The Project Gutenberg EBook of Le Tour du Monde; En Roumanie, by Various
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org
Title: Le Tour du Monde; En Roumanie
Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905
Author: Various
Editor: Édouard Charton
Release Date: September 14, 2009 [EBook #29986]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; EN ROUMANIE ***
Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
Note au lecteur de ce fichier digital:
Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
Ce fichier est un extrait du recueil du journal "Le Tour du monde: Journal des voyages et des voyageurs" (2ème semestre 1905).
Les articles ont été regroupés dans des fichiers correspondant aux différentes zones géographiques, ce fichier contient les articles sur la Roumanie.
Chaque fichier contient l'index complet du recueil dont ces articles sont originaires.
La liste des illustrations étant très longue, elle a été déplacée et placée en fin de fichier.
LE TOUR DU MONDE
PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20
NOUVELLE SÉRIE—11e ANNÉE 2e SEMESTRE
LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS
Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TABLE DES MATIÈRES
L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL
I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1
II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13
III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25
IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37
V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49
SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.
I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61
II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73
III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85
IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90
L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER
I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97
II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109
III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121
D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.
I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133
II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145
III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157
LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL
À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169
LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS
I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182
II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193
III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205
IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217
V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229
VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241
LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH
La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253
SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS
I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265
II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277
L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY
Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289
À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH
SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.
I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301
II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313
III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325
IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337
V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349
AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE
MIRAMON-FARGUES
De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361
EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK
I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373
II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385
III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397
CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.
I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410
II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421
III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423
IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433
ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU
Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445
VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS
CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL
I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457
II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469
III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481
IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493
V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505
VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507
L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE
Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517
PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR
Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529
UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU
PICQ
I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541
II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553
LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ
Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565
DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE
DIEULAFOY
I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577
II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589
III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601
IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613
TOME IX, NOUVELLE SÉRIE.—32e LIV. No 32.—12 Août 1903.
LA PETITE VILLE DE PETROZENY N'EST GUÈRE ORIGINALE; ELLE A DE PLUS UN ASPECT MALPROPRE (page 375).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
EN ROUMANIE
Par M. TH. HEBBELYNCK.
I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiu — Le monastère de Tismana.
PAYSAN DES ENVIRONS DE PETROZENY ET SON FILS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Ces messieurs sont ingénieurs?—Pardon, Madame.—Inspecteurs des forêts?—Pas davantage: nous sommes de simples voyageurs.—Des voyageurs? Ici, en Roumanie, et sans que cela puisse rien vous rapporter?—Rien que la satisfaction d'observer des mœurs intéressantes, d'admirer un beau pays, d'en emporter d'agréables souvenirs.
C'est dans ces termes que nous fûmes, un jour, interviewés par une personne de distinction, femme d'un général roumain, en villégiature dans une localité charmante, au cœur des montagnes de la Valachie. Cette interview prouve assez que les excursionnistes n'ont guère visité jusqu'ici la Roumanie, et que, ni le Club Alpin, ni les agences Cook n'ont point encore pris possession de ces belles forêts des Carpathes et de ces poétiques vallées qui en descendent vers le Danube.
Notre voyage date du mois d'août 1901. Tout d'abord, nous avons parcouru cette Roumanie, encore primitive, restée jusqu'en ces derniers temps à peu près telle qu'elle était il y a vingt siècles, et qu'on retrouve dans les régions montagneuses de la Valachie. Ensuite, nous avons visité la Roumanie moderne, industrielle, née avec le nouveau régime, et dont Bucharest est l'âme et le centre.
L'art en Roumanie n'a laissé à travers les âges que de bien faibles traces. Tous les souvenirs anciens qu'on croirait devoir rencontrer dans un pays colonisé par les Romains, ont été anéantis par le flot barbare qui, se déversant dans ces provinces pendant douze siècles, a tout balayé, tout emporté. Seuls, quelques monastères, construits au moyen âge sous les princes ou voïvodes, et dont celui de Curtea de Arges est le plus célèbre, attirent aujourd'hui l'attention. Mais le grand attrait pour le voyageur consiste dans le paysage souvent grandiose, toujours poétique, dans l'originalité des costumes et dans les mœurs des habitants.
Nous partons par Budapest, la superbe capitale de la Hongrie, qui, depuis 1896, s'est mise au rang des plus belles villes de l'Europe. Elle fêtait alors, par une brillante exposition et par l'inauguration d'une série de monuments nouveaux (le Parlement entre autres), le millénaire de la prise de possession de la Hongrie par les hordes magyares, sous la conduite d'Arpad.
Au sortir de Budapest, le train nous emporte à travers les plaines fertiles de la Hongrie, entre des champs de blond maïs, dont on n'aperçoit pas la fin. D'immenses meules de blé sont groupées autour des fermes, où fonctionnent des batteuses à vapeur et où s'agite tout un peuple de travailleurs et de travailleuses, habillés de blanc. Plus loin, d'innombrables troupeaux de bœufs, aux grandes cornes largement écartées, puis des porcs aux longues soies frisées, très drôles sous leur «toison panachée», et qu'à distance on prendrait pour des moutons.
C'est dans ces plaines hongroises, aux environs d'Arad, que pour la première fois nous voyons des buffles domestiques. Tandis que les bœufs promènent leur mélancolie dans la prairie, les buffles se baignent avec volupté dans les eaux tièdes de la rivière. Ces animaux sont très recherchés en Hongrie et en Roumanie; leur lait est excellent, ils sont durs à la fatigue, s'attellent, tout comme les bœufs, aux chariots des paysans; mais ils sont également sensibles à la chaleur et au froid, réclament beaucoup d'eau en été, et demandent en hiver des étables spéciales. Aussi, en Transylvanie et en Roumanie, où les hivers sont rigoureux, les loge-t-on sous les fermes, dans des caves bien abritées.
Cette portion de la Hongrie, la «Puzsta», est fort peu habitée, mais le sol est très fertile et bien cultivé; si les corps de ferme y sont rares, ils sont généralement importants. C'est la grande culture, dans toute l'acception du terme.
Mais nous voici aux confins de la plaine: nous approchons des forêts de la Transylvanie. À Piski, où nous avons nos premières impressions sur ces rudes montagnards que nous allons voir de près pendant quelques jours, nous quittons la grande voie pour entrer définitivement dans la montagne et gravir cette portion des Carpathes du sud qui, dans toute son étendue, n'offre qu'une seule brèche naturelle, celle de la Tour Rouge. Plus on s'élève, plus les fermes prennent un aspect misérable. Ce ne sont que des habitations en torchis, recouvertes de roseaux ou de tiges de maïs desséché, et groupées autour de pauvres églises, entièrement en bois. Bientôt toute trace d'habitation disparaît, et la route prend un aspect vraiment grandiose. C'est un chaos qu'il nous faut traverser.
Les tunnels succèdent aux tunnels, et des corniches hardies sont accrochées au flanc des rochers. Il fait nuit lorsque nous nous arrêtons à deux pas de la frontière roumaine, dans un centre houiller, dominé par des rochers de 2 500 mètres: nous sommes à Petrozeny. La ville est à quelque distance de la gare. À peine deux ou trois fiacres, sitôt envahis, se trouvent-ils à la disposition des voyageurs, et sans l'extrême obligeance d'un inconnu, qui, fort gracieusement, nous cède son équipage, nous aurions dû faire la route à pied.
Vingt minutes au trot rapide de nos chevaux, et nous voilà sur la grande place, devant le principal hôtel de la localité, où un joyeux concert rassemble l'élite des habitants.
Vers deux heures du matin, des clameurs, des cris de détresse, nous réveillent en sursaut. Une flamme énorme s'élève de la grande place. C'est une baraque tzigane, accolée à l'hôtel, qui flambe.
Déjà l'escalier de sortie de l'hôtel est menacé, et le personnel de la maison, sans songer à réveiller les voyageurs, encombre les corridors d'armoires, de matelas, de tapis. C'est à grand'peine que nous pouvons nous frayer un passage pour gagner la cour intérieure, où, après cette chaude alerte, nous sommes en lieu sûr.
VENDEUSES AU MARCHÉ DE TARGU-JIUL (page 382).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
La population de Petrozeny est, en grande partie, roumaine. Cependant, comme la ville est industrielle, une foule d'étrangers se mêle à la population primitive; voilà pourquoi, à côté des frais et gracieux costumes roumains, on trouve bon nombre de gens vêtus d'une façon quelconque.
La petite ville n'est guère originale. Des maisons en brique, en torchis ou même en bois bordent les rues, et de chacune de ces devantures sortent des perches où se balancent, ici une enseigne, là des peaux de mouton, des casseroles, des saucissons, voire des chemises. C'est un vrai concours d'étalages.
Petrozeny a un aspect malpropre. L'habitant n'y a que la coquetterie du linge blanc. Chez l'homme, le pantalon et la chemise sont d'une blancheur éclatante; chez la femme, la chemise et le voile sont également irréprochables. Seul, le Tzigane se permet du linge de nuance douteuse, et je crois volontiers qu'il ne quitte sa chemise que lorsque celle-ci le quitte, c'est-à-dire lorsqu'elle tombe en lambeaux. L'intérieur des habitations est dépourvu de tout confort. Ces gens se contentent de si peu, qu'ils ne comprennent rien aux légitimes exigences des rares voyageurs qui s'égarent au milieu d'eux.
La place du marché offre un genre d'animation tout particulier. On se croirait dans la cour d'une ferme. Les oies, les porcs, y ont droit de cité; ceux-ci présentent une variété infinie. Il y en a de blancs, de noirs, de roux, de toute nuance et de toute dimension, suivant qu'ils appartiennent à la race moldave, serbe, ou à la race des cochons de marais, qu'on trouve surtout aux environs du Danube. Ces intéressants animaux vivent en liberté et vont chercher des glands dans les immenses forêts de chênes, qui couvrent les hauteurs voisines.
D'après les relevés statistiques du ministère des Finances, la population de la Roumanie était, en 1894, de 5 millions d'habitants. Mais les calculs de M. Stourdza, plus exacts, dit-on, en accusent 6 100 000 à la même époque[1].
L'histoire du peuple roumain est celle d'un peuple malheureux, auquel l'oppression, les guerres, le servage, ont enlevé toute initiative; d'un peuple dont l'intelligence et l'énergie ont été énervées par le joug séculaire des Turcs.
La Roumanie actuelle, Valachie, Moldavie et Dobrudja, se compose de la plus grande partie de la Dacie ancienne, conquise par Trajan à la fin du Ier siècle de l'ère chrétienne. Comme le pays était fort dépeuplé par les guerres, Trajan y établit des colons romains qui, se mêlant à la population primitive, formèrent la race encore aujourd'hui existante des Daco-Romains ou des Roumains. Bientôt les Goths, les Huns, les Bulgares, les Hongrois, les Tartares, passent tour à tour sur l'ancienne Dacie, qu'ils ravagent, et tandis que de nombreux Daco-Romains franchissent les Carpathes et se retirent en Transylvanie, l'autre partie de la jeune nation, après une lutte désespérée, consent à partager un territoire qu'elle ne peut plus disputer.
Au XIIIe siècle, les Tartares envahissent la Hongrie et la Transylvanie. Fuyant ces hordes barbares, les Daco-Romains, qui s'étaient réfugiés en Transylvanie, font un nouvel exode, et retraversant les Carpathes, s'en retournent dans leur ancienne patrie[2]. Radu-Negru, Rodolphe le Noir, chef de la colonie de Fogaras, se fixe à Campolung et devient le premier voïvode de la Valachie, tandis qu'un autre chef, du nom de Bogdan, se fait reconnaître voïvode de la Moldavie. Voilà les deux principautés roumaines indépendantes, mais cette indépendance n'est pas de longue durée.
En 1393 la Valachie, et en 1511 la Moldavie deviennent vassales de la Porte. Tout d'abord, ces provinces sont gouvernées par des chefs indigènes sous la suzeraineté des sultans de Byzance. Mais au XVIIIe siècle, ceux-ci leur imposent des princes étrangers, qu'ils choisissent parmi les gros financiers grecs établis au Phanar de Constantinople. C'est l'époque dite Phanariote (1716 à 1822). À leur avènement, les princes Phanariotes étaient tenus de fournir, outre le tribut annuel, une somme importante à la Porte. Dès lors, les charges les plus lourdes pèsent sur les populations et, tout en conservant nominalement leur indépendance, elles sont rançonnées de la façon la plus inhumaine.
LA NOUVELLE ROUTE DE VALACHIE TRAVERSE LES CARPATHES ET ABOUTIT À TARGU JIUL (page 377).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
En 1820, toutefois, le Roumain, fatigué du joug, sort de sa torpeur, se soulève contre le sultan et réclame, avec une énergie dont on ne l'aurait pas cru capable, ses princes indigènes qui lui sont rendus. Ceux-ci relèvent le sentiment national et, après la guerre de Crimée, obtiennent pour les provinces roumaines une semi-indépendance, garantie par les puissances signataires du traité de Paris (1856).
L'union des provinces est proclamée en 1861, et le colonel Couza est élu prince sous le nom d'Alexandre-Jean Ier. D'accord avec son gouvernement, il décrète à la fois la sécularisation des monastères, qui possédaient le quart du territoire, et l'émancipation des paysans. Mais en 1866, il est forcé d'abdiquer, et les Chambres, après une démarche infructueuse auprès de S. A. R. le Comte de Flandre, proclament le prince Charles de Hohenzollern, prince de Roumanie.
À son avènement tout était à créer. Les villes présentaient un aspect de pauvreté absolue. Partout régnaient la corruption et le vol. Aussi le prince s'occupe-t-il immédiatement de la réorganisation des divers services de l'État, et en 1877, lors de la guerre turco-russe, la Roumanie qui s'est avancée à grands pas est de taille à fournir un puissant appoint à la Russie.
C'EST AUX ENVIRONS D'ARAD QUE POUR LA PREMIÈRE FOIS NOUS VOYONS DES BUFFLES DOMESTIQUES (page 374).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Elle ne fut que médiocrement récompensée de son généreux concours. On lui donna la Dobroudja avec le port de Constanza; mais, en échange, elle dut céder la partie de la Bessarabie acquise en 1856, et que la Russie convoitait depuis longtemps. Il est vrai que l'indépendance complète de la Roumanie fut reconnue par les divers États de l'Europe, et en 1881, le prince Charles de Hohenzollen obtint le titre de roi de Roumanie.
Nous pénétrons en Valachie par la nouvelle route qui traverse les Carpathes et aboutit à Targu Jiul. Puis, après nous être arrêtés successivement aux monastères de Tismana, d'Horezu, de Curtea de Arges, de Campolung, nous nous dirigeons vers Bucharest, capitale de la Roumanie, d'où nous visiterons la contrée pétrolifère de Doftana et les mines de sel gemme de Slanic. Nous terminerons par Sinaïa, la poétique résidence des souverains de Roumanie.
Actuellement, on ne voyage en Roumanie qu'en victoria, avec deux, trois ou quatre chevaux attelés de front. Sous la capote, se trouve un grand râtelier où l'on emmagasine le fourrage de la journée, et auquel on attache le seau destiné à faire boire les chevaux, toutes choses qu'on ne trouverait pas en route. Le sac contenant le maïs, qui se donne au lieu d'avoine, se place à côté du cocher, qui, après s'être pourvu d'amples munitions, daignera enfin s'occuper de caler vos bagages.
Les chevaux sont très fringants et très résistants à la fatigue. Ils font 80, voire 100 kilomètres par jour, à raison de 10 kilomètres à l'heure. Les cochers ont une manière spéciale de les stimuler, en accompagnant leurs coups de fouet de cris sauvages, très particuliers.
Il y a vingt-cinq ans, la victoria était inconnue dans le pays, et l'on ne voyageait qu'en birdj, la voiture nationale, encore utilisée aujourd'hui par les paysans. Le birdj est une caisse en bois, à claire-voie et sans ressorts, supportée par quatre roues avec, à l'arrière, l'inévitable râtelier à fourrage et, au-dessus, une grande bâche, soutenue par de larges cerceaux. On y entre par une ouverture étroite et basse, ménagée entre les roues, et l'on trouve à l'intérieur comme banquette ses colis ou une botte de foin.
La vallée du Jiul, qui s'ouvre devant nous au départ de Petrozeny, a été longtemps réputée impraticable, et il fallait qu'elle fût bien mauvaise, car les montagnards eux-mêmes la regardaient comme infranchissable, et pour traverser cette portion des Carpathes, ils préféraient encore, au milieu des obstacles de toute nature, gravir le rude sentier qui traverse le col du Vulcan. Mais grâce à de superbes travaux, dus en grande partie à des ingénieurs belges, elle est aujourd'hui traversée par une des routes les plus majestueuses et les plus sûres qu'on trouve dans les Carpathes du sud. On s'enfonce dans une étroite crevasse dominée de chaque côté par des pics élevés, absolument nus dans le haut, et couverts dans le bas d'admirables forêts inexploitées, qui leur font une superbe et sombre parure. Tout au fond de la crevasse le Jiul hongrois, grossi du Jiul roumain, roule ses eaux tumultueuses au milieu de tous les obstacles qui encombrent son lit de rochers. Tantôt étranglé entre les parois rocheuses, il écume et bondit, tantôt il s'étale calme et tranquille au milieu des flots de verdure qui s'abaissent jusque dans ses eaux.
Parfois la rivière est si furieuse qu'elle emporte avec elle une partie de la route nouvelle construite à grands frais. On ne peut dans nos pays se faire une idée de ces crues subites des rivières. Elles se produisent non seulement au printemps, lors de la fonte des neiges sur les hauts sommets, mais encore au plein cœur de l'été.
Cette route n'est certes pas comparable aux merveilleux défilés de la Suisse; mais elle rappelle, avec un caractère plus sauvage et plus grandiose, les plus belles vallées de la Forêt-Noire et du Jura.
Presque à la sortie de la passe, au fond d'un enclos, se trouve blotti le modeste monastère de Naïch. Ce petit monastère, tout blanc, dont la curieuse église, aux fenêtres trilobées, est décorée, sur tout le pourtour, de jolies fresques, est encore occupé aujourd'hui par quelques moines.
MONTAGNARD ROUMAIN ENDIMANCHÉ.—CLICHÉ ANERLICH.
Bientôt, les montagnes s'abaissent et s'écartent. Le Jiul, débarrassé de ses entraves de pierre, coule dans un lit dix fois trop large pour ses eaux, et les forêts disparaissent pour faire place à de modestes cultures. Ce n'est qu'après avoir parcouru 30 kilomètres que nous rencontrons quelques maisonnettes de bois, avec des toits pointus à la turque, et recouvertes de planchettes de bouleau. Si pauvres qu'elles soient, toutes sont séparées les unes des autres et entourées d'une clôture. En Roumanie, comme dans la plupart des pays d'Orient, les haies vives sont inconnues. On se clôture au moyen de planches, de pieux, de branches mortes ou de clayonnage. Ces petites fermes, en dépit de leur aspect misérable, constituent, du reste, une réelle amélioration dans le sort du Roumain. Il a aujourd'hui son habitation à lui, ses étables, son grenier à maïs, sa porcherie, alors que, pendant des siècles, sous la domination des boyards, il a vécu dans de véritables tanières creusées à 2 mètres de profondeur dans le sol, et sous un toit de clayonnage couvert de mottes de terre. Devant chacune de ces demeures s'ouvre une véranda, où la famille dort en été, alors que les fortes chaleurs rendent l'intérieur inhabitable. Le soir on y place matelas et couvertures, que l'on a soin de faire disparaître au matin.
Autrefois, une coutume pieuse voulait que chaque paysan plaçât devant la porte de sa demeure une écuelle d'eau, à l'usage des passants et des voyageurs; aujourd'hui, devant chaque ferme, on voit se dresser, comme d'énormes potences, des pompes à levier, et chacun peut à loisir y étancher sa soif.
La porte monumentale, qui ferme les enclos, est un des ornements de l'habitation roumaine; on la trouve partout, dans les grandes fermes comme dans les plus petites, dans les villas comme dans les monastères. Ces portes sont très curieusement et parfois artistement découpées.
La boyarie ne fut réellement établie dans le pays qu'à la fin du XIVe siècle. Radu ou Rodolphe XIV, aidé par le patriarche grec Niphon, conçut l'idée de créer une noblesse, sur le modèle de la noblesse byzantine, et transforma en titres nobiliaires les offices de la Cour[3]. Ce fut l'origine de la boyarie. Plus tard, sous les Phanariotes, une foule d'aventuriers grecs envahit le pays à la suite des princes qui, de préférence, les élevaient aux honneurs. Il se créa ainsi au sein du pays une aristocratie étrangère, avilie, corrompue, âpre au gain, pressurant les indigènes et les pillant sans vergogne. Cette nouvelle noblesse était héréditaire jusqu'à la seconde génération.
DERRIÈRE UNE HAIE DE BOIS BLANC S'ÉLÈVE L'HABITATION MODESTE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
NOUS CROISONS DES PAYSANS ROUMAINS (page 382).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Chaque titre de boyard donnait droit à un certain nombre de paysans, redevables uniquement à leur seigneur. Soixante mille familles furent ainsi mises au service des boyards. Ces malheureux cultivateurs, sans être précisément attachés à la glèbe, n'avaient pas le droit de changer de maître, et ne pouvaient quitter leur terre qu'avec l'autorisation du propriétaire. «Encore en 1856, nous dit Elisée Reclus[4], les maîtres du sol et de ses habitants étaient environ 5 à 6 000 boyards. Mais parmi eux existait une grande inégalité; la plupart n'étaient que de petits propriétaires, tandis que 70 feudataires en Valachie et 300 en Moldavie, se partageaient, avec les monastères, la possession du territoire presque tout entier.»
En 1864, lors de la sécularisation des monastères, le servage des paysans prend fin. Chaque famille reçoit un lot de terre variant de 3 à 6 hectares, suivant qu'elle a une vache, deux bœufs et une vache, ou quatre bœufs et une vache. L'hectare s'acquiert au prix de 120 francs payables à l'État par quinze annuités.
Le nombre de paysans, devenus propriétaires de cette manière, s'élève au début à 450 000; mais en 1880, lors d'une nouvelle distribution de terres par l'État, il s'accroît encore de 100 000.
Malgré cette réforme, les grandes sources de richesse appartiennent encore à l'État et aux anciens boyards. L'État, en effet, exploite lui-même les mines inépuisables de sel gemme, il est maître des terrains pétrolifères, maître en grande partie des forêts qui couvrent le cinquième du territoire. Quant aux boyards, ils ont entre les mains d'immenses propriétés que les voïvodes leur ont cédées, et dont l'étendue varie de 4 000 à 8 000 hectares.
Ces propriétés ne peuvent être vendues ou aliénées en bloc; la loi en défend le morcellement. Au reste, en vertu de l'article 7 de la Constitution, l'acquisition de la propriété immobilière est interdite aux étrangers. Toutefois, ils peuvent hériter d'un Roumain; mais, dans ce cas, l'État est en droit de les obliger à vendre leurs propriétés, à moins qu'ils n'obtiennent la naturalisation. Celle-ci s'acquiert à la suite d'un vote du Parlement et après dix années de séjour. Il existe encore d'autres tempéraments à la règle qui vise les étrangers. Ils peuvent notamment avoir des maisons en ville, et des projets de réforme, dit M. Benger[5], tendent à rendre possible l'acquisition des propriétés immobilières aux sociétés étrangères, dans le cas où la majorité des associés se compose de citoyens roumains.
COSTUME NATIONAL DE GALA ROUMAIN.—CLICHÉ CAVALLAR.
La manière dont on exploite ces grands domaines est assez originale. À jour fixe, le maïeur convoque les familles de son village et répartit entre elles, moyennant un salaire souvent dérisoire, les terres que chacune d'elles pourra cultiver. Ce salaire est payé d'avance, mais la récolte entière revient au propriétaire. Dois-je le dire, ces malheureux paysans, si maltraités autrefois, le sont encore aujourd'hui, et en maintes circonstances on ne se fait pas faute de les brutaliser et de les frapper.
Beaucoup d'anciens boyards, spécialement en Moldavie, dirigent eux-mêmes leurs exploitations agricoles, et occupent de vastes corps de ferme, où ils séjournent pendant dix mois de l'année. Mais au cœur de l'hiver ils voyagent, et vont dépenser leurs revenus à Bucharest, Vienne et Paris.
Sur la route de Targu Jiul, nous croisons de grands attelages. Sept à huit couples de bœufs, les uns derrière les autres et dirigés par des paysans tout habillés de blanc, traînent des machines agricoles et de lourds chariots remplis d'articles perfectionnés ayant trait à l'agriculture. Autrefois le battage se faisait en Roumanie à l'aide de bœufs qui foulaient le blé sur l'aire. Aujourd'hui la machinerie agricole a pénétré partout et les petits propriétaires s'associent dans le but de faire l'acquisition de batteuses à vapeur.
Des hommes, des femmes à cheval se dirigent vers la ville, des enfants absolument nus s'enfuient à notre approche. Les villages deviennent plus importants, les maisons plus soignées, et sur les pieux des clôtures, de curieux vases, de formes variées et d'une décoration toute particulière, sont retournés pour égoutter et pour sécher. La poterie est en effet une des branches les plus intéressantes de la petite industrie roumaine. Il se tient même des foires de poterie, et l'on se demande vraiment comment les Roumains peuvent utiliser cette infinie variété d'ustensiles.
DANS LES VICISSITUDES DE LEUR TRISTE EXISTENCE, LES TZIGANES ONT CONSERVÉ LEUR TYPE ET LEURS MŒURS (page 383).—PHOTOGRAPHIE ANERLICH.
À l'entrée de la ville, des familles entières prennent le frais au dehors. Elles sont là, au bord du chemin, accroupies en cercle, dans le plus grand laisser-aller. La modestie n'est certes pas la vertu par excellence des Roumaines campagnardes. Peut-être ont-elles à ce sujet des notions différentes des nôtres. Il est vrai que plus on s'approche de l'Orient, plus le déshabillé est toléré.
Nous voici à Targu Jiul, la première localité importante de la Roumanie. C'est une grosse bourgade de trois mille habitants, dont le principal monument est une école en construction, signalée comme une école-modèle.
L'hôtel où nous descendons est très bien tenu, et, surprise fort agréable, le propriétaire parle le français. Mais il nous faut faire connaissance avec la cuisine roumaine. Oh! la cuisine roumaine! Des potages acides, dans lesquels nagent une demi-douzaine de sardines. N'est-ce pas à vous enlever du coup le plus bel appétit?... Ni roastbeef, ni beefsteak.... On ne tue pas les bœufs, ils servent uniquement de bêtes de trait. Les porcs, ils courent les rues, mais on ne les tue pas davantage en été, sous prétexte que la viande ne se conserve que deux ou trois jours. Des poulets on en a à satiété, mais ceux qu'on nous présente à table sont des poussins étiques, grillés à tel point qu'ils sont presque desséchés. Le mouton au paprika, le koukouroute, grappes de maïs bouillies, sont les plats les plus recommandables du menu.
Dans les hôtels, on dîne au son de la musique. Si vous avez l'orchestre tzigane, la musique sera sauvage, ardente, passionnée; si vous avez l'orchestre roumain, l'ardeur, la fougue disparaissent pour faire place à la complainte et à la mélancolie. C'est triste à faire pleurer, c'est la douleur mise en musique.
Au milieu de la nuit, nous sommes réveillés par un orage furieux, comme on n'en connaît guère dans nos pays. C'est une succession de longs éclairs blafards, partant à la fois de tous les points de l'horizon, et illuminant, sans discontinuer, la place et les rues de la ville. En même temps, toutes les cataractes du ciel se déversent sur la terre, et les rues se transforment en vrais torrents. Au matin, les rues sont sèches, l'air est pur et embaumé.
Malgré l'orage de la nuit, dès quatre heures le marché, qui se tient en face de notre hôtel, offre une animation extraordinaire. Rien de plus gracieux, de plus pittoresque que ces marchés qui réunissent les habitants des vallées voisines. Ceux-ci arrivent à la ville en charrette attelée d'une paire de bœufs, ou à dos de mulet, les femmes à califourchon, tout comme les hommes, tenant une enfilade d'une quinzaine de poulets liés les uns aux autres par les pattes, et qu'elles présentent dans le plus piteux état. Quelques femmes arrivent au marché les mains vides, mais le corsage fort rebondi. À peine en place, elles plongent la main dans leur chemise entr'ouverte sur le devant, et qui d'ailleurs leur tient toujours lieu de poche, et en retirent qui un poulet, qui un canard: j'en ai même vu qui en retiraient un petit cochon de lait qu'elles portaient ensuite maternellement dans les bras. Mais les plus originales sont celles qui s'en retournent de la ville avec les provisions les plus disparates dans leur poche improvisée. Celle-ci s'allonge alors d'une façon démesurée et pend en sac sur le tablier, sonnant à chaque pas d'un bruit de vaisselle ou résonnant du chant triomphant d'un coq qui a trouvé preneur. Au marché, les femmes, debout ou accroupies, sont rangées le long des trottoirs, leurs marchandises étalées devant elles. La vente de ces produits n'est guère rémunératrice. On leur paie un poulet 30 centimes, quatre œufs 10 centimes et 4 litres de vin 15 centimes. Cependant elles n'ont nullement l'air de souffrir de la misère. Elles sont gaies et aimables et viennent au marché comme à une véritable fête.
Leur costume, d'une propreté irréprochable, ne manque pas d'élégance. Elles portent une chemise de toile très ample, ornée de broderies de laine bleue ou rouge. Devant et derrière flotte un tablier, la «catrinza» en laine, à larges rayures. Dans d'autres localités, elles s'enveloppent en guise de jupe d'une pièce d'étoffe en tissu très raide et décorée de riches motifs en couleur. Les jeunes filles vont toujours nu-tête, la tresse tombant sur le dos. Seules, les femmes mariées se couvrent la tête et les épaules d'un voile de tissu très léger, et dans certaines localités elles ont adopté le chapeau d'homme, ce qui n'est pas d'un effet fort gracieux.
Les vêtements des hommes rappellent l'ancien costume des Daces, reproduit sur la colonne Trajane. Il se compose d'une chemise en grossière toile de chanvre, fixée à la taille par une large ceinture de cuir qui tient lieu de poche. Sous la chemise, le pantalon de toile, serré généralement du genou à la cheville.
Le Roumain de la plaine, et surtout le Valaque, a les yeux noirs, le teint basané, la physionomie douce et expressive. De nos jours encore, il porte l'empreinte de la triste condition à laquelle il fut si longtemps réduit. Il est à la fois timide, patient, superstitieux et fataliste.
De grand matin, notre victoria attelée de trois chevaux nous attend à la porte de l'hôtel, et après nous être munis de provisions pour la journée, nous nous mettons en route pour Tismana.
ON RENCONTRE PRÈS DE PADAVAG D'IMMENSES TROUPEAUX DE BŒUFS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Le pays que nous traversons est très pittoresque. Aux bosquets touffus de haut taillis de chêne succèdent des forêts immenses, des futaies magnifiques, où les arbres atteignent des dimensions superbes. Ces forêts qui seraient une source de richesse si on les exploitait normalement, sont abandonnées. Les villages sont misérables, pauvres et sales, et l'on éprouve une impression pénible, lorsqu'on parcourt ces fertiles vallées des Carpathes, en constatant que l'activité y fait totalement défaut. Mais le pauvre, dans ce pays, n'a guère de besoins: il a dans sa maison du maïs, des oignons, du pain, un bloc de sel, du fromage, et cela lui suffit. La forêt lui fournit le bois, et ses vêtements sont filés, tissés et confectionnés chez lui par les femmes[6]. Chaque habitation a, en effet, son métier à tisser. Le chanvre fournit la toile grossière qui est l'élément principal de tout costume féminin ou masculin. La laine filée s'emploie à la fabrication des manteaux de drap grossier du paysan et des couvertures du ménage. Teinte à la garance ou au tournesol, cette laine sert aussi à tisser ces tabliers multicolores dont s'ornent les femmes, et à décorer le haut des chemises de broderies curieuses et artistiques.
J'ajouterai que jusqu'à l'âge de six à sept ans, la plupart des enfants courent absolument nus, ce qui est éminemment économique. Le soir seulement, on leur passe une chemise, pour les préserver de la fraîcheur des nuits.
Tout près de Tismana, nous rencontrons de nombreux groupes nonchalamment couchés sur le seuil de leur porte. Instinctivement, en nous voyant approcher, ils se lèvent et se tiennent debout en signe de respect jusqu'après notre passage. Ces groupes sont pour la plupart des Tziganes.
LES FEMMES DE TARGU JIUL ONT DES TRAITS RUDES ET SÉVÈRES SOUS LE LINGE BLANC.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
L'origine de cette race singulière a été longtemps contestée. Il semble établi aujourd'hui qu'ils viennent de l'Hindoustan. De vieilles chartes retrouvées à Tismana signalent, au XIVe siècle, les Tziganes réduits en esclavage en Valachie.
En effet, alors que partout ailleurs les Tziganes sont libres, ceux de Roumanie restent plongés dans un asservissement honteux pendant des siècles. Ils restent la chose de l'État, des boyards et des monastères, jusqu'en 1827, date de leur affranchissement. Leur nombre est assez restreint, et dans toute la Roumanie on n'en compte aujourd'hui que 260 000.
Au milieu des vicissitudes de leur triste existence, les Tziganes ont conservé leur type, leur langage, leurs mœurs. Le langage qu'ils emploient toujours entre eux est un dialecte hindou se rapprochant des idiomes sanscrits. Leur type est souvent remarquable et s'est conservé très pur à travers les âges. Ce n'est guère que depuis leur émancipation, qu'ils sont alliés aux autres Roumains. Ils ont le visage ovale, d'admirables yeux noirs étincelants. Les cheveux, très noirs aussi, sont portés en broussailles, et jamais un peigne n'a passé par là. Le nez est droit, légèrement aquilin, les dents d'une blancheur que rien ne peut altérer, pas même l'abus du tabac dont hommes et femmes font un usage insensé.
Beaucoup d'entre eux sont cultivateurs ou exercent le métier de forgeron et de maréchal ferrant. Mais ils sont surtout musiciens, et, sans aucune connaissance théorique, ils exécutent avec une délicatesse et un sentiment exquis des mélodies suaves.
Nous traversons maintenant des sous-bois ravissants. De tous côtés, des ruisseaux cachés dans les taillis descendent en cascades des hauteurs voisines, et murmurent le long de la route poudreuse.
À notre gauche, le monastère de Tismana, adossé à la montagne touffue et campé sur un ressaut de la roche, domine le paysage. Une chute d'eau sort tout écumeuse de dessous le monastère, et se précipite d'un seul jet au fond de la vallée, où, frémissante encore, elle poursuit sa course au milieu des sombres bosquets que nous côtoyons.
L'abbaye de Tismana, si renommée autrefois, n'a plus aujourd'hui pour toute richesse que sa position merveilleuse, son cadre superbe.
Une quinzaine de moines y abritent encore leur misère. Depuis la sécularisation des monastères en 1861, c'est-à-dire depuis l'époque où ils furent dépouillés de leurs trésors et de leurs biens, le Gouvernement se borne à allouer à chaque religieux 70 centimes par jour pour la nourriture, et 50 francs par an pour l'habillement. Les ornements riches et les icônes précieux leur ont été enlevés et sont exposés aujourd'hui au musée de Bucharest où ils ont perdu tout leur intérêt. Aussi quelle misère dans ces couvents: la cellule d'un des moines, où l'on nous mène pour jouir du magnifique coup d'œil qu'on a sur la vallée, est un misérable taudis sans autre meuble qu'un grabat.
Autrefois, au temps de leur splendeur, alors que les auberges étaient inconnues en Roumanie, les monastères d'hommes et de femmes offraient l'hospitalité la plus large et la plus gracieuse à tout étranger qui venait frapper à leur porte. Ils étaient même devenus des endroits de villégiature où la société des villes se donnait rendez-vous pour y passer la belle saison. Il y eut beaucoup d'abus, et cette existence oisive et mondaine, qui peu à peu s'insinua au sein de la vie monastique, fut même, paraît-il, un des prétextes de la sécularisation de leurs biens. Aujourd'hui que les moines sont réduits à la misère, et qu'ils doivent se livrer eux-mêmes à tous les travaux des champs, les cloîtres sont devenus déserts et silencieux. Quelques familles tranquilles, fuyant la température torride des plaines, viennent pourtant encore y chercher le repos et la fraîcheur. Les moines leur louent des appartements, mais ils n'offrent plus que le gîte. Leurs hôtes doivent pourvoir eux-mêmes à tous leurs autres besoins.
On pénètre dans le couvent par une première cour carrée où se trouvent les bâtiments destinés aux étrangers. Ils sont occupés actuellement par deux familles aisées de Craïova, dont les dames, fort aimablement, nous servent d'interprètes auprès du portier, superbe moine à la longue chevelure et à la barbe noire.
Une table se trouve placée dans le cloître à l'usage des visiteurs qui désirent prendre leur collation au monastère. Mais vraiment, nous pouvons nous estimer heureux d'avoir songé à apporter nos provisions et de ne pas nous être fiés à la règle, ancienne il est vrai, qui oblige les couvents à héberger et à nourrir les étrangers pendant trois jours. Le portier qui nous servait n'avait pas même de pain à nous offrir. Il n'avait que des biscuits ronds, durs et plats, comme d'énormes médailles, avec le chiffré du monastère sur une face, et sur l'autre l'effigie de saint Nicodème, patron de l'abbaye.
Les moines s'adonnent aux ouvrages les plus simples et aussi les plus fatigants. Mais ils conservent, même dans les occupations les plus modestes, une dignité qui impose le respect. Pauvreté n'est pas vice.
Ils appartiennent à la religion grecque orthodoxe. Jusqu'en 1864, l'Église était soumise au patriarcat de Constantinople; depuis lors, elle devint une Église nationale indépendante. Son chef est le Métropolitain primat de Roumanie, qui réside à Bucharest. Le clergé roumain se divise en deux catégories: les moines de Saint Basile, astreints au célibat, et les prêtres séculiers, pouvant se marier. C'est dans la première catégorie seule que se recrute le haut clergé. La religion grecque fut pendant des siècles la religion dominante en Roumanie. Même sous le protectorat ottoman, les Roumains parvinrent à faire respecter le traité qui défendait de construire des mosquées sur leur territoire. Jamais les Turcs, il faut le dire à leur louange, ne firent la moindre tentative pour contrevenir à cette défense.
(À suivre.) Th. Hebbelynck.
EN ROUMANIE ON NE VOYAGE QU'EN VICTORIA (page 377).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—33e LIV. No 33.—19 Août 1905.
DANS LA VALLÉE DE L'OLT, LES «CASTRINZA» DES FEMMES SONT DÉCORÉES DE PAILLETTES MULTICOLORES (page 392).
EN ROUMANIE[7]
Par M. TH. HEBBELYNCK.
II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora.
DANS LE VILLAGE DE SLANIC (page 395).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
À 65 kilomètres de Targu Jiul se trouve le monastère d'Horezu, tout près de la petite ville du même nom. Comme la route est assez fatigante, on a attelé à notre petite voiture habituelle, quatre chevaux, tous de front. Nous suivons une direction tout opposée à celle de Tismana; mais, comme hier, nous côtoyons le haut massif des Carpathes, et nous coupons transversalement une infinité de vallées qui descendent de la grande chaîne principale pour aller se perdre dans la puzsta Roumaine. Les vallées mêmes n'offrent guère d'aperçus remarquables, mais à chaque col nous découvrons des horizons immenses, empreints d'une poétique mélancolie. Tour à tour, nous dépassons de superbes forêts de chênes atteignant des hauteurs colossales, et de ravissants bois de bouleaux aux troncs d'argent et au feuillage frémissant. Nous faisons halte, tantôt sous un bosquet bien ombragé, où s'abrite un de ces puits à levier dont le bras unique se dresse vers le ciel, et où nos pauvres chevaux boivent à longs traits une eau pure et cristalline, tantôt à une modeste auberge de village, où nous pénétrons pour nous dégourdir un peu et aussi pour nous donner une idée de ces intérieurs villageois. Et tandis que, dans la salle commune, notre cocher prend sa petite bouteille de tzuica[8], liqueur de prunes, que les Roumains qualifient d'apéritif, l'hôte nous introduit dans la salle du fond, la salle d'honneur. Nous y trouvons comme meuble principal un grand lit-divan, scellé dans le plancher. Il est recouvert d'un beau tapis à rayures et de coussins ornés de broderies et d'initiales rouges et blanches. Aux murailles sont accrochées des chromolithographies alternant avec de gros nœuds de toile blanche, toujours brodés de la même façon et portant des initiales et des dates. Il n'y a dans toute la maison ni armoire ni commode. Elles sont remplacées par des coffres en bois de forme allongée, à la mode turque et serbe, dans lesquels on entasse pêle-mêle bijoux, souliers, vaisselle, toute la richesse. La salle du milieu est occupée par la famille. On y voit les métiers à tisser, des divans-lits, des poteries de toutes les formes, de très primitifs ustensiles de cuisine et un long baquet, creusé en forme de barque dans un tronc d'arbre. Ce baquet, qu'on retrouve dans toutes les maisons, s'emploie aux usages les plus divers. C'est le berceau portatif des enfants, le cuveau à laver des mamans et le bac à fourrage des bestiaux.
En général, durant la belle saison, les Roumains font la cuisine en plein air. Le soir, des familles entières se groupent près d'un brasier sur lequel bout la mamaliga[9], et à la nuit tombante la lueur rougeâtre du foyer, éclairant tous ces spectres blancs qui se meuvent alentour, donne au paysage un aspect effrayant et sinistre.
L'hôte, après nous avoir fait les honneurs de sa maison, nous présente son meilleur vin, qui, par parenthèse, n'était pas buvable; puis il nous mène à la cour de son établissement, où se dresse une roue-balançoire, la Grande Roue de l'Exposition de Paris, dans sa plus simple et sa plus rustique expression. Ces roues se rencontrent assez fréquemment, aussi bien en Moldavie qu'en Valachie.
Les villages que nous traversons—les rares villages devrait-on dire, car le pays est peu habité—se ressemblent tous. Ce sont toujours les mêmes fermes aux toits recouverts de planchettes de bouleau et devant lesquelles circulent des porcs de toutes les couleurs, munis d'une cangue triangulaire, ainsi que des groupes d'oies et de canards, entremêlés d'enfants nus. De l'intérieur de ces fermes, s'élancent de grands chiens qui aboient à la voiture et nous poursuivent, jusqu'à ce que le cocher, d'un bon coup de fouet, les rappelle à la bienséance.
Les églises de village, uniformément les mêmes, sont de style néo-byzantin et frappent de loin l'attention par leurs coupoles métalliques et leurs hauts tambours octogones, percés de larges baies cintrées.
ROUMAINE DU DÉFILÉ DE LA TOUR ROUGE (page 392).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Beaucoup d'entre elles sont décorées à l'extérieur de grandes fresques, qui leur donnent un cachet tout particulier. Les cimetières, généralement isolés au milieu des campagnes, sont plantés de lourdes croix byzantines peintes et décorées d'images pieuses sur fond or. Le long des routes se dressent aussi des croix sans origine funèbre, des croix élevées, comme dans beaucoup de pays montagneux, par la simple piété des fidèles. C'est ainsi qu'on voit fréquemment une croix plantée à côté d'une source, où même d'un puits isolé.
À midi, nous faisons halte à Podovraj, localité fort agréable, centre de plusieurs excursions intéressantes. Nous y trouvons plusieurs familles roumaines en villégiature.
Les Roumains ont adopté un genre de villégiature aussi simple qu'économique. Ils ne possèdent guère comme séjour d'été que Sinaïa, résidence royale où se réunit l'élite de la société, quelques stations balnéaires, telles que Slanic en Moldavie et Calimanesti, quelques grosses bourgades, situées au milieu des montagnes, comme Campolung, Ocna, etc. Aussi les familles dont les ressources sont restreintes, et qui doivent fuir la chaleur torride de la plaine, se rendent-elles de préférence dans des villages. Là, elles font accord avec l'un ou l'autre Tzigane, qui leur cède toute son habitation pour un ou deux mois. C'est dans ces logements primitifs qu'elles s'installent et passent leurs vacances, vivant au milieu des bois et de la nature sauvage des Carpathes, heureuses si elles habitent à proximité d'une auberge qui puisse leur fournir la nourriture. Pendant ce temps, le Tzigane campe où il peut. Il n'est, du reste, pas exigeant sous le rapport du gîte.
À Horezu, nous devions nous fier à notre cocher pour le choix d'un logement. Il nous mène dans une sorte de ferme que nous trouvons absolument vide. Personne dans la salle d'auberge, personne à l'étage, où nous jetons un coup d'œil rapide et furtif. Mais tout nous paraît si sale, si affreusement sale, que nous ne pouvons nous résigner à y passer la nuit, et nous nous mettons en quête d'un logement plus convenable. Après bien des recherches, nous trouvons une auberge moins préhistorique, presque moderne. L'hôtelier nous montre des appartements où les lits, il est vrai, sont remplacés par des divans à la mode roumaine, mais où les draps sont d'une blancheur d'excellent augure.
LA PETITE VILLE D'HOREZU EST CHARMANTE ET ANIMÉE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Hélas! l'augure avait menti. Toute la nuit, des insectes sauteurs dansèrent leur sarabande. L'ammoniaque, l'eau de Cologne, rien ne put en avoir raison, et nous fûmes obligés de passer notre nuit sans sommeil.
La petite ville d'Horezu est charmante et animée. Les habitations, moins quelconques qu'à Targu Jiul, ont un certain relief avec leurs larges balcons qui s'avancent sur la rue. Les habitants, les femmes surtout, ont l'air plus gai, avec je ne sais quoi de plus gamin. Le soir, à l'extrémité de la grande artère, des chants étranges, entonnés par des jeunes filles revenant de leur travail, parviennent jusqu'à nous. Ce sont des mélodies turques, avec des modulations toutes particulières, et ce chant est vraiment captivant, si captivant que nous suivons ces groupes jusqu'au moment où ils disparaissent à nos yeux, chantant toujours, et faisant retentir au loin les échos, de leurs trilles et de leurs notes élevées.
À vingt minutes de la ville se trouve le monastère d'Horezu. On se rend en voiture par la grande route jusqu'à la colline, que dominent les masses imposantes de la vieille abbaye. Là, le chemin devient si raide et si rocailleux, qu'il nous faut mettre pied à terre. À mi-côte, nous apercevons un moine de taille moyenne, qui gravit avec nous ce calvaire. Nous le suivons pas à pas, comme semble nous y convier le gentil sourire qui se dessine sous sa fine moustache, et bientôt, après lui, nous pénétrons dans la grande cour centrale du monastère, très animée en ce moment. Un laïque s'approche de nous, et après un court colloque avec le moine qui nous avait introduits, s'adressant à nous en un français très correct: «Madame la supérieure, nous dit-il, vous invite à passer au salon.» Nous étions stupéfaits. Nous ignorions que le monastère d'Horezu qui, de tout temps, avait été un couvent d'hommes, fût devenu un couvent de femmes, et le costume et la moustache de la supérieure nous avaient totalement induits en erreur. En effet, le costume des religieuses de Roumanie est complètement copié sur celui des moines. C'est la même robe noire, très ample, à larges manches, serrée à la taille par un cordon de laine noire qui retient le chapelet, et sur la tête, aux cheveux courts, c'est la même toque ronde et rigide, un peu moins haute toutefois que celle des hommes.
Pour des profanes comme nous, l'erreur était presque fatale, d'autant plus qu'au moment de la rencontre, la supérieure n'avait pas le voile qui se revêt seulement dans les grandes circonstances et pour la toilette du chœur.
Voulant accomplir à notre égard les devoirs de l'hospitalité, elle nous conduit à l'étage, dans un modeste salon meublé à l'orientale, c'est-à-dire garni, sur tout le pourtour, de larges divans. Une jeune religieuse, conformément à l'usage turc, fait circuler à la ronde un plateau avec des confitures et des verres d'eau glacée. Après quelques minutes d'entretien, comme nous manifestons le désir de prendre quelques photographies, la supérieure, spontanément, rassemble la communauté, qui vient se réunir, en costume de cérémonie, devant la porte principale de l'église.
L'abbaye d'Horezu est un des monastères les plus imposants et les mieux conservés de la Roumanie. Couvent d'hommes, autrefois, il est transformé aujourd'hui en hôpital, sous la direction des religieuses grecques orthodoxes. Aussi ne faut-il pas être surpris du triste spectacle qu'offrent les cours et les abords du monastère. Les misères humaines, dans tout ce qu'elles ont de plus hideux, de plus repoussant, viennent chercher ici un soulagement à leurs souffrances. Les religieuses ne reçoivent, chacune, de l'État, que la somme de 35 centimes par jour, alors que les moines en touchent 70; le Gouvernement prétend, qu'à raison du genre de travaux auxquels elles se livrent, elles parviennent plus aisément à subvenir à leurs besoins.
Le monastère d'Horezu fut fondé, dans la dernière moitié du XVIIe siècle, par Constantin Brancovan, avant-dernier voïvode indigène de Valachie, qui, aspirant en secret à délivrer son pays du joug ottoman, fut livré au sultan par les boyards, et périt à Constantinople dans les plus affreux supplices.
De loin, le monastère ressemble à un château féodal, avec son énorme donjon et ses quelques restes de fortifications. Mais à peine a-t-on pénétré dans la cour centrale que tout change d'aspect.
Des arbres magnifiques y projettent leur ombre sur les vastes constructions dont l'étage s'ouvre sur une ravissante galerie à colonnes, et à côté des anciens appartements princiers se dresse un délicieux petit pavillon formant avant-corps.
L'église, comme dans presque tous les monastères, occupe le centre de la cour. Elle est de style roumain très pur, nous dit-on là-bas. Somme toute, c'est du byzantin, d'aspect simple et sévère, sans surcharge d'ornements. Le portique est très richement décoré de peintures sur fond or. Cette jolie église servit, avec celle de Curtea de Arges, de type au pavillon roumain de la dernière Exposition de Paris.
LA PERLE DE CURTEA, C'EST CETTE SUPERBE ÉGLISE BLANCHE, SCINTILLANTE SOUS SES COUPOLES DORÉES (page 393).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Sur la route de Romnicu, beaucoup de villages présentent un petit air de fête. Rien n'est si original que ces fêtes paisibles, qui se passent dans un «dolce far niente». Les femmes sont groupées d'un côté de la route, les hommes de l'autre. À l'heure de la danse, tout ce monde s'entremêle, et l'on peut difficilement se faire une idée du charme et de la poésie de ces scènes villageoises. Mais ces gens sont timides à l'excès, et si l'on veut assister à leurs ébats, il faut user d'une très grande discrétion.
Nous faisons halte au village de Tomsani, et, autant par nécessité que pour nous dégourdir les jambes, nous quittons la voiture pour faire à pied la visite de l'abbaye de Bistritza.
Cette excursion, très vantée par nos guides, et qui, nous disait-on, ne comportait qu'une heure de marche, nous prend trois grandes heures. Entreprise en plein midi, sous un soleil de plomb, elle nous met vraiment à bout.
UNE FERME PRÈS DU MONASTÈRE DE BISTRITZA.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Certes, la vallée ne manque pas de poésie: de hautes montagnes, couvertes de forêts, se dessinent à l'horizon, et des fermes, où tout respire le bien-être et l'aisance, sont échelonnées le long de la route. Au fond des cours rustiques et ombragées, des femmes, en leur costume biblique, tenant en main de lourds fuseaux, filent la laine destinée à la famille.
Mais la vue de ces tableaux charmants ne dédommage pas de la fatigue que l'on éprouve sur cette route mal tracée, en partie défoncée, où l'ombre fait totalement défaut.
L'abbaye de Bistritza, aujourd'hui transformée en école militaire, nous cause une désillusion complète. À l'entrée, les bâtiments présentent une masse imposante, mais ils sont sans style et, disons-le, sans intérêt. L'officier de service en est si convaincu qu'il se borne à nous proposer la visite de la cascade, cachée dans un creux du rocher, derrière l'abbaye. Après le mécompte que nous venons d'éprouver, cette entreprise ne nous tente guère, et nous avons hâte de rebrousser chemin.
Nous avisons un paysan qui, après quelques pourparlers, consent à nous prêter sa charrette et son cheval, tandis que son voisin nous fournira un poney pour compléter l'équipage. La charrette est une sorte de birdj; deux planches attachées de chaque côté par des cordes forment les banquettes, et en guise de tapis, nous avons un épais lit de foin parfumé.
Nous nous mettons en route cahin-caha. À chaque ornière, et Dieu sait si elles sont nombreuses, nous sommes lancés les uns sur les autres, et par deux fois notre cocher, un petit bonhomme d'une quinzaine d'années, est projeté hors de la charrette; mais il s'accroche aux brancards et rebondit sur son siège avec une légèreté d'écureuil. Quant à nous, nous nous cramponnons aux banquettes avec la perspective de nous sentir les reins brisés lorsque nous arriverons à destination.
Tout à coup, crac!... la banquette d'arrière cède, et nous voilà gigotant sur le tas de foin au fond de la voiture. C'est dans ce piteux état que nous rejoignons notre cocher d'Horezu qui, inquiet de notre longue absence, était venu à notre rencontre aussi loin que le mauvais état de la route le lui avait permis.
De Tomsani à Romnicu, le trajet est superbe de sauvage poésie. C'est un énorme désert rocheux qu'il faut traverser. La haute chaîne des Carpathes continue à dominer à gauche, et rares sont les passants, rares sont les habitations qu'on rencontre en route. Des chiens errants parcourent ces plaines rocailleuses, et l'on en voit se nourrir de cadavres d'animaux abandonnés au détour des chemins. Il y a dans l'ensemble du paysage quelque chose de sinistre, de lugubre. Ce n'est qu'aux abords de la vallée de l'Olt, que la campagne prend un autre aspect, et les grandes croix, plantées ça et là, nous annoncent l'approche des villages et la fin du désert.
À l'un de ces villages, nous faisons halte devant une ferme-auberge, à l'aspect malpropre. À l'entrée, des débris saignants, déchets de boucherie, sont accrochés aux charpentes basses de la toiture, et des chiens, toujours des chiens, rôdent tout alentour, prêts à se jeter sur cette proie dégoûtante.
Dans la vallée de l'Olt, le paysage devient gai et riant, et à l'horizon s'estompent des montagnes richement boisées. Des birdj, couverts d'une lourde bâche et attelés de petits chevaux pleins d'entrain, reviennent de la ville, et de la large ouverture de devant surgissent de curieux petits minois bronzés, où brillent de grands yeux noirs intelligents. Plus loin, de lourds chariots remplis de blocs de sel gemme nous indiquent le voisinage des célèbres salines d'Ocna. Nous nous étions proposé de les visiter, mais déjà le jour baisse, et à six heures du soir les salines sont fermées. Nous aurons, du reste, l'occasion de voir celles de Slanic en Prahova, qu'on dit être les plus importantes et les plus belles de la Roumanie.
La petite ville d'Ocna, dont bientôt nous traversons l'unique et large artère, paraît fort intéressante et animée. Dois-je le dire? après les mauvais logements des jours derniers, nous éprouvons un petit serrement de cœur de ne pouvoir nous arrêter dans les délices d'Ocna, au milieu de ces riantes villas, dont une foule élégante encombre les terrasses. Nous avons à peine le temps de formuler nos regrets que nous voilà de nouveau en pleine campagne, au milieu de tentes déchirées et rapiécées, autour desquelles s'agite tout un peuple de Tziganes. Ils ont un aspect extrêmement sauvage et audacieux, et leur allure contraste avec la physionomie douce des Tziganes que nous avons rencontrés jusqu'ici en Roumanie.
ENTRÉE DE L'ÉGLISE DE CURTEA (page 393).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Après trois quarts d'heure de route, nous pénétrons dans Romnicu. C'est une ville bien roumaine. Les hôtels, avec leurs galeries au premier étage, contournant les cours intérieures comme de vrais caravansérails; les théâtres en plein air, où se jouent des drames et des vaudevilles; les restaurants où circulent des Turcs avec des pastilles du sérail, et jusqu'aux veilleurs qui, la nuit, à des intervalles réguliers, lancent des sifflements stridents et aigus, se répercutant dans la ville comme les appels des sentinelles dans les forteresses, tout cela donne à Romnicu une physionomie spéciale.
Adossée à la montagne, Romnicu voit s'étendre devant elle la riche plaine de l'Olt, avec d'énormes champs de froment et de maïs. La Roumanie, on le sait, produit des céréales en abondance, et exporte annuellement quantité de ses produits. Mais le paysan cultive mal; il brûle les engrais et se fie uniquement à la richesse du sol. De plus, comme il n'a aucune idée d'épargne ni d'économie, si les récoltes viennent à manquer par suite d'inondation, de grêle ou de sécheresse, la famine sévit dans le pays.
En Serbie, une loi de 1889 impose à chaque commune rurale l'établissement de greniers communaux, destinés à parer aux effets de la disette et devant servir, en cas de guerre, au ravitaillement des armées.
LES RELIGIEUSES DU MONASTÈRE D'HOREZU PORTENT LE MÊME COSTUME QUE LES MOINES (page 387).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Tout contribuable serbe est tenu de verser, chaque année, 90 kilos de maïs et autant de kilos de blé. Si un cultivateur, par suite d'un accident quelconque, manque de vivres, il lui est livré par les greniers communaux ce qu'il lui faut pour sa nourriture et ses semailles, à condition de restituer l'année suivante ce qu'il a prélevé pour ses besoins momentanés.
Cette institution fut d'une utilité incontestable lors de la guerre serbo-bulgare, et lors des inondations de 1897 qui furent aussi désastreuses pour la Serbie que pour la Roumanie. Chez les Roumains, rien de pareil, et ce défaut de précaution les place dans une situation d'infériorité incontestable[10].
Les céréales ne sont pas les seules ressources du district de Romnicu. Toute cette portion des Carpathes contient des minerais en abondance: or, argent, mercure, fer, cuivre, arsenic, plomb; mais jusqu'ici, toutes ces richesses ne sont que peu ou point exploitées.
C'est de Romnicu que l'on entreprend l'excursion de la passe de la Tour Rouge. Cette route a de tout temps été la grande ligne stratégique de la Valachie, et elle traverse les Alpes à un endroit où elles atteignent leur plus grande élévation et où elles prennent l'aspect le plus sauvage. C'est la route naturelle des invasions, celle que suivit Trajan pour vaincre les Daces, celle que suivirent les Turcs pour envahir la Hongrie.
Ce long défilé, dans lequel nous allons nous engager, a été, à tous les âges de l'histoire, le témoin de luttes héroïques. Mais de tout ce passé de sang et de gloire il ne reste aujourd'hui que bien peu de souvenirs. Quatre petits chevaux fringants, attelés de front, nous mènent en quatre heures et demie au Rotherthurm, distant de 64 kilomètres de Romnicu. Au sortir de la ville, on jouit d'une vue fort étendue sur la vallée de l'Olt, très large en cet endroit. Puis on approche rapidement des sombres Carpathes, et l'on ne tarde pas à s'arrêter dans la jolie petite ville de Calimanesti, située dans un site charmant, et où des sources minérales sulfatées, iodées et ferrugineuses attirent, chaque année, bon nombre de baigneurs.
La toilette des femmes a un caractère spécial dans cette partie de la vallée. Leurs «castrinza» sont décorées de paillettes multicolores qui scintillent sous les feux du soleil, et leurs voiles, toujours en tissus très légers et vaporeux, ont toutes sortes de nuances: on en voit de jaunes, de verts, de roses et de mauves.
Vers Cozia le paysage devient grandiose; des rochers volcaniques, aux formes bizarres et contournées, se rapprochent et dominent la route. Nous traversons le monastère de Cozia, dont la petite église domine le rocher de gauche, tandis qu'à droite s'élèvent les anciens cloîtres, aujourd'hui restaurés et transformés en pénitencier. Au delà de Cozia, de hautes falaises découpées à pic resserrent la route, le long de laquelle bouillonne l'Olt, dont nous suivrons désormais le cours tout le long du défilé.
Sur la rive opposée, le cocher attire notre attention sur les traces encore très visibles de la grande chaussée romaine et sur une large pierre isolée qui, détachée de la montagne, s'avance en cap dans la rivière. C'est la Table de Trajan. La légende dit que, du haut de cette pierre où il avait dressé sa tente, Trajan assista au défilé de ses légions victorieuses.
DEVANT L'ENTRÉE DE L'ÉGLISE SE DRESSE LE BAPTISTÈRE DE CURTEA (page 394).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Des aigles planent au-dessus de nos têtes, et s'abattent entre les rochers convulsionnés qui nous entourent. Des arbres touffus ombragent la route solitaire, et tout à côté l'Olt, étroitement encaissé, écume et bondit en torrent furieux.
La route conserve ce caractère sauvage et grandiose sur une distance de 17 à 18 kilomètres. C'est toujours la lutte entre le torrent qui veut s'ouvrir un passage et le rocher qui lui barre le chemin; d'où les courbes et les circuits sans nombre qu'il faut faire pour suivre les zigzags de la rivière.
AU MARCHÉ DE CAMPOLUNG.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Puis peu à peu les montagnes s'écartent, et de pauvres villages viennent s'échelonner sur les rives de l'Olt devenu moins impétueux. Voici, tout contre la rivière, les ruines d'une forteresse romaine, devant laquelle une auberge est venue s'installer. Plus haut, au sommet d'une colline, les restes du château de Landskron, d'où l'on jouit d'une vue superbe sur le fond de la vallée. De nombreux troupeaux de bœufs, de buffles et de moutons trouvent ici un excellent pâturage. La vallée se resserre une fois encore. Nous approchons des montagnes de Fogaras, du Surul et du Négoï, aux cimes aiguës, dont les fines dentelures grises projettent sur le ciel chargé d'orage leurs sombres silhouettes. À un étranglement de la vallée, accroché au rocher et suspendu au-dessus de la route, le Rotherthurm, qui a donné son nom au défilé, nous apparaît dans ses ruines majestueuses.
Cette forteresse, s'il faut en croire la légende, fut un jour si couverte du sang des Turcs que son badigeon blanc disparut sous l'affreuse couleur rouge, et c'est en mémoire de cette journée sanglante que depuis l'on a peint ses murailles en rouge vif.
34 kilomètres séparent Romnicu de Curtea de Arges. Curtea de Arges doit son nom à Radu Negru, le premier voïvode de Valachie, qui vint, en 1244, y établir sa cour (curtea) sur la rivière Argis. Il n'est cependant pas, comme le prétend la légende, le fondateur du monastère, qui ne date que de 1512. L'église, bâtie par Radu Negru, est la «Biserica Domneasca», église princière, située au centre de la ville, et qui, pour le moment, menaçant ruine, et devant subir des réparations urgentes, est fortement étançonnée.
Mais la perle de Curtea, c'est cette superbe église blanche, toute scintillante sous ses coupoles dorées, qui se dresse à un quart de lieue de la ville, au sommet d'un monticule isolé; c'est l'église du monastère, dont on a dit qu'à elle seule elle valait le voyage de Roumanie.
Le créateur de ce bijou architectural, où s'épanouit l'art byzantin, avec des réminiscences d'art arabe et d'art persan, est le prince Neagu Voda Bessaraba, qui régna en Valachie en 1513. Dans son enfance, il fut amené comme otage à Constantinople. Le sultan le prit en affection et lui fit enseigner l'architecture par un homme de talent nommé Manoli de Niaesia, avec lequel il bâtit, entre autres, une des grandes mosquées de Constantinople. De retour dans le pays, il construisit l'église du monastère. Il y employa un grès calcaire très fin, provenant des carrières voisines d'Albesci. C'est dans ces mêmes carrières que M. Lecomte de Nouy, l'architecte français qui, en 1875, restaura l'édifice, put encore aisément trouver les matériaux qui lui étaient nécessaires pour son travail.
D'une blancheur de marbre, rehaussée par le bleu des émaux et par la dorure des ornementations et des coupoles, l'église s'élève au milieu d'une esplanade, entrecoupée de jardins fleuris et clôturée par un grillage artistique. Les tourelles, ainsi que les hémicycles de la partie postérieure, sont couronnées par des dômes en cuivre doré, à grand relief et à nervures, d'où partent des chaînes dorées, qui vont relier les croix à bras multiples, surmontant chaque coupole. Les murs extérieurs disparaissent sous les torsades, les écussons, les arceaux et les panneaux à décoration mauresque, qui les recouvrent. Toute cette profusion d'émaux bleus, rehaussés de dorures, est d'une richesse, d'une variété de détails telle, qu'un critique a dit «qu'elle était plutôt digne d'une châsse que d'une église». Les portes, dans le style des mosquées arabes, sont encadrées de nombreux ornements plats, or sur azur. Dans le tympan, de superbes mosaïques, qu'entoure un arceau de pierre blanche, découpé en fer de lance. L'intérieur, éclairé d'un demi-jour mystérieux, tombant des voûtes, a été totalement restauré. Les peintures murales, fort détériorées, ont dû être refaites entièrement. On s'est borné à rafraîchir et à raviver le reste, et on a respecté en tout le bizarre assemblage des styles divers, réunis ici. Des chapiteaux persans surmontent de ravissantes colonnes, surchargées d'émaux azur et or. Des marbres rares, des onyx, se mêlent aux métaux les plus précieux, pour parer l'iconostase.
Devant l'entrée principale se dresse une gracieuse construction appelée le baptistère. C'est une sorte de pavillon ouvert, formé par quatre colonnes en pierre blanche soutenant quatre arceaux en plein cintre, découpés en fer de lance barbelé. De lourdes torsades en émail bleu et des arabesques d'or sur fond d'azur décorent le haut du petit édifice. Une coupole de cuivre doré et à chaînettes, comme celles de l'église, émerge d'un couronnement de pierres blanches finement dentelées.
Derrière l'église s'élèvent le monastère, les bâtiments du palais épiscopal et l'église du séminaire, le tout absolument neuf. Car lors de la restauration de la célèbre église, il a fallu, pour l'isoler, démolir toutes les anciennes constructions qui l'enserraient complètement.
À part ses églises, Curtea de Arges offre peu d'attrait pour l'étranger. Des moines à longs cheveux et à longue barbe noire circulent de tous côtés. Leur toilette est irréprochable et contraste singulièrement avec le dénûment de la plupart des religieux des autres monastères. Leur allure est fort simple, et ils s'entretiennent volontiers avec le peuple, qui semble les avoir en haute estime, et leur témoigne le plus profond respect.
Dans l'unique rue de la ville, se tient en ce moment un grand marché de poisson. Il y a là des monceaux de carpes colossales, recouvertes de gros blocs de glace, des carpes que le Danube, à la suite des crues de ces derniers jours, a refoulées dans ses affluents, et qui sont bientôt tombées dans les filets des pêcheurs. Ces poissons, dont le poids moyen est de dix à vingt kilos, sont débités en grosses tranches et se vendent trente centimes le kilo.
Il nous reste une dernière étape à franchir avant d'arriver à Bucarest, c'est celle qui nous mène à Campolung. Généralement les voyageurs s'y rendent par chemin de fer, en descendant jusqu'à Pitesci et en remontant ensuite par Golesci; mais nous préférons la route de voiture, qu'on dit être originale et accidentée.
L'EXCURSION DU DÉFILÉ DE DIMBOVICIORA EST LE COMPLÉMENT OBLIGÉ D'UN SÉJOUR À CAMPOLUNG (page 396).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
À sept heures et demie du matin nous sommes prêts pour notre expédition. À peine sommes-nous partis depuis une heure, que nous éprouvons une série de déboires. Les eaux, fortement gonflées par les dernières pluies, ont emporté les ponts, et il nous faut suivre une route impraticable, descendre en plein lit des torrents, parfois très rapides, au risque d'être inondés dans la voiture. Tout autour de nous, le paysage révèle la plus grande misère. Les fermes, les huttes, les chapelles sont dans le plus triste état de délabrement, et l'on se demande vraiment si quelque cataclysme a secoué ce coin de terré où plus rien n'est debout et où tout semble voué à la destruction. À part quelques pêcheurs descendus dans les torrents et qui retiennent de grands filets pour capturer les poissons, nous ne voyons pas un seul habitant. Ce n'est qu'à Domnesci que l'animation reprend.
Domnesci n'est qu'un pauvre village, mais, à l'occasion du dimanche, tous les habitants ont revêtu leurs plus coquets atours. Dès que nous exhibons nos appareils de photographie, on nous entoure de la façon la plus sympathique. Nous n'avons qu'un geste à faire et ces braves gens se mettent en groupe, enchantés de poser devant nous. Il y a même certaines jeunes personnes pour qui l'objectif a un tel attrait qu'elles nous suivent pas à pas et que nous sommes obligés d'user d'artifices pour ne pas les retrouver constamment sur nos clichés. L'église du village, poétiquement abritée par un bouquet de grands arbres, est entourée d'une cour dans laquelle on pénètre par une porte de style très curieux. Cette porte, quoique appartenant à la plus misérable commune, perdue au fond des montagnes, est décorée d'adorables figurines d'anges et de saints, d'inscriptions et de guirlandes vraiment artistiques. Ces décorations sont dues à des artistes nomades qui, à force de reproduire les mêmes figurines, acquièrent de l'habileté et même un vrai talent.
DANS LE DÉFILÉ DE DIMBOVICIORA.—D'APRÈS DES PHOTOGRAPHIES.
Le pope du village traverse en ce moment la route et regagne le domicile conjugal, un pain sous le bras. Il est déguenillé; il paraît si misérable, sous sa houppelande déteinte et sa haute toque brune, qu'instinctivement nous dirigeons notre objectif vers lui. Mais l'avouerai-je, nous sommes retenus par un certain respect devant cette pauvreté digne et fière, qui semble vouloir se dérober à nos regards peut-être indiscrets. Ces popes de village sont de très braves et très dignes gens, peu instruits, généralement aimés des populations dont ils partagent la triste condition, mais sur lesquelles ils n'exercent cependant que peu d'influence.
En remontant les pentes de la vallée de Domnesci on aperçoit, presqu'au sommet d'une colline, les coupoles scintillantes d'une église de village. C'est l'église de Slanic, charmante localité propre et coquette, en contraste frappant avec la région misérable et peu habitée que nous venons de traverser. Tout ce village respire l'aisance et la gaieté. D'énormes fermes étalent leurs vastes bâtiments, leurs larges et belles cours d'une propreté irréprochable. Des jeunes filles, fort jolies et à la mise élégante, vont, viennent, vaquant aux soins du ménage, au milieu des poulets, des dindons, des canards, qui sont les seuls hôtes actuels de ces grandes fermes. Le gros bétail en est absent. Durant tout l'été, il pâture en liberté dans les montagnes. Le soir, on le parque dans des enclos, et pas un abri ne le protège contre les intempéries.
Au sortir de Slanic, c'est la solitude qui recommence. Des pasteurs conduisant leurs troupeaux, des groupes de travailleurs tout blancs, se reposant sous les arbres des rudes fatigues de la fenaison, sont les seuls êtres vivants que nous rencontrions en chemin pendant la dernière partie du trajet qui nous sépare de Campolung. La route traverse une série de vallées poétiques qui descendent des Carpathes. Dans les lointains, de ravissants bois de bouleaux abritent de leur ombre les bœufs errant sur les coteaux. À gauche, toujours la chaîne bleuissante et vaporeuse des Alpes de Transylvanie. Mais plus une habitation, plus une hutte; et tout autour de nous c'est un silence de mort. Enfin, vers quatre heures de l'après-midi, nous faisons notre entrée à Campolung.
Campolung est une jolie localité dont l'importance remonte à Radu Negru, fondateur de la principauté de Valachie. Il n'existe plus aujourd'hui que de faibles traces de l'ancien palais de ce prince; mais le grand monastère qu'il fonda à l'entrée de la ville, bien qu'ayant subi d'importantes restaurations, subsiste encore. Une tour romane, haute de 40 mètres, large de 6, donne accès à la cour intérieure du monastère. Cette tour imposante, dont le style rappelle l'influence lombarde, a beaucoup de caractère. C'est un des monuments les plus anciens et les plus appréciés de la Roumanie. La ville est si propre, si bien située, l'air y est d'une pureté si remarquable que, chaque année, bon nombre de citadins viennent y passer une partie de l'été.
Des hauteurs qui environnent la ville, on découvre un superbe panorama de montagnes. Nous sommes d'ailleurs tout proche des Carpathes, et les vallées qui en descendent sont autant de buts d'excursions agréables et variées. La ville, quoique peu étendue, a pourtant son quartier tzigane: une rue entière non loin du monastère. Quelle rue singulière, surtout vers la soirée, alors que de toutes les habitations largement ouvertes se projettent les lueurs rouges et sinistres des feux de forge, devant lesquels circulent de superbes femmes en haillons, au teint mat et aux yeux noirs, et des amours d'enfants demi-nus, qu'on a revêtus, par décence sans doute, d'une courte veste descendant jusqu'à la ceinture. Des hommes grands et minces, à la figure bronzée, éclairée par la lueur des foyers, frappent le fer; d'autres dans l'ombre agitent des soufflets de forge. C'est l'heure du travail pour ces parias. Leur rude métier n'est pas supportable pendant les chaleurs du jour, et ce n'est qu'à la nuit tombante que ce quartier se réveille.
L'excursion du défilé de Dimboviciora est le complément obligé de tout séjour à Campolung. Cette gorge est une des plus célèbres et des plus visitées de cette partie des Carpathes.
Depuis le départ de Campolung, c'est une succession ininterrompue de points de vue superbes, d'horizons étranges, où les chaînes de montagnes s'étagent les unes par-dessus les autres, jusque dans un lointain infini. Au village de Rocaru, nous traversons la Dimbovitza, que nous côtoierons dans le défilé jusqu'à la grotte de Dimboviciora. La roche blanche qui émerge de son lit, entremêlée de touffes de verdure sombre, encadre merveilleusement cette petite rivière aux eaux pures et cristallines. Puis nous approchons rapidement de la haute muraille déchiquetée qui, depuis quelque temps, borne notre horizon, et au milieu de laquelle se dissimule l'entrée du célèbre défilé. À peine pénétrons-nous dans la gorge, qu'un spectacle réellement admirable se découvre à nos yeux. Des tours massives, des aiguilles élancées, des murailles inaccessibles, des gradins en ruine, le tout d'une superbe teinte blanc rosé, nous enserrent dans l'étroite crevasse; et dans le haut, une frange de verdure se dessine sur le ciel bleu.
À la sortie du défilé, le paysage devient moins sévère, plus alpestre, et l'on rencontre quelques pâturages et quelques huttes de bois. À l'une de ces huttes nous mettons pied à terre, et un jeune garçon nous mène jusqu'à la grotte de Dimboviciora, à travers un nouveau dédale de rochers éboulés. La grotte s'ouvre au milieu d'un décor des plus sauvages; mais malgré les descriptions enthousiastes des guides, elle vaut à peine une visite. À l'entrée, des montagnards affairés, munis de quelques maigres chandelles, s'offrent à nous précéder. On s'attend à quelque chose d'un peu fantastique, et l'on n'a devant soi qu'une caverne de 15 à 20 mètres de profondeur, avec quelques stalactites et quelques stalagmites d'un blanc jaunâtre.
Au retour de cette excursion remarquable, dont certains sites rappellent la célèbre Bastei de la Suisse saxonne, nous visitons une bien modeste petite abbaye de religieuses, l'abbaye de Namaesci qui présente un détail curieux: son église est entièrement creusée dans un monolithe. Seuls la tour et un petit avant-corps sont en maçonnerie. Tout l'intérieur est taillé dans le rocher, au-dessus duquel on peut circuler à l'aise, et d'où l'on jouit d'un panorama magnifique. Nous disons adieu à Campolung. Un embranchement de chemin de fer nous mène à Golesci, où nous retrouvons la grande ligne de Bucarest.
(À suivre.) Th. Hebbelynck.
DANS LES JARDINS DU MONASTÈRE DE CURTEA.
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—34e LIV. No 34.—26 Août 1905.
SINAÏA: LE CHÂTEAU ROYAL, CASTEL PÉLÈS, SUR LA MONTAGNE DU MÊME NOM (page 406).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
EN ROUMANIE[11]
Par M. TH. HEBBELYNCK.
III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne.
UN ENFANT DES CARPATHES.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
L'entrée à Bucarest est une déception pour l'étranger. De la gare au centre de la ville, on traverse des rues dignes des villages les plus primitifs, des rues bordées de masures en ruine et de boutiques infectes, où les trottoirs disparaissent sous des monceaux de fruits et de légumes. Mais l'impression se modifie bientôt. À ces faubourgs malpropres succèdent de superbes artères, où des édifices luxueux rappellent ceux des plus grandes villes d'Europe.
Les Roumains sont très fiers de leur capitale, et vantent volontiers le confort qu'on y trouve. Ils comparent, avec un visible amour-propre national, leurs voies publiques, admirablement pavées, aux abominables rues de Belgrade, où, après un quart d'heure de voiture, on a les reins brisés. Aussi se plaisent-ils à appeler Bucarest le Paris de l'Orient. Déjà en 1884, M. de Blowitz, revenant d'une promenade en Orient, disait: «Je ne crois pas qu'il existe au monde une ville qui représente aussi fidèlement que Bucarest le pays dont elle est la capitale.... La ville de Bucarest, à cette heure, c'est l'image vivante et curieuse de la Roumanie. Elle se dégage de son incohérence d'hier, et aspire aux splendeurs de demain. Le haillon se teint en pourpre, l'ambition va grandissante: c'est la capitale naissante d'un royaume qui naît.»
Avec non moins de vérité, Carmen Sylva, la reine de Roumanie, disait en 1892: «Le Bucarest oriental et pittoresque, le Bucarest aux petites maisons enfouies dans la verdure, où l'on disait: la maison de Monsieur un tel ou de Madame une telle (en nommant ces gens par leur nom de guerre), disparaît pour faire place à une ville comme toutes les autres. Il ne paraît oriental qu'à ceux qui viennent de l'Occident. Ceux qui viennent de l'Asie, traversent le Danube avec un soupir de satisfaction.—Ah! disent-ils, nous voici en Europe.»
Encore aujourd'hui Bucarest nous apparaît avec tout l'orgueil, toute l'ambition de l'affranchi d'hier, qui cherche, par son luxe nouveau, à faire oublier son trop récent état de servage. De là, ces contrastes frappants auxquels on se heurte à chaque pas dans la cité: ici des maisons basses, vrais taudis de bohémiens, d'où s'échappent des gens à peine vêtus; là des palais somptueux, comme ceux de la Caisse d'épargne et de l'Hôtel des Postes, des cafés richement décorés, où s'étale toute la haute société roumaine. D'un côté, des boutiques de ferblanterie, comme celles de la rue de Leipzig, où les détaillants exhibent toutes leurs marchandises sur les trottoirs; de l'autre côté, des magasins luxueux, du goût le plus moderne, pouvant rivaliser avec les plus beaux magasins de Paris.
Les différentes classes de la société présentent la même antithèse. D'une part, la caste inférieure, qui n'a pu encore se dépouiller de l'allure craintive et timide que lui a laissée son long esclavage; et d'autre part, la classe riche qui, voulant tout d'un coup s'élever au niveau de la civilisation moderne, s'inspire des mœurs et de la littérature étrangères, et qui, à cause de cela, n'a aucune physionomie propre. Dès qu'on est au centre de la ville, on ressent cette impression du plagiat de Paris, Paris l'idéal, copié dans ses monuments, dans ses magasins et même dans l'allure de ses habitants. Mais si les plus beaux édifices publics sont bâtis en style parisien, les maisons particulières ne sont malheureusement pas toujours construites dans le goût le plus pur. La fortune privée est peu importante, et pourtant chacun veut créer du monumental. De là, ces vieilles constructions tout habillées de plâtre neuf, à grand relief, qui s'effritent aux premières rigueurs de l'hiver, et qui sont en perpétuelle réparation.
De par sa situation au milieu d'une grande plaine largement ouverte au nord-est, Bucarest a tous les inconvénients du climat sibérien. L'hiver y est si long et si dur qu'on n'y circule qu'en traîneau pendant trois mois. En été, le thermomètre monte parfois jusqu'à 40 degrés, et les températures extrêmes peuvent présenter des écarts de 70 degrés. Aussi les beaux arbres sont-ils fort rares: ceux du Nord ne résistent pas aux chaleurs torrides de l'été, et ceux du midi et de l'Orient succombent sous les froids rigoureux de l'hiver.
UNE FABRIQUE DE CIMENT GROUPE AUTOUR D'ELLE LE VILLAGE DE CAMPINA (page 404).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Les voitures publiques, très nombreuses, sont légères, commodes, toujours attelées de deux chevaux fringants, russes ou moldaves, et conduites par des cochers à longue robe de velours serrée à la taille par une ceinture de couleur, et la tête couverte d'une casquette plate. Les voitures les plus propres, les chevaux les plus vifs appartiennent à des cochers russes de la secte des «lipovanes», secte religieuse qui pratique le malthusianisme le plus barbare. Ces cochers, vulgairement appelés à Bucarest «castrati», se reconnaissent à ce signe caractéristique que tous s'épilent la figure, tandis que les cochers roumains non affiliés se contentent de se raser la moustache. Ils sont bons, honnêtes, fort habiles, et bien qu'ils aient des tarifs plus élevés que les cochers roumains, ils sont très recherchés.
Bucarest n'a qu'une population de 250 000 habitants, et cependant sa superficie est égale à celle de Vienne: 30 kilomètres carrés. Aussi, lorsque de l'une ou de l'autre colline, on jette un regard sur la ville, on est frappé du grand nombre de jardins et de terrains vagues que l'on y aperçoit. Les constructions, les rues, les places publiques, n'occupent que le quart de son étendue. Aux extrémités de la ville, se trouvent disséminés de misérables faubourgs; la ville proprement dite s'étend dans le voisinage de la Dimbovitza. Sur la rive gauche, se concentrent les ministères, les palais, le quartier commerçant; sur la rive droite, se groupent des monuments religieux et des établissements de bienfaisance.
VUE INTÉRIEURE DES MINES DE SEL DE SLANIC.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Nous commençons la visite de la ville par une de ses plus anciennes églises, la Métropole, construction en style néo-byzantin, datant de 1656. Elle est située sur une colline de la rive droite, et l'on y jouit d'une vue admirable sur une partie de la ville. Tout autour se trouvent les bâtiments de l'ancien monastère, modifiés et transformés aujourd'hui, ceux de gauche en résidence du métropolitain, ceux de droite en Chambre des députés.
Au bas de la colline, au premier plan du panorama qui se déroule devant nous, s'élève, au milieu de jardins fleuris, l'église de Domna Balasa, la plus belle et la plus luxueuse des églises de Bucarest. Cette église, qui après celle de Curtea de Arges passe pour la plus remarquable de la Roumanie, est un chef-d'œuvre de style néo-byzantin.
Domna Balasa est entourée d'hôpitaux fondés, ainsi que l'église même, par la fille de Constantin Brancovan, l'avant-dernier voïvode indigène de la Valachie.
Le nombre des hôpitaux est très considérable à Bucarest, et de tout temps de riches particuliers ont légué leur fortune pour la création et l'entretien de ces établissements de bienfaisance, qui font la gloire de la Roumanie. Leur nécessité s'explique par les maladies épidémiques qu'amène annuellement le contact de la Roumanie avec les ports d'Orient.
Tout près de Domna Balasa se trouve l'église de Spiritou Nou, remarquable par ses vastes proportions. Cet édifice, qui date de 1858, a remplacé une ancienne basilique où les princes phanariotes se faisaient couronner à leur retour de Constantinople.
Hormis ces quelques édifices religieux, la rive droite de la Dimbovitza n'offre que peu d'intérêt; et pour se donner une juste idée du Bucarest moderne, il faut se rendre dans l'artère principale de la ville, la Calea Victoriei, ainsi appelée au lendemain de la victoire russo-roumaine sur la Turquie, en 1877-78.
Ici, se concentre tout le mouvement, et dans cette rue interminable s'échelonnent le Palais, l'Évêché, l'Athénée, le Théâtre, les Ministères, les Ambassades. Les magasins les plus luxueux s'ouvrent sur la Calea Victoriei, et, devant les principaux hôtels, le long des trottoirs, sont attablés de nombreux consommateurs, dégustant des glaces et des confitures exquises et variées. Tout à l'extrémité de la Calea Victoriei, s'ouvre la fameuse chaussée de Kisselef.
Cette chaussée, qui est pour ainsi dire le Bois de Boulogne de Bucarest, est la promenade favorite et presque obligatoire de la société élégante et mondaine. Tous les jours, en hiver, alors que la neige recouvre la ville, et au printemps qui brusquement succède aux hivers rigoureux, c'est dans ces grandes avenues, de deux à quatre heures, un luxe inouï de traîneaux et d'équipages. En été, la chaussée est absolument déserte, et cette longue avenue solitaire, sans ombre, brûlée par le soleil, encadrée d'arbres sans vigueur, n'est pas faite pour enthousiasmer le voyageur.
À l'entrée de la chaussée s'élève le palais de l'ancien ministre Stourdza, chef du parti libéral. Ce palais colossal, bien qu'un peu surchargé d'ornements, n'en est pas moins une construction fort imposante. Il fait face au boulevard Coltei, de création récente, où l'on rencontre une série d'hôtels nouveaux, tout blancs, à l'aspect original. La plupart de ces constructions appartiennent à des particuliers riches; mais, de même que la chaussée, ce boulevard est désert, et les propriétaires de ces riantes habitations sont dispersés dans les lieux de villégiature recherchés en Roumanie.
Mais tous ces quartiers nouveaux, quelque riants qu'ils apparaissent, n'ont aucun cachet original, et l'on se prend à regretter que les Roumains, dans leur légitime ambition de placer Bucarest à la hauteur des grandes villes occidentales, se soient laissé entraîner à une véritable rage de démolition, au point d'effacer, pour ainsi dire, toute trace du passé. Ce que les guerres ont épargné, les Roumains, pour l'esthétique de leur capitale, le détruisent tous les jours.
Il reste pourtant un petit bijou d'église qui, malgré son état de vétusté, est encore appropriée au culte grec: c'est le Straviopolis. Cette construction, vieille de deux cents ans, est en style byzantin bâtard, avec un curieux péristyle arabe, aux arcades trilobées, empruntées au style mauresque. Les emprunts au style arabe sont, d'ailleurs, très fréquents en Roumanie, et constituent un des traits distinctifs de l'architecture roumaine.
Terminons notre promenade à travers la ville, par une visite à l'Université, qui renferme, outre les locaux destinés aux facultés de théologie, de médecine, etc., une grande salle réservée au Sénat roumain, ainsi que différents musées. Au musée d'archéologie, nous retrouvons les superbes fresques anciennes enlevées aux monastères, les manuscrits précieux, les tapisseries brodées. Mais la perle de ce musée est le trésor de Petrossa, autrement dit le trésor des Goths. Ce trésor se compose de dix pièces en or massif, datant du IIe siècle de notre ère. Il fut découvert en 1837 par des ouvriers qui le vendirent à vil prix à des bohémiens de passage. Ceux-ci, pour reconnaître la nature du métal, fendirent à coups de hache plusieurs de ces objets, entre autres un plat merveilleux, décoré de figurines à relief, qui se trouve au musée. Parmi les pièces qui échappèrent au massacre, il faut citer un diadème orné de gros grenats, une coupe enrichie de pierreries, une grande aiguière, un anneau massif. La découverte de ce trésor constitue une très importante révélation archéologique.
ENTRE CAMPINA ET SINAÏA LA ROUTE DE VOITURE EST DES PLUS POÉTIQUES (page 404).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
On ne peut quitter Bucarest sans visiter Cotroceni, le premier palais du roi de Roumanie, aujourd'hui résidence du prince-héritier Ferdinand de Hohenzollern. Le palais, entouré de jardins, est situé un peu en dehors de la ville, sur une colline boisée.
C'est un ancien monastère fondé en 1679 par un Cantacuzène, et quoique transformé et considérablement embelli il a conservé son aspect monacal: il est froid, sévère et triste. On y pénètre par une grande porte voûtée qui mène dans une première cour, où les cellules et les cloîtres sont convertis en communs. Au milieu d'une seconde cour, se trouve l'église, derrière laquelle s'abrite le palais, artistement orné de guirlandes et de cabochons en majolique. L'intérieur, qu'on nous permet de visiter en détail, est fort riche, et décoré avec tout le goût, le luxe et le confort modernes. Le grand hall est peuplé des victimes cynégétiques du prince: ours, sangliers, aigles, coqs de bruyère. Dans le cabinet de travail, de nombreuses cartes marines, des coupes, des plans de navires, indiquent les goûts et les études préférées de l'héritier de la Couronne. À l'étage, on trouve le home: les boudoirs, les salons privés de la famille, les chambres d'étude des jeunes princes, leurs salles de jeux, encombrées de jouets luxueux. Tout cela est gai, riant, séduisant, et forme contraste avec l'aspect austère de la façade extérieure. Entre Bucarest et Sinaïa, se rencontre Slanic, qui possède une des exploitations de sel gemme les plus importantes de la Roumanie. Un tronçon de chemin de fer, greffé sur la ligne principale, nous y mène directement.
UN COIN DE CAMPINA.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Les couches de sel gemme s'étendent d'une manière ininterrompue, mais à des niveaux très différents, sur tout le versant moldave et valaque des Carpathes. Ainsi, à Rimnik-Sarat, en Moldavie, on voit une montagne de sel scintillant au soleil; dans d'autres régions, le gisement affleure le sol; mais le plus souvent il faut creuser à dix, vingt, et même trente mètres de profondeur. Certaines couches n'ont qu'une épaisseur de deux mètres et demi à trois mètres, mais la plupart ont une épaisseur beaucoup plus considérable.
Le sel roumain constitue une des grandes richesses du pays, et il pourrait, pendant des siècles, approvisionner l'Europe entière. En général, il est très blanc et cristallin, mais la qualité n'est pas partout la même, et l'on trouve, dans les meilleures salines, des veines striées de rubans noir bleuté. Ces stries indiquent la présence de l'argile, et le sel qui en provient n'est pas livré à la consommation: on s'en sert uniquement pour les besoins de l'agriculture. Parfois aussi, dans certaines couches, se rencontrent des poches pétrolifères qui communiquent au sel une saveur très caractéristique que l'on retrouve même dans le pain auquel on ajoute de ce sel.
Depuis 1862, l'État a monopolisé l'exploitation du sel gemme. Comme la production était trop importante en ces derniers temps, il a arrêté le travail dans les mines de Doftana, dont le produit annuel était de 25 000 tonnes, mais dont le sel était plus bleuâtre et de qualité inférieure à celui de Slanic. Il ne reste donc plus en activité aujourd'hui que les exploitations de Slanic, de Targul-Ocna et d'Ocna-Mare.
La profondeur actuelle de la mine de Slanic est de 100 mètres. Au passage de la cage de descente, on aperçoit à 20 ou 30 mètres une première galerie, puis bientôt on arrive au niveau de la grande salle, taillée en voûte comme une superbe ogive, de 60 mètres de hauteur. On se croirait dans une cathédrale de marbre, dont les murs scintillent sous les reflets blafards des grandes lampes électriques. Les parois ressemblent, en effet, à s'y méprendre, au marbre dépoli, et, comme pour rendre l'illusion plus grande encore, on a ménagé le long de ces énormes murailles des parties saillantes, formant contrefort, et représentant des piliers carrés.
Trois cents ouvriers, tout habillés de blanc, travaillent dans cette grande salle; quelques-uns ne conservent que le pantalon, car la besogne est rude. L'extraction se fait dans le bas dans le sol même, qui va ainsi toujours s'approfondissant. Depuis la muraille jusqu'au petit chemin ménagé au centre de la galerie pour la circulation des wagonnets, on creuse, à la pioche, des sillons parallèles, distants de 60 centimètres et ayant 20 centimètres de largeur sur 50 de profondeur. Puis, au moyen de lourds leviers actionnés par deux ou trois hommes, on détache du sol de gros blocs qu'on divise ensuite en morceaux de 25 à 50 kilos. Dans la salle que nous visitons, le travail est exécuté par des hommes libres, mais dans des galeries séparées, il est fait par des forçats. Avant 1848, ces malheureux, une fois descendus dans la mine, ne remontaient plus au jour, et bien peu d'entre eux survivaient à trois ou quatre années de ce régime barbare. Aujourd'hui, leur vie est devenue supportable et, tous les jours, après huit heures de travail en hiver et douze heures en été, ils rentrent au pénitencier. En outre, ils reçoivent une gratification de 60 à 80 bani par jour.
Le sel de Slanic est réputé le plus beau de la Roumanie, et ses salines seules fournissent au commerce 300 000 kilos par jour. On le débite sous deux formes: ou bien en gros blocs informes, ou bien pilé sur place et mis en sac. Après la Serbie, les principaux débouchés sont la Bulgarie et la Russie.
À peine avons-nous quitté Slanic, que nous entrons dans la région pétrolifère. Toutes les gares sont encombrées de wagons-réservoirs qui répandent au loin une odeur nauséabonde. Nous sommes dans le district de Prahova, qui occupe le premier rang dans la production totale du pays.
De Campina, où nous faisons arrêt, nous nous rendons en voiture à Doftana pour visiter les puits et les raffineries. Aux approches du village, de larges conduites, longeant la route et suintant un liquide gras et boueux, annoncent le voisinage de la région industrielle. Il nous faut mettre pied à terre devant la Doftana, dont les eaux sont si basses qu'elles forment une série d'îlots rocailleux entre lesquels se précipitent des courants impétueux. Un pont en bois traverse la rivière. Pour y aboutir, il faut marcher pendant cinq minutes sur la crête étroite d'un mur qui longe la rivière, et qui retient ses eaux aux époques des crues. Mais notre équipage, qui ne peut naturellement suivre cette route d'acrobate, doit descendre dans la rivière, chercher les endroits guéables, et, par de nombreux circuits, gagner la rive opposée. Nous voici dans la région des exploitations. À droite et à gauche, un peu partout autour de nous, d'énormes pylônes en charpente nous indiquent les puits en activité. Tout le sol est imprégné de pétrole, l'air est saturé de ses émanations, et les arbres tout alentour sont sans feuillage. Comme au Caucase et en Amérique, le forage des puits se fait au moyen du derrick. Mais on ne rencontre que rarement, en Roumanie, ces sources où, sous la pression des gaz emmagasinés, la soude fait jaillir violemment le liquide au-dessus du sol. Généralement on a affaire à des nappes souterraines non jaillissantes, ou à des couches d'argile ou de schiste qui retiennent le pétrole à la façon d'une éponge. Dans ce dernier cas, on fore le sol en plusieurs endroits, et le pétrole va se réunir, par exsudation, au fond d'un puits creusé au moyen d'une pompe à succion.