CHAPITRE IV

La pilote Lara Notsil suivit avec attention le briefing.

Elle ne s’était pas toujours appelée Lara Notsil. Son nom de naissance était Gara Pethotel, et elle en avait utilisé bien d’autres depuis son adolescence.

Elle n’avait pas toujours eu les cheveux blonds coupés court, ni un teint impeccable. La nature lui avait donné des cheveux noirs et un grain de beauté sur la joue. Elle s’en était débarrassée pour créer Lara Notsil… La délicatesse de ses traits et sa petite stature étaient tout ce qui restait de son aspect d’origine.

Elle n’avait pas toujours été pilote de la Nouvelle République. Dès son enfance, on l’avait formée à devenir un agent des Renseignements Impériaux. Dans ce rôle, elle avait infiltré le commandement de la Nouvelle République, et communiqué à son chef, l’amiral Trigit, les informations qui lui avaient permis d’éliminer l’Escadron Serres, commandé par Myn Donos.

Maintenant, elle se battait aux côtés de ses ennemis d’hier. À l’origine, une mission d’infiltration de plus… Mais ce temps-là était révolu. Elle était réellement à sa place.

Si ses collègues découvraient sa véritable identité et ce qu’elle avait fait, ils la tueraient sans doute.

Bientôt, elle avouerait tout au commandant, Wedge Antilles, histoire d’entraîner la chute de Zsinj.

Bientôt…

Elle revint au présent, se forçant à écouter le commandant.

— L’Escadron Spectre a déjà des missions difficiles à son actif. Nous allons changer les règles du jeu. Les Spectres partiront avec leur tactique habituelle, à ce détail près qu’ils auront un soutien : l’Escadron Rogue.

Gavin Darklighter, des Rogues, fit la moue.

— Nous voilà transformés en nounous…

Face lui jeta un regard amusé.

— Et si nous vous donnions une cible ? Une vraie ?

— Alors, je serais content de jouer les nounous. Pour cette fois.

— Bien, dit Wedge. La mission : glaner des informations sur les intentions de Zsinj concernant les usines Binring. Nous soupçonnons une connexion, parce que son usine de Xartun construisait le modèle exact de cellule où Piggy a passé son enfance, sur Saffalore, dans les usines Binring. Quand Face, sous l’identité de Kargin, des Éperviers, a déjeuné avec Zsinj, le seigneur de la guerre a exprimé un vif intérêt pour le lieutenant Kettch, un pilote ewok fictif dont l’histoire était en réalité celle de Piggy. Zsinj serait donc impliqué dans les modifications d’humanoïdes. Les Spectres sont chargés d’en savoir plus sur ce programme.

Il était inutile que Piggy essaie de cacher d’où il venait. Le seul Gamorréen pilote de chasse était plutôt voyant ! Nos ennemis savent peut-être que nous sommes sur leurs traces. Les défenses sont probablement prévues pour résister à Piggy et à ses camarades. D’où un changement de tactique : Spectre Un assumera cette mission.

Il s’assit et Face se leva. Lara remarqua que le pilote semblait plus sûr de lui depuis quelques jours. Une bonne chose.

— Nous procéderons par étapes, dit-il. Les équipes techniques du Mon Remonda iront dans une ceinture d’astéroïdes, autour d’une planète du système de Saffalore. Elles enverront des astéroïdes vers Saffalore en simulant une pluie de météores naturelle. Les Rogues et les Spectres accompagneront la troisième vague dans l’atmosphère de la planète, au niveau de la calotte glaciaire, où les détecteurs sont moins nombreux. Nous raserons le sol près de Lurark, le centre du gouvernement planétaire. Les Rogues établiront une base pendant que les Spectres continueront vers Lurark.

Notre but est de localiser les installations où Piggy a été modifié. Il n’a jamais su où il était détenu, mais ce devait être à quelques centaines de kilomètres de Lurark. L’usine Binring implantée dans la cité est un bon suspect. Il faudra d’abord déterminer sous quel nom Zsinj est connu à Binring. Ensuite, il suffira de vérifier le réseau planétaire, ou d’infiltrer un bureau d’enregistrement.

— Non, monsieur, dit Lara.

Face la regarda.

— Comment « non » ?

— D’après vous, nous devrions fonctionner selon le principe de la paranoïa. Si nos ennemis ont la même attitude, et c’est probable, infiltrer leurs archives pour découvrir qui possède la société ne suffira pas. Ce type de requête déclenchera des alarmes.

— Je pensais plutôt à un intermédiaire… Suggérez-vous que nous devrions pirater leur système informatique ?

— Non. Autant garder cette possibilité pour des enjeux capitaux. Mais vérifions si l’information que nous demandons est piégée en enquêtant d’abord sur une société au-dessus de tout soupçon. Nous noterons le temps de réponse, et ça vous donnera une norme de comparaison.

— Je vois. Si les réponses sur Binring prennent beaucoup plus de temps, nous saurons que nos ennemis ont été alertés.

— Et nous couvrirons vos arrières quand vous repartirez. Si vous êtes suivi, nous vous débarrasserons de l’espion qu’ils auront lancé à vos trousses.

— Excellente idée. On vous a déjà dit que vous seriez très douée pour l’espionnage ?

Lara secoua la tête.

— Bien, reprit Face. Quand nous aurons l’information, nous verrons ce que Zsinj possède d’autre sur Saffalore.

— Non, dit Lara en rougissant.

— Pourquoi pas ?

— Lors de nos précédentes missions, nous avons souvent découvert l’identité qu’utilisait Zsinj sur la planète, mais jamais les affaires qu’il possédait sous ce nom. Soit il investit dans une seule entreprise par planète, soit il a recours à des noms différents pour chaque affaire. Dans ces conditions, mieux vaudrait ne pas courir de risques inutiles. Cette information n’en vaut sans doute pas la peine.

Face réfléchit.

— Vous avez peut-être raison… Dans ce cas, nous lancerons notre raid sur leurs installations principales en espérant détecter l’installation secrète de Zsinj. Nous suivrons le protocole habituel d’affectation des missions…

— Non, répéta Lara.

Face se tourna vers Wedge.

— Elle est tout le temps comme ça avec vous ?

— Vous n’avez pas idée…, répondit Wedge, amusé.

— Je vous jure de ne plus jamais ouvrir la bouche au cours d’un briefing !

— Sachez quand même que vous n’êtes pas au bout de vos peines, ajouta Wedge.

— Je veux bien vous croire…, soupira Face. (Il se tourna vers Lara.) Non, pourquoi ?

— Nous avons déjà changé de protocole. Et nous avons l’Escadron Rogue pour nous couvrir. Si nous n’intégrons pas dans la mission ces renforts de grande valeur…

Tycho sourit d’un air béat et lui fit signe de continuer à le couvrir de compliments.

— … il n’y a aucune raison de l’avoir avec nous.

— Elle a raison, dit Tycho. Les Spectres pourraient répéter certains points clés des bâtiments de Binring et y installer des cibles, genre marqueurs infrarouges, pour un raid aérien, ils pourraient ainsi nous communiquer des données très précises.

— Très juste, dit Wedge. Face, vous n’avez pas assez réfléchi à la meilleure utilisation de vos ressources.

— Je n’ai pas l’habitude d’en avoir !

— Bienvenue dans le monde réel ! Très bien, écoutons la suite et améliorons encore le plan, histoire de rester tous en vie !

 

Une vive lumière réveilla Piggy. Il n’entendait et ne sentait rien, à part le masque respiratoire fixé sur son visage. Quand il se rappela où il était, il ouvrit les yeux.

Comme à son précédent réveil, il flottait dans une immense cuve bacta transparente qui colorait en rose la salle stérile. Une technicienne médicale, une humaine aux cheveux noirs, lui fit un sourire du style « encourageant ». N’y étant pas insensible, Piggy agita une main languide. Le bacta visqueux ralentissait ses mouvements.

Quelque chose avait changé…

La douleur ! Envolée !

Baissant les yeux sur son ventre, il vit de la chair « neuve » et du tissu cicatriciel.

Parfait. Il sortirait bientôt. Non qu’il s’ennuyât… Il pouvait toujours s’occuper avec des problèmes de mathématiques, de navigation ou de logique. Mais l’absence de contact et d’activité commençait à lui peser.

Des personnes entrèrent et entourèrent son réservoir : ses collègues, les Spectres.

La technicienne fit signe à Piggy de se rapprocher de la surface. Levant les yeux, il vit s’ouvrir l’écoutille supérieure.

Quelques instants plus tard, il sortit à l’air libre.

Enveloppé d’une robe de chambre pour éponger les restes de bacta, il écouta ses collègues.

— Pardonnez notre intrusion, dit Face. On nous a annoncé que le « Piggy nouveau » était arrivé…

— Mais il semble avoir tourné à l’aigre, renchérit Lara.

— Et il est bouchonné ! ajouta Dia.

Un jeune Devaronien que Piggy ne connaissait pas lança :

— Ravi de vous rencontrer. Voulez-vous me tuer ? Tous ont refusé !

La technicienne intervint :

— Dans la mesure du possible, évitez les activités stressantes pour les muscles de votre abdomen.

— Histoire de marquer ce petit événement, dit Janson, nous avons fait fabriquer des objets spéciaux pour vous : des bonbons, du cognac et du fromage, le tout au bacta !

— Kell et moi avons mis au point un manuel d’instruction : L’Art de l’Esquive, dit Shalla.

Piggy épongea sa peau humide avec un petit sourire. Ça faisait du bien d’être de retour !

 

Sur Saffalore, la troisième pluie de météores en trois jours atteignit les régions arctiques de l’hémisphère nord. La plupart des corps célestes se dissipèrent dans l’atmosphère. Mais quelques-uns avaient une masse suffisante pour laisser des cratères…

Cachés au milieu des météorites, deux douzaines de chasseurs s’écartèrent au dernier instant pour éviter le crash.

Trois étaient des intercepteurs Tie, les chasseurs les plus dangereux de l’Empire, les autres étant des ailes X munies de réservoirs supplémentaires sous les stabilisateurs.

L’ennui d’une telle mission, pensa Donos, c’est que sous ses allures routinières, elle est assez dangereuse pour qu’on se fasse tuer !

Ils voleraient en mode de suivi de terrain, qui exigeait de la concentration. Il y aurait une chaîne montagneuse à survoler avant d’atteindre l’objectif. Et les pilotes voleraient en silence com.

Quand Donos était sniper dans les forces armées corelliennes, il avait appris à garder son attention braquée sur sa cible.

Il avait fini par douter de la moralité de ses actes… Même si ses proies étaient des meurtriers, il ne leur laissait aucune chance.

S’engager dans la chasse lui avait semblé la solution, fort des réflexes et de la formation technique nécessaires, il s’était rapidement élevé dans la hiérarchie, recevant le grade de capitaine.

Lors d’une embuscade sur un monde inhabité, son escadron avait été exterminé. Plus qu’une tache dans son dossier, il en gardait une cicatrice affective qui ne guérirait peut-être jamais.

Donos releva la visière de son casque. Il lui fallait chasser de son esprit ces émotions négatives et maîtriser ses réactions sans rien trahir de ses faiblesses.

Il avait tout perdu : ses onze camarades et son commandement. L’Escadron Serres n’avait pas été reconstitué. Quelque temps plus tard, quand la perte de son astromec avait fait de lui une épave, il avait sombré dans la folie, revivant sans cesse la destruction de son escadron…

Ses nouveaux collègues l’avaient forcé à affronter la réalité, l’incitant à se tourner de nouveau vers l’avenir.

Il avait deux solutions.

Demander un transfert aux Renseignements, ou démissionner afin de traquer les responsables.

Inyri Forge avait raison : la vengeance était une motivation puissante. Donos gardait en lui une soif inassouvie de justice. Il en rêvait la nuit comme le jour. Quand il tiendrait les coupables dans sa ligne de mire, il n’hésiterait pas une seconde…

Deux des principaux instigateurs de la destruction de son escadron étaient déjà morts. L’amiral Trigit avait monté l’embuscade grâce aux informations du lieutenant Pethotel. Celle-ci avait péri dans l’explosion du destroyer de Trigit, l’Implacable. L’amiral avait été abattu peu après, en tentant de s’échapper à bord d’un intercepteur Tie descendu par Donos en personne.

Mais d’autres salauds devaient avoir trempé dans la conspiration. Des agents des Renseignements Impériaux avaient infiltré le lieutenant Pethotel dans le commandement de la flotte avant de la rappeler discrètement à bord de l’Implacable. Des éléments du Cent quatre-vingt-unième groupe de chasseurs impériaux avaient participé à l’embuscade. Bizarrement, ce groupe travaillait maintenant avec Zsinj.

Ces misérables méritaient la mort ! Pourtant, Donos aurait voulu tourner le dos à tout ça et mener enfin une vie normale…

Devait-il essayer de rebâtir sa carrière et sa vie ?

Falynn Sandskimmer l’avait aimé. Et lui… ? Il n’aurait su le dire… À l’époque, il n’était probablement pas en état de rendre son amour à une femme… Mais il avait eu de l’affection pour Falynn.

Elle aussi était morte à bord de l’Implacable.

Maintenant… Il y avait Lara Notsil.

Qu’avaient-ils partagé ? Quelques vols, une mission au sol où il l’avait sauvée d’un kidnapping par des agents de Zsinj… Plus quelques conversations au mess.

Pourtant, elle occupait ses pensées. Son intelligence et sa beauté l’attiraient. Elle avait tiré un trait sur son existence de fille de ferme, sur Aldivy, et ça n’était pas non plus pour déplaire à Donos. Elle parlait peu de son passé et de son enfance. Quant à l’avenir, elle ne semblait guère s’en soucier…

Au fond, ils avaient plus d’une chose en commun.

Mais ça ne mènerait à rien si ni l’un ni l’autre ne se décidait à faire le premier pas. Avait-elle conscience des sentiments de Donos… ?

Non… Et de quel droit chamboulerais-tu sa vie ? Fais plutôt quelque chose de la tienne ! Démissionne et pourchasse tes ennemis. Règle tes comptes en souffrance…

Pourtant… S’il pouvait offrir à la jeune femme un avenir…

Enfin ! Voilà que tu utilises ce vieux truc rouillé qui te sert de cerveau !

Il sursauta. C’était la voix de Ton Phanan, un de ses camarades, mort quelques semaines plus tôt… Ton aussi avait décidé qu’il n’avait pas d’avenir. Et la mort l’avait emporté.

Tant qu’il vivrait, Donos, lui, aurait encore le choix.

À condition de triompher du plus dur : se pardonner à lui-même la mort de ses pilotes.

Et de parler à une jeune femme qui avait soudain pris une grande place dans sa vie.

 

Le point d’atterrissage était une clairière, environ soixante-dix mètres d’espace dégagé en pleine forêt. Sans les moteurs à répulsion, les chasseurs n’auraient jamais pu poser leurs appareils.

— Sortez les camouflages, ordonna Wedge. Transférez le carburant restant dans les intercepteurs. Pressons ! Je veux que tout soit prêt dans dix minutes. L’aube pointera dans une heure. Hobbie, Corran, Asyr et Tal’dira, vous avez le premier tour de garde. Les autres, quatre heures de sommeil. Face ?

Il lui fit signe de le suivre.

— Quelque chose risque de créer de nouveaux problèmes ?

— Je ne pense pas. La grande question reste le transport. La ville n’encourage pas les déplacements à pied.

— À vous de trouver. La nuit porte conseil.

Face eut un sourire amer.

— Comme si j’allais pouvoir dormir…

 

Une fois la bâche de camouflage tirée sur son aile X, Donos partit à la recherche de Lara. Il la trouva près de son chasseur, parlant à voix basse à son astromec, Tonin.

— Puis-je vous voir un instant ? demanda-t-il.

— Bien sûr.

— J’aimerais que vous réfléchissiez à une chose, annonça-t-il, fier de son calme.

— Laquelle ?

— Moi.

Elle leva un sourcil, souriante.

— Les pilotes Rebelles ont les egos les plus hypertrophiés de la galaxie…

— Vous n’y êtes pas ! C’est pour rétablir l’équilibre… Je pense sans arrêt à vous.

Le sourire de la jeune femme s’effaça.

— Myn, ça n’est pas drôle.

— Parfait. Je n’essayais pas de vous amuser. J’ai eu du mal à me décider à vous parler. Alors, essayez de me prendre au sérieux !

Elle recula.

— Non ! Je ne suis pas la femme qu’il vous faut !

— Voilà un signe très encourageant.

— Comment ?

— Vous n’avez pas dit que vous ne m’appréciez pas. Au contraire, vous vous souciez de mon intérêt.

Elle le foudroya du regard.

— Je ne vous trouve pas sympathique du tout !

— Trop tard ! Vous mentez. Vous le faites souvent, comme Face. Vous ne vous débarrasserez pas de moi aussi facilement.

— Je suis dans un état lamentable. Tout juste bonne à voler. Ma carrière va à vau-l’eau…

— Ça alors… On croirait m’entendre ! Quelle heureuse coïncidence.

— Ça suffit ! cria-t-elle, surprise par sa propre véhémence. (Elle se reprit.) Il me suffirait de quelques mots, Donos, pour vous détourner de moi à tout jamais.

Il sentit qu’elle disait la vérité.

— Alors ne les prononcez pas.

Ému par son air perdu, Donos la prit dans ses bras et l’embrassa.

Elle garda la bouche fermée, tremblante, puis se laissa aller, lui passant les bras autour du cou.

Donos se demanda comment il avait pu vivre si longtemps sans elle.

— Vous voyez ? lâcha-t-il quand elle s’écarta. C’est beaucoup mieux ainsi…

Il comprit aussitôt qu’il aurait mieux fait de se taire.

Elle lui jeta un regard furieux.

— Merci de m’avoir rappelé quelle outre gonflée de vent vous êtes !

Elle le repoussa sans ménagements. Donos se cogna contre l’aile de l’intercepteur de Kell.

— Ouille !

— Ne m’approchez plus, lieutenant !

Elle partit à grandes enjambées.

Sachant comment il se débrouillait d’habitude, côté relations humaines, Donos songea que ça ne s’était pas si mal passé…

Réprimant son envie de siffloter, il retourna vers son chasseur.