Chapitre 38

 

Dans le tourbillon brûlant de couleurs, Zedd entendit Anna crier son nom. On eût dit qu’elle l’appelait de très loin, bien qu’elle fût à quelques pas de lui. Mais alors qu’il était perché sur son rocher-nuage, battu par une bourrasque de pouvoir, la voix aurait pu venir d’un autre monde.

Et en un certain sens, c’était le cas.

L’appel se répéta, énervant, insistant et… urgent. Zedd l’ignora superbement et continua d’agiter les bras dans les volutes de brume qui dansaient autour de son corps squelettique. Devant lui, des formes sans substance se précisaient. Il aurait bientôt traversé.

Soudain, le voile de pouvoir commença à se dissiper. Résolu à y instiller davantage de magie, il leva plus haut les mains et les manches de sa tunique glissèrent le long de ses bras décharnés. Mais il s’échinait, symboliquement, à remonter d’un puits un seau qui se révélait toujours vide.

Les étincelles multicolores crépitèrent. Puis le vortex de lumière tourna abruptement au gris avant de se dissiper.

C’était à n’y rien comprendre !

Avec un bruit qui fit vibrer le sol, la structure qu’il avait si péniblement invoquée se volatilisa.

Zedd battit des bras quand Anna le saisit par le col pour l’arracher à son rocher-nuage. Il bascula en arrière et entraîna la Dame Abbesse avec lui.

Privé de magie, le rocher-nuage redevint un vulgaire petit caillou. Le vieux sorcier n’y était pour rien. En principe, un artefact ne devait pas agir de son propre chef. Bref, c’était stupéfiant !

— Fichtre et foutre, femme, qu’est-ce que ça signifie ?

— Arrête de m’insulter, vieux croûton ! Je me demande bien pourquoi je me fatigue à te sauver la peau !

— Tu as tout gâché alors que j’y étais presque !

— Je n’ai rien gâché du tout…

— Si ce n’était pas toi… (Zedd sonda les collines obscures.) Explique-toi, femme !

— J’ai perdu d’un coup le contact avec mon Han. J’essayais de te prévenir, pas de t’arrêter.

— Voilà qui est très différent…, souffla Zedd. Pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ?

Il ramassa le rocher-nuage et le fourra dans sa poche.

— Tu as découvert quelque chose, avant de perdre le contact ? demanda Anna, qui scrutait également la pénombre.

— Je ne l’ai jamais établi, ce fichu contact !

— Pardon… Qu’as-tu donc fait, tout ce temps ?

— J’essayais… (Zedd tendit la main pour prendre une couverture.) Mais quelque chose clochait. Impossible de traverser ! Ramasse tes affaires, on devrait filer d’ici.

Anna s’empara d’une sacoche de selle et remballa leur équipement.

— Zedd, tous nos espoirs reposaient sur cette tentative. Maintenant que tu as échoué…

— Ce n’est pas moi ! coupa le vieil homme. Si ça n’a pas marché, je n’y suis pour rien.

Il voulut pousser sa compagne vers les chevaux, mais elle écarta ses mains.

— Alors, pourquoi n’as-tu pas réussi ?

— La lune rouge…

— Tu es sérieux ?

— Je ne tente pas souvent de contacter le monde des esprits. Et jamais sans une bonne raison. Dans ma vie, j’ai dû le faire cinq ou six fois. Quand il m’a donné le rocher-nuage, mon père m’a recommandé de ne pas en abuser. Le danger est d’attirer dans notre monde des esprits malveillants. Pire encore, on risque de déchirer le voile. Chaque fois que j’ai eu du mal à établir la liaison, un manque d’harmonie était en cause. Et la lune rouge annonçait une discordance…

— Nous serons bientôt à court de ressources, soupira Anna. Dis-moi ce qui s’est passé quand tu étais sur ton rocher.

— Si tu me parlais plutôt de la perte de contact avec ton Han ?

Anna tapota le flanc de son cheval pour lui annoncer qu’elle était près de son arrière-train et qu’il ne devait pas ruer. L’animal tapa du sabot gauche antérieur pour signifier qu’il avait compris.

— Pendant que tu… travaillais, j’ai lancé des sorts de détection pour être sûre qu’on ne nous épiait pas. Dans le Pays Sauvage, toute cette lumière aurait pu attirer des gens mal intentionnés. Soudain, alors que je voulais toucher mon Han, il s’est écroulé devant moi et j’ai eu l’impression de basculer en avant, comme si un mur se dérobait alors que je pensais m’y appuyer.

Zedd tendit les mains et lança un sort élémentaire pour faire léviter la pierre ronde qui gisait à ses pieds. Rien ne se passa. C’était bien ça : on voulait s’appuyer à quelque chose, et on découvrait trop tard que ce n’était pas là. Alors, comme le disait Anna, on basculait en avant.

Le vieux sorcier prit dans sa poche une pincée de poudre de camouflage. Quand il la jeta dans les airs, elle ne crépita pas.

— Nous sommes très mal…, murmura-t-il.

— Etre un peu plus précis te dérangerait ? susurra Anna.

— Nous allons abandonner les chevaux. (Zedd prit Anna par le bras.) Viens !

— Zedd, que t’arrive-t-il ? demanda la Dame Abbesse en trottinant à côté de lui.

— Nous sommes au milieu du Pays Sauvage. (Le sorcier s’arrêta, leva le nez et huma l’air.) Près du royaume des Nangtongs, si je ne me trompe pas. (Il tendit un bras.) Allons par là, dans ce ravin. Il faudra surtout rester hors de vue. J’espère que nous ne devrons pas nous séparer pour fuir dans des directions différentes.

Quand ils s’engagèrent sur la pente raide, Zedd aida Anna à ne pas glisser sur l’herbe et la terre humides.

— Qui sont les Nangtongs ?

Le sorcier arriva le premier en bas, passa un bras autour de la taille de sa compagne et la soutint quand elle voulut à son tour prendre pied sur le sol. Avec ses jambes courtes, la pauvre femme se sortait beaucoup moins bien que lui de cet exercice.

Sans l’aide de la magie, le poids de la Dame Abbesse faillit faire tomber le vieil homme. Pour le soulager, Anna s’accrocha à une racine le temps qu’il reprenne son équilibre.

— Les Nangtongs, femme, sont un peuple du Pays Sauvage. Ils contrôlent une magie qui ne leur sert à rien, mais qui neutralise celle des autres. Un peu comme la pluie éteint un feu de camp…

» C’est tout le problème, dans ce coin du monde. Beaucoup de gens peuvent perturber ou annuler notre pouvoir. Et on y trouve des créatures, ou des lieux, qui ont les effets les plus inattendus sur la magie classique. En général, il vaut mieux ne pas s’aventurer dans le Pays Sauvage.

» C’est pour ça que j’ai râlé comme un perdu quand Verna nous a dit où vivaient jadis les Jocopos. Nathan aurait aussi bien pu nous envoyer retirer des charbons ardents d’une forge ! Ici, le danger est partout. Les Nangtongs sont une nuisance parmi une multitude d’autres…

— Pourquoi es-tu si sûr qu’ils sont coupables ?

— Pas mal de peuples du Pays Sauvage peuvent nous empêcher de lancer un sort. Mais ma poudre de camouflage aurait dû rester active. Sauf face aux Nangtongs, les seuls en mesure de la neutraliser.

Comme un équilibriste, Anna écarta les bras quand ils durent passer sur un tronc d’arbre tombé en travers d’un fossé. Si ce petit jeu continuait, elle finirait par se briser les os.

Dans le ciel, la lune disparut derrière un banc de nuages. Zedd s’en réjouit, parce que l’obscurité serait leur meilleure alliée. Hélas, elle les empêchait aussi de voir où ils mettaient les pieds. Et on n’était pas moins mort, la nuque rompue, qu’avec une flèche ou une pointe de lance dans le cœur.

— Nous devrions peut-être montrer que nous n’avons pas d’intentions hostiles, suggéra Anna alors qu’ils longeaient le lit d’un cours d’eau. Zedd, tu me demandes toujours de te laisser parler, comme si ta langue était une sorte de baguette magique. Pourquoi ne dis-tu pas aux Nangtongs que nous cherchons les Jocopos ? Avec ton génie oratoire, ils accepteraient peut-être de nous aider ? J’ai remarqué que beaucoup de gens inamicaux deviennent raisonnables quand tu leur parles.

— Excellente proposition, femme ! Hélas, je ne pratique pas le langage des Nangtongs.

— S’ils sont si dangereux que ça, pourquoi avoir traversé leur territoire ? Perdrais-tu la tête, vieillard ?

— Rassure-toi, elle est toujours sur mes épaules. J’ai fait un grand détour pour éviter leurs terres.

— Enfin, tu as essayé ! Et tu nous as perdus…

— Pas vraiment… Les Nangtongs sont des nomades, mais ils restent dans les limites de leur royaume. Et je suis sûr de ne pas les avoir franchies. Il doit s’agir d’une expédition de chasse dédiée aux esprits.

— Pardon ?

Zedd s’arrêta, s’agenouilla et étudia le terrain. Il ne vit personne – rien de très étonnant par une nuit sans lune – et sentit seulement une vague odeur de sueur. Cela dit, la brise pouvait l’avoir charriée sur des lieues.

— Je n’ai pas le temps de tout t’expliquer, mais le résultat est toujours un ou plusieurs sacrifices en l’honneur du monde des esprits. Les Nangtongs croient que les morts récents transmettront des salutations et des requêtes aux esprits de leurs ancêtres. Pour s’attirer leurs faveurs, les expéditions cherchent des proies à sacrifier.

— Des proies humaines ?

— Quand elles en trouvent… Les Nangtongs ne sont pas des foudres de guerre. Entre combattre et fuir, ils n’hésitent jamais. Mais ils s’en prennent volontiers aux gens sans défenses.

— Au nom de la Création, comment un endroit pareil peut-il exister ? Je croyais le Nouveau Monde plus civilisé que ça. Les Contrées du Milieu ne sont-elles pas censées assurer la prospérité et la paix partout sur leur territoire ?

— Les Inquisitrices ont tenté d’interdire les sacrifices humains. Mais le Pays Sauvage est si loin de tout… Les Nangtongs filent doux quand une Inquisitrice vient leur rendre visite, parce que ce pouvoir-là n’est pas altéré par le leur. Peut-être à cause de sa composante soustractive…

— Seriez-vous idiots ? demanda Anna. Laisser ces sauvages sans surveillance alors que vous savez de quoi ils sont capables ?

— L’alliance des Contrées du Milieu a été créée en partie pour empêcher que les peuples « magiques » soient massacrés par les plus grands royaumes.

— Les Nangtongs, selon toi, ne peuvent rien faire avec leur magie. Donc, ils n’entrent pas dans cette catégorie.

— Neutraliser le pouvoir des autres est une forme de magie, que tu le veuilles ou non. Les gens normaux en sont incapables. En somme, il s’agit d’une arme défensive. Des sortes de « dents », qui leur permettent de repousser les assauts des sorciers de tout poil.

» Les Contrées fichent la paix aux peuples et aux créatures magiques, qui ont le droit de vivre, comme tout le monde. Bien entendu, l’alliance s’efforce d’empêcher qu’on sacrifie des innocents. Même si certaines formes de magie lui déplaisent, devrait-elle massacrer à tour de bras pour créer un monde à l’image des pays les plus puissants ?

Anna ne répondant pas, Zedd poussa plus loin son raisonnement.

— Certaines créatures, par exemple les garns, sont terriblement dangereuses. Est-ce une raison pour les exterminer ? Ou vaut-il mieux leur accorder le droit de vivre, ainsi que le Créateur l’a voulu ? Les hommes n’ont pas à juger la Création…

» Face à plus forts qu’eux, les Nangtongs sont des agneaux. Quand ils ont l’avantage, ils tuent sans pitié. En un sens, ce sont des charognards, comme les vautours, les loups ou les ours. Massacrer ces créatures serait une erreur, parce qu’elles ont un rôle à jouer dans notre monde.

— Et quel est celui des Nangtongs ? demanda Anna.

S’ils n’avaient pas dû parler à voix basse, elle aurait volontiers ricané de mépris.

— Anna, je ne suis pas le Créateur, et il ne me demande pas mon avis sur Ses choix… Par humilité, j’admets qu’Il peut avoir raison, même quand j’ai des doutes. Qui serait assez arrogant pour affirmer qu’Il se trompe ? Pas moi, en tout cas !

» Dans les Contrées du Milieu, nous respectons toutes les formes de vie. Quand elles nous menacent, il suffit de les éviter ! Avec ta conception très dogmatique du Créateur, tu devrais comprendre mieux que personne cette démarche.

— Notre devoir est d’enseigner aux méchants à ne pas nuire aux autres enfants du Créateur !

— Va dire ça à un loup, ou à un ours !

À la façon dont elle grogna, Anna aurait pu être l’un ou l’autre…

— Les sorciers et les magiciennes ont pour mission de protéger la magie, comme des parents qui veillent sur leurs enfants. Ce n’est pas à nous de décider qui doit vivre ou mourir. Sinon, on en vient vite à adopter le point de vue de Jagang. Il juge la magie dangereuse, et veut éliminer tous ses pratiquants pour améliorer le monde. Partagerais-tu sa philosophie ?

— Quand une guêpe te pique, tu ne l’écrases pas ?

— Ai-je dit que nous ne devons pas nous défendre ?

— Alors, pourquoi ne pas en avoir fini avec tous vos ennemis ? Lors de la guerre contre Panis Rahl, on te surnommait le Vent de la Mort. Tu sais comment éliminer une menace.

— J’ai fait ce qu’il fallait pour qu’on arrête de massacrer des innocents. S’il le faut, je recommencerai contre Jagang. Les Nangtongs ne méritent pas qu’on les extermine. Ils ne tentent pas de réduire les autres en esclavage ou de régner par la terreur. Leurs croyances sont meurtrières uniquement quand on est assez idiot pour se faire prendre.

— Ils sont nuisibles ! Vous n’auriez pas dû les laisser vivre !

— Dans ce cas, pourquoi n’as-tu pas tué Nathan ? À sa manière, lui aussi est dangereux.

— Tu oses le comparer à des sauvages qui sacrifient des innocents au nom de croyances maléfiques ? En outre, dès que j’aurai retrouvé le Prophète, tu peux me faire confiance pour le remettre sur le droit chemin.

— Excellent programme ! En attendant, si nous arrêtions de discuter théologie ? Sauf si tu veux convertir les Nangtongs, nous aurions intérêt à agir selon mes convictions. À savoir, filer au plus vite de leurs territoires de chasse !

— Tu n’as pas tort sur toute la ligne, concéda Anna. Et tes intentions, à la base, ne sont pas malveillantes…

Elle fit signe au sorcier de se remettre en route. Il s’enfonça dans la gorge sinueuse en s’efforçant de ne pas marcher dans les flaques d’eau boueuse.

Le ravin les conduisait vers le sud-ouest, loin des terres des Nangtongs. S’ils ne se faisaient pas repérer, tout se passerait bien. Sinon, ceux qu’Anna appelait des sauvages étaient d’excellents archers, et des champions à la lance…

Quand la lune réapparut entre les nuages, le vieux sorcier leva une main pour indiquer à sa compagne de s’arrêter. Profitant de la lumière, qui ne durerait pas, il s’accroupit et sonda le terrain. Cette inspection ne lui apprit pas grand-chose. Au-delà des flancs du ravin, il aperçut des collines nues, et, un peu plus loin, quelques rares bosquets.

Devant eux, le cours d’eau s’enfonçait dans un bois très dense. Zedd se retourna pour indiquer qu’ils iraient par-là. Peureux comme ils étaient, les Nangtongs craindraient de tomber dans un piège, et ils éviteraient cette zone.

Avec une grimace, le vieil homme constata qu’ils avaient laissé dans la boue une piste qu’un aveugle aurait pu suivre. Sa poudre magique n’étant plus bonne à rien, il ne pourrait pas la dissimuler.

Quand il montra leurs empreintes à Anna, elle lui signifia d’un geste qu’ils devaient sortir du ravin.

Deux cris déchirèrent soudain le silence.

— Les chevaux…, souffla Zedd.

Les hurlements cessèrent vite. Les pauvres bêtes venaient d’être égorgées.

— Fichtre et foutre, c’étaient d’excellentes montures ! Tu as une arme sur toi, femme ?

D’un coup de poignet, Anna fit jaillir un dacra de sa manche.

— Oui. Sa magie ne marchera pas, mais ça reste un très bon poignard. Et toi sorcier ?

— J’ai mon génie oratoire…

— Et si on se séparait, dans ce cas ?

— Si tu préfères tenter ta chance seule, je ne te le reprocherai pas. Notre mission est importante. Il serait judicieux que l’un de nous survive.

Anna sourit.

— Tu voudrais que je manque le plus drôle, c’est ça ? Fuyons ensemble, c’est plus amusant. De toute façon, nous sommes déjà loin de ces malheureux chevaux.

— Et les Nangtongs sacrifient peut-être uniquement des vierges…

— J’espère que non. Être la seule à mourir me déplairait.

En riant sous cape, Zedd se remit en route et chercha un endroit, devant eux, où ils pourraient sortir du ravin. Il trouva vite une section de la paroi où des racines leur fourniraient des prises convenables.

Les nuages cachèrent de nouveau la lune, rendant l’escalade plus difficile, surtout quand on ne devait à aucun prix faire de bruit.

Autour d’eux, des insectes bourdonnaient, et un coyote hurlait dans le lointain. À part ça, la nuit semblait parfaitement paisible. Avec un peu de chance, les Nangtongs étaient toujours près des chevaux, occupés à piller les sacoches des deux voyageurs.

Quand il fut en haut, Zedd se retourna et tendit la main à Anna.

— Ne te relève pas. Je crois qu’il sera préférable de ramper.

La Dame Abbesse acquiesça et suivit son compagnon. Bien entendu, la lune choisit ce moment pour se remontrer.

Devant eux, déployés en demi-cercle, les Nangtongs attendaient patiemment leurs proies.

Zedd en compta une vingtaine. Mais il devait y en avoir d’autres pas loin, si cette expédition de chasse ne se distinguait pas radicalement de la norme.

Plutôt petits, vêtus en tout et pour tout d’un pagne et d’une coquille qui protégeait leur virilité, ces guerriers au crâne rasé portaient autour du cou des colliers d’ossements. Des doigts humains, reconnut Zedd.

Les membres fins mais musclés, tous arboraient des bedaines joliment rebondies. Avec leurs corps et leurs visages couverts de cendre blanche et les cercles noirs peints autour de leurs yeux, ils ressemblaient à des squelettes animés.

Zedd et Anna étudièrent d’un œil morne les lances à pointe de fer braquées sur eux. Ils sursautèrent quand un des hommes leur cria un ordre. Même s’ils ne le comprirent pas, l’idée générale était facile à saisir.

— N’utilise pas ton dacra…, souffla le sorcier à sa compagne. Ils sont trop nombreux, et nous finirions taillés en pièce. Il faut rester en vie, et trouver une idée géniale. C’est notre seule chance.

Anna glissa le poignard dans sa manche.

— Messires, fit Zedd avec son plus beau sourire, sauriez-vous où nous pouvons trouver les Jocopos ?

Du bout de sa lance, un Nangtong leur ordonna de se relever. À contrecœur, les deux prisonniers obéirent. Environ de la taille d’Anna, qui arrivait aux épaules de Zedd, les chasseurs les encerclèrent et parlèrent tous en même temps. Puis ils les tâtèrent du bout des doigts, comme un boucher qui évalue la tendresse d’un quartier de viande.

Enfin, ils leur attachèrent les poignets dans le dos.

— Que disais-tu au sujet du droit à l’existence de ces sauvages ? souffla Anna.

— Un jour, une Inquisitrice m’a confié qu’ils cuisinaient très bien. Grâce à nous, ils inventeront peut-être une recette délicieuse…

Anna parvint à ne pas tomber quand un Nangtong la poussa en avant sans douceur.

— Cher Créateur, murmura-t-elle, je suis trop vieille pour battre la campagne avec un fou…

 

Après une heure de marche, ils atteignirent le village des Nangtongs. Composé d’une trentaine de tentes rondes et basses – pour offrir le moins de prise possible au vent –, il jouxtait une série d’enclos où du bétail attendait d’être passé au fil du couteau.

Zedd et Anna, une pointe de lance dans les reins, avancèrent au milieu d’une foule de Nangtongs excités à l’idée des sacrifices à venir. Comme l’exigeait la coutume, ils portaient de longues robes grises et des cagoules, afin de dissimuler leur identité aux heureux élus qui partiraient bientôt pour le monde des esprits. Avec leur maquillage, les chasseurs n’avaient pas besoin de ces accessoires vestimentaires.

Ils forcèrent leurs prisonniers à s’arrêter devant un enclos dont l’un d’eux ouvrit aussitôt le portail fermé par une corde. Derrière eux, les villageois, qui avaient suivi le mouvement, braillaient à tue-tête dans leur langue gutturale. Apparemment, ils confiaient des messages destinés à leurs ancêtres aux futurs héros du sacrifice.

Les poignets toujours liés, Zedd et Anna s’étalèrent de tout leur long quand on les poussa en avant. Étendus dans la boue, ils entendirent des couinements indignés qui les renseignèrent sur l’identité de leurs colocataires. Des cochons ! À la façon dont ils avaient retourné le sol – et à l’odeur qui s’en dégageait – le village devait être installé ici depuis plusieurs mois.

Les membres de l’expédition de chasse, une cinquantaine en tout, comme Zedd l’avait supposé, se séparèrent. Certains partirent pour leurs tentes, où les attendait une épouse stoïque entourée d’enfants turbulents. Quelques-uns encerclèrent l’enclos, résignés à monter la garde malgré leur fatigue. Plus loin, les villageois continuaient de transmettre des messages aux mânes de leurs ancêtres.

— Pourquoi faites-vous ça ? demanda Zedd à leurs geôliers. (Il tourna la tête vers Anna.) Oui, pourquoi ?

Un des Nangtongs parut comprendre. Se passant le tranchant de la main sous la gorge, il mima le sang qui jaillissait de la blessure, puis il désigna la lune du bout de sa lance.

— La lune de sang ? souffla Anna.

— Non, la lune rouge ! La dernière fois que j’en ai entendu parler, les Inquisitrices avaient fait jurer à nos… hum… amis de renoncer aux sacrifices humains. Je n’ai jamais su s’ils avaient tenu parole, parce que tout le monde a continué à les éviter.

» La lune rouge a dû les effrayer. Pensant que les esprits étaient furieux, ils ont décidé de les apaiser à leur manière.

La Dame Abbesse se contorsionna dans la boue jusqu’à ce qu’elle puisse foudroyer Zedd du regard.

— J’espère seulement que Nathan est encore plus dans la mouise que nous !

— Que disais-tu, au fait, sur les vieilles biques qui battent la campagne avec un fou ?

Le Temple des Vents - Tome 4
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