Chapitre 69

 

Respire.

Kahlan s’arracha à l’extase de la sliph et se remplit les poumons d’air. Alors qu’ils s’asseyaient sur le muret du puits, elle flanqua une grande claque dans le dos de Cara.

— Respire ! Exhale la sliph et prends une grande goulée d’air.

À contrecœur, la Mord-Sith expulsa le vif-argent et inspira à fond. Kahlan se souvint qu’il avait été très dur, pour elle, de se réaccoutumer à l’oxygène. Tout au long du voyage, la pauvre Cara n’avait pas lâché la main de ses deux compagnons.

— C’est là que vous vouliez aller, annonça la sliph. Le trésor des Jocopos…

Richard baissa la tête, car la voûte était beaucoup trop basse pour lui, et sonda la grotte.

— Je ne vois pas l’ombre d’un trésor…

— Il est dans la salle suivante, dit Kahlan. On doit nous attendre, puisqu’on nous a laissé une torche.

— Sliph, demanda le Sourcier, es-tu prête à dormir ?

— Oui, maître. J’ai hâte d’être avec mon âme.

Penser à ce que les sorciers avaient infligé à la créature de vif-argent fit frissonner Kahlan.

— Seras-tu malheureuse quand je te réveillerai pour voyager de nouveau ?

— Non, maître. Je suis toujours disposée à faire plaisir à mes clients.

— Tant mieux… Merci pour ton aide, que nous n’oublierons jamais. À présent, dors bien…

La créature sourit tandis que Richard, les yeux fermés, croisait les poignets pour invoquer la magie requise.

Le visage de vif-argent se détendit, puis se fondit dans la masse de liquide brillant. Les poings de Richard émirent une vive lueur et les serre-poignets brillèrent si fort que l’Inquisitrice put voir les muscles et les os à travers la chair de son bien-aimé. Les deux faces des ornements parurent se rapprocher et former une boucle pour dessiner le symbole de l’infini.

Le vif-argent refléta l’aveuglante lumière. Puis la sliph s’enfonça dans son puits et disparut au sein d’insondables ténèbres.

Richard prit la torche et ouvrit la marche jusqu’à la salle suivante.

— Le trésor des Jocopos, annonça Kahlan avec un geste circulaire.

Richard leva la torche, dont la lumière fit briller des montagnes d’objets en or.

— Maintenant, je comprends pourquoi on l’appelle comme ça. (Le Sourcier désigna des étagères à demi vides.) On dirait qu’il manque quelque chose…

— Tu as raison… Lors de ma première visite, à côté des objets précieux, il y avait des piles de rouleaux de parchemin. (Kahlan huma l’air.) Une autre chose a changé : l’odeur pestilentielle a disparu.

La dernière fois, elle avait eu du mal à respirer, tant la puanteur l’avait prise à la gorge.

Baissant les yeux, l’Inquisitrice remarqua que le sol était couvert d’une fine couche de cendres.

— Je donnerais cher pour savoir ce qui s’est passé ici…

Ils reprirent leur chemin et débouchèrent à l’air libre alors qu’un soleil somptueux émergeait à l’horizon oriental.

Une prairie verdoyante s’étendait devant eux à perte de vue.

— On dirait les plaines d’Azrith, au printemps, dit Cara. Avant que le plein été ne les carbonise.

Main dans la main, Kahlan et Richard avancèrent parmi les hautes herbes semées de fleurs des champs. Une matinée magnifique pour une petite promenade à travers le Pays Sauvage.

Et une journée parfaite pour se marier.

 

Longtemps avant d’atteindre le village, ils entendirent l’écho de roulements de tambour, de chants et de rires.

— On dirait que les Hommes d’Adobe festoient, fit Richard. En quel honneur, selon toi ?

Kahlan capta le malaise, dans la voix du Sourcier. Elle le partageait, car les banquets, en général, servaient à invoquer les esprits en vue d’un conseil des devins.

Chandalen vint à leur rencontre à quelques centaines de pas du village. Portant sur les épaules la peau de coyote d’un ancien, il avait enduit ses cheveux de boue et arborait ses plus belles armes.

Tout sourires, il avança vers ses amis et gifla d’abord Kahlan.

— Que la force accompagne la Mère Inquisitrice, dit-il.

— Du calme, souffla Richard en saisissant au vol le poignet de Cara. Nous t’en avons parlé : c’est leur façon de saluer les gens.

Kahlan rendit sa claque à l’Homme d’Adobe afin de signifier qu’elle respectait sa force.

— Que la force accompagne Chandalen et son peuple. Bonjour, mon ami. Rentrer chez soi est toujours un grand moment. (Elle désigna la peau de coyote.) Te voilà devenu un ancien ?

— Je remplace Breginderin, qui est mort de la fièvre.

— L’Homme Oiseau et les autres ont fait un très bon choix.

Chandalen vint se camper devant Richard et l’étudia un moment. Naguère, les deux hommes s’étaient violemment opposés. Finalement, le chasseur gifla le Sourcier – nettement plus fort que Kahlan.

— Que la force accompagne Richard Au Sang Chaud, dit-il. Content de te revoir, mon ami. Et je suis ravi que tu veuilles épouser la Mère Inquisitrice. Comme ça, elle ne sera plus tentée de me choisir.

Richard rendit sa gifle et son salut rituel à l’Homme d’Adobe.

— Chandalen, ajouta-t-il, merci d’avoir protégé Kahlan lorsque vous voyagiez ensemble. (Il tendit un bras vers la Mord-Sith.) Je te présente Cara, notre amie, et notre protectrice.

Chandalen étant le protecteur de son peuple, ce mot avait un sens très profond pour lui. Menton levé, il regarda la Mord-Sith et la gratifia d’une gifle encore plus forte que celle qu’il avait décochée à Richard.

— Que la force accompagne la protectrice Cara.

Richard se félicita que la Mord-Sith ne porte pas son gant renforcé de fer. Sinon, le « salut » qu’elle rendit à Chandalen lui aurait brisé la mâchoire.

Bien qu’un peu sonné, le chasseur sourit de bon cœur.

— Que la force accompagne Chandalen, dit Cara. Seigneur Rahl, j’adore cette coutume. (Elle tendit une main et suivit du bout de l’index quelques-unes des cicatrices qui couvraient le torse du chasseur.) Celle-là est très jolie… La douleur a dû être exquise.

— Mère Inquisitrice, demanda Chandalen dans sa langue natale, que veut dire le dernier mot ?

— Il signifie… hum… que cette blessure t’a fait très mal.

Formé par Kahlan en personne, l’Homme d’Adobe maîtrisait très bien son langage, mais quelques subtilités lui échappaient encore.

— Oui, confirma-t-il, j’ai beaucoup souffert. Au point d’appeler ma mère en pleurant.

— Cet homme m’est très sympathique, fit Cara en levant un sourcil à l’attention de Kahlan.

Chandalen examina la Mord-Sith des pieds à la tête, appréciant ses courbes sous l’uniforme de cuir rouge.

— Tu as de très beaux seins, dit-il.

L’Agiel de Cara vola dans sa paume.

— Ne t’emballe pas ! lança Kahlan en lui prenant le poignet. Les coutumes du Peuple d’Adobe sont parfois déconcertantes. Il voulait dire que tu es une très belle femme, assez forte et saine pour élever de magnifiques enfants. Bref, c’était un compliment. (Elle se pencha vers la Mord-Sith et ajouta à voix basse :) Ne lui dis surtout pas que tu aimerais le voir sans boue dans les cheveux. Sinon, il se sentira autorisé à te faire les enfants en question…

Cara réfléchit un moment, consciente que ces informations étaient d’une grande importance. Puis elle se retourna, se pencha un peu, souleva sa tunique et dévoila une vilaine cicatrice, sur son omoplate, que le pouvoir thérapeutique de Richard avait épargnée.

— Celle-là m’a fait un mal de chien, comme la tienne. (Chandalen eut un grognement approbateur.) J’en avais d’autres, sur le torse et le ventre, mais le seigneur Rahl les a toutes effacées. Plutôt dommage, avec le mal que je me suis donné pour les récolter.

Richard et Kahlan emboîtèrent le pas au chasseur et à la Mord-Sith. Après une longue conversation sur les armes, ils se lancèrent dans un débat passionné au sujet du pire endroit où être blessé. Visiblement, Cara était impressionnée par l’étendue des connaissances de son nouvel ami.

— Chandalen, demanda Kahlan, pourquoi avez-vous organisé un banquet ?

— Pour ton mariage, bien entendu, répondit le chasseur par-dessus son épaule, comme si l’Inquisitrice le dérangeait.

— Mais… comment savez-vous que nous venons célébrer notre union ?

— L’Homme Oiseau nous l’a dit, évidemment…

 

Dès qu’ils entrèrent dans le village, une foule exubérante les entoura. Passant entre les jambes des adultes, les gamins venaient toucher l’« Homme et la Femme d’Adobe vagabonds », ainsi qu’ils les surnommaient. Comme de juste, tous leurs amis proches les giflèrent de bon cœur.

Savidlin accourut, tapa dans le dos de Richard et sourit à Kahlan, que sa femme, Weselan, étreignait à lui en couper le souffle. Le fils du couple, Siddin, se jeta au cou de l’Inquisitrice et lui débita un long discours auquel Cara et Richard ne comprirent pas un mot.

— Nous sommes venus nous marier, dit Kahlan à Weselan. Bien entendu, j’ai apporté la merveilleuse robe que tu m’as confectionnée. Tu te souviens que je t’ai demandé d’être mon témoin ?

— Comment aurais-je pu oublier ?

Avisant un homme aux longs cheveux argentés, Kahlan le désigna à Cara.

— C’est le chef du Peuple d’Adobe, souffla-t-elle.

Splendide dans son pantalon et sa tunique en peau de daim, l’Homme Oiseau gifla gentiment ses visiteurs puis serra l’Inquisitrice dans ses bras.

— La fièvre est terminée, dit-il. L’esprit du grand-père de Chandalen t’a certainement beaucoup aidée. (Kahlan acquiesça.) Je suis content de te voir, mon enfant. T’unir à Richard Au Sang Chaud sera une joie. Tout est déjà prêt pour la cérémonie.

— Qu’a-t-il dit ? demanda le Sourcier.

— Qu’ils ont tout préparé pour notre mariage, traduisit Kahlan.

— Je déteste que des gens sachent des choses qu’on ne leur a pas dites…

— Richard Au Sang Chaud est mécontent de nos préparatifs ?

— Pas du tout, bien au contraire ! Mais il s’étonne que vous nous ayez attendus. Moi aussi, pour être franche, car nous avons fixé la date il y a deux jours.

L’Homme Oiseau désigna une des aires surélevées délimitées par quatre poteaux et couvertes d’un toit de chaume où les gens de son peuple cuisinaient, dînaient ou travaillaient l’argile.

— C’est cet homme, là-bas, qui nous l’a dit.

— Vraiment ? grogna Richard quand Kahlan eut fini de traduire. Eh bien, je crois qu’il est temps d’aller voir ce type qui en sait aussi long que nous sur nos vies.

Alors qu’ils se détournaient, Kahlan vit l’Homme Oiseau se gratter le nez pour dissimuler un sourire.

Se frayer un chemin dans la foule ne fut pas facile. Le village entier, adultes, enfants et vieillards mélangés, imitait les évolutions des danseurs costumés qui se déhanchaient au rythme d’une musique endiablée.

Presque tous ces braves gens saluèrent Richard et Kahlan sur leur passage. D’habitude réservées à l’extrême, des jeunes filles vinrent bravement les féliciter et leur souhaiter tout le bonheur du monde. La fête commençait à peine, et elle promettait d’être somptueuse.

Autour des cuisinières, affairées sous leurs structures à toit de chaume, des légions de gourmands, attirés par de délicieuses odeurs, imploraient qu’on le laisse goûter les merveilles gastronomiques en préparation. Les bras chargés de plateaux et de paniers, une horde de jeunes filles distribuaient les diverses spécialités à mesure qu’elles sortaient du feu.

Autour d’un feu de cuisson, à l’écart des autres, des femmes mitonnaient un plat très spécial réservé aux conseils des devins et aux fêtes exceptionnelles. Prudemment laissées en paix par les villageois, elles présenteraient elles-mêmes ce mets à quelques convives triés sur le volet.

Pas vraiment ravie que des gens s’agglutinent ainsi autour du Sourcier et de la Mère Inquisitrice, Cara parvint à ne pas trop montrer son hostilité. Prête à bondir si besoin était, elle s’abstint judicieusement de brandir son Agiel sous le nez de tout le monde. Mais une simple flexion du poignet suffirait pour qu’il vole dans sa paume…

Voyant que des femmes apportaient des tombereaux de nourriture sous l’aire désignée par l’Homme Oiseau, Richard prit Kahlan par la main et accéléra le pas.

Quand ils atteignirent leur objectif, les deux jeunes gens se pétrifièrent de surprise.

— Zedd…, souffla Richard.

Resplendissant dans une tunique du dernier chic, le sorcier aurait pu en remontrer à bien des souverains en matière de majesté. N’était son éternelle tignasse blanche en bataille, on lui eût sans hésiter décerné le titre d’empereur.

Assis près d’une femme replète en robe noire, le grand-père de Richard piochait allègrement dans le panier de nourriture qu’une jeune beauté lui présentait.

— Zedd ! cria Richard en sautant sur la plate-forme de bois.

— Te voilà enfin, mon garçon, fit le vieil homme, presque distraitement.

— Tu es vivant ! Je savais bien que tu avais survécu !

— Bien sûr que je suis viv…

Écrabouillé par les bras puissants du Sourcier, Zedd ne put jamais terminer sa phrase.

— Richard, cria-t-il en tapant sur l’épaule de son petit-fils, tu m’étrangles ! Fichtre et foutre, tu veux me briser les côtes ? Vas-tu me lâcher, à la fin ?

Richard consentit à laisser un peu d’air à son grand-père. Hélas, Kahlan en profita pour se jeter sur lui et l’enlacer.

— Richard ne voulait pas croire à votre mort, mais je pensais qu’il se berçait d’illusions !

Alors que le sorcier tentait de se dégager de cette nouvelle étreinte, la femme en noir se leva.

— Contente de te voir, Richard…

— Anna ! Vous êtes vivante aussi !

— Et ce n’est pas grâce à ton vieil idiot de grand-père ! (Annalina désigna Kahlan.) Je suppose qu’il s’agit de la Mère Inquisitrice ?

Après avoir enlacé la vieille dame, Richard fit les présentations sous le regard de Zedd, qui en profita pour engloutir un énorme morceau de gâteau.

Quand le Sourcier en arriva à la Mord-Sith, elle ne lui laissa pas le loisir de parler.

— Je suis la garde du corps du seigneur Rahl ! fit-elle, vibrante de défi et de fierté.

— Elle se nomme Cara, corrigea Richard, et c’est notre amie, bien avant d’être notre protectrice. Cara, voici Zedd, mon grand-père, et Annalina Aldurren, la Dame Abbesse des Sœurs de la Lumière.

— L’ancienne Dame Abbesse, précisa Anna. Ravie de rencontrer une amie de Richard.

— Zedd, dit le jeune homme, je n’en crois pas encore mes yeux ! Quelle merveilleuse surprise ! Mais comment as-tu su la date de notre mariage ?

— Rien de plus simple, mon garçon : je l’ai lue.

— Où ça ?

— Dans le trésor des Jocopos, bien sûr !

— Ils écrivaient sur l’or ? s’étonna Kahlan.

— Mais non ! s’impatienta le vieux sorcier en agitant un nouveau morceau de gâteau. Je ne parle pas de la quincaillerie, mais du véritable trésor des Jocopos. Les rouleaux de parchemin truffés de prophéties ! Avec Anna, nous les avons brûlés pour que l’Ordre ne mette pas la main dessus. Mais avant, j’en ai lu quelques-unes, et j’ai appris que votre mariage était pour bientôt. Anna a pu calculer le jour exact. Elle a l’air de rien, comme ça, mais elle est très douée pour interpréter les prédictions.

— Ce n’était pas bien difficile, dit modestement la Dame Abbesse. Toutes étaient très simples à comprendre, et ça les rendait plus dangereuses encore. Si Jagang se les était appropriées…

— Donc, vous êtes venus dans le Pays Sauvage pour détruire ces parchemins, résuma Richard.

— Oui, confirma Zedd. Mais si tu savais quel calvaire nous avons vécu !

— Un cauchemar…, confirma Anna.

Le sorcier braqua un index squelettique sur son petit-fils.

— Pendant que tu te tournais les pouces en Aydindril, nous en avons bavé, tu peux me croire !

— Que vous est-il arrivé ?

— En parler est déjà une torture, gémit Anna.

— J’en ai des frissons en ce moment même, renchérit Zedd. Nous avons été capturés, et détenus dans d’ignobles conditions. C’était horrible ! Je me demande comment nous nous en sommes sortis vivants,

— Qui vous a capturés ? demanda Richard.

— Les Nangtongs, mon garçon, rien que ça !

— Pourquoi diantre vous ont-ils emprisonnés ? demanda Kahlan, perplexe.

— Afin de nous sacrifier ! révéla le vieil homme en tirant sur sa tunique pour la défroisser. Nous avons failli finir saignés à blanc par ces sauvages. À chaque seconde, la mort rôdait autour de nous.

— Les Nangtongs ont recommencé à se livrer à leurs rites barbares ? demanda Kahlan, pas vraiment convaincue.

— C’est à cause de la lune rouge, dit Zedd. Pour être franc, ils crevaient de peur et tentaient seulement de se protéger.

— Quoi qu’il en soit, j’irai les voir, et il leur en cuira, parole de Mère Inquisitrice.

— Vous auriez pu être tués…, souffla Richard, accablé d’inquiétude rétrospective.

— Foutaises ! s’exclama Zedd. Un Premier Sorcier et une Dame Abbesse sont plus futés qu’une bande de sauvages errants ! Pas vrai, Anna ?

— Eh bien, à dire vrai…

— La gente dame a raison, coupa le vieux sorcier, c’est un rien plus compliqué que ça. Et absolument affreux ! Après, nous avons été vendus comme esclaves, et…

— Comment ? s’écria Richard. On a osé vous…

— Aussi vrai que verrue de verrat, mon garçon ! Les Si Doaks nous ont achetés, et forcés à travailler comme des bêtes de somme. Mais nous ne leur avons pas plu – à cause de l’incompétence d’Anna, je crois. Du coup, ils nous ont revendus à des cannibales.

— Des mangeurs de chair humaine ? s’exclama Richard, blanc comme un linge.

— Eh oui, mon garçon ! Par bonheur, il s’agissait du Peuple d’Adobe, et nos propriétaires ont contacté Chandalen. Me connaissant, il a joué le jeu, et nous a achetés pour nous libérer des Si Doaks.

— Pourquoi ne pas vous être enfuis ? demanda Kahlan. Avec vos pouvoirs, ça aurait dû être facile.

Zedd désigna ses poignets nus.

— Ils les avaient neutralisés avec des bracelets magiques. Mes enfants, nous étions impuissants. De pauvres esclaves sous le joug de maîtres sans pitié !

— Ça paraît affreux, concéda Richard. Comment vous êtes-vous débarrassés des bracelets ?

— Nous ne nous en sommes pas débarrassés, mon garçon ! Très las, Richard se prit la tête d’une main et leva l’autre.

— Alors, pourquoi ne les avez-vous plus ?

— Comment t’expliquer… Contre ce genre de blocage, je… nous… n’étions pas assez stupides pour tenter d’utiliser notre pouvoir. Sans entrer dans les détails, ça aurait simplement renforcé le sort de neutralisation. La seule solution était d’attendre que ces bracelets perdent leur pouvoir. Une fois loin des Si Doaks, alors que nous brûlions les parchemins, ils sont tombés d’eux-mêmes.

— Si je comprends bien, c’était votre plan depuis le début ?

— Évidemment, tu nous prends pour des abrutis ?

— C’était même un plan génial, si on réfléchit bien, souffla Anna avec une étrange amertume.

— Mon garçon, pontifia Zedd, la magie est dangereuse. Comme tu l’apprendras un jour ou l’autre, le plus difficile, pour un sorcier, est de savoir quand il ne doit pas recourir à son pouvoir. Et c’était une de ces occasions…

» Nous devions trouver le trésor des Jocopos. Dans un contexte si défavorable, j’ai jugé qu’il fallait nous passer de la magie. (Il croisa fièrement les bras.) Le succès prouve que j’avais raison, comme d’habitude.

— Des soldats sont venus par ici, dit soudain Chandalen. (Il tendit un bras vers le sud-est.) Une grande colonne, chargée de récupérer ce que Zedd et Anna ont brûlé. Pendant qu’ils s’en occupaient, mes hommes et moi avons repoussé les envahisseurs.

» À l’ouest, il y a eu une terrible bataille contre le corps expéditionnaire de Jagang. Cette armée est maintenant détruite. Quand j’étais là-bas, j’ai parlé à un homme appelé Reibisch. Selon lui, un certain Nathan l’a envoyé écraser nos ennemis.

— J’avoue ne pas tout comprendre, pour le coup…, soupira Richard.

— Tu finiras par apprendre, mon garçon, le consola Zedd. Les affaires des sorciers sont très complexes. Un jour, quand tu te décideras à faire quelque chose de ton don, au lieu de rester assis avec tes petits copains pendant que je risque ma peau, tu comprendras de quoi je parle. Au fait, qu’as-tu fichu pendant que je me chargeais du travail important ?

— Ce que j’ai fichu ?

Attendrie, Kahlan posa une main sur l’épaule du jeune homme, très occupé à trouver par quel bout commencer.

— Eh bien, je suis le seigneur Rahl, désormais. Le maître de D’Hara, et tout le tremblement…

Zedd se rassit et s’empara d’un poivron rôti.

— Le seigneur Rahl, hein ? Évidemment, tu dois être débordé par la paperasserie…

Alors qu’Anna reprenait place auprès de son compagnon d’aventures, le Sourcier se gratta pensivement la tête.

— Zedd, tu peux sans doute éclairer ma lanterne… Pourquoi les livres, dans l’enclave du Premier Sorcier, sont-ils dans un tel désordre ?

— C’est une sorte de protection, mon garçon. Je sais exactement comment ils sont rangés, et si quelqu’un y touche, je m’en aperçois du premier coup d’œil. Malin, non ? (Le vieux sorcier sursauta comme si on venait de lui enfoncer une aiguille dans les fesses.) Qu’ai-je entendu, au juste ? Fichtre et foutre, Richard, qu’es-tu allé faire dans l’enclave ? C’est un endroit dangereux. Et d’abord, comment y es-tu entré ? (Il braqua un index sur la poitrine du jeune homme.) Cette amulette, tu l’as prise dans l’enclave ? Richard, quand cesseras-tu de faire n’importe quoi ? Et l’Épée de Vérité, où l’as-tu laissée ? Bon sang, je te l’ai confiée, et tu ne devais jamais t’en séparer ! Tu ne l’as pas donnée à quelqu’un, j’espère ?

— Hum… Donnée ? Sûrement pas ! Je l’ai laissée dans l’enclave, puisque je ne pouvais pas voyager avec dans la sliph.

— La quoi ? Qu’es-tu encore allé dénicher ? Richard, tu es le Sourcier, un homme inséparable de son arme. Tu ne peux pas la déposer ici ou là, comme une vulgaire paire de bottes.

— Le jour où tu me l’as remise, tu as dit qu’elle n’était qu’un outil. La véritable arme, c’est le Sourcier lui-même.

— J’ai dû raconter un truc dans ce genre, parce que je pensais que tu n’écoutais pas ! Dis-moi, tu n’as pas farfouillé dans les livres, au moins ? Ces textes-là ne sont pas pour tes yeux, il s’en faut de loin !

— J’en ai pris un seul. Tagenricht ost fuer Mosst Verlascendreck Gresclechten…

— C’est du haut d’haran, fit Zedd avec un geste nonchalant. Plus personne n’est capable de le déchiffrer. Même avec ton incroyable talent pour te fourrer dans le pétrin, tu ne risquais rien d’un texte que tu n’es pas fichu de lire. Cela dit, tu ne m’as toujours pas expliqué comment tu es entré dans l’enclave !

— Ce n’était pas très difficile… (Richard se rembrunit, hanté par de pénibles souvenirs.) Un jeu d’enfant, même, comparé à ce que j’ai dû faire pour accéder au Temple des Vents.

Zedd et Anna se levèrent d’un bond.

— Le Temple des Vents ! s’écrièrent-ils en chœur.

— Enquête et procès sur l’affaire du Temple des Vents, c’est la traduction du titre de ce livre. Incidemment, j’ai appris à lire le haut d’haran, depuis notre séparation. (Richard posa un bras sur les épaules de Kahlan.) Jagang y a envoyé sœur Amelia. Pour emprunter le Corridor de la Trahison, elle a dû renier le Gardien.

» Avec la magie volée dans le Temple, elle a provoqué une épidémie de peste qui a fait des milliers de victimes. Selon les ordres de Jagang, les premières furent des enfants. Impuissants, nous avons regardé ces pauvres gosses mourir. Puis nos amis furent frappés…

» Je n’avais pas le choix : il fallait que j’arrête la Mort Noire. Sinon, cet incendie aurait consumé le monde.

Une des femmes chargées du plat spécial approcha, les bras lestés d’un plateau de lanières de viande séchée joliment disposées. Elle le présenta d’abord à Chandalen, qui était désormais un ancien. L’Homme d’Adobe se servit, mordit sa viande et se tourna vers Richard.

Conscient du défi implicite, le Sourcier prit un très gros morceau.

Jusque-là, Kahlan avait toujours refusé de goûter ce « mets ». Cette fois, elle accepta et en prit une bouchée sous le regard perçant de Chandalen.

Zedd piocha à son tour dans le plateau, que la femme présenta ensuite à Anna. Kahlan voulut intervenir, mais le vieux sorcier la fit taire d’un regard glacial.

Ils mangèrent en silence un moment.

— C’était qui ? demanda Richard quand il eut terminé.

— Le chef des hommes qui ont tenté de s’approprier le Trésor des Jocopos.

— Pardon ? s’étrangla Anna.

— Nous luttons pour la survie, dit Richard. En cas de défaite, nous mourrons tous, et le monstre qui a lancé la peste contre des enfants régnera sur les ruines du monde. La magie disparaîtra, et tous les survivants seront réduits en esclavage. Les Hommes d’Adobe font cela pour mieux connaître leurs ennemis, et préserver leurs familles. Mangez, Anna, ça vous aidera à mieux combattre.

Ce n’était pas Richard, mais le seigneur Rahl qui venait de prononcer cette dernière phrase.

Anna le regarda un moment en silence, puis elle recommença à mâcher.

— Sœur Amelia…, souffla-t-elle après avoir avalé sa dernière bouchée. Si elle est vraiment entrée dans le Temple des Vents, elle sera plus dangereuse que jamais.

— Elle est morte, lâcha Kahlan, encore hantée par les horreurs de ces dernières semaines.

— Tu en es sûre ? demanda Anna.

— Certaine, puisque je lui ai transpercé le cœur avec une épée. Elle avait planté un dacra dans la cuisse de Nathan, pour le tuer.

— Nathan…, grogna Anna. Où était-il ? Nous devrons bientôt repartir sur sa piste.

— Nous ? répéta Zedd en foudroyant la Dame Abbesse du regard.

— Ça s’est passé à Tanimura, dans l’Ancien Monde, juste après que Richard fut revenu du Temple des Vents. Nathan m’a aidée à lui sauver la vie, grâce aux trois Carillons.

Le souffle coupé, Zedd et Anna se regardèrent.

— Les trois Carillons…, répéta la Dame Abbesse. Tu veux dire qu’il t’en a parlé, sans te les révéler ?

— Pas du tout. Il m’a cité Reechan…

— Tais-toi ! crièrent ensemble Zedd et Anna.

— Nathan ne t’a pas précisé qu’il faut avoir le don pour prononcer ces mots à voix haute ? demanda Anna, empourprée du cou jusqu’au front. Ce vieux fou ne t’a pas prévenue ?

— Ce n’est pas un vieux fou ! s’indigna Kahlan. Sans les trois Carillons, Richard serait mort peu après son retour. Nous avons tous une dette envers Nathan…

— Je m’en acquitterai en lui offrant un beau collier, marmonna Anna. Avant qu’il ne provoque davantage de catastrophes. Zedd, nous devons le trouver, c’est urgent. (La vieille dame se rassit et ajouta dans un murmure :) Et nous occuper de cette… délicate affaire.

— Kahlan, lorsque tu as dit les trois Carillons, c’était dans ta tête, pas à voix haute ?

— Bien sûr que si ! Comme je les avais oubliés, Cara me les a remis en mémoire. Puis je les ai répétés deux ou trois fois.

— Tant que ça ? soupira Zedd, accablé.

— Qu’allons-nous faire, à présent ? souffla Anna.

— Si vous nous disiez où est le problème ? intervint Richard.

— Cette histoire ne te concerne pas, mon garçon. Contente-toi de ne jamais prononcer ces trois mots à voix haute. C’est compris, tout le monde ?

— Zedd, gémit Anna, si Kahlan a libéré…

Le vieux sorcier fit signe à sa compagne de se taire.

— Qu’aurais-je dû faire ? demanda Kahlan, sur la défensive. Richard avait absorbé la magie mortelle du livre volé aux vents par Amelia. Frappé par la peste, il agonisait. Si je n’avais pas agi, il serait mort quelques minutes plus tard… Il fallait le laisser quitter ce monde ?

— Bien sûr que non, mon enfant, dit Zedd. Tu as fait ce qu’il fallait. (Il leva un sourcil à l’attention d’Anna.) Nous reparlerons de ça plus tard.

— Tu n’as rien à te reprocher, Kahlan, renchérit Anna. Et nous te sommes tous très reconnaissants.

— Fichtre et foutre, Richard, grommela Zedd, le Temple des Vents est dans le royaume des morts. Comment y es-tu entré ?

— C’est une longue histoire, et nous vous la raconterons un autre jour (Richard sourit, mais Kahlan ne fut pas dupe un instant, consciente qu’il était très mal à l’aise.) Pour le moment, nous préférerions penser à notre mariage.

— C’est tout à fait normal, mon garçon, assura Zedd. Le reste peut attendre. Mais le Temple des Vents… (Il leva un index, incapable de ravaler la question qui lui brûlait les lèvres.) Qu’as-tu dû sacrifier pour en sortir ?

— Le savoir…

— Et qu’en as-tu ramené ?

— La compréhension…

Le vieux sorcier enlaça les deux jeunes gens.

— C’est excellent pour toi, mon garçon. Excellent. Et très bien pour vous deux. Vous avez mérité de savourer cette journée. Oublions les… hum… complications qui nous attendent, et célébrons votre union dans la joie.

Le Temple des Vents - Tome 4
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