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Anakin sentait que son corps meurtri avait besoin de marquer une pause, d’une transe curative, d’un moyen d’échapper à toute cette horreur. Mais ce n’était pas possible. Surtout avec Nom Anor et ses soldats engagés dans le passage à leurs trousses. Les Yuuzhan Vong restaient à distance en arrière, suffisamment éloignés pour que même les Barabel ne puissent détecter le bruit de leurs pas. Mais Anakin pouvait toujours sentir la présence de l’ennemi par son cristal lambent. Une aura froide de colère et de malice qui obligeait le commando à aller de l’avant, une aura toujours pressante, toujours menaçante.
Les Yuuzhan Vong avaient maintenu l’écart constant depuis qu’ils avaient quitté la cité des esclaves, harcelant les Jedi à chaque fois que ceux-ci commençaient à ralentir l’allure, les attaquant à grand renfort de scarabées volants et les obligeant à se servir de leurs armes à feu. Même si les assauts se faisaient de plus en plus fréquents, Nom Anor ne semblait pourtant pas vouloir changer de tactique. Il voulait pousser le commando dans ses derniers retranchements, il souhaitait apparemment l’user jusqu’à la corde, dans l’espoir de capturer ses proies vivantes.
Anakin avait donné à l’espion borgne toutes les raisons de ne pas vouloir changer son fusil d’épaule. Il avait certes évité le piège dressé à bord du TB-TT, mais n’en était que plus lourdement tombé dans l’embuscade tendue dans le quartier des esclaves. Il s’était jeté dans la bataille comme un rat du désert assoiffé se serait précipité sur une ferme de culture d’humidité. Perturbé par la détresse des habitants de la ville, il avait laissé les imposteurs envoyés par Nom Anor s’approcher suffisamment du commando. A présent, Eryl et Jovan Drark étaient morts. Anakin aurait dû se souvenir que Nom Anor nourrissait une certaine prédilection pour le subterfuge. Il aurait dû prévoir une attaque de ce type. Il aurait dû tenir ses Jedi à l’écart de la foule. Il aurait dû être plus prudent. Il… Jaina lui administra une claque derrière l’oreille.
– Arrête !
– Que j’arrête quoi ? demanda Anakin en se frottant l’oreille. (Sa concentration lui échappa quelque peu et la douleur de sa blessure se rappela à son bon souvenir, envoyant une décharge brûlante à travers tout son corps.) En tout cas, merci de te soucier de ma santé…
– Tu ferais bien de t’en soucier toi-même, dit Jaina. (Une mince ligne s’étirait en diagonale sur son front, là où Tekli avait pansé sa blessure avec de la synthéchair.) Tu as fait preuve d’inconscience, Anakin, et tu en paies le prix. Mais ce n’est pas le propos. Il faut que tu arrêtes de t’en vouloir.
Le bruissement lointain des pas des Yuuzhan Vong retentit dans le passage. Anakin s’efforça de ne pas se laisser déconcentrer.
– Et à qui devrais-je en vouloir ? demanda-t-il.
– Mais à cette guerre ! répondit Jaina. Tu crois qu’Oncle Luke nous a envoyés jusqu’ici pour de bêtes manœuvres d’entraînement ? Cette mission est très importante. Quand les gens meurent, c’est pour de bon.
– C’est un peu rude comme façon de voir les choses…
– Oui, eh bien je pleurerai quand nous serons rentrés chez nous. (Jaina risqua un coup d’œil par-dessus son épaule.) Peut-être que tu as commis une erreur. Peut-être pas. Mais il serait temps que tu te concentres sur la mission, sinon d’autres personnes y laisseront la vie.
Jaina regarda à nouveau derrière elle. Les pas des Yuuzhan Vong se firent plus pressants. Le commando se mit à courir. Ils passèrent devant l’un des tunnels, dont l’ouverture leur arrivait à peu près à hauteur de la taille, et qui descendait vers le quartier où rôdaient les voxyns « sauvages ». Selon Lomi et Welk, les fauves en question étaient des créatures qui avaient simplement échappé à leurs dresseurs. A terme, ces animaux finissaient par rejoindre les sous-sols de la cité des esclaves. C’était pour eux un moyen efficace de s’approvisionner en proies faciles et les cavernes leur fournissaient de bons abris. Avec son tracé irrégulier, ses parois brûlées par l’acide et la puanteur de décomposition qui s’en élevait, le tunnel semblait avoir été creusé par les monstres eux-mêmes. Tous les membres du commando, à l’exception des Barabel, enfilèrent leurs masques respirateurs.
Anakin conserva le sien pendant un bon moment avant de se décider à l’enlever. Certes, l’air fourni par l’appareil était plus frais, mais le jeune homme découvrit que respirer devenait de plus en plus difficile. Il se sentit alors fiévreux et se rendit compte que la douleur causée par sa blessure à l’abdomen était en train d’avoir raison de sa résistance, qu’elle rongeait même les dernières défenses qu’il était parvenu à puiser dans la Force. Quelque chose clochait vraiment.
Tout en courant, il parvint à se vider l’esprit et à s’ouvrir totalement à la Force. Anakin ne possédait aucun réel don de soigneur, mais il connaissait suffisamment son propre corps pour remonter jusqu’à l’origine de la douleur. Il découvrit que quelque chose venait de lâcher. Il passa sa main sous son harnais d’équipement et sentit que son pansement était humide. Lorsqu’il retira sa main, sa paume était couverte de sang.
– Anakin ! hurla Tahiri qui, comme toujours, avançait à ses côtés. Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Rien, rien.
Anakin se concentra sur la déchirure interne, essayant d’invoquer la Force pour la colmater. Mais il était trop faible pour se concentrer correctement. Il tituba et manqua de s’écrouler. Heureusement, Tahiri invoqua promptement la Force et parvint à le maintenir en lévitation.
– A l’aide ! cria-t-elle.
Le commando ralentit l’allure. Jaina et quelques autres accoururent en dépit des protestations d’Anakin, qui clamait que tout allait bien.
– Tu parles ! rétorqua Tahiri. Tu ne vas pas bien. Pas bien du tout, même.
Les bruits de pas des Yuuzhan Vong se transformèrent en véritable martèlement. Tekli surgit en rampant entre Ganner et Raynar, eux-mêmes chargés de transporter le cadavre d’Eryl.
– Maintenez-le en lévitation ! ordonna Jaina. (Elle aida Tekli à se relever et installa la Chadra-Fan à califourchon sur les jambes de son frère. Puis elle saisit l’un des poignets d’Anakin et reprit sa progression dans le passage.) En route, tout le monde !
Anakin essaya de dire qu’il n’avait pas besoin qu’on l’aide, mais ne parvint qu’à émettre un râle inintelligible. L’un des Barabel déposa une mine fléchette sur le sol afin de retarder l’avancée des Yuuzhan Vong et le commando se remit à courir. Tekli commença par ôter les pansements d’Anakin. Son poids était à peine notable sur les jambes du jeune homme maintenues par la Force. La Chadra-Fan jeta la gaze de Bacta imbibée de sang et plaça ses mains sur la blessure. La Force afflua dans le corps d’Anakin, mais il sentit clairement que sa résistance état en train de l’abandonner.
– Nous devons nous arrêter, dit Tekli.
– Non. (La voix d’Anakin n’était plus qu’un murmure à peine audible.) On ne peut pas…
Tekli l’ignora.
– Il a une hémorragie interne. Il faut que je l’ausculte pour voir ce qui se passe.
– Combien de temps ça va prendre ? demanda Jaina.
– Ça dépendra de ce que je trouverai, répondit Tekli. Quinze minutes, peut-être le double…
Les pas des Yuuzhan Vong se rapprochèrent et le tiraillement caractéristique d’un voxyn affamé, prêt à fondre sur ses proies, se produisit dans la Force. Cette créature n’avait rien à voir avec les animaux sauvages qui rôdaient en liberté dans les parages et qui s’étaient attaqués aux Jedi jusqu’à présent. Non. Il s’agissait d’un animal bien entraîné, tenu en laisse par un dresseur expérimenté. Le commando en avait déjà tué trois et, si la meute était « normalement constituée », il ne devait en rester qu’un.
Alema regarda dans la direction de la menace en approche dans le tunnel, puis se tourna vers Jaina.
– Je peux nous faire gagner une quinzaine de minutes, dit-elle d’une voix étrangement distante. Mais j’ai besoin d’une demi-douzaine de grenades à fragmentation.
Dans le lointain, Anakin entendit Ganner déclarer « C’est bon, fais-le ». Il le vit lancer quelque chose à la Twi’lek. Celle-ci fit un signe aux trois Barabel. Les quatre volontaires s’élancèrent dans le passage, prenant de l’avance sur le commando.
Anakin se sentit délirer. Il perdit totalement le contact avec les autres dans la Force. Il perçut cependant la présence de Tahiri à ses côtés, il l’entendit lui dire que tout allait bien. Il la crut, mais ne parvint pas à rassembler suffisamment d’énergie pour formuler ses pensées à haute voix. Il se contenta donc de serrer sa main.
Un laps de temps, probablement très court, s’écoula. Anakin entendit le bourdonnement d’un sabre laser résonner dans le tunnel. Le groupe dépassa Tesar et le jeune homme aperçut Alema assise sur ses épaules, perçant un trou dans le plafond à l’aide de sa lame argentée. Derrière elle, Bêla était juchée sur les épaules de sa sœur, se servant du long blaster de Jovan Drark pour tasser un tampon de chiffons au fond d’un trou semblable à celui qu’était en train de forer la Twi’lek.
Alema prit une grenade que lui tendait Tesar et la poussa au fond de la cavité qu’elle venait de creuser. C’est alors que Tahiri fit pivoter le corps d’Anakin dans un coude du tunnel et le jeune homme perdit de vue ce qui était en train de se passer. Il entendit – clairement – l’un des Barabel gronder « six secondes » et il sentit que Tekli était en train de stabiliser sa blessure, voire de lui redonner de l’énergie.
Quelques instants plus tard, Alema et les Barabel dépassèrent en courant le coin du tunnel, juste derrière le reste du commando. C’est alors qu’Anakin entendit un bourdonnement beaucoup trop familier retentir dans le passage. Deux scarabées paralysants s’écrasèrent contre le dos d’Alema. Ils manquèrent de perforer sa combinaison de protection et la firent basculer. Tesar, tout en courant, l’intercepta en pleine chute, la prit dans ses bras et continua dans le tunnel sans ralentir son allure.
Un instant plus tard, une onde de choc fit tressaillir Anakin. Ses protections auditives se scellèrent instantanément contre le fracas du corail yorik en train de s’écrouler. De la poussière envahit bientôt le tunnel et le nuage dépassa le commando. Tekli reposa le masque respirateur d’Anakin sur le visage du jeune homme.
Les Jedi coururent encore sur quelques mètres avant de s’arrêter. Tekli fit déposer doucement Anakin sur le sol avant de tendre un tube de sels à Jaina afin qu’elle aille ranimer Alema. Puis la Chadra-Fan enfourna ses petites mains dans la blessure d’Anakin et remonta à l’intérieur de sa cage thoracique. Il essaya de ne pas crier, mais n’y parvint pas. Tekli continua son travail, donnant des instructions à mi-voix à Tahiri. Anakin osa baisser les yeux et vit que les petits bras de la Chadra-Fan étaient enfouis jusqu’aux coudes dans sa plaie. Un voile noir commença à lui obscurcir la vision et il détourna les yeux afin de ne plus regarder.
Le tonnerre d’un important échange de feu laser se répercuta contre les parois du tunnel. Anakin essaya de relever à nouveau la tête, mais son frère l’obligea à la reposer.
– Ne t’inquiète pas, dit Jacen. Tout le monde est bien à l’abri.
– Alema ? Blessée ? parvint à bredouiller Anakin.
– Non. Seulement furieuse. (Jacen fit un signe dans la direction de la zone de combat.) Elle est déjà en train de dégommer du Yuuzhan Vong. Et elle semble bien s’éclater.
– C’est une bonne raison, répondit Anakin. Après que…
– T’emballe pas ! l’interrompit Jacen en levant les mains devant lui. Je ne veux émettre aucun jugement.
Anakin tressaillit, sentant une aiguille bien effilée transpercer quelque chose dans ses entrailles. Il adressa à son frère un semblant de regard dubitatif plutôt forcé.
– Non, vraiment, je t’assure, dit Jacen.
L’intensité des tirs redoubla dans le tunnel, là où les parois s’étaient effondrées. C’est alors que Lowbacca annonça en grondant qu’un voxyn venait d’être abattu.
Jacen tourna les yeux en direction du grondement joyeux poussé par le Wookiee.
– Est-ce que je me fais du souci à propos de ce qui nous arrive ? reprit-il. Oui, sûrement. Cette guerre ne fait qu’amplifier le caractère égoïste et malfaisant qui anime la Nouvelle République, elle corrompt la galaxie, étoile après étoile. Ce conflit risque d’attirer les Jedi un à un vers le Côté Obscur, les obligeant à se battre pour gagner et non pour se protéger. Mais je ne peux pas attirer plus de monde à ma suite. Chacun doit choisir la voie qu’il juge la meilleure pour lui-même. J’ai au moins appris ça à Centerpoint.
– Moi, ça m’a plutôt bluffé.
– Ouais, je me suis surtout fait des illusions, répondit Jacen. Je croyais être le seul susceptible de faire la différence entre le bien et le mal. J’ai compris que ce n’était pas vrai. En fait, c’est Tenel Ka qui me l’a fait remarquer, après tout ce que j’ai pu dire à bord de la Mort Exquise. Depuis, j’ai essayé d’obtenir ton pardon.
– Ah oui ? (Anakin fit la grimace, lorsque les mains de Tekli frôlèrent un organe qui n’aimait pas beaucoup être tripoté de la sorte.) J’avais pas remarqué !
– Je m’en doutais un peu, répondit Jacen, adressant à son frère le légendaire sourire en coin des Solo.
Le sifflement continu des blasters s’interrompit, cédant la place au bourdonnement des sabres laser. Anakin releva la tête. Au sommet de la pile de gravats, une ligne de lames colorées s’étaient mises à danser dans les ténèbres.
– Il faut partir ! dit-il, en se relevant sur ses coudes. Hors de question de laisser quelqu’un d’autre mourir !
– C’est toi qui mourras si tu ne me laisses pas terminer ! aboya Tekli. (Elle hocha la tête vers Tahiri qui, prestement, obligea Anakin à s’allonger de nouveau.) Encore quelques secondes de patience.
Anakin osa baisser les yeux et vit que la Chadra-Fan était en train de cautériser l’intérieur de sa blessure. Il fut presque inquiet de découvrir qu’il ne sentait plus ses mains en train de fouiller dans ses entrailles.
– Tu m’as anesthésié ? demanda-t-il.
– Pour t’aider à encaisser la douleur. (Tekli s’empara d’une paire de tampons de gaze de Bacta que lui tendait Tahiri et les pressa dans la plaie.) Mais je ne peux pas faire grand-chose de plus. Il te faut une bonne transe curative.
– Dès qu’on aura fini, dit Anakin en hochant la tête.
Tekli releva la tête. Son nez aplati se fronça.
– Avant cela, dit-elle. Bien avant cela.
– Avant ? répéta Tahiri. (Elle tourna la tête vers le combat qui se déroulait au sommet de l’éboulement.) Mais une transe curative peut prendre des heures, des jours, même !
Tekli l’ignora, continuant de s’adresser à Anakin :
– Tu as la rate perforée. (Elle baissa de nouveau les yeux sur son travail, refermant les bords de la plaie au moyen de sutures – et non de synthéchair – au cas où elle aurait besoin à nouveau de l’ouvrir.) J’ai colmaté le trou, mais ta rate continuera de suppurer tant que tu ne te décideras pas à rentrer en transe pour te soigner une bonne fois pour toutes.
– Et comment peut-il y arriver ? demanda Tahiri. On ne peut pas s’arrêter, pas avec les Yuuzhan Vong si près !
Un silence gêné tomba. La situation était des plus claires. Jacen serra les dents pour empêcher ses lèvres de trembler. Il projeta les ondes de la Force sur Anakin pour le rassurer. Tahiri saisit Tekli par le bras afin de l’obliger à se redresser.
– Fais quelque chose ! Invoque la Force !
– C’est déjà fait, dit la Chadra-Fan, posant une main réconfortante sur celle de la jeune fille.
– Pour l’instant, il faut faire avec ce qu’on a, dit Jacen, attirant Tahiri à lui. Peut-être que nous trouverons un moyen de gagner du temps.
– Pas en restant ici, en tout cas, dit Anakin. (Il se sentait plus coupable qu’effrayé. C’était sa blessure qui mettait la mission, et la vie de ses compagnons, en péril. Il se redressa sur les coudes et parvint à s’asseoir, grimaçant en constatant que l’anesthésie au Bacta pratiquée par Tekli n’était peut-être pas aussi efficace qu’il l’espérait. Il s’empara de son comlink.) Vous tous, préparez-vous à battre en retraite. Essayez de nous faire gagner un peu d’avance.
Tout en se battant, Tenel Ka se servit de la Force pour décrocher une grenade à fragmentation de son propre harnais d’équipement. Dans le même mouvement, elle en activa le détonateur et la projeta en direction de ses adversaires. Deux secondes plus tard, l’engin explosa dans un éclair aveuglant et le fracas de la bataille fut soudainement étouffé par le grondement d’un plafond en train de s’écrouler.
– Lowbacca, Ganner, Alema, Lomi, Raynar, vous d’abord ! commanda Anakin.
Les cinq Jedi firent un bond en arrière du haut du tas de gravats, exécutèrent un saut périlleux dans les airs et retombèrent en douceur hors de portée de leurs ennemis. Anakin ordonna à Alema, Lomi et Ganner de couvrir la retraite des autres. Puis il ordonna à Lowbacca et à Raynar de s’occuper des corps de Jovan et d’Eryl.
– Je veux bien, mais où sont-ils ? demanda Raynar. Le corps d’Eryl n’est plus là ! Celui de Jovan non plus !
– Quoi ? (Anakin regarda en arrière et vit que Lowbacca et Raynar se tenaient devant deux flaques de sang.) Ils ont disparu ?
– Maître Lowbacca souhaiterait savoir si les voxyns auraient pu les enlever. (A cette traduction relativement exacte, M-TD ajouta sa propre opinion :) Mais je dois avouer que cela me paraît impossible. Surtout comme ça, sous notre nez.
Anakin se tourna vers Jacen, qui avait déjà fermé les yeux afin de percevoir le tiraillement affamé des voxyns dans la Force.
– Il y en a quatre. Non, cinq. Ils sont dans le passage devant nous. Ils ont l’air… excités.
– Excités ? demanda Alema, tournant la tête dans la direction indiquée par Jacen. Excités comment ?
Le vacarme qui retentissait au sommet de l’éboulement vira à la cacophonie. Anakin releva la tête et découvrit que des silhouettes Yuuzhan Vong avaient fait leur apparition au beau milieu de ses camarades.
– Plus tard, Alema, dit-il. Protège le groupe. (Il empoigna son comlink.) A vous tous : en arrière, et vite !
Les derniers Jedi cessèrent le combat et abandonnèrent leurs postes sur les gravats. Anakin agrippa le bras de son frère afin de se remettre sur ses pieds. Et s’écroula immédiatement. C’était comme si un javelot venait de lui transpercer le cœur. Il cria si fort que sa voix sembla lui revenir en écho, comme amplifiée au moins douze fois. Jacen et Tahiri se précipitèrent pour le retenir sous les aisselles. Traînant Anakin derrière eux, ils parcoururent ainsi une dizaine de mètres avant de réussir à soulever son corps en lévitation.
Les scarabées commencèrent à fuser depuis le haut de l’éboulement, déclenchant des jurons de colère au fur et à mesure qu’ils s’écrasaient contre les combinaisons blindées des membres du commando. Quelqu’un activa une télécommande, faisant ainsi exploser les mines installées de l’autre côté des éboulis. Le vol des scarabées cessa aussi soudainement qu’il avait commencé. Anakin jeta un coup d’œil et vit les microbombes se répandre sur les Yuuzhan Vong et les parois de corail yorik, s’enfonçant de plusieurs millimètres dans les chairs et dans les armures de crabe vonduun avant d’exploser à nouveau. Les Vong disparurent dans un nuage de fumée de détonite et des gerbes de sang.
L’angoisse qui serrait la poitrine d’Anakin disparut, cédant la place rapidement à une autre émotion. Une émotion différente – perçue dans le lien psychique –, plus triste, plus pesante, qui ne pouvait être décrite que comme du profond chagrin. Il fit pivoter ses jambes, échappant ainsi aux ondes de lévitation produites par Tahiri, et se mit à courir avec les autres. Le corps puissant d’une des Barabel flottait dans les airs, remorqué par ses compagnons de portée. Un bâton Amphi était fiché entre ses omoplates.
– Bêla ! (Anakin se tourna à demi vers son frère.) Est-ce qu’elle est…
Il comprit qu’il était inutile de terminer la question. Il sentait bien qu’elle était morte et devina que le bâton Amphi planté dans son dos était la cause de la douleur mentale qui l’avait fait défaillir quelques instants auparavant. Il avait laissé un autre de ses Jedi mourir. Pire encore, il ne s’était même pas aperçu de sa disparition. Encore une fois, il avait trahi sa propre équipe.
La voix étouffée de Nom Anor cria un ordre de l’autre côté de la pile de gravats. Des bruits de pas précipités commencèrent à résonner dans le tunnel. Les guerriers devaient à présent être en train d’enjamber les corps de leurs camarades.
Jacen prit le bras d’Anakin.
– Laisse au moins Tahiri te soulever…
– Non, dit Anakin en se dégageant. Ça suffit. C’est à cause de ma blessure. J’ai retardé tout le monde.
Lowbacca fit exploser une deuxième série de mines et, encore une fois, le vacarme cessa sur les éboulis. Le commando passa un coude. Ils étaient à présent hors de vue de leurs poursuivants et disposaient d’une avance non négligeable. Anakin dut faire appel à toutes les ressources de la Force pour maintenir le rythme de la course. Il se sentait faiblir. Il devina, aux regards anxieux que lui lançaient ses amis, que les membres de l’équipe se rendaient compte de son état. Mais il ne laisserait pas Tahiri s’épuiser à sa place. Plus la peine. Plus un seul Jedi, même un Jedi Noir, ne trouverait la mort par sa faute.
Il ne s’écoula guère plus d’une minute avant qu’Anakin ne perçoive à nouveau la présence des Yuuzhan Vong. Ils étaient en train de gagner du terrain. Plus aucun piège, plus aucune embuscade ne pouvait à présent les retarder. Les hommes de Nom Anor avançaient inexorablement, repoussant les Jedi devant eux, se servant des cadavres de leurs congénères comme de boucliers pour épuiser les munitions du commando, obligeant les membres de celui-ci à gaspiller les cellules énergétiques de leurs armes contre des colonnes de guerriers de plus en plus nombreuses.
Une puanteur acre emplit soudain le passage. Tous les membres de l’équipe, à part Tesar et Krasov, enfilèrent leurs respirateurs. Ils tournèrent à un angle du tunnel et virent la chevelure rousse d’Eryl disparaître dans un trou de la paroi s’ouvrant sur leur droite. Raynar fonça jusqu’à l’embouchure et tomba à genoux, criant au voxyn de relâcher le corps de la jeune femme, commençant à ramper dans la cavité creusée à l’acide.
Anakin projeta une onde de la Force pour le ramener dans le tunnel principal.
– Hé ! cria Raynar, agitant ses bras tout en flottant à quelques centimètres du sol.
Un son grave d’éructation retentit au fond du trou et un jet de mucus, gluant et acide, surgit par l’ouverture. Raynar arrêta de se débattre.
– Heu… Merci… (Il se tourna vers Anakin.) Tu peux me reposer, maintenant. Je n’ai pas l’intention d’y retourner.
– A ta place, je n’en serais pas si sûre. (Alema avança jusqu’à l’embouchure, s’accroupit et, avec la plus grande prudence, regarda à l’intérieur.) Je pense que c’est exactement le chemin qu’il nous faut emprunter.
– Elle a pété les plombs ! s’exclama Welk.
– Les Twi’lek ne pètent pas les plombs, répondit sèchement Alema.
Le bruit, d’abord distant, des pas Yuuzhan Vong commença à croître dans le tunnel.
Alema tendit la paume de sa main devant l’entrée de la cavité, puis la retira et inspecta le tunnel dans lequel ils se trouvaient.
– Est-ce que vous avez remarqué que nous sommes en train de contourner quelque chose ?
Les autres secouèrent la tête.
– Il va falloir qu’on se fie à ton instinct à ce sujet, dit Anakin. (En tant que Twi’lek, Alema possédait un sens de l’orientation indubitablement plus affiné que celui des autres membres du groupe. Son espèce avait l’habitude de vivre au sein d’un vaste réseau de villes souterraines, sur l’inhospitalière planète Ryloth.) Qu’est-ce que tu as découvert ?
– Il y a de l’air qui passe par ici. (Le regard étincelant, elle prit la main d’Anakin et la maintint dans le courant d’air ténu. La brise transportait l’odeur pestilentielle des voxyns jusqu’au tunnel principal.) J’ai l’impression qu’il provient d’un endroit assez vaste. Ça pourrait bien être un raccourci.
– Peut-être, dit Jacen. Mais c’est un raccourci que nous allons éviter. Je crois que les voxyns cherchent à protéger quelque chose qui se trouve là, en bas. Et depuis tout à l’heure, je m’évertue à les convaincre qu’ils ne doivent pas quitter leurs postes.
Le grondement des pas s’amplifiait à l’autre bout du passage. Tous se tournèrent simultanément en direction de leurs ennemis, qu’ils ne pouvaient pas encore voir.
– Eh bien, c’est simple, dit Ganner. Tu n’as qu’à les convaincre de détaler. (Il se tourna vers Anakin.) Faut qu’on prenne une décision, là, non ?
Avant même de demander à son frère si ce que suggérait Ganner était réalisable, Anakin vit Jacen secouer imperceptiblement la tête. Il se tourna donc vers Lomi.
– Qu’est-ce qu’il y a, là, en bas ?
La Jedi Noire haussa les épaules.
– Des voxyns, ça j’en suis certaine. Mais la gamine avec ses serpents sur la tête a peut-être raison. Ça pourrait bien être un raccourci. Il y a des tas de tunnels comme celui-ci près du portail.
– Un portail ? (Anakin tressaillit. Faudrait-il affronter un autre régiment de soldats en plus de la section lancée par Nom Anor à leurs trousses ?) Un portail gardé ?
– Ça me paraît évident, dit Lomi en hochant la tête.
Anakin eut la nausée. Il n’y avait plus d’issue. Plus moyen de s’échapper. Les pas se rapprochaient.
– Anakin ? fit Ganner.
– On n’a plus le choix, dit Jaina, se glissant entre son frère et Ganner. On a besoin de temps pour que tu pratiques ta transe curative.
– Les chances de gagner du temps me paraissent bien compromises dans une caverne pleine de voxyns, dit Tenel Ka. Pour ne pas dire réduites à zéro.
Anakin lança un regard chargé de culpabilité en direction de Bêla. Il savait bien ce qu’il avait à faire, mais il avait commis beaucoup d’erreurs au cours de cette mission et, à chaque fois, quelqu’un était mort. Il lui fallait à présent prendre une décision. Et quelle que soit cette décision, d’autres Jedi mourraient. Peut-être même que tous mourraient.
– Jeune Solo ? demanda Lomi. Nous attendons…
Anakin se tourna vers Jacen.
– Qu’est-ce que…
– Je te remercie de me demander mon avis, l’interrompit Jacen, ne cherchant pas vraiment à cacher sa surprise. (Il décrocha un détonateur thermique de son harnais d’équipement et tomba à quatre pattes devant l’entrée du tunnel nauséabond.) Tu sais très bien ce que nous avons à faire. Nous savons tous très bien ce que nous avons à faire.