17

Rome dormait. Les grandes maisons et les immeubles du Palatin étaient plongés dans la pénombre. Dans les rues silencieuses, seuls résonnaient mes pas. Quelle heure pouvait-il bien être ? Le crépuscule et l’aube semblaient aussi lointains l’un que l’autre. Je me sentais totalement seul : le dernier homme encore debout à Rome.

C’est alors que j’entendis un bruit de pas derrière moi.

Je m’arrêtai. Les pas s’arrêtèrent une seconde plus tard.

Je repris ma marche. Les pas firent de même.

« Ça y est, Gordien, murmurai-je en moi-même, tu y es arrivé ; tu as pris l’ultime risque dans une vie follement dangereuse. Tu t’es paresseusement abandonné entre les mains de la Fortune en pensant que la déesse t’accordait ses faveurs, qu’elle fermait les yeux sur ton inconscience et te protégeait toujours au dernier moment parce que le drame singulier qu’est ta vie l’intriguait. Seulement tu as cessé d’intéresser la Fortune. Elle a porté son regard ailleurs et tu vas être balayé pour de bon de la surface de la terre. »

Une partie de moi se préparait au pire. Une autre savait qu’il m’était impossible de mourir maintenant, que la Fortune me mettait à l’épreuve… seulement je lui signalais gentiment qu’elle ferait bien de faire quelque chose… et vite !

Derrière moi, les pas accélérèrent. Je réprimai l’envie de courir et je me retournai. Je ne voulais pas finir comme tous ces cadavres découverts avec un couteau planté dans le dos.

La rue était étroite et les ombres profondes. La silhouette s’approchait avec une démarche hésitante. L’homme était seul et, sauf erreur, il avait trop bu. « C’est le poète Catulle, pensai-je, l’homme que Clodius m’a dit de ne pas craindre.

« A moins, naturellement, que ce ne soit Marcus Caelius, ivre et armé d’un couteau. Ou peut-être un homme de main anonyme du roi Ptolémée. Ou encore un gladiateur mangeur d’ail envoyé par Pompée. Ou un individu voulant me tuer, persuadé que je sais quelque chose alors que ce n’est pas le cas. »

Il s’arrêta. Je ne pouvais pas discerner son visage, mais une chose était sûre : ce n’était pas l’Éthiopien. L’homme n’était pas assez massif. Il semblait de taille moyenne, assez frêle. Quand il parla, je reconnus la voix de Catulle.

— Ainsi elle s’est lassée de cueillir les fruits dès qu’ils sont mûrs sur l’arbre. Maintenant elle les prend avariés.

Finalement, il avait l’air à peine ivre. Sarcastique, oui, mais pas menaçant.

— J’ai peur de ne pas comprendre, lui criai-je.

— N’es-tu pas trop vieux pour aller réchauffer son lit ?

— Le lit de qui ? Je ne sais pas de quoi tu me parles.

Il fit quelques pas vers moi.

— Nous devrions trouver un peu de lumière. Comme ça je pourrai voir ton visage quand tu me mens. Tu sais parfaitement de quel lit je veux parler.

— Peut-être. Mais tu te trompes.

— Vraiment ? Le maudit galle va et vient entre vous en portant des messages ; il t’emmène à ses horti. Tu te promènes dans sa litière, tous rideaux tirés. Et tu restes chez elle jusqu’au milieu de la nuit. Tu dois être son nouvel amant.

— Ne sois pas stupide.

Il recula un peu et se mit à tourner autour de moi. Soudain, il me sembla qu’il devait être davantage effrayé par moi que je ne l’étais par lui. C’était bien lui qui s’était enfui précipitamment sur la Rampe.

— Au moins, elle a fini avec Caelius, même si je comprends mal pourquoi elle l’a laissé pour un type comme toi.

— Tu m’insultes, rétorquai-je. Dois-je poursuivre dans la voie de la vérité – c’est-à-dire que je ne suis pas l’amant de Clodia – et laisser un doute planer sur ma virilité ? Ou dois-je mentir pour réfuter l’injure et dire que Clodia est ma maîtresse, que chaque nuit je vaux deux Caelius au lit et quatre comme toi, Gaius Valerius Catulle ?

J’avais peut-être été trop loin, pensai-je un instant. Mais mon instinct avait vu juste. Il s’arrêta et éclata de rire.

— Tu dois être un tatillon, comme Caelius. Un de ces avocats du Forum, meurtrier par le verbe et manipulateur de la vérité. Pourquoi ne m’a-t-on pas encore parlé de toi, mon cher ?

— Parce que je ne suis pas orateur, Catulle. Je suis enquêteur.

— En tout cas, tu as découvert mon nom. Quel est le tien ?

— Gordien.

Il hocha la tête. Je le voyais plus clairement maintenant. Il avait toujours sa barbe pouilleuse, malgré son passage aux thermes. L’expression tragique était revenue dans ses yeux, même quand il souriait.

— Tu as soif, Gordien ?

— Pas particulièrement.

— Moi si. Viens avec moi.

 

Un trajet sinueux nous fit déboucher au pied du Palatin juste derrière le temple de Castor et Pollux. Après avoir pris à gauche, nous empruntâmes une allée étroite empestant l’urine et noire comme un four, derrière les bâtiments du Forum côté nord. Nous arrivâmes à l’est du marché aux bestiaux et du Tibre – dans le quartier des petits ateliers et des entrepôts. Le nom des boutiques et des professions était inscrit sur de petites colonnes. Même à cette heure tardive, près du neuvième pilier, une lampe projetait un cercle de lumière. Elle souhaitait la bienvenue à tous les insomniaques et à tous ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’arrêter de boire, jouer ou… tapiner. Catulle appelait cet endroit la « Taverne des Joyeux Lurons ».

Dans les faits, elle n’avait pas de nom… ou tout au moins n’y en avait-il pas d’inscrit sur le pilier à l’extérieur. Au sommet de ce dernier, à la place de l’inscription traditionnelle, se dressait un phallus de marbre pointé vers le ciel. La lampe qui répandait sa lueur blafarde devant ce temple de toutes les licences avait la même forme. Peut-être inspirés par ces beaux exemples d’artisanat, d’autres artistes moins talentueux avaient tracé des graffiti vulgaires sur le mur extérieur : ils représentaient différentes manières de se servir d’un phallus.

Catulle frappa à la porte. Un petit guichet s’ouvrit. Un œil injecté de sang nous observa.

— Ils me connaissent, expliqua Catulle. Et je les connais. Le vin est mauvais, les putains sont pouilleuses et les patrons sont la lie de la terre. Je le sais. J’y viens tous les soirs depuis que je suis revenu à Rome.

Nous pénétrâmes dans une longue salle étroite divisée çà et là par des cloisons amovibles. La salle était pleine de groupes de clients debout ou assis sur des chaises ou des bancs autour de petites tables. Les lampes étaient alimentées par une huile de mauvaise qualité. Dans l’atmosphère enfumée elles répandaient une vapeur ambrée qui me faisait pleurer. J’entendais des rires, des jurons, le claquement de dés lancés sur la table suivi de rugissements de triomphe et de gémissements de désespoir. La foule des consommateurs était exclusivement composée d’hommes. Les rares femmes présentes s’adonnaient à leur métier.

L’une d’elles émergea soudain du nuage de fumée et vint s’enrouler autour de Catulle comme une liane. Je clignai des yeux et aperçus une rouquine au visage en cœur.

— Gaius, roucoula-t-elle. Une des filles m’a dit que tu étais de retour. Et tu as une barbe ! Laisse-moi l’embrasser.

Catulle se raidit et recula, l’air attristé.

— Pas ce soir, Ipsithilla.

— Pourquoi pas ? Mon dernier repas avec toi date de plus d’un an. Je suis affamée.

Catulle sourit.

— Pas ce soir.

Elle recula en baissant les yeux.

— Tu te languis toujours de ta Lesbie ?

Il tressaillit et m’agrippa le bras, pour me conduire vers un banc qui venait d’être libéré. Une esclave nous apporta du vin. Catulle avait parfaitement raison : la qualité laissait plus qu’à désirer, en particulier après le vin au miel que m’avait servi Clodius. Mais Catulle buvait sans hésitation.

À côté de nous, massés autour d’une petite table, des jeunes « durs » jouaient aux dés. Ils utilisaient des dés à l’ancienne, c’est-à-dire des astragales de mouton, avec les nombres I, III, IV et VI, peints sur chacune des quatre faces. Chacun à son tour, les joueurs ramassaient les quatre dés dans une coupe. Ils les agitaient, criaient le nom d’une divinité ou de leur maîtresse et les jetaient sur la table. Un arbitre contrôlait la combinaison et donnait le nom du coup ; annonce immédiatement suivie par des manifestations bruyantes de jubilation ou de moquerie.

— Quand j’étais jeune, on faisait respecter très strictement les lois interdisant le jeu, remarquai-je, sauf pour les courses au moment des Saturnales.

— Dans la Taverne des Joyeux Lurons, c’est tous les jours les Saturnales, plaisanta Catulle.

— Par Hercule ! cria un joueur.

Les os s’entrechoquèrent en tombant sur la table.

— Le coup du taureau ! déclara le juge.

Cela correspondait à trois as et un six.

Le joueur suivant hurla le nom d’une femme et lança les dés.

— Le coup des chiens ! annonça l’arbitre.

Quatre as ! Le plus faible score possible. Le joueur gémit et maudit le nom de la femme qu’il avait invoquée.

Catulle observait la foule. Il avait les yeux larmoyants.

— Tu voulais me parler, lui dis-je.

— J’ai la gorge sèche. Il me faut encore du vin.

— Alors c’est moi qui vais parler. Est-ce toi qui m’as suivi sur la Rampe, il y a deux nuits de ça ?

— Oui.

— Qui t’a envoyé ?

— Personne.

— Alors pourquoi m’as-tu suivi ?

— Je te suivais déjà bien avant. Tu n’as peut-être pas les sens aussi éveillés que tu le crois. Quand tu es passé la voir, cet après-midi-là avec Trygonion, je me trouvais devant sa maison. Je venais de rentrer à Rome.

— A peine de retour, la première chose que tu fais c’est d’aller chez Clodia ?

Il posa un doigt sur ses lèvres.

— Ici, appelle-la Lesbie.

— Pourquoi ?

— C’est le nom secret que je lui donne. Dans les poèmes. Et dans des endroits comme celui-ci.

— Mais pourquoi « Lesbie » ?

— C’est sur l’île de Lesbos que vivait Sappho, qui a mieux compris l’amour que tout autre poète avant elle ou depuis. Homère l’appelait « la plus belle femme ».

— Mais Homère n’était-il pas aveugle ?

Catulle me lança un regard acide.

— C’est Agamemnon qui parle.

— Bon, très bien : va pour Lesbie. Quand tu t’es rendu chez elle ce jour-là, on ne t’a pas dit qu’elle était sortie ?

— Non. Je n’ai pas frappé à la porte. J’attendais. J’observais. Je n’étais pas prêt à la revoir… pas face à face.

— Mais où te trouvais-tu pour attendre et observer ? La rue est une impasse.

— Il y a un porche dans l’allée assez profond pour s’y cacher. Alors je t’ai vu passer avec le galle et ton garde du corps. J’étais assez proche pour entendre parler des horti et, quand vous en avez pris la direction, j’ai suivi. Qu’est-ce que vous avez fait, tous les deux, seuls dans la tente ?

— Ce n’est pas ton affaire, à mon avis.

— Plus intéressant encore : qu’avez-vous fait, tous les trois, quand Lesbius est sorti nu et tout ruisselant ?

— Lesbius ?

— Tu sais très bien de qui je veux parler.

— Tu l’as vu entrer dans la tente ?

— J’étais caché dans les buissons de la rive. Tu dois penser que je suis totalement fou.

— M’as-tu suivi quand je suis reparti ?

— Tout le temps. Jusqu’à ta maison, puis jusqu’à cette autre maison dans Subure, et au retour. Et tu ne t’es rendu compte de rien jusqu’à la Rampe ? Vous avez essayé de me tendre un piège en haut, toi et ton garde du corps. Alors j’ai détalé comme un lapin. Si tu étais comme la plupart des vauriens qu’elle prend comme amants, j’ai pensé que tu devais être assez dangereux.

— Je t’ai dit que je ne suis pas son amant. Juste son « employé », comme m’appelle Clodius.

— Lesbius ! insista-t-il. De toute façon, tu pourrais être à la fois son amant et son employé. Elle est bien au-dessus des gens de ton espèce, mais, du moment qu’il s’agit d’amour, elle sait s’abaisser.

— Le coup de Vénus ! hurla l’arbitre, déclenchant un tumulte à côté de nous.

Quelqu’un écrasa son poing sur la table en faisant sauter les dés. Il se mit à éructer des accusations : c’était de la triche. Les autres serrèrent les rangs pour le calmer.

— Le coup de Vénus, commenta Catulle. Quand les quatre dés affichent un chiffre différent. Pas le total le plus élevé, mais le coup le plus chanceux. Pourquoi à ton avis ?

— Parce que Vénus adore la variété ?

— Comme Lesbie. Sauf quand elle désire avidement sa propre chair :

 

Lesbius est Pulcher – Pulcher signifie beau –

Et il doit l’être, parce que Lesbie l’aime follement

Plus que Catulle et tout son clan,

Que Lesbius vendrait au plus offrant

Pour pouvoir… baiser… trois hommes au garde-à-vous !

 

Je souris et hochai la tête.

— Clodius dit que tu composes de meilleurs poèmes que les hommes de Milon. Et plus choquants.

— Lesbius, insista encore une fois Catulle, me rabaisse avec un tel éloge.

— Tu me parais loquace après tout.

— Mais aussi assoiffé que jamais. Où est passée cette esclave ?

Il frappa sa coupe contre le banc, mais le bruit se perdit dans le vacarme.

— Tu vas bien finir par la revoir, le rassurai-je.

— C’est déjà fait.

— Non, mais je veux dire face à face, pour lui parler.

— Je lui ai déjà parlé aujourd’hui. J’ai passé l’après-midi avec elle.

— Quoi ?

— Ce matin, je suis finalement allé frapper à sa porte. Le vieil esclave m’a dit qu’elle était sortie tôt pour rendre visite avec sa fille à un cousin. Alors j’ai erré dans les rues et c’est comme ça que je me suis retrouvé aux bains de Senia. Ce fut une pure coïncidence que je t’y rencontre et que j’assiste à cette ridicule chasse à l’homme. Quelle en était la raison ?

— Je te le dirai tout à l’heure. Mais continue à me parler de… Lesbie.

— J’ai finalement quitté les thermes et je suis retourné chez elle. En chemin, j’ai reconnu sa litière devant la maison d’un Metellus. Elle était sur le point de s’en aller avec sa fille. Avant d’avoir pu tourner les talons, elle m’a vu. Il m’était difficile de lire sur son visage… ce qui a toujours été le cas. Son visage ne ressemble à aucun autre… sauf un. Penses-tu que Lesbie et Lesbius se comprennent au premier coup d’œil ? Comme s’ils regardaient un miroir ? Nous autres, pauvres humains, nous pouvons regarder leur visage pendant des heures sans jamais être sûrs de ce qui se cache derrière. Il y a quelque chose de singulier dans leurs yeux… comme un poème dans une langue étrangère. Quelque chose de plus parfait. Et de plus douloureux.

« Elle m’a invité dans sa litière. « Pour aller où ? ai-je demandé.

— À la maison. J’attends qu’un homme m’apporte des nouvelles », a-t-elle répondu. C’était toi, j’imagine, je me trompe ? « Je ne veux pas aller chez toi, s’il doit y avoir quelqu’un d’autre », ai-je rétorqué. Elle est restée silencieuse un long moment, sans cesser de me fixer. Elle a rompu finalement le silence : « Toi et moi, nous allons nous rendre aux horti. »

« C’était une erreur, naturellement, par une belle journée comme celle-là, avec ces vauriens tout nus en train de patauger dans l’eau et de la dévorer du regard pendant qu’elle en faisait autant de son côté. A-t-elle joué à ça pour me blesser ? Au moins, Chrysis n’était pas là pour aller chercher le vaurien le plus séduisant et le ramener dans la tente. C’est leur jeu habituel. Elle m’a invité à sa prochaine réception. Elle s’est montrée très polie. « Tu dois avoir de nouveaux poèmes à nous lire ; des textes inspirés par tes récents voyages. » Comme si j’étais une connaissance qu’elle pouvait faire venir pour distraire ses admirateurs. Cela peut te surprendre, j’ai bien un nouveau poème et je compte effectivement le lire à sa petite réception. Le sujet s’accorde d’ailleurs parfaitement avec la fête de la Grande Mère. Je suppose que tu seras là.

— Moi ? Je n’ai pas été invité. C’est étrange, si l’on considère que je suis son nouvel amant.

— Ne te moque pas de moi, Gordien. On l’a déjà suffisamment fait aujourd’hui. Au coucher du soleil, elle a décidé de quitter les horti. J’étais sur le point de lui avouer ce que j’avais à lui dire. Mais elle devait récupérer Metella, répondit-elle, et attendait la visite de son frère. « Tu es le bienvenu si tu veux m’accompagner », ajouta-t-elle. Comme si je pouvais supporter l’idée de me retrouver avec ces deux-là en même temps. Je préférais retourner en ville à pied. Et c’est ce que j’ai fait.

— Mais tu étais encore devant sa porte.

— Comme un papillon de nuit attiré par une flamme, sauf que cette flamme me glace le cœur.

L’esclave apparut soudain et, à la demande de Catulle, elle remplit nos coupes de vin frais. Je le goûtai et fus tenté de le recracher immédiatement. Mais Catulle l’avala sans sourciller.

— Alors ? Qu’est-ce qui s’est exactement passé aujourd’hui aux bains ? s’enquit-il. Aux horti, quand j’ai dit à Lesbie que je m’étais trouvé un peu plus tôt aux bains de Senia, elle fut tout d’un coup très attentive. Elle insista pour que je lui raconte tout sur cette poursuite ridicule.

Je comprenais maintenant pourquoi Clodia n’avait pas eu besoin de me réveiller en rentrant. Catulle, puis Barnabas lui avaient sans doute tout raconté sur la capture manquée de Licinius et de la pyxide. A moins qu’elle n’ait été trop pressée de se retrouver avec son frère pour se préoccuper du rapport d’un « employé ».

— Tu as entendu parler des charges qui pèsent sur Marcus Caelius ? demandai-je.

— Je n’ai entendu parler que de cela depuis mon retour à Rome. On dit qu’il est impliqué jusqu’au cou cette fois.

— Ta Lesbie et ton Lesbius sont pour quelque chose dans l’accusation. Pas officiellement. Mais ils veulent à tout prix trouver des preuves contre lui, particulièrement dans une affaire de tentative d’empoisonnement.

— On m’en a parlé. Est-ce pour ça que tu as été engagé ?

— Oui.

— Alors avec Caelius c’en est arrivé là. Je les ai aimés tous les deux… La resplendissante Vénus de la société romaine et le pétulant Adonis. Qui peut s’étonner qu’ils aient décidé de s’aimer… et de chasser le cul-terreux de Vérone ? Ces deux-là ensemble, et sans moi… c’était plus que je ne pouvais supporter. C’était mieux du vivant de son mari… Ce vieux bouc, ce lourdaud de Quintus Metellus Celer. Elle m’était fidèle alors… Mais, après la mort de Celer, elle devint une femme indépendante et du même coup la femme de tout le monde. C’était toujours mieux que de la voir choisir un favori et m’exclure totalement. Puis elle jeta son dévolu sur Caelius… et je rejoignis la foule de ses ex-amants usés jusqu’à la corde. Cette taverne est pleine de ces malheureux. Je pourrais t’en désigner une douzaine ici qui l’ont possédée. Je pensais qu’une année au loin apaiserait la douleur. Mais la blessure saigne toujours… et pourtant j’aime encore passionnément celle qui m’a transpercé.

— Elle n’aime plus Caelius, observai-je. Il l’a rejetée, à ma connaissance. Cela l’a rendue amère. Et, si cela peut te réconforter, elle veut maintenant le détruire et cette pensée l’obsède.

— Me réconforter ? Savoir qu’un autre homme l’a possédée, qu’elle l’a aimé au point de souffrir quand il s’est détourné… et qu’elle a tellement souffert qu’elle veut le détruire ? Moi, elle m’a congédié comme un malotru ! Caelius l’a abandonnée et elle… elle, ça l’a rendue folle. Où est le réconfort ?

— Le désir de destruction est réciproque, à ce que dit Lesbie. Cela explique l’incident des bains. L’ami de Caelius, Licinius, était là pour remettre du poison à des esclaves appartenant à Clodia. Caelius avait cru pouvoir les corrompre pour qu’ils tuent leur maîtresse.

— Tuer Clodia ?

Catulle était suffisamment étonné – ou ivre – pour en oublier le pseudonyme de son ex-maîtresse.

— Non, jamais Caelius n’aurait fait ça. Je n’y crois pas un seul instant.

— Elle prétend que Caelius a d’abord testé le poison sur l’un de ses propres esclaves et qu’il l’a regardé mourir sous ses yeux.

— Je ne peux pas croire ça. Caelius pourrait tout à fait tuer un esclave sans le moindre remords. Mais je ne peux croire qu’il utiliserait le même poison pour elle.

— Même par désespoir ? Les accusations contre lui sont sérieuses. S’il est déclaré coupable, il sera humilié, oublié, exilé de Rome.

— Exilé de Rome… Je connais cette solitude.

Catulle plongea son regard au fond de sa coupe.

— Pour se sauver, tu ne crois pas que Caelius serait capable de détruire Lesbie ?

— La détruire ? Non, pas elle. Jamais !

— Il ne l’a peut-être jamais aimée autant que toi tu l’as aimée.

— Personne ne l’a jamais aimée comme moi. Par Hadès ! murmura-t-il. Regarde qui arrive.

Je plissai les yeux. Trois nouveaux venus se tenaient près de l’entrée et cherchaient un endroit pour s’asseoir.

— Marcus Caelius ! remarquai-je. Et si je ne m’abuse, il est accompagné de ses amis Asicius et Licinius.

Caelius aperçut Catulle. Son visage exprima d’abord la surprise, suivie d’une vive émotion. Puis son visage se figea – le masque disparut un instant pour traduire son trouble en me voyant. Il hésita, fit signe à ses compagnons de le suivre et s’approcha de nous.

— Catulle, dit-il avec un sourire sardonique. Depuis quand es-tu de retour ?

— Quelques jours.

— Et tu n’es pas venu me voir ? Je me sens blessé.

— En fait, je suis passé chez toi, remarqua Catulle. Enfin à ton ancienne résidence. Les voisins m’ont dit que Clodius t’avait chassé avant de mettre l’immeuble en vente. Ils ont ajouté que je te trouverais dans la masure de ton père sur le Quirinal.

— Tu devrais passer.

Caelius souriait toujours.

— Je vais rarement dans ce quartier. En outre, je ne pense pas que la maison de ton père soit l’endroit idéal pour recevoir tes invités avec ton faste habituel.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Le vin, les chants, les filles, les échanges de partenaires… Je ne crois pas que ton père approuverait.

— Tout cela est du passé maintenant, rétorqua Caelius.

— Au moins jusqu’à la fin de ton procès. Après, tu devras peut-être tout abandonner, volontairement ou non.

Le masque de Caelius se désagrégea.

— Ce que je voulais dire, c’est que j’ai jugé bon de renoncer à mes habitudes de jeunesse les plus folles et de me couper de mes relations les plus discutables. Après tout, tu as peut-être eu raison de ne pas venir me voir, Catulle. On doit respecter certaines règles lorsqu’on invite quelqu’un dans la maison de son père. J’aurais eu à te mettre dehors. Tu as été bien inspiré en m’évitant cet embarras.

Une longue pause s’ensuivit. Songeur, les lèvres pincées, Catulle faisait tourbillonner la lie au fond de sa coupe.

— Je pense, dit-il finalement d’une voix menaçante qui me fit retenir mon souffle, je pense que pour m’insulter de cette manière, Marcus Caelius… Pour que tu m’aies insulté ainsi, poursuivit Catulle, j’entends en argumentant avec la plus grande logique, c’est que, à mon avis, Marcus Caelius, tu n’as pas bu assez de vin ce soir !

Caelius pâlit, puis éclata de rire.

— Pas vraiment assez. Mais pour que toi, tu m’insultes d’une aussi piètre manière, Gaius Catulle, c’est qu’en revanche tu as déjà bu plus que ton soûl.

— Je ne dirai pas le contraire, rétorqua Catulle, grimaçant et buvant son vin jusqu’à la lie.

— Peu importe, ajouta Caelius. La nuit n’est pas finie. Il me reste encore beaucoup de temps pour me soûler et il t’en reste pour redevenir sobre.

— Je crois que tu connais mon ami ici, Gratidien, avança le poète.

— Gordien, corrigeai-je. Oui, Marcus Caelius et moi, nous nous connaissons. Nous étions voisins.

— Et nos routes se sont parfois croisées dans les tribunaux, ajouta Caelius. Mais jamais comme aujourd’hui.

Je haussai les épaules.

— Je ne suis pas certain que…

— N’est-ce pas vrai, Gordien, qu’une certaine dame t’a engagé… et pour des raisons différentes de celles qui l’amènent généralement à engager des hommes ?

— Tu n’es pas digne de baiser la main de cette dame ! s’écria Catulle, d’un ton hostile. Tu n’es sûrement pas digne de l’insulter.

Licinius, qui m’observait, intervint soudain.

— Ça y est, maintenant je me souviens où j’ai vu cet homme. Il était là, aujourd’hui, aux bains, quand je…

— Tais-toi, Licinius, gronda Caelius.

— Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, Caelius ? Est-ce vrai ce que m’a dit Gratidien ?… Tu ne voulais pas vraiment lui faire de mal ? Pas à elle… Quelle qu’en soit la raison… Et certainement pas par…

— Tais-toi, Catulle, dis-je en serrant les dents.

— Moi aussi je le reconnais ! intervint à son tour Asicius, qui s’était rapproché pour me détailler. C’est lui qui était caché dans l’ombre de l’autre côté de la rue, devant ton appartement sur le Palatin, Caelius… Tu sais, la nuit où nous avons pris soin du vieux…

— Tais-toi, Asicius ! cria Caelius, suffisamment fort pour faire sursauter les joueurs à la table d’à côté.

Celui qui lançait les dés rata son coup et les fit tomber par terre – un mauvais présage qui amena une partie des joueurs à quitter la table immédiatement, alors que les autres hurlaient des imprécations contre les lâcheurs.

Catulle se leva, pas très assuré.

— Tu cherches une place pour t’asseoir, Caelius ? Tiens, prends la mienne. Tu viens, Gratidien ?

— Gordien, rectifiai-je entre mes dents, en me levant.

Asicius et Licinius me contournèrent et allèrent s’asseoir sur le banc. Alors que je passais près de lui, Caelius m’attrapa le bras et approcha sa bouche de mon oreille.

— Tu te trompes, tu sais. Je n’ai pas tué Dion. Je le jure.

— Ce n’est qu’une des charges portées contre toi, Marcus Caelius.

Il me serra le bras encore davantage et continua de murmurer :

— Mais tu ne t’intéresses qu’à Dion, n’est-ce pas ? Tu veux que son esprit repose en paix, parce que tu l’as connu à Alexandrie jadis.

Son beau visage n’était plus serein. Clodius l’avait qualifié d’homme « prêt à tout et désespéré ». Je plongeai mes yeux dans les siens. Et j’y vis la peur.

— Comment sais-tu tout cela, Marcus Caelius ? Comment es-tu au courant de mes relations avec Dion et comment sais-tu que Clodia m’a engagé ?

— Peu importe. La seule chose qui compte, c’est que tu te trompes. Je n’ai pas tué le vieil Égyptien. Je le jure sur les mânes de mes ancêtres !

— Et ton ami Asicius ?

— Il ne l’a pas tué, non plus.

— Qui alors ?

— Je l’ignore. Mais ce n’était pas moi.

— Et la nuit du meurtre… d’où venais-tu avec ton ami Asicius quand je vous ai vus ? Dis-le-moi et jure-le sur les mânes de tes ancêtres.

— C’est plus que je ne peux te dire.

— Mais pas encore assez.

Caelius me serra le bras très fort.

— Gordien…

— Gratidien ! s’écria Catulle, s’emparant de mon autre bras.

Caelius me relâcha et je me sentis entraîné vers la sortie. J’avais la tête qui tournait à cause de l’odeur de l’huile dans les lampes et du vin bon marché.

Derrière moi, j’entendis quelqu’un crier :

— Par Vénus ! Je mise tout, je fais confiance à la déesse de l’Amour !

On perçut le roulement des dés, puis la même voix exulta au milieu des cris de désespoir : « Le coup de Vénus ! Le coup de Vénus ! Il gagne tout. »

Dehors, dans la rue, je m’emplis les poumons d’air frais. Les étoiles resplendissaient dans le ciel.

— Pourquoi m’avoir entraîné dehors avec une telle précipitation ?

— Je ne pouvais pas te laisser leur raconter tout ce que je venais de te dire… sur elle.

— Je ne l’aurais pas fait. Et s’il te plaît, cesse de m’appeler Gratidien. Mon nom…

— Je sais comment tu t’appelles. Mais pour moi, tu auras toujours un autre nom, celui que je te donne. Comme elle, elle a un autre nom.

— Pourquoi ?

— Au cas où j’écrirai un poème sur toi.

— Vraiment ?

 

Gratidien pense qu’il est intelligent, et il doit l’être,

Parce que Lesbie l’aime, cent fois plus que Catulle

Et tout son clan…

 

— Arrête, Catulle. Tu es trop ivre pour savoir ce que tu dis.

— Un homme n’est jamais trop ivre pour composer un poème.

— Mais il peut être trop ivre pour lui donner du sens. Je pense que je ferais mieux de rentrer.

Je regardai l’allée. Au-delà de la lueur blafarde projetée par la lampe phallique au-dessus de la porte, la rue disparaissait dans une obscurité inquiétante.

— Je t’accompagne jusque chez toi, proposa Catulle.

Un poète soûl pour garde du corps ! Qu’arriverait-il si Caelius et ses amis décidaient de nous courir après ?

— Alors vite. Connais-tu un autre chemin ? Où personne ne songerait à nous suivre ?

— Je connais tous les chemins qui mènent à la Taverne des Joyeux Lurons et qui en partent. Suis-moi.

Il m’entraîna le long de ruelles invraisemblables qui se faufilaient entre les échoppes et les ateliers. Par moments, les bâtiments étaient si proches que je devais avancer de biais pour passer. Il nous fallait contourner des tas de détritus, d’où les rats s’enfuyaient en couinant. Finalement, nous gravîmes un sentier abrupt qui s’accrochait au flanc ouest du Palatin. C’était apparemment une excellente route pour échapper à des assassins, mais assez traîtresse pour un homme ivre comme Catulle. À tout instant, je m’attendais à le voir tomber et se rompre le cou en m’entraînant dans sa chute. Mais il ne fit qu’un tout petit faux pas. L’ascension parut même le dégriser. Alors que je respirais avec peine, il avait assez de souffle pour parler.

— Si seulement nous pouvions tous devenir eunuques ! déclara-t-il. On serait si heureux !

— Nous pouvons tous devenir eunuques, j’imagine… si nous le voulons.

— Ha ! Passer à l’acte est plus difficile que tu ne sembles le croire. Je le sais, car j’ai tout vu de mes propres yeux. Pendant mon séjour en Bithynie, je me suis rendu sur les ruines de l’ancienne Troie. Je voulais trouver l’endroit où a été enterré mon frère. Si loin de chez nous ! Au retour, un étranger me demanda si j’aimerais assister aux rites initiatiques des galles. Naturellement, il voulait de l’argent. J’ai accepté. Il m’a conduit vers un temple sur les pentes du mont Ida[64]. Les prêtres réclamaient de l’argent eux aussi. J’avais l’impression d’être le touriste naïf, qui jette des pièces dans des mains avides. Encore un de ces Romains grossiers et amateurs de sensations qui souhaitent découvrir le « véritable » Orient. Ils m’emmenèrent dans une pièce si enfumée à cause de l’encens que je pouvais à peine voir. Et le vacarme des flûtes et des tambourins était si fort que je crus devenir sourd. Le rituel commençait. Les galles psalmodiaient et exécutaient une danse étrange. Le jeune initié lui-même était entré dans une sorte de frénésie. Il était nu, couvert de sueur, et son corps ondulait avec la musique. Quelqu’un déposa un tesson de poterie brisée dans sa main. « De la poterie samienne[65] murmura le guide à mon oreille, la seule qui empêche la blessure de s’infecter. » Sous mes yeux, le garçon se transforma en galle. Tout seul… Sans aide. C’était terrible à voir. Ensuite, alors que le sang coulait entre ses jambes et qu’il n’était pratiquement plus capable de se tenir debout, ses camarades se rassemblèrent. Ils se balançaient, psalmodiaient, hurlaient. Le guide ricanait et me donnait des coups de coude dans les côtes. Il fit tout un cirque en mettant ses mains sur ses boules, hilare. Je me suis précipité dehors, paniqué.

Catulle resta silencieux quelque temps. Nous atteignîmes la partie la plus élevée du sentier pour nous aventurer dans le labyrinthe des rues sombres et silencieuses.

— Tu imagines la liberté, murmura Catulle. Laisser derrière soi les appétits de la chair.

— Les galles ont de l’appétit. Ils mangent comme les hommes.

— Oui, mais un homme mange et après c’est fini. La faim dont je parle se nourrit elle-même. Plus on mange, plus on a faim.

— Un Romain contrôle ses appétits, et pas l’inverse.

— Alors peut-être ne sommes-nous plus romains. Montre-moi un homme dans Rome qui domine ses appétits.

Je méditai ces pensées en continuant d’avancer dans les rues sinueuses et enténébrées.

— Mais même la castration ne peut signifier la fin de la passion, reprit Catulle. Regarde Trygonion !

— Qu’est-ce qu’il a, Trygonion ?

— Ne sais-tu pas d’où vient son nom ? Cette célèbre épitaphe de Philodème ?

— Suis-je censé connaître ce nom ?

— Barbare ! C’est Philodème de Gades[66]. Probablement le plus grand poète vivant de langue grecque.

— Oh, ce Philodème. Une épitaphe, dis-tu ?

— Oui, écrite il y a des années pour un galle mort appelé Trygonion. Tu comprends le grec.

 

Ci-gît cette tendre créature aux membres féminins,

Trygonion, prince des émasculés,

Chéri de la Grande Mère, Cybèle,

Lui, seul parmi les galles, par une femme fut séduit.

Sainte terre, sur cette tombe

Fais fleurir de blanches violettes.

 

« Ce vieux poème explique comment notre Trygonion reçut son nom. Je ne me souviens plus de son nom antérieur… Un quelconque terme phrygien imprononçable. Un jour, alors que je le taquinais à cause de sa faiblesse pour Lesbie, je l’ai appelé « notre petit Trygonion », le galle tombé amoureux d’une femme. Le nom lui est resté. Chaque fois que j’envisage de me castrer, je pense à lui. Cela ne peut rien arranger, tu vois. C’est un geste vain. Parfois la passion est plus forte que la chair. L’amour peut perdurer par-delà la tombe et, en quelques rares occasions, la faiblesse d’un homme pour la beauté peut même survivre à ses testicules.

— Trygonion est à ce point dévoué à Lesbie ?

— Il souffre comme je souffre, mais avec une grosse différence.

— Laquelle ?

— Il souffre sans espoir.

— Et toi ?

— Tant qu’il y a des couilles, il y a de l’espoir ! s’esclaffa Catulle de son rire sonore caractéristique. Même les esclaves ont de l’espoir, tant qu’ils ont leurs couilles. Mais un galle amoureux d’une belle femme…

— Si amoureux qu’il pourrait faire n’importe quoi pour elle ?

— N’importe quoi, sans poser de questions.

— Si amoureux que la jalousie pourrait l’aveugler ?

— Qu’elle pourrait même le rendre fou !

— Il pourrait être dangereux. Imprévisible…

— Pas aussi dangereux que Lesbie.

Le comportement de Catulle devint soudain étrange. Il se mit à trotter en avant, puis à revenir en arrière, à sauter pour faire se balancer les lampes qui pendaient aux fenêtres des premiers étages.

— Maudite putain ! La Médée du Palatin !

— Médée était une sorcière, si je me souviens bien, et une sale garce.

— Seulement parce qu’elle avait été malheureuse comme les pierres, blessée par un amour cruel, comme dit le dramaturge[67] Oh oui, c’est une sorcière, et blessée aussi – c’est moi qu’elle a ensorcelé et Caelius qui l’a blessée. La Médée du Palatin ! Clytemnestre-pour-un-quadrans.[68]

— Pour un quadrans ? Vraiment pour si peu ?

— Pourquoi pas ? C’est le prix d’entrée aux bains de Senia.

— Mais Clytemnestre a assassiné son mari.

— Agamemnon le méritait.

Il tourbillonna comme un galle affolé. « Médée du Palatin ! Clytemnestre-pour-un-quadrans ! » chantonna-t-il.

— Qui l’a baptisée ainsi ?

— Moi, répondit Catulle.

Il s’arrêta soudain de virevolter et vacilla devant moi, à court de souffle.

— Je viens de trouver ces noms pour Clodia. Qu’en penses-tu ? Je dois renouveler mes invectives si je veux retenir de nouveau son attention.

— Tu es un étrange soupirant, Catulle.

— J’aime une femme différente des autres. Tu veux connaître un secret sur elle ? Quelque chose que personne au monde ne connaît, pas même Lesbius ? Je l’ignorerais moi-même si je ne l’avais pas espionnée une nuit. Tu connais cette monstruosité géante, la Vénus dans son jardin ?

— Oui.

— Le socle a l’air d’un bloc plein, non ? Il ne l’est pas.

Il y a un panneau amovible qui donne sur un compartiment secret. C’est là qu’elle conserve ses trophées.

— Ses trophées ?

— Ses souvenirs. Une nuit, je dormais à côté d’elle après des heures d’amour. Je sentis soudain un tiraillement au niveau de l’aine. J’entrouvris un œil pour la voir couper quelques-uns de mes poils pubiens. Elle quitta la pièce avec. Discrètement, je la suivis jusqu’au jardin. Entre les ombres, je la vis ouvrir le socle et y déposer ce qu’elle m’avait enlevé. Plus tard, je suis revenu près de la statue. J’ai trouvé comment ouvrir le réduit et j’ai vu ce qu’elle y rangeait. Des poèmes que je lui avais envoyés. Des lettres d’autres amants. Des bijoux, des mèches de cheveux, des petits cadeaux d’enfants que son frère avait dû lui offrir dans leur jeunesse. Ses trophées d’amour ! J’ai voulu tout détruire, murmura-t-il dans un râle. J’ai voulu prendre tous ses trésors, les jeter au feu et les regarder se consumer. Mais je n’ai pas pu. J’ai senti les yeux de la déesse sur moi. Je me suis reculé et j’ai regardé son visage. J’ai laissé les souvenirs. Si je les avais détruits, je sais qu’elle ne m’aurait jamais pardonné.

— Qui ne t’aurait jamais pardonné ? Vénus ou Lesbie ?

Il me dévisagea avec des yeux désespérés.

— Quelle différence ?

Un égyptien dans la ville
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