téléphone est en panne. A présent, ne pensez plus qu'à vous reposer. "

Darcy savait que Bev resterait encore au bureau pendant quelques heures. Elle ferma les yeux et commença à somnoler. Elle dormait lorsqu'ils traversèrent le Lincoln Tunnel.

-Nous allons inspecter l'appartement de Nash, dit Vince. Mais il ne l'aura pas amenée chez lui ou à son cabinet. Le portier les aurait vus.

-Darcy m'a dit que sa propriété à Bridgewater est un domaine de deux cents hectares. Elle s'y est rendue à deux reprises.

Nona se cramponnait au rebord du bureau pour s'empêcher de trembler.

-Donc s'il lui a proposé de l'y emmener ce soir, elle aura accepté en toute confiance.

Vince se sentit furieux contre lui-même.

Ernie revint dans la pièce.

-J'ai vérifié avec l'équipe de surveillance. Doug Fox est chez lui à Scarsdale. Jay Stratton au Park Lane avec une vieille nana.

-Ça les met hors de cause.

" Tout est parfaitement logique, pensa Vince rageusement. Le soir où il l'a emmenée, Nash avait laissé un message sur le répondeur d'Erin lui demandant de le rappeler chez lui. Je n'ai jamais pensé à vérifier ce détail. Il donne une excuse bidon à la secrétaire de Darcy et se débrouille pour apprendre où se trouve Darcy. Nous savons que Darcy a confiance en lui. Elle n'hésitera pas à monter dans sa voiture. Et si ce cinglé de Parker ne l'avait pas suivie, elle se serait évanouie elle aussi dans la nature. "

- Comment allons-nous retrouver Darcy ?

demanda Chris désespérément.

Une peur atroce le saisit, lui serrant la poitrine.

Au cours de cette semaine, il était tombé follement amoureux de Darcy.

Au téléphone, Vince aboyait ses ordres au quartier général du FBI.

-Prévenez la police de Bridgewater, disait-il.

Qu'ils nous retrouvent sur place.

-Faites attention, Vince, le prévint Ernie. Nous n'avons absolument aucune preuve, et le seul témoin est bon à enfermer.

Chris se tourna brusquement vers lui.

-Faites attention vous-même.

Il sentit la main de Weiss sur son bras.

-Trouvez-moi comment aller à la propriété de Nash, disait Vince. Et préparez-moi un hélicoptère sur la rampe de la treizième rue dans dix minutes.

Cinq minutes plus tard, ils étaient dans une voiture de police, gyrophare et sirène en action, roulant à tombeau ouvert dans la Neuvième Avenue, Vince à l'avant à côté du conducteur, Nona, Chris et Ernie Cizek à l'arrière.

Chris avait catégoriquement décidé de venir. Nona avait regardé Vince, suppliante.

Vince ne leur dit mot de l'information alarmante communiquée par la police de Bridgewater. Plusieurs bâtiments étaient disséminés sur les deux cents hectares de la propriété de Nash, dont certains dans les bois. La recherche pourrait prendre un certain temps.

" Et chaque minute qui passe voit le temps se rétrécir pour Darcy ", pensa-t-il.

-Nous y sommes, mon petit.

Darcy s'étira.

-On dirait que je me suis endormie.-Elle bâilla.

- Pardonnez-moi d'offrir une compagnie aussi peu animée.

-J'étais heureux de vous voir dormir. Le repos est aussi bénéfique à l'esprit qu'à l'organisme.

Darcy regarda par la fenêtre.

-Où sommes-nous ?

-A seulement dix minutes de la maison. J'ai près d'ici une petite retraite où j'aime venir travailler et j'y ai oublié mon manuscrit l'autre jour. Vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que nous nous arrêtions pour le récupérer ? En passant, nous pourrions prendre un verre de sherry.

-Tant que nous ne nous attardons pas trop. Je voudrais vraiment rentrer tôt à la maison, Michael.

-Vous rentrerez tôt. Je vous le promets. Venez.

Désolé qu'il fasse si sombre.

Il avait passé sa main sous son bras.

-Comment avez-vous trouvé cet endroit ? demanda Darcy tandis qu'il ouvrait la porte.

-Un coup de chance. Je sais que la maison ne paye pas de mine de l'extérieur, mais l'intérieur est agréable.

Il ouvrit la porte et alluma l'interrupteur. En dessous, Darcy remarqua un bouton marqué " Alarme ".

Elle parcourut du regard l'espace autour d'elle.

-C'est ravissant ! s'exclama-t-elle, contemplant les sièges confortables autour de la cheminée, la cuisine ouverte sur la pièce, les planchers cirés.

Puis elle remarqua l'écran géant de télévision et le matériel de stéréo sophistiqué.

-Vous êtes superbement équipé. N'est-ce pas un peu inutile dans une retraite d'écrivain ?

-Non.

Il la débarrassa de son manteau. Darcy frissonna malgré la chaleur qui régnait agréablement dans la pièce. Il y avait une bouteille de vin dans un rafraîchis-soir d'argent posé sur la table basse près du canapé.

-Est-ce Mme Hughes qui s'occupe de cet endroit ?

-Non. Elle en ignore l'existence.

Il alla mettre en marche la stéréo. Les premières mesures de " Till There Was You " jaillirent des enceintes acoustiques murales.

-Approchez-vous, Darcy.

Il remplit un verre de sherry et le lui tendit.

-C'est excellent pour se réchauffer, n'est-ce pas ?

Il lui souriait tendrement. Alors qu'est-ce qui la troublait ? Pourquoi avait-elle brusquement l'impression d'un changement chez lui ? Sa voix semblait légèrement brouillée, presque comme s'il avait bu. Ses yeux.

C'était ça. Il y avait quelque chose dans son regard.

Son instinct la poussait à se précipiter vers la porte, mais elle se retint. C'était ridicule. Elle chercha désespérément quelque chose à dire. Ses yeux se posèrent sur la cage de l'escalier. " Combien de pièces avez-vous en haut ? " Sa question résonna étrangement à ses oreilles.

Il parut ne rien remarquer.

-Seulement une petite chambre et une salle de bains. C'est un de ces vieux cottages désuets.

Le sourire était toujours présent, mais Darcy vit son regard changer, les pupilles s'élargir. Où étaient l'ordinateur, l'imprimante, les livres, tout le matériel habituel d'un écrivain ?

Des gouttes de transpiration perlèrent sur son front.

Que lui prenait-il ? Devenait-elle folle de soupçonner...

quoi? Elle était simplement à bout de nerfs. C'était Michael.

Son sherry à la main, il s'installa dans le grand fauteuil en face du canapé et allongea ses jambes. Il ne la quittait pas du regard.

-Laissez-moi jeter un coup d'oeil.

Elle marcha sans but dans la pièce, feignant d'exami-ner un objet, passant la main sur le comptoir qui séparait l'espace de la cuisine du reste de la pièce.

-Quels beaux placards !

-Je les ai fait fabriquer, mais les ai installés moi-même.

-Vraiment !

Sa voix restait aimable, mais on y percevait une pointe d'agacement.

-Je vous ai dit que mon père avait bâti seul sa fortune. Il a tenu à ce que je sache tout faire de mes mains.

-Vous vous êtes montré bon élève.

Elle ne pouvait rester ainsi plus longtemps. Elle se tourna, se dirigea vers le canapé, et marcha sur quelque chose de solide dissimulé sous les franges du tapis dans le coin salon.

Sans y prêtér attention, Darcy s'assit rapidement. Ses genoux tremblaient si fort qu'elle crut qu'ils allaient se dérober sous elle. Que se passait-il ? Pourquoi avait-elle si peur ?

C'était Michael, le gentil, attentionné Michael. Elle ne voulait pas penser à Erin, mais le visage d'Erin apparaissait malgré elle devant ses yeux. Elle but rapidement une gorgée de sherry pour apaiser la sécheresse de sa bouche.

La musique s'arrêta. Michael eut l'air contrarié, se leva et se dirigea vers l'appareil stéréo. Sur l'étagère au-dessus, il prit une pile de cassettes et les examina l'une après l'autre.

-Je ne m'étais pas rendu compte que l'enregistrement approchait de la fin.

On aurait dit qu'il se parlait à lui-même. Darcy serra le pied de son verre. Ses mains tremblaient à présent.

Quelques gouttes de sherry tombèrent sur le plancher.

Elle prit la serviette en papier et se pencha pour les essuyer.

Au moment où elle se redressait, quelque chose sous les franges du tapis attira son attention, quelque chose qui brillait à la lumière de la lampe posée près du canapé. Sans doute ce qu'elle avait heurté du pied tout à l'heure. Un bouton, peut-être. Elle se pencha pour le ramasser. Son pouce et son index se rencontrèrent dans un creux. Ce n'était pas un bouton, c'était un anneau.

Darcy le ramassa et le regarda, frappée de stupeur.

Un E en or inscrit sur un ovale en onyx. LA BAGUE

D'ERIN.

Erin était venue dans cette maison. Erin avait répondu à la petite annonce de Michael Nash.

Une vague d'horreur submergea Darcy. Michael avait menti en affirmant n'avoir rencontré Erin qu'une seule fois pour prendre un verre au Pierre.

La stéréo retentit soudain à tue-tête.

-Excusez-moi, dit Michael.

Il lui tournait toujours le dos.

" Changez de partenaire et venez danser. " Il baissa le volume et se tourna vers elle, fredonnant les premières mesures avec l'orchestre.

" Au secours, pria Darcy. Mon Dieu, venez-moi en aide. Il ne doit pas voir la bague. " Il la regardait fixement. Elle joignit les mains, parvint à glisser l'anneau à son doigt tandis que Michael s'avançait vers elle, les bras tendus.

-Nous n'avons jamais dansé ensemble, Darcy. Je sais que vous êtes une excellente danseuse.

On avait trouvé Erin chaussée d'une chaussure de bal.

Avait-elle dansé avec lui ici, dans cette même pièce?

Etait-elle morte dans cette pièce ?

Darcy se cala en arrière dans le canapé.

-J'ignorais que vous vous intéressiez à la danse, Michael. Lorsque je vous ai parlé des cours que nous suivions ensemble, Nona, Erin et moi, vous n'avez pas paru y porter un intérêt particulier.

Il baissa les bras, prit son verre de sherry. Il choisit de s'asseoir sur la chaise cette fois-ci, à l'extrême bord, les jambes fermement campées sur le plancher, comme pour se retenir de tomber.

Comme s'il pouvait à tout moment se précipiter sur elle.

-J'aime beaucoup danser, dit-il. Je n'ai pas cru souhaitable de vous rappeler le plaisir que vous éprou-viez lors de ces cours de danse avec Erin.

Darcy inclina la tête, comme si elle réfléchissait à sa réponse.

-Vous ne cessez pas de conduire parce qu'un être cher a eu un accident de voiture, n'est-ce pas?

Elle n'attendit pas de réaction à sa remarque, mais chercha plutôt à changer de sujet. Elle examina le pied de son verre.

-Vous avez de très beaux verres, fit-elle remarquer.

-J'ai acheté ce service à Vienne, dit-il. Je vous assure que le sherry y paraît encore meilleur.

Elle sourit avec lui. Il était redevenu le Michael qu'elle connaissait. L'étrange lueur dans ses yeux s'était dissipée. Garde-le dans cet état d'esprit, la prévint son intuition. Parle-lui. Oblige-le à te parler.

-Michael.

Elle donna à sa voix une intonation hésitante, confi-dentielle.

-Puis-je vous demander une chose ?

-Bien sûr.

Il parut intrigué.

-L'autre jour, vous suggériez que j'en ai toujours voulu à mes parents de cette remarque qui m'a tellement blessée lorsque j'étais enfant. Se pourrait-il que je sois aussi égoïste ?

Durant les vingt minutes du trajet en hélicoptère, personne ne prononça un mot. Vince avait rapidement repassé en esprit tous les détails de l'enquête. Michael Nash. " J'étais dans son cabinet, songeant qu'il faisait partie de ces rares psychanalystes qu'on arrive à comprendre. " S'étaient-ils lancés dans une course absurde ?

Pourquoi quelqu'un de fortuné comme Michael Nash ne posséderait-il pas une autre retraite dans le Connecticut ou dans l'État de New York ?

Peut-être, mais avec toutes ses propriétés, l'étrange était qu'il amenait ses victimes ici. Dominant le vrombissement du moteur, les noms des meurtriers qui enterraient leurs victimes dans les greniers ou les caves de leurs propres maisons résonnaient dans la tête de Vince.

L'appareil tourna au-dessus de la route de campagne.

-Ici !

Vince désigna un point sur la droite où deux phares projetaient leurs rayons vers le haut, perçant une voie dans l'obscurité.

-La police de Bridgewater a dit qu'elle se garerait à l'extérieur de la propriété de Nash. Posez-vous par là.

La maison était paisible de l'extérieur. Des lumières brillaient à plusieurs fenêtres au rez-de-chaussée. Vince obligea Nona à rester dehors avec le pilote. Ernie et Chris sur ses talons, il courut le long de l'allée et sonna à la porte.

-Laissez-moi parler.

Une femme répondit à l'interphone.

-Qui est là ?

Vince serra les dents. Si Nash était à l'intérieur, leur présence allait le mettre sur ses gardes.

-L'agent du FBI Vincent D'Ambrosio, madame. Il faut que je parle au docteur Nash.

Un moment plus tard, la porte s'entrouvrit. La chaîne de sécurité resta en place.

-Puis-je voir vos papiers, monsieur ?

Le ton courtois d'un domestique bien élevé, un homme cette fois.

Vince lui passa sa carte.

-Activez-les, lui dit Chris.

La chaîne de sécurité fut ôtée, la porte ouverte. " Le couple de gardiens ", pensa Vince. Ils en avaient le maintien. Il leur demanda leur identité.

-John et Irma Hughes. Nous travaillons pour le docteur Nash.

-Est-il ici ?

-Oui, répondit Mme Hughes. Il n'a pas bougé de toute la soirée. Il termine son livre et ne veut pas être dérangé.

-Darcy, vous avez vraiment un don pour l'introspection, dit Michael. Je vous l'ai dit la semaine dernière.

Vous vous reprochez un peu votre attitude envers vos parents, n'est-ce pas ?

-Je crois, oui.

Les pupilles de Michael reprenaient une taille normale. Le bleu-gris de l'iris formait un cercle plus visible.

L'air suivant sur la bande commença. " Roses rouges pour une dame bleue ". Le pied droit de Michael se mit à battre en cadence avec la musique.

-Est-ce que je dois me sentir coupable ? demanda-t-elle vivement.

-Où se trouve la chambre du docteur Nash?

demanda Vince. Je prends sur moi la responsabilité de le déranger.

-Il ferme toujours la porte à clé lorsqu'il veut être tranquille, et il ne répondra pas. Il interdit à quiconque d'entrer dans sa chambre quand il y est. Nous ne l'avons pas vu depuis que nous sommes revenus de nos courses en ville, tard dans l'après-midi, mais sa voiture est dans l'allée .

Chris en eut assez.

-Il n'est pas en haut. Il est en train de rouler au volant d'un break et de faire Dieu sait quoi.

Il se dirigea vers l'escalier.

-Où se trouve sa chambre ?

Mme Hughes lança un regard désespéré à son mari, puis les conduisit au premier étage. Ses coups répétés contre la porte restèrent sans réponse.

-Avez-vous une clé ? demanda Vince.

-Le docteur m'a interdit de l'utiliser quand il laisse sa porte fermée.

-Allez la chercher.

Comme Vince s'y attendait, la grande chambre était vide.

-Madame Hughes, un témoin a vu Darcy Scott monter dans le break du docteur ce soir. Nous croyons qu'elle est en danger imminent. Le docteur Nash possède-t-il un studio ou un pavillon sur sa propriété ou un autre endroit où il aurait pu l'emmener ?

-Vous devez faire erreur, protesta la femme. Il a amené Mlle Scott ici à deux reprises. Ils s'entendaient très bien.

-Madame Hughes, vous n'avez pas répondu à ma question.

-Sur la propriété, il y a des granges et une étable et des abris divers. Il n'y a aucun autre bâtiment où le docteur pourrait emmener une jeune dame. Il a aussi un appartement et un bureau à New York.

Son mari appuya ses dires d'un hochement de tête.

Vince fut convaincu qu'ils disaient la vérité.

-Monsieur, dit- timidement Mme Hughes, nous sommes au service du docteur Nash depuis quatorze ans. Si Mlle Scott se trouve avec lui, je peux vous assurer que vous n'avez pas à vous inquiéter. Le docteur Nash ne ferait pas de mal à une mouche.

Depuis combien de temps parlaient-ils ? Darcy n'aurait su le dire. La musique jouait en sourdine. " Begin the Beguine ". Combien de fois avait-elle vu sa mère et son père danser sur cet air ?

-C'est mon père et ma mère qui m'ont appris à danser, dit-elle à Nash. De temps en temps, ils mettaient un disque et ils valsaient, ou exécutaient des pas de fox-trot. Ils dansaient merveilleusement.

Son regard était bienveillant; c'étaient les yeux qu'elle avait vus lors de leurs rencontres précédentes.

S'il ne soupçonnait pas qu'elle l'avait percé à jour, peut-

être quitterait-il cette pièce avec elle, l'emmènerait-il dîner chez lui. " Je dois lui donner envie de continuer à bavarder avec moi. Ma mère disait toujours: " Darcy, tu as un vrai talent de comédienne. Pourquoi t'obstines-tu à le nier? " Si elle a raison, c'est le moment de le prouver. "

Toute sa vie, elle avait entendu sa mère et son père discuter de la façon de jouer une scène ou une autre. Il devait lui en rester quelque chose.

" Je ne dois pas lui laisser voir que je meurs de peur, pensa Darcy. Canaliser ma nervosité dans le jeu. "

Comment sa mère jouerait-elle cette scène, une femme prise au piège dans la maison d'un meurtrier? Maman cesserait de penser à l'anneau d'Erin et tenterait exactement de s'en sortir comme le faisait Darcy. Elle jouerait le jeu de la patiente en train de se confier au psychiatre.

Que disait Michael ?

-Avez-vous remarqué, Darcy, que vous vous ani-mez dès que vous vous laissez aller à parler de vos parents? Je crois que vous avez chéri vos années de jeunesse bien plus que vous ne le supposez.

Il y avait toujours des gens agglutinés autour d'eux. Te rappelles-tu la fois où la foule était si nombreuse que tu as perdu la main de ta mère ?

-A quoi pensez-vous, Darcy? Dites-le. Ne le gardez pas pour vous.

-J'étais terrifiée. Je ne parvenais plus à les voir. J'ai su alors que je détestais...

-Que détestiez-vous ?

-La foule. Qu'on m'arrache à eux...

-Ils n'y pouvaient rien.

-S'ils n'avaient pas été aussi célèbres...

-Vous leur avez reproché cette célébrité...

-Non.

Ça marchait. Il avait retrouvé sa voix normale. " Je n'ai pas envie d'évoquer tout ça, pensa-t-elle, mais il le faut. Je dois me confier à lui. C'est ma seule chance.

Maman. Papa. Soutenez-moi. Ils sont si loin. " Elle ne s'aperçut pas qu'elle avait dit tout haut cette dernière phrase.

- Qui ?

- Ma mère et mon père.

- Vous voulez dire en ce moment ?

- Oui. Ils sont en tournée en Australie, avec leur pièce.

-Vous paraissez malheureuse, effrayée même.

Avez-vous peur, Darcy ?

Il ne faut pas qu'il pense ça.

-Non, je suis seulement triste de ne pas les voir pendant six mois.

-Croyez-vous que c'est ce jour-là, où la foule vous a séparée d'eux, que vous vous êtes pour la première fois sentie abandonnée ?

Elle aurait voulu hurler. " C'est en ce moment que je me sens abandonnée. " Mais elle parvint à concentrer ses pensées vers le passé.

-Oui.

-Vous avez hésité. Pourquoi ?

-Il y a eu une autre fois, lorsque j'avais six ans.

J'étais à l'hôpital et on croyait que j'allais mourir...

Elle essaya de ne pas le regarder. Elle craignait trop de voir son regard se transformer en un trou noir et vide à nouveau.

Elle se souvint de la conteuse des Mille et Une Nuits qui racontait ses histoires pour rester en vie.

Un sentiment d'impuissance s'empara de Chris. Il y avait quelques jours, Darcy était venue dans cette maison avec l'homme qui avait tué Nan, Erin Kelley et toutes les autres, et elle allait être sa prochaine victime.

Ils se trouvaient dans la cuisine où Vince disposait maintenant d'une ligne directe avec le Bureau du FBI et d'une deuxième avec la police de l'État. D'autres hélicoptères étaient en route.

Nona se tenait près de Vince, pâle comme un linge.

L'air stupéfait, effrayé, les Hughes se pressaient l'un contre l'autre à la longue table de cuisine. Un policier du commissariat local leur parlait, les questionnait sur les activités de Nash. Ernie Cizek était resté dans l'hélicoptère, qui survolait le domaine à très basse altitude. Chris entendait le vrombissement de l'appareil à travers la fenêtre fermée. Ils cherchaient à repérer le break Mercedes noir de Michael Nash. Des voitures de police se déployaient sur la propriété, vérifiant les bâtiments extérieurs.

L'air sombre, Chris se rappela qu'il avait été bien inspiré d'acheter un break Mercedes, l'an dernier. Le vendeur lui avait dit qu'elle était munie d'un système d'alarme Lojack.

-Il est branché directement sur le circuit électrique avait-il expliqué. Si votre voiture est volée, il suffit de quelques minutes pour la localiser. Vous communiquez votre numéro de code à la police, on l'introduit immédiatement dans un ordinateur, et un émetteur met en marche le signal d'alarme dans votre véhicule. Un grand nombre de voitures de police sont équipées de façon à suivre le signal.

Chris n'avait gardé le break qu'une semaine. On le lui avait volé dans la rue devant la galerie avec un tableau de cent mille dollars à l'arrière. Il était revenu une seconde dans son bureau pour prendre sa serviette, et lorsqu'il était ressorti, la voiture n'était plus là. Il avait téléphoné pour signaler le vol, et quinze minutes avaient suffi pour retrouver voiture et tableau.

Si seulement Nash avait fait monter Darcy dans une voiture volée qui puisse être localisée.

-Oh mon Dieu !

Chris traversa la pièce d'un bond et saisit Mme Hughes par le bras.

-Où Nash garde-t-il ses dossiers personnels ? Ici ou à New York ?

Elle tressaillit.

-Ici. Dans une pièce à côté de la bibliothèque.

-Je veux les voir.

-Ne quittez pas, dit Vince à son interlocuteur au téléphone. Qu'avez-vous trouvé, Chris ?

Chris ne répondit pas.

-Depuis combien de temps le docteur possède-t-il ce break ?

-Environ six mois, répondit John Hughes. Il en change régulièrement.

-Alor, je parie qu'il l'a.

Les dossiers étaient enfermés dans de splendides meubles de rangement en acajou. Mme Hughes savait où était cachée la clé.

Le dossier Mercedes fut facile à trouver. Chris s'en empara. Son cri d'exultation fit accourir les autres. De la chemise il sortit la brochure Lojack. Le numéro de code de la Mercedes noire de Nash y était inscrit.

Le policier de Bridgewater réalisa l'importance de la découverte de Chris.

-Donnez-moi ça, dit-il. Je vais le diffuser. Nos voitures de patrouille sont équipées de ce système.

-Vous étiez à l'hôpital, Darcy...

La voix de Michael était posée. Elle avait la bouche tellement sèche. Elle aurait voulu un verre d'eau, mais n'osa le distraire.

-Oui, j'avais une méningite cérébro-spinale. Je me sentais terriblement mal. Je croyais que j'allais mourir. Mes parents étaient à mon chevet. J'ai entendu le médecin dire qu'il ne pensait pas que je m'en sortirais.

-Comment ont réagi vos parents ?

-Ils s'étreignaient. Mon père a dit: " Barbara, nous sommes ensemble, toi et moi. "

-Et cela vous a blessée, n'est-ce pas ?

-J'ai su qu'ils n'avaient pas besoin de moi, murmura-t-elle.

-Oh, Darcy, ignorez-vous que lorsque vous croyez perdre un être aimé, la réaction instinctive est de chercher quelqu'un ou quelque chose à quoi se raccrocher? Vos parents s'efforçaient de faire front, ou plus exactement, ils se préparaient à faire face.

Croyez-le ou non, c'est une réaction saine. Et depuis lors, vous avez cherché à les repousser, n'est-ce pas ?

Cherchait-elle vraiment à les repousser ? Quand elle se défendait d'accepter les vêtements que sa mère lui achetait, les cadeaux dont ils la couvraient, méprisant leur style de vie, ce qu'ils avaient cherché à accomplir toute leur vie. Son travail, même.

N'était-il pas pour elle un moyen de prouver quelque chose ?

-Non, ce n'est pas ça.

- De quoi parlez-vous ?

- De mon travail. J'aime réellement ce que je fais.

-Aime ce que tu fais.

Michael répéta lentement les mots, en cadence. Un nouvel air débutait sur la cassette. " Garde la dernière danse pour moi ".

Il se leva.

-Et j'aime danser. Maintenant, Darcy. Mais d'abord, j'ai un cadeau pour vous.

Horrifiée, elle le regarda se lever et tendre le bras derrière la chaise. Il se tourna vers elle, une boîte à chaussures dans la main. " Je vous ai acheté de jolis souliers pour danser, Darcy. "

Il s'agenouilla devant elle au pied du canapé et lui retira ses boots. L'instinct de Darcy la retint de protester. Elle enfonça ses ongles dans ses paumes pour retenir un cri. L'anneau d'Erin avait tourné sur son doigt et elle sentit le E en relief s'imprimer contre sa peau.

Michael ouvrait la boîte, écartait le papier de soie.

Il sortit une chaussure et la lui fit admirer. C'était une sandale de satin à talon haut. Les fines lanières qui s'attachaient sur le dessus du pied étaient des cordons presque transparents d'or et d'argent.

Michael prit le pied droit de Darcy dans sa main et le glissa dans la chaussure, noua les lanières avec un double noeud. Il plongea la main dans la boîte, en sortit l'autre sandale, et caressa la cheville de Darcy tandis qu'il guidait son pied à l'intérieur.

Lorsqu'elle fut chaussée, il leva les yeux et sourit.

-Vous sentez-vous l'âme de Cendrillon ? demanda-il Elle fut incapable de répondre.

-Le radar indique que le break est garé à environ quinze kilomètres en direction du nord-ouest, annonça laconiquement le policier de Bridgewater tandis que la voiture de patrouille roulait à toute allure sur la route de campagne. Vince, Chris et Nona se trouvaient avec lui.

-Les signaux s'accentuent, dit-il quelques minutes plus tard. Nous nous rapprochons.

-Tant que nous ne serons pas arrivés, nous ne serons pas vraiment près, explosa Chris. Ne pouvez-vous rouler plus vite ?

Ils prirent un virage. Le conducteur enfonça le frein.

La voiture fit une embardée, puis se redressa.

-Merde !

-Que se passe-t-il ? fit sèchement Vince.

-Il y a des travaux sur la route. On ne peut pas passer. Et la déviation va nous faire perdre du temps.

La musique emplit la pièce tandis que retentissait son rire hystérique. Les pas de Darcy effleuraient à peine le sol, en cadence avec les siens.

-J'ai peu l'habitude de la valse viennoise, cria-t-il, mais c'est ce que j'avais prévu de danser avec vous ce soir.

Tournoyer, glisser, tourner. Les cheveux de Darcy volaient autour de son visage. Elle haletait mais il ne parut pas le remarquer.

La valse prit fin. Il ne desserra pas son bras autour de sa taille. Ses yeux brillaient, deux creux noirs et vides à nouveau.

Il l'entraînait dans un fox-trot gracieux à présent. Elle le suivit sans effort. Il la tenait fermement, l'écrasant presque contre lui. Elle avait la respiration coupée. Est-ce ainsi qu'il avait agi avec les autres? Gagner leur confiance. Les amener dans cette maison déserte. Où étaient leurs corps ? Enterrés quelque part dans les bois ?

Quelle chance avait-elle de lui échapper ? Il la rattra-perait avant qu'elle n'atteigne la porte. En entrant, elle avait remarqué le bouton d'alarme. Était-il relié à un système de sécurité ? Sachant que quelqu'un allait arriver, peut-être ne la tuerait-il pas.

Une urgence grandissante émanait maintenant de lui. Son bras la maintenait, rigide comme une barre d'acier, tandis qu'il glissait, tournait, en rythme avec la musique.

-Voulez-vous savoir mon secret ? chuchota-t-il. Ce n'est pas ma maison. C'est la maison de Charley.

-Charley?

Un pas en arrière. Glisser. Tourner.

-Oui, c'est mon véritable nom. Edward et Janice Nash étaient mon oncle et ma tante. Ils m'ont adopté lorsque j'avais un an et ont changé mon nom de Charley en Michael.

Il la regardait fixement. Darcy ne put supporter l'éclat de ses yeux.

Un pas en arrière. Un pas de côté. Glisser.

-Qu'était-il arrivé à vos parents naturels ?

-Mon père a tué ma mère. Ils l'ont passé à la chaise électrique. Chaque fois que mon oncle se mettait en rage contre moi, il me disait que je deviendrais comme lui. Ma tante était gentille avec moi quand j'étais petit, mais elle a cessé de m'aimer ensuite. Elle disait qu'ils n'auraient jamais dû m'adopter. Que j'étais de la mauvaise graine.

Un nouvel air. Frank Sinatra chantait " Hé, mignonne, mets tes souliers de bal et viens danser ".

Un pas à droite. Un pas à gauche. Glissez.

-Je suis heureuse que vous me racontiez tout ça, Michael. C'est un réconfort de pouvoir parler, n'est-ce pas ?

-Je veux que vous m'appeliez Charley.

-Entendu.

Elle s'efforça de garder un ton ferme. Il ne devait pas voir qu'elle avait peur.

-Voulez-vous savoir ce qui est arrivé à ma mère et à mon père. Je veux dire, aux gens qui m'ont élevé ?

-Je veux bien.

Elle avait mal aux jambes. Elle n'était pas habituée à porter des talons hauts. Les lanières lui sciaient les chevilles, bloquant la circulation.

Un pas de côté. Tourner.

Sinatra continuait. " Viens me parler d'amour au milieu de la foule... "

-J'avais vingt et un ans. Ils ont eu un accident en mer. Leur bateau a explosé.

-Je suis navrée.

-Pas moi. C'est moi qui avais placé la bombe. Je suis exactement comme mon père naturel. Vous semblez fatiguée, Darcy.

-Non. Non. Je vais bien. J'aime beaucoup danser avec vous.

Garde ton calme... Garde ton calme.

-Vous pourrez bientôt vous reposer. Avez-vous été surprise en recevant les chaussures d'Erin ?

-Oui, très surprise.

-Elle était si jolie. Je lui plaisais. Lors de notre rendez-vous, je lui ai parlé de mon livre et elle m'a raconté comment vous répondiez toutes les deux aux petites annonces en vue de l'émission. Ça m'a beaucoup amusé. J'avais déjà décidé que ce serait votre tour, après elle.

Votre tour.

-Pourquoi nous avoir choisies ?

Sinatra chantait toujours.

-Vous avez toutes les deux répondu à l'annonce que j'ai fait passer. Comme toutes les filles que j'ai amenées ici. Mais Erin a répondu à l'une de mes autres annonces aussi, celle que j'ai montrée à l'agent du FBI.

-Vous êtes très intelligent, Charley.

-Aimez-vous les sandales à talons que j'ai achetées pour Erin ? Elles sont assorties à sa robe.

-Je sais.

-J'assistais moi aussi au gala donné pour les auteurs de la 21st Century. J'ai reconnu Erin d'après la photo qu'elle m'avait envoyée et j'ai vérifié son nom sur le plan de table pour m'assurer que je ne me trompais pas.

Elle était placée quatre tables plus loin. Le destin avait voulu que j'aie déjà pris rendez-vous avec elle pour le lendemain même.

Un pas. Un pas. Glisser. Tourner.

-Le véritable Charles North n'a jamais placé de petite annonce, n'est-ce pas ?

-Non. Je l'ai également rencontré à ce gala. Il ne cessait de parler de lui, et je lui ai demandé sa carte de visite. Je n'utilise jamais mon nom pour téléphoner aux personnes qui répondent à mon annonce. Vous m'avez facilité la tâche. C'est vous qui m'avez appelé.

C'est exact, elle l'avait appelé.

-Vous dites que vous avez plu à Erin dès votre première rencontre. Ne craigniez-vous pas qu'elle reconnaisse votre voix quand vous l'avez appelée en vous faisant passer pour Charles North ?

-J'ai téléphoné depuis Penn Station, au milieu de l'habituel brouhaha. Je lui ai dit que j'avais un train à attraper pour Philadelphie. J'ai baissé ma voix, parlé plus vite que d'habitude. Comme cet après-midi en téléphonant à votre secrétaire.

Le timbre de sa voix changea, prit un ton haut perché.

-N'ai-je pas une voix de femme, maintenant ?

-Supposons que je n'aie pu me rendre dans ce bar, ce soir ? Qu'auriez-vous fait ?

-Vous m'aviez dit n'avoir aucun projet pour la soirée. Je savais que vous étiez prête à tout pour retrouver l'homme qu'Erin avait rencontré la nuit de sa disparition. Et j'avais raison.

-Oui, Charley, vous aviez raison.

Il l'embrassa dans le cou.

Un pas. Un pas. Glisser.

-Je suis si heureux que vous ayez toutes les deux répondu à mon annonce préférée. Vous savez laquelle, n'est-ce pas? Elle commence par " Aime la musique, aime danser ".

" Mais qu'est-ce que danser si ce n'est s'aimer sur un air de musique ? " continuait Sinatra.

-C'est l'un de mes airs de prédilection, murmura Michael.

Il la fit pivoter, sans jamais relâcher l'étau de ses doigts sur sa main. Puis il la ramena à lui, prit un ton confidentiel, presque contrit.

-C'est à cause de Nan que j'ai commencé à tuer des filles.

-Nan Sheridan ?

Le visage de Chris Sheridan envahit les pensées de Darcy. La tristesse de son regard lorsqu'il parlait de sa soeur. Son assurance dans la galerie. Le dévouement que lui portait visiblement son personnel. Sa mère. Les liens véritables qui les unissaient. Elle l'entendait dire:

" J'espère que vous n'êtes pas végétarienne, Darcy.

C'est un repas typiquement américain. "

Son inquiétude de la voir répondre aux petites annonces. Comme il avait raison! " J'aurais aimé pouvoir mieux vous connaître, Chris. J'aurais aimé pouvoir dire à mon père et à ma mère que je les aimais. "

-Oui, Nan Sheridan. En sortant de Stanford, j'ai passé une année à Boston avant de commencer mes études de médecine. J'allais souvent faire un tour en voiture à Brown. C'est là que j'ai rencontré Nan. Elle dansait à merveille. Vous dansez bien, mais elle était extraordinaire .

Les premières mesures du célèbre " Good Night Sweetheart ". " Bonne nuit, mon ange, bonne nuit. "

" Non, pensa Darcy. Oh ! non. "

Un pas en arrière. Un pas de côté. Glisser.

-Michael, je voulais vous demander autre chose à propos de ma mère, commença-t-elle.

Il lui appuya la tête sur son épaule.

-Je vous ai dit de m'appeler Charley. Ne parlez plus, ordonna-t-il. Dansons.

" Le temps guérira ta peine... " Les mots flottèrent à travers la pièce. Darcy ne reconnut pas la voix du chanteur.

" Bonne nuit, mon ange, bonne nuit. " Les notes finales se dissipèrent.

Michael laissa tomber ses bras et sourit à Darcy.

-Il est temps, dit-il d'une voix amicale, fixant sur elle un regard vide qui la glaça jusqu'aux os. Je vais compter jusqu'à dix pour vous permettre de vous enfuir.

C'est de bonne guerre, n'est-ce pas ?

Ils avaient regagné la route.

-Le signal provient de la gauche. Arrêtez, nous allons trop loin, dit le policier de Bridgewater. Il y a sûrement un carrefour quelque part.

Ils firent demi-tour dans un crissement de pneus.

L'impression d'un désastre imminent s'était emparée de Chris. Il ouvrit la fenêtre de la voiture.

-Là, pour l'amour du ciel, il y a une allée sur la droite.

La voiture de police pila net, recula, vira sur la droite s'engagea à toute allure sur le chemin troué d'ornières.

Darcy s'échappa et glissa sur le plancher ciré. Les sandales à talons l'empêchaient de courir vers la porte. Elle s'arrêta, perdant un instant précieux à essayer de les ôter. En vain. Les doubles noeuds des lanières étaient trop serrés.

-Un, commença à compter Charley derrière elle.

Elle atteignit la porte, tira sur le verrou. Il ne vint pas.

Elle tourna la poignée. Elle ne tourna pas.

-Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Je compte, Darcy.

L'alarme. Elle pressa frénétiquement son doigt sur le bouton.

Hahahaha... Un rire caverneux, moqueur, se réper-cuta dans la pièce. Hahahaha... le son provenait de l'alarme.

Avec un cri, Darcy recula d'un bond. Charley riait lui aussi, à présent.

-Sept. Huit. Neuf...

Elle se tourna, vit l'escalier, courut dans sa direction.

-Dix !

Charley s'élançait vers elle, les mains tendues, les pouces écartés, raidis.

-Non ! Non !

Darcy voulut atteindre l'escalier, glissa, se tordit la cheville. Une douleur fulgurante, lancinante. Avec un gémissement, elle parvint en clopinant à la première marche et se sentit attirée en arrière.

Elle poussa inconsciemment un hurlement.

-Voilà la Mercedes, s'écria Vince.

La voiture de police s'arrêta net derrière elle.

Il sortit d'un bond de la voiture, Chris et le policier sur ses talons.

-Restez en arrière, cria Vince à Nona.

-Écoutez.-Chris leva la main.-Quelqu'un crie.

C'est Darcy.

Lui et Vince se jetèrent contre l'épaisse porte de chêne. Elle ne bougea pas.

Le policier sortit son revolver et lâcha six balles dans la serrure.

Lorsque Chris et Vince s'attaquèrent à nouveau à la porte, elle ne résista pas.

Darcy essayait de le frapper avec ses talons aiguille. Il la fit pivoter vers lui, apparemment insensible aux coups lancés contre ses jambes. Elle se débattit, s'agrippant aux mains qui lui enserraient le cou. " Erin, Erin, est-ce ainsi que cela s'est passé pour toi? " Aucun son ne sortait plus de sa gorge. Elle ouvrit la bouche, cherchant fébrilement l'air. Était-ce elle qui gémissait ? Elle voulut lutter encore, mais ne put lever les bras.

Des coups saccadés retentissaient vaguement. Venait-on la sauver? " C'est... trop... tard... " pensa-t-elle tandis qu'elle sombrait dans les ténèbres.

Chris fut le premier à surgir sur le seuil de la porte.

Darcy se balançait comme une poupée de chiffon, les bras pendant à ses côtés, les jambes tordues sous elle.

De longs doigts puissants lui serraient la gorge. Elle avait cessé de crier.

Avec un hurlement de rage, Chris vola à travers la pièce et se rua sur Nash, qui trébucha, tomba, entraînant Darcy dans sa chute. Ses mains s'agitèrent convulsivement, puis se resserrèrent autour de sa gorge.

Vince se jeta à son tour sur Nash, lui passa le bras autour du cou, lui rejetant la tête en arrière. Le policier le saisit par les pieds.

Les mains de Nash paraissaient avoir une vie à part.

Chris ne parvenait pas à détacher ses doigts de la gorge de Darcy. Nash semblait posséder une force surnaturelle il avait l'air insensible à la douleur. Pris de désespoir, Chris planta ses dents dans la main droite de l'homme qui était en train d'étouffer Darcy.

Avec un hurlement de douleur, Nash retira sa main droite et relâcha la gauche.

Vince et le policier lui tordirent les bras derrière le dos et refermèrent avec un claquement les menottes autour de ses poignets tandis que Chris attirait Darcy à lui.

Nona avait regardé la scène depuis l'entrée. Elle s'élança dans la pièce et tomba à genoux auprès de Darcy. Les yeux de la jeune fille étaient fixes. De vilaines meurtrissures marquaient de rouge son cou mince.

Chris posa sa bouche sur la sienne, lui pinça les narines, souffla de l'air dans ses poumons.

Voyant que ses yeux restaient grands ouverts et immobiles, Vince commença à lui faire un massage cardiaque.

Le policier de Bridgewater surveillait Michael Nash, attaché par les menottes à la rampe de l'escalier. Nash se mit à réciter d'une voix chantante:

-Eeeney-meeney-miney-mo, Attrape le premier par le bout du doigt.

" Elle ne réagit pas ", s'affola Nona. Elle saisit à deux mains les chevilles de Darcy et s'aperçut soudain qu'elle portait des chaussures de bal. " Je ne peux pas le supporter, pensa-t-elle. Je ne peux pas. " Presque machinalement, elle s'escrima sur les noeuds des lanières.

- Un petit cochon s'en est allé au marché. L'autre est resté à la maison. Chante encore, maman. Un petit cochon pour chaque petit doigt.

" Il est peut-être trop tard, pensa Vince avec rage, cherchant désespérément à percevoir une réaction de Darcy, mais si c'est le cas, espèce d'ordure, ne crois pas que débiter une de tes berceuses va t'aider à prouver ta folie. "

Chris releva la tête pour reprendre son souffle et contempla pendant une seconde le visage de Darcy.

C'était le même regard que celui de Nan le matin où il l'avait découverte. Les mêmes marques sur la gorge.

Les traces bleues sur la peau blanche. Non ! Je ne veux pas que ça se reproduise. Darcy, respirez !

En larmes, Nona était enfin parvenue à dénouer l'une des lanières. Elle commença à retirer la sandale du pied de Darcy.

Elle sentit quelque chose. Se trompait-elle ? Non.

-Son pied remue ! s'écria-t-elle. Elle essaie de le glisser hors de la chaussure.

Dans le même instant, Vince vit une veine battre sur le cou de Darcy et Chris entendit un long gémissement rauque s'échapper de ses lèvres.

Jeudi 14 mars

LE lendemain matin, Vince téléphona à Susan.

-Madame Fox, votre mari est peut-être un coureur de jupons, mais ce n'est pas un meurtrier. Nous avons arrêté le coupable que nous recherchions et nous avons la preuve formelle qu'il est l'assassin aux chaussures de bal, et que sa première victime fut bien Nan Sheridan.

-Je vous remercie. Je pense que vous comprenez l'importance de cette information pour moi.

-Qui était-ce ?

Doug était resté à la maison. Il se sentait mal fichu.

Pas malade, seulement mal fichu.

Susan le lui dit.

Il la dévisagea d'un air incrédule.

-Tu veux dire que tu m'as soupçonné de meurtre et que tu l'as raconté au FBI ! Tu as réellement pensé que j'avais tué Nan Sheridan et toutes ces autres femmes !

La stupéfaction et la colère assombrirent son visage.

Susan le regarda à son tour.

-Je me suis dit que c'était possible, et qu'en mentant pour toi il y avait quinze ans, j'étais peut-être responsable de ces autres morts.

-Je te jure que je n'avais pas vu Nan, de près ou de loin, le matin où elle est morte.

-Manifestement, tu ne l'avais pas vue. Alors, où étais-tu, Doug ? Dis-moi au moins la vérité aujourd'hui.

La colère se dissipa sur son visage. Il regarda au loin, puis tourna à nouveau la tête vers Susan avec un sourire enjôleur.

-Susan, je te l'ai dit ce jour-là. Je te le répète aujourd'hui. La voiture était tombée en panne.

-Je veux la vérité. Tu me la dois.

Doug hésita, puis articula lentement.

-J'étais avec Penny Knowles. Susan, je suis désolé. Je ne voulais pas que tu l'apprennes parce que j'avais peur de te perdre.

-Tu veux dire que Penny Knowles était sur le point de se fiancer avec Bob Carver et qu'elle ne voulait pas prendre le risque de perdre la fortune des Carver. Elle aurait laissé la police t'accuser de meurtre plutôt que de témoigner en ta faveur.

-Susan, je sais que j'étais coureur à cette époque. . .

-A cette époque ?-Susan éclata d'un rire amer.

-Tu étais coureur à cette époque ? Écoute-moi, Doug.

Pendant toutes ces années, mon père n'a jamais avalé le fait que je me sois parjurée pour toi. Fais tes valises.

Va habiter dans ton appartement de célibataire. J'ai demandé le divorce.

Il la supplia toute la journée de lui donner une autre chance.

-Susan, je te promets.

-Va-t'en.

Il ne partirait pas avant que Donny et Beth ne rentrent de l'école.

-Je viendrai vous voir, les enfants. Souvent. C'est promis.

Lorsqu'il s'éloigna dans l'allée, Trish courut après lui et se cramponna à ses genoux. Il la porta jusqu'à la maison et la tendit à Susan.

-Susan, je t'en supplie.

-Au revoir, Doug.

Ils le regardèrent s'éloigner au volant de sa voiture.

Donny pleurait.

-Maman, le week-end dernier. Je veux dire, s'il était tout le temps...

Susan s'efforça de ravaler ses larmes.

-Il ne faut jamais dire jamais, Donny. Ton père a beaucoup de progrès à faire. Voyons s'il peut arriver à un peu plus de maturité.

Avez-vous l'intention de regarder votre émission ?

demanda Vince à Nona quand il lui téléphona le jeudi après-midi.

-Sûrement pas. Nous avons préparé une conclusion spéciale. Je l'ai écrite. Je l'ai vécue.

-Qu'aimeriez-vous manger ce soir ?

-Un steak.

-Moi aussi. Avez-vous des projets pour le week-end?

-On annonce du beau temps. Je pensais me rendre dans les Hampton. Après ces dernières semaines, j'ai envie de revoir la mer.

-Vous y avez une maison.

-Oui. Je crois que j'ai changé d'avis et que je vais l'acheter à Matt. J'adore cet endroit et Matt commence à sortir de mes pensées. Voulez-vous vous joindre à la balade ?

-Avec joie.

Chris apporta une jolie canne ancienne à Darcy pour l'aider à marcher en attendant que guérisse son entorse à la cheville.

-Elle est superbe, lui dit-elle.

Il l'entoura de ses bras.

-Vous avez tout ce qu'il vous faut? Où sont vos affaires ?

-J'ai juste un sac.

Greta avait téléphoné, insistant pour que Chris amène Darcy à Darien pour un long week-end.

Le téléphone sonna.

-Je ne vais pas répondre, décida Darcy. Non, attendez. J'ai essayé d'appeler mes parents en Australie. La standardiste a peut-être réussi à les joindre.

Son père et sa mère étaient tous les deux en ligne.

-Je vais tout à fait bien. Je voulais juste dire...-

Elle hésita.-... que vous me manquez beaucoup, tous les deux. Je... Je vous aime...

Darcy rit.

-Pourquoi dites-vous que j'ai sûrement rencontré quelqu'un ?

Elle fit un clin d'oeil à Chris.

-A vrai dire, j'ai rencontré un charmant jeune homme. Il s'appelle Chris Sheridan. Il vous plaira. Il travaille dans la même branche que moi, un cran au-dessus. Il est propriétaire d'une galerie d'antiquités. Il est beau, gentil, et a une façon formidable d'apparaître dès que vous avez besoin de lui... Comment je l'ai connu ?

" Seule Erin, pensa-t-elle, aurait apprécié l'ironie de ma réponse. "

-Croyez-le ou non, je l'ai connu par petite annonce.

Elle leva la tête vers Chris et leurs yeux se rencontrèrent. Il sourit. " J'ai tort, pensa-t-elle. Chris comprend lui aussi. "

Merci à tous ceux dont la ténacité et les encouragements m'ont soutenue tout au long de ce livre. Mon éditeur, Michael V. Korda; son associé, Chuck Adams; mon agent, Eugene H. Winick; Robert Ressler, directeur adjoint de Forensic Behavioral Services. Que soit bénie ma fille, Carol Higgins Clark, pour ses recherches, observations et suggestions et ses longues veilles de travail à mes côtés dans notre course contre le temps. Et bien sûr, mille mercis à tous ceux de ma famille et de mes amis qui ont supporté mes habituels doutes et m'ont aidée à mener à bien cette histoire; leur sainte patience leur vaudra un jour le paradis.

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