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Le villip se transforma enfin, prenant l’apparence du visage scarifié du Maître de Guerre. Dur, les traits anguleux, avec des yeux pensifs et une bouche bien ourlée, c’était un visage que Viqi Shesh aurait pu autrefois trouver séduisant. Aujourd’hui, bardé de cicatrices de dévotion et tuméfié selon les rites, elle ne le trouvait guère plus qu’intéressant. Comment se faisait-il alors que son estomac se retournait à chaque fois qu’elle le voyait ? Comment se faisait-il qu’elle ait éprouvé une sensation de malaise devant le délai qu’avait mis le villip pour lui répondre ? Cela devait venir de son pouvoir. Elle était irrémédiablement attirée par les hommes puissants. Enfin, par les mâles puissants. Elle n’était pas très fière de cette faiblesse. Sur Kuat, où les femmes de son statut faisaient l’acquisition de serviteurs telbun dans le but d’en faire leurs compagnons, on considérait même cela comme de la perversion. Mais c’était un fait, un secret dont elle avait honte. Pendant quelque temps – très peu, d’ailleurs – elle avait presque éprouvé de l’attirance pour cette boule de fourrure qu’était Borsk.
– Viqi, vous avez quelque chose à m’annoncer ? demanda Tsavong Lah.
– Oui. (Elle appréciait qu’il l’appelle par son prénom. Cela traduisait une certaine marque d’intimité qu’il ne partageait pas avec la plupart de ses congénères.) La session a été des plus surprenantes.
– Nom Anor prétend qu’elle a été couronnée de succès.
– Alors, Nom Anor a dû voir des choses que je n’ai pas vues, répondit-elle. Il a apparemment mal compris la situation dès le départ. Son arrogance a obligé Borsk à exprimer son soutien aux Jedi.
– Tiens donc ? (Le Maître de Guerre n’eut pas l’air surpris.) Il m’a pourtant assuré qu’il avait bien agi.
– J’ai passé toute la journée à essayer de sauver les meubles.
– Vraiment ? (Cette fois, Tsavong Lah eut l’air surpris, probablement parce qu’il n’était pas habitué à ce que des subordonnés fassent preuve d’autant d’initiative.) Qu’avez-vous donc fait ?
– Le Sénat est divisé assez distinctement au niveau des frontières du Noyau, expliqua-t-elle. Ceux qui se trouvent à l’intérieur – curieusement, ceux qui se trouvent en travers de votre route d’invasion – tiennent à se retourner contre les Jedi. Les autres leur apportent leur soutien.
– Il fallait s’y attendre, dit Tsavong Lah d’un ton impatient.
Voyant que le Maître de Guerre n’avait pas réellement saisi la signification de ses propos, Viqi employa alors un ton confiant.
– Les Mondes du Noyau disposent de toutes les ressources utilisées par la Nouvelle République. Et ceux qui tiennent les cordons de la bourse sont ceux qui contrôlent le gouvernement.
– Et ?
– J’ai donc passé toute la matinée à m’entretenir avec des sénateurs du Noyau. Nous ne pouvons pas encore prétendre remporter un scrutin qui engendrerait la destitution de Borsk, mais, s’il arrivait quelque chose de fâcheux à ce dernier, il y a fort à parier que le nouveau chef de l’Etat serait certainement moins bien disposé à l’égard des Jedi.
Tsavong Lah écarquilla les yeux.
– Vous pensez à un assassinat ?
Viqi fut surprise de sentir un frisson lui courir le long de la colonne vertébrale. Le meurtre était une bien horrible façon d’exprimer les choses, mais les Yuuzhan Vong n’avaient pas leur pareil pour exprimer l’horreur.
– Nom Anor était tout près de lui aujourd’hui. Il pourrait le faire.
– Nom Anor ? répéta Tsavong Lah. Dites-moi, Viqi, ne seriez-vous pas élue chef de l’Etat s’il arrivait quelque chose à Borsk Fey’lya ?
Viqi sourit, confiante.
– C’est mon objectif, effectivement.
Le Maître de Guerre lui adressa un regard noir.
– Alors, faites-le, Viqi.
Son sourire s’évanouit.
– Moi ? (Les pensées se mirent à tourbillonner dans son esprit. Elle essaya de deviner ce que recouvraient ces propos. Etait-il en train de tester son courage ? Etait-il en train de plaisanter ? Peut-être ne comprenait-il pas vraiment les ramifications possibles de sa suggestion. Oui, ce devait être ça, plutôt.) Je ne pense pas que la politique fonctionne de la même manière au sein de la Nouvelle République et chez les Yuuzhan Vong. Si j’assassine Borsk, je serai destituée de mes fonctions et envoyée en camp de redressement, pas élue chef de l’Etat.
– Seulement si vous êtes prise…
Viqi fronça les sourcils. Tsavong Lah pouvait sans aucun doute lui procurer les moyens de tuer Borsk discrètement, mais, connaissant les Yuuzhan Vong – et le Maître de Guerre en particulier –, elle eut la certitude qu’un tel acte entraînerait une quelconque mutilation sur son corps et l’obligerait à regarder le Bothan droit dans les yeux au moment de sa mort. Elle n’avait jamais eu l’occasion d’assassiner quelqu’un de ses propres mains jusqu’à présent, mais elle s’en sentait capable, considérant la récompense à la clé. Mais que se passerait-il lors de l’enquête qui suivrait ? Certes, les Yuuzhan Vong étaient de farouches guerriers, mais ils ne savaient rien des méthodes et technologies d’investigation dont disposait la Nouvelle République. Des technologies qui ne manqueraient pas d’identifier très distinctement le meurtrier de Borsk.
Viqi secoua la tête.
– Ça ne marchera pas.
– Vous refusez de m’obéir ?
– Oui… (Elle sentit ses entrailles se glacer. Elle regretta immédiatement d’avoir proposé d’assassiner le chef de l’Etat. Mais elle savait pertinemment qu’il était trop tard pour éprouver la moindre peur. Le Maître de Guerre interpréterait toute hésitation comme un geste de faiblesse et l’utiliserait comme le prédateur qu’il était. Elle avait travaillé si durement, elle avait commis tant d’actes qui la répugnaient qu’elle ne pouvait pas tout laisser tomber sur un coup de tête.) Oui, car cela ne nous apporterait rien de bon, à vous comme à moi, si je me retrouvais déportée sur une planète-prison.
Le ton de Tsavong Lah se fît un peu plus menaçant :
– Je dispose de moyens pour vous forcer à coopérer. Je suis certain que Belindi Kalenda serait très intéressée de découvrir notre association.
– Je n’en doute pas. Mais alors, vous perdriez le flot régulier d’informations provenant de la salle de commandement du CSMNR. (Pour illustrer ses propos, elle pencha la tête de côté et serra les dents. Puis elle frissonna lorsque le chilab se détacha et rampa le long de sa cloison nasale.) Et je suis certaine que le service de contre-espionnage de la Nouvelle République serait très intéressé par l’une de ces petites choses…
La larve psychique tomba de sa narine exactement au moment où elle terminait sa phrase. Un petit sourire de respect se dessina sur le visage de Tsavong Lah.
– Comme vous le souhaitez, Viqi Shesh, dit-il. Mais Nom Anor n’est pas digne d’accomplir une tâche si importante. Un chasseur de vermine, un certain Bjork Umi, vous contactera très prochainement.
– Et ?
– Donnez-lui le lieu et l’heure, dit Tsavong Lah. Et vous deviendrez chef d’Etat. Notre chef d’Etat.