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Le signal était inégal et chargé de parasites, mais suffisamment clair. La sobre voix familière du journaliste Corellien s’éleva à l’intérieur du cockpit d’Anakin :
« Viqi Shesh, sénateur de Kuat, a déclaré avec un optimisme prudent que la Nouvelle République était prête à recevoir l’émissaire… »
Anakin bascula sur un autre canal afin de s’adresser à son petit détachement :
– Dites ? Vous entendez ça ? (Le groupe s’était posé sur un astéroïde flottant en périphérie du système Froz. Ils avaient éteint leurs moteurs et surveillaient discrètement les va-et-vient du trafic. Puisque Kyp Durron avait l’habitude de venir s’approvisionner ici, l’endroit semblait parfaitement indiqué pour essayer de trouver les voxyns dont Cilghal avait besoin.) Les Yuuzhan Vong ont décidé finalement d’envoyer un ambassadeur…
– Coupe l'intercom, ordonna Jaina. (Anakin était à la tête de cette mission, mais, en tant que pilote vétéran de l’Escadron Rogue, Jaina était chargée de superviser tout l’aspect tactique. Comme Luke le leur avait expliqué avant qu’ils ne quittent la base Eclipse, Anakin décidait de ce qu’il fallait faire et Jaina de la façon de procéder.) A tous, restez passifs ! Aucune émission, même pour des conversations anodines. On ne sait pas qui pourrait être à l’écoute.
Anakin fit cliqueter son micro en guise d’approbation. La voix écœurante de Viqi Shesh se substitua à celle du journaliste :
« Je serais la dernière à pardonner à quiconque pactiserait avec ces assassins, mais je pense qu’il est grand temps que nous ayons la possibilité de nous entretenir avec eux, dit-elle. Si nous pouvons faire comprendre à nos ennemis que la Nouvelle République n’exerce aucun contrôle sur les Jedi, alors, peut-être que les Yuuzhan Vong se contenteront d’exercer leur pouvoir sur des cibles plus judicieusement choisies…
– Mais essayer de faire comprendre quoi que ce soit aux Yuuzhan Vong, est-ce que cela ne signifierait pas les aider à découvrir l’emplacement de la base secrète des Jedi ? demanda le journaliste. N’est-ce pas là la raison pour laquelle ils ont commencé par capturer des otages ?
– Je suis une sympathisante des Jedi depuis que j’ai rejoint le Sénat, mais, dans ce cas précis, je dois avouer que Luke Skywalker ne pense qu’à lui et à ses disciples. Les actes irréfléchis des Jedi ont mis en péril la vie des citoyens d’une planète tout entière. Et, maintenant, il refuse d’en assumer la responsabilité. »
– Qu’est-ce que vous dites de ça ? demanda Zekk, ignorant l’ordre de Jaina de conserver le silence radio. (Au cours de leurs jeunes années, lui et Jaina avaient été très proches, mais, lorsqu’elle avait décidé de rejoindre l’Escadron Rogue, leurs routes s’étaient séparées. Il semblait mettre un point d’honneur à essayer de l’importuner aussi souvent que possible.) Les Yuuzhan Vong menacent la vie de milliards de gens et c’est nous qui devons porter le chapeau ?
– Chasseur de Primes ? Qu’est-ce que je viens de dire ?
– Une minute ! dit Tenel Ka. (En compagnie de Lowbacca, Raynar et Ulaha Kore – qui, en plus d’être une musicienne hors pair, n’avait pas son pareil comme analyste tactique épaulée par la Force –, Tenel Ka supervisait leur plate-forme de capteurs, installée à bord d’une barge d’assaut modifiée baptisée Gros Yeux.) Nous captons un signal à l’entrée du système. Leur transpondeur les identifie comme étant le cargo Reine de Célérité.
Tenel Ka transmit les coordonnées à tous les droïdes astromécaniciens des Ailes-X avant d’ajouter :
– Un deuxième appareil vient de quitter l’hyperespace. Son cap est en train de converger vers le premier.
– Un Interdictor ennemi ? demanda Jaina.
C’était là l’une des tactiques préférées des forces d’interdiction Yuuzhan Vong. Leurs appareils demeuraient tapis dans un système qu’on leur avait au préalable assigné, puis ils fondaient sur leurs proies en réalisant de très courts sauts dans l’hyperespace.
Tenel Ka fut très rapide à confirmer la déduction de Jaina.
– Le signal ne correspond à rien sur nos capteurs. Aucune émission ionique. D’après la masse, il est de la taille d’une corvette.
– Anakin ? demanda Jaina.
– Une petite minute.
Etant, au sein du groupe, le plus apte à manipuler la Force, Anakin se concentra et projeta sa perception à la limite des concentrations de population dans le système Froz. Il ne ressentit la présence d’aucun voxyn à bord de la corvette. Il ne perçut pas non plus la présence de Yuuzhan Vong. Ce n’était guère surprenant. Grâce au cristal vivant qu’il avait dérobé dans une base ennemie sur Yavin Quatre, il était capable de discerner les Yuuzhan Vong, d’une façon différente, plus vague que celle qui permettait aux Jedi de ressentir la présence des êtres vivants. Mais sa perception à cette distance était beaucoup trop faible et il ne parvint qu’à discerner, pas très distinctement, une sorte de masse concentrée. Il fut très surpris de détecter une présence plus ordinaire, tapie sur une lune désolée et gelée en bordure du système. Une présence qui, elle-même, fut surprise de percevoir l’onde de Force projetée par le jeune homme.
– Voxyn : négatif, signala-t-il. Mais il y a quelque chose sur cette lune qui croise en orbite douze. Je n’arrive pas à voir ce que c’est. Mais ce ne sont pas des Yuuzhan Vong.
– Nous n’avons rien senti d’affamé, annonça la voix rocailleuse de l’un des apprentis Barabel de Saba Sebatyne. (Anakin avait hésité à emmener avec lui ces nouveaux venus. Luke lui avait pourtant rappelé qu’ils avaient survécu à plus de cinquante batailles spatiales, pilotant d’antiques Ailes-Y pour le compte des Chevaliers Errants. Durant le voyage vers Froz, ils s’étaient tous révélés parfaitement rompus au pilotage des nouveaux XJ3, des modèles spéciaux d’Ailes-X les plus sophistiqués qui soient, équipés de lasers à répétition programmables, de systèmes de torpilles à protons à leurres modifiés et de boucliers extrêmement résistants.) Pourtant, nous pouvons vous confirmer que la présence sur l’orbite douze est bien humaine.
Incapable de savoir si le Barabel essayait de se moquer de lui ou bien de se rendre utile, Anakin préféra choisir la seconde option.
– Heu… Merci pour le renseignement, heu… C’est Numéro Un ?
Il se produisit un sifflement syncopé qui devait correspondre à un éclat de rire.
– Non. Queue Numéro Deux !
Anakin sentit le rouge lui monter aux joues.
– Ah… Désolé.
Queue Numéro Un était le mâle, Tesar Sebatyne. Numéro Deux et Numéro Trois étaient Bêla et Krasov Hara. Elles n’étaient pas sœurs, insistaient-elles, mais compagnes de portée. Peu importait ce que cela signifiait, leur sens de l’humour faisait toujours frissonner Anakin. C’étaient elles qui avaient suggéré « Queue » comme nom de code et, pour une raison que personne ne comprenait, les Barabel semblaient trouver cela hilarant.
Raynar intervint, mettant fin à l’embarras d’Anakin :
– Pourquoi restons-nous ici à attendre ? Faisons quelque chose !
– On ne peut pas désobéir, dit Anakin. (Il était tout aussi impatient que Raynar de venger la mort de Lusa, mais Luke leur avait ordonné de se concentrer sur la mission. Sachant que Viqi Shesh et ses alliés défendaient l’idée que les Jedi devaient se rendre dans l’intérêt de tous, le moindre petit incident aurait vite fait de retourner l’intégralité du Sénat contre eux.) Et puis, la Reine de Célérité peut certainement se débrouiller sans nous. Si les Yuuzhan Vong nous voient intervenir, ils ouvriront le feu et s’enfuiront. Autant les laisser procéder à leurs petites recherches.
– Effectivement, annonça Tenel Ka. Ils viennent de se servir de leurs basals dovins pour forcer la Reine de Célérité à stopper ses machines. Un petit détachement s’approche d’elle.
Un trio de signaux lumineux, un rouge marquant l’appareil de la Nouvelle République et deux bleus indiquant des Yuuzhan Vong, apparut sur l’écran tactique d’Anakin. Il demanda à son droïde-astromécanicien, Cinq, de rassembler toutes les données techniques et ne put que confirmer ce qu’avait annoncé Tenel Ka. Même les Yuuzhan Vong ne détruisaient pas systématiquement tous les vaisseaux qu’ils croisaient sur leur route. Si un appareil ne transportait ni matériel de guerre ni Jedi, ils le laissaient partir dans l’espoir de le capturer à nouveau, sur le chemin du retour, avec une cargaison de réfugiés.
Une voix rocailleuse de Barabel, qu’Anakin attribua à Krasov, s’éleva :
– Anakin, nous sentons… Nous sentons que quelqu’un est en train de désobéir aux ordres de ton oncle-maître.
Quelques instants plus tard, un essaim de signaux apparut sur l’écran du capteur d’Anakin.
– Gros Yeux ? appela le jeune homme.
– Un détachement d’Ailes-X, déclara Tenel Ka. Douze XJ3.
– Probabilité à quatre-vingt-dix-neuf pour… commença Ulaha avant de marquer une pause. Eh bien, plus aucun doute, il s’agit de Kyp et de ses Apôtres.
– Gros Yeux, ouvrez une voie de communication sécurisée, dit Anakin. Et préparez les coordonnées pour un micro-saut.
– Anakin, l’avertit Jaina. Souviens-toi que…
– Juste au cas où… l'interrompit-il. (Le signal de communication subspatial s’alluma sur sa console. Il s’empara de son micro et activa la transmission.) Détachement d’Ailes-X, vous savez qui vous parle…
Il projeta une onde de la Force pour s’identifier et sentit en réponse une présence au moins aussi puissante que la sienne.
– Je vous demande de rompre la formation, dit-il. Vous risqueriez de nous attirer à tous des ennuis.
– Des ennuis, c’est vrai, répondit la voix familière de Kyp Durron. Mais pas pour tout le monde.
Sur l’écran tactique d’Anakin, le signal de la navette d’assaut des Yuuzhan Vong se mit à bourdonner, puis se volatilisa. Elle avait simplement disparu. Aucun signe d’attaque de la part des Ailes-X. Aucune traînée de réacteur, aucun éclair d’énergie. Rien.
– Gros Yeux ? demanda Anakin. Est-ce que quelque chose ne va pas avec…
La corvette riposta alors de tous ses canons à plasma tout en décochant des missiles de magma. Le moniteur d’Anakin se stria de rayures rouges. La batterie de senseurs de Gros Yeux semblait parfaitement fonctionner. Kyp avait réussi à détruire la première navette. Mais comment ? Avec la Force. Cela ne semblait guère possible. Seul le plus puissant de tous les Jedi pourrait s’en servir ainsi. Et seuls les Jedi Noirs s’autorisaient à le faire. Se servir de la Force pour tuer entraînait un Jedi vers la corruption, lui donnait la soif du pouvoir. Enfin, c’était ce que Luke leur avait dit. Anakin savait que Luke et Mara avaient été fort déçus par leur dernier entretien avec Kyp Durron. Peut-être était-ce là la raison.
Les Apôtres commencèrent à virevolter et à riposter, lacérant l’écran tactique des éclairs de feu de leurs lasers. Des balles de plasma ennemies éclatèrent contre leurs boucliers déflecteurs ou rebondirent avant de disparaître. Le signal de la corvette fut alors submergé par les parasites. Anakin pensa qu’il devait s’agir d’un tir de torpilles à protons, mais, une fois encore, son moniteur ne lui signala aucune traînée de réacteur.
Lorsque les parasites cessèrent, la corvette était toujours là. Mais ses tirs s’espacèrent et faiblirent considérablement. Les Ailes-X XJ3 fusèrent sur elle, la dardant de rayons laser, finissant leur travail à grands coups de torpilles à protons. Cette fois, des traînées apparurent sur l’écran d’Anakin.
La voix de Kyp s’éleva alors sur le canal subspatial :
– Tu vois ? Pas de problème…
La Reine de Célérité alluma ses moteurs subluminiques et commença à prendre la tangente. Même si Anakin savait que ce genre d’attaques aléatoires pouvait, à terme, se révéler fort peu bénéfique pour la Nouvelle République et les Jedi, la mort de Lusa était encore trop fraîche dans son esprit pour qu’il ne se sente pas néanmoins satisfait.
– Joli coup, reconnut-il.
Il était sur le point de demander des éclaircissements sur les deux explosions mystérieuses lorsque la voix de Tenel Ka s’éleva sur le canal de communication de l’escadron :
– Nouveaux contacts en approche, lança-t-elle. Deux… Non, trois vaisseaux. Ils ont l’air un peu plus gros.
Cinq siffla un signal d’alarme en affichant les témoins sur le moniteur d’Anakin. Les trois signaux étaient disposés selon la technique du triangle empilé : un appareil au-dessus, un autre à niveau et le dernier en dessous du plan tactique des Apôtres. Chaque vaisseau était en position pour que sa ligne de mire ne soit pas obstruée par les deux autres. Anakin s’apprêtait à demander une projection tactique lorsque des lignes de données s’affichèrent sous chacun des appareils, les identifiant tous trois comme des frégates d’assaut, lentes et pataudes, mais puissamment armées et fort bien protégées.
– Une embuscade ! cria Anakin.
– Effectivement ! annonça Tenel Ka. Ils viennent de lancer leurs coraux skippers.
Des nuées de signaux très faibles jaillirent des trois frégates et foncèrent vers le site de la bataille. La plupart prirent position autour de la zone de feu et une demi-douzaine se lancèrent à la poursuite de la Reine de Célérité.
Les Apôtres rompirent la formation. Les gros vaisseaux répondirent par une volée de missiles de lave perforante. Deux des Ailes-X de Kyp étincelèrent brièvement avant de se volatiliser.
Anakin était déjà en train de décoller de l’astéroïde.
– Un instant, Anakin, dit Jaina. (En dépit de son ordre, l'Aile-X continuait sa progression et remontait la ligne des autres chasseurs.) Nous ne sommes pas vraiment en train de suivre les ordres, là…
– Mais nous ne sommes pas non plus en train de désobéir, non ? demanda Anakin. (Il ne savait pas réellement ce que son oncle voulait. Il ne savait pas non plus si Kyp avait, ou non, basculé vers le Côté Obscur. Luke, de toute façon, ne souhaitait pas qu’il se fasse tuer et encore moins capturer.) On ne peut pas les laisser attraper à nouveau l’un d’entre nous. Pas après la mort de Lusa.
– C’est différent, dit Tenel Ka. On peut avancer l’argument que Kyp seul a déclenché tout ceci.
– Peut-être, dit Anakin.
Il s’accorda un court moment de réflexion. Les gens l’accusaient de n’en faire qu’à sa tête depuis Yavin Quatre et il ne souhaitait pas leur donner raison. D’un autre côté, il avait déjà pris sa décision.
– Est-ce vraiment l’argument que tu veux soutenir ? demanda-t-il.
Tenel Ka demeura silencieuse pendant quelques instants. Puis la barge d’assaut décolla à son tour.
– Non, dit-elle enfin.
– Très bien, on y va. Jaina, dis-nous comment procéder. L’escadron se rassembla autour de Gros Yeux.
– Notre micro-saut va nous amener juste derrière la frégate inférieure, dit-elle. Alors, pas de fantaisies, ne vous laissez pas emporter par votre élan. Pratiquez une brèche d’évasion dans leurs défenses et mettez le cap sur la base. Les Queues, vous assurez la couverture. Je ne veux pas vous vexer, mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de travailler ensemble.
– Pas de problème, Sticks, dit l’un des Barabel. (Craignant de ne pas réagir à temps à l’appel d’un autre nom de code, Jaina avait demandé à l’escadron d’utiliser son ancien surnom, datant de l’époque où elle servait les Rogue.) Nous sommes très honorés d’assurer votre protection. Est-ce que Queue Numéro Un pourrait suggérer quelque chose ?
Tenel Ka commença le compte à rebours.
– Tu as sept secondes, Numéro Un, dit Jaina.
– Leurs équipes d’artilleurs vous tourneront le dos quand vous sortirez de l’hyperespace. Si vous envoyez la barge d’assaut dès le premier passage…
– Compris. C’est risqué, mais ça pourrait marcher si on agit vite, répondit Jaina. Ménestrel ? Les probabilités ?
– Probabilité de succès… Quatre-vingt-deux pour cent. Marge d’erreur…
Lowbacca approuva le plan des Barabel en poussant un grondement.
–… Deux, un, zéro ! annonça Tenel Ka.
Anakin mit les gaz et enclencha son hyperdrive. Les étoiles se déformèrent et s’étirèrent en lignes convergentes. Deux secondes plus tard, ayant parcouru près de la moitié du système stellaire, Cinq sifflota pour annoncer qu’ils étaient arrivés. Pour éviter d’être indisposé par le retour en espace réel, Anakin ferma les yeux. Il projeta une onde de la Force et sentit son escadron en formation derrière lui. Kyp et ses Apôtres se trouvaient à quelque distance de là, légèrement en retrait sur la gauche. Les appareils évoluaient dans la zone des combats, évitant les balles de plasma et les missiles au magma. Maintenant qu’il était suffisamment proche, Anakin perçut également la présence des Yuuzhan Vong dans la bataille. Une perturbation peu distincte, juste assez puissante pour détourner son attention à un moment aussi crucial. Il fut, l’espace d’un instant, tenté de démonter le cristal de concentration de son sabre laser. En pleine bataille spatiale, il n’était pas recommandé de se laisser distraire.
L’Aile-X vira brusquement sur la droite. Cinq, travaillant en équipe avec les autres droïdes-astromécaniciens de l’escadron, aligna l’appareil sur les cibles potentielles. Ayant repoussé à présent tout risque d’être déboussolé, Anakin ouvrit les yeux et aperçut les combats qui se déroulaient devant lui en un enchevêtrement de couleurs étincelantes.
– Tout le monde est prêt ? demanda Jaina.
Anakin appuya sur la commande de son micro pour répondre par l’affirmative et compta les signaux lancés par les autres membres du groupe. Par le truchement de la Force, il perçut chez sa sœur une drôle de résignation, qui n’avait rien à voir avec la sensation d’excitation, chargée d’adrénaline, que lui-même ressentait. Elle paraissait plus lasse que tendue, presque détachée. Peut-être était-ce ainsi que les as du pilotage survivaient à tant de batailles cosmiques. A moins que ce ne soit le lourd prix à payer pour être toujours en vie, le résultat d’un excès de stress. Peut-être que les politiciens du Sénat n’étaient pas la seule raison pour laquelle Jaina avait quitté l’Escadron Rogue de façon presque permanente. Peut-être les chirurgiens avaient-ils suggéré à Gavin qu’elle avait besoin d’un repos prolongé.
– Cinq ? Ouvre un canal privé avec Jaina.
Avant que le droïde n’exécute l’ordre, Jaina déclara :
– Nous sommes tous là, prêts au combat. Vous avez le feu vert, Jedi, bonne chasse !
Son Aile-X fit un bond en avant et fila vers le panorama strié de lumière qui, à présent, emplissait toute la verrière du cockpit d’Anakin. Repoussant l’idée de suggérer à sa sœur de rester en retrait, le jeune homme activa sa batterie d’armement et sélectionna ses canons laser. La cible apparut devant lui. D’abord une silhouette massive, occultant les étoiles, se transformant peu à peu en un mégalithe de ténèbres, crachant plasma et magma dans le maelström des combats.
Jaina plongea à la rencontre du premier corail skipper sur le point d’intercepter les Jedi. L’appareil ennemi dut bientôt virevolter en tous sens pour éviter les tirs de la jeune femme. Le pilote transféra toute la puissance au basal dovin pour renforcer ses protections au lieu de passer à l’attaque. C’était un mauvais calcul. Jaina esquiva les quelques balles de plasma tirées vers elle et décocha au skip une volée de tirs à répétition. Lorsque l’un des rayons toucha sa cible, elle chargea immédiatement ses batteries à fond et pressa la détente.
– Ça, c’est du tir ! s’exclama Zekk.
– Coupe ta radio, Chasseur de Primes ! ordonna Jaina.
Zekk éteignit son microphone.
Rien ne s’interposant entre lui et la frégate, Anakin opta pour les torpilles à protons et aligna son collimateur de visée sur la proue du navire. Tesar avait vu juste au sujet des artilleurs. Les nodules à plasma et les lanceurs de projectiles, installés de ce côté du vaisseau, ne semblaient pas réagir.
– Cinq ? Tu peux vérifier ce qui se passe du côté de la Reine de Célérité ?
Cinq afficha l’image du vaisseau en question sur l’écran tactique. Les coraux skippers étaient en train d’assaillir la Reine de Célérité de toutes parts.
– Pas terrible, grogna Anakin. Pas terrible du tout, même. Ça va autant amuser Oncle Luke que son combat contre le rancor…
Cinq afficha une ligne de données indiquant le temps qu’il faudrait aux skippers pour revenir vers leur base d’origine. Certes, ils ne se trouvaient pas dans la zone des combats, mais ils pouvaient encore couper la retraite aux Jedi.
– Garde l’œil sur eux…
Cinq sifflota une réponse affirmative, puis le collimateur de visée d’Anakin clignota, indiquant que la portée était réglée pour les torpilles. La frégate emplissait à présent toute la verrière. Anakin ne pouvait voir qu’un rocher pareil à un astéroïde.
– Anakin, paré, annonça-t-il.
– Chasseur de Primes, paré, dit Zekk. On fait l’aller-retour ?
– Passe devant.
Une douzaine de cercles blancs – trois torpilles à protons et les leurres nécessaires – fusèrent en éventail vers les flancs de la frégate. Les Yuuzhan Vong activèrent leurs basals dovins à concentration de gravité, projetant une chaîne de trous noirs miniatures, avalant tout ce qui passait à leur portée. Zekk enclencha alors ses canons laser et arrosa la frégate de tirs en rafales. Au cours des deux années qui venaient de s’écouler, les combats entre la Nouvelle République et les Yuuzhan Vong avaient évolué en une sorte de jeu de bluff, chaque camp essayant d’obliger l’autre à gaspiller ses réserves limitées de puissance sur des opérations de défense inutiles et des attaques inefficaces. La modification des XJ3 avait été prévue pour permettre aux pilotes de vaincre à ce jeu.
Anakin décocha sa salve de torpilles, puis changea brusquement d’armement et envoya des rafales de laser. Les équipes de défense Yuuzhan Vong mirent un peu de temps à réagir face à ces attaques. Les capteurs de proximité des torpilles firent exploser les projectiles à quelques mètres du vaisseau. La coque se couvrit de cercles incandescents. Par l’une des fissures commença à s’échapper une colonne d’oxygène. Anakin frappa à nouveau la brèche à l’aide de deux décharges de laser. Des cadavres et de l’équipement jaillirent par l’ouverture et tournoyèrent dans le vide intersidéral. Zekk intervint, décochant un tir simultané de ses quatre canons d’ailes. Des explosions se produisirent à l’intérieur de la frégate. Les deux chasseurs Jedi, parvenus trop près de leur cible, durent virer de cap.
Anakin sentit que des yeux Yuuzhan Vong étaient braqués sur lui. Le cristal lambent, dérobé aux Vong, pouvait aussi rendre des services. Il tourna brusquement vers la droite. Un missile de magma, jailli de la partie inférieure de la frégate, le frôla en tourbillonnant. Anakin sentit, dans la Force, que sa réaction venait de trouver un écho. Il jeta un coup d’œil à son moniteur et aperçut Zekk changer lui aussi brusquement de cap pour se glisser entre son chasseur et un autre missile de roche en fusion.
– Merci du tuyau ! tonna Zekk.
Une paire de skippers fît irruption de sous la frégate et vola à leur rencontre, leurs canons volcans ouvrirent le feu et décochèrent des balles de plasma en direction de la barge d’assaut.
Anakin entreprit de faire demi-tour.
– Attrapons-les !
– Négatif, les garçons ! (L’Aile-X de Jaina apparut derrière les deux skips et releva le nez, prête à tirer.) Occupez-vous plutôt des deux qui sont en train de passer par-dessous.
Elle ouvrit le feu. Une seule torpille à protons poursuivit le skipper le plus proche. Inutile de suivre l’action sur le moniteur tactique. Avec Jaina sur leurs talons, les Yuuzhan Vong pouvaient déjà être considérés comme morts. Anakin et Zekk plongèrent sous la frégate, zigzaguant au milieu d’une tornade de missiles au magma. Ils contournèrent la partie inférieure du vaisseau avant que les artilleurs Vong puissent riposter correctement. A trois cents mètres de là, deux skips remontaient en chandelle vers Gros Yeux, essuyant le feu nourri des énormes canons laser de la barge d’assaut.
Anakin sentit que Zekk le recherchait dans la Force. Il associa ses quatre canons d’ailes et aligna son collimateur de visée. Pilote de tête, paré ! Ils appuyèrent simultanément sur leurs détentes. Leurs armes étincelèrent simultanément. Et les skips furent désintégrés. Simultanément.
– Très joli coup, annonça Tenel Ka. Maintenant, dégagez le passage…
Anakin appuya sur sa commande des gaz. Il aurait dû rester un dernier corail skipper, mais rien n’apparaissait sur les écrans.
– Où est passé le dernier skip ? demanda-t-il.
– Je l’ai eu, répondit Jaina. En passant par en dessous…
Cinq émit un sifflement.
– Eh oui, tous les quatre ! lui répondit Anakin. On dirait que cela ne l’excite même plus.
La barge d’assaut illumina les ténèbres cosmiques de rayons colorés. Anakin posa les yeux sur son écran de surveillance arrière et vit les équipes Vong chargées des boucliers encaisser la première salve. Une deuxième volée de missiles fusa vers la frégate. Quatre échappèrent aux batteries de défense. L’un d’entre eux pénétra par la brèche précédemment ouverte par Anakin et Zekk. L’explosion traversa le vaisseau de part en part, produisant une ouverture dans le flanc opposé de l’appareil. La troisième salve cassa le vaisseau en deux. L’engin bascula sur lui-même. De la vapeur et des cadavres s’échappèrent au milieu des innombrables débris.
Anakin exécuta un demi-tour pour revenir vers le lieu des combats. Il aperçut une autre frégate qui s’apprêtait à couper la route aux Apôtres. Gros Yeux lança toutes ses torpilles et, sachant qu’il n’était pas de taille à affronter son adversaire, plus imposant, battit en retraite. Jaina ouvrit la route à Anakin et Zekk au milieu de la tempête de feu. Soudain, la voix de Kyp s’éleva dans les canaux de communication :
– C’est bon, Sticks, tu en as assez fait. On se charge du reste.
– C’est cela, répondit Jaina d’un ton sarcastique, probablement parce qu’elle venait de constater que les missiles tirés par la barge d’assaut, victimes d’une perturbation gravifique, étaient en train de dévier de leur cap. Et tu crois qu’ils vont te laisser passer comme ça ?
– Non, pas exactement comme ça…
Un éclair aveuglant illumina la proue de la frégate, incendiant le pont de commandement. Le vaisseau, hors de combat, se mit à dériver dans l’espace. Les huit survivants du groupe des Apôtres lancèrent une volée de torpilles sur l’appareil endommagé, puis changèrent brusquement de cap pour quitter la zone de tir et s’assurer une avance confortable sur les coraux skippers lancés à leur poursuite.
– Kyp ? s’étrangla Anakin. Mais comment as-tu…
– La Force.
La réponse avait été brusque. Même sans avoir recours à la Force, Anakin avait très bien deviné la colère de Kyp d’avoir perdu autant d’hommes dans cette échauffourée. Les deux groupes se rejoignirent à quelque distance de là et conservèrent un silence glacé. Auparavant, Kyp avait déjà eu l’occasion de céder à sa colère et tous les Jedi connaissaient le danger que cela pouvait représenter.
Mais Anakin se posait des questions. Sur Yavin Quatre, un paria Yuuzhan Vong avait trahi son peuple et aidé Anakin à sauver Tahiri. Il y avait un Côté Obscur à tout, même en dehors de la Force. La puissance de la volonté pouvait autant compter que la pureté du cœur. Aujourd’hui, plus que jamais, il semblait au jeune homme que la Force était un outil parmi tant d’autres et qu’il fallait utiliser cet outil pour le bien de tous. Et si Kyp Durron avait découvert un moyen d’utiliser la Force pour détruire les vaisseaux ennemis, il paraissait évident pour Anakin qu’une enquête devait s’ouvrir sur Eclipse. Il était fort possible qu’un Jedi puissant, doté d’une grande volonté et d’un cœur pur, soit à même d’en user sans sombrer dans le Côté Obscur.
Kyp laissa le silence perdurer sur les canaux de communication jusqu’à ce que le groupe ait totalement échappé à ses poursuivants.
– Anakin ? demanda-t-il enfin. Est-ce que ces explosions t’ont fait penser à quelque chose ?
– Leur signature spectographique correspondait à celles des torpilles à protons, avança Tenel Ka, soucieuse d’aider son partenaire. Mais il n’y avait aucune trace de réacteur.
– Et qu’est-ce que ça vous indique ? demanda Kyp d’un ton narquois. Réfléchissez un peu. « La taille ne compte pas », et tout ce genre de choses…
– Télékinésie ? s’étrangla Anakin. Tu t’es servi de la Force pour propulser les torpilles ?
– Je ne suis pas aussi rapide qu’un combustible de propulsion, enfin pas encore ! Mais les Yuuzhan Vong ont des difficultés à repérer les torpilles à protons lorsque celles-ci ne sont pas suivies d’une bonne grosse traînée de gaz bien brillante.
Anakin en fut presque déçu. Il espérait qu’on lui présenterait une quelconque arme secrète, quelque chose que les Yuuzhan Vong, aveugles à la Force, seraient incapables de contrer. Au lieu de cela, il découvrait qu’il ne s’agissait en fait que d’une nouvelle tactique pour avancer les pions sur la planche de jeu, un truc que l’ennemi finirait par comprendre et serait alors à même de déjouer.
Kyp, s’attendant à ce qu’on le félicite pour son intelligence, dut déchanter. Tenel Ka remarqua seulement que cette technique permettrait de faire économiser à la Nouvelle République quelques barils de combustible. C’est alors qu’un signal d’urgence attira le regard d’Anakin vers son moniteur tactique. Cinq modifia l’affichage et lui montra la carcasse de la Reine de Célérité dérivant dans l’espace. Les six coraux skippers qui l’avaient détruite mettaient à présent le cap vers le groupe dans l’espoir de couper leur retraite.
– J’ai bien peur que nous n’ayons de la compagnie très bientôt… annonça Tenel Ka.
Les six pilotes de skippers étaient inférieurs en nombre et couraient à une mort certaine. Mais un assaut désespéré permettrait certainement de ralentir les Ailes-X, et le reste du détachement Vong pourrait alors les rattraper. Anakin poussa un juron entre ses dents. Il jura de nouveau lorsqu’il constata que trois chasseurs avaient changé de cap pour filer vers les skips.
– Continue sur ta trajectoire, Anakin, grogna un Barabel. Ça ne prendra pas longtemps. Ils ne sont que six.
Les trois chasseurs, sur le moniteur, fusionnèrent en un seul témoin lumineux et continuèrent leur route vers l’ennemi. Les Yuuzhan Vong seraient bientôt obligés de choisir entre être réduits en pièces ou bien abandonner leurs positions. Sans que cela surprenne personne, ils resserrèrent les rangs et décochèrent stries et tourbillons lumineux mortels vers les Barabel.
Par sa verrière, Anakin discerna à peine la bataille, réduite à quelques têtes d’épingles étincelantes au milieu des ténèbres. Il regarda à nouveau son écran tactique et vit les lignes de tir ennemies se volatiliser à l’approche des appareils des Barabel.
– Mais comment fait-on un truc pareil ? s’étrangla Zekk.
– Apparemment, d’après ce que je vois, ils sont capables de dégommer les missiles en plein vol ! annonça Tenel Ka. L’agrandissement optique m’indique soixante-douze pour cent de chance de corrélation entre leurs tirs de laser et la disparition des projectiles.
Anakin était certes impressionné par leur technique de tir, mais pas autant qu’il l’était par leur tactique de vol. Pour fusionner ainsi en un seul témoin lumineux sur l’écran, ils devaient voler l’un au-dessus de l’autre, à moins d’un mètre de distance. Sinon en démoralisant l’ennemi, il n’arrivait pas à comprendre comment une telle façon d’agir pouvait être utile lors d’un combat. Mais il était assurément admiratif.
Soudain, un missile au magma parvint à percer les défenses des trois Aile-X. Anakin, les yeux rivés à son moniteur, attendit l’horrible éclair lui signalant la fin de l’un des trois Barabel, voire des trois en même temps, considérant qu’ils volaient si près les uns des autres.
Il ne se produisit pas. Le missile apparut de nouveau, de l’autre côté du témoin lumineux, suivant une tout autre trajectoire. Quelqu’un avait donc utilisé la Force pour influer sur son vol.
– Il me faut des Jedi comme ça dans mon escadron ! annonça Kyp. Il me faut des Jedi Barabel !
Anakin releva la tête. La bataille était à présent un peu plus claire, évoquant une nuée d’insectes luminescents. Mais le temps venait à manquer et il n’était plus question de rejoindre les Barabel pour les aider.
Les Yuuzhan Vong cessèrent de tirer leurs missiles au magma et se concentrèrent sur les balles de plasma. A la stupéfaction d’Anakin, les Barabel ne gaspillèrent pas leurs efforts à essayer de les éviter. Ils prirent l’attaque de pleine face, encaissant projectile après projectile, continuant de progresser en ligne droite alors que leurs boucliers auraient dû rendre l’âme depuis longtemps.
– Mais comment font-ils ça ? demanda Zekk. Est-ce qu’ils parviennent à se transférer de la puissance entre leurs boucliers respectifs ?
– Non, cela va trop vite. (La voix de Jaina était chargée d’admiration. C’était la première fois depuis le début de la bataille qu’elle manifestait une émotion.) Ils doivent permuter leurs positions. Se relayer à la tête du groupe pendant que les autres rechargent leurs boucliers.
– Effectivement, confirma Tenel Ka. Des pulsations ioniques fluctuantes accompagnent les variations de signature de leurs réacteurs.
– Alors là, je suis vraiment impressionné, dit Anakin.
Un signal Yuuzhan Vong disparut. Les Ailes-X pivotèrent vers un autre appareil ennemi. Celui-ci disparut à son tour. Anakin, guère surpris par la tactique, admira cependant la précision. Les compagnons de portée concentraient leur puissance de feu et submergeaient leur cible sous un flux continu et massif de rayons laser. Un troisième skip se volatilisa. Les survivants convergèrent vers les flancs des chasseurs afin de les prendre en tenailles.
Le signal des Barabel vibra et ralentit. Anakin comprit que les Yuuzhan Vong étaient en train de se servir de leurs basals dovins pour anéantir les boucliers des Ailes-X. Il voulut ouvrir un canal de communication pour crier à ses partenaires d’enclencher les contre-mesures, à savoir éteindre brièvement les déflecteurs pour les rallumer une fraction de seconde plus tard. Mais il n’osa pas troubler la concentration des trois Barabel.
Et ceux-ci lui donnèrent une nouvelle occasion de pousser un cri de stupeur en éteignant complètement leurs répulseurs subluminiques. La distance entre les appareils se réduisit considérablement en un instant. Soudain, chacune des trois Ailes-X se retrouva face à un corail skipper. L’écran tactique se couvrit alors d’un enchevêtrement de traînées lumineuses, témoignant d’une grande quantité de missiles. Ensuite, il n’afficha plus que des parasites. Les explosions protoniques avaient certainement dû brouiller et saturer le signal relayé par la barge d’assaut. Anakin regarda à nouveau par sa verrière et vit un éclair lumineux pareil à celui d’une nova.
Il reposa les yeux sur son moniteur. Rien d’autre que des parasites.
– Cinq ?
Le droïde sifflota et se mit au travail pour filtrer le signal saturé.
– Les Queues ? appela Jaina. Vous êtes là ?
Personne ne répondit, mais Tenel Ka s’empressa d’annoncer :
– Les senseurs sont en train de s’initialiser à nouveau. On dirait que les trois Ailes-X sont toujours là.
– Les Queues, vous êtes là ? répéta Jaina. Numéro Un ? Numéro Deux ? Numéro Trois ?
On lui répondit par une longue mélopée de sifflements qui, chez les Barabel, devait correspondre à des éclats de rire.
– Nous sommes là, Sticks, gronda l’un des compagnons de portée. Un, Deux et Trois…