CHAPITRE XI

EXTRAITS DU JOURNAL DE JEAN HORNET

17 octobre 1998.

 

Je suis aux « Frondaisons » depuis hier matin. Il fait beau. Le soleil, ce soleil que j’aime tant, brille dans un ciel presque bleu et met la gloire de sa lumière sur les arbres du parc et de la forêt qui ont pris les fastueuses couleurs de l’automne.

Je n’avais pas écrit une ligne dans ce journal depuis plus de deux mois. Je le rouvre pour y noter que j’ai retrouvé la joie de vivre et le bonheur.

Les négociations menées avec les Terrestres, et qui ont commencé le 20 août, ont duré exactement cinquante-quatre jours. Nos partenaires – et je le comprenais fort bien – se méfiaient. Mais nous leur avons donné tant de preuves de notre sincérité, de notre bonne volonté, de notre amitié – et les jeunes Algors, en particulier, se sont montrés si actifs, si persuasifs – qu’un accord finalement est intervenu, qui nous donne pleine satisfaction, et qui sera profitable à tous les habitants de la Terre.

Le burliss a disparu. Il ne reste que les installations que nous avions édifiées sous son dôme, et où des savants du monde entier, guidés par nos propres équipes de scientifiques, s’emploient maintenant à s’initier à nos techniques.

Je veux oublier les journées tragiques que nous avons vécues et les longues discussions qui ont ensuite suivi. Je ne veux plus être moi-même qu’un Terrestre. Je ne veux plus me souvenir que de l’instant infiniment doux et précieux où j’ai retrouvé Nathalie.

Notre fils, qui voulait me réserver cette surprise, l’avait emmenée secrètement au burliss, ainsi que Sylvie, le jour même où intervint l’accord. Tout aussi secrètement, il conduisit ces deux femmes admirables jusqu’à notre clinique, où, avec la complicité de deux de ses amis, elles furent soumises au traitement de rajeunissement, qui ne dure que le temps d’un sommeil nocturne normal. Après quoi, il les ramena aux « Frondaisons ». Il y ramena aussi la femme de Louis Parin, guérie.

Hier matin, Lucien Bastogne et moi, qui étions restés en Champagne quelques jours encore pour achever de mettre au point certains détails de notre collaboration avec les savants, et pour faire disparaître l’« arbre vénusien », nous sommes enfin arrivés ici. Juste et Justine y étaient déjà depuis l’avant-veille.

Mon cœur battait très fort dans ma poitrine.

Quand Nathalie, entendant notre voiture, apparut sur le perron, j’eus comme un éblouissement de bonheur. Elle était exactement telle que la première fois où je l’avais vue, à la piscine du Rond-Point de la Défense. Aussi jeune. Aussi belle.

Elle se jeta dans mes bras en me disant :

— Je savais bien qu’un jour tu reviendrais.

Dans le même instant, Sylvie étreignait Lucien et prononçait les mêmes mots.

Tenter d’en dire plus serait mal dire ce que nous éprouvions tous les quatre. Il ne fut même pas question de la couleur de notre peau et de notre chevelure.

Juste et Justine nous regardaient. Ils se jetèrent eux aussi dans les bras l’un de l’autre.

Depuis longtemps, je sais qu’ils s’aiment. J’aurais pu moi-même, tandis que nous étions encore dans le burliss, les unir selon la loi des Algors. Mais ils préfèrent – et je le préfère moi aussi – que leur union soit célébrée dans cette civilisation terrestre qui est aussi la leur, plutôt que dans celle où j’ai moi-même grandi, et qui était déjà dans une position presque désespérée quand je suis né. Je n’ai guère vécu que dans les burliss. C’est pourquoi j’aime tant ce soleil bien vivant qui brille ici.

Juste, qui n’a guère plus de quinze ans, mais qui est pleinement adulte, a déjà obtenu une dérogation qui lui permettra de se marier dans deux mois.

Je suis fier de mon fils.

Il a fait hier soir, à Paris, devant trois mille personnes, une conférence qui a été diffusée par la télévision, et au cours de laquelle il a exposé les malheurs des Algors, leur drame dans le burliss, leur joie d’être enfin accueillis parmi les Terrestres. Il a su émouvoir, séduire, et même enthousiasmer son auditoire. Des savants de divers pays sont venus dire ensuite que l’apport scientifique et technique des « hommes verts » était « prodigieux », et que les races terrestres en éprouveraient rapidement les bienfaits.

Toute défiance à notre égard a disparu.

Dans quelques jours, un de nos deux astronefs partira pour Dora, emmenant une délégation internationale comprenant notamment des cosmonautes. Notre Grand Conseil, après le drame du 16 août, a compris que j’avais raison. Ceux des nôtres qui sont là-bas viendront progressivement se fixer sur la Terre, sur cette belle planète qui compte tant de cultures diverses et magnifiques qui se sont mutuellement enrichies, et où la nôtre ne sera qu’un élément de plus.

Dans quelques jours, Nathalie va commencer le traitement qui fera d’elle une télépathe. Elle saura alors d’une façon directe et absolue combien je l’aime. Mais elle sait déjà qu’après les sombres heures que nous avons vécues, c’est l’amour qui, finalement, l’a emporté sur l’incompréhension et la violence. Je frémis en pensant à ce qui serait arrivé si l’inverse s’était produit – ce qui, hélas ! fut souvent le cas dans l’histoire des hommes et des Algors.

 

 

FIN