Chapitre 5

 

Richard écarta les branches de l’arbre.

— Voilà, c’est ça, un pin-compagnon, dit-il. L’ami de tous les voyageurs…

Il faisait noir à l’intérieur de l’abri. Kahlan prit la relève de son ami, tenant les branches afin que les rayons de lune l’éclairent pendant qu’il utilisait son silex pour allumer un feu. Ayant souvent campé là quand il allait chez Zedd ou en revenait, Richard avait équipé le refuge d’un petit foyer en pierre. Kahlan remarqua une réserve de bois sec et, au fond, un tapis d’herbes séchées qui servait de couchette.

Privé de son couteau, Richard se félicita d’avoir pensé à entreposer des brindilles. Le feu prit rapidement et fournit aux deux voyageurs une lumière tremblotante.

Richard ne pouvait pas tenir debout sous les branches à l’endroit où elles jaillissaient du tronc. Couvertes d’aiguilles aux extrémités mais nues à la base, elles formaient une sorte de niche d’autant mieux abritée que les rameaux les plus bas s’incurvaient jusqu’au sol. À condition d’être prudent, l’arbre ne souffrait pas des flammes et la fumée s’évacuait en montant en spirale le long du tronc. Enfin, les aiguilles étaient si denses qu’on restait au sec même quand il pleuvait dru.

Richard adorait ces abris petits et confortables que la forêt de Hartland lui offrait un peu partout. Ce soir, il se réjouissait surtout que Kahlan et lui soient bien cachés. Avant sa rencontre avec le garn à longue queue, il éprouvait un grand respect pour certains animaux et certaines plantes de la forêt. Mais rien, dans la nature, ne lui avait jamais fait peur…

Kahlan s’assit en tailleur près du feu. Elle tremblait toujours malgré la couverture qu’elle serrait sur ses épaules.

— J’ignorais l’existence des pins-compagnons, avoua-t-elle. En voyage, je n’ai pas pour habitude de passer la nuit dans les bois. Mais il semble très agréable d’y dormir…

Richard remarqua qu’elle paraissait encore plus épuisée que lui.

— Depuis quand n’as-tu pas fermé l’œil ?

— Deux jours, je crois… Tout se mélange un peu.

Comment pouvait-elle garder les yeux ouverts ? Quand le quatuor les poursuivait, il avait presque eu du mal à avancer à son rythme. Mais la peur devait lui donner des ailes !

— Pourquoi as-tu veillé si longtemps ?

— Sur la frontière, dormir n’est pas une très bonne idée…

Kahlan contempla le feu et s’abandonna à son agréable chaleur. Alors que la lumière des flammes dansait sur son visage, elle sortit ses mains de sous la couverture pour les réchauffer.

Pensant à la frontière et à ce qui risquait d’arriver si on s’y endormait, Richard frissonna.

— Tu as faim ? demanda-t-il.

Kahlan fit oui de la tête.

Le jeune homme fouilla dans son sac à dos, trouva une casserole et sortit pour aller la remplir au ruisseau qu’ils avaient traversé en venant. Les bruits nocturnes résonnaient dans un air si glacial qu’il paraissait pouvoir se briser si on ne le traitait pas délicatement. Une nouvelle fois, Richard se maudit d’être parti de chez lui sans emporter son manteau – entre autres choses ! Penser à l’ennemi qui s’était tapi dans sa maison pour l’attendre le fit de nouveau frissonner.

Chaque fois qu’un insecte le frôlait, il craignait qu’il s’agisse d’une mouche à sang. Puis il soupirait de soulagement en reconnaissant un criquet blanc, un papillon de nuit ou un ailes-guipure.

Quand des nuages voilèrent la lune, des ombres inquiétantes se découpèrent devant lui. Contre sa volonté, Richard leva les yeux. Les étoiles, qui clignotaient comme des lucioles, apparaissaient et disparaissaient au rythme où les nuages traversaient le ciel.

L’un d’eux, cependant, ne bougeait pas…

Richard revint sur ses pas, entra dans le refuge et mit la casserole à chauffer, en équilibre sur trois pierres. S’asseyant d’abord loin de Kahlan, il changea d’avis et s’approcha d’elle – parce qu’il avait froid, tenta-t-il de se convaincre. Quand elle l’entendit claquer des dents, elle lui posa la moitié de sa couverture sur les épaules. Réchauffée par le corps de son amie, la laine enveloppa tendrement Richard. Il ne bougea plus et laissa la chaleur envahir peu à peu ses membres.

— Je n’ai jamais rien vu d’aussi dangereux qu’un garn. Les Contrées du Milieu doivent être terrifiantes…

— Le danger est partout, c’est vrai, concéda Kahlan avec un sourire nostalgique. Mais il y a aussi beaucoup de choses superbes, sans compter la magie. C’est un pays très beau. On y trouve une multitude de merveilles. Et les garns ne viennent pas de chez moi. Ils sont originaires de D’Hara.

— D’Hara ? Ils traversent aussi la deuxième frontière ?

Jusqu’au discours de son frère, le jour même, Richard n’avait jamais entendu personne prononcer à voix haute le nom de ce pays. Sauf pour le maudire !

— Richard, dit Kahlan sans cesser de regarder le feu, il n’y a plus de deuxième frontière. Celle qui séparait les Contrées du Milieu de D’Hara n’existe plus depuis le printemps…

Richard se raidit comme si D’Hara la Ténébreuse, au terme d’un bond de géant, venait d’atterrir… près de lui.

— Mon frère est peut-être un prophète qui s’ignore, souffla-t-il.

— Peut-être, répéta simplement Kahlan.

— Cela dit, il ne ferait pas fortune en prédisant des événements qui ont déjà eu lieu…

Richard jeta un regard en biais à sa compagne, qui ne put s’empêcher de sourire.

— Dès que je t’ai vu, dit-elle, j’ai eu l’impression que tu étais un garçon intelligent. (Des étincelles crépitèrent dans ses yeux verts.) Merci de me prouver que j’avais raison…

— Dans sa position, Michael détient des informations que les autres n’ont pas. Il essaye peut-être de préparer les gens, de les habituer à cette idée, pour qu’ils ne paniquent pas le moment venu…

Michael répétait sans cesse que les informations étaient la clé du pouvoir et qu’il ne fallait pas les utiliser à la légère. Depuis qu’il était conseiller, il encourageait les gens à l’informer au plus vite. Le moindre fermier qui lui racontait une histoire s’attirait toute son attention. Si le récit était vrai, il obtenait une faveur en échange…

L’eau commençant à bouillir, Richard se pencha, saisit son sac par une lanière et le tira vers lui. Après avoir remis la couverture en place sur ses épaules, il sortit du sac un sachet de légumes séchés et le vida dans la casserole. Puis il prit dans sa poche une serviette de table où étaient enveloppées quatre grosses saucisses qu’il débita en petits morceaux avant de les ajouter à la soupe.

— D’où sortent ces saucisses ? demanda Kahlan. Tu les as prises chez ton frère ? Voilà qui n’est pas très convenable…

— Un homme des bois avisé, répondit Richard en se léchant les doigts, veut toujours savoir d’où viendra son prochain repas.

— Michael ne serait pas très fier de tes manières…

— Je ne suis pas fier des siennes, avoua Richard, certain qu’elle ne le contredirait pas sur ce point. Kahlan, son comportement est injustifiable. Depuis la mort de notre mère, il est très difficile à vivre. Cela dit, il se soucie vraiment des gens. C’est obligatoire pour être un bon conseiller. Sa charge pèse sur ses épaules et je n’envie pas ses responsabilités. Mais il a toujours voulu être quelqu’un d’important. Obtenir le poste de Premier Conseiller était le rêve de sa vie. Au lieu de s’en réjouir, il est plus nerveux que jamais. Toujours débordé, sans cesse à brailler des ordres ! De mauvaise humeur du soir au matin… Peut-être s’est-il aperçu que ce qu’il désirait ne lui convenait pas. Mais j’aimerais tant qu’il redevienne comme avant.

— Au moins, lâcha Kahlan, tu as eu le bon goût de voler les meilleures saucisses…

Cette remarque allégeant à point nommé l’atmosphère, ils rirent de bon cœur.

— Kahlan, dit Richard quand il eut repris son sérieux, je ne comprends pas, au sujet de la frontière… D’ailleurs, je ne sais même pas ce qu’elle est, seulement qu’elle sert à séparer les pays pour préserver la paix. Et que quiconque s’y aventure n’en revient pas vivant. Chase et ses hommes s’assurent que les gens en restent loin. Pour leur propre bien…

— Chez toi, on ne raconte pas aux jeunes l’histoire des trois pays ?

— Non. J’ai toujours trouvé ça étrange, mais personne n’a jamais répondu à mes questions. Et on me juge mal parce que je cherche à savoir. Les vieux prétendent que ça fait trop longtemps pour qu’ils se souviennent ou ils inventent d’autres prétextes… Mon père et Zedd m’ont dit qu’ils vivaient jadis dans les Contrées du Milieu. Ils sont venus en Terre d’Ouest quand la frontière n’existait pas et ils se sont connus longtemps avant ma naissance. D’après eux, lorsqu’il n’y avait pas de frontière, la vie était très dure et les gens se faisaient sans cesse la guerre. Mais à les en croire, c’était tout ce que j’avais besoin de savoir, parce qu’il valait mieux oublier tout ça. Zedd semblait encore plus amer que mon père à propos du passé…

Kahlan cassa du petit bois et le jeta dans le feu.

— C’est une très longue histoire. Si tu veux, je peux t’en raconter une partie…

Richard fit signe à son amie de continuer.

— Il y a très longtemps, avant la naissance de nos parents, D’Hara était composée de plusieurs royaumes, comme les Contrées du Milieu. Panis Rahl, un des dirigeants de D’Hara, se distinguait par sa cruauté et son avidité. Dès son accession au pouvoir, il tenta d’annexer tout le territoire – un royaume après l’autre –, souvent avant que l’encre des traités de paix ne soit sèche. Très vite, il devint le maître absolu. Au lieu de profiter de sa puissance, il s’intéressa aussitôt à ce qu’on nomme aujourd’hui les Contrées du Milieu. Une confédération de pays qui restaient libres et indépendants tant qu’ils avaient la sagesse de vivre en paix les uns avec les autres…

» Ayant vu ce que Rahl avait fait chez lui, les peuples des Contrées du Milieu se méfiaient. Conscients que signer un traité de paix ne servait à rien, ils choisirent de rester libres et se dotèrent d’une défense commune chapeautée par le Conseil des Contrées du Milieu. Certains pays membres ne s’appréciaient pas beaucoup, mais la désunion, ils le savaient, aurait signifié leur perte.

» Panis Rahl envoya ses armées et la guerre dura des années…

Kahlan jeta de nouveau du bois dans le feu.

— Ses légions tenues en échec, il se tourna vers la sorcellerie. Elle était présente à D’Hara, pas seulement dans les Contrées du Milieu. À l’époque, on la trouvait partout. Pour elle, il n’existait pas de frontière… Bien entendu, Panis Rahl fut là aussi fidèle à sa réputation de cruauté.

— Quelle sorcellerie a-t-il utilisée ? Et qu’a-t-il fait ?

— Des illusions, des maladies, d’étranges fièvres… Mais les Ombres furent le pire !

— Les Ombres ?

— Des silhouettes qui flottaient dans l’air… Les Ombres n’avaient pas de forme solide ni de contours précis. Ces êtres n’étaient même pas vivants, selon notre définition de la vie. Des créatures de la magie. (Elle leva une main et la fit onduler dans l’air.) Elles volaient au-dessus d’un champ ou d’un bois et les armes ne pouvaient rien contre elles. Les épées et les flèches les traversaient comme si elles avaient été composées de fumée. Impossible de se cacher, les Ombres repéraient leur proie n’importe où ! Quand l’une d’elles touchait quelqu’un, le corps de la victime gonflait et finissait par exploser. Aucun malheureux frôlé par une Ombre n’a jamais survécu. Des bataillons entiers massacrés…

Kahlan glissa de nouveau sa main sous la couverture.

— Quand Panis Rahl a commencé à utiliser la magie de cette façon, un sorcier très puissant et très honorable s’est rallié à la cause des Contrées du Milieu.

— Et comment s’appelait-il ?

— Cela fait partie de l’histoire… Attends que j’en arrive là…

Richard ajouta des épices à la soupe et tendit l’oreille.

— Des milliers d’hommes avaient péri au combat. La magie en tua encore plus. Après une si longue guerre, il était atroce de perdre tant des nôtres à cause de la force maléfique invoquée par Rahl. Heureusement, le grand sorcier neutralisa sa magie noire et ses légions durent retourner chez elles.

— Et comment ton génial sorcier a-t-il vaincu les Ombres ?

— Il a fabriqué par magie des cornes de guerre… Quand nos soldats soufflaient dedans, les créatures se dispersaient comme de la fumée chassée par le vent. Le cours de la guerre en fut inversé…

» Après tant de ravages, nos chefs décidèrent qu’entrer en D’Hara pour détruire Rahl et ses troupes coûterait trop de vies humaines. Pourtant, il fallait empêcher Rahl de revenir un jour à l’assaut, ce qu’il ferait à coup sûr. Mais beaucoup de gens craignaient davantage la sorcellerie que les hordes de D’Hara. Ils ne voulaient plus jamais s’y frotter ! Leur ultime désir était de vivre dans un endroit d’où elle serait bannie. Terre d’Ouest fut fondée pour eux. Désormais, il existerait trois territoires délimités par des frontières. Mais ne t’y trompe pas : si elles furent créées avec l’aide de la magie, elles ne sont pas magiques…

Quand Richard voulut regarder son amie dans les yeux, elle détourna la tête.

— Dans ce cas, que sont-elles ?

Bien que Kahlan ne lui fît pas face, le jeune homme la vit baisser les paupières un bref instant.

Elle prit la cuiller qu’il avait sortie de son sac et goûta la soupe – qui ne pouvait pas être déjà cuite. Puis elle se tourna lentement vers lui, comme pour s’assurer qu’il voulait vraiment entendre la réponse.

Richard attendit, impassible.

— Les frontières appartiennent au pays d’en dessous, dit Kahlan en regardant fixement le feu. Le royaume des morts ! Elles ont été transférées à la surface par magie, pour séparer les trois pays. Une sorte de rideau tiré au milieu de notre univers. Ou une déchirure dans la trame du monde des vivants…

— Si je comprends bien, entrer dans une zone frontière revient à tomber dans un autre monde, comme quand on passe à travers une crevasse ? Donnent-elles accès au royaume des morts ?

— Ce n’est pas si simple… Notre univers reste présent Le royaume des morts est là aussi, au même endroit et au même moment. Il faut environ deux jours de marche pour traverser les terres où se dresse la frontière. Pendant ces deux jours, on est également dans le royaume des morts. Ce sont des contrées dévastées. Toute créature vivante qui touche le royaume des morts – ou qui est touchée par lui – meurt inéluctablement. Voilà pourquoi personne ne peut traverser. Quand on y entre, on s’aventure dans le royaume des morts. Et nul n’en est jamais revenu.

— Et pourtant, tu as réussi. Comment as-tu fait ?

— Avec l’aide de la sorcellerie. La frontière ayant été transférée dans notre monde grâce à la magie, les sorciers ont supposé que je serais en sécurité si des sorts me protégeaient. Mais ils ont eu beaucoup de mal à les lancer. Ils se frottaient à des notions dangereuses qu’ils ne comprenaient pas entièrement. N’ayant pas invoqué eux-mêmes la frontière, ils n’étaient pas certains que ça marcherait. Bref, ils ignoraient ce qui se passerait… (La voix de Kahlan se fit étrangement lointaine.) Même si j’ai traversé la frontière, j’ai peur de ne jamais pouvoir en sortir complètement…

Comme envoûté, Richard ne put d’abord rien dire. Son amie avait cheminé dans le royaume des morts ! Comment était-ce possible, même avec l’assistance de la magie ? Et où avait-elle trouvé le courage de braver des dangers pareils ?

Tout cela dépassait l’entendement !

Le regard de Kahlan croisa le sien. Il lut de la terreur dans ces yeux qui avaient vu ce qu’aucun être vivant n’avait jamais contemplé.

— Dis-moi ce que tu as découvert… souffla-t-il enfin.

Soudain blême, Kahlan tourna de nouveau la tête vers le feu. Une petite branche de bouleau éclata, la faisant cligner des yeux. Sa lèvre inférieure tremblait et la lueur des flammes se reflétait dans les larmes qui perlaient à ses paupières.

Richard comprit qu’elle ne voyait plus le feu, mais… autre chose.

— Au début, dit-elle d’une voix distante, c’était comme marcher dans les étendues de feu glacé qu’on voit la nuit dans le ciel nordique. (Sa respiration s’accéléra.) À l’intérieur, l’obscurité est plus profonde que tout ce qu’on imagine. (Ses yeux s’arrondirent et des larmes coulèrent à flot ; un gémissement s’échappa de ses lèvres.) Et il y avait… des gens… avec moi.

Elle se tourna vers Richard, troublée, comme si elle ne savait plus où elle était. Devant la douleur qu’exprimait son visage – à cause de ses maudites questions ! – le jeune homme eut le cœur serré.

Les joues sillonnées de larmes, Kahlan se posa une main sur la bouche mais ne put pas étouffer les sanglots qui montaient de sa gorge.

Richard sentit que ses bras tremblaient aussi.

— Ma mère… gémit Kahlan. Je ne l’avais plus vue depuis tant d’années… Et Dennee, ma sœur… Je suis si seule… Et j’ai si peur !

Kahlan se tut, cherchant sa respiration comme si elle étouffait.

Richard était en train de la perdre ! Les spectres qu’elle avait rencontrés dans le royaume des morts la tiraient vers eux comme s’ils voulaient la noyer. Paniqué, Richard la prit par les épaules et la força à se tourner vers lui.

— Kahlan, regarde-moi ! Regarde-moi !

— Dennee… souffla la jeune femme en essayant de se dégager.

— Kahlan !

— Je suis si seule… Et j’ai tellement peur !

— Kahlan, je suis avec toi ! Regarde-moi !

Elle continua à sangloter, les yeux fermés, le souffle de plus en plus court. Puis elle leva de nouveau les paupières. À l’évidence, elle ne voyait pas Richard, mais un lieu inconnu…

— Tu n’es pas seule ! Je suis là, et je ne t’abandonnerai pas !

— Je suis si seule…

Richard la secoua pour la forcer à l’écouter. La peau froide et mortellement pâle, elle ne respirait presque plus.

— Je suis là ! Tu n’es pas seule !

Désespéré, il la secoua de nouveau, mais rien n’y faisait. Elle allait mourir !

De plus en plus paniqué, Richard fit la seule chose qui lui vint à l’esprit. Chaque fois qu’il avait eu peur, il s’était montré capable de contrôler ce sentiment. Et une grande force naissait de ce processus. S’il essayait maintenant, peut-être communiquerait-il un peu de cette puissance à Kahlan.

Il ferma les yeux, bannit sa peur, étouffa sa panique et chercha à atteindre un calme intérieur total. Puis il se concentra sur la force qui l’habitait. Dans son esprit ainsi apaisé, il tordit le cou à ses angoisses et focalisa ses pensées sur la force que lui conférait sa quiétude.

Le royaume des morts ne s’emparerait pas de son amie !

— Kahlan, dit-il d’une voix égale, laisse-moi t’aider. Tu n’es pas seule. Je suis là et je peux te secourir. Prends ma force !

Il serra plus violemment les épaules de la jeune femme et la sentit trembler tandis qu’elle luttait pour respirer entre ses sanglots. Alors, il imagina qu’il lui communiquait sa force comme si elle coulait de ses mains, pénétrant dans son corps et dans son esprit pour l’arracher aux ténèbres. Dans cette obscurité plus noire que tout, il serait l’étincelle de vie et de lumière qui la ramènerait au monde des vivants.

— Kahlan, je suis là et je ne t’abandonnerai pas. Tu n’es pas seule. Fais-moi confiance ! (Il lui serra encore les épaules.) Reviens vers moi, je t’en supplie !

Il pensa à une lumière chaude et vivante avec l’espoir que ça aiderait la jeune femme.

Je vous en prie, révérés fantômes, permettez-lui de la voir. La lumière la sauvera ! Et laissez-la utiliser ma force…

— Richard ? appela Kahlan comme si elle le cherchait dans la nuit.

— Je suis là, répéta-t-il. Je ne t’abandonnerai pas ! Reviens vers moi !

Kahlan recommença à respirer et parut de nouveau le voir. Du soulagement s’afficha sur son visage quand elle le reconnut, et elle pleura d’une façon plus normale. Se laissant aller contre lui, elle s’accrocha à son corps comme s’il était un rocher dans une rivière déchaînée. Il la serra contre lui et la laissa sangloter en lui murmurant des paroles de réconfort. Après avoir eu aussi peur que le royaume des morts l’emporte, il ne la laisserait plus jamais s’éloigner de lui !

Il tendit une main, saisit la couverture et la tira de nouveau sur les épaules de Kahlan. Elle se réchauffait vite, un signe qu’elle ne risquait sans doute plus rien. Mais le royaume des morts avait sur elle une emprise inquiétante. Cela n’aurait pas dû arriver. Kahlan n’y était pas restée si longtemps que ça, après tout…

Richard ignorait comment il avait réussi à la tirer de là. Mais ça avait été de justesse !

À la lueur rougeâtre du feu, le pin-compagnon semblait de nouveau un refuge sûr. Hélas, c’était une illusion…

Richard garda longtemps Kahlan dans ses bras. Il lui caressa la tête et la berça comme une enfant. À la façon dont elle s’accrochait à lui, il comprit que personne ne l’avait réconfortée ainsi depuis très longtemps.

Même s’il ignorait tout des sorciers et de leur art, nul n’aurait chargé Kahlan de traverser la frontière sans une raison impérieuse. Qu’y avait-il d’assez important pour envoyer quelqu’un dans le royaume des morts ?

Kahlan s’écarta de lui et se raidit, rose de confusion.

— Désolée… Je n’aurais pas dû te toucher ainsi… J’étais…

— Aucun problème… La première mission d’un ami est d’offrir une épaule pour pleurer…

Elle acquiesça, mais ne se détendit pas. Richard sentit qu’elle ne le quittait pas des yeux pendant qu’il retirait la soupe du feu, histoire qu’elle refroidisse un peu.

— Comment as-tu fait ça ? demanda-t-elle pendant qu’il remettait du bois dans les flammes.

— Fait quoi ? demanda-t-il.

— Poser des questions qui ont généré des images dans ma tête et m’ont contrainte à répondre alors que je n’en avais pas l’intention ?

— Eh bien… Zedd me demande souvent la même chose… (Il haussa les épaules, mal à l’aise.) Je suis né comme ça, c’est tout… Parfois, je me dis que c’est une malédiction. (Il cessa d’alimenter le feu et se tourna vers elle.) Kahlan, je suis navré d’avoir voulu savoir ce que tu as vu. C’était stupide ! Parfois, mon bon sens est aveuglé par la curiosité. Désolé de t’avoir fait souffrir. Mais le royaume des morts te rappelait à lui… et ça n’aurait pas dû se produire. Je me trompe ?

— Non, tu as raison. On aurait dit que quelqu’un attendait de me capturer dès que j’y repenserais… Sans toi, j’aurais pu être perdue pour toujours. Mais j’ai vu une lueur dans l’obscurité. J’ignore comment tu es parvenu à me ramener…

— Tu t’en es peut-être sortie simplement parce que tu n’étais pas seule… avança Richard en prenant la cuiller.

— Peut-être… répéta Kahlan sans conviction.

— Je n’ai qu’un couvert, il faudra partager. (Il plongea la cuiller dans la soupe, la porta à sa bouche, souffla dessus et goûta.) J’ai déjà fait mieux, mais c’est toujours meilleur qu’un coup de pied dans l’arrière-train !

Sa plaisanterie eut l’effet recherché : Kahlan sourit.

Ravi, il lui tendit la cuiller.

— Si je dois t’aider à échapper au prochain quatuor, il me faut des réponses. Et je crains que nous n’ayons pas beaucoup de temps.

— C’est vrai… Ne t’en fais pas, je tiendrai le coup.

Richard la laissa manger un peu avant de continuer :

— Que s’est-il passé après l’apparition des frontières ? Et qu’est devenu le grand sorcier ?

Kahlan pécha un morceau de saucisse dans la soupe avant de lui rendre la cuiller.

— Il est arrivé quelque chose un peu avant l’avènement des frontières. Alors que le sorcier était concentré sur le contrôle de la magie, Panis Rahl a trouvé un moyen de se venger. Il a envoyé un quatuor assassiner sa femme et sa fille.

— Et qu’a fait le sorcier ?

— Il a repoussé la magie de Rahl et l’a confinée en D’Hara pendant que la frontière se matérialisait. Au moment exact où elle apparaissait, il a envoyé une boule de feu à travers, pour qu’elle soit en contact avec la mort et acquière la puissance des deux mondes. Puis les frontières apparurent, infranchissables…

Si Richard n’avait jamais entendu parler de boules de feu, il imagina très bien ce que c’était.

— Quel fut le sort de Panis Rahl ?

— On ne peut pas le dire à cause des frontières… Mais je suis sûre que personne n’aimerait échanger son destin contre le sien.

Richard lui tendit la cuiller et la regarda manger en essayant d’imaginer ce que pouvait être le juste courroux d’un sorcier. Kahlan lui rendit le couvert et continua :

— Au début, tout allait bien, mais quand le Conseil des Contrées du Milieu a commencé à prendre des initiatives, le grand sorcier affirma qu’il était corrompu. Sa position avait un rapport avec la magie. Il a découvert que le Conseil n’avait pas respecté leurs accords sur la façon de la contrôler. Selon lui le goût des richesses et les actes inconsidérés des conseillers risquaient de provoquer des horreurs pires que celles de la guerre. Ces hommes pensaient savoir mieux que lui comment gérer la magie. Pour des raisons politiques, ils ont nommé un de leurs sbires à un poste que seul un sorcier était habilité à affecter. Furieux, il leur a dit que c’était à lui de déterminer qui devait occuper cette position. Cette nomination le regardait ! Il avait formé d’autres sorciers, mais leur cupidité les poussa à prendre le parti du Conseil. Fou de rage, le grand sorcier déclara que sa femme et sa fille étaient mortes pour rien. Résolu à punir les conseillers, il prit la pire mesure possible : les abandonner et les laisser souffrir des conséquences de leurs actes.

Richard sourit. Tout à fait le genre de réaction qu’aurait eu son vieil ami Zedd !

— Puisqu’ils savaient si bien ce qu’il fallait faire, ajouta Kahlan, ils n’avaient pas besoin de lui. Un peu plus tard, il disparut dans la nature. Mais avant de s’en aller, il invoqua une Toile de Sorcier…

— Une quoi ? coupa Richard.

— C’est le nom d’un sort… Après son départ, personne dans les Contrées du Milieu ne se souvint plus de son nom ou de son apparence. Depuis, nul ne sait où il est ni comment il s’appelle.

Kahlan ajouta des brindilles dans le feu et se perdit dans ses pensées. Richard mangea en attendant qu’elle reprenne le fil de son histoire.

— Au début de l’hiver dernier, dit-elle après quelques minutes de réflexion, le Mouvement a commencé…

— Quel mouvement ? demanda Richard, la cuiller en suspension à quelques pouces de ses lèvres.

— Le Mouvement de Darken Rahl. Il semblait jaillir de nulle part. D’un seul coup, des milliers de gens, dans les grandes villes, se sont mis à scander son nom. Ils l’appelaient « Petit Père Rahl » et le tenaient pour le plus grand pacifiste qui eût jamais vécu. C’est le fils de Panis Rahl et il vit en D’Hara, de l’autre côté de la frontière. Comment ces gens ont-ils entendu parler de lui ?

Elle marqua une pause pour que Richard saisisse l’importance de cette question.

— Puis les garns ont traversé la frontière. Des dizaines de malheureux sont morts avant que la population décide de ne plus sortir la nuit.

— Comment ces monstres ont-ils traversé ?

— La frontière s’affaiblissait, mais personne ne le savait. Comme la partie supérieure s’est délitée la première, les monstres ont pu la survoler. Au printemps, il ne restait plus rien de la frontière. Alors, l’Armée du Peuple pour la Paix, la force de Darken Rahl, est entrée dans nos grandes villes. Au lieu de combattre le conquérant, les peuples des Contrées du Milieu ont jeté des fleurs sur son passage ! Ceux qui refusaient furent pendus…

— Par l’armée de Rahl ?

— Non, par leurs concitoyens… Ils les accusaient de menacer la paix. Donc, ils les exécutaient ! L’Armée du Peuple n’a pas levé le petit doigt. Les membres du Mouvement en ont profité pour claironner que Darken Rahl avait démontré sa volonté de vivre en paix. Après tout, son armée ne tuait pas les résistants. Mieux encore, elle finit par intervenir pour faire cesser les massacres ! Depuis, les réfractaires sont envoyés dans des camps où on les rééduque. Ils découvrent la grandeur du Petit Père Rahl et apprennent ce qu’est un véritable pacifiste.

— Bien entendu, on les incite aussi à le vénérer ?

— Les convertis comptent parmi les plus fanatiques. Beaucoup passent leurs journées à répéter son nom…

— Donc, les Contrées du Milieu ne se sont pas battues ?

— Darken Rahl a demandé au Conseil de se joindre à lui pour défendre la paix. Les conseillers dociles furent tenus pour des défenseurs de l’harmonie universelle. Ceux qui refusèrent, accusés de trahison, furent exécutés sur-le-champ par Darken Rahl en personne.

— De sa propre main ?

— Rahl porte une dague incurvée à sa ceinture, dit Kahlan en fermant les yeux. Et il adore s’en servir. Je t’en prie, Richard, ne me demande pas de décrire ce qu’il a fait à ces hommes. Mon estomac ne le supporterait pas.

— Je voudrais pourtant savoir comment ont réagi les sorciers !

— Ils ont enfin ouvert les yeux. Mais Rahl a proscrit l’usage de la magie. Tout contrevenant serait traité comme un rebelle. Chez moi, Richard, la magie est une composante naturelle de beaucoup d’êtres humains et de créatures. Cela revient à dire qu’on est un criminel parce qu’on a deux bras et deux jambes. Il faudrait donc se les couper ! Ensuite, Rahl a interdit le feu…

— Le feu ? Pourquoi ? demanda Richard.

— Le Petit Père ne donne jamais d’explication… Mais il faut savoir que les sorciers utilisent beaucoup le feu. Hélas, il ne les craint pas. Il a plus de pouvoirs que son père et tous les mages que je connais. Ses fidèles, en revanche, ne sont pas avares d’explications. Selon eux, ayant été utilisé contre le père de Darken, le feu est une offense à la Maison Rahl.

— C’est pour ça que tu voulais t’asseoir devant une bonne flambée ?

— Allumer du feu sans l’autorisation de Rahl ou de ses fidèles est puni de mort dans les Contrées du Milieu. (Kahlan dessina des arabesques dans la poussière avec une brindille.) En Terre d’Ouest, ce sera peut-être pareil. Ton frère aimerait interdire le feu. Et si…

— Notre mère est morte dans un incendie, coupa Richard, exaspéré. C’est pour ça que Michael se méfie du feu. Il n’y a pas d’autres raisons ! Et il n’a jamais parlé de l’interdire, seulement d’éviter que d’autres personnes soient blessées ou tuées. Il n’y a rien de mal à vouloir empêcher les gens de souffrir.

— Te faire souffrir ne semble pas le déranger…

Richard inspira à fond pour se calmer.

— C’est ce qu’on pourrait croire, mais tu ne le comprends pas. C’est sa façon d’être. Il ne veut pas vraiment me nuire. (Richard plia les jambes et passa les bras autour de ses genoux.) Après la mort de notre mère, Michael a surtout fréquenté ses amis. Puis il s’est lié avec tous les gens qu’il jugeait importants. Certains étaient prétentieux et arrogants. Notre père les détestait et il ne le cachait pas. Ils se sont souvent disputés à ce sujet.

» Un jour, père a rapporté à la maison un vase avec de petites silhouettes sculptées sur le col, comme si elles dansaient autour. Il était fier de sa découverte, une pièce très ancienne dont il espérait tirer une pièce d’or. Michael prétendit qu’il pouvait obtenir beaucoup plus que ça. Comme d’habitude, ils se querellèrent. Puis notre père céda et le laissa se charger de la vente. L’affaire conclue, il revint et jeta quatre pièces d’or sur la table. Père les contempla un long moment. Enfin, très calmement, il déclara que le vase ne valait pas ça. Qu’avait donc raconté Michael à ses clients ? Ce qu’ils avaient envie d’entendre, répondit mon frère.

» Quand père voulut ramasser les pièces, Michael posa une main dessus. Il en prit trois et lui en laissa une, puisque c’était ce qu’il s’attendait à recevoir. « Voilà ce que valent mes amis, George ! » lança-t-il en guise de conclusion.

» C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom… Père ne l’a jamais autorisé à vendre un autre objet. Mais sais-tu ce que Michael a fait de l’argent ? Dès que notre père repartit en voyage, il alla régler les dettes de la famille. Et il ne s’est rien acheté pour lui !

» Michael agit parfois brutalement, comme aujourd’hui, en parlant de notre mère en public, puis en me montrant du doigt. Mais je sais qu’il se soucie de l’intérêt général. Il refuse que des gens soient blessés par le feu. Rien de plus ! Parce qu’il veut le bien de tous, il espère empêcher d’autres personnes de vivre un drame comme le nôtre.

Kahlan continua à dessiner dans la poussière sans lever les yeux. Puis elle jeta sa brindille dans le feu.

— Désolée, Richard… Je ne devrais pas être si méfiante… Je sais que perdre sa mère est une terrible épreuve. Tu as raison au sujet de Michael. (Elle leva enfin les yeux.) Je suis pardonnée ?

— Bien sûr, dit Richard. Si j’avais subi ce que tu as subi, j’aurais tendance à voir le mal partout. Navré de m’être emporté. Si tu me pardonnes aussi, je te laisserai finir la soupe !

Kahlan approuva d’un sourire et accepta sa proposition.

Richard brûlait d’entendre la suite de son histoire. Il la regarda pourtant manger en silence avant de demander :

— Les forces de D’Hara occupent toutes les Contrées du Milieu ?

— Mon pays est très vaste… L’Armée du Peuple a seulement conquis quelques grandes villes. Dans beaucoup d’endroits, les gens ignorent tout de l’Alliance. Rahl ne s’en soucie guère. Pour lui, c’est un problème secondaire. Les sorcière ont découvert son véritable objectif : s’approprier la magie dévoyée par le Conseil. Celle qui mettait en fureur le grand sorcier. S’il la contrôle, Rahl régnera sur le monde sans avoir à se battre…

» Cinq sorciers se sont aperçus qu’ils avaient eu tort et que leur maître disait vrai. Pour se racheter à ses yeux, ils ont tenté de sauver les Contrées du Milieu et ton pays – du désastre qui les guette si Rahl obtient ce qu’il veut. Ils se sont lancés à la recherche du grand sorcier. Mais Rahl le traque aussi…

— Cinq sorciers, as-tu dit ? Combien sont-ils en tout ?

— Ils étaient sept : le maître et ses six disciples. Le grand sorcier a disparu et un de ses élèves vend ses services à une reine. Un comportement déshonorant pour un membre de sa profession. (Kahlan réfléchit quelques instants.) Comme je te l’ai dit, les cinq autres sont morts. Avant de périr, ils ont fait fouiller de fond en comble les Contrées du Milieu. Mais leur maître n’y était plus…

— Ils en ont déduit qu’il était en Terre d’Ouest ?

Kahlan laissa tomber la cuiller dans le récipient vide.

— Oui. Et ils devaient avoir raison.

— Et ils croyaient que leur maître arrêterait Darken Rahl alors qu’ils ne le pouvaient pas ?

Quelque chose clochait dans cette histoire. Richard n’était plus très sûr de vouloir connaître la suite…

— Non, répondit Kahlan, le grand sorcier n’est pas assez puissant pour vaincre Rahl. Ce que voulaient ses disciples – et qui nous épargnera tout le mal à venir – c’était qu’il identifie la personne qu’il est le seul à pouvoir nommer au poste dont je parlais tout à l’heure.

Au soin que Kahlan mettait à choisir ses mots, Richard comprit qu’elle jonglait avec des secrets qu’il n’était pas censé connaître. Il n’insista pas et posa une question qui ne risquait pas de la mettre dans l’embarras.

— Pourquoi ne sont-ils pas venus eux-mêmes lui demander d’agir ?

— Parce qu’ils redoutaient un refus. Et qu’ils n’avaient pas le pouvoir de le contraindre…

— Cinq sorciers impuissants face à un seul ?

Kahlan eut un sourire sans joie.

— Ils étaient ses disciples. De simples mortels qui désiraient devenir des sorciers. Ils n’étaient pas nés avec le don. Leur maître, lui, avait deux sorciers pour parents. Le pouvoir coule dans son sang, pas seulement dans son esprit. Ses élèves n’auraient jamais pu l’égaler et encore moins le contraindre à quoi que ce fut.

Kahlan se tut.

— Alors… souffla Richard.

Il n’ajouta rien. Une façon de lui laisser deviner sa question suivante… à laquelle il entendait avoir une réponse.

Qu’elle consentit à lui donner dans un murmure.

— Alors, ils m’ont envoyée parce que je peux le faire, contrairement à eux.

Tandis que le feu crépitait presque joyeusement, Richard sentit la tension de son amie et devina qu’elle n’en dirait pas plus sur ce sujet. Il ne la pressa pas de questions, désireux qu’elle se sente en sécurité. Quand il posa une main sur son avant-bras, elle mit la sienne dessus…

— Et comment comptes-tu retrouver ce sorcier ?

— Je n’en sais rien… La seule certitude, c’est que je dois le dénicher très vite. Sinon, nous sommes tous perdus.

Richard réfléchit un court moment.

— Zedd nous aidera ! dit-il. Il lit dans les nuages. Retrouver une personne disparue entre dans ses attributions.

— Ton ami pratique la magie ? demanda Kahlan, soudain méfiante. En Terre d’Ouest, elle n’est pas censée exister ?

— Selon lui, ça n’a rien de magique et tout le monde peut apprendre. Il a essayé de m’enseigner son art et il se moque toujours de moi quand je lance un truc du genre : « Eh bien, on dirait qu’il va pleuvoir… » Puis il roule de gros yeux et s’écrie : « La magie ! Tu dois être un grand sorcier, mon garçon, pour regarder le ciel et prédire aussi bien l’avenir ! »

Kahlan éclata de rire. Un son qui mit du baume sur le cœur de Richard.

Malgré toutes les questions restées sans réponse, il décida de la laisser tranquille. Elle était loin de lui avoir tout dit, mais il en savait quand même un peu plus. L’important, à présent, était de trouver le sorcier puis de se mettre à l’abri. Un autre quatuor arriverait bientôt. Il leur faudrait filer vers l’ouest pendant que le sorcier ferait le nécessaire – quoi que ça puisse être.

Kahlan ouvrit la bourse qu’elle portait à la ceinture et en sortit un sachet de toile huilée. Elle l’ouvrit et passa un index dans la substance brunâtre qu’il contenait.

— Cet onguent accélérera la guérison des piqûres de mouches. Tourne la tête !

Le baume soulagea aussitôt Richard, qui reconnut l’odeur de certaines plantes médicinales dont Zedd lui avait enseigné l’usage. Il savait fabriquer un onguent similaire – mais avec de la fleur d’aum – qui supprimait la douleur en cas de blessure.

Kahlan finit de le traiter et s’occupa de ses propres lésions.

Richard leva sa main rouge et gonflée.

— Mets-en un peu là-dessus, s’il te plaît…

— Que t’est-il arrivé ?

— Une épine m’a attaqué, ce matin.

Kahlan appliqua doucement l’onguent sur sa plaie,

— Je n’ai jamais vu une épine faire de pareils dégâts…

— Elle était très agressive ! J’irai mieux demain au réveil.

L’onguent ne lui fit pas autant de bien qu’il l’espérait. Mais il affirma le contraire pour ne pas inquiéter son amie. Comparée aux soucis de Kahlan, sa main blessée n’était rien !

Il la regarda refermer le sachet avec une lanière de cuir et le remettre dans sa bourse.

— Richard, demanda-t-elle, pensive, as-tu peur de la magie ?

Il prit le temps de réfléchir avant de répondre.

— Elle m’a toujours fasciné. Un art très excitant, à mes yeux. À présent, je sais aussi qu’elle peut être dangereuse. En somme, c’est comme les gens : on reste aussi loin que possible de certains, et on a beaucoup de chance de connaître les autres.

Kahlan sourit, satisfaite de sa réponse.

— Richard, avant de pouvoir dormir, je dois faire quelque chose… Invoquer une créature magique, pour être précise. Si tu promets de ne pas avoir peur, je te laisserai la voir. Une chance qui ne se présentera pas souvent à toi. Peu de gens ont vu cette créature, et bien peu la verront à l’avenir. Mais tu dois jurer de sortir et d’aller faire un tour dehors quand je te le demanderai. À ton retour, tu ne devras pas me poser de questions. Je suis épuisée et il faut que je dorme…

— Promis, dit Richard, flatté par l’honneur qu’elle lui faisait.

Kahlan rouvrît sa bourse et en sortit une fiole fermée par un bouchon. Des lignes bleu et argent s’entrecroisaient sur le verre et une lumière brillait à l’intérieur de l’étrange réceptacle.

Les yeux de Kahlan se plantèrent dans ceux du jeune homme.

— Cette créature, une flamme-nuit, se nomme Shar. Il est impossible de la voir pendant la journée… Shar fait partie de la magie qui m’a aidée à traverser la frontière. Elle fut mon guide. Sans elle, je me serais perdue à jamais…

Des larmes perlèrent aux paupières de Kahlan. Mais sa voix ne trembla pas.

— Ce soir, elle va mourir. Shar ne peut pas vivre si loin de ses semblables, et elle n’a pas la force de retraverser la frontière. Elle s’est sacrifiée pour moi parce que son peuple, comme beaucoup d’autres, périra si Darken Rahl arrive à ses fins.

Kahlan retira le bouchon et posa la fiole sur le plat de sa main.

Une volute de lumière s’échappa du petit récipient. Flottant dans l’air, elle conféra une vive lueur argentée à tout ce qui se trouvait dans le refuge végétal. Quand elle s’immobilisa entre les deux jeunes gens, la lumière s’adoucit.

Bouche bée, Richard regarda la fragile entité et n’en crut pas ses oreilles quand elle parla d’une toute petite voix.

— Bonsoir, Richard Cypher…

— Bonsoir à toi, Shar, souffla le jeune homme.

— Merci d’avoir aidé Kahlan, ce matin. En agissant ainsi, tu as également servi mon peuple. Si tu as un jour besoin de mes semblables, pour qu’ils accourent, il suffira que tu dises mon nom. Car aucun ennemi ne peut le connaître.

— Merci, Shar, mais je doute d’aller un jour dans les Contrées du Milieu. Dès que nous aurons trouvé le sorcier, nous filerons vers l’ouest pour échapper aux hommes qui veulent nous tuer.

La flamme-nuit tourna lentement dans l’air, comme si elle réfléchissait. Sa lumière argentée douce et tiède caressa le visage de Richard.

— Si c’est ce que tu veux, fit-elle, il doit en être ainsi.

Richard fut soulagé de l’entendre dire cela.

Shar recommença à tourner sur elle-même. Puis elle s’arrêta net.

— Mais sois prévenu : Darken Rahl vous traque tous les deux et il ne renoncera pas. Si vous fuyez, il vous poursuivra. C’est une certitude ! Et contre lui, vous serez impuissants. Il vous abattra très bientôt !

La bouche sèche, Richard parvint à peine à déglutir Si c’était pour en arriver là, le garn les aurait tués vite, et tout aurait déjà été fini !

— Shar, n’avons-nous aucun moyen de nous en sortir ?

La créature s’immobilisa de nouveau.

— Si tu lui tournes le dos, tes yeux ne le verront pas. Il te piégera. La chasse est son plus grand plaisir,

— N’y a-t-il rien à faire ?

Shar tourbillonna de nouveau. Cette fois, avant de s’immobiliser, elle approcha de Richard.

— Une bien meilleure question, Richard Cypher ! La réponse est enfouie au plus profond de toi-même. Il faut la chercher. Sinon, il vous abattra tous tes deux. Bientôt !

— Dans combien de temps ? demanda Richard avec une agressivité qu’il ne parvint pas à contrôler.

Shar recula un peu.

Richard fit un pas en avant, résolu à ne pas laisser passer cette occasion d’apprendre quelque chose d’utile.

Shar s’immobilisa.

— Le premier jour de l’hiver, Richard Cypher, quand le soleil brillera dans le ciel… Si Darken Rahl ne vous a pas tués avant – et s’il n’est pas vaincu – mes semblables mourront à ce moment-là. Et vous aussi. Rahl aimera beaucoup ça !

Richard se tut un instant, perplexe. Quelle était la meilleure façon d’interroger un point lumineux tourbillonnant ?

— Shar, Kahlan essaye de sauver tes semblables. Et moi, je tente de l’aider. Tu as sacrifié ta vie pour cela. Si nous échouons, tout le monde mourra, comme tu viens de le dire. Si tu sais quelque chose qui nous permettra de vaincre Rahl, je te supplie de me le révéler !

Sans cesser de tourner sur elle-même, la créature de lumière décrivit un cercle dans le refuge. Après avoir illuminé tous les coins où elle passait, elle s’arrêta devant lui.

— Je t’ai déjà donné la solution. Elle est en toi. Trouve-la, ou meurs ! Désolée, Richard Cypher, j’aurais aimé en faire plus. Mais je ne sais rien de la réponse, à part qu’elle est en toi…

Richard acquiesça et se passa une main dans les cheveux. Qui était le plus frustré ? Lui ou Shar ? Il tourna la tête et vit que Kahlan était assise, très calme, les yeux rivés sur la petite créature.

La flamme-nuit attendit en tournant sur elle-même.

— Très bien… Peux-tu au moins me dire pourquoi Rahl veut me tuer ? Seulement parce que j’ai aidé Kahlan, ou y a-t-il une autre raison ?

Shar s’approcha.

— Il y a une autre raison. Mais elle est secrète !

— Quoi ! s’exclama Richard en se levant d’un bond.

La créature suivit son mouvement.

— Je ne sais rien de plus… Désolée… Mais il veut ta mort, c’est certain.

— Comment s’appelle le grand sorcier ?

— Une très bonne question, Richard Cypher. Hélas, je l’ignore.

Le jeune homme se rassit et se prit la tête entre les mains. Shar tourbillonna de plus belle, projetant des colonnes de lumière, et décrivit des cercles autour de sa tête. Il comprit qu’elle essayait de le réconforter. À l’agonie, cette créature se souciait quand même de lui ! Il ravala la boule qui se formait dans sa gorge.

— Shar, merci d’avoir aidé Kahlan… Aussi courte qu’elle semble devoir être, ma vie a été prolongée parce que Kahlan m’a empêché de commettre une folie, aujourd’hui. Et la connaître est pour moi un grand bonheur ! Sois bénie d’avoir aidé mon amie à traverser la frontière.

Il sentit ses yeux s’embuer de larmes.

Shar s’approcha encore et lui caressa le front. Soudain, il lui sembla entendre sa voix résonner dans sa tête plutôt qu’à ses oreilles.

— Richard Cypher, je pleure de ne pas connaître les réponses qui pourraient te sauver. Si je les détenais, sois certain que je te les livrerais de bon cœur. Mais je sais qu’il n’y a que du bon en toi et je te fais confiance. Tu as ce qu’il faut pour réussir. Quand viendra le temps où tu douteras de toi-même, ne renonce pas. Souviens-toi que je croyais en toi et en tes chances de succès. Tu es un être d’exception, Richard Cypher. Aie confiance en toi et protège Kahlan !

Richard s’aperçut que des larmes jaillissaient à flot de ses paupières pourtant closes. Dans sa gorge, la boule l’empêchait de respirer.

— Aucun garn ne rôde dans les environs… dit Shar. S’il te plaît, laisse-moi seule avec Kahlan. Mon heure a sonné.

— Adieu, Shar. Te rencontrer fut un honneur.

Richard sortit sans un regard en arrière.

 

Quand il fut parti, Shar vint léviter devant Kahlan et adressa à elle selon le protocole requis.

— Mère Inquisitrice, il ne me reste plus beaucoup de temps. Pourquoi ne lui as-tu pas révélé qui tu es ?

Les épaules voûtées et les mains sur son giron, Kahlan ne détourna pas son regard du feu.

— Shar, je ne pouvais pas. C’est trop tôt…

— Inquisitrice Kahlan, ce n’est pas loyal. Richard Cypher est ton ami.

— Ne comprends-tu pas ? cria Kahlan, en larmes. C’est pour ça que je ne peux pas lui dire ! S’il savait la vérité, il me retirerait son amitié et se détournerait de moi. Tous les gens ont peur des Inquisitrices ! Mais lui, il me regarde dans les yeux… Personne d’autre n’en a le courage ! Et nul être vivant ne lit en moi comme lui ! Ses yeux me rassurent. Être à ses côtés fait sourire mon cœur…

— Et si quelqu’un d’autre lui révèle la vérité avant toi ? Ce serait pire…

Kahlan regarda la flamme-nuit, les yeux pleins de larmes.

— Je lui dirai tout avant que ça n’arrive.

— Inquisitrice Kahlan, tu joues avec le feu. S’il tombe amoureux de toi, tes révélations lui briseront le cœur.

— Non, ça ne se passera pas comme ça !

— Tu le choisiras ?

— Jamais ! cria Kahlan, horrifiée.

Shar recula, comme effrayée, puis revînt flotter devant le visage de la jeune femme.

— Inquisitrice Kahlan. tu es la dernière de tes semblables. Darken Rahl a tué toutes les autres. Même ta sœur Dennee. La Mère Inquisitrice doit se choisir un compagnon !

— Je ne ferai pas ça à un homme que j’apprécie. Aucune Inquisitrice ne s’abaisserait à cela !

— Désolée, Mère Inquisitrice, mais tu devras choisir…

Kahlan releva les jambes, les entoura de ses bras et posa la tête sur ses genoux. Les épaules secouées de sanglots, elle s’abandonna à son chagrin, ses cheveux ondulant autour de son visage. Pour la réconforter, Shar décrivit des cercles autour de sa tête et l’inonda de colonnes de lumière argentée.

Elle continua jusqu’à ce que Kahlan cesse de pleurer, puis s’immobilisa de nouveau devant son visage.

— Il n’est pas facile d’être une Mère Inquisitrice… Désolée, Kahlan.

— Pas facile… répéta la jeune femme.

— Oui. Un grand poids pèse sur tes épaules.

— Un grand poids, oui…

Shar se posa sur le bras de son amie et ne bougea plus, la laissant contempler en paix la lente agonie du feu de camp.

Puis elle s’envola et reprit sa position devant les yeux de Kahlan.

— J’aurais aimé rester plus longtemps avec toi… Et avec Richard Cypher. Il pose de très bonnes questions. Mais je n’ai plus la force de tenir. Pardonne-moi de devoir mourir…

— Shar, je jure de me sacrifier, s’il le faut, afin d’arrêter Darken Rahl. Oui, pour sauver ton peuple et tous les autres !

— J’ai confiance en toi, Inquisitrice Kahlan. Aide Richard (Shar approcha encore.) S’il te plaît, avant que je meure, veux-tu me toucher ?

Kahlan recula jusqu’à ce que son dos heurte le tronc de l’arbre.

— Non… Je t’en supplie, ne me demande pas ça !

L’Inquisitrice plaqua ses doigts tremblants sur sa bouche pour étouffer ses sanglots.

Shar avança encore.

— Je t’en prie, Mère Inquisitrice ! Si loin des miens, je souffre tant de la solitude. Et je ne les reverrai jamais ! Cela fait si mal. La vie me quitte, Inquisitrice Kahlan. Par pitié, utilise ton pouvoir ! Touche-moi et adoucis mon agonie. Permets-moi de mourir emportée par une rivière d’amour. J’ai sacrifié ma vie pour toi sans rien te demander. Alors, s’il te plaît, à présent que je m’en vais…

Shar n’émettait plus qu’une lueur diffuse qui diminuait à chaque seconde. En larmes, Kahlan garda sa main gauche sur sa bouche. Mais elle tendit la droite et le bout de ses doigts entra en contact avec la flamme-nuit.

Il y eut comme un coup de tonnerre silencieux. L’onde de choc fit vibrer le refuge. Des aiguilles mortes tombèrent en pluie. Certaines s’embrasèrent dès qu’elles touchèrent les flammes du feu de camp.

La lumière de Shar passa de l’argenté au rose et devint presque aveuglante.

— Merci, Kahlan, souffla la flamme-nuit. Et adieu, ma tant aimée…

L’étincelle de lumière et de vie s’éteignit à tout jamais.

 

Après le coup de tonnerre silencieux, Richard attendit un peu avant de retourner dans leur refuge. Il trouva Kahlan assise devant le feu, les bras autour de ses jambes et la tête sur ses genoux.

— Shar ? demanda-t-il.

— Elle est partie, répondit Kahlan d’une voix lointaine.

Sans un mot, Richard la prit par le bras, la tira jusqu’au matelas d’herbes sèches et la força à s’allonger. Elle se laissa faire sans résister.

Il posa la couverture sur elle et mit une couche d’herbes dessus pour l’isoler de l’air plus frais de la nuit. Enfin, il se glissa dans ce lit de fortune.

Kahlan se tourna sur le côté et plaqua ses épaules contre lui, comme un enfant qui se blottit près de ses parents quand le danger approche.

Le jeune homme le sentait aussi. Une menace mortelle fondait sur eux.

Kahlan s’endormit comme une masse. Richard s’étonna de ne pas avoir froid. Pourtant, il aurait dû…

Sa main le faisait atrocement souffrir.

Il resta étendu les yeux ouverts et pensa à l’étrange roulement de tonnerre silencieux. Kahlan était puissante… Que ferait-elle pour contraindre le grand sorcier à lui obéir ?

Cette question et ses implications le terrifièrent. Par bonheur, il s’endormit assez vite pour ne pas se torturer davantage…

La première Leçon du Sorcier -Tome 1
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