Project Gutenberg's Le Tour du Monde; Croquis Hollandais, by Various

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Title: Le Tour du Monde; Croquis Hollandais
Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release Date: September 14, 2009 [EBook #29985]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CROQUIS HOLLANDAIS ***




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LE TOUR DU MONDE

PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20

NOUVELLE SÉRIE—11e ANNÉE 2e SEMESTRE

LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS

Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TABLE DES MATIÈRES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1

II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13

III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25

IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37

V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49

SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61

II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73

III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85

IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97

II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109

III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133

II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145

III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169

LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182

II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193

III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205

IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217

V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229

VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265

II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325

IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337

V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUES

De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373

II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385

III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541

II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577

II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589

III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601

IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—35e LIV. No 35.—2 Septembre 1905.

À LA KERMESSE (page 419).

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. LUD. GEORGES HAMÖN.
Photographies de l'auteur.

CES ANCIENS, POUR LA PLUPART, ONT UNE MAIGREUR DE BON ALOI (page 413).

Tout pays a son caractère particulier, c'est indubitable; or, la Hollande, tant par la forme de son territoire que par le costume de ses paysans, est peut-être la contrée d'Europe actuellement la plus pittoresque.

Fumeurs de pipes, farandoles de kermesses, batellerie lente, ponts gigantesques, moulins bringueballants, calmes contemplations des bourgeois devant les glass beer, déhanchements des boerin portant à la ville les produits des métairies familiales, attelages de chiens guillerets, canaux éternels peuplés de canards, villages proprets, logis coquets, pêcheurs singuliers, cieux capricieux, terres marécageuses,... valent vraiment la peine qu'on se dérange, et l'on ressuscite tout à son aise, sans fermer les yeux, les paysages si caressés par le pinceau de Ruysdaël, et les trognes des buveurs de bière dessinés par les Téniers.

Aller en Hollande, du reste, n'est rien.... On prend le matin un express à la gare du Nord, et le soir on se trouve attablé dans une koffiehuis, parmi le calme profond des pâturages et le son des carillons.

La Belgique étant traversée d'une haleine, ce qui n'est point difficile, vu sa maigre étendue, on descend à Roosendal, gare-frontière, où il est d'usage de reprendre quelque force, et l'on monte dans un train lent, de triste mine, en route pour la Zélande, les îles aux appellations baroques, sillonnées de rigoles, de canaux, de rivières, de ruisseaux, de bateaux, et peuplées de femmes aux bras nus.

Mais que l'on se dise bien ceci: la Hollande, pays d'une platitude désespérante, ne fournit point de sensations violentes, d'enthousiasmes communicatifs, ni de ravissements intérieurs. La Hollande, fief de la quiétude, est un endroit où l'on plonge pour ainsi dire dans la béatitude.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché, — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais.

Après avoir côtoyé des marécages monotones, des cultures humides, traversé des ponts, le train lent stoppe à Goes, puis à Middelburg, capitale de l'île Walcheren.

Il faisait gris, le matin où j'y parvins. En Hollande, les nuages n'ont pas de clochers pour les arrêter, pas plus que d'arbres, collines ou bergères. Ils arrivent de tous les côtés, blancs, roses, noirs, mauves, oranges ou rouges, selon l'heure et le vent, poussés par le zéphir. Ils dégringolent en averses foudroyantes, puis se sauvent par hordes compactes, essayant de se raccrocher quelque part; mais les moulins qui virent et tournent sans holà, ont l'air de s'en moquer, tels les baigneurs qui plongent dans l'eau quand on les appelle.

Ô nuages hollandais, que de tracas vous m'avez causés!.... Dois-je vous en garder rancune?... Je ne sais, car vous ne manquez pas d'allure, et la Hollande sans nuages serait un désert affreux, et les nuages, l'eau, ont, depuis belle lurette, noué ensemble amitié, pour le grand bien des paysages:

Il faisait donc gris, quand je débarquai à Middelburg.

Middelburg, n'est-ce pas? est un type achevé de ville hollandaise, mi-citadine, mi-paysanne. Avec Goes et Wemildengen, elle est peut-être la plus intéressante de celles où j'ai passé.

 
 

DES «BOERIN» BIEN PRISES EN LEURS JUSTINS MARCHENT EN ROULANT, UN JOUG SUR LES ÉPAULES.

PAR INTERVALLES UNE FEMME SORT AVEC DES SEAUX; ELLE LAVE SA DEMEURE DE HAUT EN BAS (page 418).

C'était le matin. À tout instant, je rencontrais des maraîchers ou maraîchères, les uns en voitures basses, traînées par des petits chevaux poilus, les autres poussant des charrettes chargées de légumes, beurre, œufs ou lait.

Trip, trep, trip, trep.... Cela trottait sans hâte (on ne se presse jamais en Hollande) à petit trot mou, vite arrêté.

Des boerin (jeunes filles), bien prises en leurs justins, les hanches bouffantes de grosses jupes, marchaient en roulant, un joug sur les épaules, offrant à leurs clients le lait ou le beurre périodiques, en des seaux bleus ou verts à couvercles, d'une propreté méticuleuse.

Le type n'est pas très joli, je veux dire pas très fin, car la beauté est extrêmement discutable et l'on voit tous les jours des gens se pâmer devant les chairs de Rubens, lequel, comme on le sait, ne peignit guère que des Flamands obèses.

Ces demoiselles, par contre, n'ont pas de timidité. Plus d'une, arrivant les mains à la ceinture, les épaules agitées d'un mouvement sec, s'arrêtait devant mon regard, se campait d'un air coquet et me faisait signe qu'une pièce de monnaie serait pour elle un excellent bénéfice. Si j'essayais de la croquer à l'improviste, elle poussait un cri de colère, et me tournait le dos avec ostentation.

En d'autres lieux, à Marken par exemple, cet impôt sur l'étranger est devenu presque un droit, voire un abus ridicule....

Middelburg!... ville proprette, aux rues toutes pareilles. Alentour, des canaux où flottent des trains de bois. Deux ou trois moulins colossaux dominent les toits. Quelques vieux monuments de style. Des carillons chanteurs sonnent les heures, s'égrènent tout à coup sur le silence ouaté des voies quasi désertes, presque veuves de boutiques.

On se promène peu, en Hollande; on ne flâne point. On vit chez soi, bien enfermé dans sa maison close, nette, claire et ordonnée. Pas de maisons de rapport à cinq, six ou dix étages. Chaque famille a son logis, son hôtel, où ne pénètrent que des gens connus, dont on est sûr.

Aussi comme on l'aime, ce home, comme on se complaît à l'orner, à le laver, à le peindre, à le gratter! C'est un étalage de soins qui réjouit l'œil, tant on le sent inné dans les mœurs locales.

 
 

EMPLETTES FAMILIALES.

LES MÉNAGÈRES SONT LÀ, ÉGALEMENT CALMES, LENTES, AVEC LEURS GROSSES JUPES (page 413).

Les rues pavées de briques ne recèlent aucune immondice. Les fenêtres garnies de stores ne montrent point de visages curieux se penchant avec grâce ou dédain sur le passant. On ne voit point de ménagères tenant conciliabule à perte de vue sous des portes cochères qui n'existent point, ou à des carrefours fréquentés. Les enfants eux-mêmes sont juste assez bruyants pour indiquer que la ville n'est pas peuplée de spectres.... Seuls, vous dévisagent les espions, miroirs fixés extérieurement aux fenêtres, et sur lesquels la dame du logis, assise confortablement à l'abri de son horrikje, châssis vert en forme de trèfle, contemple durant des heures ce qui luit, marche, flotte ou passe, à la façon des poissons à travers l'eau d'un bocal....

Ah! cette torpeur amicale des logis hollandais, par une après-midi grise de septembre!

Le détective au poing, j'arpentais les moindres ruelles, poussant mon indiscrétion familière partout où je pouvais. J'errais le long des quais sonores, où le rouge des toits se mariait au brun des trains de bois flottants, au roux des arbres pressentant l'automne. Je longeais les berges du grand canal; des jeunes filles y faisaient des signaux aux métayers d'en face, encadrés par l'horizon plat où tournait un moulin.

J'eus tôt fait de connaître par le menu le court dédale des voies, lesquelles ramènent sans cesse à la Place principale, où se dresse l'Hôtel de Ville aux mille ciselures, où se tient le Marché hebdomadaire, et où stoppe le tramway de Flessingue, cité maritime, port de relâche pour les steamers nomades.

Le faubourg qui en prend le chemin conduit à un pont. Ce pont s'ouvre par le milieu, à la façon d'une double trappe, pour laisser passage aux chalands matés. L'opération dure un bon quart d'heure, pendant lequel les rares personnes ayant besoin de passer l'eau ne font entendre aucun murmure d'ennui. L'éclusier, tel un mandataire soucieux de sa responsabilité, s'accoude au garde-fou, silencieux: il attend le bon plaisir du batelier dont le chaland vogue avec la lenteur solennelle des tortues aïeules.

Cet éclusier en vérité formait à lui seul un poème de Hollande. Roux en le décor roux, la pipe vissée aux gencives, il rayonnait d'une philosophie sereine,—la philosophie des corps neutres se mouvant par intervalles, pour un but imprécis. En lui revivaient les générations mortes des Néerlandais éteints, aux gestes mesurés, taciturnes et rêveurs, qui mirent des siècles de patience à opposer leur passivité têtue à la passivité revêche de la mer sournoise.

JEUNE MÉTAYÈRE DE MIDDELBURG.

Voilà bien, en effet, le caractère du Hollandais. Entouré d'eau, luttant contre l'eau, nourri par l'eau, il a pris de l'eau la pesanteur molle, avançant sans bruit, avec sa surface colorée, receleuse de mondes bizarres.

Le visage glabre, rond ou expressif, les cheveux coupés à la mode de Louis XI, la main épaisse, les jambes perdues en un pantalon large, le Hollandais rit peu ou point, ne crie jamais, ne discute pas, semble refléter en son œil sérieux un monde de pensées ou de songeries nébuleuses.

Roux en le décor roux, l'éclusier symboliste fumait sa pipe, insoucieux de la contemplation où me plongeait son image. Quand le bateau fut passé, il tourna une manivelle de fer, et le passage fut rétabli.

Ce coin de ville était encore plus silencieux que le reste. Une mère songeuse promenant son petit garçon emmitouflé d'un châle, formait le seul être humain visible des parages, au bruit cliquetant du haut moulin proche.

Le lendemain était un jeudi, jour de grand marché à Middelburg. Le soleil ne disait pas complètement non à mes supplications, et rosissait les nuages coureurs venus des océans. Je déjeunai rapidement d'œufs et de jambon, je me rafraîchis avec du thé, et je gagnai la Grand'Place, siège des négoces.

Trois ou quatre boutiques volantes, un afflux de métayers ou métayères et de voitures à bâches blanches, indiquaient par là des velléités de business; mais je cherchais partout, en vain, les remous de foule, précurseurs de gestes mercantiles.

En Zélande, il n'y a ni culture ni industrie. Par conséquent, il ne saurait s'étaler, comme chez nous, de ces amas de légumes, d'œufs, fruits ou fleurs, autour desquels se pressent les ménagères.

MIDDELBURG: LE FAUBOURG QUI PREND LE CHEMIN DU MARCHÉ CONDUIT À UN PONT (page 411).

En Zélande, le paysan ne produit guère que du lait, du beurre, de la betterave et de la pomme de terre. Le lait et le beurre sont portés aux clients par les boerin, ainsi que nous l'avons indiqué. La betterave s'en va aux usines par les bateaux.

Le terme de marché, appliqué à la réunion hebdomadaire que je vis là et qui se perpétue, serait donc assez impropre. Sous le prétexte de vendre quelques vagues kilogrammes de beurre, les braves gens viennent à la ville faire leur petit tour hebdomadaire, pour y rencontrer des connaissances, présider à quelques emplettes, fumer des pipes devant l'Hôtel de Ville, et rêver, les mains dans les poches, en une salle de billard, devant un glass beer de haute taille, au bruit sec des billes maniées par des joueurs silencieux.

Quel calme! Ce peuple, nourri de fécules et de graisse, n'a pas de nerfs. Large, lourd, gros sans obésité, ne connaissant point la misère, il rappelle ces bonzes chinois accroupis en des chaises de rotin, qui tournent, yeux béats, les pouces sur leur ventre, en une contemplation ravie, insoucieuse des heures.

Les hommes se groupent à un angle de la Place, afin de se confier leurs impressions sur le cours des bestiaux ou des betteraves, la santé de leurs enfants. En quelques mètres carrés, il y a là une réunion de types à faire frémir d'allégresse les descendants des Téniers, Van Ostade ou Potter, les bons peintres défunts.

UNE MÈRE, SONGEUSE, PROMENAIT SON PETIT GARÇON (page 412).

Des groupes d'Anciens, en culottes courtes, bas chinés et chapeaux marmites, le visage ras, encadré de touffes chenues, reportent l'esprit à des siècles en arrière.

Ces Anciens, pour la plupart, ont une maigreur de bon aloi, contrastant avec l'épaisseur des jeunes, et montrant que la vieillesse attend surtout les individus aux muscles secs.

De cette lourdeur générale, il serait malséant de déduire une intelligence bornée. Le Hollandais est instruit; il lit peu, mais retient beaucoup. Sa bonhomie, ses façons massives ne sont souvent qu'un vêtement: il faudrait, avant de s'y fier, expliquer le sourire imperceptible qui plisse parfois son œil rond et bleu, sa lèvre molle sans rides. Il a ce qu'on appelle le courage contre les choses, composé de bon sens et de calcul. La lutte séculaire entreprise contre la mer et les fleuves dévastateurs, lui a donné une grande persévérance, une patience sans bornes, véritable force d'inertie. Il est actif; mais son activité, peu turbulente, se manifeste par un travail silencieux, soutenu, régulier.

Économe, il reste simple, même dans l'opulence, et ne manifeste sa vanité qu'aux grandes occasions, souscriptions publiques, noces ou kermesses.

Quand le paysan hollandais marie sa fille, par exemple, il donne un repas considérable... Autrefois, les fêtes d'épousailles étaient entrées dans les mœurs à un point tel qu'une loi dut intervenir pour fixer le nombre des violons, la valeur des cadeaux, le prix du couvert.

Par deux ou trois, les métayers stationnent en des entretiens minutieux, prononcés à voix neutre, cependant que la fumée des cigares argente leurs yeux, ou bien, à pas lents, ils vont vers l'estaminet, et continuent leurs confidences, assis le long du mur.

L'estaminet, ou plutôt la salle de billjard, ressemble de loin à nos auberges ou à nos cafés. Tout l'espace est pris par le billard énorme, percé aux quatre angles. Dans un coin, une table ronde, couverte d'un tapis à ramages, avec ce qu'il faut pour écrire, des chaises bien alignées, sont les seuls meubles réservés aux clients sages.

On pourrait donc croire, quand on entre là, pénétrer au domicile d'un particulier qui vous offrira le verre de l'amitié, les coudes sur le bois.

Sur la Place, décidément, il n'y a que des hommes. Où vont donc les femmes?... J'avise un trio de ménagères qui s'éloignent, panier au bras, et je les suis. Elles m'amènent bientôt à une vaste cour, entourée d'un cloître, au milieu duquel un vieil ormeau jette son ombre.

C'est le préau des laren. Elles sont là, également calmes, lentes, minutieuses, avec leurs grosses jupes, leurs tabliers et leurs châles vivement colorés, leurs coiffures blanches, ornées de clinquailles. Les unes ont posé leurs paniers sur des tréteaux préparés, ou sur le sol à côté des feuilles tombées, et attendent avec une patience infinie qu'une acheteuse vienne les débarrasser de leur onctueuse marchandise; les autres stationnent, tournent, errent et stationnent encore, quasi muettes, le regard un peu vague, comme si elles n'étaient pas certaines de fouler une terre ferme.

—Vous voulez du beurre?

—Nous voulons du beurre.

—Vous avez du fromage?

—Nous avons du fromage; voyez sa tendresse.

Ces questions, ces réponses bruissent doucement avec le bruit du vent dans les branches du vieil arbre, et quelques femmes se décrivent posément entre elles la façon dont elles ont fabriqué ce produit délectable avec le lait de tel jour, tiré d'une vache déterminée.

Insignifiantes, mafflues, seraient les dames hollandaises, sans leurs costumes bigarrés, ainsi que celles vêtues à la moderne, qui n'ont ni grâce ni langueur. Avec les atours du pays, elles se détachent ainsi que personnes spéciales sur ce fond archaïque, s'éternisent en des attitudes droites, comme si elles voulaient, toujours et partout, se léguer en peinture.

Leurs bras nus, durcis par la bise, supportent des corbeilles recouvertes de rouge, de bleu ou de jaune; et, comme c'est encore l'été, elles portent sur la tête des chapeaux en forme de pots de fleurs renversés, garnis de pompons.

Dessous l'ormeau aux branches brunes, leurs châles à ramages se découpent fraîchement, penchés vers les paniers ouverts que gardent des boerin dont la jeunesse, comme toutes les jeunesses, ne manque pas de charme, malgré la raideur des corsages collés aux bustes à angles droits.

UNE FAMILLE HOLLANDAISE AU MARCHÉ DE MIDDELBURG.

Leurs pieds peu pressés d'être passés foulent la brique dont est pavé le parvis vieillot, et c'est le seul bruit qui s'élève, tout ouaté, dans le silence général.... Les dames hollandaises, l'on dirait, semblent porter avec elles constamment des secrets précieux qu'il ne leur faut se révéler qu'ensemble, derrière un mur peint en barres sombres et claires, à l'abri des écrans verts dont se parent leurs fenêtres. Leurs prunelles humides reflètent les grands pâturages où paissent les génisses qu'on va traire souvent; leurs fronts étroits, bien serrés dans la dentelle, poursuivent évidemment la chanson biquotidienne du lait s'égouttant goutte à goutte, avec des bulles, dans du lait, et leurs mains ne sauraient se départir de ces gestes de harpiste, dont elles caressent les pis blancs.

Ont-elles la douceur du liquide mammaire?... Ne nous hâtons point de conclure. En Zélande, en Frise ou en Gröningue, il y a des brunes et des blondes, des rousses et des châtain; et si l'abondance des nourritures molles a enduit leurs nerfs d'un fourreau lymphatique, elles ne diffèrent point, sans aucun doute, comme sentiments, des autres descendantes d'Ève.

Et voilà les réflexions inspirées par un grand marché de Middelburg.... Singulier marché en vérité, où l'on marche avec rien, du bout de l'orteil, en des flâneries sempiternelles.

Un septuagénaire, appuyé sur son petit-fils, me sourit bonassement. Lui est le passé, avec son costume d'image flamande; l'enfant est le présent, l'avenir, avec sa casquette étriquée, sa veste carrée. Je fais un signe. Le petit veut arrêter l'aïeul au bord de ce danger qu'est mon instrument ramasseur de figures, mais l'Ancien s'arrête, et prend une pose noble, ainsi qu'un seigneur qui aime qu'on l'admire.

Une trombe d'eau balaie soudain le ciel, les rues, les toits en escaliers. Pendant une heure, elle ruisselle, gicle, éclabousse, ramenant aux salles de billjard les métayers calmes; puis le soleil reluit, et l'on se prépare à regagner le logis.

Les grandes voitures en forme de nacelles, recouvertes de bâches blanches, sortent de tous côtés, se rangent devant les seuils hospitaliers. Les fillettes ravies de leur promenade, les ménagères contentes de leurs achats et de leurs bavardages, les boers satisfaits de leurs flâneries, bien rassasies de bière et de genièvre, y montent tour à tour.

LE MARCHÉ DE MIDDELBURG: CONSIDÉRATIONS SUR LA GROSSEUR DES BETTERAVES.

—Tott werziens!... Goedag! (Au revoir!... Bonjour!)

Les chevaux secouent les oreilles, lèvent des jambes molles et partent trip, trep, trip, trep, tranquillement par les routes étroites, bien pavées, avec le minimum de bruit, vers les écuries....

La ville, un instant mouvementée, reprend sa somnolence familière. Le soleil descend. Les canaux s'irisent de lueurs profondes. Dans le crépuscule venu, des bateaux passent, silencieux, les voiles hautes, avec un léger clapotis. Les moulins sombres paraphent le couchant de signes muets, fuyants comme les minutes. Derrière les stores baissés des logis, des lumières pâles apparaissent. Silence, silence, silence.... Middelburg, ville de Zélande, en l'île Walcheren, disparaît sous la nuit....

Zoutelande, village perdu derrière les dunes, près de la mer. Un grand moulin le signale. Le soir tombe. Le long des chemins rocailleux, bordés de ruisseaux, le vent fait rage, annonçant les flots proches. Au pied même des montagnes de sable, une rue principale, nette comme un vestibule d'hôtel, avec un pavé brun et des maisons claires, peintes et lavées. Une seule auberge, de laquelle je heurte l'huis. Autour du billard, quatre ou cinq hommes en culottes courtes s'agitent gravement. L'hôte: un petit vieillard rond et réjoui; l'hôtesse: une large quadragénaire, à la mine entendue. Elle se carre, les poings aux hanches, et entame en flamand un long discours. Je souris et esquisse un signe de détresse. Au moyen du Lexique exhibé de ma sacoche, je lui donne à comprendre qu'il me faut une chambre et de la nourriture. Elle met un doigt sur son front: «Compris!» et s'en va. Elle revient quelques instants après avec sa fille, également large, et recommence un discours. Je représente à la fille mon truchement, et toutes deux opinent du bonnet, disant: «Compris!» Hélas!... La fille va chercher le père, lequel acquiesce à tout ce que j'indique, rit d'un air bienheureux, et hoche la tête à la façon des bonshommes de porcelaine. Désespéré, j'ouvre la bouche, y plonge l'index, en mastiquant, et je me penche sur une table en fermant les yeux.

Ils joignent les mains, ravis, se regardent. «Comme il est drôle tout de même, cet homme-là!» «Compris, compris», font-ils, attendant peut-être que je mime autre chose; mais je prétends ne pas avoir devant moi des Cafres ou des Berbères, et je m'assois dignement, la langue tirée, preuve évidente que je boirais bien.

DES GROUPES D'ANCIENS EN CULOTTES COURTES, CHAPEAUX MARMITES (page 413).

On m'apporte du lait. Le crépuscule s'appesantit. Espérant qu'on va me griller quelque chose, je sors. Le vent s'engouffre, ébouriffe mes cheveux. Il n'y a personne dehors. Je monte sur la dune: c'est à ne pas tenir debout. La mer déferle contre les pieux plantés le long des grosses pierres destinées à rabattre le sable. Au large, un steamer d'Anvers lutte contre la houle, en fumant obliquement.

Brrr! il fait frais. Je suis bien tenté de chanter la gloire des Zélandais, du haut de mon promontoire; mais le moulin qui tourne en cadence à l'extrémité du village, semble me faire la nique avec ses grands bras fuyants.

Je rentre au «Roode Leeuw, logement en koffiehuis». Les joueurs de billard sont partis. Le patron fume sa pipe auprès du fourneau, tandis que la fille pèle des pommes de terre.

La bourgeoise me donne à examiner son pouce, et me montre la porte d'une pièce voisine. Je me rends à cette invitation péremptoire et je trouve sur une nappe un verre de lait, deux œufs et du fromage... menu frugal des cénobites de la Gaule, au temps des Barbares.

L'estomac creusé par un après-midi de pérégrinations, je réclame bruyamment la suite. Il n'y a pas de suite. La dame me regarde avec consternation, et compose un nouveau discours, auquel je n'entends rien.

—Brood en melk (pain et lait), lief moeder (jolie maman), lui montrai-je sur mon Lexique, d'un geste impératif.

—Begrijpen (Compris)!

Hélas! je dus me réconforter de tartines beurrées, arrosées de bière et de lait.

Quand j'eus apaisé ma fringale, je rejoignis la famille, près du fourneau où ronronnait une bouillotte. La fille pelait toujours ses tubercules, et la mère, le cou penché, se grattait méthodiquement la nuque, tandis que le père, béatement enfoncé dans un fauteuil de bois, soufflait des ronds brumeux de sa pipe robuste.

 
 

UN SEPTUAGÉNAIRE APPUYÉ SUR SON PETIT-FILS ME SOURIT BONASSEMENT (page 414).

ROUX EN LE DÉCOR ROUX, L'ÉCLUSIER FUMAIT SA PIPE (page 411).

Ô soirée hollandaise, en cette auberge bien close, reluisante de propreté, je te vois encore! L'horloge peinte scandait les minutes de son balancier rouge. Les murs tapissés de plaques en faïence à fleurs bleues, donnaient, à la lueur de la lampe, une illusion de marbre encadrant d'un miroir opaque les meubles massifs d'acajou brun.

Pietje (Perrette) est une excellente boerinnetje (jeune fille), et ses parents, de même, sont tout bonasses. Le langage des yeux, très expressif, remplace avantageusement celui des langues, et nous saisissons bientôt les pensées mutuelles que nous cherchons à exprimer.

Ce silence, ce calme, irritent cependant, au bout d'une heure, mes nerfs de Français actif. Le vieux est tellement béat qu'il m'agace, et les grattages de la mère deviennent contagieux. Je profite du moment où la fille a terminé sa sculpture, et je montre le plafond d'un geste énergique.

La mère relève la tête et sourit. C'est son affaire. Elle laisse son tricot, et me conduit à une échelle, derrière la cuisine, dresse son index, et me remet le flambeau, en prononçant un discours compliqué.

—C'est bon, c'est bon, répondis-je, lief moeder, je souhaite une bonne nuit, à toi, à ton époux rond, à ta jeune fille, à toute ta maisonnée!...

Je grimpe à l'échelle et je pénètre dans une manière de grenier où se résume la richesse légumineuse de la famille: à droite, un tas de pommes de terre; à gauche, une pyramide de carottes; devant, un monticule d'oignons; autre part, des pois et des ustensiles; entre deux poutres, enfin, une alcôve de planches brutes recèle une paillasse, deux draps et une couverture.

Je croise les bras, rempli d'indignation....., mais je réfléchis qu'en un village perdu, sous les dunes, en une île, il ne faut pas être difficile, et j'imite Napoléon qui se couchait tout habillé, par crainte des surprises.

Le vent courait sur le toit, raflant les tuiles avec des hans énergiques; mais, rasséréné par la pensée qu'il devrait briser le toit, avant de s'en prendre à moi, je fermai les yeux et sombrai dans le sommeil....

Au matin, un soleil superbe se coula par la lucarne et m'auréola le front. Je m'empressai de descendre et de gagner le chemin, lequel, chose étonnante, retentissait d'un bruit de sabots anormal.

Ce choc de bois sur la pierre me rappelait positivement la cadence des Bretons, aux mêmes heures, en leur vieux bourgs.

—Cela n'est cependant pas possible, me disais-je, que les gars de Guémené ou les filles de Fouesnant aient passé la mer pendant la nuit pour me jouer cette aubade! Ce sont peut-être les Trépassés de mon pays qui veulent me surprendre et m'empêcher de me faire naturaliser Hollandais. Ils n'avaient pourtant rien à craindre à cet égard....

Au bas de l'échelle, les femmes me sourirent; le patron, toujours assis béatement, lança une grosse bouffée en roulant ses yeux bleus.... Le chemin était tout simplement rempli de marmots qui attendaient l'heure de l'école en courant de-ci, de-là.

Étonnants, ces enfants! En d'autres pays, leurs pareils font un vacarme diabolique, crient, trépignent, se poursuivent, jouent au cheval échappé, à la corde, au voleur, au pendu..... Ici, ils trottent. Les garçons, les mains dans les poches, la casquette sur l'oreille, se bousculent mollement. Les filles, vêtues comme les grandes personnes, de jupes bouffantes et de gros châles, sautent en joignant leurs menottes entre elles, courent en faisant pouf pouf, leurs petits pieds perdus dans des sabots géants, leurs minces bras nus découpant une ligne frêle.

Le spectacle était d'une fraîcheur exceptionnelle. Un clair soleil de septembre, une rue pavée, nette comme une nef, des huis (maisons) roses, brunes, blanches aux toits roux, des fillettes vêtues de bleu s'agitant avec une grâce très locale, pouf, pouf.... On regrette vraiment, à certains instants, de ne pouvoir transporter d'un coup de pinceau, sur une toile, la gamme de toutes les nuances dont se compose une scène de ce genre.

Les enfants m'aperçurent et prirent leur vol comme des oiseaux effarouchés, devant mon geste pour les photographier. Je les suivis. Ils rirent, tournèrent des murs, se cachèrent, réapparurent, et j'eus bientôt l'illusion d'être un loup poursuivant des agneaux.

Clic clac, je les saisissais au jugé, au moment où je tombais sur eux, en quelque recoin où ils se cachaient. Les filles joignaient les mains, ainsi que gibier vaincu demandant grâce; les garçons, au contraire, me bravaient.

LE VILLAGE DE ZOUTELANDE.

Ce petit monde, aux vives couleurs, ne tarda pas à me laisser seul dans Zoutelande, pour entrer au parvis scolastique.

Je fis le tour du village. Pas une âme. Portes closes. Fenêtres mystérieuses. Silence. Nul lavoir résonnant de battoirs sonores. Aucune ménagère conversant avec une voisine, ou travaillant dans son courtil. Par intervalles, une femme sort avec des seaux d'eau et un immense balai; elle lave sa demeure du haut en bas, gravement, monte jusqu'au toit pour essuyer les tuiles, et referme sa porte, derrière laquelle on la devine, lavant encore, essuyant toujours, fourbissant sans cesse, grattant et ornant.

On a beaucoup parlé de la propreté hollandaise. Elle n'est pas un mythe. Ce peuple a l'orgueil de la netteté. Vivant au milieu de l'eau, sous un ciel pluvieux, gratifié de vents tourbillonnants, il emploie l'un et l'autre à emporter les immondices, la poussière et le mauvais sort.

La pauvreté, en ces parages, semble inconnue; si elle existe, elle est si propre qu'on ne la voit pas. Chaque famille se lègue, de génération à génération, les meubles massifs autour desquels on coule sans secousse une vie pesante.

LES GRANDES VOITURES EN FORME DE NACELLE, RECOUVERTES DE BÂCHES BLANCHES (page 414).

L'humidité ambiante, le rétrécissement forcé des routes terrestres, le manque d'agriculture, d'industrie, sont pour beaucoup dans ces mœurs. Puis la Hollande est un pays de bourgeois, de bateliers et de courtiers, toutes situations sociales où le confort se trouve d'habitude.

Le moindre métayer vous impose par son vêtement, sa faïence et son huis reluisante. Il donne l'impression d'un homme sûr de lui, de son passé, de son présent, de son avenir, nullement inquiété par un impôt progressif, une politique effarante ou une nervosité de mauvais augure.

Par nature, le Hollandais est réservé et taciturne; par habitude, il aime le travail, les affaires, la vie de famille.

Religieux, il l'est sans excès. Le culte réformé, auquel il appartient, n'invite point aux manifestations dévotieuses, et n'admet aucun luxe d'icônes ou de statuettes, ainsi que l'on en voit en d'autres contrées.

Les temples n'offrent que des murs nus ou blanchis. Il s'y rend le dimanche, pour écouter le prêche. Point de fêtes gracieuses, symboliques ou remémoratives. On va à la kerk (église) parce que cela doit être ainsi, et qu'il faut faire ce qui doit être fait, selon la tradition.

La Bible est un monument national, identifiant la Réforme au patriotisme, sentiment profondément ancré dans le cœur des Néerlandais; et quand Louis XIV, maître d'Utrecht, fit brûler sur la Grande Place tous les exemplaires qu'on en put trouver, il eût pu se vanter sans forfanterie d'avoir livré aux flammes la Hollande intellectuelle de ce temps-là. La liberté de conscience cependant est partout respectée, et ce, depuis des temps immémoriaux. Les sectes religieuses sont innombrables, et toutes vivent en bonne intelligence. Catholiques, protestants, juifs, musulmans, jouissent exactement des mêmes droits et prérogatives.

Les mœurs sont rigides. Jamais, dans les campagnes, on n'entend parler d'aventures passionnelles. Le jeune homme qui a remarqué une jeune fille, s'arrange pour obtenir le mariage, si toutefois les intérêts se conviennent; tout est calme parmi les polders (pâturages), même les sentiments.

Cette réserve disparaît une fois l'an, pour se transformer en orgie, à l'occasion des kermesses.

Pendant les jours qui sont consacrés à ces fêtes nationales, le boer met dehors tout ce qu'il doit réprimer en temps ordinaire, c'est-à-dire les vilains côtés de sa nature; il danse comme un chaland sur une mer démontée, fume comme un steamer d'Anvers, et boit comme le Helder, aux jours d'inondation. Durant trois jours et trois nuits, en certaines villes particulièrement, il ne quitte plus les koffiehuis. Vautré sur les tables, accroupi sur le sol, assommé par l'ivresse, grisé par la musique, il se révèle un être nouveau, de gestes extravagants, de verbe strident; et l'on ne saurait dire vraiment à quoi le comparer, si ce n'est à Bacchus lui-même, en ses grands jours d'expansion. La toile de Rubens, au Louvre, si crue en son réalisme, serait encore symbolique, si un croquis d'observation pouvait être un symbole pour une race épicurienne.

L'orgie, cependant, il faut le reconnaître, varie selon les contrées, et tend de plus en plus à se transformer en fêtes familiales. C'est tant pis pour le pittoresque.

Les kermesses ont pour les jeunes gens une importance d'autant plus grande, qu'elles forment pour eux une rare occasion de s'agiter, de sortir. En ce pays marécageux, où la vraie campagne n'existe point, on ne peut aller, comme chez nous, se promener, le dimanche, le long de chemins verdoyants, parmi des prés fleuris.

De temps à autre, on prend bien le bateau pour aller à Rotterdam ou à Zieriksee, mais ces excursions passagères ne valent pas un jour de hermis, au chef-lieu du district. Là, on se sent chez soi, ou à peu près, et l'on peut à son aise sans crainte d'abandon, absorber les muids de bière noire, manger des crêpes de froment, des oignons, concombres ou citrons confits dans le vinaigre, assaisonnés d'œufs durs....

Quant aux filles à marier, leur émoi est indispensable. Longtemps à l'avance, elles préparent la coiffure aux ailes rondes qui donnera à leurs yeux une importance incisive, le collier de corail, le châle de velours bleu de roi, les plaques d'or qui cercleront leurs fronts, ainsi que des papillons, et tous les petits accessoires de toutes les couleurs qui éblouiront les garçons nonchalants.

Ces bijoux sont l'orgueil de la boerin. Le rêve de chacune est d'en posséder de magnifiques, en or véritable, afin que le vent, les agitant, les fasse bruire finement, ainsi qu'un bourdon de libellule.

À Zoutelande, on raconte qu'une demoiselle de ferme, très belle, mais peu fortunée, par suite de l'avarice paternelle, grillait d'une envie mortelle d'égaler sur ce point ses compagnes de kermesse, afin d'être, comme elles, priée à danser, à rire et à manger des baskets, par les prétendants, qui fuient la pauvreté.

En allant au marché de Middelburg, pour vendre le lait et le beurre de la maison, elle ruminait ce souci obsédant, et se désolait d'être ainsi dédaignée, malgré sa gentillesse.

—Je veux briller, songeait-elle; car je vaux toutes les autres.

Tout en marchant, le torse bien cambré, roulant sous le joug de frêne brun, elle regardait mélancoliquement l'eau des ruisseaux qui reflétaient le soleil, et se disait que si cette eau était du lait, elle aurait promptement de quoi acheter les plus beaux bijoux des orfèvres de Schoonhoven.

Puis elle sourit, s'arrêta, ouvrit ses seaux peints, considéra qu'ils n'étaient pas pleins, y ajouta un peu de cette eau moirée de reflets coureurs, et continua son chemin.

Au lieu de vendre huit litres de lait, elle en vendit ainsi douze chaque jour et mit de côté, en une cachette, le produit de sa ruse.

Elle fit si bien, qu'elle amassa bientôt un pécule honnête, et put faire l'emplette des strikken tant convoitées. Elle ne se tenait pas de joie et ne put résister, au retour de la ville, au désir de mettre à ses tempes les précieuses antennes, pour se regarder dans l'eau.

Hélas! comme elle se penchait pour apercevoir son minois, les boucles, mal assujetties, se détachèrent et churent avec un bruit sec au milieu du courant.

Reneetje, assise sur l'herbe, pleine de rage, de dépit, de chagrin, pleurait toutes les larmes de son corps, quand le vent glissa à son oreille ces mots raisonnables:

«Ce qui vient de l'eau doit retourner à l'eau.»

On ne dit pas si la jeune personne accepta cette consolation.

(À suivre.) Lud. Georges Hamön.

AUSSI COMME ON L'AIME, CE HOME (page 411).

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—36e LIV. No 36.—9 Septembre 1905.

LES FILLES DE L'HÔTELIER DE WEMELDINGEN (page 429).

CROQUIS HOLLANDAIS[1]
Par M. LUD. GEORGES HAMÖN.
Photographies de l'auteur.

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick.

IL SE CAMPE PRÈS DE SON CHEVAL (page 422).

Aussitôt mariée, après les énormes réjouissances de la noce, la boerin remet au tiroir les menus brimborions dont elle était si coquette. L'usage veut en effet qu'elle prenne l'allure grave, sérieuse, des femmes qui n'ont plus de conquête à faire, ayant trouvé compagnon: elles garderont cela pour leurs filles, lorsque celles-ci, à leur tour, selon le perpétuel recommencement, aguicheront les boers.

Et voilà... Depuis longtemps déjà je me promène dans Zoutelande, écoutant la brise me raconter ces joyeux devis, entre deux souffles donnés au grand moulin proche.

Un métayer, dans sa charrette en forme de nacelle, attelée d'un grand cheval hirsute, part pour les champs; bruit soudain dans le silence.

Autre part, je rencontre, à l'orée du village, un couple minuscule, composé d'un petit garçon et d'une petite fille. La petite fille, très goguenarde, très maman, gourmande le petit garçon, d'une voix de basse-taille, et veut le retenir sur le chemin de Westkapelle, où le téméraire Guillaume veut s'engager. Elle le tire de toutes ses forces par un pan de sa veste, et l'on reconnaît en elle la future vronwtje, retenant son époux qui veut s'en aller courir le canal..., souci adorable.

Un galop sonore... Qu'est-ce que c'est?... Un homme aux yeux bleus, dans une figure réjouie, revient des cultures avec ses deux chevaux, sa femme et ses servantes. Il salue, puis saute à terre, de plus en plus réjoui, montre ses bêtes, fort en point, désigne mon instrument, pose une main sur sa poitrine et l'autre aux naseaux des animaux, et donne à entendre que le tableau doit être d'une beauté remarquable.

Avec un sourire, j'exécute trois pas en arrière, deux à droite, un à gauche, murmure une approbation, et lâche le déclic de mon obturateur.

—Atchoum! éternue le cheval numéro un.

Le cavalier, décidément au summum de la satisfaction, me communique des impressions, hélas! incompréhensibles, et repart avec un geste de: «À tout à l'heure, attendez-moi!»

Intrigué, je contemple l'église, nue et triste, le champ verdoyant où l'on enterre les morts sans apparat ni signes funéraires (ce qui vient de la terre doit retourner à la terre, sans plus... la philosophie hollandaise est en ce sens), et je me prépare à grimper sur la dune, quand de nouveau un triple galop résonne: j'aperçois mon cavalier réjoui, amenant trois coursiers nouveaux. Il parle; il descend. Il se campe près de l'un et déclare qu'il me faut continuer mon jeu de massacre.

—Tu abuses! mon cher, réplique-je en dialecte de France.

Et pour m'en débarrasser, je lui tourne la tête vers le large, et je feins de le saisir.

Par trois fois, pour les trois chevaux, je réitérai la farce; puis je reçus une adresse, calligraphiée au crayon, en même temps qu'une démonstration de satisfaction absolue.

—Tot, werziens, tot, tot... (Au revoir, à la prochaine!)

Je montai sur la dune. Les enfants sortis de l'école sabotaient en chœur, plouf, plouf, toc, toc.... Il était nécessaire de les attirer par quelque chose d'insolite. Brandissant ma casquette, je me mis à courir avec des mouvements de bras, le visage tourné vers la mer, comme si j'étais témoin d'un spectacle extraordinaire.

Cette extravagance aiguisa les curiosités. Par tous les sentiers, les marmots se juchèrent, les uns tirant les autres, s'embourbant dans le sable. Je courus à la grève, jusqu'au bord des vagues. Ils me suivirent. Là, je sortis soudain de ma poche une poignée de cents. Ils se ruèrent en avant. Je ramassai le billon. Une partie se sauva, effarée; le reste, composé de filles, se tint en rond, tendant leurs frêles bras nus.

JE RENCONTRE À L'ORÉE DU VILLAGE UN COUPLE MINUSCULE (page 421).

—Houp! criai-je; dansez, devant moi!

L'une entonna une chanson, et les voilà parties, bleues et roses sur le ciel mauve, devant l'horizon glauque, fraîches dans la fraîcheur matinale.

Après cinq minutes de travail, les petiotes m'entourèrent, et je déposai dans les paumes roses les piécettes attendues. Puis elles prirent leur vol comme des bergeronnettes, me rappelant qu'il était l'heure du déjeuner.

Sur la dune, l'hôtesse me cherchait. Les poings aux hanches, elle entama un grand discours en montrant sa bouche, ses dents et son estomac, organes opulents. Je l'accompagnai dans la petite salle aux murs de faïence à fleurs bleues, où une serviette écrue impeccable supportait une série de plats en porcelaine blanche à couvercles, d'un aspect engageant. L'hôte, béat, souffla une abondante fumée de nicotine, et se dandina en m'apportant un glass beer (verre de bière). Solennellement, le palais déjà excité, j'ouvris le premier plat: un bifteck raccorni nageait dans la margarine... J'ouvris le second: des carottes tamisées... J'ouvris le troisième: des pommes de terre bouillies... J'ouvris le quatrième: des hachures de choux fleurant l'essence d'héliotrope blanc.....

L'hôtesse souriait divinement, remplie de fierté. Désolé, j'égouttai le bifteck, et le dévorai en silence, à grand renfort de bière, de lait, d'œufs et de tartines beurrées... Ô cuisine hollandaise! que de tracas tu m'as occasionnés! Tu n'as d'égale, je crois bien, que le pablas espagnol, le jambon allemand ou le couscous arabe.

 
 

LA CAMPAGNE HOLLANDAISE.

ENVIRONS DE WESTKAPELLE: DEUX FEMMES REVIENNENT DU «MOLEN» (page 425).

Comme j'allumais un cigare pour atténuer la tristesse de ce festin misérable, un Ancien entra céans. Cet Ancien, à la vérité, avait un air plus ancien que tous les Anciens que j'eusse encore rencontrés. Il s'assit près du comptoir, se fit servir un important bols, et s'absorba, en face du patron béat, en une somnolence vague, coupée de paroles molles. J'avais sous les yeux une pure toile de Téniers, et j'en savourais la survie. La rendre par des mots, j'en suis incapable. Aucun mot ne saurait traduire le calme profond de ces deux vieux sirotant leur liqueur en fumant, assis, comme pour l'éternité, en des fauteuils de bois à dossiers raides. La bouillotte de cuivre reluisait à côté; le soleil, à travers l'écran vert de la fenêtre, donnant une lumière de vitrail, se réverbérait aux faïences du mur, et l'horloge, avec une sage hâte, poussait de son balancier rouge les minutes, au-dessus de ces macrobites savourant la lenteur de l'heure.

Au bout d'un temps long, court, moyen, qu'importe! le père Kick vida son verre jusqu'au fond, secoua la cendre de son cigare, et sortit. Il monta vers la mer par un sentier clos de barrières vertes, le dos tourné aux tuiles jaunes des toits.

Qu'allait-il faire par là? Nul ne le saura sans doute... Sur la dune, il regarda l'océan, les mains dans ses poches, l'air indifférent; il me montra un steamer dont la fumée courbe striait l'horizon, puis s'absorba à nouveau dans une contemplation muette, singulière.

Et il symbolisait ainsi à merveille, le père Kick, les générations de Néerlandais, îliens tenaces, qui, patiemment, volèrent à la mer la terre actuelle, avançant de siècle en siècle les jalons de pierre ou de bois, les digues énormes et les jetées sans fin, maîtresses de l'embrun.

Dans le regard dont il scrutait l'étendue mouvante, le père Kick semblait dire: «Je te tiens, ma fille, et mes enfants te tiennent!»

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau.

Une partie de la Hollande, comme l'on sait, est située fort au-dessous du niveau de la mer, et même des rivières, ce qui explique les travaux de toute nature, insignifiants en apparence, colossaux après examen, dont les indigènes ont couvert le pays.

Avant la naissance du Rhin, les Pays-Bas étaient une mer. Un beau jour, les Ardennes, battues en brèche par les lacs emprisonnés dans leur giron, cédèrent sous leur force irrésistible, et s'ouvrirent devant les eaux, projetant leurs parois émiettées à des distances prodigieuses. Le Rhin, nouveau cours d'eau, dessina alors la Néerlande, selon son bon plaisir, avec l'aide de la Meuse et de l'Escaut.

Apportant avec lui des alluvions incessantes, il fit reculer peu à peu l'océan, jusqu'à ce que celui-ci prît sa revanche et trouvât pour l'arrêter une race d'hommes advenus. Le Rhin, affaibli par ses confluents, serait mort parmi les sables, si le génie de ces lutteurs ne lui eût porté aide.

La force d'immobilité de la mer opposée à la force des eaux courantes, la tendance des fleuves à ensabler leurs embouchures, la violence des vents, l'abondance des pluies, des dégels, firent ensuite refluer et déborder les trois fleuves, qui laissèrent peu à peu dans le pays des marais, des lacs, qu'il fallut drainer, écouler, endiguer.

L'histoire des inondations hollandaises, par suite, est longue et lamentable; sans les Hollandais, la Hollande n'existerait pas; sans leur vigilance incessante, elle deviendrait bientôt un désert aquatique.

De Middelburg en Zélande, jusqu'à Amsterdam et Hoorn, la terre, plate à l'infini, est coupée de canaux innombrables, de ponts, de ruisseaux, de marécages et de prairies spongieuses où les animaux enfoncent parfois jusqu'au jarret.

Qu'on imagine un damier invraisemblable, strié en tous sens de routes liquides où se reflètent des nuages incessants, des maisons colorées, en bois souvent, des moulins et des troupeaux.

D'étroits chemins pavés de briques côtoient les grands canaux, et relient les villes et villages.

Peu ou point de labour. Le pâturage suffit presque à nourrir l'habitant de lait onctueux, de fromage et de biftecks.

PAR TOUS LES SENTIERS DES MARMOTS SE JUCHÈRENT (page 422).

L'eau souveraine, l'eau envahissante, l'eau montante ou descendante selon la lune, épanouit à perte de vue ses réseaux flous où voguent sans cesse des barques, des chalands, des vapeurs, des canards.

La prairie, d'un vert tendre, prodigieux, s'étale aux abords, s'en va vers l'horizon gris, semée de toits en forme de pyramides, animée de vaches et de taureaux nonchalants, d'une quiétude sans bornes, humant les brises parfumées de gramens éclos, et promenant leur langue sur le velours des herbes molles.

C'est monotone; et cette monotonie, reposante comme un lavis léger, engendre des impressions de calme serein dont le reflet s'aperçoit partout, dans les êtres et dans les choses.

Les névrosés, ceux dont les chagrins exacerbants, les révoltes bouillonnantes bouleversent le cœur, devraient retrouver, en errant le long de ces mille miroirs sans rides, au milieu de ces tapis naturels illimités, la quiétude première.

Voici quelques croquis. Après une grosse pluie, sur la route de Monnekendam, une huis rouge, entourée d'une ceinture d'arbres rabougris; le chemin déroule son ruban semé de flaques claires, prenant du bleu de ciel. D'autres logis, plus loin; deux moulins virent par saccades, s'arrêtent une seconde, partent, tourbillonnent, s'arrêtent et tournent encore, rompant le grand silence de leur rythme ailé.

Ah! les moulins!.... Leur nombre déroute l'esprit. Jamais on ne pourrait croire qu'il y en a tant. Ils servent à tout: à presser des graines oléagineuses, à battre le chanvre, à scier le bois, à broyer le sable, à pomper l'eau. Le moindre souffle de vent qui passe sur le pays doit payer tribut à l'industrie, stationner un moment, s'enrouler aux mille vergues qui paraphent le ciel de leurs croix impatientes.

Grands, petits, ronds, carrés, il y en a de toutes les tailles, de toutes les formes, depuis l'infime moulin de polder s'agitant désespérément, rageusement, jusqu'à la tour imposante du moulin de péage, aux murs recouverts de liège.

Ces moulins ont une raison d'exister capitale: les digues, les écluses élevées contre les eaux extérieures, fleuves et mer, n'auraient point suffi à rendre la Hollande habitable, si le pays n'eût trouvé encore l'art de se débarrasser des eaux intérieures, formées par les pluies, les crues, les sources ou l'extraction de la tourbe. Manquant de machines, on mit le vent à contribution, et l'on s'en trouva bien.

LE PÈRE KICK SYMBOLISAIT LES GÉNÉRATIONS DES NÉERLANDAIS DÉFUNTS (page 423).

En 1850, on comptait que 30 000 hectares de terre, y compris le fameux lac de Harlem, avaient été ainsi repris à l'océan et rendus à la culture.

La grosse difficulté consistait à maintenir l'équilibre entre les intérêts particuliers de ces polders et les intérêts généraux du système hydraulique auquel le pays doit son existence. La répartition des eaux doit suivre une harmonie, sous peine des plus graves dangers. Mais on y obvia par la création d'écoles d'ingénieurs, où l'on forma la petite armée chargée de défendre le territoire contre son ennemie séculaire. S'il est en effet facile d'ouvrir une écluse, de consolider une digue, d'assécher un marais, il faut beaucoup de science et d'observation pour présider à l'harmonieuse répartition des eaux.

Autre croquis. À Westkapelle, deux femmes reviennent du molen, dont les lucarnes simulent deux gros yeux, au-dessus d'une porte nasale. L'une s'appelle Keetje; elle est mariée à Jocker, le propriétaire du moulin; l'autre est sa belle-sœur, Yande Eserke, dont l'époux s'occupe de culture. Toutes deux s'étonnent que le bateau de Rotterdam n'ait pas encore amené les sacs de grain dont on serait pressé, si l'on devait être pressé de quelque chose....

La culture, quand il y a culture, se résume aux pommes de terre, choux, carottes et betteraves. Peu de blé, froment ou avoine; un peu de chanvre, et c'est tout. Voilà évidemment une des raisons pour lesquelles on ne mange pas de pain, et pourquoi l'on se nourrit de farineux, lait et beurre.

Les champs labourés présentent un aspect boueux, gras, argileux; aux époques pluvieuses, les charrettes y enfoncent jusqu'au moyeu. Cette terre serait impropre aux semis variés de nos contrées plus meubles.

La betterave, en Zélande, se cultive sur une vaste étendue. Quand vient l'automne, on voit de tous côtés des chariots traînés par des chevaux robustes l'amener aux embarcadères par véritables montagnes. Imposantes et magiques, ces montagnes s'élèvent vers le ciel, telles une manne épandue soudainement, triée sans trêve et dénombrée par des groupes peu pressés; et leurs redondances coniques, ventrues ou bossues, semblent encore des symboles pour la race qui les pèse.

Les chalands, seuls transports possibles en ces contrées humides, viennent les prendre, afin de les mener aux usines calmes où la vapeur les transforme.

Sur les canaux aux mille croisements, ces chalands s'en vont. Tout le jour il en passe, et l'on se demande puérilement comment les bateliers peuvent ne jamais se perdre à ces carrefours mouvants qui tous se ressemblent.... Mais le vent, qui les guide, ne les trompe point, et ils parviennent sans tracas aux ports visés, où ils troquent leur cargaison soigneusement empilée contre des florins trébuchants ou des marchandises d'échange.

Les chalands qui glissent, avec les moulins qui tournent, forment la seule animation des paysages trop verts.

Derrière les berges artificielles, élevées pour préserver ceux-ci, leurs mâts ornés de banderoles s'avancent doucement, et cela est très curieux de considérer ces bâtons ou ces voiles, s'en aller ainsi au-dessus des herbes, à la façon de grands cierges noirs.

Par l'eau tremblante du canal,
Tournant leurs coques vers l'aval
Muets, les chalands glissent...
Les nénuphars se plissent,
Des zébrures s'esquissent....

Sur la berge nue, ahuris
Des ânes tirent, rabougris,
D'un pas lent, d'un pas sage,
Dans le vert paysage
Du chemin de halage.

À droite, à gauche, les polders
Indéfinis, forment des mers
Où les seuls signes d'hommes
Sont les grands vols de gnomes
Des moulins agronomes.

Avec leurs bras, presque rageurs,
Ils font la nique aux voyageurs,
Bondissent en cadence,
Retombent en silence,
En un rythme de danse....

Et graves, nonchalants, des bœufs
Guident les vaches autour d'eux,
Allant en robes brunes
Sur les ciels des lagunes
Tondre l'herbe une à une....

Par l'eau tremblante du canal,
Les chalands fondent vers l'aval,
Suivis des sarabandes
De canards qui truandent,
Plongent sous les Hollandes....

La Hollande est le pays où l'on entend le moins de bruit. Tout glisse sur l'eau.

Il y a des bateaux pour chaque espèce de transport; il y en a donc pour les passagers. Ce sont de bons petits vapeurs, munis de cabines et de roofs, qui vont sans secousse à travers les méandres aquatiques.

Quand la traversée est longue, chacun s'établit comme chez soi, fume avec componction, ou continue ses affaires, de façon à ménager l'étoffe dont la vie est faite. On écrit, on mange, on dort. Les femmes cousent, tricotent, se confient des secrets. De tel port à tel autre, il y a pour elles la longueur d'un demi-bas, d'un tablier ou d'un récit intime.

On longe des sites un peu monotones, c'est vrai; mais quel repos, quelle béatitude, dans le silence général, de suivre des yeux la forme des nuages, et de l'oreille le bruissement de l'eau fendue par la proue! C'est la fête des profondeurs, des fluides et des brumes, de la brise, de la lumière et des sillages.

La moindre variété prend un relief singulier, et l'on admire un moulin coquet, une ferme rouge, un bœuf paisible, un garçon penché, remorquant sa barque, aidé de son chien.

WEMELDINGEN: UN MOULIN COLOSSAL DOMINE LES DIGUES (page 428).

Au printemps, les nénuphars, les iris, piquent de blanc la moire glauque des ondes. Au crépuscule, le soleil des beaux soirs y jette toute la somme de ses rayons, et l'on prend l'illusion de voguer sur de l'or, de la pourpre ou du saphir. Si l'on veut voir la Hollande, il faut monter sur les bateaux, de préférence aux chemins de fer. Les traversées, les escales, font pénétrer au cœur même de la terre hollandaise et laissent des impressions qui sont la joie des yeux.

Ce mode de roulage, du reste, répond si bien à la nature du pays, qu'il semble être le seul commode. Le plus grand nombre des services exécutés ailleurs par charrette, se pratiquent ici au moyen de bateaux. Le jardinier conduit sa barque chargée de légumes, de fruits ou de fleurs, de même qu'en France on conduit son âne ou sa voiture.

À Amsterdam, les déménagements se font par eau. Le lait, les fleurs, le bois, etc., viennent de même, et tel canal réunit le marché de l'un, tel canal réunit le marché de l'autre.

Après avoir refoulé, chassé, endigué l'eau, le Hollandais se plaît à la répandre partout, à la guider à travers les tranchées, les fossés; il en fait la clôture de ses champs, de ses prairies, les barrières qui gardent ses troupeaux, sans qu'il ait besoin de chiens ni de bergers.

L'UNE ENTONNA UNE CHANSON (page 422).

Il n'y a d'exception que pour les moutons, quadrupèdes un peu sots, qui se noieraient sans le faire exprès, le nez trop occupé à chercher leur pâture. On en rencontre quelquefois le long des canaux, broutant avec ardeur, gardés par leur propriétaire, vêtu d'une houppelande rousse.

À Wemeldingen, au-dessous de Goes, ce spectacle se retrouve, témoin ce croquis rapide qui me rappelle une de mes plus hollandaises sensations de Hollande: ciel de soir d'un gris léger, canal jaunâtre, chaland lent, moulins raides, polder brun, animaux blancs aux croupes molles, vieil homme contemplatif, silence.... Le chien lui-même, quand une brebis dépasse la limite, n'aboie pas, et se contente de mettre son museau aux pattes de la réfractaire.

Wemeldingen est un bourg vieillot, gardien d'écluses, avancé sur le fleuve. J'y parvins par une matinée pluvieuse où le ciel furibond avait vidé ses cataractes. J'avais quitté Zoutelande pour me rendre à Westkapelle où se trouve la fameuse digue qui n'a d'égale que celle du Helder. Cette digue, longue de plusieurs milliers de mètres, formée de pierres énormes et de pieux solides, représente un travail étonnant, quand l'on songe qu'il n'existe ni carrière ni forêt dans la région. Un moulin colossal la domine, non loin des maisons aux toits rouges. Tout cela n'a pas d'apparence, c'est-à-dire ne frappe pas l'esprit au premier abord: la nature se charge en effet d'atténuer cette preuve d'énergie humaine, en comblant les interstices de gazon; mais la nature ne peut empêcher la mer de déferler sans trêve et de faire songer, quand on se retourne vers la plaine basse, à ce qu'elle a dû abandonner.

De Westkapelle à Veere, la route bien pavée n'est pas démesurée. À Veere, il y a un vieux manoir transformé en hôtel, situé au bord même du flot. Une tour ronde forme le corps du logis et sert de salle commune, au premier étage. De hautes fenêtres à embrasures profondes permettent de suivre la lutte des brumes contre les nuées et des rayons contre les ombres.

Au jour tombant, des couleurs subtiles parent le vide impalpable, au milieu duquel des reflets glissent; puis, quand la nuit est venue, des fanaux dansants luisent, se dessinent, approchent, rougeoient, disparaissent, et l'on n'entend ni bruit de rames, ni frôlement de voiles, ni chanson de gabier, et l'on imagine des vaisseaux-fantômes, guidés par des vieux enfermés, cherchant au fil de l'eau les trésors dont on parle.

À Veere, je pris, le lendemain, le vapeur matinal et je débarquai à Zieriksee, sous une pluie fine, désespérante, une pluie de Hollande, qui se changea bientôt en hallebardes, descendant du firmament par tourbillons indomptés.

Accroupi sous mon caoutchouc, j'essuyai stoïquement la bourrasque, considérant les chariots enfoncés dans les champs marécageux, enlevés par les efforts brusques de reins hippiques, souillés de boue grasse.

Bref, le ciel se rasséréna; j'enfourchai ma machine et je foulai par le pays, l'œil attentif, la moustache au vent.

Je parcourus des kilomètres nombreux, je traversai des ponts à guillotine, des remblais, des pâturages, des cultures, des villages tous pareils, et je parvins à Wemeldingen, au moment où mon estomac criait famine.

Wemeldingen a une rue principale, plantée d'ormes taillés en boule. Guidé par les gestes d'une petite fille, j'arrivai à l'unique logement de l'endroit.

LES MOUTONS BROUTENT AVEC ARDEUR LE LONG DES CANAUX.

L'hôtelier, un grand homme sec, au profil de médaille, me reçut avec aménité. Il prévint sa femme. Celle-ci renonça à me comprendre, et appela ses filles. Cinq jeunes personnes fraîches, rieuses, roses, apparurent et m'entourèrent de leurs bras nus, de leurs coiffes aux ailes rondes. Je saisis une feuille de papier et je dessinai un bœuf, puis un pain, une baratte et divers ingrédients, symboles des nourritures que je désirais absorber. Elles joignirent leurs mains, riant très fort, et parlèrent toutes ensemble en agitant leurs doigts menus, pour m'expliquer des foules de mystères.

 
 

FAMILLE HOLLANDAISE EN VOYAGE.

AH! LES MOULINS; LEUR NOMBRE DÉROUTE L'ESPRIT (page 424).

Je tirai mon Lexique. (Sensation.)

—Lief boerin.... Jolies jeunes filles.

Elles se trémoussèrent. La mère les fit mettre en rang, les compta de l'index, et se frappa le sein.

—C'est moi qui leur ai donné la vie.

—Mes compliments... Ravissantes... J'ai faim!

Elles se précipitèrent. L'une apporta du lait, l'autre du rosbif, une autre du pain, une dernière du fromage. La cinquième, fort jolie, telle Marthe, resta quiète, m'aidant à me retrouver dans le labyrinthe de mes phrases obscurément néerlandaises.

Comme un pacha, je m'attablai, servi par ces houris charmantes, dont la fraîcheur sereine me reposait. Je dévorais des dents les victuailles, et des yeux leurs joues. En vérité, je ne fus jamais l'objet d'attentions pareilles, même chez mes pays, où pourtant les jeunes filles sont aimables.

Quand je fus rassasié, j'allumai une cigarette, et j'entrepris de tirer la bonne aventure à ces jeunesses. Ce fut réjouissant. Penchées sur moi, elles me grisaient, et se grisaient peut-être, d'un fin arôme de linge blanc, de teint frais; tandis que, le sourcil en équerre, telle la sybille de Cumes, je considérais d'un œil profond les lignes de leurs paumes.

Je voulus ensuite savoir leurs âges. Les mains se levèrent; et, comme les marmots qui comptent sur leurs doigts pour faire une addition, elles énumérèrent les printemps dont elles étaient nanties.

Je désirai les entendre chanter une chanson hollandaise. Elles se prirent par la taille, reculèrent, jusqu'au fond de la salle, et marchèrent vers moi en fredonnant un petit air: tra la la.... Puis elle se penchèrent tout à coup en riant aux éclats, et se sauvèrent lestement. Le père, assis entre ses verres et ses plateaux, au comptoir, fumait béatement une vieille pipe, et souriait avec malice.

—Où sont-elles passées?... interrogeai-je en piètre allemand.

—Là-haut, répliqua-t-il, en montrant le plafond.

—Je voudrais bien les portraiturer.

—Attendez-un moment.

Au bas de l'escalier, cinq paires de mules noires ornées de perles, attestaient une fuite précipitée. Malgré mon désir, je n'osai grimper au harem, et je me mis à griller du pétun.

Un quart d'heure s'écoula de la sorte, puis j'entendis derrière la porte des murmures étouffés. J'ouvris. Les trois aînées se tenaient là, parées de leurs plus beaux atours.

—Et les deux autres?

Elles hochèrent la tête, montrèrent leurs coiffures, haussèrent les épaules, et je crus comprendre qu'une affaire de coquetterie les empêchait de descendre.

—Nous voilà, nous, mimèrent-elles.

Je les suivis dans le jardin, où il y avait une barrière verte, garnie de roses trémières, le long d'un petit chemin. Le soleil, par intervalles, déchirait les nuées lourdes qui chevauchaient par hordes au plein du firmament, éclairant d'une lumière soudain jaune le violet des horizons, et les coiffes aux ailes rondes où luisaient des yeux vifs, semblaient devant moi remplir tout l'espace d'un langage minutieux. Les jeunes filles riaient, les mains ballantes. Je les pris tour à tour par le petit doigt et les conduisis à la porte du clos, et je m'accoudai afin de leur débiter en vieux français un compliment subtil, dont elles ne comprirent que le bruit, assez agréable, car il était dit en vers de Ronsard:

«Donc, si vous me croyez, mignonnes,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus fraîche nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse,
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.»

Puis je fixai le jeu de leur trois minois, gravement satisfaits, et j'allai me promener, après avoir mis l'index sur les papillons d'or qui retenaient leurs cheveux.

Je poussai le long du grand canal. Les écluses, ouvertes à tout instant, laissaient passer des chalands lents, qui hissaient leurs voiles en ciseaux et s'éloignaient, encadrés de vert, devant l'écran du ciel instable. De gros nuages s'enfuyaient toujours. Des chariots, près de là, déversaient des monceaux de betteraves. Un vieil homme gardait des moutons sur la pente des remblais. Du silence toujours,... puis la nuit.

Dans la salle de billard, je me revois ensuite, pris par l'ambiance, assis dans un coin, fumant des cigarettes, ayant en face de moi, assises, tricotant avec un bruit sec, deux de mes jeunes filles. Nous nous sourions par moment, le regard aiguisé par des mondes de choses inexprimables. Je savoure la blancheur de leurs coiffes ajourées, la fraîcheur de leur teint, la souplesse de leurs bras nus se détachant sur le velours des corsages.... Et ce flirt muet, en cette koffiehuis de bourg perdu, parmi la buée des cigares, le choc des billes maniées par des joueurs graves, auprès de glass beer colossaux, de chromos fanées, incite encore l'esprit à se parer d'illusion.

LES CHARIOTS ENFONCÉS DANS LES CHAMPS MARÉCAGEUX SONT ENLEVÉS PAR DE FORTS CHEVAUX (page 425).

Je pense que je suis l'un des boers attablés céans, et que je viens faire ma cour à Reneetje Korstanje, fille de Frans Korstanje, l'hôtelier de Wemeldingen. Reneetje a eu seize ans à la dernière kermesse, et je l'ai remarquée parmi les autres, à cause de ses yeux vert et or, semblables aux nuances des polders. Je l'ai priée à danser, je lui ait fait manger des baskets, et j'ai passé à son petit doigt un anneau d'argent choisi à l'éventaire d'un colporteur. Le lendemain, je suis venu frapper à la fenêtre, et j'ai annoncé mes intentions au père. Les sœurs aînées ont été un peu jalouses, car elles attendent avec impatience l'heure de devenir femmes; mais ce sont de bons cœurs, et elles m'ont souri sans malice, étudiant mes manières pour voir comment un galant se comporte.

Je possède trois bateaux, et je fais campagne entre Goes et les villes des Îles, jusqu'à Rotterdam. Je passe tous les deux ou trois jours à Wemeldingen, et cela sera très commode, car je trouverai pour m'attendre, une jolie ménagère. La noce doit se célébrer dans un mois; on fera une bombance sérieuse; nous aurons des violons, des rubans, du genièvre, du bœuf et de la bière noire.

LA DIGUE DE WESTKAPELLE (page 428).

Reneetje tricote toujours. En Hollande, on ne tricote pas comme en France, du bout des doigts. Les travailleuses ont à la ceinture un étui en bois ciselé; elles y adaptent une aiguille, et la laine se transforme en mailles avec une rapidité déconcertante, accompagnée d'un ronflement continu.... Reneetje tricote. J'esquisse son portrait. Elle s'arrête par moment, pour reposer ses phalanges, et regarde candidement, sans hardiesse ni timidité, le Monsieur français dont la barbe l'impressionne.

L'aînée, une belle blonde, survient, et me fait signe de la suivre. Elle me conduit à une salle, et me montre la table où s'alignent cinq plats de porcelaine à couvercles, du lait, du thé et du beurre.

Je soulève en tremblant ces couvercles trompeurs, et je défaille à l'odeur parfumée qu'exhalent les douceurs confectionnées à mon intention. Mais il faut être brave, car, à tout instant, la porte s'entrouvre, et l'un des cinq minois vient jeter un coup d'œil sur mes opérations. Je me sens environné de regards.... Sûrement qu'aux serrures, à la fenêtre, ils luisent, pour me forcer à avaler ces choses-là. Je cherche à me résigner, mais je suffoque et je me contente de manger le bifteck, la bouillie et le pain, dont le goût est rationnel.

La soirée s'écoule pesamment. Un jeune instituteur, sachant des bribes de français, d'anglais et d'allemand, m'a entretenu de ses projets d'avenir, de sa libre pensée et de sa famille. À onze heures, les clients se lèvent et sortent. Seul, un petit vieux tout rond, dont j'avais remarqué l'entrain au billard, demeure assis, ronflant sereinement.

L'aubergiste le secoue; peine perdue. On lui crie à l'oreille; il ne bouge pas. On le met debout; il ouvre des paupières molles, et manque de s'écrouler. On le dirige vers la porte; mais il fait trois pas et s'étale sur le plancher, comme frappé de mort. Son crâne blanc, orné de mèches jaunes, heurte le parquet brutalement, et il demeure raide, retombé dans le sommeil....

Les cinq boerin s'effraient sincèrement, et joignent les mains. Le père, ennuyé à cause de la police, inonde d'eau le visage pâle du pochard, tandis que la mère me confie des histoires certainement intéressantes, mais dont je ne saisis pas le moindre sens.

Bref, l'hôtelier prend un parti héroïque: il saisit les jambes du vieux, et me montre la tête. Nous le hissons sur le billard, où il continue à dormir avec délices, ainsi qu'en un lit de plume. Dehors, la pluie tombe, tombe, plic, ploc, plac, avec un bruit doux. Un coup bref résonne à la porte. Une voix prononce une demande. On ouvre. Un jeune boer, vêtu du chapeau rond, de la veste aux agrafes de métal, entre. L'aînée des filles se détourne en rougissant. Il regarde son oncle, car c'est le neveu, paraît-il, qui vient ainsi chercher l'ivrogne deux soirs sur trois; il hoche la tête avec commisération, le charge sur ses épaules et s'en va accompagné d'un rai de lumière qui sort de la koffiehuis, s'allonge sur la route, sous les ormes taillés en boule, vers l'ombre, vers l'eau, vers la mer, vers l'inconnu, vers les ténèbres. Et chacun, silencieux, écoute un temps les pas de l'Ange Gardien qui emporte, comme un mort, le vieillard, prochain trépassé.

Le lendemain, après une ample distribution de poignées de main à toute la maisonnée, allégé de quelques florins, je montais sur le premier vapeur de passage, et je voguais sur les canaux serpentins, entre des bordures de moulins, de pâturages et de digues, vers le Noord-Holland.

Ce vapeur, en vérité, avait un air familial à ravir, et je sentis, en mettant le pied sur le roof, que j'allais pouvoir y dormir à ma guise sans crainte d'interruption. Le capitaine, sentencieux et sec, m'invita, pour éviter la brise fraîchissante, à descendre à la cabine. Sa femme, jeune blonde aux yeux bleus, à qui des boucles frisées, un petit tablier rosé donnaient une allure enfantine, y était assise, caressant un chat minuscule. Elle se leva sur un signe de son mari, elle entra dans une exiguë cuisine dissimulée derrière un panneau, apporta des rafraîchissements, et, tandis que la fumée des cigarettes mettait à ses prunelles candides un bleu plus atténué, vaporeux comme l'âme de sa race, je me laissai aller mollement au va-et-vient du bateau.

Sur le soir, au moment où les fanaux s'allumaient, des docks apparurent, ainsi que des ponts, des mâts enchevêtrés; des carillons sonnèrent; glissant comme une libellule au pied de choses géantes, le petit vapeur salua Rotterdam de sa sirène indolente....

(À suivre.) Lud. Georges Hamön.

LES ÉCLUSES OUVERTES.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—37e LIV. No 37.—16 Septembre 1905.

LES PETITS GARÇONS RÔDENT PAR BANDES À GRAND BRUIT DE SABOTS SONORES.... (page 434.)

CROQUIS HOLLANDAIS[2]
Par M. LUD. GEORGES HAMÖN.
Photographies de l'auteur.

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pèche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale.

JEUNE MÈRE À MARKEN.

Quand on veut voir des pêcheurs, ce n'est point en Zélande, malgré le mouvement de Vlissingen, qu'il faut s'attarder. Prendre le bateau, faire escale à Kortgene, à Stavenisse, à Zierikzee, passer Rotterdam, la Haye, Harlem, Amsterdam, et s'en aller tout doucement à Volendam, sur les bords du Zuiderzee, c'est la bonne manière.

Volendam est situé à 16 kilomètres d'Amsterdam, par la route. C'est un rendez-vous de peintres de tous pays, qui se sont emparés de ce petit port, et en ont fait un de leurs fiefs de productions.

Costumes, gens et maisons s'accordent du reste pour flatter un oeil d'artiste, épris de pittoresque.

Les logis, construits à la débandade, le long de la jetée, contournent des lacs, des mers inférieures, des canaux, des mares, des ruisseaux, sur lesquels ils assoient leurs pilotis. Par l'eau grasse, appesantie de détritus, d'excréments, de déchets variés, des canards bruyants, impudents et rapaces, plongent avec délices, voguent et s'ébrouent, à peine dérangés par les pirogues qui mènent au bourg prochain les négociants locaux.

Au delà, l'horizon gris, plat, brumeux, s'orne de moulins aux croix agiles, et de rubans d'argent qui sont des affluents.

Aux jours de lessive, des linges et vêtements multicolores flottent partout, drapent les maisons, ornent les bordures de pieux, se gonflent avec des frissonnements de drapeaux.

Volendam n'est vraiment complet que par un ciel orageux, en un jour de lessive. Tout le monde est dehors. À l'encontre des villes terriennes, où l'on ne sort que par nécessité, on flâne ici avec bonheur, à l'instar de tous les ports de pèche; on mène, entre deux embarquements, la bonne vie quiète, chère aux rentiers solides; on s'assoit en rond; on sabote, les talons veules, ramené par la cloche du magasin des criées sonnant le ralliement.

Vêtu d'un pantalon démesuré, d'une veste, d'un foulard et d'une toque de fourrure, le pêcheur de Volendam a une allure personnelle qu'on ne saurait décrire. Il tient du Russe, du Lapon et du Mongol, et se montre hollandais par les mille détails de ses attitudes, de ses gestes, de ses paroles.

En dehors des moments où il croise dans le golfe, promenant ses filets sur les vagues peu méchantes, ses occupations sont peu variées. Sa lenteur est une habitude. Il flâne, et c'est tout dire. Il n'a point, comme en d'autres contrées, de menus soucis de jardinage, de récolte ou d'industrie, et la femme suffît aux soins ménagers.

Il flâne donc, tout en préparant sans hâte ses appâts ou ses carrelets; il s'accroupit au soleil avec des amis, pour fumer béatement, semblant peser de tout son poids massif sur ces jetées de briques et ces quais de bois posés entièrement sur la mer par des ancêtres disparus.

Il agit pourtant, mais avec calme, et goûte voluptueusement le repos des heures mortes.

Ce croquis le symbolise: «Sur un fond de barques amarrées et de remous onduleux, où se reflètent des nuages coureurs, Frans, étendu à la proue de son bateau, se laisse balancer mollement, ainsi qu'en un berceau, attendant qu'on lui apporte des paniers pour décharger le poisson couleur d'argent qui scintille au fond des cales.... Les mains dans ses poches, la pipe aux lèvres, il est vraiment bien assis, et l'on ne sait pas quand finira cette béatitude».

Quelques marins cependant, en très petit nombre, se montrent plus guillerets, se font envoyer des légumes et des denrées de la ville prochaine, et promènent tranquillement des voitures à bras, chargées de ces choses, pour approvisionner les ménagères....

Les enfants rôdent par bandes, à grand bruit de sabots sonores, mais sans cris, comme en Zélande. Les petites filles sont coiffées du casque en dentelle, à forme de «salade» renversée; les petits garçons, de même que leurs pères, ont la large culotte, la veste étriquée et le bonnet de loutre.

Ici, c'est le régal des yeux. Quand ils s'enfilent par bandes sur les planches des jetées, ou trottent gaillardement, leurs figures rondes épanouies de contentement, on se trouve, ma foi! fort intéressé, et l'on ressent un désir aigu de les emporter avec soi, les marmots de Volendam, pour les montrer au pays, ainsi que bibelots rares.

VOLENDAM, SUR LES BORDS DU ZUIDERZEE, EST LE RENDEZ-VOUS DES PEINTRES DE TOUS LES PAYS.

Il y a des couples ravissants, tout pareils aux personnages de vieux tableaux, qui amènent le sourire, tant ils respirent la bonne humeur, la santé et le calme.

Les femmes s'agitent beaucoup, à Volendam, comparativement aux autres lieux. Elles sont moins claquemurées en leurs logis, et se livrent davantage aux mouvements extérieurs. Les unes lavent leur linge domestique dans l'eau marine, au bord des bateaux rangés par hordes; d'autres les tendent sur les poteaux disponibles, cependant que le vent souffle.

À l'encontre de nos femmes de pêcheurs qui baguenaudent durant des heures, le tricot aux doigts, celles-ci cependant ne sortent que par besoin. Où iraient-elles baguenauder?... De tous les côtés, il n'y a que de l'eau, des mares et des ruisseaux. À part la jetée, les deux routes de Edam et Monnekendam, tout n'est que lagune, cloaque ou marécage.

AVEC LEURS FIGURES RONDES, ÉPANOUIES DE CONTENTEMENT, LES PETITES FILLES DE VOLENDAM FONT PLAISIR À VOIR....

Les canards, parqués par milliers en des enclos de bois, assourdissent de leurs cris saccadés, et la vie locale se concentre sur le môle, où les hommes déambulent autour du bâtiment des criées.

Sont-ce donc là les descendants des fameux marins néerlandais qui remplirent jadis le monde de leurs exploits, lorsqu'ils se déclaraient les balais de la mer, et qu'ils résistaient aux flottes de France et d'Albion?...

Mon Dieu! oui, ce sont eux, et leur apathie apparente cache sans doute une force de résistance étonnante. N'est-ce pas par eux que la Néerlande s'est formée, a grandi, a vécu?... Ce pays plat, humide, manquait de blé, de pierre, de bois; ils lui ont procuré ces choses nécessaires à son existence par l'échange de butins maritimes. Ils ont joui de la mer et de ses richesses et en jouissent, à la façon d'un vaste grenier rempli de réserves.

Selon la nature des poissons qui fréquentent les parages de chaque port, la pèche se divise en plusieurs branches. Le hareng, toutefois, par son abondance et par son renom passé, semble bien être, avec la tourbe et la tulipe, un produit national.

Les Hollandais distinguent trois espèces de harengs: le hareng pec ou caqué (caquer un hareng, c'est l'ouvrir avec un couteau et l'étaler par couches dans des barils sur du sel); le steur haring, pêché sur les côtes d'Angleterre en automne; le pan haring, hareng frais qu'on pêche dans le Zuiderzee, et qui sert de nourriture aux classes pauvres.

Cette dernière catégorie est la plus intéressante, car elle est la grande ressource des pêcheurs de Volendam, des autres ports du littoral, des habitants des îles d'Urk et de Marken.

Le port de Flessingue s'occupa le premier de la pêche au hareng dans les vieux temps passés, aux environs du XIIe siècle. En 1380, un homme de la Zélande, nommé Guillaume Benkelozoon, inventa l'art de préparer et de conserver le hareng dans le sel, donnant ainsi une impulsion considérable à l'industrie locale; cette découverte fut le point de départ du développement de la richesse publique, et permit à la nation batave de payer les énormes impôts nécessités par l'entretien des travaux instaurés contre la mer.

À Hoorn, en 1416, enfin, se fabriqua le premier grand filet, dont l'utilité s'ajouta à celle des salaisons pour développer à l'infini le rendement des flots.

Ces filets, véritables éperviers marins, font songer malgré soi aux milliards de poissons dévorés depuis cinq siècles par les nations voisines, et l'on comprend comment la Hollande, malgré la pauvreté de son sol, a pu devenir un pays riche, solide et serein.

L'emballement pour la pêche au hareng subit alors une progression démesurée. Des historiens en pleurent d'aise et donnent des statistiques merveilleuses, d'après lesquelles il résulterait que la population entière s'occupa de prendre, saler et vendre du hareng.... Des édits intitulaient cette manne le Pérou de la République Batave.... Des primes d'encouragement enfin, fort élevées, étaient données à la Confrérie des Pêcheurs de Hareng, au détriment des autres branches de la pêche. Nul autre que le Hollandais de naissance ne pouvait s'occuper du travail du caquage.... Bref, des règlements minutieux protégeaient de toutes façons cette trop intéressante industrie.

Le hareng néerlandais défia ainsi pendant longtemps les concurrences étrangères, et fit plus pour la grandeur du pays que les meilleurs canons.

Vinrent les guerres de l'Empire. La Grande-Bretagne, toujours à l'affût des bons débouchés commerciaux, proclama la liberté des pêcheries, détruisit le système des primes et porta ainsi, en vendant le hareng moins cher, un coup funeste aux buizen de Hollande.

Immobilisés dans leur opulence, ceux-ci n'eurent point l'esprit de suivre le mouvement, et virent peu à peu s'éteindre leurs débouchés. Les affaires baissèrent même si bien, que le Gouvernement dut à son tour abolir les primes.

Aujourd'hui la pêche au hareng n'a plus d'importance nationale, et si elle est encore pour le pêcheur une source honnête de revenus, elle ne fait plus le sujet des préoccupations générales.

Le vrai pêcheur de hareng passe à terre le moins de temps possible. La mer pour lui est tout, sa fiancée, son épouse, son berceau. Muni de sa bible et de sa pipe, il irait au bout du monde, et découvrirait des terres nouvelles, s'il en existait encore de nouvelles. On parle avec orgueil, à Volendam, d'un patron, Hans Ouderke, à qui on avait dit un jour dans une salle de billard: «Il faut que tu ailles aux Indes». Le brave homme équipa son dogger les jours suivants et y alla.... Une autre fois, il trouva la route de Californie, sans autre indication que sa boussole.

Quand le pêcheur ne rentre pas au logis, on le considère comme perdu, et sa femme peut, après trois années révolues, convoler en nouvelles noces. Autrefois, la loi ordonnait un intervalle de dix années; comme les mœurs en souffraient, on adoucit la convention.

Le fils du pêcheur devient pêcheur. Dès l'âge de quinze ans, il connaît à fond le métier de tirer des bordées, de hisser la voile et d'agiter le gouvernail.

AUX JOURS DE LESSIVE, LES LINGES MULTICOLORES FLOTTENT PARTOUT (page 433).

Très indépendant, très religieux, très attaché à ses coutumes, il suit l'exemple de son père, qui lui-même imita le sien. En mer, il ne boit jamais; à terre, il boit relativement peu, sauf aux jours de kermesse, qui sont de véritables orgies animales. En ces jours, les aubergistes enlèvent les meubles de leurs salles, et ne laissent qu'une table, des chaises et des brocs. Jour et nuit, vautré en une torpeur inquiétante, secoué de crises actives durant lesquelles il danse avec frénésie, le marin s'absorbe un peu trop dans l'ivresse et le sommeil.

Il se marie jeune.

La pêche des côtes comprend la chasse au poisson frais de diverses sortes, et celle du hareng destiné à être fumé. Cette pêche est faite par des barques appelées flibots, analogues à celles de nos sardiniers.

Un flibot ordinaire coûte de trois à cinq mille florins. Il appartient soit à un patron, soit à un armateur. L'équipage reçoit un grand filet et des cordages; il doit se procurer le reste, et pourvoir à son ravitaillement. Les frais de réparation du navire se partagent également: ce qui est au-dessus du klamp, c'est-à-dire hors de l'eau, concerne l'équipage, et la partie submergée l'armateur ou patron..., en vertu de ce principe que la première se détériore par négligence, et que la seconde s'use naturellement. La voilure est payée par le propriétaire.

LES JEUNES FILLES DE VOLENDAM SONT COIFFÉES DU CASQUE EN DENTELLE, À FORME DE «SALADE» RENVERSÉE (page 434).

La pêche au poisson frais ne nécessite que des excursions assez courtes. Aussitôt de retour, les matelots débarquent leur butin et le vendent sur la grève même, aux marchands de la région, ou le portent à la criée, s'il en existe une. Le poisson est ensuite dirigé sur les villes voisines dans des voitures attelées de chiens robustes qui font leur service avec un entrain remarquable. (Cet entrain nous a fait plus d'une fois sourire de la sensiblerie de nos compatriotes qui défendent d'utiliser ces braves toutous.)

La pêche au poisson frais cesse à la fin des beaux jours et fait place à celle du hareng jusqu'en décembre.

Ensuite, c'est le chômage forcé; et, comme le pêcheur est rarement aisé, il s'ensuit des misères profondes que les Autorités sont obligées de secourir.

Le Zuiderzee, comme l'on sait, forme un véritable bassin de la mer du Nord. La masse de ses eaux occupe un espace de 54 lieues carrées, et s'avance sur les provinces de la Frise, de la Gueldre, d'Utrecht et du Noord-Holland, qu'elles divisèrent jadis par de terribles coups de ressac, jetant sur toutes les côtes la mort et la destruction.

Au large, les îles d'Urk et de Marken forment les derniers vestiges des terrains engloutis.

Marken, la plus grande, est située en face de la ville de Monnekendam. En une heure, avec un bon vent, une barque y conduit.

Cette heure met des siècles entre les habitants de l'île et ceux du continent. La différence des costumes et des mœurs est même si grande, à si peu de distance, qu'on a expliqué diversement son origine. Certains soutiennent que les indigènes sont les descendants des Marsatti dont Pline et Tacite font mention. Ils occupaient alors un coin de terre près du lac Flevo. Un raz de marée sépara ce coin de la Grande Terre, à la fin du XIIIe siècle.

La séparation, d'abord, n'avait qu'une largeur insignifiante, un simple pont de bois suffisait à la franchir; mais peu à peu l'embrun mangea d'autres terres, des champs, des polders, et les paysans durent, pour vivre, devenir pêcheurs....

Je pris le bateau pour cette île vers cinq heures du soir, à la jetée de Monnekendam. Deux jeunes garçons vêtus, à la mode de nos Bretons, de culottes bouffantes s'arrêtant aux genoux, de vestes de coutil et de chapeaux ronds, chargeaient de menues denrées. Ces jeunes garçons, à la vérité, se sont institués, avec leur père, patrons passeurs, et font un service quotidien régulier entre l'île et le continent.

Avec une agilité surprenante pour des Hollandais, ils exécutèrent les différentes manœuvres d'appareillage, hissèrent la grande voile brune, assujettirent les cordages; le bateau oscilla, s'inclina vers l'ouest, et s'en alla vers le large.

L'aîné des matelots avait pris la barre, et se tenait droit, considérant la ville qui fuyait, en son décor roux.

Une brume rampait sur l'eau, signe de crépuscule prochain; le carillon du beffroi chantait l'heure en sons clairs, assourdis par le clapotis des vagues fendues par la proue, et ce moment, quasi solennel, avait un je ne sais quoi de mystérieux, comme si nous nous en allions vers une terre inconnue.

Peu à peu, nous ne fûmes plus entourés que d'eau et de brumes. L'un des garçons sifflait une mélodie. Les cordes du mât grinçaient sous la brise fraîchissante..., puis des ombres apparurent, d'abord imprécises: c'étaient des pignons et d'autres mâts sortant de la mer, sans rocher ni dune, comme un radeau très long, à demi submergé, Marken, tout simplement.

Le bateau stoppa le long de la cale et s'amarra. Je sautai à terre. Il y avait là deux ou trois hommes vêtus comme mes pilotes, et des jeunes filles aux longues tresses libres, accoudées à un parapet. Un grand silence enveloppait ce petit port perdu au milieu des étendues mouvantes. Certainement je devais y jeter une note fâcheuse par mon allure peu en harmonie avec ces logis de bois construits sur pilotis, ces personnages particuliers.

Les filles me regardaient. Dans l'ombre du soir venant, leurs yeux aux longs cils, entre les boucles retombantes de leurs cheveux, avaient des profondeurs d'océan; et quand elles inclinaient la tête gravement, à mon passage, je pouvais croire avoir devant moi des déesses nautiques, tant chantées par les bardes. Je me hâtai de déposer mon mince bagage à l'unique logement, et je pris les venelles pavées de briques qui conduisent aux sept bourgades, tertres artificiels, formés d'argile et de tourbe, où se dressent les maisons des habitants.

La mer, comme il arrive souvent, avait inondé, la veille, les maigres pâturages semés de canelets, qui entourent ces tertres, entre les digues, de sorte que je marchais au milieu de l'eau et que les maisons sortaient réellement de l'eau, sans aucun horizon de terre. De grandes herbes, en quelques endroits, abritaient des canards jacassants, frissonnaient sous le vent, augmentant la mélancolie intense de ce paysage.

DEUX PÊCHEURS ACCROUPIS AU SOLEIL, À VOLENDAM (page 434).

J'errai ainsi pendant une heure, jusqu'à la nuit, me remplissant les yeux de ces mille sensations impossibles à rendre, formées d'imprévu, d'inconnu, de colorations nuancées..., salué toujours par ces femmes aux regards profonds, qui parlaient sans parole..., puis je rentrai à l'auberge, où une servante joviale, énorme et bigarrée, me servit un dîner robuste.

Le lendemain, l'eau s'était retirée et je pus observer l'île, puisque c'est une île, sous son aspect général.

Le port est la partie la plus solide de Marken. Construit de toutes pièces avec de la pierre et du bois, il abrite une centaine de bateaux armés pour la pêche.

Les maisons goudronnées couvertes de tuiles, sont construites en planches et posent leurs fondements sur un lit de tourbe. Les intérieurs sont renommés: la propreté la plus minutieuse agrémente les moindres recoins, donne aux faïences peintes un air hospitalier, et pare de reflets pareils aux miroirs les cuivres des bassines. C'est l'orgueil de chaque famille, et je voyais à tout instant des jeunes filles m'appelant du doigt pour admirer la belle ordonnance de leurs logis. Ces signes, accompagnés de sourires, n'étaient, hélas! que des demandes déguisées d'argent, et je dus borner mes visites, sous peine d'y laisser mon pécule.

UNE LESSIVE CONSCIENCIEUSE.

La plupart des maisons n'ont qu'une seule pièce où l'on dort, cuisine et travaille; beaucoup n'ont pas de plafond, et communiquent avec le grenier directement. Quelques-unes non plus n'ont pas de cheminée; devant la fenêtre principale, s'élève une plaque de pierre ou de fer, entourée d'une rangée de briques; une ouverture percée dans le toit laisse passer la fumée qui se répand dans le grenier, sèche les filets et les provisions.

Des plats et des vases en vieille faïence ornent le moindre logis. Ce goût des cristaux, des rideaux et des couvertures de lit à ramages est un trait particulier du caractère hollandais et s'épanouit à Marken, mettant en relief la médiocrité des existences.

Le sol de l'île est une argile assez féconde. Il produit du foin et des joncs dont les habitants exportent une grande quantité. Le foin est vendu et sert en partie à nourrir les quelques vaches locales.

Enfin, comme les puits ne produisent qu'une eau saumâtre, les habitants sont obligés d'user d'eau pluviale pour abreuver leurs bêtes et préparer leurs aliments.

Ils sont du reste fort peu avancés en science économique. Ils vivent de la pêche et passent le reste du temps à des travaux insignifiants, intéressants pour eux seuls. Ils n'ont point de commerce: pommes de terre, légumes, épicerie, tourbe, boisson, tout leur est apporté de Monnekendam, de Hoorn ou d'Amsterdam.

Les habitants de Marken ne se marient qu'entre eux. On raconte qu'autrefois, manquant de femmes, ils armèrent leurs bateaux et firent une razzia de filles du côté de Edam; mais l'histoire ne peut être affirmée.

On se marie d'habitude entre vingt-quatre et vingt-huit ans, en accordant surtout les âges et les inclinations.

Le Tour du Monde; Croquis Hollandais / Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905
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