PROLOGUE
Londres, 1814
La salle de bal flamboyait de couleurs saisissantes. À la lueur vacillante des bougies, les jeunes filles drapées de soie et de satin tournoyaient aux bras de fringants gentilshommes, l'éclat étincelant de leurs bijoux créant un arc-en-ciel de feux d'artifice chatoyants qui se reflétait dans les glaces encastrées dans les murs.
Cet élégant tableau était presque époustouflant, et pourtant ce n'était pas ce spectacle changeant qui attirait et retenait l'attention des nombreux invités.
Cet honneur revenait entièrement à don Cezar.
Avec la morgue amusée dont seule l'aristocratie était capable, il fendait la foule, n'ayant qu'à lever sa main fine pour qu'elle s'écarte telle la mer Rouge et lui ouvre un chemin, ou à jeter un regard de ses ardents yeux noirs pour faire vibrer les dames - ainsi que quelques messieurs -
d'un fol émoi.
À sa grande contrariété, Mlle Anna Randal ne vibra pas moins qu'eux lorsqu'elle aperçut son profil légèrement doré et ciselé avec une finesse exquise. Stupide, vraiment, puisque des gentilshommes comme le comte ne s'abaisseraient jamais à poser les yeux sur une jeune fille pauvre et insignifiante qui passait ses soirées dans un coin sombre ou un autre.
De tels gentilshommes, cependant, ne manquaient pas de remarquer les belles et séduisantes demoiselles qui encourageaient hardiment les dépravés les plus invétérés.
Ce qui constituait l'unique raison pour laquelle Anna se força à rester dans le sillage de cette silhouette mince et élégante qui quittait la salle de bal pour s'engager dans l'escalier qui s'élevait majestueusement. Sa condition de parente désargentée la contraignait à accepter toutes les tâches désagréables, et, ce soir-là, il lui incombait de surveiller de près sa cousine Morgane, que les gentilshommes comme le dangereux don Cezar fascinaient manifestement.
Une fascination qui pourrait bien se terminer en un scandale éclaboussant toute leur famille.
Alors qu'elle se hâtait pour ne pas perdre de vue la svelte silhouette masculine, Anna remonta avec impatience la mousseline bon marché de sa robe. Comme elle s'y était attendue, le comte, arrivé en haut des marches, emprunta le couloir qui menait aux appartements privés. Un tel coureur n'assisterait jamais à un événement aussi fastidieux qu'un bal sans s'être auparavant arrangé un vil rendez-vous.
Elle n'avait qu'à s'assurer que Morgane n'en faisait pas les frais avant de retourner dans son coin sombre regarder les autres jeunes filles s'amuser.
Grimaçant à cette pensée, Anna s'arrêta quand l'homme qu'elle suivait se glissa par l'entrebâillement d'une porte et disparut.
Damnation. Et maintenant ? Même si elle n'avait pas aperçu Morgane, rien ne garantissait que celle-ci ne se soit pas déjà cachée dans la pièce pour attendre le comte. Maudissant sa cousine frivole et égocentrique qui ne songeait qu'à son propre plaisir, Anna s'avança et poussa la lourde porte avec circonspection. Elle jetterait juste un rapide coup d'œil et puis...
Un hurlement s'échappa de sa gorge lorsque des doigts fins et froids lui empoignèrent brutalement le poignet, et la tirèrent brusquement dans l'obscurité de la chambre en claquant la porte derrière elle.
CHAPITRE PREMIER
La salle de réception de l'hôtel situé sur Michigan Avenue flamboyait de couleurs. À la lumière des lustres, les personnages influents de Chicago se pavanaient comme des paons et jetaient de temps à autre un regard vers l'imposante fontaine trônant au centre de la pièce. Pour un cachet indécent censé être reversé à quelque organisation caritative, une poignée de stars hollywoodiennes de seconde zone posaient avec les invités devant les photographes.
La ressemblance avec une autre soirée n'échappa pas à Anna, qui s'était de nouveau réfugiée dans un coin sombre et observait don Cezar se déplacer avec morgue.
Bien sûr, cette autre réception avait eu lieu près de deux cents ans auparavant. Et alors que, physiquement, elle n'avait pas vieilli d'un jour -
ce qui, elle ne pouvait le nier, lui faisait économiser un bras en chirurgie esthétique et en abonnement à la salle de sport -, elle n'était plus cette jeune fille timide et effacée qui devait quémander pour obtenir quelques miettes de la table de sa tante. Cette fille était morte la nuit où don Cezar lui avait pris la main et l'avait tirée dans une chambre à coucher plongée dans l'obscurité.
Et bon débarras.
Sa vie était peut-être devenue étrange en bien des façons, mais Anna s'était aussi aperçue qu'elle pouvait se débrouiller toute seule. Elle s'en sortait même drôlement bien. Elle ne serait plus jamais cette fille timorée qui portait des robes de mousseline miteuses ; sans parler de ces corsets infernaux.
Elle n'avait pas pour autant oublié cette nuit fatidique.
Ni don Cezar.
Il lui devait des explications. Des explications d'une ampleur épique.
Voilà l'unique raison pour laquelle elle avait quitté son domicile actuel à Los Angeles et s'était rendue à Chicago.
Tout en trempant distraitement ses lèvres dans la coupe de champagne qu'un des serveurs torse nu lui avait fourrée dans la main, Anna observait l'homme qui avait hanté ses rêves.
Lorsqu'elle avait lu dans le journal que le comte ferait le voyage depuis l'Espagne pour assister à cette soirée caritative, elle n'avait pas négligé la possibilité que ce soit un parent de celui qu'elle avait connu à Londres. L'aristocratie avait la manie d'affubler ses rejetons de ses propres noms. Comme si devoir partager le même ADN ne suffisait pas.
Un seul regard lui confirma qu'il ne s'agissait pas d'un parent.
Mère Nature était trop capricieuse pour produire une réplique aussi exacte de ces traits fins et dorés, de ces sombres yeux de braise, de ce corps à mourir...
Et ces cheveux.
D'un noir d'ébène, ils retombaient en une rivière soyeuse sur ses épaules. Ce soir-là, une barrette en or retenait le haut de sa chevelure, le reste de ses boucles venant effleurer l'étoffe coûteuse de son smoking.
Si une seule des femmes présentes ne s'imaginait pas passant les doigts dans cette crinière brillante, Anna était prête à en manger son sac en perles argentées. Don Cezar n'avait qu'à mettre le pied dans une pièce pour que le taux d'œstrogènes explose.
Une caractéristique qui lui valait plus que quelques regards assassins de la part des beaux gosses hollywoodiens près de la fontaine.
Anna marmonna un juron tout bas. Elle se laissait distraire.
D'accord, cet homme ressemblait à un conquistador victorieux. Et ses yeux sombres brûlaient d'une chaleur suffocante qui ferait fondre de l'acier à cent pas à la ronde. Mais elle avait déjà été aveuglée par cette beauté lascive et ténébreuse et en avait payé le prix.
Cela ne se reproduirait pas.
Activement occupée à se convaincre que les picotements au creux de son ventre n'étaient dus à rien d'autre qu'aux bulles d'un champagne millésimé, Anna se raidit lorsque le parfum de pomme familier emplit l'air.
Avant même de s'être retournée, elle sut de qui il s'agissait. La seule question était... pourquoi ?
— Tiens, tiens. Si ce n'est pas Anna la bonne Samaritaine, s'exclama Sybil Taylor d'une voix traînante, son doux sourire teinté de malice. Et à l'une de ces soirées caritatives qui, selon vos dires, ne sont qu'une occasion pour le gratin de se pavaner devant les paparazzis. Je me doutais que votre attitude de petite sainte n'était que du vent.
Anna ne s'étrangla pas, mais elle n'en était pas loin.
En dépit du fait que toutes deux vivaient à Los Angeles et étaient avocates, elles n'auraient pu être plus dissemblables.
Sybil était une grande brune bien roulée à la peau pâle et aux immenses yeux marron. Anna, quant à elle, atteignait à peine la barre du mètre cinquante et ses cheveux étaient bruns et ses yeux noisette. Sybil était une avocate d'entreprise dotée de la moralité d'un... eh bien, en fait, elle ne possédait pas la moralité de quoi que ce soit. Elle n'en avait pas.
Anna travaillait dans un service de consultations juridiques gratuites qui se battait quotidiennement contre la cupidité des sociétés.
— De toute évidence, j'aurais dû examiner la liste des invités un peu plus attentivement, répliqua Anna, prise au dépourvu, sans toutefois être vraiment surprise, par la vue de cette femme.
Sybil Taylor avait le don de se frotter aux gens riches et célèbres, où qu'ils se trouvent.
— Oh, je dirais que vous avez examiné la liste des invités aussi scrupuleusement que n'importe quelle autre femme présente.
Sybil coula délibérément un regard vers l'extrémité opposée de la pièce, où don Cezar jouait avec la lourde chevalière qui ornait son auriculaire.
— Qui est-ce?
L'espace d'un instant Anna lutta contre l'envie irrésistible de gifler ce visage pâle et parfait. Presque comme si l'intérêt que cette femme portait au comte la blessait.
Stupide, Anna.
Stupide et dangereux.
— Don Cezar, marmonna-t-elle.
Sybil humecta des lèvres trop pulpeuses pour être naturelles. Bien sûr, pas grand-chose chez Sybil Taylor n'était naturel.
— Européen fortuné ou véritable aristo ? s'enquit-elle.
Anna haussa les épaules.
— À ma connaissance, son titre est on ne peut plus authentique.
— Il est... à croquer.
Sybil fit descendre ses mains le long de la petite robe noire qui s'efforçait vaillamment de couvrir ses rondeurs généreuses.
— Marié ?
— Je n'en ai pas la moindre idée.
— Hmmmm. Smoking Gucci, montre Rolex, chaussures italiennes.
(Elle tapota d'un ongle manucuré ses dents trop parfaites.) Gay?
Anna dut rappeler à son cœur de battre.
— Indiscutablement non.
— Ah... Je soupçonne un passé entre vous deux. Racontez-moi.
Malgré elle, Anna jeta un regard à la grande enquiquineuse vêtue de noir qui se tenait à ses côtés.
— Vous ne pourriez pas commencer à imaginer le passé que nous avons en commun, Sybil.
— Peut-être pas, mais je m'imagine cet étalon délicieusement ténébreux menotté à mon lit pendant que j'en fais ce que je veux.
— Des menottes? (Anna réprima un rire nerveux, et serra instinctivement son sac plus fort.) Je me suis toujours demandé comment vous réussissiez à garder un homme dans votre lit.
Sybil plissa les yeux.
— L'homme qui ne désire pas désespérément goûter à ce corps n'est pas né.
— Qui désire désespérément goûter à un corps siliconé injecté de Botox et déjà usé jusqu'à la corde ? Une poupée gonflable contient moins de plastique que vous.
— Pourquoi vous... (Elle cracha. Carrément.) Écartez-vous de mon chemin, Anna Randal, ou vous ne serez plus qu'une tache huileuse sous les talons de mes Prada.
Anna savait que, si elle avait eu un meilleur fond, elle aurait averti Sybil que don Cezar n'était pas qu'un aristocrate fortuné et séduisant.
Qu'il était puissant et dangereux... et autre chose... quelque chose de même pas humain...
Heureusement, même après deux siècles, elle était encore capable de se montrer aussi mesquine que n'importe quelle femme. Un sourire se dessina sur ses lèvres pendant qu'elle regardait Sybil traverser la pièce en se déhanchant.
Cezar avait senti qu'elle était là bien avant d'entrer dans la salle de réception. Il avait su quand son avion avait atterri. L'intensité avec laquelle il ressentait sa présence faisait frémir tout son corps.
Un phénomène sacrément agaçant s'il n'avait pas été terriblement agréable.
Les sensations que Mlle Anna Randal éveillait en lui étaient si vives qu'un grondement guttural lui échappa quand il inclina la tête pour foudroyer du regard la grande brune qui venait à sa rencontre. Sans surprise, elle tourna les talons et partit dans la direction opposée.
Ce soir-là, la femme qui se tenait dans un coin accaparait toute son attention. La façon dont la lumière jouait sur le satin de sa chevelure couleur de miel, ses yeux noisette mouchetés d'or, la robe argentée qui dévoilait bien trop son corps svelte.
En plus, il n'aimait pas les faes.
En percevant un léger mouvement dans son dos, Cezar se retourna pour voir un grand vampire aux cheveux de jais surgir des ténèbres. Un joli tour, vu qu'il s'agissait d'un guerrier aztèque d'un mètre quatre-vingt-quinze drapé d'une cape et chaussé de bottes en cuir. Etre l'Anasso – le chef de tous les vampires – comportait vraiment des avantages.
— Styx.
Cezar inclina la tête, guère étonné de constater que ce démon l'avait suivi jusqu'à l'hôtel.
Depuis que le comte était arrivé à Chicago avec le Conseil, Styx le couvait comme une mère poule. De toute évidence, ce vénérable dirigeant n'appréciait pas qu'un des siens se retrouve à la merci des oracles. C'était d'autant moins à son goût que Cezar avait refusé de lui avouer les crimes qui lui avaient valu près de deux siècles de pénitence entre leurs mains.
— Redis-moi pourquoi je ne suis pas chez moi, dans les bras de ma belle compagne ? maugréa Styx sans tenir aucun compte du fait que Cezar ne l'avait pas invité à l'accompagner.
— C'est toi qui as demandé aux oracles de venir à Chicago, rappela Cezar à son aîné.
— Oui, afin de juger Salvatore pour s'être introduit sur le territoire de Viper, sans parler de l'enlèvement de ma femme. Un jugement qui a été reporté indéfiniment. J'ignorais qu'ils avaient l'intention d'envahir mon repaire et d'entrer en hibernation dès leur arrivée.
Les traits farouches de Styx se durcirent. Il n'avait toujours pas digéré de se faire jeter hors de ses grottes sombres et humides par les oracles afin que ces derniers puissent les utiliser pour leurs propres desseins impénétrables. Darcy, sa compagne, semblait en revanche s'accommoder du grand manoir majestueux aux abords de Chicago dans lequel ils avaient tous deux emménagé.
— Et j'ignorais certainement qu'ils traiteraient l'un de mes frères comme leur sous-fifre, ajouta-t-il.
— Tu as bien conscience que, même si tu es le seigneur et maître de tous les vampires, les oracles n'ont de comptes à rendre à personne ?
Styx marmonna quelque chose tout bas. Au sujet des oracles et des flammes de l'enfer.
— Tu ne m'as jamais expliqué précisément comment tu avais fini entre leurs griffes.
— Ce n'est pas une histoire que je raconte à n'importe qui.
— Pas même à celui qui t'a autrefois sauvé d'un nid de harpies ?
Cezar partit d'un rire bref.
— Je n'ai jamais demandé à être secouru, mon seigneur. En fait, je n'étais pas opposé à rester entre leurs mains malfaisantes. Du moins le temps de la saison des amours.
Styx roula des yeux.
— Nous nous écartons du sujet.
— Et quel est-il?
— Dis-moi ce que nous faisons ici. (Styx parcourut du regard la foule somptueuse avec une pointe de dégoût.) D'après ce que je vois, les invités ne sont que de simples humains, auxquels se mêlent quelques faes et démons inférieurs.
— Oui. (Les yeux plissés, Cezar les observa.) Un nombre surprenant de faes, tu ne trouves pas ?
— L'odeur de l'argent a toujours tendance à les attirer.
— Peut-être.
Tout à coup, Cezar sentit une main se poser sur son épaule, et il reporta son attention sur le vampire de plus en plus énervé à ses côtés.
Manifestement, les faux-fuyants du comte poussaient à bout la patience de Styx.
— Cezar, j'ai déjà bravé le courroux des oracles. Je vais te faire pendre à une poutre si tu ne me dis pas ce que tu fais ici à frayer avec ce misérable ramassis de débauchés cupides.
Cezar grimaça. Pour l'instant, Styx était seulement agacé. Dès qu'il se mettrait vraiment en colère, les ennuis commenceraient à pleuvoir de tous côtés.
La dernière chose dont il avait besoin, c'était qu'un vampire déchaîné effraie sa proie.
— On m'a chargé de garder un œil sur un membre potentiel du Conseil, avoua-t-il à contrecœur.
— « Potentiel »... (Styx se raidit.) Par tous les dieux, on a découvert un nouvel oracle ?
Sa stupéfaction était compréhensible. Au cours des dix millénaires précédents, on en avait décelé moins d'une dizaine. Des créatures rares, et par conséquent particulièrement précieuses.
— Les prophéties ont révélé son existence il y a près de deux cents ans, mais le Conseil n'a pas divulgué cette information.
— Pourquoi ?
— Elle est très jeune et n'est pas encore en pleine possession de ses pouvoirs. Il a décidé d'attendre qu'elle mûrisse et ait accepté ses aptitudes.
— Ah, je comprends parfaitement. Une jeune femme qui prend possession de ses pouvoirs se révèle parfois une vraie plaie. (Styx se frotta le flanc comme s'il se souvenait d'une blessure récente.) Un homme sage apprend à se tenir en permanence sur ses gardes.
Cezar haussa les sourcils.
— Je croyais que Darcy avait été conçue de façon à ne pas pouvoir se transformer?
— Les aptitudes d'un loup-garou sont loin de se réduire à cette particularité.
— Il n'y a que l'Anasso pour choisir une louve comme compagne.
Les traits farouches de Styx s'adoucirent.
— À vrai dire, il n'a pas tant été question d'un choix que du destin.
Comme tu le découvriras toi aussi un jour.
— Pas tant que je serai sous l'autorité du Conseil, répliqua Cezar d'un ton froid laissant entendre qu'il n'en révélerait pas plus.
Styx l'observa un long moment avant de hocher légèrement la tête.
— Alors, si ce membre potentiel n'est pas encore prêt à devenir un oracle, pourquoi es-tu ici ?
Instinctivement, Cezar coula un regard vers Anna. C'était inutile, bien sûr. Il percevait chacun de ses mouvements, chacune de ses inspirations et chacun de ses battements de cœur.
— Nous pensons qu'on a tenté de lui jeter un certain nombre de sorts au cours des dernières années.
— De quel genre?
— Il s'agissait de la magie des faes, mais les oracles n'ont pu en apprendre davantage.
— Étrange. Les faes ne se préoccupent guère de la politique des démons. Qu'est-ce qui les intéresse ?
— Qui sait? Pour l'heure, le Conseil cherche juste à s'assurer qu'il n'arrive rien à cette femme. (Cezar esquissa un haussement d'épaules.) Quand tu as demandé aux oracles de venir à Chicago, ils m'ont confié la tâche de l'attirer ici pour que je puisse la protéger.
Styx le foudroya du regard. Un serveur humain s'évanouit et un autre se précipita vers la sortie la plus proche.
— D'accord, cette fille est spéciale. Pourquoi est-ce toi qu'on a obligé à la protéger ?
Cezar frémit de tout son corps. Ce qu'il prit soin de dissimuler aux sens aiguisés de son ami.
— Douterais-tu de mes aptitudes, mon seigneur?
— Arrête, Cezar. Aucun être t'ayant vu au combat ne les remettrait en question.
Avec la familiarité engendrée par plusieurs siècles d'amitié, Styx jeta un coup d'œil aux lignes parfaites de la veste de smoking de son compagnon. Ils savaient tous deux que cette élégance cachait une demi-douzaine de poignards.
— Je t'ai vu te frayer un chemin dans une horde d'Ipars à la pointe de l'épée. Mais certains membres du Conseil possèdent des pouvoirs que personne n'oserait affronter.
— «Il n'y a pas de raison, il n'y a qu'à agir et mourir... »
— Tu ne mourras pas, déclara Styx, interrompant Cezar dans sa déclamation de poème.
Celui-ci haussa les épaules.
— Même l'Anasso ne peut l'affirmer.
— C'est pourtant ce que je viens de faire.
— Tu as toujours été trop noble pour ton propre bien, Styx.
— Exact.
La plus légère des caresses effleura les sens de Cezar : Anna se dirigeait vers une petite porte de la salle de réception.
— Rentre chez toi, amigo. Va retrouver ta belle louve-garou.
— Une proposition alléchante, mais je ne te laisserai pas seul ici.
— J'apprécie ta sollicitude, Styx. (Il adressa à son maître un regard de mise en garde.) Mais c'est désormais le Conseil qui me dicte mes devoirs, et il m'a donné des ordres que je ne peux ignorer.
Une colère froide brûla dans les yeux sombres de Styx, puis il hocha la tête à contrecœur.
— Tu me fais signe en cas de besoin?
— Bien sûr.
Anna n'eut pas à regarder don Cezar pour savoir qu'il avait conscience du moindre de ses mouvements. Il avait beau parler avec l'homme séduisant qui ressemblait de façon frappante à un chef aztèque, elle ressentait dans tout son corps frémissant l'attention soutenue qu'il lui portait.
Il était temps de mettre son plan à exécution.
Son concocté-à-la-va-vite-au-pifomètre-et-battant tous-les-records-de-stupidité de plan.
Anna retint un rire hystérique.
Bon, ce n'était pas le meilleur des plans. Il s'agissait davantage d'un truc du genre «claquez des doigts et priez pour que ça ne vire pas au carnage », mais c'était tout ce qu'elle avait pour le moment. Sa seule autre possibilité était de laisser don Cezar disparaître encore pendant deux siècles, et rester assaillie de questions.
Elle ne le supporterait pas.
Alors qu'elle avait presque atteint le renfoncement abritant une batterie d'ascenseurs, Anna fut arrêtée par un bras qui lui enlaça soudain la taille pour l'attirer contre un corps masculin dur comme l'acier.
— Vous n'avez pas changé le moins du monde, querida. Toujours aussi belle que le soir où je vous ai aperçue pour la première fois. (Avec ses doigts, il traça un chemin grisant le long de la ligne nue de ses épaules.) Même si vos charmes sont bien plus exhibés.
Sa caresse provoqua une explosion de sensations qui déferlèrent en elle. Des sensations qu'elle n'avait pas ressenties depuis très, très longtemps.
— Manifestement, vous n'avez pas changé non plus, cher comte.
Vous n'avez toujours pas appris à maîtriser vos mains baladeuses.
— La vie ne vaut guère la peine d'être vécue quand je les maîtrise.
(La peau froide de sa joue frôla la sienne tandis qu'il lui chuchotait à l'oreille.) Vous pouvez me croire, je le sais.
Anna roula des yeux.
— Ouais, bien sûr.
Il resserra un instant ses longs doigts fins sur la taille d'Anna avant de la faire lentement pivoter pour plonger son troublant regard sombre dans ses yeux.
— Ça faisait longtemps, Anna Randal.
— Cent quatre-vingt-quinze ans.
D'un air distrait, elle leva la main pour frotter sa joue qui la picotait encore.
— Non pas que je les compte, ajouta-t-elle.
— Non, bien sûr que non, répondit-il, en pinçant ses lèvres pleines et sensuelles.
Elle releva le menton. Crétin.
— Où étiez-vous ?
— Je vous ai manqué?
— Ne vous jetez pas de fleurs.
— Toujours une petite menteuse, la railla-t-il.
Sans prendre la peine de s'en cacher, il laissa courir son regard sur le corps raide d'Anna, s'attardant sur la gaze argentée drapée sur le renflement de sa poitrine.
— Ça vous aiderait si je vous avouais que vous m'avez manqué?
Même après cent quatre-vingt-quinze ans, je me souviens précisément du parfum de votre peau, des courbes de votre corps svelte, du goût de votre...
— Sang ? siffla-t-elle, refusant de reconnaître la chaleur qui commençait à s'élever au creux de son ventre. Non, non, non. Pas cette fois. — Bien sûr. (Pas la moindre trace de remords n'assombrit son beau visage.) Je me souviens de votre sang par-dessus tout. Si doux, si délicieusement innocent.
— Moins fort, lui intima-t-elle.
— Ne vous inquiétez pas.
Il se rapprocha encore. Au point que l'étoffe de son pantalon frôla les jambes nues d'Anna.
— Les mortels ne peuvent pas m'entendre et les faes ne s'aviseront jamais de déranger un vampire en chasse.
Anna écarquilla les yeux, le souffle coupé.
— Un vampire. Je le savais. Je...
Elle réprima sa nausée en parcourant du regard la salle bondée. Elle ne devait pas oublier son plan.
— Je veux vous parler, mais pas ici. J'ai réservé une chambre à l'hôtel.
— Mlle Randal, pourquoi m'invitez-vous dans votre chambre ? (Une lueur narquoise brilla dans ses yeux sombres.) Pour quel genre de démon me prenez-vous ?
— Je veux discuter, c'est tout.
— Bien sûr.
Il sourit. De ce sourire qui faisait fondre une femme dans ses talons aiguilles.
— Sérieusement. Je... (Elle s'interrompit et secoua la tête.) Peu importe. Vous venez?
Il plissa les yeux. Presque comme s'il sentait qu'elle tentait de l'éloigner de la foule.
— Je ne sais pas. Vous ne m'avez pas vraiment donné envie de quitter une pièce remplie de jolies créatures prêtes à partager bien plus qu'une simple conversation.
Elle arqua les sourcils. Elle n'était pas la proie facile qu'il avait connue. Pensait-il qu'elle s'écroulerait et mourrait? Oh non, pas elle. Elle survivrait.
Mais il n'avait pas intérêt à ne serait-ce même qu'envisager de la laisser tomber pour une autre.
— Je doute qu'elles seraient encore très intéressées si elles apprenaient qu'un monstre se cache sous ce beau smoking. Poussez-moi à bout et je le leur dis.
— La moitié des invités sont des monstres eux aussi et l'autre moitié ne vous croira jamais, répliqua-t-il en faisant courir ses doigts sur ses bras.
Un frisson la parcourut des pieds à la tête. Comment une main si froide pouvait-elle l'enflammer à ce point ?
— Il y a d'autres vampires ici ?
— Un ou deux. Les autres sont des faes.
Elle se souvint vaguement qu'il avait déjà mentionné ce terme.
— Des faes ?
— Des fées, des sidhes, quelques lutins.
— C'est de la folie, souffla-t-elle, secouant la tête alors que d'autres trucs déments s'invitaient dans son existence démente. Et tout ça, c'est votre faute.
— Ma faute ? (Il haussa les sourcils.) Je n'ai pas créé les faes et je ne les ai certainement pas conviés à cette soirée. En dépit de leur beauté, ce sont des créatures perfides et rusées, dotées d'un vilain sens de l'humour.
Bien sûr, leur sang est légèrement pétillant. Comme le champagne. Elle pointa un doigt droit sur son nez.
— C'est vous qui m'avez mordue.
— Je suppose que je ne peux pas le nier.
— Ce qui signifie que vous avez foutu ma vie en l'air.
— Je n'ai fait que prendre quelques gorgées de sang et votre...
Elle lui plaqua la main sur la bouche.
— Je vous interdis, siffla-t-elle en jetant un regard noir à un serveur qui approchait. Bon sang, je ne vais pas parler de ça ici.
Il rit doucement en lui caressant les épaules.
— Vous seriez prête à tout pour m'attirer dans votre chambre, n'est-ce pas, querida?
Le souffle coupé, elle recula précipitamment. Qu'il aille au diable avec ses doigts de fée.
— Vous êtes vraiment idiot.
— C'est de famille.
De famille? Anna tourna la tête pour observer l'homme grand et d'une beauté saisissante qui les foudroyait du regard à l'autre bout de la salle. — Il fait partie de votre famille ?
Une émotion impénétrable traversa les traits légèrement dorés et finement ciselés de Cezar.
— On pourrait dire que c'est une sorte de figure paternelle.
— Il ne ressemble pas à un père. (Délibérément, Anna décocha un sourire à l'étranger.) À vrai dire, il est terriblement séduisant. Vous devriez peut-être me le présenter.
Cezar plissa les yeux, et referma les doigts sur son bras avec fermeté.
— En fait, nous nous dirigions vers votre chambre, vous avez oublié ?
grogna-t-il à son oreille.
Un petit sourire se dessina sur les lèvres d'Anna. Ha! Il n'aimait pas qu'elle s'intéresse à d'autres hommes. Bien fait pour lui.
Son sourire s'évanouit lorsque le parfum de pomme emplit l'air.
— Anna... oh, Anna, gazouilla une voix mielleuse.
— Merde, marmonna-t-elle en regardant Sybil foncer sur eux comme une locomotive.
Cezar passa un bras autour de son épaule.
— Une de vos amies ?
— Pas vraiment. Sybil Taylor me pourrit la vie depuis cinq ans. Je ne peux pas faire un pas sans tomber sur elle.
Cezar se raidit et dévisagea Anna avec une curiosité étrange.
— Vraiment ? Quel genre de relation entretenez-vous avec une fae ?
— Une... quoi ? Non. (Anna secoua la tête.) Sybil est avocate. Un vautour, certes, mais...
Elle s'interrompit lorsque le comte l'entraîna dans le renfoncement et, d'un geste de la main, ouvrit les portes de l'ascenseur. Anna aurait pu s'émerveiller d'en avoir un quand elle en avait besoin, si elle n'avait pas été en train de s'efforcer de rester debout pendant qu'on la tirait dans la cabine aussi grande que son appartement à Los Angeles et que les portes se refermaient en douceur.
— Putain de merde. Inutile de me traîner comme un sac de pommes de terre, don Cezar.
— Je pense qu'on peut se tutoyer, querida. Appelle-moi Cezar.
— Cezar. (Les sourcils froncés, elle appuya sur le numéro de son étage.) Tu n'as pas d'autre nom ?
— Non.
— C'est curieux.
— Pas pour mon peuple.
L'ascenseur s'ouvrit et Cezar l'entraîna dans le couloir circulaire sur un côté duquel donnaient les portes des chambres, l'autre offrant une vue dégagée sur le hall douze étages en contrebas.
— Ta chambre ?
— Par ici.
Anna longea le couloir et s'arrêta devant sa porte. Sa carte magnétique se trouvait déjà dans le lecteur quand elle se figea, brusquement assaillie par le souvenir d'une autre nuit où elle avait tenté de vaincre don Cezar.
La nuit où sa vie entière avait changé...
CHAPITRE 2
Londres, 1814
Anna poussa un petit cri lorsqu'on la tira brusquement dans l'obscurité de la chambre à coucher et que la porte claqua derrière elle.
— Vous cherchez quelque chose, querida?
Une voix douce flotta dans l'air nocturne. Empreinte d'un accent qui envoya un frisson étrange courir sur sa peau.
— Ou peut-être quelqu'un ?
— Don Cezar ?
— Oui, lui-même.
Anna recula contre le mur en trébuchant, maudissant sa satanée chance. Comment diable était-elle parvenue à foirer une tâche aussi simple que celle de ne pas perdre sa cousine de vue ?
Non seulement elle ignorait où Morgane était partie, mais elle avait réussi à s'empêtrer dans les filets du seul homme qui la troublait d'une façon qu'elle ne comprenait pas entièrement.
— Vous... vous m'avez effrayée. Je ne pensais pas que cette chambre était occupée.
— Non ?
Une bougie s'enflamma, dévoilant le gentilhomme à l'impossible beauté ténébreuse qui venait se placer juste devant elle.
— Alors vous ne m'avez pas délibérément suivi depuis la salle de bal
?
Une rougeur lui colora les joues, tant à cause de la proximité de cet homme que de son trouble. Même si elle approchait de ses vingt-six ans, aucun gentilhomme ne lui avait encore prêté attention. Et certainement pas de si près.
C'était...
Merveilleusement terrifiant.
Elle se fit violence pour éloigner ses pensées d'un sujet si dangereux.
— Bien sûr que non. Je... je cherchais une domestique pour m'aider à raccommoder un accroc dans mon ourlet.
— Ainsi vous êtes menteuse et sournoise.
Soudain, il plaqua les mains sur le mur de part et d'autre de son visage, la prenant bel et bien au piège.
— Des qualités guère séduisantes chez une jeune fille. Pas étonnant que vous vous retrouviez seule dans des coins sombres pendant que les autres dames passent du bon temps dans les bras de beaux soupirants.
Elle inspira brusquement, et le regretta lorsque son parfum de santal lui embruma l'esprit.
— Comment osez-vous?
Il rit doucement, puis baissa la tête pour lui effleurer la joue de la sienne.
— C'est évident.
Dieu tout-puissant. Anna frissonna alors que tout son corps réagissait à cette caresse. Que lui arrivait-il? Pourquoi avait-elle l'impression que ses jambes étaient faites de coton ? Et pourquoi son cœur bondissait-il contre ses côtes comme s'il voulait sortir de sa poitrine
?
— Je ne suis pas une menteuse.
Il posa les lèvres juste en dessous de son oreille.
— Alors, reconnaissez que vous m'avez suivi.
Un son, peut-être un gémissement, s'échappa de sa bouche avant qu'elle rassemble le peu de maîtrise de soi qui lui restait.
— Très bien. Je vous ai suivi.
Il continua de lui effleurer la gorge, presque comme s'il la goûtait.
— Pourquoi ?
Anna s'efforça de réfléchir.
— Parce que ma tante m'a chargée de garder un œil sur ma cousine, et quand je vous ai vu vous glisser hors de la salle de bal quelques instants après qu'elle eut prétendu devoir se rendre dans le salon, j'ai craint que vous n'ayez arrangé un rendez-vous.
Elle baissa les paupières lorsqu'il découvrit une zone particulièrement sensible. Puis, s'apercevant qu'il avait décollé les mains du mur pour tirer sur les rubans au dos de sa robe, elle s'obligea à se redresser.
— Et pour votre information, je reste dans les coins sombres car c'est ce qu'on attend des parents pauvres.
— Ah, ainsi la souris a des dents, railla-t-il en la mordant délicatement.
Anna empoigna ses jupes. C'était ça ou agripper l'homme qui la tourmentait par ses baisers légers et incessants.
— Je ne suis pas une souris.
— Non, vous avez parfaitement raison.
Il s'écarta pour observer son visage empourpré, et tira sur le corsage de sa robe, dévoilant le corset serré qu'elle portait dessous.
— Une teigne, querida, vous qualifierait bien mieux.
Anna ne releva pas l'insulte. Guère étonnant. Elle se trouvait seule dans une chambre à coucher avec un inconnu, à moitié nue, et, alors que son esprit lui commandait d'être terrifiée, son corps frissonnait comme sous l'effet de la fièvre.
Pour la première fois de sa vie, elle se faisait séduire par un maître en la matière. Et la vague de désir qui montait en elle la laissait désarmée.
— De toute évidence, Morgane n'est pas ici, dit-elle d'une voix rauque. Je dois retourner dans la salle de bal.
— Vous craignez que l'on s'aperçoive de votre absence? De n'avoir sauvé l'honneur de votre cousine que pour sacrifier le vôtre ?
— Personne n'est susceptible de remarquer ma disparition.
Une lueur sinistre, puissante, s'alluma dans ses yeux noirs.
— Des paroles dangereuses, chuchota-t-il.
Anna poussa un cri étranglé alors que sa robe glissait à ses pieds et qu'il lui arrachait sa coiffe de dentelle.
— Mon seigneur. Arrêtez.
Il grogna lorsque ses cheveux retombèrent en cascade dans son dos, et passa les doigts avec impatience dans les mèches épaisses.
— Quelle magnifique chevelure quand elle n'est pas cachée derrière cette coiffe affreuse. De la couleur du miel fraîchement extrait.
Il tira sur ses boucles, l'obligeant à pencher la tête en arrière pour qu'il puisse enfouir le visage dans la courbe de son cou.
— Votre parfum est celui, suave, de la figue. Quel goût avez-vous ?
— Mon Dieu, chuchota-t-elle lorsqu'il l'enlaça de nouveau.
Elle sentit qu'il lui retirait son corset, puis sa fine chemise ne tarda pas à subir le même sort. En un clin d'œil, elle ne portait plus que ses bas et ses hauts talons.
— Vous n'auriez pas dû me suivre, Anna. Une autre devait se sacrifier, si impatiente d'assouvir mes désirs. Mais vous vous êtes immiscée dans le jeu et devez à présent en assumer les conséquences.
— Non.
Elle leva les mains pour les appuyer contre son torse. Ou du moins, c'était son intention. Ce n'était pas sa faute si elles se faufilèrent plutôt sous la veste de don Cezar pour caresser le lin raffiné de sa chemise.
— Laissez-moi partir, ou...
Il fit courir sa bouche le long de sa clavicule et descendit jusqu'au renflement de ses seins.
— Ou quoi, ma magnifique proie ?
Mon Dieu, elle ne parvenait pas à penser à autre chose qu'au plaisir enivrant qui tourbillonnait dans son corps. Franchement, elle ne souhaitait pas songer à autre chose. Elle voulait se noyer dans ses caresses, dans la sensation de ses lèvres suçant avec délicatesse son téton durci, dans son parfum de santal qui lui donnait le tournis et rendait ses mains moites.
— Je... je jure que je vais hurler, murmura-t-elle.
Sa menace absurde le fit rire. Et il avait bien raison. Après tout, elle déchirait sa chemise pour effleurer la peau d'une douceur parfaite qu'elle recouvrait.
— Je ne crois pas que vous hurlerez, querida.
D'un geste plein d'aisance, il la souleva du sol et lui enroula les jambes autour de sa taille. Une lueur malicieuse couvait dans ses yeux noirs.
— Sauf si c'est de jouissance.
— Oh..., chuchota-t-elle.
Il se figea, et lui prit le visage dans la main.
— Vous m'appartenez, Anna Randal. À partir de cette nuit, vous serez à moi.
Le souffle coupé de terreur, elle regarda ses dents s'allonger. Dieu tout-puissant, il allait...
Les pensées d'Anna s'éparpillèrent en tous sens lorsqu'il baissa la tête et que ses canines lui percèrent facilement la peau. Elle ne ressentit pas de douleur. Rien à part un désir grisant, presque irrésistible qui la poussa à se tortiller contre lui.
— S'il vous plaît..., gémit-elle en passant les doigts dans ses cheveux noirs, le suppliant de mettre fin à son supplice. S'il vous plaît.
— Si, chuchota-t-il.
Il l'adossa au mur puis, lentement, divinement, il enfonça son sexe profondément en elle. Un halètement étranglé lui échappa quand il donna un coup de reins, les doigts à tel point enfoncés dans ses cuisses qu'elle sut qu'il laisserait des bleus sur sa peau délicate.
Mais elle s'en inquiéterait le lendemain.
Cette nuit-là, seule comptait la délicieuse invasion que représentait don Cezar.
Cezar n'avait pas besoin d'être un vampire pour sentir la tension qui bourdonnait autour de la frêle silhouette d'Anna ni pour soupçonner qu'elle l'attirait délibérément dans sa chambre d'hôtel dans un but autre qu'un moment d'intimité.
Non qu'il soit contre cette intimité.
Son corps n'avait pas réagi au sexe opposé depuis cent quatre-vingt-quinze ans. Depuis qu'il avait pris l'innocence de cette femme et que les oracles l'avaient emmené loin de Londres.
À présent il grondait en s'empêchant de toucher cette douce peau satinée. De goûter le délectable sang frais qui coulait dans ces veines. De se noyer dans cette...
Comme percevant soudain le désir qui faisait rage en lui, Anna déverrouilla la porte et en franchit prestement le seuil. Lorsqu'elle se retourna pour lui faire face, elle s'efforça vaillamment d'avoir l'air désinvolte.
Une vaine entreprise. Son pouls — battant telles les ailes d'un papillon sous amphétamines — la trahit. Sans compter qu'elle serrait son sac à main argenté comme s'il contenait les joyaux de la couronne.
Ou peut-être un pieu en bois.
— Tu entres ? demanda-t-elle, avant de se mordre la lèvre. Oh, tu as besoin d'y être invité ?
Il appuya son épaule contre le montant de la porte et croisa les bras.
— Pas pour une chambre d'hôtel. Je suis juste du genre prudent.
— Tu n'es pas immortel?
— Dans le sens où je ne peux pas mourir de maladie ou de vieillesse, mais il est possible de tuer un vampire.
— Comment ?
Il rit doucement.
— Tu ne peux pas t'attendre à ce que je réponde à cette question.
— Pourquoi pas ?
— Ça entre dans la catégorie du naturel prudent.
— Comme tu veux.
Ses yeux noisette lancèrent des éclairs avant qu'elle se retourne et se dirige vers le centre de la pièce. Alors, avec l'habileté d'une courtisane expérimentée, elle se pencha, offrant une vision atrocement splendide de son cul parfait.
— Si tu souhaites rester toute la nuit dans le couloir, libre à toi. Il faut que j'enlève ces hauts talons démoniaques. Mes orteils ont été comprimés là-dedans toute la soirée.
— Bon sang...
C'était l'appât le moins subtil qui ait jamais été jeté sur la route de Cezar. Elle aurait aussi bien pu porter une enseigne clignotante. Cezar, cela dit, était un vampire qui s'était vu refuser les délices du désir depuis presque deux siècles. Il affronterait n'importe quel piège, prendrait tous les risques pour goûter à cette femme.
— Voilà une tentation à laquelle je ne peux résister, murmura-t-il en entrant, claquant la porte derrière lui.
Au bruit du pêne qui s'engageait dans la gâche, Anna virevolta avec une vitesse surprenante. Cezar aperçut l'éclat de l'argent alors qu'elle se précipitait sur lui avec une paire de menottes. Elles se refermèrent autour de ses poignets avec un bruit sec. Il aurait pu les éviter et, d'un mouvement du bras, envoyer Anna et ses satanés instruments de torture à l'autre bout de la pièce.
Mais il préféra la laisser penser qu'elle était parvenue à l'emprisonner dans ses anneaux diaboliques. Les menottes lui faisaient un mal de chien; cependant elles n'avaient pas été spécialement conçues pour retenir un vampire et l'argent était allié avec d'autres métaux en quantité suffisante pour modérer son effet. Sans compter qu'il supportait l'argent mieux que la plupart de ses congénères. Il pouvait se libérer si nécessaire.
Et si Anna se sentait plus à l'aise ainsi... eh bien, il jouerait le jeu.
Pour l'instant.
Les mains plantées sur les hanches, Anna le dévisagea avec un sourire suffisant.
— Ha!
— « Ha » ? (Cezar haussa les sourcils d'un air moqueur.) On croirait un bandit dans un mélodrame rebattu. Tu as l'intention de me jeter sur la voie ferrée la plus proche pendant que j'appellerai à l'aide en hurlant ?
— J'ai l'intention d'obtenir des réponses qui me sont dues depuis longtemps.
— Inutile de me menotter. D'accord, ça peut être amusant dans certaines circonstances, mais nous pourrions quand même discuter comme des gens normaux, qui ont toute leur tête ?
— Mais nous ne sommes pas normaux, n'est-ce pas, Cezar ?
— Parle pour toi, querida.
Il feula lorsque les menottes bougèrent sur ses poignets.
Elle s'efforça de rester en mode Rambo, mais elle grimaça imperceptiblement, ce qui n'échappa pas à Cezar. Même deux siècles n'étaient pas parvenus à endurcir ce cœur bien trop tendre.
— Ça fait mal? demanda-t-elle.
Cezar leva les bras pour montrer les cloques qui marquaient déjà sa peau. — Ça me brûle la chair, qu'est-ce que tu crois ?
Elle se mordit la lèvre inférieure.
— Dis-moi ce que tu m'as fait et je te libérerai.
— Anna, je ne t'ai rien fait.
— Je sais que je ne suis pas une vampire, mais de toute évidence ta morsure m'a transformée en quelque chose...
Sa phrase mourut sur ses lèvres alors qu'elle appuyait la main contre son cou.
À l'endroit précis où il avait pris son sang toutes ces années auparavant, comprit-il avec une pointe de plaisir, submergé par un sentiment de possessivité.
— Quelque chose ?
— De bizarre.
Elle lui jeta un regard furieux, le tenant entièrement pour responsable de la chose étrange qu'elle était devenue.
— Dis-moi ce qui ne tourne pas rond chez moi.
— Au risque de dire une évidence, tu n'as aucun problème, querida.
En fait, tu es même la perfection incarnée. (Il leva ses mains menottées.) Enfin, à part en ce qui concerne ton fétichisme des menottes. La prochaine fois on prendra du cuir et des fouets.
— Ne me mens pas, Cezar. Il s'est produit quelque chose cette nuit-là. (Un frisson secoua son corps frêle.) Tout a... changé.
Son ton funeste arracha un sourire à Cezar. À croire que découvrir qu'on était immortel était un sort abominable plutôt qu'un extraordinaire coup de bol.
— Qu'est-ce qui a changé ?
Ses yeux mouchetés d'or étincelèrent quand elle pointa un doigt droit sur son visage.
— Bon sang, ce n'est pas drôle.
— Anna, je ne me moque pas de toi, protesta-t-il d'une voix apaisante. Raconte-moi ce qui s'est passé après mon départ cette nuit-là.
Elle serra les bras sur son ventre, comme si elle avait soudain froid.
— Après que nous...
— Avons fait l'amour ? suggéra-t-il quand elle hésita.
— Après que nous avons couché ensemble, le corrigea-t-elle. Je me suis endormie pour ne me réveiller que juste avant l'aube. Je n'ai eu d'autre choix que de me faufiler par la fenêtre et de rentrer chez ma tante.
Lorsque je suis arrivée là-bas, la...
De nouveau elle s'interrompit, mais cette fois ce fut une douleur ancienne, pas la gêne, qui l'assaillit.
— Quoi, Anna? s'enquit-il d'une voix douce sans prendre la peine de tenter de l'asservir.
En tant qu'oracle naissante, elle serait inaccessible à de telles manœuvres psychologiques.
— Dis-le-moi.
— La maison avait été réduite en cendres. (Les mots réussirent enfin à franchir ses lèvres raides.) Avec la seule famille qui me restait, emprisonnée à l'intérieur. Je me suis retrouvée livrée à moi-même sans nulle part où aller ni personne vers qui me tourner.
— Por Dios. Comment est-ce arrivé ?
— Je n'en ai pas la moindre idée.
La colère l'envahit lorsqu'il comprit que les oracles l'avaient délibérément empêché de percevoir les difficultés d'Anna. S'ils n'étaient pas intervenus, il aurait senti sa détresse.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
Elle secoua la tête, ses cheveux couleur de miel effleurant ses épaules nues et emplissant l'air de son parfum exquis. Cezar frémit; ses canines l'élançaient tant il mourait d'envie de la goûter. S'il ne succomba pas à la tentation, ce fut uniquement parce qu'il se rappela ce qui était advenu la dernière fois qu'il avait bu le sang de cette femme.
Il n'était peut-être pas le vampire le plus intelligent qui ait jamais été créé, mais il apprenait parfois de ses erreurs.
— Je .me suis comportée comme une lâche. La voix d'Anna était amère tandis qu'elle se perdait dans ses souvenirs.
— Je me suis cachée dans les buissons et ai laissé tout le monde croire que j'avais péri avec ma tante et ma cousine.
— Pourquoi ?
— Parce que j'avais peur.
— Peur de quoi? s'enquit-il, sincèrement intrigué.
Les oracles se montraient rarement communicatifs, et alors qu'ils lui avaient révélé que cette femme était née pour rejoindre leurs rangs, ils ne lui avaient encore rien dit de sa nature.
Elle ne pouvait être humaine. Son immortalité le prouvait. Mais il ne détectait pas de sang démoniaque dans ses veines et elle semblait tout ignorer de ses pouvoirs. Cette femme était une énigme.
Une énigme qu'il comptait bien résoudre avant que le Conseil appelle Anna auprès de lui.
— Je ne sais pas. (Son visage prit un adorable air renfrogné.) C'était comme si une voix dans ma tête me chuchotait de fuir. Ça paraît ridicule maintenant, mais sur le moment j'étais convaincue que si je sortais des buissons je mourrais.
Un pressentiment ? Une aptitude innée à percevoir le danger ? Un bête coup de chance ? Por Dios. La liste était infinie.
Il rencontra son regard sans détourner les yeux.
— Ce n'est pas ridicule du tout, Anna.
— Bien sûr, à ce moment-là j'ignorais que tu m'avais transformée en quelque aberration de la nature immortelle.
Il rit face à sa mine revêche.
— Je ne t'ai pas rendue immortelle, querida. Pour cela j'aurais dû faire de toi une vampire, et puisque je vois ton corps ravissant tout entier dans la glace et que tu arbores ce que je ne peux décrire que comme un hâle charmant, il est évident que tu n'as toujours rien de vampirique.
Anna n'était pas convaincue. Manifestement, elle voulait blâmer quelqu'un. Blâmer Cezar.
— Alors tu m'as jeté un sort.
— Les vampires ne pratiquent pas la magie.
— Alors...
Las d'être pris pour bouc émissaire, Cezar s'avança d'un pas. Ils étaient seuls dans une chambre d'hôtel et il ne souhaitait pas perdre de temps à passer pour l'ennemi.
Pas quand Anna pouvait apaiser le feu qui grondait de nouveau en lui après presque deux siècles.
— Anna, ton immortalité n'a rien à voir avec ma morsure ou un sort quelconque, dit-il d'une voix rendue rauque par le désir. Tu es née spéciale.
— Spéciale ?
D'instinct, elle recula, comme si elle percevait son appétit ténébreux.
— Spéciale c'est être capable de faire cuire un soufflé qui monte ou chanter juste l'hymne national ou franchir le portail de sécurité d'un aéroport sans déclencher le détecteur de métaux. Je suis un peu plus que simplement spéciale, bon sang!
Sans transition elle se raidit, et tourna la tête vers la porte.
— Merde.
Cezar fut aussitôt sur le qui-vive.
— Que se passe-t-il?
— Tu sens cette odeur?
Cezar ferma les yeux et huma l'air. C'était très léger, mais caractéristique.
— De la fumée.
Ce mot était une injure dans sa bouche. Les vampires et le feu ne faisaient pas bon ménage.
— Nous devons sortir d'ici, déclara-t-il en tendant ses mains toujours entravées.
Il pouvait se libérer mais préférait garder ce petit détail pour lui-même.
— Anna, détache-moi, ou nous allons mourir tous les deux, ajouta-t-il.
Elle grommela un chapelet de jurons en glissant la clé dans les menottes. Celles-ci tombèrent lourdement.
— Voilà.
Cezar frotta distraitement ses poignets couverts de cloques en déployant ses pouvoirs. Ses canines s'allongèrent lorsqu'il s'aperçut que non seulement le feu était proche, mais qu'il était également magique.
Il s'agissait d'une attaque délibérée contre Anna.
— Le brasier est juste de l'autre côté de la porte, l'avertit-il en soulevant instinctivement son corps svelte dans ses bras.
Les oracles l'avaient chargé de veiller sur cette femme, mais même s'il en avait été autrement il aurait traversé les flammes de l'enfer pour la protéger.
Il n'en avait pas fini avec elle.
Malgré les circonstances, il la désirait farouchement.
— Arrête.
Elle frappa son torse de ses poings minuscules. Comme si ça pouvait lui faire mal.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Avec ses pensées il ouvrit la fenêtre, franchissant à toute allure la distance qui l'en séparait.
— Je nous tire d'ici. À moins que tu préfères rester et sacrifier cette peau magnifique aux flammes ?
— Les extincteurs automatiques vont les éteindre.
— Pas celles-ci. C'est un feu magique, et c'est pourquoi je ne l'ai pas senti dès qu'il a été allumé.
— Un feu magique? Pour l'amour du ciel...
Ses paroles se transformèrent en un cri perçant lorsque Cezar s'élança par la fenêtre et qu'ils dégringolèrent vers Michigan Avenue. Avec l'habileté dont seul un vampire âgé était capable, il retomba en souplesse sur ses pieds, Anna toujours étroitement serrée dans ses bras. Il fut récompensé par un nouveau coup sur le torse.
— Merde, cracha Anna. Tu m'as fichu une peur bleue.
Il baissa la tête pour lui parler directement dans l'oreille.
— Tu aurais préféré rester pour affronter les flammes ?
Elle tira sur sa robe qui était remontée, dévoilant un minuscule string rose. L'érection de Cezar bougea brusquement en un hommage silencieux.
Bientôt, bientôt, bientôt. ..
— J'aurais préféré que tu me préviennes avant de sauter du douzième étage, grommela-t-elle.
Il éclata de rire, le corps vibrant de plaisir. Por Dios. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas ressenti d'émotion. Si longtemps que son célibat ne lui avait pas pesé.
— La prochaine fois, promis, dit-il d'une voix rauque en faisant courir ses lèvres sur sa joue chaude.
Elle se cambra pour se soustraire à sa caresse. Son opposition muette ne masquait cependant pas le désir qui parfumait sa peau. Ah, les hormones. Quelle merveille c’était.
— Il n'y aura pas de prochaine fois. (Elle ponctua ses paroles d'une nouvelle tape sur son torse.) Je n'ai pas besoin d'être sauvée par toi ou qui que ce soit.
Il posa la langue sur le pouls qui battait frénétiquement à la base de sa gorge.
— Tu as changé, ma petite teigne.
— Je n'ai pas vraiment eu le choix.
Instinctivement, il resserra son étreinte. Satanés oracles. Ils l'avaient convoqué au moment même où cette femme vulnérable avait eu le plus besoin de lui.
— Non, je suppose que non.
Sa caresse se fit réconfortante tandis qu'il faisait glisser ses lèvres le long de sa clavicule, absorbant en silence son parfum enivrant. Ce fut finalement le bruit lointain des sirènes qui poussa Cezar à relever la tête.
— Nous devons partir d'ici avant qu'on s'aperçoive que tu n'es plus dans ta chambre.
— Attends...
Sans prêter attention à ses protestations, il descendit à toute allure la rue presque vide. Elle ne resterait pas longtemps déserte. Les humains nourrissaient une obsession bizarre pour les catastrophes. Et un incendie dans un hôtel historique où grouillait l'élite de Chicago serait qualifié à n'en pas douter de catastrophe.
Du moins, par certains.
— Désolé, querida, mais je n'ai pas le temps de discuter.
— Pose-moi par terre, ordonna-t-elle en se débattant dans ses bras.
— Pas avant qu'on soit loin d'ici. Quelqu'un veut ta mort et je n'ai pas l'intention de lui donner cette satisfaction.
Elle se figea, comme interloquée par la brutalité de ses propos.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire que je sois morte ou vivante ?
Il plongea le regard dans ses yeux méfiants, submergé par un sentiment de possessivité purement masculin.
— Je t'ai dit il y a cent quatre-vingt-quinze ans que tu m'appartenais, Anna Randal, grogna-t-il. Je ne laisserai personne te faire du mal.
CHAPITRE 3
Anna bouillait de rage. Que ce vampire arrogant aille au diable! Elle s'était rendue à Chicago avec un plan. D'accord, un mauvais plan, mais qui était censé emprisonner don Cezar et fournir à Anna les réponses qui lui revenaient. Ma
Au lieu de quoi elle soupçonnait très sérieusement que cet homme s'était une fois de plus joué d'elle.
S'il y avait un piège, c'était elle qui était tombée dans le panneau. Et pour sa peine, elle avait failli être brûlée vive dans sa chambre d'hôtel sans la moindre réponse à son palmarès.
Mon Dieu, qu'est-ce qui lui avait pris de venir là ? Rien de bon n'arrivait jamais quand Cezar entrait dans sa vie.
Il était comme de la kryptonite, pour elle.
En plus mignon. Avec le genre de sex-appeal qui embrasait son corps et lui donnait envie d'être plaquée contre le mur le plus proche et de sentir sa grosse et dure...
Non, Anna, non.
Il ne lui causait que des ennuis.
Et tant qu'il ne lui aurait pas fourni de réponses, une divine et torride partie de jambes en l'air n'était pas au programme.
Tout en attisant les feux de sa colère, Anna se concentra sur les bras fermes et virils qui la portaient avec une aisance si exaspérante. Elle avait prévenu Cezar qu'elle n'était plus la jeune femme faible et innocente qu'il avait connue par le passé. Il était temps de lui prouver que ses paroles n'étaient pas que du vent.
— Arrête-toi, ordonna-t-elle en visualisant l'image de Cezar coincé dans la mélasse; une mélasse épaisse, poisseuse et gluante. Je t'ai dit de t'arrêter maintenant!
Les pas de Cezar se firent hésitants, et il écarquilla les yeux quand l'air se solidifia autour de son corps, l'obligeant à s'immobiliser.
— Maldito ! grogna-t-il en la dévisageant avec une méfiance bien agréable.
Ha! Ça lui apprendra, à cet imbécile plein de morgue.
— Je me suis arrêté, querida, poursuivit-il. Libère-moi de tes chaînes.
— Tu me promets de cesser de me bousculer chaque fois que tu veux que je fasse quelque chose ?
— Je... (Il feula, incontestablement de douleur.) Anna, tu dois relâcher ton étreinte. Mes côtes sont déjà cassées.
Le plaisir suffisant qu'éprouvait Anna à battre ce vampire se dissipa sous le regard déchirant qu'il lui lança. Oh... merde. Elle avait été si occupée à chercher à l'impressionner qu'elle n'avait pas vraiment réfléchi aux conséquences.
Combien de temps restait-il exactement jusqu'à l'aube ?
— Je ne suis pas sûre d'y arriver, avoua-t-elle enfin. Je ne sais pas vraiment comment je fais ça.
S'attendant à moitié à ce qu'il la secoue comme un prunier, ou du moins qu'il montre ces crocs qu'il gardait si soigneusement cachés, elle fut prise au dépourvu quand il se contenta de plonger les yeux profondément dans les siens.
— Concentre-toi, c'est tout, murmura-t-il.
— Me concentrer sur quoi?
— Fais le vide dans ton esprit. (Il baissa la tête pour lui parler directement à l'oreille.) Chut... détends-toi. Laisse-toi aller. C'est ça, Anna.
Sa voix douce s'engouffra dans le corps d'Anna comme du miel chaud, apaisant ses craintes et lui donnant l'impression de flotter. Elle laissa ses sens chercher les chaînes invisibles, tenta de se les représenter mentalement. Un moment il ne se passa rien puis, soudain, elles apparurent dans son imagination sous la forme de bandes d'acier. Cezar poussa un autre grognement de douleur alors qu'elles l'écrasaient sans pitié. Prise de panique, elle s'obligea à les détruire par la pensée.
Un gémissement faible s'éleva, puis elle fut brutalement reposée au sol. Autour d'elle, la brise printanière recommença à souffler joyeusement dans la rue, apparemment aussi ravie que Cezar d'être soustraite au contrôle d'Anna.
Quand elle recouvra l'équilibre, elle regarda Cezar porter la main à sa poitrine.
Elle se mordit la lèvre.
— Tu es gravement blessé?
— Je m'en remettrai.
— Je t'ai demandé de t'arrêter.
— En effet. (Cezar baissa la main en grimaçant.) Styx m'avait prévenu qu'il fallait se méfier d'une femme prenant possession de ses pouvoirs. La prochaine fois je l'écouterai plus attentivement. Qu'est-ce que tu as fait?
Elle haussa les épaules, mal à l'aise.
— Je te l'ai dit, je ne le sais pas vraiment.
Il arqua ses sourcils noirs.
— Anna.
Elle rencontra son regard perçant. Elle parvint même à le soutenir pendant plusieurs longues secondes gênantes avant d'exhaler un soupir résigné.
Bon sang, pourquoi ne la laissait-il pas tranquille ? Elle avait déjà l'impression d'être cinglée sans devoir avouer qu'elle pratiquait la magie façon Ma sorcière bien-aimée.
— J'ai juste... (Elle secoua la tête.) Mon Dieu, ça semble tellement bête quand je le dis tout haut, mais des fois, lorsque je me concentre assez, je peux contrôler les choses qui m'entourent.
Il paraissait plus intrigué qu'horrifié.
— Quel genre de choses?
Elle esquissa un geste des mains.
— L'air. Je peux le réchauffer ou le refroidir.
— Ou t'en servir pour ficher la frousse à un vampire ?
— Bingo.
Un tremblement agita les lèvres de Cezar.
— Qu'est-ce que tu peux faire d'autre ?
— Il y a quelques mois, les canalisations dans mon immeuble ont refoulé et l'eau a envahi mon sous-sol. J'ai paniqué en constatant les dégâts et, tout à coup, l'eau est repartie dans les canalisations, laissant le sous-sol complètement sec.
Il lui toucha la joue d'un mouvement empreint d'une étrange déférence.
— Une élémentale.
— Moi ?
— Oui.
Elle déglutit péniblement.
— Qu'est-ce que c'est que ce truc-là ?
Il glissa ses doigts fins le long de la ligne de sa mâchoire, provoquant toutes sortes de ravages importuns en elle.
— Je crains de ne pas être le plus à même de te fournir des explications. Je n'ai entendu que des rumeurs sur de telles créatures.
Elle recula. Don Cezar avait beau être l'emmerdeur fini le plus arrogant et exaspérant qu'elle ait jamais connu, ses caresses la faisaient toujours fondre.
— Je ne suis pas une créature. (Elle lui adressa un regard éloquent.) Du moins, je ne l'étais pas avant de te rencontrer.
— Anna, je sais juste qu'on naît élémental, on ne le devient pas. Je n'ai rien à voir avec tes pouvoirs. (Il scruta son visage sceptique avant de secouer la tête.) Nous ne pouvons pas nous attarder en pleine rue.
Elle campa obstinément sur ses positions. Elle s'était comportée comme une idiote en se précipitant à Chicago pour affronter Cezar. Elle n'allait pas aggraver son cas en s'engouffrant joyeusement dans les ténèbres avec un homme qui reconnaissait être un vampire.
Ses dons bizarroïdes étaient loin d'être assez fiables pour cela.
— Qu'est-ce qui te fait penser que quelqu'un essaie de me tuer?
demanda-t-elle.
— Pour quelle autre raison allumerait-on un feu à ta porte ?
— Il pourrait s'agir d'un accident.
Il la dévisagea comme si elle avait un petit pois dans le crâne.
Ce qui n'était peut-être pas faux.
— C'est vraiment ce que tu crois ?
— Je ne sais pas.
Elle frotta ses tempes douloureuses. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dormi ? Ou mangé ? Elle n'arrivait même pas à s'en souvenir.
— Bon Dieu, j'ai eu plus que ma dose de trucs déments. Cette journée n'aurait pas pu être pire.
— Ne provoque jamais le destin, querida, la prévint-il d'une voix douce. C'est une leçon que j'ai apprise à mes risques et périls.
Elle ricana en embrassant du regard ce vampire à la renversante beauté ténébreuse. Ses élégants traits hâlés ciselés avec une exquise finesse étaient les mêmes que deux cents ans auparavant. Pas même une mèche grise dans ses épais cheveux noirs n'altérait sa perfection.
— Tu n'as pas l'air d'avoir souffert au cours des années.
Une lueur dangereuse brilla dans ses yeux. Suffisamment dangereuse pour la pousser à reculer précipitamment.
— Tu n'imagines pas, ma petite Anna, dit-il froidement. Mais pour l'heure, je voudrais découvrir qui cherche à te tuer et pourquoi. Tu as des ennemis ?
Elle humecta ses lèvres sèches, comprenant qu'elle avait touché un point sensible qu'il valait mieux éviter. Ce qu'elle savait des vampires tenait peut-être dans un dé à coudre, mais ne pas les provoquer paraissait être une bonne ligne de conduite. Surtout quand elle se trouvait seule avec l'un d'eux dans une rue sombre.
— Je suis avocate. Je me bats quotidiennement contre les sociétés les plus puissantes de la planète, reconnut-elle. La liste de mes ennemis est infinie.
— Yen a-t-il qui souhaitent ta mort?
— Non, bien sûr que non. C'est ridicule.
— Tu as vécu plus de deux siècles, fit-il remarquer. Tu t'es forcément mis certaines personnes à dos.
Anna grimaça en songeant aux années interminables qu'elle avait passées presque en recluse, acceptant des petits boulots pour survivre et changeant en permanence de ville pour ne pas attirer l'attention.
— Jusqu'à ces dernières années, j'ai mené une existence très discrète.
Ce n'est pas évident d'expliquer pourquoi je reste jeune alors que tout le monde autour de moi vieillit.
L'expression froide dans les yeux de Cezar disparut.
— Oui, ce problème ne m'est pas entièrement inconnu.
Oui, certes. Anna se demanda un instant quel âge exactement avait Cezar. Quelques centaines d'années ? Quelques milliers ?
Elle chassa ces pensées. Elles lui donnaient le tournis. Après tout ce temps, l'immortalité lui paraissait encore un rêve étrange et absurde.
— Finalement, j'ai décidé que j'en avais assez de me cacher, poursuivit-elle. Si je dois vivre éternellement, autant m'efforcer de rendre le monde meilleur.
Une lueur malicieuse réapparut dans les yeux de Cezar.
— En luttant contre des sociétés ?
— Et qu'est-ce que tu fais? l'accusa-t-elle.
Il darda son regard sur le corps svelte d'Anna, s'attardant sur son décolleté.
— Je protège les belles femmes des monstres qui rôdent dans le noir.
Anna étouffa un petit gémissement en sentant la chaleur tangible de son regard érotique. Cezar avait toujours été capable de séduire d'un simple regard.
— Je t'ai dit que je n'avais pas besoin de ta protection.
— Eh bien, c'est vraiment dommage parce qu'il se trouve que c'est mon boulot actuel.
— Ton boulot ? (Elle fronça les sourcils, déconcertée par son choix étrange de vocabulaire.) Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?
Il tendit le bras pour lui tapoter le bout du nez.
— Exactement ce que j'ai dit.
Elle lui donna une claque sur la main pour qu'il arrête. Elle ne croyait pas une seconde qu'il soit une sorte de bon Samaritain occupé à secourir les femmes. Merde, c'était lui, le monstre qui rôdait dans le noir.
— Dans ce cas, considère que tu es viré.
Le sourire de Cezar était moqueur.
— Tu n'as pas le pouvoir de me renvoyer. Mes ordres me viennent de personnes bien plus puissantes que toi. Du moins pour le moment.
Il se figea et inclina la tête en arrière pour humer l'air. Puis, sans transition, il attira Anna à lui et se serra avec elle dans l'ombre de la porte la plus proche. Elle ouvrit la bouche pour protester mais Cezar plaqua la main sur ses lèvres.
— Chut, lui murmura-t-il à l'oreille. Quelqu'un arrive.
Anna entendit alors le bruit de pas qui approchaient. Lorsqu'elle tourna la tête, elle fut interloquée de voir Sybil Taylor descendre la rue, s'arrêtant devant chaque bâtiment pour regarder aux fenêtres comme si elle cherchait quelque chose.
Ou quelqu'un.
Anna retint son souffle pendant que Cezar chuchotait des mots dans une langue qu'elle ne comprenait pas et que les ténèbres s'épaississaient autour d'eux. En un instant, l'obscurité la plus totale les enveloppa.
Joli tour. Pas étonnant que les vampires parviennent à échapper à la perception de la plupart des gens.
L'attention de Cezar demeurait braquée sur la femme qui venait dans leur direction.
— Voilà qui est intrigant, souffla-t-il.
Anna écarta péniblement les doigts qui recouvraient sa bouche.
— Quoi ?
— Pourquoi la fae te chercherait-elle?
— Comment tu le sais ?
Il contracta le bras sur la taille d'Anna avec impatience, envoyant une onde de plaisir courir en elle. Elle se donnait beaucoup de mal pour ne pas penser au fait qu'elle était étroitement adossée contre le corps ferme et parfait de Cezar. Et que son parfum de santal lui faisait tourner la tête et rendait ses mains moites. Lorsqu'il resserra son étreinte, elle comprit qu'elle n'y parviendrait pas. Elle soupira et s'obligea à se concentrer sur des problèmes plus importants. Comme les raisons qui la poussaient à nier que c'était elle que Sybil recherchait. Que cette femme élégante arrive à Chicago pile le même jour qu'elle pour assister justement à la même soirée ne pouvait être une simple coïncidence, et elle ne pouvait qu'être impliquée d'une façon ou d'une autre dans cette situation catastrophique.
— D'accord, c'est une question idiote, ajouta-t-elle.
— Je pense qu'on devrait avoir une petite conversation avec Sybil Taylor, murmura-t-il. Mais pas cette nuit.
Ce fut au tour d'Anna de se montrer impatiente. Elle s'était toujours doutée que cette belle brune avait quelque chose de carrément louche.
Même avant d'apprendre que Sybil était une fae. Une fae, pour l'amour de Dieu, qu'est-ce que ça voulait dire? C'était l'occasion de découvrir ce que préparait exactement cette salope.
— Pourquoi attendre ? s'enquit-elle.
— D'une part je préférerais que notre entretien ait lieu dans un cadre un peu plus intime que Michigan Avenue. (Du bout des lèvres, il effleura l'oreille d'Anna.) Et d'autre part, elle se tient sur ses gardes en ce moment.
Si on ne la coince pas tout de suite, elle sera bien plus disposée à révéler ses secrets.
— Elle n'avouera rien si elle réussit à se volatiliser, souligna Anna tandis que Sybil traversait la large chaussée et disparaissait de leur champ de vision.
— Impossible.
Elle éloigna la tête de ces lèvres troublantes. Mon Dieu, ses hormones hurlaient presque du désir de se retourner dans ses bras afin de mettre un terme à la violente douleur qui sévissait en elle.
C'était dangereux. Stupide. Et indéniable.
Elle n'avait pas ressenti ce désir enivrant depuis cent quatre-vingt-quinze ans. À présent son corps savait exactement ce qu'il voulait. Et il le voulait tout de suite.
Anna prit une profonde inspiration, ordonnant à son cœur de ralentir.
— Comment peux-tu être si sûr de la retrouver?
— Personne, pas même un démon, ne peut échapper à un vampire en chasse, lui affirma-t-il avec morgue, caressant de la main la ligne de sa gorge. Personne.
Elle tourna la tête pour rencontrer son regard brillant.
— Est-ce une menace?
— Considère-le comme un avertissement amical.
— Tu devrais peut-être faire contrôler ta mémoire.
Un tremblement agita les lèvres de Cezar.
— Et pourquoi ça?
— Parce qu'au bout de cent quatre-vingt-quinze ans, c'est moi qui t'ai trouvé, et pas le contraire.
Le sourire de Cezar s'élargit. Bien sûr. Même si Anna était trop têtue pour le reconnaître tout haut, ils savaient tous deux qu'il l'avait délibérément attirée à Chicago.
— Si ça te fait plaisir de croire ça.
Elle se dégagea de son étreinte et commença à descendre la rue. Elle en avait eu assez pour une soirée. Assez de vampires, de faes et d'expériences de mort imminente.
— Au revoir, don Cezar.
Elle avait à peine fait un pas lorsqu'il lui barra la route, arborant une expression impitoyable.
— Où crois-tu aller?
— À ma chambre d'hôtel.
— Ne sois pas bête. Même en supposant qu'elle n'a pas été complètement détruite, Sybil va surveiller le bâtiment toute la nuit.
— Très bien. (Elle tourna les talons et se mit à marcher dans la direction opposée.) Dans ce cas, je vais en trouver un autre.
De nouveau elle avait à peine avancé d'un pas qu'il lui bloqua le passage, se déplaçant si rapidement qu'elle faillit lui rentrer dedans.
Il croisa les bras et la regarda, les sourcils arqués.
— Et quel hôtel va t'accepter sans argent ni bagages ni chaussures?
Qu'il ait raison ne fit que lui donner envie de lui assener un coup de poing sur le nez.
— Écoute, Cezar, j'en ai ma claque des vampires, des faes et Dieu sait quoi qui rôde à coup sûr dans le noir. Je veux juste aller me coucher et oublier avoir jamais été assez stupide pour venir à Chicago, sans parler de croire que tu pouvais répondre à mes questions.
Il observa son visage pâle pendant un long moment de silence.
— Et si je te promets de m'assurer que tu obtiennes ces réponses ?
Elle plissa les yeux.
— Tu en sais plus que tu le prétends, n'est-ce pas ?
Il rit doucement.
— Partager tout ce que je sais prendrait le prochain millénaire, querida.
— Waouh.
Son sourire s'évanouit et il tendit lentement sa main fine.
— Tu me fais confiance?
— Jamais.
Une lueur, peut-être de déception, brilla dans son regard, mais sa main ne trembla pas.
— Tu m'autorises au moins à t'emmener dans un endroit sûr pour la nuit ?
Anna baissa les yeux sur le bout de ses orteils nus et grinça des dents, obligée de reconnaître qu'elle n'avait nulle part où aller. À moins qu'elle veuille dormir dans la rue.
Tu parles d'un dilemme.
— On dirait que je n'ai pas vraiment le choix, marmonna-t-elle en mettant sa main dans la sienne à contrecœur.
Avec un petit rire, Cezar l'attira à lui et pencha la tête pour lui effleurer les lèvres d'un léger baiser.
— Anna Randal, tu n'as pas eu le choix depuis la première nuit où je t'ai aperçue.
Cezar feula tout bas et se força à relever la tête. Por Dios. Le parfum de cette femme l'enivrait, embrasant son âme. Il était torturé par le désir de goûter son sang sur sa langue, de sentir son corps souple et chaud se cambrer de plaisir sous le sien.
En même temps il était presque submergé par la compulsion de l'emmener loin de ceux qui la poursuivaient. De la cacher dans son repaire et de la protéger. Au prix de sa propre vie s'il le fallait.
Deux obsessions très dangereuses qui pouvaient entraîner la mort d'un vampire.
Que les oracles aillent au diable! Ils savaient. Ils savaient précisément quelle serait sa réaction quand cette femme réapparaîtrait dans sa vie.
Cezar se fit violence pour ne pas prêter attention à l'étrange malaise qui se développait dans son cœur et se concentrer sur Anna.
En dépit de son expression opiniâtre et de la lueur méfiante dans ses magnifiques yeux noisette, il percevait la peur, la confusion et la lassitude qui s'agitaient en elle.
Il devait l'installer bien au chaud dans un lit, avec un grand plateau-repas. Le plus tôt serait le mieux.
Lui prenant la main, Cezar invita sa compagne réticente à se mettre en marche. Elle n'hésita qu'un instant avant de pousser un profond soupir et de lui emboîter le pas.
— Où allons-nous ?
Cezar avait déjà examiné les possibilités qui s'offraient à lui. Les oracles ne l'avaient pas encore autorisé à conduire Anna auprès d'eux ni à lui révéler sa propre place au sein du Conseil. Et l'expérience lui avait appris à ne pas transgresser leurs ordres, même si la vie d'Anna était menacée. Mettre les oracles en rogne n'était jamais une bonne idée.
Son seul autre choix était Styx.
Ça aurait pu être pire.
— Chez un ami. Tu y seras en sécurité.
— Comment peux-tu en être si sûr?
Il afficha un sourire ironique.
— Crois-moi, rares sont les démons prêts à affronter le courroux de Styx. Il n'a pas reçu ce nom par hasard.
Elle lui décocha un regard perplexe.
— Styx ?
— On dit qu'il laisse une rivière de morts dans son sillage.
— Bon Dieu.
Cezar resserra doucement la main sur ses doigts.
— Ne t'inquiète pas. Sa compagne lui a enseigné à réduire au maximum les effusions de sang.
— Tu n'imagines pas l'ampleur de mon soulagement, déclara-t-elle d'un ton pince-sans-rire.
— En fait, tu l'as vu un peu plus tôt dans la soirée.
— Ah. (Un minuscule sourire effleura ses lèvres.) Le grand et séduisant Aztèque ?
Cezar plissa les yeux, un violent sentiment de jalousie poussant ses canines à s'allonger.
— Attention, querida. En plus d'être la compagne de Styx, Darcy est aussi une louve-garou très possessive. (Il attira Anna si près de lui que sa chaleur l'enveloppa.) Et même si elle acceptait de partager, je ne serais pas d'accord.
— Une louve-garou...
Une expression d'indignation toute féminine remplaça brusquement son choc. Une expression qu'elle avait perfectionnée dans les règles de l'art au cours des deux derniers siècles.
— Attends, qu'est-ce que tu entends par là ?
Il rencontra son regard sans détourner les yeux.
— Tu sais parfaitement ce que j'entends par là.
Elle chancela, puis releva le menton pour le foudroyer du regard.
— Tu dois être cinglé si tu crois que tu peux apparaître et disparaître de ma vie tous les quelques siècles et prétendre que je t'appartiens comme une espèce de lot de consolation.
— Un lot de consolation ?
— Putain, ce n'est pas drôle.
Elle frappa du pied, et grimaça lorsqu'elle heurta une pierre.
— Aïe !
Elle lui jeta un nouveau regard furieux et leva son pied nu pour le masser.
— On ne peut pas prendre un taxi?
— Je ne veux pas que quelqu'un sache où on est allés, surtout pas un chauffeur de taxi humain qui révélera tout, y compris le code de sa carte bleue, si un fae le subjugue.
Elle poussa un soupir exaspéré en entendant son explication parfaitement raisonnable.
— Dans ce cas, appelle ton ami et demande-lui de venir nous chercher, exigea-t-elle.
Cezar haussa les épaules.
— Je n'ai pas de téléphone portable.
— Tu te fous de moi. (Elle le dévisagea avec incrédulité.) Dans quel siècle tu vis ?
Cette fois il fut assez sage pour dissimuler son amusement. Même si Anna avait plus de deux cents ans, le monde dont elle faisait désormais partie ne lui était pas encore familier. Il lui faudrait du temps pour s'y adapter.
— Mes pouvoirs perturbent quelques appareils et commodités modernes.
La contrariété d'Anna se transforma en curiosité.
— Pourquoi ?
— Personne n'est parvenu à le découvrir. Il se trouve juste que l'aura de certains vampires détraque la technologie. Quelques-uns ne peuvent mettre un pied en ville sans couper tout le réseau électrique.
Heureusement, mes propres dérèglements se limitent aux téléphones portables et au wifi. Pas une bien grande perte.
— Ça ne doit pas être évident de télécharger tes pornos, du coup, railla-t-elle.
Dans un tourbillon de mouvements, Cezar accula Anna dans l'entrée d'un immense immeuble de bureaux, les bras serrés autour de sa taille et le visage enfoui dans la courbe de son cou.
Il n'avait pas relevé ses sarcasmes moqueurs car il comprenait qu'elle était terrifiée. Mais qu'il soit damné s'il tolérait que l'on calomnie ses aptitudes sexuelles. Surtout quand l'envie de la prendre là, au beau milieu de la rue, le torturait à mort.
— Les vampires n'ont pas besoin de ça pour les émoustiller, lui affirma-t-il.
Il effleura de ses canines la veine qui palpitait à la base de sa gorge avant de coller ses lèvres sur cette peau sensible. Elle frissonna, s'accrochant à ses bras comme si ses genoux se dérobaient soudain sous elle. Il fit courir ses lèvres le long de sa clavicule, se servant des dents et de la langue pour lui arracher des gémissements de plaisir.
— À quoi bon s'embêter avec du sexe virtuel quand on a ce qu'il faut dans la vraie vie ?
Relevant la tête, il s'empara de sa bouche d'un baiser qui trahissait le désir avide et ténébreux qui le tenaillait. Anna ne tarda pas à écarter les lèvres, laissant la langue de Cezar s'enrouler autour de la sienne pendant qu'il lui caressait le dos avec passion.
Anna pouvait gronder à sa guise, mais elle ne pouvait masquer le fait qu'elle le désirait toujours. La passion qui les habitait ne changerait pas, ne pourrait jamais changer. Peu importait le nombre de siècles qui s'écoulaient.
Submergé par le plaisir, Cezar la serra fort contre son corps douloureux, regrettant désespérément qu'ils ne se trouvent pas seuls dans l'obscurité d'une chambre, avec des draps de satin et des heures à passer enlacés.
Anna lui agrippa les bras et pencha la tête en arrière, le tirant de son fantasme.
— Cezar... attends.
Il empoigna le dos de sa robe délicate, les muscles tremblants sous l'effort qu'il fournissait pour maîtriser son désir.
— J'ai attendu deux siècles, murmura-t-il d'une voix rauque.
— Je sens le parfum de pomme.
Il se figea, les yeux plissés.
— Et?
— Et je perçois toujours cette odeur quand Sybil Taylor est dans les parages.
Les sens de Cezar se déployèrent et localisèrent aisément la fae qui descendait furtivement la rue sombre dans leur direction.
— Satanée fae.
Glissant la main derrière Anna, Cezar força sans aucun mal la porte de verre et d'acier, puis fit entrer brusquement sa compagne dans le vaste hall de marbre avant de l'y suivre.
— Comment a-t-elle bien pu nous trouver ? s'exclama-t-il.
Sans lui laisser le temps de répondre, il la poussa derrière un gros palmier puis il se posta près de la porte. Un mot prononcé tout bas, et l'obscurité l'enveloppa, le rendant invisible même aux yeux de la fae.
Seulement quelques minutes s'écoulèrent avant que Sybil vienne renifler l'entrée. Méfiante, elle franchit le seuil et scruta les ténèbres.
— Anna? appela-t-elle doucement, un petit cristal chatoyant entre ses doigts. Anna, vous êtes là?
Plus que mécontent qu'on interrompe son moment d'intimité, Cezar s'élança et emprisonna la fae dans ses bras.
— Comment as-tu fait pour nous suivre ? demanda-t-il en la serrant à lui faire mal quand elle tenta de se débattre.
— Lâche-moi, vampire.
— Mauvaise réponse.
Il appuya ses canines contre son cou, au point de faire couler son sang.
Elle poussa un petit cri, figée par la peur.
— Non... attends.
— Comment as-tu fait pour nous suivre ? répéta-t-il.
— J'ai eu recours à la cristallomancie, reconnut-elle, faisant référence à l'art de la voyance avec une boule de cristal.
Contrairement aux vampires, les faes étaient capables de pratiquer un peu de magie. Mais même ces créatures avaient besoin d'un élément de la personne faisant l'objet de leur recherche.
— Avec quoi ?
Le parfum de pomme devint presque insupportable tandis que Sybil s'efforçait de contenir son tempérament explosif. Les faes étaient des êtres sensibles, passant d'une émotion à l'autre avec une telle rapidité qu'un démon sage avait tendance à les éviter.
— J'ai volé sa brosse pour récupérer des mèches de ses cheveux, avoua-t-elle enfin entre ses dents.
— Pourquoi? Qu'est-ce que tu lui veux?
— Il y a une prime sur sa tête.
— Une prime ? (Anna sortit de derrière le palmier, le visage pâle.) Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
— Ça signifie que quelqu'un souhaite ta mort, querida, expliqua-t-il.
Il regretta aussitôt la brutalité de sa franchise quand elle écarquilla les yeux, choquée.
— Oh, mon Dieu!
— Pas ta mort, intervint Sybil. Ta capture.
Cezar déplaça son bras de façon à entourer de la main la gorge de la fae. Il lui suffisait de serrer pour la tuer. Pas aussi satisfaisant que de la vider de son sang, mais efficace.
— Qui offre cette prime ?
Elle hésita avant de marmonner tout bas un ignoble juron.
— La reine des faes.
Une sensation de froid étreignit le cœur de Cezar. Bon sang, il aurait dû écouter Anna plus attentivement quand elle lui avait parlé de ce qui était arrivé à sa tante et à sa cousine, deux siècles plus tôt. Il ne s'était pas douté que c'était lié aux dangers auxquels elle était à présent confrontée.
D'habitude, il n'était pas si bête.
— Pourquoi Anna l'intéresse-t-elle ? s'enquit-il d'une voix rauque.
— Je n'en ai pas la moindre idée. (Sybil darda un regard maussade du côté d'Anna.) Et je m'en fous.
Cezar resserra ses doigts.
— Tu veux que je fasse en sorte que ça compte ?
Elle cracha de douleur, et capitula, les mains levées.
— Écoute, j'ignore même si c'est Anna que la reine recherche.
— Explique-toi.
— Le bruit court que la reine offrira ses précieuses émeraudes au fae qui lui ramènera un humain ayant du sang des Anciens dans les veines.
Lorsque j'ai rencontré Anna dans la salle d'audience, j'ai immédiatement senti une espèce de pouvoir. Instable, mais très fort.
Anna grimaça en observant la fae.
— C'est pour ça que tu me suivais partout ?
— Eh bien, ce n'était pas à cause de ta personnalité charmante.
Anna s'avança vers elle, les poings serrés comme si elle envisageait de lui casser le nez. Cezar tira promptement Sybil en arrière. Même s'il appréciait les crêpages de chignon autant que n'importe quel vampire –
qui ne les aimait pas ? préférait découvrir la vérité avant d'être obligé de la tuer.
— Et les sorts que tu lui as jetés ?
Sybil sursauta.
— Comment es-tu au courant ?
Cezar ne tint pas compte de sa surprise ni du regard interrogateur d'Anna.
— Contente-toi de répondre.
— Ils étaient inoffensifs pour la plupart, marmonna Sybil. J'espérais la pousser à se servir de ses pouvoirs, pour être certaine qu'elle était celle que je cherchais avant de m'embêter à la kidnapper.
Anna s'étrangla.
— Sympa, articula-t-elle.
— Si ta seule intention était d'enlever Anna, pourquoi avoir allumé un feu devant sa porte ? demanda-t-il.
Cezar dut serrer de nouveau les doigts pour que Sybil glapisse sa réponse.
— Je me suis dit que tu l'avais emmenée dans sa chambre pour un petit encas. Je ne pouvais pas prendre le risque que tu la vides de son sang avant que j'aie pu la conduire devant la reine. Je savais qu'un incendie était le moyen le plus sûr de te faire déguerpir.
Anna eut le souffle coupé.
— Tu sais combien de gens ce feu aurait pu tuer?
— Que m'importent des humains? répliqua Sybil d'un ton déconcertant.
La plupart des créatures du monde démoniaque partageaient ce sentiment. Y compris les vampires. Oh, les humains faisaient parfaitement l'affaire pour un coup rapide dans une ruelle sombre et constituaient un repas commode, mais ils n'étaient pas réellement considérés comme des denrées de valeur. Il y en avait tellement.
L'expression d'Anna, cependant, empêcha Cezar d'ouvrir la bouche.
Il était bien plus malin qu'il n'en avait l'air.
— Mon Dieu, tu... (Anna s'interrompit pour se couvrir le visage de ses mains tremblantes.) C'est ridicule. Je ne peux pas être celle que tu recherches.
Cezar lutta contre le besoin instinctif de se précipiter auprès d'elle pour la tenir dans ses bras. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez lui ? Il était un ancien conquistador, un guerrier, un prédateur. Jusqu'à ce que les oracles s'octroient le contrôle de sa vie, il avait tué sans pitié et pris ce qu'il voulait sans rien demander.
Le monde frémissait sur son passage.
À présent, il n'avait qu'une envie : réconforter une femme qui avait peur et se sentait seule.
D'un air sévère, il reporta son attention sur la fae qui profitait de sa distraction pour tenter de s'échapper. Avec un grondement sourd, il baissa la tête jusqu'à ce que ses canines lui touchent le cou.
— As-tu informé la reine que tu avais trouvé Anna ?
Elle poussa un tout petit cri.
— J'ai peut-être bien envoyé un message au sujet d'un cadeau spécial que je comptais apporter à Sa Majesté.
Cezar jura tout bas. Si la reine se déplaçait à Chicago, ils auraient de gros problèmes. Elle avait un sale caractère et des pouvoirs anciens dont elle n'hésitait pas à se servir sans se soucier des dégâts qu'elle pouvait engendrer.
Il devait prévenir les oracles.
Mais chaque chose en son temps.
Saisissant l'essentiel du sens des injures espagnoles de Cezar même sans en comprendre les mots, Anna s'avança vers lui, l'expression préoccupée.
— Cezar?
— Il faut que je t'emmène auprès de Styx.
Elle porta son regard sur la fae emprisonnée dans ses bras.
— Qu'est-ce que tu vas lui faire?
Il grimaça.
— Elle vient avec nous. Elle détient peut-être des informations qui nous seront utiles.
Sybil recommença à se débattre.
— N'y comptez surtout pas !
— Tu nous accompagnes ou je te tue, dit-il d’une voix assez froide pour faire entendre à la fae qu’il était sérieux.
— C’est bon, je viens.
— C’est ce que je pensais.
CHAPITRE 4
Quand Cezar avait dit à Anna qu'ils resteraient chez son ami vampire, elle n'avait pas su à quoi s'attendre. Où vivaient ces créatures ?
Dans des cryptes ? Dans les égouts? Dans les flammes de l'enfer?
Il s'était révélé que les vampires vivaient dans de gigantesques et élégantes propriétés pourvues de portails de fer, de caméras de surveillance, de gardes et d'une putain de pelouse plus vaste que nombre de pays du tiers-monde.
Et valant sans aucun doute deux fois plus.
Si Anna n'avait pas été si lasse et affamée et que cette étrange nuit ne l'avait pas rendue carrément folle, elle aurait peut-être refusé d'emprunter l'allée bordée d'arbres qui serpentait jusqu'à l'immense manoir de style colonial.
En l'occurrence, la pensée d'un lit douillet et d'un toit au-dessus de sa tête la ravissait tant qu'elle remercia d'un air hébété l'imposant Styx et sa jolie compagne qui les accueillirent dans le vestibule de marbre. A la vue de son visage blafard, ils lui firent aussitôt gravir l'escalier majestueux pour la conduire dans une chambre d'amis.
Avec sa salle de bains attenante, elle était aussi spacieuse que son appartement à Los Angeles ; cependant Anna n'eut pas le temps d'en apprécier le décor lavande et ivoire que déjà elle s'immergeait dans une baignoire pouvant contenir une équipe de football américain au grand complet, avec encore de la place pour une ou deux pom-pom girls.
Quand sa peau fut devenue toute fripée, Anna enfila un peignoir en tissu éponge judicieusement laissé près du lavabo et rejoignit le grand lit.
Son ventre gargouilla lorsqu'elle se jucha sur le bord du matelas, mais ses jambes rechignaient à l'emmener loin de cette pièce agréablement paisible.
De l'autre côté de la porte se trouvait une pléthore de créatures que la plupart des gens croyaient mythiques. Des vampires, des loups-garous, des faes...
Certes, Anna s'était déjà doutée que les humains n'étaient pas les seuls à arpenter la terre. Par l'enfer, elle en était la preuve vivante. Et au cours des années, elle avait envisagé plus d'une fois la possibilité que Cezar puisse être un vampire.
Mais soupçonner que des monstres sortis tout droit des films hollywoodiens rôdaient dans le noir n'avait rien à voir avec être leur invitée.
Elle était encore en train de décider si oui ou non c'était une bonne idée de se tapir dans son lit quand la porte de la chambre s'ouvrit et que la compagne de Styx, Darcy, passa la tête par l'entrebâillement.
— Je peux entrer?
Anna sourit instinctivement. Darcy n'avait pas l'air d'une louve-garou. À vrai dire, elle ressemblait à une adorable gamine, avec ses cheveux blonds hirsutes, ses immenses yeux verts et son visage en forme de cœur. Elle était aussi dotée d'une de ces personnalités qui mordaient dans la vie à pleines dents et vous faisaient fondre sur-le-champ.
Même Styx à la mine sévère n'avait pas réussi à cacher l'adoration absolue qu'il lui vouait.
— Bien sûr.
Après avoir poussé la porte avec son pied, Darcy s'avança avec un grand plateau qu'elle posa à côté d'Anna.
— J'ai pensé que vous auriez peut-être faim.
Anna huma une bouffée enivrante des délicieux effluves qui se répandaient dans l'air.
— À vrai dire, je suis affamée.
— Tant mieux.
Avec une charmante absence de cérémonie, Darcy s'installa sur le lit, replia son pied nu sous elle, et dévisagea ouvertement son invitée. Anna dissimula un sourire en se disant que cette femme ressemblait plus à une adolescente qu'à une bête redoutable, dans son vieux jean et son tee-shirt.
— Je vous ai apporté une salade de fruits frais et des lasagnes aux courgettes. Comme je suis végétarienne, je n'avais pas de viande chez moi quand vous êtes arrivée, mais je pourrai me procurer tout ce qui vous ferait plaisir demain.
Anna cligna des yeux, étonnée.
— Mais je croyais...
— Oui?
Gênée, Anna baissa vivement la tête et prit une bouchée de lasagnes.
— Ce n'est rien.
— Je vous en prie, posez-moi toutes les questions que vous souhaitez, Anna.
Celle-ci déglutit, se demandant intérieurement si ce n'était pas impoli de s'enquérir auprès d'une personne de l'espèce à laquelle elle appartenait.
— C'est juste que Cezar m'a dit que la compagne de Styx était une louve-garou.
— C'est exact.
— Oh.
Anna releva la tête pour rencontrer son regard vert amusé.
— Mais vous ne mangez pas de viande ?
Darcy grimaça.
— Je ne vais pas vous ennuyer avec l'histoire de ma vie, mais en gros j'ai été génétiquement modifiée. Même si je possède quelques caractéristiques des loups-garous, je ne me transforme jamais ni ne suis tiraillée par la soif de sang. (Elle gloussa soudain.) Enfin, sauf quand mon compagnon a besoin d'être remis à sa place.
Ah, une femme comme elle les aimait.
Anna sourit en avalant une autre grosse bouchée de pâtes.
— S'il ressemble un tant soit peu à Cezar, je dirais que ça doit arriver tous les jours.
— Cela semble effectivement être un trait vampirique.
En fait, Anna était convaincue qu'il s'agissait d'un trait masculin.
Elle fourra un morceau de pastèque dans sa bouche.
— C'est délicieux.
— Je n'y suis pour rien. (Darcy tendit le bras pour piquer un gressin.) J'ai persuadé la gouvernante de Viper d'entrer à mon service, et elle fait des merveilles en cuisine. Elle m'aide à lancer une nouvelle boutique de produits diététiques proposant des plats préparés.
Anna termina ce qui restait des lasagnes avant que sa compagne cleptomane puisse en chaparder un bout.
— A en juger par ce que j'ai goûté, ça va faire un tabac.
Ensemble, elles liquidèrent la salade de fruits puis, avec un profond soupir de satisfaction, Anna s'essuya les mains et repoussa le plateau.
Lorsqu'elle fut confortablement installée, une montagne d'oreillers dans le dos, Darcy se remit à la dévisager avec cette curiosité non dissimulée.
— Cezar a indiqué que vous étiez avocate?
— À Los Angeles.
— Ça vous plaît ?
Anna haussa les épaules. Elle s'était inscrite à la faculté de droit quand une grosse société avait acheté tout l'immeuble d'appartements à loyers modérés où elle vivait et avait joyeusement jeté les vieux et les pauvres à la rue pour réaliser des bénéfices.
Il y aurait toujours des injustices dans le monde, mais Anna en avait marre de rester sur la touche. Ce jour-là, elle avait décidé qu'il était grand temps d'entrer dans le jeu.
— J'aime bien gagner, avoua-t-elle avec un sourire contrit.
— C'est logique.
Un bref instant de silence s'installa pendant lequel Darcy, la tête inclinée, observa son invitée avec une intensité étrange.
Finalement, Anna s'éclaircit la voix, mal à l'aise.
— Vous pouvez me poser toutes les questions que vous souhaitez, Darcy, dit-elle, reprenant les propres paroles de son hôtesse.
— De par mon éducation, j'ai toujours cru être humaine, alors tout cet univers démoniaque est nouveau pour moi, reconnut cette dernière, faisant sursauter Anna. Je sais que vous n'êtes ni une vampire ni une louve-garou, mais...
Darcy avait évoqué avoir été génétiquement modifiée, se rappela Anna, ce qui devait expliquer pourquoi elle n'avait pas eu conscience de son hérédité. Anna se sentit d'autant plus proche d'elle. Elle n'était pas seule dans ce monde complètement fou. Darcy comprendrait sa confusion.
— À vrai dire, j'ignore ce que je suis, lui confia-t-elle.
Elle ressentit un étrange soulagement à se décharger du secret qui l'avait emprisonnée et isolée des autres pendant tant d'années.
Apparemment, avouer la vérité était véritablement une délivrance.
— J'espère que Cezar pourra me l'apprendre.
Darcy ne parut pas du tout choquée. En fait, elle avait juste l'air intriguée.
— Pourquoi Cezar ?
Anna cligna des yeux à cette question inattendue.
— Nous nous sommes connus il y a longtemps. Des siècles. Quand j'ai aperçu sa photo dans le Los Angeles Times qui indiquait qu'il se trouvait à Chicago, j'ai sauté dans un avion pour avoir une explication avec lui. Je pensais... (La naïveté de ses suppositions la fit grimacer.) J'en ai voulu à Cezar pendant toutes ces années pour m'avoir rendue différente.
— Pourquoi le mettre sur le dos de Cezar ? demanda Darcy.
Quand Anna rougit à l'évocation de ces souvenirs intimes, elle lui décocha un sourire espiègle.
— Ah, ça ne fait rien.
— J'ai été idiote de venir ici. (Anna secoua la tête.) Je suis venue chercher des réponses, mais chaque fois que ce vampire apparaît dans ma vie, celle-ci devient un enfer.
— Vous n'avez pas été idiote, Anna. (Darcy lui toucha le bras avec douceur.) Aussi difficile soit-il de découvrir la vérité, c'est toujours mieux que de se poser des questions en redoutant d'avoir un truc qui ne tourne pas rond. Vous pouvez me croire, je le sais.
— Oui. (Anna esquissa un sourire empreint de lassitude.) Vous avez raison.
— Et vous pouvez être sûre que Styx comme moi-même ferons tout notre possible pour que vous soyez en sécurité.
— C'est très gentil.
Darcy écarta d'un geste la gratitude sincère d'Anna et se leva, un sourire aux lèvres.
— Et vous savez, Cezar est un type bien, même dans le monde des vampires où ce terme revêt une tout autre définition. Vous devriez vous détendre et profiter de votre séjour ici.
Elle ne prêta pas attention à l'expression interloquée d'Anna et se dirigea vers la porte.
— Je vais vous laisser vous reposer en paix, ajouta-t-elle. Je vous apporterai plus tard quelque chose à enfiler pour dormir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, passez juste la tête par la porte et criez. Mon ouïe est excellente.
Anna ne put s'empêcher de rire. Il était tout simplement impossible de ne pas aimer cette jeune femme.
— Un truc de loup-garou? la taquina-t-elle.
— Être spéciale a certains avantages, même si je n'apprécierais pas que vous m'appeliez Cujo.
— Spéciale ?
— C'est ce que nous sommes, Anna, ne pensez jamais qu'il en soit autrement.
Spéciale? Hmmm. Mieux que monstre, mais encore à une très grosse lieue de normale.
— Je devrai vous croire sur parole.
Cezar arpentait le bureau de Styx avec nervosité. En toute autre circonstance, il aurait pu être ravi d'avoir l'occasion d'explorer les précieux manuscrits soigneusement conservés dans une vitrine ou les nombreux volumes reliés en cuir qui tapissaient les murs et racontaient en détail l'histoire de son peuple. Ou même les piles de requêtes sur le bureau en acajou.
En tant que roi de tous les vampires, le fardeau éreintant de dirigeant incombait à Styx, mais il avait aussi accès à des trésors inestimables rassemblés au cours des millénaires.
Ce soir-là, néanmoins, Cezar n'était pas en mesure d'apprécier son environnement. Il luttait plutôt contre l'envie brûlante de se précipiter hors de la pièce pour découvrir où Anna avait été emmenée.
Était-elle seule et effrayée dans une chambre inconnue? Lui avait-on apporté à manger? Avait-elle besoin...
Por Dios. Il poussa un grondement guttural. Cette femme le rendait fou. Heureusement ses sombres ruminations furent interrompues par l'arrivée de Styx, qui referma et verrouilla la porte. Cezar était sûr que ce bureau avait été insonorisé et ensorcelé de façon à garantir le caractère privé de leur entretien.
Styx n'était vraiment pas du genre à faire les choses à moitié.
— La fae est maîtrisée ? demanda Cezar alors que Styx traversait la pièce pour se jucher sur le bord du bureau.
Entièrement vêtu de noir, le roi avait exactement l'air de ce qu'il était. Un grand prédateur redoutable qui tuerait sans pitié.
Un sourire dur se dessina sur ses lèvres.
— Elle est enfermée dans une cellule spécialement construite pour étouffer ses pouvoirs magiques.
— D'autres pourraient tenter de la sauver.
— Toute la propriété est sous surveillance et j'ai posté un garde à sa porte. Tu peux me croire, Gunter ne laissera passer personne.
Cezar lui adressa une petite révérence. Venir trouver son chef avait été une sage décision.
— Je te remercie, mon seigneur.
Styx esquissa un signe de la main.
— Tu n'as qu'à demander, Cezar, et je ferai tout mon possible pour t'aider.
— Pour l'heure, que tu protèges Anna est ma plus grande requête.
— Bien sûr. (Styx croisa les bras.) Tu as découvert qui menace cette femme ?
Cezar grimaça en ôtant la veste de son smoking, qu'il jeta de côté. Sa cravate de satin blanc subit un sort similaire.
— La fée Morgane.
Un silence choqué envahit la pièce. Un voile de mystère enveloppait la reine des faes. Le bruit courait qu'un regard lui suffisait pour ensorceler et attirer entre ses griffes même les plus puissantes des créatures, mais elle quittait si rarement sa retraite secrète qu'il était impossible de déterminer ce qui relevait de la réalité ou de la simple légende. Elle était aussi bien un songe brumeux qu'une vraie femme.
— Tu en es sûr ? s'enquit finalement Styx.
— Autant que je peux l'être à ce stade. (Cezar secoua la tête avec fureur.) Por Dios, j'ai été si stupide. Si aveugle
— Comment aurais-tu pu le savoir ?
Cezar se remit à faire les cent pas, conscient qu'il ne pouvait rien cacher à Styx s'il souhaitait bénéficier de son aide.
— J'ai rencontré Anna à Londres il y a presque deux siècles, avoua-t-il à contrecœur, faisant tourner la lourde chevalière à son doigt. A l'époque, je ne m'étais pas aperçu qu'elle n'était pas juste une jolie jeune fille que je désirais.
— Que s'est-il passé ?
— Je l'ai séduite.
— Ça n'a rien de surprenant pour toi, en ce temps-là, fit remarquer Styx d'un ton pince-sans-rire. Si je me rappelle bien, tu as conquis plusieurs dames londoniennes.
A ce souvenir, un sourire effleura les lèvres de Cezar. Ah, oui.
Pendant près de trois cents ans, il s'était servi de ses pouvoirs pour satisfaire son amour des femmes. Peu importait qu'elles soient humaines ou démons. Tant qu'elles étaient belles.
Une agréable période, mais les désirs insatiables qui le tourmentaient autrefois s'étaient envolés la nuit où il avait rencontré Anna Randal.
Elle lui avait appris que la passion renfermait des profondeurs qu'il n'avait auparavant jamais explorées.
Et tandis qu'il s'était délecté de son corps, il avait été inconscient du mal qui la pourchassait.
— Pas comme Anna, dit-il d'une voix rauque. J'ai senti qu'elle n'était pas une simple mortelle dès que je l'ai touchée, mais je n'ai pas tenu compte de mon instinct. Je la voulais, et rien n'aurait pu m'arrêter. Si seulement j'avais écouté...
— Quoi ?
— Elle m'a parlé de sa cousine Morgane, mais je n'ai pas envisagé une seconde qu'il pouvait s'agir de la reine.
Il serra les poings.
Styx s'écarta du bureau et traversa la pièce pour poser une main ferme sur son épaule.
— Quoi de plus normal? souligna-t-il. Les humains l'ont toujours considérée comme un mythe ou une légende. Encore aujourd'hui, ils n'hésitent pas à donner à leurs enfants le nom de cette salope perfide.
Cezar afficha un sourire ironique.
— Je crois que j'avais surtout l'esprit ailleurs à ce moment précis. Et, bien sûr, cette vilaine entrevue avec les oracles est intervenue seulement quelques instants après que j'eus savouré les délices qu'Anna avait à offrir.
Il frissonna en se souvenant de l'éclair de lumière suivi par l'apparition des huit vénérables oracles. Il était étendu nu sur le lit, absolument comblé, lorsqu'ils étaient arrivés, leur mine sévère révélant l'ampleur de leur colère.
— Que j'aie goûté au prochain membre du Conseil ne leur a pas plu, ajouta-t-il.
Styx haussa les sourcils.
— Ils sont vraiment entrés dans la chambre ?
— Après s'être assurés d'avoir plongé Anna dans un sommeil de plomb.
— C'est pour cette raison que tu as été obligé de les servir.
Cezar avait effectivement cru cela au cours des deux derniers siècles.
Et les oracles n'avaient rien fait pour le détromper.
Mais dès qu'Anna avait posé le pied dans cet hôtel de Chicago, il s'était noyé dans la perception de sa présence. Chacun de ses sens était entré en résonance avec elle comme si elle était la seule femme de ce fichu monde.
— Je commence à soupçonner que ce n'est pas l'unique explication, marmonna-t-il.
Styx le dévisagea, les sourcils arqués.
— Quoi alors ?
— Il existe certains sujets que je ne souhaite pas aborder, pas même avec toi, mon seigneur.
Un sourire, presque de suffisance, se dessina sur les lèvres du vampire.
— Ah.
Cezar se renfrogna, refusant farouchement de penser à ce qui avait pu amuser son ami.
Ce ne pouvait être bien.
Il tourna plutôt son esprit vers des questions plus importantes.
— Anna n'a pas uniquement parlé de sa cousine, cette nuit-là, déclara-t-il, maudissant de nouveau sa stupidité.
— Qu'a-t-elle dit d'autre ?
— Après la nuit que nous avons passée ensemble, elle est rentrée chez elle et a trouvé sa maison réduite en cendres. Elle a supposé que sa tante et sa cousine avaient péri dans l'incendie. Elle a certainement vu juste concernant sa tante.
— L'œuvre de Morgane ?
En prenant conscience qu'il avait manqué de peu de perdre Anna, une rage violente et mordante le transperça. Il tuerait tous ceux qui la menaceraient.
Même la reine des faes.
— Elle ne pouvait pas savoir que la docile Anna, au lieu de dormir dans son propre lit, était emprisonnée dans un sommeil magique sous un autre toit, lâcha-t-il, les canines complètement allongées. C'était le premier attentat à sa vie.
Styx hocha lentement la tête.
— Morgane a dû penser qu'elle était morte.
— Jusqu'à ce que ses pouvoirs commencent à se manifester. Dès que la reine les a sentis, elle a demandé à ses faes de chercher celui qui possédait le sang des Anciens.
— Le sang des Anciens. (Les sourcils froncés, Styx posa les yeux sur sa vaste collection de livres.) Je croyais que Morgane était la dernière de sa lignée ?
— Moi aussi, reconnut Cezar en haussant les épaules.
— D'après toi, elles sont parentes ?
— Elles doivent l'être plus ou moins.
— Et maintenant elle est destinée à devenir une oracle. (Styx reporta son attention sur Cezar, son pouvoir redoutable couvant dans son regard sombre.) Intrigant.
— Non, dangereux, rectifia Cezar.
Il reconnaissait l'expression qui était apparue sur le visage de son ami. Elle annonçait en général qu'il allait appeler ses frères à se battre. Et alors que Cezar était à fond pour que la Salope des Faes se fasse massacrer, de préférence sous ses yeux, il avait d'abord besoin d'obtenir des réponses. Sinon il ne serait pas assuré que la menace qui pesait sur la vie d'Anna disparaîtrait avec la reine.
— J'ignore ce que la fée Morgane veut à Anna, mais j'ai l'intention de le découvrir. Quand on le saura, on pourra l'inviter à une petite réunion de famille.
Un sourire se dessina lentement sur les lèvres de Styx.
— Je vote pour qu'on organise un barbecue.
CHAPITRE 5
Les brumes d'Avalon n'étaient pas une légende. Ce bouclier magique s'étendait sur des kilomètres autour de l'île, la dissimulant aux yeux humains et empêchant les démons de s'y aventurer.
Nul n'était autorisé à y pénétrer à moins d'être invité par la reine. Et quiconque était assez stupide pour tenter de déjouer ses barrières ne tardait pas à se repentir d'avoir déplu à la fée Morgane. Une leçon qui avait rarement besoin d'être répétée.
Principalement parce qu'il était mort.
Ce jour-là les brumes étaient d'un gris sombre et menaçant, reflétant l'humeur de Morgane qui arpentait le tapis de velours de sa salle du trône.
Une pièce incroyablement impressionnante, agrémentée d'une rotonde de verre et aux murs tendus de tapisseries délicates qui feraient pleurer d'envie un artisan humain. Juste en dessous du dôme s'élevait une estrade ronde accueillant un trône en or. Et de part et d'autre de ce dernier se tenaient deux faes.
Ils étaient... parfaits.
Parfaitement assortis, avec de longs cheveux blonds qui retombaient jusqu'à leur taille et des traits ciselés par les mains d'un ange.
Parfaitement nus, pour dévoiler leurs corps musclés. Parfaitement formés pour ne laisser transparaître aucune émotion sans autorisation.
Parfaitement parfaits.
Morgane n'en exigeait pas moins.
Non pas qu'elle prît la peine de regarder de leur côté. Elle continua plutôt à faire les cent pas, sa robe d'une blancheur éclatante flottant autour de sa grande et svelte silhouette et sa magnifique crinière de boucles rousses chatoyant à la lueur des bougies. Lorsqu'elle sentit le fae approcher, elle s'obligea à rejoindre son trône pour s'y asseoir.
Elle se composa un visage calme, ses jolis traits impassibles et ses yeux verts abrités derrière la fine dentelle de ses cils. Son expression ne changea pas lorsque l'homme grand et exceptionnellement musclé, aux cheveux noirs bouclés et aux yeux bleus, entra dans ses appartements.
Une créature superbe. Et un amant merveilleux. Quel dommage qu'il se soit révélé décevant.
Elle l'observa en silence et attendit qu'il tombe à genoux devant elle et colle son front au tapis.
— Vous m'avez fait appeler, Votre Majesté?
Elle ignora sa voix, qu'il avait travaillée pour qu'elle lui envoie des frissons le long de la colonne vertébrale. De ses longs ongles peints d'un cramoisi profond, elle tapota le bras doré de son trône.
— M'évitais-tu, Landes ? demanda-t-elle doucement.
Le fae releva la tête pour la dévisager d'un regard méfiant.
— Non, je brûle de me baigner dans votre beauté. Je tremble du désir de vous vénérer.
— Charmant, mais ce n'est pas ce que je souhaite entendre. (Elle se pencha en avant.) Aurais-tu oublié, mon chéri, que dès que tu serais entré en contact avec Sybil, tu devais m'en informer ?
Il pâlit sous son regard fixe.
— N... non.
— Alors pourquoi m'as-tu laissée dans l'attente ?
— J'ai rencontré des difficultés, ma Reine.
Morgane surmonta l'envie de lui mettre son pied dans la figure. Que cet imbécile aille au diable. Elle n'avait que faire de ses pitoyables excuses.
Elle voulait des résultats.
— Qu'est-ce qui a bien pu se révéler difficile dans une tâche aussi simple ? s'enquit-elle.
Au-dessus de la rotonde, la brume tourbillonna dans l'orage qui se préparait.
Landes jeta un regard nerveux vers le ciel avant de déglutir.
— Sybil n'a pas répondu à ma sommation.
— Tu as ouvert un portail?
— Bien sûr, Votre Majesté, mais quelque chose s'oppose à mes efforts.
— Quelque chose ?
— J'ignore ce que c'est. (Il tendit les mains au-dessus de lui, le visage suppliant.) C'est comme un brouillard que je ne peux traverser.
Une rage noire afflua dans le sang de Morgane qui se leva avec lenteur. Elle avait consacré des siècles à détruire la lignée de son frère. À
s'assurer que chacun de ses ennemis reposait sous terre, mort.
Et, durant une courte période, elle avait été certaine d'avoir réussi.
Deux cents ans auparavant, elle avait tué Anna Randal, la dernière de cette satanée famille. Elle s'était enfin soustraite à son destin.
Mais d'une façon ou d'une autre, elle en avait oublié un.
On ne pouvait se méprendre sur les pouvoirs grandissants qu'elle percevait. Des pouvoirs qui auraient dû être éradiqués du monde.
Sa crainte était réapparue et elle l'avait fait savoir aux faes. Deux jours plus tôt Sybil lui avait signalé qu'elle avait identifié celui qu'elle recherchait. Elle lui avait aussi promis de l'amener à Avalon.
Sybil n'était jamais arrivée, et Landes avouait à présent ne pas pouvoir la joindre par le biais d'un portail.
Morgane se pencha, empoigna Landes par le menton et le releva brusquement.
— De toute évidence, je t'ai surestimé, Landes.
Il écarquilla ses yeux magnifiques.
— Non. Je la trouverai, je vous le jure sur ma vie.
Avec un sourire froid, Morgane déposa un léger baiser sur ses lèvres.
— Trop tard, mon beau garçon. J'ai décidé de m'occuper personnellement de la situation.
Alors que son baiser se faisait plus profond, Morgane appuya les mains contre le torse nu du fae, se servant de ses pouvoirs pour aspirer sa vie hors de son grand corps.
Il se débattit un moment avant de soupirer doucement et de s'écrouler. Morgane enjamba son cadavre avec indifférence et, au geste de sa main, les deux gardes se précipitèrent pour sortir le fae mort de la salle du trône.
Après avoir attendu que les portes se referment derrière eux, elle pencha la tête en arrière et hurla de frustration.
Comment les Parques osaient-elles continuer à l'accabler ?
Elle était reine. La chef bien-aimée de tous les faes. Elle devrait honorer le monde de sa beauté. Elle devrait être vénérée de tous. Au lieu de quoi, elle était obligée de se cacher dans les brumes de son île, à vivre dans la crainte constante que l'ultime vengeance de son frère ne soit tapie juste hors de sa vue.
— Tu as cassé un autre de tes jouets ? demanda une voix féminine aiguë. Combien de fois t'ai-je mise en garde contre ces accès de colère ?
Pivotant sur ses talons, Morgane regarda la vieille femme rabougrie aux vilaines touffes de cheveux collées sur le crâne et aux yeux entièrement blancs entrer dans la salle en traînant les pieds. La reine grimaça, écœurée par son odeur infecte de dents gâtées et d'un récent sacrifice bestial.
Modron avait enlevé Morgane dans son berceau alors qu'elle n'était qu'un bébé et l'avait élevée comme le sien. Ce n'étaient pas ses sentiments, cependant, qui empêchaient Morgane de tuer cette créature répugnante. Cette femme était une puissante prophétesse. Un pouvoir rare, même parmi les faes.
— Ferme-la, espèce de vieille sorcière, lâcha-t-elle avec hargne en se jetant sur son trône, la mine renfrognée. J'ai suffisamment de problèmes sans devoir entendre tes remontrances ennuyeuses.
La femme gloussa, et traversa la salle pour se poster devant elle avec une aisance remarquable pour une aveugle.
— Grognon.
— Je ne suis pas grognon mais furieuse.
Morgane agita une main devant son nez, son propre parfum de grenade se répandant pour masquer la puanteur de la sorcière.
— J'ai consacré un millénaire à me débarrasser de la lignée de mon frère. J'étais certaine qu'Anna était la dernière quand je l'ai brûlée à Londres. Cette famille devrait avoir disparu. Elle devrait être éradiquée de la surface de la Terre.
Modron secoua la tête.
— Elle est comme les cafards. Elle refuse d'être exterminée.
Morgane frappa du poing le bras de son trône.
— Pas cette fois-ci.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?
— Aux dernières nouvelles, Sybil se trouvait à Chicago.
Le sourire de la sorcière s'évanouit, dissimulant par bonheur ses dents gâtées.
— Tu as l'intention de te rendre là-bas?
Morgane plissa les yeux.
— Nous nous y rendrons toutes les deux.
Modron cracha puis empoigna la robe en laine élimée qui couvrait son corps chétif.
— Quitter Avalon ? Non. C'est trop dangereux.
Morgane se pencha pour la gifler avec une telle force qu'elle l'envoya rouler sur le tapis.
— Tu aurais peut-être dû y penser avant de prédire ma mort.
Après s'être réinstallée sur son trône, Morgane leva les yeux vers la brume noire.
— Je sais que tu es là, à te cacher comme un lâche, mais je viens te chercher, souffla-t-elle.
Ses cheveux tournoyèrent alors que son pouvoir jaillissait hors d'elle.
Si elle ne voyait pas sa proie, elle sentait ses aptitudes naissantes.
— Et quand je t'aurai trouvé, je t'arracherai le cœur de la poitrine, ajouta-t-elle.
Bien qu'on lui ait donné une chambre à coucher située dans une autre aile du manoir que celle d'Anna, Cezar se réveilla dès qu'il entendit hurler dans le lointain.
Avec une vitesse dont seul un vampire pouvait faire preuve, il fonça dans le couloir, soulagé intérieurement que la maison ait été correctement protégée contre le soleil de fin d'après-midi. Évidemment, il n'en attendait pas moins de la part de Styx.
Le hurlement vibrait encore dans l'air lorsque Cezar ouvrit brusquement la porte. Prêt à se battre, il franchit le seuil, deux poignards à la main et une paire de pistolets attachés sur le torse, alors même qu'il ne portait qu'un boxer de satin noir.
Être le gardien des oracles constituait une bonne formation.
Une rapide inspection de la pièce plongée dans l'obscurité et de la salle de bains attenante lui assura que personne n'était tapi dans un coin.
Il s'approcha du lit et trouva Anna profondément endormie, qui se débattait dans les affres d'un cauchemar, son beau visage empourpré.
Une soudaine et violente vague de soulagement fit presque tomber Cezar à genoux alors qu'il posait ses armes sur la table de nuit. Il se glissa ensuite sous les couvertures pour prendre le corps tremblant d'Anna dans ses bras. Por Dios. Il avait craint...
Par l'enfer, il ne souhaitait pas penser à ce qu'il avait redouté. Pas à présent qu'il enlaçait étroitement cette femme qui s'agrippait instinctivement à ses bras, son cœur battant avec frénésie contre son torse.
Un moment, Cezar savoura la sensation de son corps chaud épousant le sien avec ferveur. Il avait attendu près de deux siècles pour ressentir de nouveau ce plaisir grisant. Pour simplement la tenir contre lui.
Le visage enfoui dans ses douces boucles, il s'immergea dans son parfum suave et légèrement fruité, traçant des mains un chemin apaisant sur la courbe de son dos.
Elle ne portait qu'un petit bout de soie et de dentelle que Darcy devait lui avoir prêté, mais pour l'instant Cezar se préoccupait plus de calmer sa peur que d'attiser son désir.
— Chuut, Anna, ne cessa-t-il de murmurer en lui effleurant l'oreille du bout des lèvres.
Peu à peu, les tremblements de celle-ci s'atténuèrent et l'espace de quelques divines minutes elle se blottit contre son corps ferme, comme cherchant un réconfort auprès de lui. Cezar la serra plus fort, sans cesser de chuchoter à son oreille.
Une paix étrange se répandit dans son cœur et il comprit que, s'il en avait eu le pouvoir, il aurait peut-être arrêté le temps en cet instant précis.
Tenir cette femme entre ses bras, son corps svelte le baignant de sa chaleur, le monde paraissant lointain.
Mais alors qu'il était un guerrier accompli, un gardien bien entraîné et un homme d'une grande érudition, ses talents n'incluaient pas l'aptitude à arrêter le temps.
Anna soupira doucement, son souffle caressant la peau nue de son torse, puis ouvrit les yeux et le regarda d'un air hébété.
— Cezar?
— si.
Elle qui s'agrippait auparavant à lui, se mit à le repousser.
— Qu'est-ce que tu fous dans mon lit?
Il refusa de bouger. Derrière la stupéfaction d'Anna de le trouver dans son lit, sa peur persistait. Son rêve l'avait secouée et Cezar n'avait pas l'intention de partir avant d'avoir découvert ce qui avait bien pu l'effrayer.
— Tu hurlais dans ton sommeil. (Il posa la tête sur un oreiller et scruta son visage tendu.) Je me suis dit que je ferais mieux de te réveiller avant que les flics viennent mener leur enquête.
Ses superbes yeux noisette s'assombrirent lorsque le souvenir du rêve lui revint.
— Oh.
— Raconte-moi.
— Quoi ?
— Ton rêve.
Elle fronça brusquement les sourcils.
— Pourquoi ?
Il hésita avant de répondre. Être plongée dans un monde dont elle connaissait à peine l'existence la terrifiait déjà. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était qu'elle soit complètement paniquée en apprenant que certains démons étaient capables de parler, et même d'attaquer, à travers les rêves.
— Ce pourrait être important, querida, murmura-t-il finalement.
— Qu'est-ce qu'un rêve pourrait avoir d'important ?
— Je ne peux pas le savoir si tu ne me le racontes pas.
Il observa son expression obstinée. Elle s'était braquée et sa mauvaise humeur la poussait à s'opposer même à la plus raisonnable des demandes. De toute évidence une nouvelle tactique s'imposait. Avec un sourire, il se déplaça pour faire glisser ses lèvres sur l'arête de son nez, se servant de ses mains pour effectuer une inspection intime de la nuisette de satin et de dentelle conçue pour exciter les appétits d'un homme. Et il était certainement excité. Excité, séduit et soudain plus chaud que l'enfer.
Animé d'un désir insatiable, il pliait et repliait les doigts sur l'étoffe, lui effleurait la bouche du bout des lèvres en une persuasion silencieuse.
— Anna, je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas tout raconté.
Mais je sais comment occuper agréablement mon temps si tu préfères attendre.
Elle écarta les lèvres pour parler et Cezar en profita prestement. Son baiser se fit plus appuyé et il introduisit la langue dans la moiteur de sa bouche; son membre en érection frémit en réponse aux gémissements sourds d'Anna.
Elle avait un goût de fruit, aussi riche et sucré qu'une figue mûre trempée dans du miel. Cezar frissonna quand ses sens s'éveillèrent en rugissant, tout le corps tendu d'une ardeur qu'elle seule pouvait inspirer.
Tandis qu'il attirait sa langue dans sa bouche, Cezar prit soin de ne pas l'écorcher avec ses canines. La situation lui échappait déjà suffisamment vite sans que sa dangereuse soif de sang soit attisée.
Il lui caressa les épaules, puis empoigna le rideau satiné de ses cheveux. Un grondement guttural sortit de sa gorge. Il voulait la dévorer.
La prendre totalement, jusqu'à faire partie de son âme même.
La chaleur du feu qui grandissait en elle lui brûla la peau lorsqu'il arracha sa bouche à la sienne pour tracer une ligne de baisers sur la courbe de son cou. Il huma son désir qui parfumait l'air, et il la sentit tressaillir quand il posa son membre dur sur son ventre.
Anna pouvait refuser d'admettre avoir besoin de lui, mais sa réaction prouvait que rien n'avait changé au cours des deux derniers siècles. Les caresses de Cezar lui embrasaient toujours le corps.
Tout en murmurant son approbation, Cezar passa les doigts dans la chevelure couleur de miel d'Anna, puis il les fit glisser le long de son dos.
Il prit le temps d'explorer avec délices les rondeurs de ses hanches avant de retrousser l'étoffe soyeuse de sa nuisette. Son instinct le poussait à déchirer ce vêtement superflu, mais son esprit lui conseillait de modérer ses ardeurs. Les nuits – et les jours – où il pourrait la posséder avec sauvagerie ne manqueraient pas.
Ce soir-là ce serait...
— Cezar.
Soudain elle recommença à le repousser des deux mains et rejeta la tête en arrière pour éviter ses lèvres avides.
— Non.
Il feula de frustration, sa bouche refusant d'obéir à sa volonté, et il se pencha pour s'emparer d'un téton durci qui pointait à travers la fine dentelle. Por Dios, il avait envie d'elle, tel un toxicomane dans les affres du manque.
— Tu en es sûre?
Elle poussa un gémissement étranglé, puis lui empoigna les cheveux et lui fit relever la tête pour plonger son regard brillant dans ses yeux.
— Je ne suis pas l'idiote innocente que j'étais voilà deux cents ans.
L'accent amer de sa voix tira brusquement Cezar des brumes sensuelles dans lesquelles il baignait, et il s'écarta pour la dévisager, les sourcils froncés.
Qu'est-ce qu'elle racontait? Cette nuit qu'ils avaient passée ensemble avait été spectaculaire. Il l'entendait encore crier de plaisir tandis qu'il s'enfonçait profondément en elle, il sentait les ondulations provoquées par son orgasme explosif, goûtait l'enivrant délice de son sang qui coulait dans sa gorge.
Au nom de Dieu, elle ne regrettait tout de même pas leur étreinte?
— Tu étais peut-être innocente, mais tu n'as jamais été idiote, gronda-t-il, furieux qu'elle tente de nier ce qu'ils avaient partagé.
— Je me suis laissé séduire par un parfait inconnu, non ? (Elle secoua la tête.) Je dirais que c'est un très bel exemple de stupidité.
— Je dirais que c'est le destin, glissa-t-il avant d'avoir pu retenir ces paroles révélatrices.
Sans surprise, elle cligna des yeux, perplexe.
— Qu'est-ce que tu entends par là?
Il n'était pas prêt à aborder ce sujet. Pas même avec lui-même.
Il était temps de se changer les idées. Pour tous les deux.
— Parle-moi de ce rêve, lui intima-t-il.
Sans s'en rendre compte, elle avait commencé à passer les doigts dans les cheveux de Cezar, et elle retira vivement la main.
— Mon Dieu, tu n'abandonnes jamais.
Il lui décocha un grand sourire féroce.
— Jamais.
Elle ferma les yeux un instant avant de pousser un profond soupir.
— Bon. Il y avait une femme.
Le corps svelte d'Anna toujours emprisonné dans ses bras, Cezar scruta intensément son visage. Son expression avait tendance à être plus parlante que ses mots.
— À quoi ressemblait-elle ?
Elle haussa les épaules.
— Belle, les cheveux roux et les yeux verts.
Il plissa les yeux; une sensation de froid se répandit dans son corps.
— Que faisait-elle ?
— Elle était assise sur un trône en or, en compagnie d'une autre femme, une vieille femme étendue sur un tapis rouge. (Elle grimaça à ce souvenir.) Sa bouche saignait.
— Elle était morte?
— Je ne pense pas.
Sans y prêter attention, il fit remonter ses mains le long de son dos.
— Quelque chose t'a fait crier, Anna. Qu'est-ce que c'était ?
Elle frissonna; la peur brilla dans ses yeux.
— La femme assise sur le trône... elle semblait avoir le regard rivé sur moi... et alors...
— Et alors?
— Et alors elle a dit qu'elle allait m'arracher le cœur. Je l'ai crue.
Elle tremblait. Une main posée sur sa tête, Cezar la serra tout contre son corps. Il ne faisait aucun doute que la femme de son rêve était la fée Morgane. Et qu'elle était déterminée à voir Anna morte.
Jamais.
Ce mot se grava dans le cœur de Cezar. Il tuerait n'importe quoi, n'importe qui, tout ce qui oserait s'en prendre à Anna.
— Personne ne va t'arracher le cœur, querida, affirma-t-il d'une voix rauque. Ça, je peux te le promettre.
En entendant son serment arrogant, elle partit d'un rire étranglé, mais heureusement ne fit pas mine de s'écarter de lui.
— Tu es sûr à ce point de pouvoir me protéger?
— Oui. (Il lui effleura le front des lèvres.) Mais au-delà de ça, tu es une femme dangereuse. Mes côtes encore douloureuses sont là pour le prouver.
Elle pencha la tête en arrière pour rencontrer son regard de braise, la peur disparaissant de ses yeux.
— Une femme dangereuse, hein?
— Absolument.
— Ça me plaît.
Il frotta délibérément son érection contre sa hanche.
— À moi aussi.
— C'est ce que je vois, commenta-t-elle d'un ton pince-sans-rire.
— Que dire ? Les femmes dangereuses sont sexy.
— Pour toi, toutes les femmes sont sexy.
Elle se rembrunit quand ses propos ridicules le firent éclater d'un rire mordant et sans humour.
— Qu'y a-t-il de si drôle ?
Cent quatre-vingt-quinze ans seul. Sans le moindre frémissement de désir. Et à présent qu'il avait enfin retrouvé sa libido, la seule femme qui lui faisait de l'effet était bien décidée à prolonger son célibat.
Ouais, il était vraiment un homme à femmes.
— Por Dios, souffla-t-il. Si seulement tu savais.
— Quoi ?
Il secoua la tête.
— Parle-moi de ta vie, querida, l'encouragea-t-il plutôt. Tu as dit que tu avais mené une vie tranquille, mais tu as bien dû te trouver une occupation.
Elle observa son visage encadré par la lourde cascade de ses cheveux noirs. — Ça t'intéresse vraiment ou tu essaies juste de me distraire pour rester dans mon lit ?
Il sourit, sans prendre la peine de dissimuler ses canines complètement allongées.
— Les deux.
— Il n'y a pas grand-chose à raconter.
— Fais-moi plaisir, por favor.
Face à son insistance, elle roula des yeux. Cezar n'en tint pas compte.
Elle était douce et chaude dans ses bras, et pour l'instant seuls comptaient la sensation de son cœur qui battait contre son torse et le parfum de sa peau brûlante.
— J'ai beaucoup voyagé, ce qui n'était pas si mal puisque j'ai réussi à voir une grande partie du monde au cours des années, avoua-t-elle finalement à voix basse. Venise, Amsterdam, Le Caire... J'ai même passé quelques mois mémorables à Tokyo avant de venir en Amérique.
— Comment as-tu survécu ?
— J'ai pris tous les boulots que je trouvais. Dans les premiers temps je travaillais en général comme domestique, vu que c'était l'unique emploi respectable accessible à une femme. Par la suite j'ai commencé à faire le service dans des restaurants bon marché. (Elle grimaça.) Un job que je ne recommande à personne. Encore aujourd'hui l'odeur de la graisse chaude me soulève l'estomac.
Cezar résista à l'envie de faire courir ses mains sur ce ventre. Ou peut-être qu'il y ferait courir ses lèvres. Oh... oui. Plutôt ses lèvres. Puis il pousserait son exploration un peu plus bas jusqu'à son minuscule string et entre ses jambes...
— Et les hommes ? s'enquit-il abruptement.
Elle écarquilla les yeux.
— Je te demande pardon?
Une tension bizarre s'empara de lui alors qu'il prenait soudain conscience de l'importance que revêtait sa réponse.
— Tu t'es mariée?
— Bon Dieu, non, souffla-t-elle, choquée.
— Pourquoi pas? Tu es une femme incroyablement belle. (Il lui couvrit la joue de la main avec douceur, caressant du pouce sa lèvre inférieure pulpeuse.) Je suis sûr que tu étais obligée de repousser les avances.
Du bout de la langue, elle toucha l'endroit précis qu'il avait effleuré du pouce; une onde d'électricité traversa le corps de Cezar.
Cette langue pouvait à coup sûr faire hurler d'extase un vampire.
Le simple fait d'y penser suffisait presque à le faire hurler.
Réprimant un gémissement, Cezar se força à se concentrer sur sa voix basse.
— Et comment exactement suis-je censée expliquer que je suis une sorte de clone bizarre de Superman ? demanda-t-elle.
— Tu veux dire Wonderwoman ?
— Ce n'est pas drôle. (Elle lui pinça le bras.) Je ne pouvais pas prendre le risque de me rapprocher de qui que ce soit.
Une étrange douleur le transperça.
— Avais-tu envie de te rapprocher de quelqu'un ? Y avait-il quelqu'un qui t'était particulièrement cher? Elle haussa les épaules.
— Quelle importance ?
— Si. (Il serra les dents.) C'est important.
Leurs regards se croisèrent et l'espace d'un instant Cezar craignit qu'elle refuse de lui répondre. Puis elle secoua la tête, agacée, et s'avoua vaincue.
— Non, personne en particulier. J'ai été absolument seule depuis...
depuis toujours, semble-t-il. Tu es content ?
Il était plus que content. Savoir qu'elle n'avait pas donné son cœur à un salaud qui ne le méritait pas l'emplissait d'une joie féroce.
Il était aussi assez intelligent pour garder sa satisfaction pour lui.
Tout en lui caressant les cheveux, il posa un doux baiser sur sa tempe.
— Je ne voulais pas te contrarier, querida.
Elle renifla d'un air incrédule, les yeux plissés.
— Et toi?
— Moi?
— As-tu une... (elle fronça les sourcils pendant qu'elle s'efforçait de trouver le terme approprié) compagne qui t'attend dans une grotte humide?
La curiosité réticente d'Anna amena lentement un sourire malicieux sur le visage de Cezar.
— Je n'ai pas de compagne.
— Pourquoi pas?
Il lui embrassa la joue jusqu'à la commissure des lèvres, qu'il mordilla.
— Certaines choses, Anna Randal, valent le coup d'attendre.
CHAPITRE 6
Le cœur d'Anna était logé quelque part dans sa gorge lorsqu'elle sentit les canines de Cezar effleurer le coin de sa bouche.
C'était de la folie.
Non. Se réveiller pour découvrir dans son lit un vampire d'une beauté à couper le souffle était de la folie.
Trembler du désir d'éprouver le douloureux plaisir de son baiser était digne des plus grands films hollywoodiens.
Malheureusement, son corps se moquait de savoir si c'était dément ou non de succomber aux caresses expertes de Cezar. Il savait juste qu'il avait attendu presque deux cents ans pour goûter les délices froids de ces doigts explorant ses courbes frissonnantes et la satisfaction érotique de ces canines lui perçant la peau.
L'exquis et ténébreux désir d'Anna s'intensifia lorsque Cezar inclina la tête plus bas et trouva la pointe tendue de son téton sous la dentelle de sa nuisette.
Un gémissement s'étrangla dans sa gorge tandis qu'une intense volupté la faisait frémir de tout son être. La langue de Cezar tourmentait ce bout de chair sensible, lui donnant des petits coups et le caressant jusqu'à ce qu'elle se cambre en une supplication silencieuse.
Bon sang, elle s'était juré que ça n'arriverait pas. Il était absolument hors de question qu'elle laisse cet homme la prendre pour une poule nymphomane prête à écarter les cuisses chaque fois qu'il traversait sa vie.
Une promesse facile à faire lorsque Cezar n'avait été qu'un souvenir cuisant. Elle s'était persuadée que c'était son innocence qui l'avait rendue si vulnérable à ce délicieux vampire. Après tout, elle avait passé deux siècles à résister aux différents hommes – dont certains carrément craquants – qui avaient voulu l'attirer dans leur lit. À présent elle était plus âgée, plus sage et capable de contrôler ses désirs.
Huh !
Elle s'enflamma lorsque Cezar fit dévaler ses doigts à l'arrière de ses cuisses et retroussa sa nuisette avec une détermination indéniable. Pire encore, les mots doux qu'il lui chuchotait pendant qu'il cherchait des lèvres son autre téton engourdissaient son esprit, lui faisant oublier la raison précise pour laquelle elle était censée dire « non ».
Il devait lui avoir jeté un sort, songea-t-elle confusément. Ce qui expliquait pourquoi elle lui enfonçait les ongles dans les bras jusqu'au sang et était si excitée qu'elle craignait d'atteindre l'orgasme au moindre frôlement.
Sinon, ça voudrait dire...
On frappa soudain de grands coups à la porte, ce qui mit un terme à cette pensée terrifiante.
— Cezar.
Une voix masculine flotta dans l'air, poussant ce dernier à relever la tête dans une explosion de sinistres malédictions.
— Si? dit-il d'un ton sec.
— Désolé de déranger, mais nous avons un problème.
La voix impérieuse de Styx traversa le panneau de bois avec une aisance remarquable.
Un nouveau chapelet de jurons retentit; Cezar lâcha Anna à contrecœur et s'extirpa du lit.
— Je reviens dans un instant, marmonna-t-il en se dirigeant vers la porte.
Le suivant dans son sillage, Anna prit la robe de chambre que Darcy lui avait gentiment prêtée et, tout en l'enfilant, se répéta en silence que les frissons qui affligeaient son corps n'étaient dus qu'au soulagement.
Sauf qu'ils ne lui donnaient pas cette impression.
Ils lui faisaient l'effet d'une abominable frustration qui s'installait pour un bon moment.
— Attends, Cezar. (Elle se força à poser la main sur son bras.) Si ça me concerne, je ne veux pas qu'on me mette à l'écart.
Il s'arrêta et se retourna pour la foudroyer d'un regard impatient.
Non. Pas impatient. Frustré. La même expression que celle qui contractait son propre visage.
Elle était sûre que, si elle baissait les yeux, elle découvrirait qu'il brûlait toujours du désir d'être en elle.
Au prix d'un effort, elle repoussa l'envie de confirmer son hypothèse et se concentra plutôt pour soutenir son regard enflammé.
— Querida..., commença-t-il.
Quand elle pointa un doigt droit sur son visage, il cligna des yeux, stupéfait.
— Je suis sérieuse, déclara-t-elle entre ses dents. L'époque où j'étais obligée de mendier à genoux un peu de nourriture ou un abri est révolue depuis longtemps. Désormais je me débrouille toute seule. C'est une chose à laquelle je ne renoncerai pas.
Une lueur brilla dans les yeux sombres de Cezar. Peut-être de la déception ? De la douleur ? De l'orgueil blessé ?
— Tu refuses mon aide? demanda-t-il tout bas.
Elle ne tint pas compte de l'étrange pointe de regret qu'elle ressentit.
Elle ne pouvait pas l'avoir froissé. Cet homme était arrogant, exaspérant et totalement imperméable à tout ce qui ressemblait même de loin à des émotions humaines. Sauf au désir. Par l'enfer, ne l'avait-il pas séduite avant de l'abandonner pendant près de deux siècles ?
Pourtant, sa voix s'adoucit en dépit de ses meilleures intentions.
— Bien sûr que non, je ne suis pas stupide. J'ignore même à quoi j'ai affaire.
Elle haussa les épaules, mal à l'aise, et serra encore plus fort la ceinture de sa robe de chambre.
— Mais, reprit-elle, il y a une différence notable entre accepter ton aide et recevoir des ordres en étant maintenue dans l'ignorance. Soit on est des partenaires, soit je m'en vais.
Un silence tendu emplit la pièce. De toute évidence, Cezar était tiraillé entre son besoin de tout contrôler et le fait qu'il savait qu'elle ne bluffait pas. Elle avait la ferme intention de partir s'il refusait.
Alors qu'elle s'attendait à une réponse furieuse, Anna fut prise au dépourvu quand un amusement malicieux fit finalement trembler les lèvres de Cezar.
— Des partenaires, hein? murmura-t-il en tendant la main pour la passer dans les mèches emmêlées de ses cheveux.
Elle plissa les yeux, envahie par une incertitude méfiante. Tout cela semblait bien trop facile.
— Je ne rigole pas, Cezar. Je préférerais être morte qu'avoir de nouveau l'impression d'être une mendiante.
Délibérément, il fit glisser son regard jusqu'au décolleté profond de sa robe de chambre.
— Tu sais, ça ne me dérangerait pas de mendier un peu si tu...
Anna lui plaqua la main sur la bouche. La voix étouffée de Cezar s'apparentait presque à une caresse tangible qui coulait sur sa peau sensible, lui donnant envie de le pousser sur le lit et de grimper sur lui.
Ils étaient tous deux pratiquement nus. À peine quelques vêtements à arracher et...
Ressaisis-toi, Anna. Ressaisis-toi.
— Marché conclu? s'enquit-elle d'une voix rauque.
Elle serra les dents en voyant l'air entendu de Cezar.
Il percevait le désir qui battait toujours aussi fort en elle, mais bizarrement il n'essaya pas d'en profiter. Il haussa plutôt les épaules.
— Je ferai de mon mieux. (Il leva brusquement les mains quand elle ouvrit la bouche.) Laisse-moi terminer, Anna. J'ai déjà vécu de nombreuses années...
— Combien ? demanda-t-elle, incapable de s'en empêcher.
Elle avait eu beaucoup de temps pour broyer du noir et réfléchir à cet homme. Sa curiosité n'avait rien de modéré.
— Plus de cinq cents ans.
Elle observa la beauté hâlée à couper le souffle de son visage.
— Tu étais un conquistador?
À ses paroles, il arqua les sourcils.
— Lorsque je me suis réveillé après ma transformation, je portais la tenue d'un conquistador.
— Tu ne t'en souviens pas?
— Nous n'avons aucun souvenir de notre vie d'avant. (Il esquissa un sourire teinté d'ironie.) Dans le fond, ce n'est pas plus mal.
Son aveu la fit tressaillir. Comme ce devait être bizarre de voir son existence tout simplement effacée. Ils devaient quand même avoir envie de savoir qui ils avaient été et ce qu'ils avaient fait ?
— Pourquoi n'est-ce pas plus mal?
Il indiqua la porte d'un geste de la tête.
— Parce que mon roi est aztèque.
— Ah. (Un sourire réticent se dessina sur ses lèvres.) Ouais, j'imagine que ça pourrait poser problème.
Il lui prit le menton entre le pouce et un doigt, le regard brillant d'une énergie impétueuse. Contrairement à l'image qu'en véhiculait Hollywood, les vampires n'étaient pas des cadavres ambulants. Leur peau était peut-être froide au toucher et leur coeur ne battait pas, mais ils possédaient un pouvoir débordant qui les enveloppait comme un champ de forces. Pour tout dire, se trouver à proximité de Cezar donnait l'impression de se tenir à côté d'une charge électrique.
— Là où je veux en venir, c'est que j'ai tendance à agir d'abord et réfléchir ensuite, déclara Cezar en grimaçant. Crois-moi, j'ai appris à regretter cette habitude, mais ça ne change pas qui je suis. Je ne peux pas te promettre que je ne...
— ... serai pas un emmerdeur fini ? termina-t-elle gentiment.
Il lui pinça le menton.
— Un truc du genre.
On frappa de nouveau un grand coup à la porte.
— Cezar ?
Sans se soucier de l'intonation clairement irritée de son roi, Cezar se rapprocha d'Anna; en sentant son corps presque nu si près d'elle, elle eut le souffle coupé.
— Une minute, lâcha-t-il d'une voix rauque, ses yeux brillants rivés sur le visage pâle d'Anna.
Tout à coup il se pencha et s'empara de ses lèvres en un baiser brutal et exigeant. Elle poussa un faible gémissement de plaisir, mais avant qu'elle ait même pu commencer à répondre à son baiser, il releva la tête et la dévisagea avec une intensité qui la paralysa.
— Tu ne seras jamais plus un parent pauvre, Anna Randal, chuchota-t-il. Tu es née pour dominer le monde.
Elle sursauta à ses paroles saugrenues. À moins qu'il s'agisse d'une réaction différée à son baiser brûlant.
Nom de Dieu, ses lèvres allaient la picoter pendant un mois.
— Qu'est-ce que tu as dit ?
Il sourit d'un air mystérieux, mais ne prit pas la peine de lui répondre.
Bien sûr que non. Elle pouvait le menacer et exiger ce que bon lui semblait, cette satanée histoire de partenaires ne tiendrait que quand ça l'arrangerait.
Il se retourna pour ouvrir la porte, découvrant l'imposant vampire qui attendait dans le couloir avec une impatience sinistre.
— Mon seigneur, il y a du nouveau? demanda-t-il.
Anna résista à l'envie de s'éloigner du géant vêtu de cuir qui la transperça d'un regard scrutateur. Mince. Il paraissait parfaitement capable de la sacrifier sur-le-champ.
— Et la femelle ?
Les jambes d'Anna cessèrent soudain de trembler. La femelle ? La femelle?
Ce gigantesque vampire avait de la chance qu'elle ne soit pas en pleine possession de ses pouvoirs. Il ferait moins le fier, plaqué au plafond ou dévalant le couloir tel un ballon de foot.
Percevant peut-être l'exaspération qui avait envahi Anna, Cezar lui prit la main et la serra brièvement.
— Elle tient à connaître toute information que tu pourrais détenir.
Il arqua les sourcils. Mais au lieu de protester comme elle s'y attendait, ce démon se contenta de lui adresser un sourire. Un sourire qui se serait révélé plus réconfortant sans une paire de redoutables crocs capables de déchiqueter un tank.
— Très bien. (Il reporta son attention troublante sur Cezar.) La fae est morte.
— Sybil ? souffla Anna, horrifiée.
Styx hocha rapidement la tête, sa longue tresse ornée de perles de turquoise se balançant dans son dos.
— Oui.
— Bon Dieu.
Le visage de Cezar ne laissa transparaître aucune émotion. Il ressemblait à un dur masque de granit qui donna le frisson à Anna.
— Comment est-ce arrivé ? s'enquit-il d'une voix monotone, tout le corps contracté de colère. Tu as dit que sa cellule était protégée.
Une fureur équivalente brilla un instant dans les yeux de Styx. Il n'avait pas l'air du genre à apprécier les imprévus.
— C'était le cas, et je n'ai pas la moindre idée de la façon dont elle est décédée. Elle ne porte aucune blessure apparente et Gunter jure que personne n'est entré ou sorti de la cellule. Elle est morte, voilà tout. (Styx toucha le médaillon qui pendait à son cou.) J'ai demandé à Levet de venir examiner son cadavre dès que la nuit serait complètement tombée.
— Levet? (Cezar foudroya son ami du regard.) Por Dios, pourquoi ?
— Contrairement à nous, il est capable de percevoir la magie, répondit Styx.
Anna s'efforçait de suivre le fil de la conversation. En dedans elle tremblait et était totalement déboussolée. Sybil était morte. Certes, elle aurait volontiers étranglé cette garce agaçante plus d'une fois. Et ne plus jamais devoir regarder par-dessus son épaule en se demandant si cette femme rôdait dans l'ombre constituait une sorte de soulagement malsain, mais... morte ? Et alors qu'elle se trouvait à l'abri dans cette maison où Anna avait dormi comme un bébé ?
Cette pensée suffit à lui flanquer la frousse.
Frissonnante, elle croisa les bras et tenta de se montrer courageuse.
Bon sang. C'était elle qui avait exigé de prendre part à cette sale affaire.
Elle survivrait, se réprimanda-t-elle. Et hors de question de gerber.
— Qui est Levet? s'obligea-t-elle à demander.
En dépit de tous ses efforts, l'intonation de sa voix avertit Cezar qu'elle était au bord de la crise de nerfs.
Il fit glisser son regard préoccupé sur le visage légèrement vert d'Anna avant de l'attirer contre lui et de passer un bras autour de ses épaules.
— C'est une gargouille, lui avoua-t-il à contrecœur.
— Ah. (Elle ne put réprimer un rire bref, empreint de folie.) Bien sûr.
Cezar frotta du pouce la ligne tendue de sa gorge, sa caresse faisant disparaître comme par magie la panique qui menaçait de remonter à la surface.
— Ne t'inquiète pas, la rassura-t-il. C'est un avorton, et la seule chose effrayante chez lui c'est son sens de l'humour tordu.
Les yeux plissés, Styx observait les gestes protecteurs de Cezar.
Comme stupéfait par l'intimité que son ami semblait partager avec Anna.
Ce qui était ridicule. Elle était bien placée pour savoir que don Cezar avait l'habitude de prendre une nouvelle femme chaque nuit. Elle avait été l'une d'elles.
Un étrange sourire aux lèvres, le gigantesque vampire inclina la tête.
— Je vous laisse vous préparer.
— Bonne idée, murmura Cezar en claquant la porte au nez de son roi.
Il avait poussé Anna contre le mur avant qu'elle s'en soit rendu compte.
— On commence par se doucher ? ajouta-t-il.
Se doucher? Leur peau nue. De l'eau chaude. Du savon soyeux.
Brûlante, torride...
L'image de leurs corps enlacés tandis que l'eau coulait sur eux était si vive qu'Anna dut fermer les yeux et inspirer profondément.
— Certainement pas, marmonna-t-elle.
Elle avait déjà tellement chaud, à présent qu'il se penchait délibérément vers elle et baissait la tête pour enfouir le visage dans ses cheveux.
— Pourquoi ? (Il lui mordilla le lobe de l'oreille.) Tu me laveras le dos et je laverai le tien. Nous sommes partenaires, tu t'en souviens ?
Elle leva les yeux au ciel quand il fit remonter ses mains le long de ses hanches et qu'effrontément il leur fit épouser le lourd renflement de ses seins.
D'accord. À présent, ils étaient partenaires. Lorsqu'il souhaitait se rapprocher d'elle.
Eh bien, elle allait... elle allait tuer ça dans l’... Il tourmenta la pointe de ses tétons de ses pouces et Anna gémit.
Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir faire?
Autre chose que fondre et former une flaque à ses pieds, quand même ?
Il effectua de ses pouces une autre de ces abominables caresses et Anna sut qu'elle était sur le point de se noyer dans la passion enivrante qu'il éveillait en elle.
Nom de Dieu!
— La seule douche que tu vas prendre, c'en est une froide dans ta propre chambre, parvint-elle à articuler d'une voix rauque.
Il rit, lui effleurant à dessein le cou de ses canines.
— C'est vache.
— Cezar, arrête ça.
— Pourquoi ? (Se servant à présent de sa langue, il continua à enflammer ses sens.) Je sens ton désir.
— Tu vas sentir mon poing si tu n'arrêtes pas.
— Une telle violence, querida, s'écria-t-il en riant. D'abord les menottes et maintenant les menaces. Il fut un temps où tu préférais faire l'amour d'une façon bien plus douce.
Faire l'amour?
Non.
C'était du sexe. Du sexe brutal, bestial.
Quelque chose qu'elle avait banni deux cents ans plus tôt.
Avec des gestes désespérés, elle le repoussa et tenta de recouvrer ses esprits. Une minute passa, puis cinq de plus, avec pour seul bruit dans la pièce sa respiration rauque, jusqu'à ce qu'elle soit enfin capable de rencontrer le regard brillant de Cezar.
— Va-t'en, Cezar.
Ses yeux sombres lancèrent des éclairs; il s'avança vers elle et posa la main sur sa joue.
— Un jour, querida. (Il baissa la tête pour lui voler un baiser teinté de désespoir.) Un jour très proche.
Anna se sentit mieux après une longue douche glacée qui l'aida à apaiser sa tension sexuelle et fit disparaître le parfum de santal de Cezar.
Elle se sentit mieux encore quand elle revint dans la chambre aux dimensions olympiques pour trouver sa valise sur le lit. Elle ignorait comment un tel miracle s'était produit et elle s'en moquait. Enfiler son propre jean délavé et un chemisier en tricot jaune à manches courtes constituait un véritable soulagement.
Une paire de tongs aux pieds, elle s'arrêta le temps d'attacher ses cheveux mouillés puis se dirigea vers la porte.
Tandis qu'elle longeait le couloir lambrissé et s'engageait dans l'escalier majestueux en marbre, elle songea un instant que sa tenue décontractée n'était pas appropriée à ce gigantesque manoir. Même si elle avait mené une vie simple au cours des deux siècles passés, elle avait suffisamment fréquenté l'aristocratie londonienne dans sa jeunesse pour remarquer que les statues de marbre sortaient tout droit d'un temple grec et que les peintures à l'huile suspendues aux boiseries de chêne étaient d'authentiques chefs-d’œuvre.
Elle s'immobilisa sur la dernière marche, puis haussa les épaules avant de partir en quête de son hôtesse. Elle en avait ras le bol d'essayer de s'adapter à des milieux auxquels elle n'appartenait pas. Ras le bol de tenter de plaire aux autres.
De toute façon, Darcy avait été tout aussi décontractée. D'une désinvolture qui venait de l'âme, pas de ses vêtements. Peut-être les loups-garous vivaient-ils un peu plus avec leur temps que les vampires, se dit-elle avec une pointe d'ironie.
Guidée par le bruit des voix en provenance du fond du manoir, Anna parvint à traverser le dédale de couloirs pour enfin accéder à une magnifique cuisine au carrelage de céramique noir et blanc. Elle regorgeait d'électroménager en inox, et des plantations de fines herbes encombraient le rebord de la fenêtre.
Une créature de moins d'un mètre de haut, à la peau grise et au corps noueux recouvert de bosses bizarres, s'y trouvait. Encore plus étrange, elle possédait une longue queue et une paire d'ailes d'une beauté saisissante.
— Oh.
Le souffle coupé, Anna s'arrêta. Peut-être qu'errer dans une maison pleine de démons n'était pas une si bonne idée. Elle reporta son attention sur Darcy, assise à une table en merisier.
— Je suis désolée. Je ne voulais pas vous déranger.
— Mon Dieu, non, souffla la jeune femme en se levant pour venir vers elle.
Ce soir-là elle portait un autre jean avec un vieux sweat-shirt beaucoup trop grand pour son corps frêle. Ses cheveux blonds étaient négligemment hérissés, elle ne portait pas de maquillage, et pourtant elle resplendissait.
Pas étonnant que l'effrayant Styx fonde chaque fois qu'il posait les yeux sur elle.
Anna était sur le point de se détendre quand la... chose trottina dans le sillage de Darcy, un bout de carton sur lequel était tracé un grand E
dans sa main griffue.
— Qu'est-ce que tu fais? demanda la créature avec un accent français ahurissant en agitant le carton. Nous n'avons pas terminé le jeu. Tu dois me dire combien de voyelles tu souhaites acheter.
Darcy tapota la tête de la chose. Juste entre ses cornes atrophiées.
— On le finira plus tard.
— Plus tard? (Une pluie de jurons français suivit.) Mon audition pourrait avoir lieu d'un jour à l'autre. Il n'y a pas de plus tard qui tienne.
— Bien sûr que si, le rassura Darcy avec une patience remarquable.
(Exactement comme si elle cajolait un enfant coléreux.) Je te l'ai dit, Levet, c'est l'animateur du Juste Prix qui s'est retiré et qui, ajouterais-je, a déjà été remplacé, pas la présentatrice de la Roue de la fortune.
Anna cligna des yeux. C'était Levet? C'était la gargouille censée percevoir la magie?
Cezar l'avait décrit comme un nain, mais... bon sang. Elle devait vraiment arrêter de regarder des films d'horreur. Les vampires, les loups-garous, les faes, les gargouilles. Jusqu'ici, le cinéma avait tout faux.
— Ah, cette femme est humaine, non ? Elle pourrait crever à tout instant, protesta Levet.
Puis, sans transition, il vint se planter juste devant Anna. Il pointa une griffe sur son visage.
— Vous, là. Vous êtes humaine. N'avez-vous pas peur de crever un jour?
— Eh bien, je...
Anna s'éclaircit la voix.
Elle ne savait pas du tout quoi dire, surtout quand la gargouille se pencha en avant et commença à lui renifler la jambe sans s'en cacher.
— Non, pas humaine, murmura le minuscule démon.
Il leva ses yeux gris pour la dévisager avec une expression qu'Anna espérait être de la curiosité, et non pas de la faim.
— Grands dieux, marmonna Darcy en décochant à Anna un sourire contrit. Anna, voici Levet. Levet, Anna Randal.
Anna demeura sans voix pendant que la créature tournait autour d'elle, reniflant son jean et lui donnant parfois un petit coup d'une de ses griffes boudinées.
— Vous êtes quoi ? demanda Levet lorsqu'il s'immobilisa devant elle, les mains plantées sur les hanches et remuant sa longue queue de frustration.
— Hum, Darcy? chuchota Anna, oscillant entre l'incrédulité et une incroyable envie de rire.
— Levet, arrête de renifler mon invitée, s'il te plaît, intima la jeune femme. C'est impoli.
La gargouille s'étrangla.
— Tu as dit que me gratter les parties intimes en public était impoli.
Maintenant je ne peux même plus sentir les invités ? Tu es vraiment rabat-jupe.
Darcy roula des yeux.
— Rabat-joie, Levet. On dit rabat-joie.
— Peu importe. (Levet s'intéressa de nouveau à Anna.) Vous avez l'odeur d'une fae, mais...
— Une fae ?
Anna recula, stupéfaite. Elle le saurait, si elle en était une. Non ?
— Je ne crois pas, ajouta-t-elle.
— Qui étaient vos parents ? s'enquit-il.
— Je l'ignore. J'ai été élevée dans un orphelinat jusqu'à ce que ma tante me prenne avec elle.
— Donc l'un d'eux aurait pu être un fae ?
— Je... suppose.
Levet tapa du pied, sa concession réticente ne le satisfaisant manifestement pas.
— Il y a autre chose. Mais je n'arrive pas à mettre l'orteil dessus.
— Le doigt, Levet, le corrigea Darcy avec lassitude.
Sans prêter attention à la louve-garou, Levet s'avança, déterminé à découvrir le mystère de l'ascendance d'Anna.
— Fais un pas de plus vers elle, gargouille, et je te fais monter sur mon mur, l'avertit une froide voix masculine depuis l'embrasure de la porte.
Anna n'eut pas à se retourner. Sa peau la picotait déjà sous l'effet de sa présence et son coeur avait commencé à battre à cent à l'heure.
Ce ne pouvait être que Cezar.
Sans se laisser intimider, la gargouille eut la sottise de tirer la langue et Anna la regarda d'un air incrédule souffler au nez du vampire menaçant.
— J'ai entendu que c'était la seule façon dont tu pouvais monter ces temps-ci...
À peine ces propos bizarres étaient-ils sortis de la bouche du petit démon que Cezar lui avait mis un poignard sous la gorge.
— Aah !
— Tu as d'autres charmantes révélations à faire, gargouille? gronda Cezar.
— Euh, non. (Levet battait des ailes à un rythme frénétique.) Pas une seule.
— Bonne décision.
Cezar se redressa d'un mouvement fluide, rangeant le poignard si prestement qu'Anna ne put suivre son geste des yeux.
Non pas qu'elle ait prêté attention à cette arme.
Elle était bien trop occupée à se rappeler la nécessité de respirer tandis qu'elle promenait son regard sur l'ample chemise blanche à moitié déboutonnée qui dévoilait une partie généreuse de son torse lisse et sur le jean noir qui moulait ses fesses sexy à la perfection. Le haut de sa chevelure humide était retenu en arrière par une lanière en cuir, laissant le reste de ses boucles noires retomber sur ses larges épaules.
L'élégant et raffiné gentleman s'était transformé en un prédateur ténébreux. Un chasseur qui se tenait prêt à attaquer.
Lorsqu'il entra sans se presser dans la cuisine, Styx regarda autour de lui, les yeux plissés, percevant aisément la tension qui régnait dans la pièce.
— Bon sang, j'ai manqué quelque chose ? demanda-t-il, venant se placer d'instinct près de Darcy dans une attitude protectrice.
La petite blonde lui décocha un sourire.
— Cezar s'apprêtait juste à transformer Levet en kebab.
Un tremblement agita les lèvres de l'imposant vampire.
— Tu devrais peut-être attendre qu'il ait inspecté la cellule, dit-il à Cezar. Je détesterais avoir enfin le plaisir de le faire rôtir sur un grand feu au moment même où il pourrait avoir une certaine utilité.
— Ha, ha, ha. Vous êtes vraiment hilarants, marmonna Levet en se dandinant vers la porte. Où se trouve cette cellule ? J'ai mieux à faire que jouer à Christophe Colomb.
Anna jeta un coup d'oeil à Darcy.
— Christophe Colomb?
— Je crois qu'il veut parler de Columbo, répondit Darcy en riant.
— Ah.
Styx et Darcy emboîtèrent le pas à la gargouille. Anna les suivit, et ne fut guère étonnée quand Cezar apparut à ses côtés et lui prit fermement la main.
Pas le genre de vampire à fermer la marche.
— Il t'a ennuyée? demanda-t-il à voix basse.
Elle releva la tête pour rencontrer son regard scrutateur.
— Qui ?
— Levet.
— Pas du tout.
Anna dissimula un sourire. Elle n'avait pas besoin de pouvoirs spéciaux pour comprendre que la gargouille portait sur les nerfs de Cezar.
— Je trouve qu'il est..., poursuivit-elle.
Un détestable casse-pieds qui aurait dû être transformé en une paire de chaussures et en un sac à main assorti depuis une éternité ?
— Je t'entends, cria Levet.
— Je sais, grommela Cezar.
— Je le trouve mignon, dit Anna.
— Mignon ?
Cezar la dévisagea comme s'il pensait qu'elle avait reçu un coup à la tête. Peut-être même plusieurs.
— Ce... pitoyable démon?
— Je suis français, Cezar, rétorqua Levet d'un ton suffisant. Les femmes me trouvent toujours mignon. C'est autant une bénédiction qu'une malédiction.
— Je vais le maudire, marmonna Cezar tout bas.
Anna gloussa alors qu'ils quittaient le couloir principal à la suite de Styx. Il s'arrêta devant ce qui semblait être une boiserie ordinaire, et en caressa la surface. Une porte cachée s'ouvrit brusquement et, après avoir jeté un coup d'oeil à Cezar par-dessus son épaule, il les conduisit dans l'étroit escalier sombre.
Une sinistre sensation de froid transperça Anna tandis qu'ils descendaient les marches à un rythme régulier, et le silence angoissant la poussa à se cramponner à la main de Cezar, malgré la petite voix dans le fond de sa tête qui l'avertissait qu'il était probablement la chose la plus dangereuse à être tapie dans les ténèbres.
Interminablement, ils descendirent, s'arrêtant de temps en temps pour ouvrir d'autres portes avant de poursuivre leur descente. Ce ne fut que lorsque Anna fut certaine qu'ils se trouvaient au plus profond des entrailles de la Terre qu'ils parvinrent au bas de la dernière volée de marches et débouchèrent au croisement de plusieurs galeries.
Des torches fixées aux parois de terre fournissaient une lumière vacillante, offrant un aperçu de l'immensité de cette caverne souterraine.
— Nom de Dieu..., souffla Anna, les yeux écarquillés, quand Styx se saisit de l'une des torches et s'engagea dans un tunnel plongé dans l'obscurité sur la gauche. Et la maison qui me semblait gigantesque...
Avec son pouce, Cezar lui caressa distraitement les articulations des doigts tandis qu'ils progressaient dans les ombres dansantes, percevant certainement son sentiment grandissant d'irréalité.
— Un vampire s'assure toujours de disposer de quelques tunnels de secours dans son repaire, lui chuchota-t-il à l'oreille.
Anna inspira une grande bouffée de son parfum de santal, étrangement réconfortée par sa présence. Ce démon avait beau l'exaspérer au plus haut point, elle savait qu'elle serait à bout de nerfs s'il ne se trouvait pas à ses côtés.
— Quelques ?
Elle secoua la tête ; de rares portes en acier apparaissaient sur les parois de la galerie.
— Il y en a assez pour faire évacuer toute la ville de Chicago jusqu'au Mexique.
Cezar lui décocha un sourire ironique mais, avant qu'il ait pu lui répondre, Styx s'immobilisa face à l'une des portes, qui était gardée par un grand et blond... eh bien, Anna pensa immédiatement à un Goth.
Aucun rapport avec les gothiques d'aujourd'hui, mais avec les anciens Allemands qui avaient lutté contre l'Empire romain.
Grand et musclé, avec une cascade de cheveux blond foncé qui retombaient sur son corps presque nu, ce vampire semblait sculpté dans du granit pur. Et c'était bien un vampire, reconnut-elle en silence. Même à plusieurs mètres de lui, elle sentait cette énergie électrique qui se dégageait de lui.
Bien sûr, le fait qu'il était d'une beauté à couper le souffle constituait un indice suffisant.
Styx parla avec lui dans une langue inconnue. Puis, d'un léger signe de tête, il ouvrit la porte de la cellule.
— Nous y sommes. (Il pointa un doigt sur la gargouille.) Levet, viens.
La gargouille leva ses bras rabougris en l'air, mais elle n'était pas stupide au point de ne pas obéir à cet ordre intransigeant. Avançant en traînant les pieds, elle dépassa les vampires menaçants d'un pas lourd, remuant la queue de mécontentement.
— Tu sais au moins que je ne suis pas un chien? marmonna Levet, sa voix se faisant plus grave pour ressembler de façon remarquable à celle de Styx. «Viens, Levet. Assis, Levet. Roule, Levet. »
Soudain Cezar se précipita et empoigna le minuscule démon par une corne. Il le souleva pour l'amener au niveau de ses yeux, et même Anna frémit en voyant la sinistre expression de son beau visage.
— Ce n'est pas le moment pour ton sens de l'humour particulier, gargouille. Tu vas fermer ta gueule et faire tes trucs, ou tu auras affaire à moi. C'est clair?
Levet poussa un petit glapissement.
— Ah... très clair. Clair comme du cristal. Clair comme...
Ses paroles moururent sur ses lèvres quand Cezar le reposa par terre et qu'il put trottiner vers la cellule, la queue entre les jambes.
Styx et Darcy entrèrent après lui, mais, lorsque Anna fit mine de les suivre, elle sentit une main sur son épaule.
— Anna, tu n'as pas à y aller.
Elle retint sa réponse cinglante. Même si elle avait très envie de mettre la folie qu'était devenue sa vie sur le compte de Cezar, elle devait reconnaître que ce n'était pas totalement juste.
Quoi qu'il se soit passé entre eux par le passé, elle ne pouvait nier qu'il avait fait tout son possible pour la protéger au cours des dernières vingt-quatre heures.
Restait à savoir s'il tenait sincèrement à elle ou si c'était le désir de se glisser de nouveau dans son lit qui le motivait.
— J'ai déjà été confrontée à la mort, Cezar, dit-elle d'une voix calme.
Et j'ai besoin... j'ai besoin de voir si je peux aider Levet. J'ai besoin de faire quelque chose, plutôt qu'attendre que cette femme m'arrache le coeur.
Il fronça brusquement les sourcils.
— Ce n'était qu'un rêve...
Elle posa un doigt sur ses lèvres.
— Cezar, les partenaires ne se mentent pas. Nous savons tous deux qu'il ne s'agissait pas d'un simple rêve.
CHAPITRE 7
Cezar poussa un grondement guttural. Il n'avait jamais été doué pour les compromis. Surtout en matière de femmes.
Il voyait, il prenait, il conquérait.
Fin de l'histoire.
À présent il était obligé de combattre ses instincts naturels alors qu'Anna le dévisageait de ces immenses yeux noisette qui auraient fait fondre l'Arctique. Por Dios. Le réchauffement climatique n'était rien comparé à cette femme.
Il voulait la jeter sur son épaule et la ramener dans ce lit moelleux où il pourrait lui changer les idées avec son désir farouche et impérieux. Il la voulait douce et enthousiaste sous son corps, un sourire satisfait aux lèvres tandis qu'il l'emmenait vers l'insouciance de l'orgasme.
Mais il ne put que l'attirer tout contre lui et baisser la tête pour s'emparer de ses lèvres en un baiser frustré.
— Tu sais que tu vas me rendre complètement fou? chuchota-t-il contre sa bouche.
Il s'écarta après un autre baiser avide.
— Finissons-en.
Un instant elle sembla hébétée et porta les mains à ses lèvres. Puis, secouant la tête, elle releva le menton et força ses pieds à la conduire dans la cellule.
Cezar la suivit de près.
Contrairement aux parois de terre des tunnels, les murs étaient recouverts d'une épaisse couche de plomb sur laquelle étaient gravés des symboles enjolivés d'arabesques qui ressemblaient vaguement à des hiéroglyphes. Un sidhe avait jeté un sort à cette pièce pour étouffer toute magie.
Dans un coin, l'autrefois belle Sybil Taylor reposait en paix sur un lit de camp.
Sans prêter attention à la gargouille qui faisait le tour de l'étroite cellule, Cezar ferma les yeux et se servit de ses sens pour détecter l'éventuelle trace d'un charme. Anna s'approcha pour observer la fae.
— Elle semble si paisible, souffla-t-elle. Presque comme si elle était endormie.
Cezar vint se placer à ses côtés.
— Je ne perçois pas la magie, mais je reconnais l'odeur de la mort, fit-il remarquer avec une petite grimace.
— Oui*, elle est morte, confirma Levet. (* Tous les mots en italique suivis d'un astérisque sont en français dans le texte original. (NdT))
— Reste à savoir comment, gronda Cezar.
Levet ouvrit les yeux, une expression légèrement perplexe sur ses vilains traits.