41.
Connor
Si Connor était tombé nez à nez avec Camus Comprix dans d’autres circonstances, il l’aurait détesté de toute son âme. Connor avait incontestablement des raisons de le haïr. En premier lieu, Cam était le chouchou des Citoyens proactifs. Il était le modèle de tous ceux qui soutenaient la fragmentation comme une conséquence naturelle et satisfaisante de la civilisation. Ensuite – et plus important pour Connor –, venait la relation entre Cam et Risa. Le simple fait de les imaginer ensemble, même si on avait fait chanter Risa pour être avec lui, faisait se fermer sa main en un poing si serré que ses ongles entaillaient sa paume. C’étaient la jalousie de Connor et la colère de Roland combinées dans cette main puissante. Non, il n’y aurait eu aucune chance que Connor et Cam soient autre chose que des ennemis jurés en toute autre circonstance.
Cependant, les circonstances de leur première rencontre fournirent à Connor un moment de réflexion non prévu et non souhaité.
Cela commença avec Una.
Connor, Lev et Grace se terraient dans le petit appartement d’Una depuis huit jours. Avec l’annonce de l’attaque du camp de collecte par Connor dans le Nevada, les Hopi, selon Chal, n’étaient pas très chauds pour lui donner un asile fictif. Même si les journaux du lendemain réfutèrent l’accusation, Chal avait toujours des difficultés à conclure le marché, ce qui signifiait qu’ils étaient condamnés à attendre là Dieu sait combien de temps.
Si Connor s’était senti comme un lion en cage dans la maison des Tashi’ne, être coincé chez Una lui donnait l’impression d’être de nouveau enfermé dans un conteneur de bateau. Même Grace, qui trouvait toujours le moyen de s’occuper, ne cessait de demander, avec une espèce de persistance dépitée, si elle pouvait sortir et faire quelque chose.
— Juste une balade. Peut-être quelques courses. S’iiiiiil te plaît ?
Seul Lev semblait rester stoïque, ce que Connor trouvait hallucinant.
— Comment peux-tu juste rester assis là et ne rien faire de la journée ?
— Je ne fais pas rien, répondit Lev en lui montrant un vieux livre relié de cuir qu’il ne lâchait pas. J’apprends l’arápache, c’est une langue riche et complexe.
— Parfois, Lev, j’ai envie de te gifler.
— Tu l’as déjà percuté avec une voiture, lança Grace depuis l’autre pièce.
Pour toute réponse, Connor poussa un grognement qui n’eut d’autre effet que celui de le faire se sentir un tout petit peu mieux. Il était sûr que Pivane dirait qu’il était connecté avec son animal totem.
— Tu oublies que j’ai été assigné à résidence pendant un an, fit remarquer Lev. Je me suis habitué à la semi-incarcération.
Una passait le plus clair de son temps dans le magasin en bas, soit avec des clients, soit à fabriquer de nouveaux instruments dans l’atelier. Le gémissement de la perceuse et les petits coups de marteau et de burin étaient devenus des bruits familiers. C’était quand ces bruits s’arrêtaient que Connor se demandait ce qui se passait.
Deux jours plus tôt, et la veille encore, Connor avait entendu Una fermer la boutique et l’avait vue partir à travers les stores. Il n’y aurait pas vraiment prêté attention s’il n’avait remarqué qu’elle transportait une guitare dans une main et l’étui en cuir de son fusil dans l’autre. Quelle genre de promenade faisait-elle ainsi équipée ?
— Una a des problèmes, fut tout ce que Lev dit de la situation.
Connor, cependant, soupçonnait autre chose.
Plus tard cet après-midi-là, elle partit une nouvelle fois, et Connor décida de la suivre, malgré la mise en garde de Lev.
— Nous devrions lui être reconnaissants de nous permettre de nous cacher ici. Ne la remercie pas en mettant ton nez dans ses affaires.
Mais il n’avait pas le temps de discuter. Il passa devant Lev, descendit l’escalier, arriva dans le magasin puis dans la rue, où il la vit tourner le coin. Il y avait des gens dans la rue, mais Connor portait un bonnet arápache en laine qu’il avait trouvé dans le placard d’Una, de sorte que personne ne fit attention à lui. Et puis, ce n’était pas comme si Una cherchait les endroits bondés. Même si le fusil était dans un étui, il était facile de deviner ce que c’était.
À la limite de la ville, Una traîna jusqu’à ce qu’il n’y ait plus ni voitures ni piétons dans la rue ; elle traversa alors un petit sentier qui menait dans les bois. Connor la suivit en laissant une bonne distance.
Même s’il ne la voyait pas dans la forêt touffue, la terre avait été ramollie par une pluie matinale, et il pouvait suivre les empreintes qu’elle y laissait. Il y en avait plusieurs. Elle avait fait de nombreux allers et retours sur ce chemin ces derniers jours. Au bout de quelques mètres, il arriva à un bâtiment, si on pouvait appeler ça un bâtiment. C’était une structure qui paraissait ancienne, de la forme d’un igloo, mais faite de pierre et de boue. Il entendit deux voix à l’intérieur. L’une était celle d’Una et l’autre était masculine, mais elle ne semblait pas appartenir à quelqu’un que Connor avait croisé dans la réserve.
Sa première pensée fut qu’Una entretenait là une liaison secrète avec un amoureux et qu’il valait peut-être mieux les laisser seuls… mais la discussion à l’intérieur ne ressemblait pas à une dispute d’amoureux.
— Non, je ne le ferai pas, criait la voix masculine. Ni maintenant, ni jamais !
— Alors, tu vas mourir ici, disait Una.
— J’aime encore mieux ça !
Il n’y avait qu’une porte, mais le sommet du dôme était délabré et plein de trous. Avec prudence, Connor escalada la surface courbée de la structure jusqu’à ce qu’il puisse voir par un trou à travers les pierres disjointes.
Sa première impression fit sonner en lui une corde d’une sensibilité égale à celle que pouvaient produire les instruments d’Una. Il vit un jeune homme, de son âge environ, avec d’étranges cheveux de différentes couleurs et textures. Il était attaché à un poteau et luttait pour se libérer. L’odeur qui se dégageait du lieu et l’apparence du garçon indiquaient qu’il devait être là depuis un moment, dans cette situation désespérée, sans même la possibilité de se soulager ailleurs que dans ses vêtements.
La première réaction de Connor fut de s’identifier à ce garçon. Ce prisonnier, c’est moi. Moi retenu dans le sous-sol d’Argent. Moi tentant de m’évader. Moi luttant pour garder espoir. Le sentiment d’empathie fut si fort qu’il allait baigner tous leurs échanges à venir.
Una n’était pas Argent, dut se rappeler Connor. Ses mobiles, quels qu’ils soient, devaient être différents. Mais pourquoi faisait-elle ça ? Connor attendit et regarda, dans l’espoir qu’elle lui donne un indice.
— Soit tu me laisses partir, soir tu me tues, lui dit son prisonnier. Prends une décision, s’il te plaît, que tout cela s’arrête.
Pour toute réponse, Una posa une seule et simple question :
— Quel est mon nom ?
— Je te l’ai déjà dit, je l’ignore ! Je l’ignorais hier, je l’ignore aujourd’hui, et je l’ignorerai demain !
— Alors, peut-être que la musique va te rafraîchir la mémoire aujourd’hui.
Una défit ses liens. Il n’essaya même pas de s’enfuir – il devait savoir que c’était inutile. Au lieu de ça, il sanglota, ses bras devinrent flasques. Et, dans ces bras avachis, Una déposa la guitare qu’elle avait apportée.
— Joue, dit Una.
Elle parlait doucement à présent et elle caressa ses mains qu’elle mit en place sur l’instrument.
— Donne-lui vie. C’est ce que tu fais. C’est ce que tu as toujours fait.
— Ce n’était pas moi, implora-t-il.
Una s’éloigna et s’assit face à lui. Sortant son fusil de son étui, elle le posa sur ses genoux.
— J’ai dit, joue.
Son prisonnier se mit à jouer. Des accords à fendre le cœur emplirent la cabane et résonnèrent, le bâtiment entier semblant être la caisse de résonance de la guitare. Connor les sentit vibrer dans sa poitrine.
Cette musique était magnifique. Le prisonnier d’Una était un véritable génie de la guitare. Il ne sanglotait plus. C’était maintenant au tour d’Una. Elle se tenait le ventre, comme si une douleur atroce s’y concentrait. Ses sanglots devinrent des gémissements qui résonnèrent avec la musique, comme une douloureuse incantation.
Puis Connor, en changeant de position, délogea du bord du trou un galet de la taille d’une bille qui tomba sur le sol à l’intérieur.
En un instant, Una bondit sur ses pieds et arma son fusil, qu’elle dirigea sur lui à travers les trous entre les pierres.
Connor recula instinctivement, perdit l’équilibre et tomba à la renverse, en se cognant et en se blessant contre les pierres rugueuses de la façade. Il atterrit sur les fesses, sonné, et, lorsqu’il essaya de se lever, Una était là et le canon du fusil à quelques centimètres de son nez.
— N’essaie même pas de bouger !
Connor se figea, à moitié convaincu qu’elle allait vraiment lui tirer dessus s’il bougeait. C’est alors que son prisonnier, saisissant sa chance, s’enfuit dans les bois.
— Hííko ! jura-t-elle avant de s’élancer derrière lui.
D’un bond, Connor fut sur ses pieds et il se lança à leur poursuite, curieux de savoir comment allait se terminer ce petit psychodrame.
Ayant rattrapé son prisonnier en fuite, elle lâcha son fusil et lui sauta dessus, atterrissant sur son dos et le faisant tomber à terre. Elle luttait avec lui, ses longs cheveux comme un linceul les recouvrant tandis qu’ils saccageaient le sol, et Connor se rendit soudain compte que c’était lui qui détenait un avantage indéniable. Il ramassa le fusil d’Una qu’il pointa sur eux deux.
— Debout ! Tous les deux ! Tout de suite !
Et comme ils n’écoutaient pas, il tira un coup de feu en l’air.
Cela attira leur attention. Ils cessèrent de se battre et se remirent debout. Ce ne fut qu’à cet instant que Connor remarqua que le visage de ce type avait quelque chose d’étrange.
— C’est quoi ce bordel ? demanda Connor.
— Pas tes oignons ! lança Una. Rends-moi mon fusil !
— Et si je te donnais seulement une cartouche ?
Connor garda le fusil braqué sur elle, mais son regard se porta sur son prisonnier. L’étrange patchwork que représentait son visage – une constellation de couleurs de peau semblant se prolonger dans les teintes et les textures de ses cheveux – n’était pas naturel et cependant familier.
D’un seul coup, Connor sut qui il était. Il l’avait assez vu dans les médias, et l’avait assez imaginé dans ses cauchemars. C’était cet abominable formaté ! La reconnaissance dut être réciproque, car celle-ci se lut dans les yeux volés du formaté.
— C’est toi ! Tu es l’Évadé d’Akron !
Puis, aussitôt :
— Où est-elle ? Est-elle ici ? Emmène-moi la voir !
La seule chose dont Connor était sûr à cet instant, c’était qu’il y avait trop de choses à assimiler en même temps. S’il essayait de tout régler tout de suite, il allait commettre une erreur majeure, l’un d’entre eux se saisirait de ce fusil et il y aurait un mort, peut-être lui.
— Voici ce que nous allons faire, dit-il en forçant sa voix à retrouver son calme, mais en gardant le fusil dressé. Nous allons tous retourner dans cette espèce d’igloo.
— La hutte de sudation, grogna Una.
— C’est ça. Peu importe. On y retourne, on s’assoit et on transpire un peu sur tout ça jusqu’à ce que je sois satisfait. Compris ?
Una lui lança un regard assassin puis regagna la cabane au pas de course. Le formaté ne fut pas aussi prompt à démarrer. Connor le menaça de son fusil.
— Bouge-toi, dit-il. Ou je te renvoie à l’état de chair à pâté.
Le formaté lui adressa un regard condescendant de ses yeux volés, puis se dirigea vers la hutte.
Connor connaissait son prénom, mais l’appeler ainsi lui conférerait trop d’humanité. Il préférait, de beaucoup, l’appeler simplement « le formaté ». Assis tous les trois dans la hutte de sudation, les deux autres ne montraient aucun empressement à parler à Connor, comme s’ils lui en voulaient d’avoir interrompu leur danse funèbre.
— Il a les mains de Wil, commença Connor, qui l’avait déjà, en grande partie, deviné. Démarrons par là.
Una raconta les détails de l’enlèvement de Wil, ou, en tout cas, ce que lui en avaient dit Lev et Pivane. La famille Tashi’ne n’avait jamais obtenu d’informations sur ce qui était arrivé à son fils et n’en avait jamais attendu. Les enfants emmenés par les bracs atterrissaient rarement dans des camps de collecte ; ils étaient vendus morceau par morceau au marché noir. Mais, apparemment, Wil Tashi’ne était un cas particulier. Connor ne pouvait imaginer la douleur que pouvait être celle d’Una, sachant que cette création devant eux possédait les mains du garçon qu’elle avait aimé. Son talent, sa mémoire musicale, et pourtant aucun souvenir d’elle. Cela pourrait rendre fou n’importe qui – mais le garder prisonnier comme ça ?
— À quoi pensais-tu, Una ?
— Una ! dit le formaté avec un sourire triomphant. Elle s’appelle Una !
— La ferme, Chair à pâté, dit Connor. Ce n’est pas à toi que je parle.
— Je n’avais pas les idées claires, reconnut tranquillement Una, les yeux fixés sur le sol poussiéreux de la hutte. Je ne les ai toujours pas.
Au lieu de parler du formaté, elle parla encore de Wil. Comment il accordait et testait toutes les guitares avant de les mettre en vente.
— Il mettait son âme dans sa musique. J’avais toujours l’impression qu’il résonnait un peu de lui dans l’instrument dont il venait de jouer. Après son départ, les guitares n’ont plus jamais été les mêmes. Maintenant, quand elles jouent, ce n’est que de la musique.
— Tu as donc pensé que tu allais faire de notre ami ici présent ton petit guitariste esclave.
Elle leva les yeux pour lui adresser un regard incendiaire, mais elle semblait ne plus en avoir la force. Elle baissa les yeux.
Connor se tourna vers le formaté et vit que son regard était fixé sur lui, pratiquement en train de creuser en lui. Connor serra plus fort le fusil sur ses genoux.
— Pourquoi es-tu ici ? demanda Connor. Comment as-tu su qu’il fallait venir ici ?
— J’ai suffisamment de mémoire de Wil Tashi’ne pour savoir que c’est là qu’allait courir ton copain le claqueur pour se cacher, dit-il. Et je pense que tu sais pourquoi je suis ici. Pour Risa.
Le sang de Connor ne fit qu’un tour en entendant son nom prononcé par cette bouche. Elle te déteste, avait envie de lui dire Connor. Elle ne veut rien avoir à faire avec toi. Jamais. Mais il voyait et sentait le pantalon taché d’urine du formaté et se remémora la captivité sans espoir de celui-ci, si semblable à la sienne dans le sous-sol d’Argent. La sympathie était le dernier sentiment que Connor avait envie d’éprouver, mais elle était quand même là, ébranlant sa haine. Le désespoir suintait par toutes les coutures de sa peau, et, même si Connor avait envie de rajouter de la douleur à sa souffrance, il ne s’en sentait pas capable.
— Alors, tu vas la faire chanter pour qu’elle soit avec toi, comme avant ?
— Ce n’était pas moi ! C’étaient les Citoyens proactifs.
— Et tu veux la leur ramener.
— Non ! Je suis là pour l’aider, espèce d’idiot.
— Fais gaffe, Chair à pâté, c’est moi qui ai le fusil.
— Tu perds ton temps, l’interrompit Una. Tu ne peux pas raisonner avec lui. Il n’est pas humain. Il n’est même pas vivant.
— Je pense, donc je suis1, dit le formaté.
Connor ne parlait pas français, mais était capable de le déchiffrer.
— Le simple fait de penser n’implique pas que tu es. Les ordinateurs prétendent penser, mais ils ne font qu’imiter. Si l’on y entre de mauvaises données, on obtient des résultats erronés.
Le formaté baissa ses yeux brillants.
— Tu ne sais rien.
Connor vit qu’il avait touché une corde sensible chez le formaté. Il ressentit de nouveau cette indésirable vague de sympathie.
— Évidemment, les fragmentés ne sont pas non plus légalement vivants, dit Connor, faisant sien l’argument de Cam. Une fois que l’ordre de fragmentation est signé, au regard de la loi, ils ne sont rien d’autre qu’un ensemble de morceaux. Comme toi.
Le formaté leva les yeux sur Connor. Une seule larme tomba, absorbée par les plis de son jean.
— Où veux-tu en venir ?
— Je veux dire que j’ai compris. Que tu sois un tas de morceaux ou une personne à part entière n’a rien à voir avec ce qu’Una, ou moi, ou n’importe qui pense, alors, rends-nous service, cesse d’en faire notre problème.
Il opina et baissa les yeux une nouvelle fois.
— Fée bleue, dit-il.
— Tu vois ! lança Una. On dirait un ordinateur, il sort des conneries qui n’ont aucun sens.
Mais Connor fit preuve d’une perspicacité inattendue.
— Désolé, Pinocchio, mais Risa n’est pas ta Fée bleue. Elle ne peut pas te transformer en vrai garçon.
Cam le regarda avec un grand sourire. Connor trouva ce sourire désarmant et n’en serra que plus fort le fusil. Il ne se laisserait pas attendrir, en aucune façon.
— Comment sais-tu qu’elle ne l’a pas déjà fait ?
— Elle est assez incroyable, mais pas à ce point, dit Connor. Si tu veux de la magie, demande à Una. Je suis sûr que les Arápache sont plus doués que nous.
Una se raidit et fronça les sourcils.
— Je n’ai pas à me laisser insulter par un déserteur en fuite.
— En fait, j’étais sincère, avoua Connor. Mais je suis content de t’insulter, si c’est ce que tu souhaites.
Una posa un instant son regard noir sur lui avant de le tourner vers le sol.
— Tu as dit que tu voulais aider Risa, dit Connor au formaté. Mais l’aider comment ?
— C’est entre elle et moi.
— Faux, lui dit Connor. Je suis entre elle et toi. Tu me parles, ou tu ne parles pas du tout.
Le formaté bouillait et soufflait par le nez tel un dragon. Puis il céda.
— Je peux l’aider à détruire les Citoyens proactifs. J’ai toutes les preuves dont elle a besoin. Mais je ne les partagerai avec personne d’autre qu’elle.
Le formaté semblait sincère, mais Connor se savait un piètre juge en la matière. Il avait commis une erreur cruciale en accordant sa confiance à Starkey. Pas question de se laisser avoir à nouveau.
— Tu espères me faire avaler ça ? Pourquoi détruirais-tu les gens qui t’ont créé ?
— J’ai mes raisons.
— Vas-tu lui dire ? demanda Una à Connor, sa patience à bout. Ou as-tu l’intention de le faire traîner toute la journée ?
— Me dire quoi ?
Le regard de Cam passait alternativement de l’un à l’autre.
Connor avait pensé qu’il prendrait un malin plaisir à lui divulguer l’information, mais à présent, il ne ressentait plus rien.
— Désolé de te décevoir, Chair à pâté, mais Risa n’est pas là.
Le désespoir dans les yeux du formaté semblait aussi éloquent que chez n’importe quel être humain légitime. Connor se demanda si la Fée bleue ne lui avait pas rendu une petite visite, après tout.
— Mais… mais… aux infos, ils ont dit qu’elle était avec vous !
— Ouais, ils ont également dit que j’avais attaqué un camp de collecte dans le Nevada. Toi, plus que tout autre, tu devrais savoir qu’on ne peut pas faire confiance aux médias.
— Alors, où est-elle ?
— Je l’ignore, lui dit Connor, puis il ajouta, mais si je le savais, je ne te le dirai pas.
Le formaté se leva, ivre de frustration.
— Tu mens !
Connor se leva au moment où le formaté bondissait sur lui. Connor pointa le fusil sur sa poitrine, et Cam s’arrêta net.
— Donne-moi une seule raison de ne pas tirer, Chair à pâté !
— Arrête de m’appeler comme ça !
— Il dit la vérité, intervint Una. Il n’y a que lui, Lev et une fille à moitié demeurée. Risa Pupille n’était pas avec eux quand ils sont arrivés.
C’était plus d’informations que ne voulait lui en livrer Connor, mais il semblait désormais accepter la vérité. Il se laissa tomber par terre, la tête entre les mains.
— Sisyphe, marmonna-t-il.
Connor n’essaya même pas d’en découvrir la signification.
— Tu te rends compte que je ne peux pas te laisser partir. Je ne peux pas prendre le risque que tu dises aux autorités où nous sommes.
— Je vais le rattacher, dit Una en avançant vers le formaté. Plus personne ne vient dans cette vieille cabane.
— Non, décida Connor. Nous n’allons pas faire ça non plus. Nous allons le ramener chez toi.
— Je ne veux pas de lui !
— Dommage.
Connor les observa tous les deux, jugea leur état d’esprit à peu près stable et il remit la sécurité sur le fusil.
— Nous allons maintenant partir d’ici et marcher tranquillement jusqu’à chez Una, comme trois vieux amis de retour d’un après-midi de chasse. C’est clair ?
Cam et Una acquiescèrent à contrecœur.
Puis il se tourna vers le fragmenté.
— J’aurai du respect pour toi, que tu le mérites ou pas.
Et même si c’était difficile pour Connor, il ajouta :
— Devrais-je t’appeler Camus ?
— Cam, dit-il.
— D’accord, Cam. Je suis Connor, mais tu le savais déjà. J’aurais bien dit « enchanté de te rencontrer », mais je n’aime pas mentir.
Cam hocha la tête en signe d’approbation.
— J’apprécie ta franchise, dit-il. Le sentiment est réciproque.
Pivane était là quand ils revinrent au magasin. En entrant, Connor reconnut sa voix grave et celle de Lev en haut.
— Il ne doit pas savoir pour Cam, déclara Una. Les Tashi’ne ne doivent jamais savoir pour les mains de Wil. Ça les détruirait.
Comme ça t’a détruit, toi ? voulut dire Connor, mais il se contenta d’un :
— Compris.
Una envoya Cam au sous-sol. Il était trop épuisé pour protester.
— Je vais attendre ici et m’assurer qu’il reste caché, dit Una. Peux-tu me rendre mon fusil, s’il te plaît ?
En voyant Connor hésiter, elle expliqua :
— Pivane va poser beaucoup de questions s’il te voit arriver en haut avec ce fusil.
Connor lui donna le fusil après avoir enlevé les balles, même si c’était la dernière chose qu’il avait envie de faire.
Una le prit, le posa contre le mur puis, plongeant la main dans sa poche, elle en sortit de nouvelles cartouches, qu’elle montra à Connor d’un air de défi. Mais au lieu de les charger, elle les remit dans sa poche et s’assit sur un tabouret à côté de la porte du sous-sol.
— Monte voir ce que veut Pivane.
Connor n’aimait pas beaucoup qu’on lui donne des ordres, mais il reconnut le besoin d’Una de maîtriser de nouveau la situation, surtout chez elle. Il se dirigea à l’étage, la laissant surveiller Cam.
— Devrais-je savoir pourquoi tu étais sorti ? demanda Pivane dès que Connor fit son entrée.
— Sans doute pas, lui dit Connor, et il en resta là.
Il jeta un coup d’œil à Lev, qui, visiblement désireux d’apprendre ce qui s’était passé, eut la sagesse de ne pas poser de questions en présence de Pivane.
Grace était tout sourire.
— Les Hopi ont mis les Frags en boule ! Regarde ça !
Elle monta le volume de la télé. C’était une conférence de presse où un porte-parole de la tribu Hopi « ne confirmait ni ne démentait » les rumeurs selon lesquelles ils donnaient asile à l’Évadé d’Akron. Les journalistes semblaient toutefois avoir trouvé des os à ronger : une vidéo tremblotante montrant quelqu’un que l’on faisait entrer, dans l’ombre, dans le bâtiment du Conseil hopi ; la fuite dans les médias d’une « source interne » insistant sur le fait que l’Évadé d’Akron se trouvait là. On aurait dit que Chal avait réussi, finalement.
— Tu peux faire confiance à mon frère, dit Pivane. Il obtiendrait du lait d’une pierre.
— C’était mon idée ! leur rappela Grace. Envoyer les Frags sur une mauvaise piste, c’était mon idée. À moi.
— Oui, approuva Connor, et elle le récompensa d’une accolade.
— Maintenant que les autorités sont occupées ailleurs, dit Pivane, il est temps que vous repreniez la route. Elina est en train de s’arranger pour qu’on vous laisse une voiture non immatriculée sur une aire de repos juste après la porte nord. Je vous y conduirai demain. Après ça, vous vous débrouillerez.
Connor n’avait jamais dit à personne dans la réserve où ils se rendaient et il espérait que Lev avait fait de même. Même s’ils étaient entre amis, moins il y aurait de gens au courant, plus il leur serait facile de disparaître. Mais il restait un imprévu. Qu’allaient-ils faire de Cam ?
1. En français dans le texte.
Les Éclairés
9782702440629_couverture.xhtml
9782702440629_pagetitre_1_1_8.xhtml
9782702440629_isbn_1_1_7.xhtml
9782702440629_collec_1_1_11.xhtml
9782702440629_dedi_1_1_17.xhtml
9782702440629_part_1_3_1.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_10.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_11.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_12.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_13.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_14.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_15.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_16.xhtml
9782702440629_chap_1_3_1_17.xhtml
9782702440629_part_1_3_2.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_2_10.xhtml
9782702440629_part_1_3_3.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_10.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_11.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_12.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_13.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_14.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_15.xhtml
9782702440629_chap_1_3_3_16.xhtml
9782702440629_part_1_3_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_10.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_11.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_12.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_13.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_14.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_15.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_16.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_17.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_18.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_19.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_20.xhtml
9782702440629_chap_1_3_4_21.xhtml
9782702440629_part_1_3_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_10.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_11.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_12.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_13.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_14.xhtml
9782702440629_chap_1_3_5_15.xhtml
9782702440629_part_1_3_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_4.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_5.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_6.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_7.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_8.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_9.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_10.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_11.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_12.xhtml
9782702440629_chap_1_3_6_13.xhtml
9782702440629_appen_1_4.xhtml
9782702440629_appen_1_5.xhtml
9782702440629_appen_1_6.xhtml
9782702440629_collec_1_7.xhtml