14

— La fille est un élément important de l’enquête. Je ne sais ni vraiment pourquoi ni dans quelle mesure. Mais je suis convaincu qu’elle l’est.

— Quelle fille ? demanda Eco.

— La petite esclave, Zotica. Celle que Dion…

— Mais pourquoi ? Si elle s’était trouvée dans la chambre au moment de l’irruption des tueurs, elle aurait été témoin. Mais ils ne l’auraient certainement pas laissée en vie. Sauf si elle faisait partie de leur plan. Par exemple, elle aurait pu leur ouvrir la fenêtre, et ainsi ils n’auraient pas eu besoin de forcer les volets. Enfin, non… Même dans ce cas, je suis certain qu’ils l’auraient tuée pour l’empêcher de parler. Et puis, de toute façon, nous parlons pour ne rien dire, puisque nous savons qu’elle n’était pas là quand Dion a été tué.

— Pourtant…

Finalement, las de marcher et de ressasser les mêmes idées, je m’étais décidé à rentrer manger. Je découvris avec plaisir qu’Eco et sa famille étaient venus nous rendre visite. Je restai avec Eco dans l’atrium, tandis que les femmes et les enfants étaient occupés dans le jardin au cœur de la maison. Nous nous assîmes dans un petit coin ensoleillé. Je lui racontai tout ce que j’avais appris depuis le matin, chez Lucceius et Coponius.

— Il est vraiment curieux que Cicéron se mêle de cette affaire, commenta Eco en secouant la tête. Je ne comprends pas comment il peut prendre la défense de Marcus Caelius, après tout ce qui s’est passé entre eux.

— Les enjeux sont importants et les accusations sérieuses. Suffisamment sérieuses pour qu’un garçon impétueux comme Caelius se précipite de nouveau vers son vieux maître. Je suis certain que Cicéron lui a fait promettre de se comporter en bon garçon à l’avenir. Pour Cicéron, c’était un bon coup à jouer : ramener la brebis égarée dans le troupeau.

— À condition que Cicéron parvienne à le tirer d’affaire, Caelius aura une nouvelle chance de trahir son vieux mentor, observa Eco.

Je ris.

— Exactement.

— Enfin, ce n’est pas une bonne chose que Cicéron défende Caelius. Même si tu trouves de solides preuves contre ce dernier…

— Cicéron les escamotera dans un nuage de fumée, tout en entraînant les juges sur quelque piste improbable avec, au bout, l’acquittement de Caelius. Je le sais. Ayant travaillé pour Cicéron, nous savons tous les deux à quel point il peut se montrer sans scrupule et terriblement persuasif. Ce n’est effectivement pas très amusant de se trouver dans le camp adverse.

Eco ferma les yeux et appuya son dos contre un pilier. Il laissait le soleil lui réchauffer le visage.

— Mais la pire nouvelle, c’est l’envoi des deux esclaves cuisiniers de Lucceius dans une mine de Picenum. Si l’épouse de Lucceius dit vrai, ils sont au cœur même de l’affaire. S’ils ont été achetés pour administrer le poison, ils doivent plus ou moins savoir qui les a payés, ou au moins pourraient-ils nous fournir un indice. Ce sont eux qu’il faut absolument rencontrer maintenant. Le problème, c’est qu’ils sont loin. Et apparemment, Lucceius ne voudra jamais les laisser témoigner.

— Oui, c’est frustrant. Mais je pense que quelqu’un doit se rendre à Picenum et essayer de les trouver. Même si on ne les laisse pas témoigner, ils pourront peut-être nous indiquer une personne susceptible de le faire.

Eco ouvrit à demi un œil et m’observa de biais.

— Je n’ai pas d’affaires urgentes dans les prochains jours et c’est toujours agréable de quitter Rome. Tu n’as qu’un mot à dire, papa.

Je souris en hochant la tête.

— Peut-être. Je suppose que c’est la prochaine étape logique. Mais je continue de penser à cette fille…

— La fille ?

— Mais oui, l’esclave Zotica. Il faut que je lui parle. Elle peut savoir quelque chose.

— Je suis certain qu’elle sait pas mal de choses, papa. Mais désires-tu vraiment l’entendre pour cette histoire de meurtre ?

— Que veux-tu dire ?

Eco me fixa avec un air malicieux, en plissant les yeux sous l’effet du soleil.

— Sois honnête, papa, est-ce pour entendre Zotica te parler du meurtre – dont elle ne sait probablement rien – que tu veux la voir ? Ou n’est-ce pas plutôt pour découvrir ce que Dion pouvait bien lui faire et satisfaire ta curiosité libidineuse ?

— Eco !

— Allez, admets-le ! Tu serais soulagé d’apprendre que les traitements qu’il lui infligeait n’étaient pas aussi cruels que ce qu’on t’a laissé entendre.

— Oui, soupirai-je.

— Et si c’est l’inverse ? Si le comportement de Dion était bien aussi épouvantable qu’on te l’a dit, voire pire ? Je connais ton sentiment à l’endroit de Dion – sa mort cruelle, le fait qu’il soit venu te réclamer de l’aide. Mais je connais aussi ton violent ressentiment envers ceux qui maltraitent les esclaves.

— Coponius a peut-être calomnié Dion, avançai-je.

— Honnêtement, il ne donne pas l’impression d’avoir voulu le faire. Tel que tu me l’as rapporté, il ne faisait que parler à contrecœur des penchants de Dion. Embarrassé, oui, mais pas juge, un peu comme s’il avait évoqué les flatulences ou les ronflements de Dion. Et, n’oublie pas l’esclave Philon. Il t’a raconté la même histoire.

— Les esclaves aiment autant les ragots que leurs maîtres. Cela me déplaît de voir le souvenir de Dion souillé par des on-dit.

— Eh bien, va voir la fille. Venant de sa bouche, il ne s’agira pas de on-dit.

— Donc, tu penses que je ne veux voir la fille que pour me rassurer en ce qui concerne Dion.

— N’est-ce pas le cas ?

Son regard compatissant me fit soudain douter de moi-même.

— Tu as certainement raison en partie. Mais ce n’est pas le seul motif, insistai-je. Il y a autre chose… mais je suis incapable de dire quoi.

— Ah, la déesse Cybèle te viendrait encore en aide ?

— Je suis sérieux, Eco. Je ne peux m’empêcher de penser que cette Zotica sait quelque chose… ou qu’elle a fait quelque chose…

— Ou qu’on lui a fait quelque chose, murmura Eco.

— Eco, tu m’as dit que je pouvais faire appel à toi si j’en avais besoin. Eh bien, j’ai besoin de toi : trouve ce marchand d’esclaves de la rue des couteliers. Découvre ce qu’est devenue Zotica.

— Tu es sûr, papa ? Mon temps serait plus intelligemment utilisé à chercher les esclaves de Lucceius. Si c’est ce que je dois faire, il faut que je parte tout de suite. Aller là-bas me prendra une journée, un autre jour pour revenir, plus le temps passé en leur présence. Comme le procès est dans quatre jours…

— Non, trouve d’abord la fille. De toute manière, il est trop tard pour partir à Picenum aujourd’hui.

Eco secoua la tête, affligé par mon entêtement.

— Très bien, papa. Je vais essayer de retrouver la trace de cette Zotica. Si son histoire est aussi effrayante qu’on l’a dit, cela m’épargnera peut-être le voyage à Picenum.

— Que veux-tu dire ?

— Que… commença Eco, mais il fut interrompu.

— Si Dion était aussi mauvais, pourquoi aurais-tu besoin d’essayer de retrouver ses meurtriers ?

— Diane !

Ma fille se tenait dans l’encadrement de la porte.

— Puis-je m’approcher et rester avec vous, papa ?

Elle s’avança vers moi et me prit la main. Dans le soleil, sa longue chevelure avait des reflets bleu-noir.

— Mère et Menenia ne font que parler des jumeaux. Et eux ils n’arrêtent pas de me tirer les cheveux et de me hurler dans les oreilles. De vrais petits monstres ! Je préfère rester avec toi et Eco.

— Diane, pourquoi as-tu dit ça ?

— Parce que c’est vrai. Les jumeaux sont de vrais monstres : Titania est une harpie et Titus un cyclope !

— Non, je te demandais pourquoi tu as fait cette réflexion sur Dion ? Personne n’a dit qu’il était mauvais.

Diane me dévisagea.

— Je pense, dit Eco, que quelqu’un nous espionnait depuis un moment.

— Non, ce n’est pas vrai.

— C’est une mauvaise habitude, Diane. Surtout quand ton frère et moi parlons travail.

— Je t’ai dit que je n’espionnais pas.

Elle recula et croisa les bras. J’eus droit à sa version du regard de Méduse.

— Diane…

— En plus, papa, n’est-ce pas de l’espionnage que vous faites tous les deux pour vivre ? Je ne vois pas pourquoi vous devriez me critiquer pour ça, même si c’était vrai. Et je vous ai dit que ça ne l’était pas.

— Il s’agit de montrer du respect envers ton père, expliqua Eco.

— Personne ne me montre de respect dans cette maison maugréa Diane.

Elle tourna les talons et quitta la pièce.

— Grands dieux ! s’exclama Eco. Est-ce cela, une jeune fille de treize ans ?

— Tu verras, soupirai-je.

— Tu l’as peut-être trop négligée.

— Probablement. Elle devient difficile.

— Mais c’était la même chose avec Meto, souviens-toi.

— Cela a commencé plus tard et c’était différent. Que je sois d’accord ou pas, je comprenais ce qui se passait. Avec Diane, je ne comprends rien. Mais alors rien du tout. Elle est la seule de mes enfants qui soit vraiment de ma chair et de mon sang, mais j’ai parfois l’impression que je ne suis pas son père.

— Elle te ressemble plus que tu ne le crois, papa.

J’essayai de me souvenir de ce dont nous parlions avant cet intermède, mais j’étais distrait par des senteurs de jasmin. Récemment Diane avait commencé à utiliser la même huile parfumée que Bethesda pour ses cheveux et à lui emprunter ses bijoux et ses foulards. Je fermai les yeux et humai le parfum.

Je fus interrompu par un toussotement. J’ouvris les yeux, en les plissant à cause du soleil.

— Qu’y a-t-il, Belbo ?

— Un visiteur, maître. Encore ce petit galle. Il dit que tu dois de nouveau le suivre.

— Le suivre ?

Je me tournai vers le soleil et refermai les yeux. J’avais mal aux jambes à force d’avoir marché. Le soleil m’engourdissait délicieusement.

— Oui, tu le dois, dit une petite voix flûtée familière.

Je rouvris les yeux. Trygonion s’était encore une fois glissé dans l’atrium sans que Belbo puisse intervenir. Ses bracelets d’argent cliquetaient et brillaient au soleil, et sa robe rouge et jaune était éblouissante. Eco leva les sourcils. Quant à Belbo, il trépignait.

— Clodia a besoin de toi, dit le prêtre. Immédiatement. C’est une question de vie ou de mort !

— De vie ou de mort ? Rien que ça ? m’exclamai-je sceptique.

— Le monstre veut l’empoisonner.

— Qui ?

— Caelius ! Clodia !

— Trygonion, allons, de quoi parles-tu ?

— Tu dois venir tout de suite. Une litière attend devant ta porte.

Je me levai péniblement.

— Tu veux que je t’accompagne, papa ? demanda Eco.

— Non. Trouve plutôt Zotica.

— Emmène Belbo, me conseilla-t-il.

— Pas besoin d’emmener cette grosse brute, répliqua Trygonion. Tu seras dans la litière et elle est bien gardée.

La litière qui m’attendait était très impressionnante. Je n’aurais jamais imaginé que Clodia puisse envoyer un tel véhicule pour aller chercher un vulgaire… employé. Les montants étaient en chêne poli et la draperie rouge et blanc était identique à celle de la tente de Clodia près du Tibre. Les porteurs torse nu, aux épaules musclées, n’avaient qu’un pagne blanc autour de la taille et des sandales à épaisse semelle aux pieds. Tous étaient blonds – peut-être des Scythes ou des Gaulois capturés par les armées de César. Je les avais déjà vus. Ils étaient au nombre des jeunes gens qui jouaient dans l’eau devant les horti de Clodia. Une petite escorte de gardes du corps les suivait.

Trygonion fit claquer ses doigts. Avec une efficacité parfaite, les porteurs baissèrent la litière. Un esclave déposa sur le sol un cube de bois pour nous permettre de monter à l’intérieur. Je fis signe à Trygonion de passer le premier, mais il refusa.

— J’ai à faire ailleurs. Vas-y. Monte.

J’écartai les rideaux. Un mélange de senteurs exotiques s’en dégagea. Du jasmin mêlé à l’encens, au bois de santal et à quelques autres fragrances plus insaisissables : le parfum de Clodia ! L’étoffe des draperies intérieures était plus épaisse et plus opaque. Elle créait une sensation de pénombre après la vive lumière de la rue. J’étais déjà à l’intérieur, me calant dans les coussins et me sentant soulevé, quand je me rendis compte que je n’étais pas seul.

— Merci d’être venu.

Une main se posa sur mon bras. Je sentis sa présence, son odeur, la chaleur de son corps.

— Clodia !

Elle se rapprocha de moi. Sa jambe effleura la mienne. Elle rit doucement et je pus sentir sur mon visage son haleine chaude et humide, exhalant vaguement le clou de girofle.

— Tu as l’air étonné de me voir, Gordien.

— Je pensais que la litière était vide.

À mesure que mes yeux s’adaptaient à l’obscurité, je constatai qu’il y avait encore un autre occupant. A l’opposé de nous, à l’avant de la litière et enfoncée dans les coussins, se trouvait la jeune esclave Chrysis. Elle souriait.

— Une femme apprend tôt à ne jamais monter dans une litière sans savoir ce qui s’y trouve, fit remarquer Clodia. Je pensais que les hommes appliquaient une règle semblable… même si le risque peut être différent.

L’allure était admirablement régulière, sans la moindre secousse. Nous allions pourtant très vite. Derrière nous, je pouvais entendre le trot des gardes du corps.

— On dirait que nous n’allons pas chez toi, Clodia.

— Non. Je préfère te parler à l’écart des oreilles indiscrètes.

Elle me vit jeter un coup d’œil vers la petite esclave.

— Ne t’inquiète pas pour Chrysis. Personne n’est plus loyal qu’elle.

Clodia tendit sa jambe et toucha de son pied nu celui de la jeune fille. Elle se pencha en avant. Chrysis en fit autant. Clodia l’embrassa sur le front et lui caressa gentiment la joue.

Puis Clodia se rejeta en arrière. Je sentis de nouveau sa chaleur à côté de moi.

— Il fait trop sombre, murmura-t-elle. Chrysis, ma chérie, ouvre les rideaux intérieurs.

La fille se déplaça agilement. Elle tira les lourdes draperies et les fixa avec des crochets à chaque coin. La confidentialité de la litière était maintenue par les rideaux extérieurs translucides à rayures rouges et blanches qui ondulaient dans la brise. Les bruits de la rue s’amplifiaient et décroissaient au rythme de la marche. De temps en temps, le chef des porteurs sifflait pour signaler un changement de direction ou une pause. Mais jamais la litière ne semblait bouger ou se balancer. Une sensation de luxe m’engourdissait l’esprit. J’avais l’impression de me hisser sans efforts dans un monde protégé, isolé, loin de la misère de la ville.

La proximité soudaine et inattendue du corps de Clodia était enivrante. Elle était si proche que je ne pouvais la voir entièrement en lui jetant de brefs coups d’œil de biais. Comme un objet tenu trop près des yeux, elle dominait mes sens tout en m’esquivant. Dans l’éclat de la lumière solaire filtrée par les rideaux de soie, la peau de ses bras et de son visage paraissait aussi lisse que de la cire, mais elle semblait également rayonner sous l’effet d’une chaleur intérieure. Sa stola était aussi transparente que celle de la dernière fois. Mais la couleur était différente : un blanc crémeux – la teinte exacte de sa chair. Au gré de notre progression, des zones d’ombre et de lumière alternaient. Par moments, elle semblait totalement nue, ce qui créait une sensation troublante. A d’autres, le tissu scintillant paraissait animé d’une vie propre, comme s’il cherchait à caresser les espaces secrets de son corps.

La suspension de la litière lui permettait de rester à l’horizontale, même quand les barres des porteurs étaient inclinées. Cela ne m’empêcha pas de sentir que nous descendions, lorsque nous nous engageâmes sur la pente escarpée du Palatin, à l’ouest. À mesure que nous nous rapprochions du Forum Boarium[50] les bruits extérieurs étaient de plus en plus forts. Nous traversâmes le grand marché aux bovins. Les rues encombrées forcèrent les porteurs à s’arrêter fréquemment. L’odeur de viande rôtie et d’animaux se mêla au parfum de Clodia. Je n’étais plus sous le charme. Il me sembla que je sortais d’un rêve.

— Où allons-nous ? demandai-je.

— Là où nous pourrons parler tranquillement.

— À tes horti du Tibre ?

— Tu verras. Dis-moi ce que tu as découvert aujourd’hui.

Après avoir quitté le marché aux bestiaux, je sentis que nous franchissions une porte dans le mur de la vieille ville et que nous nous engagions sur le Forum Holitorium, le grand marché aux légumes. Je racontai à Clodia ce que j’avais appris chez Lucceius et Coponius. Mon compte rendu fut plus circonspect et professionnel que celui que j’avais fait à Eco. Après tout, elle ne me payait pas pour m’enquérir des habitudes sexuelles de Dion.

— Tu vois pourquoi il est difficile d’engager des poursuites contre Caelius pour le meurtre de Dion, fit-elle remarquer. On n’a pas pu prouver l’implication d’Asicius et on ne peut probablement pas davantage prouver celle de Caelius, même si tout le monde sait qu’ils sont tous les deux complices. La tentative d’empoisonnement est donc la clé. Mais tu as raison : Lucceius ne permettra jamais à ses esclaves de témoigner. Il préférera les faire exécuter d’abord, plutôt que de perdre la face dans un procès public. Quel hypocrite ! Un véritable hôte voudrait voir vengé un crime commis sous son toit, au lieu de faire comme si rien ne s’était passé.

Elle se tourna vers moi. J’eus l’impression que son corps était encore plus chaud.

— Je me demande si nous pourrions convaincre Lucceius de me vendre ces deux esclaves.

— Possible, dis-je. Mais peu probable.

— Alors je pourrais les obliger à témoigner. Le tribunal insisterait pour que leur témoignage soit obtenu par la torture, naturellement, ce qui les ferait échapper à mon contrôle…

— Suis-je ici pour parler de stratégie ? Trygonion m’a pressé comme si quelque chose de grave était arrivé ou allait arriver. Il m’a parlé de poison…

J’écartai un peu le rideau pour jeter un coup d’œil dehors. Nous étions toujours sur la place du marché. Des marchands vendaient des poulets plumés et des bottes d’asperges précoces.

Clodia posa un doigt sur ses lèvres.

— Nous y sommes presque.

Quelques instants plus tard, nous nous immobilisâmes. Je pensai qu’il s’agissait simplement d’un nouvel arrêt dû à un encombrement. Mais je sentis bientôt la litière s’abaisser et Chrysis se dressa pour ouvrir les rideaux extérieurs. Elle déposa sur les épaules de sa maîtresse une cape avec une capuche. Clodia s’avança dans le soleil. Étais-je censé la suivre ? Nous nous trouvions au pied de la colline du Capitole, côté sud-ouest, en bordure du Forum Holitorium, autrement dit toujours au cœur de la cité. Quelle sorte de confidentialité pouvait offrir cet endroit ?

Chrysis se rassit. Elle sourit en levant les sourcils.

— Eh bien, vas-y ! Ne sois pas timide. Tu ne seras pas le premier homme à franchir ces portes avec elle.

Je sortis de la litière. Recouverte de sa cape, Clodia attendait. Dès qu’elle me vit, elle pivota et se dirigea rapidement vers un haut mur de brique. Il clôturait un coin de terre attenant à la base rocheuse du Capitole. Il y avait une porte en bois dans le mur. Clodia introduisit une clé dans la serrure. Les gonds grincèrent lorsqu’elle poussa la porte. Je pénétrai à sa suite. Elle referma la porte derrière nous.

Tout autour, je voyais des sépulcres de marbre érodés par les intempéries, ornés de plaques et d’inscriptions, de tablettes gravées et de statues. Des cyprès et des ifs s’élevaient au-dessus de l’enchevêtrement de tombeaux. Le mur de brique nous coupait de la cité grouillante. Le rocher du Capitole se dressait devant nous et tout là-haut le ciel bleu.

— Il n’y a pas d’endroit plus isolé dans toute la ville, dit Clodia.

— Où sommes-nous ?

— Dans l’ancien cimetière des Claudii. Il date de l’époque de Romulus, quand nos ancêtres venant du pays des Sabins [51] arrivèrent à Rome. Ils devinrent des patriciens et on leur attribua cette parcelle, juste en dehors des anciennes limites de la ville, pour qu’elle serve de nécropole familiale. Au cours des siècles, les autels et tombeaux se sont accumulés. Clodius et moi, nous avions l’habitude de venir y jouer étant enfants. Nous voyions cet endroit comme une petite cité rien qu’à nous. Nous jouions à cache-cache dans les tombeaux ou parcourions les allées en imitant des processions imaginaires. Les sépulcres étaient nos grands palais, nos temples, nos forteresses ; les allées, de larges avenues ou des passages secrets, au gré de notre fantaisie. Je parvenais toujours à effrayer Clodius. Je lui disais que j’allais faire lever les lémures[52] de nos ancêtres.

Elle éclata de rire.

— Cinq ans, ça fait une différence entre des enfants.

Elle ôta la cape de ses épaules et la déposa négligemment sur un banc de pierre.

Le soleil couchant se reflétait sur le flanc rocheux du Capitole ; sa lueur légèrement orangée à cette heure teintait toutes choses, y compris Clodia et sa stola. Je me mis à étudier la paroi d’une tombe proche. Sur une tablette gravée étaient représentés les visages rongés par le temps d’un mari et d’une femme décédés depuis des siècles.

— Puis, lorsque j’ai grandi, je suis revenue ici pour être seule, continua-t-elle.

Elle se promenait au milieu des monuments, en laissant courir sa main sur la pierre grêlée.

— Ce fut une période sombre, les mauvaises années : mon père était toujours au loin, soit exilé par ses ennemis, soit combattant pour Sylla. Ma belle-mère et moi, nous ne nous entendions pas. En regardant aujourd’hui en arrière, je me rends compte que tous ses soucis la rendaient malade mais, à l’époque, je ne supportais pas de me trouver dans la maison avec elle. Alors je venais ici. Tu as des enfants, Gordien ?

— Deux fils et une fille.

— J’ai une fille. Quintus voulait des garçons. Quel âge a ta fille ?

— Treize ans. Elle est du mois d’août.

— Ma Metella a exactement le même âge. C’est le début de l’âge difficile. Alors la plupart des parents sont contents de se débarrasser de leurs filles en les mariant pour qu’ainsi elles deviennent le problème d’un autre.

— Nous n’avons rien prévu pour Diane.

— Elle a de la chance d’être chez elle et d’avoir un père présent. Les filles ont besoin de ça, tu sais. Tout le monde parle toujours des fils et de leur père. On ne s’occupe jamais que des enfants mâles. Mais une fille a aussi besoin d’un père, pour la dorloter, pour l’éduquer. Pour la protéger. Et naturellement, lorsque je fus encore plus âgée, j’ai amené des garçons ici. Ma belle-mère autorisait ses fils à faire ce qu’ils voulaient, mais elle était très stricte avec ses filles et avec moi. Ou elle essayait de l’être. Oh, il y en a eu des rendez-vous secrets ici, sous ces arbres, sur ce banc. Et, bien sûr, tout a pris fin quand mon père m’a fiancée au cousin Quintus, remarqua-t-elle d’un air maussade.

— Et maintenant que tu es veuve, tu amènes encore des soupirants ici ?

Elle rit.

— Quelle idée absurde ! Pourquoi poses-tu cette question ?

— A cause d’une remarque de Chrysis au moment de quitter la litière.

— La vilaine. Je suis sûre qu’elle te taquinait. Enfin, je suppose qu’il y a de semblables ragots sur mon compte. « Clodia rencontre ses amants à minuit dans le cimetière claudien ! Elle entraîne les jeunes hommes dans les tombeaux et les dépucelle sous le regard révolté de ses ancêtres ! » Oh, non, aujourd’hui, je préfère vraiment un lit et des coussins. Pas toi ?

Elle tourna le visage pour me regarder de face. Les reflets du soleil transformaient sa stola en une sorte de brume légère sur sa peau nue, que l’on aurait pu chasser d’un souffle.

Je détournai la tête et me retrouvai nez à nez avec un bas-relief majestueux représentant une tête de cheval, l’ancien symbole de la mort. La mort comme départ, la mort plus puissante que l’homme.

— Tu allais m’expliquer cette histoire de poison.

Elle s’assit sur le banc. Sa cape lui servait de coussin.

— Marcus Caelius veut me faire assassiner avant le procès. Il sait que j’ai des preuves. Il sait que je veux témoigner contre lui. Il me veut morte et, si son projet aboutissait, j’aurais rejoint les mânes de mes ancêtres avant le crépuscule demain. Heureusement, les esclaves que Caelius croyait dévoyer me sont restés fidèles. Ils m’ont avertie de son projet criminel.

— Quel projet criminel ?

— Ce matin même, Caelius s’est procuré du poison. Il a acheté un esclave pour en vérifier les effets. Le malheureux est mort dans une effroyable agonie sous les yeux de Caelius qui observait la scène. Cela ne prit que quelques instants. Caelius voulait un poison aux effets rapides, tu vois, et il s’est assuré de son efficacité.

— Comment sais-tu cela ?

— Parce que j’ai des espions chez Caelius, bien sûr. De la même manière qu’il croit en avoir chez moi. Voilà le projet qu’il a échafaudé : un de ses amis devait rencontrer certains de mes esclaves aux bains de Senia[53] pour leur remettre du poison demain après-midi. Mes esclaves l’auraient rapporté à la maison et Chrysis l’aurait introduit dans ma nourriture. Son homme de main a approché mes esclaves hier, dont Chrysis. Ils ont fait mine d’accepter le marché mais, en réalité, ils sont immédiatement venus me prévenir.

— Comment Caelius a-t-il pu s’imaginer corrompre tes esclaves ?

— Il a longtemps été le bienvenu chez moi. Il a fini par bien connaître – assez bien, même – certains de mes esclaves. Avec une promesse d’argent et de liberté s’ils l’aidaient à tuer leur maîtresse, il a cru pouvoir les acheter. Il a sous-estimé leur loyauté à mon endroit.

Je la regardai en me demandant si je devais la croire. Et je me retrouvai… à étudier la forme de son corps. Je secouai la tête.

— Donc sa machination a été éventée. Tu l’as étouffée dans l’œuf. Mais pourquoi tout ce mystère ? Pourquoi même m’en parler ?

— Parce que Caelius ignore que je sais tout. Il pense que mes esclaves vont exécuter ses ordres et n’a donc rien modifié. Demain après-midi, son homme de main viendra aux bains de Senia avec sa petite boîte de poison. Mes esclaves seront là pour la recevoir – mais des témoins aussi. Nous nous emparerons du poison, nous démasquerons l’homme et produirons les preuves au tribunal. Nous pourrons ainsi ajouter une nouvelle tentative de meurtre aux charges portées contre Caelius.

— Tu veux que je sois là ?

Elle se rapprocha de moi.

— Oui, pour m’aider à récupérer le poison et pour être témoin.

— Tu es sûre de pouvoir faire confiance à tes esclaves ?

— Naturellement.

— Ils ne t’ont peut-être pas tout raconté.

— Nous devons tous faire confiance à nos esclaves au bout du compte, non ?

— Mais pourquoi m’as-tu amené ici, loin de ta maison, de tes gardes du corps et de tes porteurs ? A un endroit où même Chrysis ne peut nous entendre ?

Elle baissa les yeux.

— Tu lis en moi. Oui, c’est vrai, je ne peux être certaine. Personne ne peut jamais être sûr de quoi que ce soit dans ce monde. Oui, j’ai un peu peur… même de mes esclaves. Mais pour quelque obscure raison, je te fais confiance, Gordien. J’imagine que l’on t’a déjà fait cette confidence.

Je notai la ligne remarquable de ses sourcils, semblables aux ailes d’un oiseau en vol. Elle releva son visage et je ne vis plus que ses beaux yeux verts, profonds et lumineux.

— Clodia, tu m’as demandé de trouver des preuves démontrant que Caelius avait tenté d’assassiner Dion. J’ignore quelles étaient tes motivations : l’amour de la justice, une motivation d’ordre politique, la simple volonté de nuire à Caelius ? Je n’en sais rien et cela ne m’importe pas. J’ai accepté de t’aider pour une seule raison : faire tout ce que je peux pour que l’esprit de Dion repose en paix. Cette petite guerre entre toi et Caelius – brouille amoureuse, haine farouche, ou quoi que ce soit d’autre –, cette petite guerre, dis-je, ne me concerne pas.

Elle se rapprocha encore et me regarda droit dans les yeux. Je sentis la chaleur de son corps, comme dans la litière. Ses yeux parurent invraisemblablement grands.

— L’amour et la haine n’ont rien à faire ici. Ne vois-tu pas, Gordien, que tout est lié au meurtre de Dion ? C’est pour ce motif que Caelius veut me tuer. Non parce que je l’ai aimé et que je ne l’aime plus, mais parce que je veux prouver ce qu’il a fait à notre ami égyptien. C’est pour cela que je veux que tu te rendes aux bains de Senia demain, pour aider à déjouer son projet contre moi et à le dévoiler aux yeux de tout Rome. Cette affaire est liée au procès en cours contre Caelius, et je te rappelle que ce procès est le seul moyen d’amener les assassins de Dion devant la justice.

Je m’éloignai d’elle.

— Les bains de Senia, dis-je tristement. Bah ! j’imagine que je pourrai aller y faire un petit plongeon. A quelle heure ?

Un sourire passa comme un voile sur ses lèvres.

— J’enverrai une litière te prendre demain après-midi. Chrysis t’accompagnera. Elle te donnera les détails en route.

Elle ramassa sa cape et me la tendit. Puis elle se tourna pour que je puisse la déposer sur ses épaules. Elle rejeta son corps en arrière, pour s’appuyer doucement contre le mien.

— Et ce soir, je te ferai envoyer l’argent dont tu peux avoir besoin.

— De l’argent, pour quelle raison ?

— Pour acheter les deux esclaves qui travaillent dans les cuisines de Lucceius, naturellement. Ceux qui ont pris part au complot contre Dion. Si tu arrives à les retrouver, tu auras besoin d’argent pour les acheter à la barbe du régisseur de Lucceius dans cette mine ou pour le soudoyer afin qu’il te laisse les emmener. Tu penses qu’il te faut combien d’argent ? Dis-le-moi avant que nous nous séparions et je te l’enverrai ce soir.

— Je te renverrai un reçu en retour, ajoutai-je.

Elle tira sa cape autour de son cou et sourit.

— Inutile. Je suis certaine que tu me rendras tout l’argent que tu n’auras pas dépensé après le procès. Tu vois, Gordien, je te fais vraiment confiance.

 

— Accepterais-tu que nous fassions un petit détour ? demanda Clodia quand nous fûmes de retour dans la litière.

— Du moment que je suis chez moi pour le dîner… répondis-je en songeant à Bethesda.

— Cela ne prendra que peu de temps. J’ai un pressant désir de monter en haut du Capitole pour contempler la vue. L’air est si pur là-haut et le soleil va se coucher.

Elle fit un signe de tête à Chrysis. La jeune fille passa sa tête entre les rideaux et donna des ordres au chef des porteurs.

Nous retraversâmes le Forum Holitorium et le Forum Boarium, avant de nous engager dans la vallée entre le Palatin et le Capitole. Et nous arrivâmes au Forum. Le jour déclinait, mais en jetant un coup d’œil dehors, je vis que ce lieu grouillait encore d’hommes en toge vaquant à leurs affaires. J’appréciai la confidentialité d’une litière fermée – comment un homme pourrait-il autrement traverser l’endroit le plus fréquenté de Rome aux côtés d’une femme scandaleuse sans être vu de quiconque ?

Cependant, la suite de Clodia ne passait pas inaperçue. A un moment, nous croisâmes les hommes de Milon. Ils durent reconnaître les rideaux à rayures rouges et blanches distinctifs de la litière.

— Dehors la putain ! hurla l’un d’eux.

— Hé, Clodius ! Es-tu dedans avec elle ?

— Tu as encore mouillé le lit et tu cours voir ta grande sœur ?

— Vas-y vite, elle va te l’embrasser et lui faire du bien !

— Ou le faire grandir !

Une secousse soudaine agita la litière qui s’arrêta. Dehors, les railleries devenaient de plus en plus obscènes, mais nous entendîmes le tumulte d’une bagarre. L’instant avait quelque chose de singulier, de cauchemardesque. Certes, dans la litière nous étions cachés, mais aussi aveugles au monde extérieur. Les obscénités paraissaient sortir de voix désincarnées et les bruits de coups étaient tout aussi alarmants dans la mesure où nous n’en identifiions pas l’origine. J’entendis le bruit caractéristique des lames d’acier extraites de leurs fourreaux. Les cris s’amplifièrent. A côté de moi, le corps de Clodia semblait dégager davantage de chaleur. Je regardai son visage. On ne pouvait y lire aucune expression. Une seconde je crus voir ses oreilles rougir. Mais non, c’était probablement un effet de lumière.

La litière repartit… et s’arrêta brusquement.

— Renversons-la ! cria quelqu’un.

— Au feu la putain !

Tout en regardant droit devant elle, Clodia s’empara de ma main et la serra. Je grinçais des dents et retenais ma respiration. Dehors, l’acier s’entrechoquait au milieu des hurlements et des grognements.

Finalement, la litière recommença à avancer et prit rapidement de la vitesse, laissant derrière nous les chœurs obscènes. Clodia n’avait pas tourné la tête. Progressivement, elle relâcha son étreinte et libéra ma main. Elle laissa échapper un grand soupir, puis sursauta quand une voix bourrue prononça son nom.

— Le chef des gardes, m’indiqua-t-elle, à nouveau maîtresse d’elle-même.

Elle tira un rideau. Un gladiateur blond au nez busqué trottait à côté de la litière.

— Désolé pour cet incident, s’excusa-t-il. Tu n’as plus rien à craindre. Ils ont eu leur compte. Les hommes de Milon ne sont pas près de recommencer.

Clodia hocha la tête. L’homme grimaça un vague sourire en montrant des dents gâtées. Elle fit retomber le rideau.

Je sentis que nous tournions à gauche, puis à droite. Nous gravîmes la longue rampe abrupte menant au sommet du Capitole. Nous passâmes à côté des principaux monuments, l’Auguraculum[54] et le grand temple de Jupiter, puis de la roche Tarpéienne[55] pour nous diriger vers l’extrémité de la colline, au sud. La litière s’arrêta. Clodia remit sa cape et nous sortîmes. L’endroit était désert et silencieux, à l’exception des rafales de vent.

Au-dessus de nos têtes, des volutes de nuages tourbillonnaient dans des dégradés d’orange et de pourpre. Quel majestueux coucher de soleil ! En bas, le Tibre était un long drap d’or sous l’horizon en flammes.

— Tu vois ? demanda Clodia en s’enroulant dans sa cape. Je savais que ce serait merveilleux !

Je me tenais près d’elle, les yeux fixés sur le couchant. Elle tendit le doigt vers quelque chose juste au-dessous de nous.

— Si tu regardes au bord de la falaise, tu apercevras une petite partie du mur de brique qui entoure le cimetière des Claudii, où nous nous trouvions tout à l’heure. Tu le vois ? Là ! Et juste à côté, tu as le temple de Bellone[56], construit sur la même parcelle de terrain par un de mes ancêtres, l’Appius Claudius qui fut vainqueur des Étrusques il y a plus de deux cents ans[57]. Au lieu d’organiser une parade triomphale, il préféra ériger à ses frais un temple à la déesse de la Guerre qu’il offrit au peuple romain. Sylla aimait particulièrement Bellone. Il lui attribuait ses victoires. Je me souviens d’une de ses conversations avec Père : « La prochaine fois que tu t’adresseras à lui, remercie ton ancêtre pour moi ; remercie-le d’avoir construit un si beau lieu de résidence pour Bellone, ici à Rome. »

Elle sourit et tourna le dos au couchant. Elle s’avança lentement vers l’extrémité opposée de la colline. De l’autre côté du Forum, la silhouette du Palatin se dressait avec son enchevêtrement de toits. Un peu plus au sud, la vue s’élargissait. Dans la vallée séparant le Palatin de l’Aventin[58], on apercevait le Grand Cirque avec sa longue piste de courses.

— Là-bas, plus loin, c’est le début de la voie Appienne qui file vers le sud et la Campanie. Et tu as l’aqueduc Appien qui longe sur une certaine longueur l’enceinte à cet endroit et croise cette voie. Cela fait trois cents ans qu’il amène l’eau en ville. Cet ouvrage est encore un legs de ma famille. Et malgré cela, on ose m’injurier de la sorte !

Elle resta un moment perdue dans sa contemplation. Par instants, elle clignait les yeux. Enfin elle tourna la tête par dessus son épaule. A un jet de pierre se dressait le temple le plus au sud du Capitole.

— J’ai besoin d’y entrer un moment, dit-elle.

Elle se dirigea vers les marches de l’édifice en me laissant en arrière. Avais-je affaire à la patricienne qui souhaite pieusement brûler un peu d’encens pour ses ancêtres ? me demandai-je. Ou à la femme qui désire cacher ses pleurs ?

Les porteurs se reposaient, tandis que les gardes jouaient aux dés. Chrysis était restée dans la litière. Je me mis à faire les cent pas devant l’édifice sacré, en contemplant les dalles. Soudain je compris devant quel temple nous nous trouvions : le temple de la Foi publique. Je me souvins de l’inscription qui avait été apposée quelque temps plus tôt sur le parapet de marbre devant le bâtiment.

Je n’eus pas de mal à la trouver. Dans la lumière déclinante, avec un étrange sentiment de détachement, je déchiffrai les lettres gravées :

 

PTOLEMAIOS THEOS PHILOPATÔR PHILADELPHOS

NEOS DIONYSOS

AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE ROMAIN

 

Finalement, le roi Ptolémée était bien la cause de tout : du voyage de Dion à Rome et de son horrible mort, des machinations de Pompée, de Clodius et du Sénat romain en vue d’asservir l’Égypte, et aussi du procès imminent de Marcus Caelius. Mais comme disent les philosophes, le tronc d’un arbre devient de moins en moins visible à mesure que l’on monte dans les branchages.

Je n’eus pas besoin de lever les yeux pour savoir que Clodia descendait les marches. Je sentis son parfum.

Un égyptien dans la ville
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