13
Olivia s’éveilla en gémissant, avec un affreux mal de tête et l’impression qu’on avait aspergé son cerveau d’essence avant d’y mettre le feu. Elle se força tout de même à soulever les paupières, histoire de comprendre ce qui lui arrivait. Elle eut aussitôt les larmes aux yeux, des larmes plus brûlantes que les tisons qui lui vrillaient le crâne. Et à présent, maintenant qu’elle commençait à émerger, elle avait la sensation que sa bouche desséchée était remplie de fils barbelés et de coton.
Elle tenta de s’humecter les lèvres.
— C’est bien, lui dit la voix d’Aeron.
Mais le ton était angoissé. Et puis il parlait fort. Trop fort. Qu’est-ce qui lui prenait de hurler comme ça ?
— Allez Olivia, réveille-toi ! Tu peux. Tu y es presque.
— Tais-toi, supplia-t-elle. Je t’en prie.
Elle se concentra pour distinguer sa silhouette à travers le brouillard qui dansait devant ses yeux. Il était accroupi devant elle, les mains tendues. Dans l’une d’elles, il tenait deux comprimés. Dans l’autre, une tasse contenant un liquide chaud qui fumait.
— Il faut que tu avales ces cachets et que tu boives ça, dit-il.
Au moins, cette fois, il avait baissé d’un ton et sa voix résonnait un peu moins dans son pauvre crâne.
Quand elle était descendue sur Terre en tant qu’ange, ses sens ne lui avaient pas permis de sentir les odeurs de ce que buvaient ou mangeaient les humains – ni des onguents qu’ils se passaient sur le corps, ou des parfums qu’ils semblaient tant priser. Mais, à présent, elle pouvait pleinement apprécier l’arôme divin – et elle pesait ses mots – de ce liquide brun. Elle avait l’impression qu’il s’agissait d’une potion magique qui la remettrait aussitôt d’aplomb.
Les humains appelaient ça du café. Elle comprenait pourquoi ils n’hésitaient pas à faire la queue et à vider leurs poches pour s’en procurer une tasse.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle d’une voix pâteuse en désignant les comprimés du menton.
Ce mouvement, pourtant imperceptible, lui donna le vertige.
— Prends-les sans te poser te question, répondit Aeron. Ils te feront du bien.
Il avait oublié de murmurer et elle se couvrit les oreilles.
— Tu n’as pas une voix intérieure que tu pourrais utiliser ? gémit-elle.
Il referma son poing sur les cachets et écarta délicatement ses mains de ses oreilles.
— Cesse de faire des chichis, nous n’avons pas le temps.
— Si tu continues à parler aussi fort, je n’hésiterai pas à t’écraser les cordes vocales, rétorqua-t-elle en gémissant.
Mais qu’est-ce qu’elle trouvait donc à ce type ?
— Lève-toi, ordonna-t-il. Et tout de suite.
Elle se redressa et frotta ses yeux gonflés de sommeil. Son cerveau la brûlait encore et elle geignit.
Aeron lui jeta un regard impatient, sombre et intense. Elle crut y lire du désir.
Elle se passa la main dans les cheveux pour s’arranger un peu… Quelle horreur ! Sa belle masse bouclée était tout emmêlée. Elle rougit et voulut la recouvrir avec la capuche de sa tunique d’ange. Pas de capuche. Elle baissa les yeux. Elle portait un petit haut court et une minijupe noire.
Mais qu’est-ce que… ?
Ah ! elle venait de se souvenir. Sa transformation en femme fatale. D’accord, mais ça n’expliquait pas son mal de tête. Elle leva les cils et rencontra le regard pénétrant d’Aeron.
— Je suis blessée ? demanda-t-elle.
Il ricana.
— Pas vraiment, non. Tu as trop bu et tu en payes le prix.
Ça lui revenait, à présent. Le prix, elle aurait pourtant cru l’avoir déjà payé. Le « jus à rigoler » portait mal son nom, car il ne l’avait pas du tout fait rire. Après la première bouteille, elle s’était sentie triste et abandonnée. La seconde avait achevé de la déprimer et elle s’était mise à sangloter contre l’épaule de Gideon. Parce que Aeron était parti. Mais quelle honte !
Aeron lui présenta de nouveau les cachets.
— Prends-les, mais sans les mâcher. Avale.
Elle se demanda si elle serait capable d’avaler ces deux comprimés qui lui semblaient aussi gros que des oranges. Quand elle tendit le bras pour les saisir, elle se rendit compte qu’elle tremblait. Elle les mit dans sa bouche et tenta de déglutir. Pouah ! C’était infect. Une grimace de dégoût déforma son visage.
— Bois un peu, ça va t’aider, reprit Aeron en approchant le café de ses lèvres.
Il lui en versa un peu dans la bouche.
Elle eut un haut-le-cœur. Ce liquide brun qui sentait si bon ne tenait pas ses promesses. Il avait un goût de bile et de terre. Elle ne pouvait tout de même pas cracher sur les draps, c’était indigne d’une dame.
— Avale, ordonna Aeron tandis qu’elle repoussait la tasse.
Elle parvint à déglutir et les cachets glissèrent le long de sa trachée, en l’écorchant au passage, de même que cet horrible café. Elle en trembla de dégoût, puis leva vers lui des yeux ulcérés.
— Ne me refais plus jamais un coup pareil, dit-elle.
— Il ne fallait pas laisser Gideon te soûler, fit-il remarquer d’un ton réprobateur.
Combien de fois allait-il évoquer cet humiliant épisode ?
— À présent, lève-toi, ajouta-t-il sèchement. Nous avons à faire.
Elle n’avait pas la moindre envie de se lever, mais seulement de rester allongée. Elle se laissa donc retomber sur les oreillers, les yeux au plafond. Au-dessus d’elle s’étalait le poster d’une femme aux longues jambes, en maillot, bronzée, les joues rouges et les seins en poupe, les cheveux au vent. Olivia fronça les sourcils. Elle n’avait jamais vu cette affiche dans la chambre d’Aeron…
En jetant un coup d’œil à ce qui l’entourait, elle put constater qu’elle ne reconnaissait rien. Il y avait là une commode en noyer et un vase en cristal qui scintillait sous la lumière, des tableaux, une moquette beige.
— Nous ne sommes pas dans ta chambre, fit-elle remarquer.
— En effet.
Elle fronça les sourcils.
— Et où sommes-nous donc ?
— Dans ta nouvelle chambre, qui se trouve aussi être la chambre d’amis de l’appartement de Gilly. Tu vois qui est Gilly ?
Il n’attendit pas sa réponse.
— William et Paris y ont dormi quelquefois avec leurs conquêtes, d’où le poster de femme. Mais peu importe. Tu resteras ici jusqu’à ce que tu te décides à retourner au paradis.
Il avait profité de ce qu’elle dormait pour la transporter en ville. Il était donc si désireux de se débarrasser d’elle ? Elle en eut le cœur serré.
— Olivia ?
Ne tiens pas compte de ta souffrance.
— Oui, je vois qui est Gilly, murmura-t-elle.
En vérité, elle connaissait Gilly mieux que lui et que tous les Seigneurs de l’Ombre. Avant de venir ici, Gilly avait eu la vie dure et, en tant qu’ange dispensateur de joie, Olivia avait été chargée plus d’une fois de lui murmurer des paroles de réconfort et de la guider. Quand Gilly avait fui la maison familiale, elle lui avait inspiré le désir de rejoindre Los Angeles, parce qu’elle avait su, avec son instinct d’ange, qu’elle y trouverait le salut. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était que ce salut lui viendrait de Danika et des Seigneurs de l’Ombre.
La volonté du Seul et Unique empruntait des chemins mystérieux.
— Mais je n’ai pas l’intention de retourner au paradis, ajouta-t-elle.
Une étrange détermination fit briller les yeux d’Aeron.
— Nous parlerons de ça plus tard. Pour l’instant, comme je viens de te le dire, nous avons une tâche à accomplir. Tu peux prendre une douche, ça te fera du bien, mais rapidement. Et nous en profiterons pour parler, car j’ai des questions à te poser et pas une minute à perdre.
Il la prit dans ses bras et la porta dans la salle de bains. Elle n’eut même pas le temps de profiter du voyage, tellement ce fut rapide. Il la déposa devant la douche et s’occupa de régler le jet d’eau. Comme il se penchait en avant et lui tournait le dos, elle en profita pour admirer ses fesses, plutôt rondes et bien moulées.
Un jet chaud jaillit brusquement du pommeau de douche et Aeron se redressa. Dommage. Mais peut-être pas tant que ça, parce que ce jet puissant achèverait de la réveiller et de lui redonner des forces. Elle ferma à demi les paupières, se demandant si elle n’allait pas recevoir sa deuxième leçon de plaisir. Ça s’annonçait bien. Elle s’apprêtait à prendre une douche sous les yeux d’Aeron. Avec un peu de chance, il ne pourrait pas s’empêcher de la toucher.
Finalement, cette journée commençait mieux qu’elle ne l’aurait cru.
Elle en trembla de désir.
Quand il se tourna vers elle, il lui parut plus grand et plus menaçant que de coutume. Le violet de ses yeux était plus intense, ses tatouages plus terribles que jamais, un pouls battait sauvagement à la base de son cou.
Comme il est beau ! songea-t-elle tandis que son cœur s’emballait. Elle avait envie d’explorer de nouveau ce grand corps musclé, d’y faire danser ses lèvres. En s’attardant entre ses jambes, bien entendu. Quand elle avait saisi son sexe, tout à l’heure, elle avait senti une goutte humide et poisseuse.
Elle se demanda quel goût cela aurait.
— Tu sais comment on procède pour prendre une douche ? demanda-t-il. Il faut commencer par se déshabiller…
Il se racla la gorge.
— Puis se mettre sous le jet et se savonner des pieds à la tête.
— Tu vas te savonner aussi ? demanda-t-elle d’un ton innocent, tout en faisant passer son haut par-dessus sa tête, avant de le jeter négligemment à terre.
Elle aurait dû se sentir gênée d’exposer son corps quasi nu au regard d’Aeron, mais elle fut ravie, au contraire, qu’il puisse l’admirer. Elle espéra qu’il la désirerait autant qu’elle le désirait. Et puis elle était une femme libérée, n’est-ce pas ? Et à présent qu’elle savait quel plaisir ils pouvaient retirer de leurs caresses, elle était prête à tout pour les obtenir.
— Tu préfères peut-être regarder…, minauda-t-elle.
Si c’est le cas, je vais t’offrir un beau spectacle…
Elle posa ses mains sur ses seins et fit comme l’héroïne du roman dont elle avait lu quelques passages à Gideon : elle les caressa comme elle aurait voulu qu’il les caresse. Dieu, que c’était bon…
Il ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes et la fixa, hypnotisé. L’atmosphère devint soudain très épaisse dans la salle de bains. Épaisse et chargée d’électricité.
— Ne fais pas ça, supplia-t-il d’une voix rauque et angoissée.
— Et pourquoi pas ?
— Parce que ton dieu, celui que tu appelles le Seul et Unique, devrait être remercié pour avoir créé de tels…
Il se tut et secoua la tête, mais sans la quitter des yeux.
— Bon sang ! Parce que je devrais être puni pour les idées qui me passent en ce moment par la tête.
Il avait donc les mêmes idées qu’elle…
— Aeron, gémit-elle.
— Quand je pense que je n’ai même pas embrassé ces si jolis seins, dit-il d’une voix qui paraissait grésiller de l’électricité de la pièce. C’est un crime. Un blasphème…
— Tu pourrais les embrasser maintenant, suggéra-t-elle.
— Avec plaisir.
Il inclina la tête vers elle, tandis que ses pupilles se dilataient encore, et cette fois, elle sut avec certitude que c’était l’effet du désir, pas de la colère.
L’extrémité de ses tétons s’arrondit et pointa, comme pour aller à la rencontre de cette bouche qui les convoitait. Mais juste au moment où elle allait atteindre son but, il se redressa en poussant un grognement mécontent. Il avait failli… Mais pourquoi avait-il changé d’avis ?
— Aeron…
Elle était dans un tel état de frustration que c’en était presque douloureux.
— Fais-le. Ne t’arrête pas.
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Il savait qu’elle le désirait plus que tout au monde, et il refusait. Sans aucune raison valable. Le salaud !
— Tu n’as qu’à te débrouiller toute seule, grommela-t-il.
Puis il sortit de la salle de bains, laissant la porte à peine entrouverte.
Elle faillit crier de rage et de désespoir. Mais elle se retint et acheva de se déshabiller en silence. Puis elle entra dans la douche. Quand le jet se déversa sur elle, elle faillit hurler, pour se libérer de cette insupportable tension que la caresse de l’eau ne faisait qu’augmenter.
Elle tenta de se vider l’esprit, mais une cascade de mots refusait de quitter son champ de conscience. Baiser. Seins. Corps. Caresses.
— Tu n’es pas en train de te savonner, lui cria de loin Aeron. Je ne t’entends pas bouger.
— Occupe-toi de tes oignons ! répondit-elle sèchement, en reprenant une expression qu’elle avait entendue dans la bouche des humains.
Baiser. Seins. Sexe. Corps. Caresses. Bouche.
Elle en avait les genoux en coton.
— Olivia ?
Elle crut déceler une menace dans le ton. Il ne manquait pas de culot.
— La ferme, démon !
Tout en tremblant, elle recueillit dans la paume de sa main un savon liquide qui fleurait bon la rose et entreprit de se laver. Mais cela aussi évoqua les caresses d’Aeron et augmenta son désir. Comment avait fait ce monstre pour l’exciter à ce point, sans même la toucher ni l’embrasser ?
Corps. Sexe. Lécher. Embrasser. Fouiller.
Elle n’allait pas tarder à exploser.
Penser à autre chose. Il fallait qu’elle pense à autre chose !
— Est-ce que Paris et William se sont servis de ce savon ? demanda-t-elle.
— Je n’en sais rien. Quelle importance ? Je t’interdis de parler d’eux. De plus, c’est moi qui pose les questions, ici. Comment savais-tu que nous n’allions pas retrouver Scarlet ?
— Ça t’étonne ? Je t’avais pourtant dit que je savais beaucoup de choses qui pouvaient t’être utiles, mais jusqu’à présent, tu n’avais pas l’air intéressé.
— Eh bien, je le suis, maintenant. Je t’écoute. Et pour commencer, tu vas me dire s’il y a en ville d’autres immortels possédés par les démons de la boîte de Pandore.
Confiante et sûre de toi. Agressive. Montre-lui.
— Tu crois que c’est si facile ? Qu’il suffit que tu ordonnes pour que j’obéisse ?
Il y eut un temps de silence.
— Qu’est-ce que tu veux en échange ? demanda-t-il enfin.
Elle soupira de soulagement. Ç’avait marché.
— Pour commencer, j’exige des excuses.
— Je… je suis désolé, murmura-t-il d’un ton réticent qu’elle décida de ne pas relever.
— Non, répondit-elle enfin. Il n’y pas en ville d’autres immortels possédés par les démons de Pandore.
— Très bien. Dans ce cas, je voudrais que tu me conduises auprès de Scarlet.
— Non. Je regrette.
Elle pivota sous le jet. Les gouttes rebondissaient, puis glissaient le long de son corps. Dieu, que c’était bon…
Baisers. Seins.
— Pas question que je te rende ce genre de service, précisa-t-elle.
— Oh, que si… Tu vas me le rendre.
Il paraissait si sûr de lui. Cette assurance aurait dû l’agacer, mais elle l’excitait plutôt. Je sens que ça recommence. Cette tension…
— Tu prétendais ne pas me vouloir près de toi, lui cria-t-elle. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
— J’ai décidé qu’il fallait que tu saches quel genre de vie je mène, que tes yeux contemplent le sang, la violence et la souffrance. Je veux que tu comprennes que seuls mes compagnons et Legion ont de l’importance pour moi, que je serais prêt à tuer quiconque oserait les menacer.
Il paraissait sincère. Ainsi, même s’il avait pris aujourd’hui son parti et l’avait protégée de Legion, il tenait à lui faire savoir qu’il n’hésiterait pas à la tuer.
Le désir d’Olivia s’envola aussitôt.
— Message reçu, répondit-elle.
Après tout, s’il tenait à lui montrer sa vie telle qu’elle était, elle se sentait prête à le suivre et à jouer le jeu. Et elle, de son côté, elle lui montrerait tout ce qu’il perdrait si elle partait. À commencer par ces seins qu’il aurait dû embrasser depuis longtemps.
Ça recommence…
De l’air. Elle avait besoin d’air. Elle tritura les robinets jusqu’à ce que l’eau cesse de couler. Aussitôt, elle sentit l’air frais sur son corps. L’air était frais, oui, mais elle n’était pas rafraîchie ou calmée pour autant. Elle se sentait tellement excitée qu’elle ne put retenir un gémissement. Il faut que ça s’arrête.
Elle se demanda alors si elle ne pouvait pas se soulager elle-même. Aeron l’avait caressée avec ses doigts. Elle aussi, elle avait des doigts. Elle s’humecta les lèvres, le cœur battant. Il ne le saurait pas. Il suffisait de rouvrir les robinets et de lui dire qu’elle ne s’était pas bien savonnée. Et pendant que l’eau coulerait…
— Tu as fini ? lança la voix impatiente d’Aeron.
— Je…
— Olivia, il me semble t’avoir précisé que le temps pressait. Nous n’avons pas l’éternité devant nous.
Il ne croyait pas si bien dire. Il ne lui restait plus que quelques jours à vivre.
Cette idée calma aussitôt sa fièvre. Plus que neuf jours… C’était si peu ! À peine suffisant pour apprendre de lui ce qu’elle était venue chercher. Surtout s’il n’y mettait pas du sien.
— D’accord, soupira-t-elle tout en sortant de la douche.
Elle allait le suivre, et donc passer du temps avec lui. Et elle lui donnerait tout. Ses seins, sa bouche avide. Tout ce qu’il lui réclamerait.
Et entre deux dons, elle le protégerait de tous les dangers, comme elle se l’était promis.
— D’accord pour quoi ? demanda-t-il d’un ton étonné.
Dans une corniche de la douche, elle avisa une brosse à dents et un tube de dentifrice. Elle avait vu les humains se brosser les dents et s’en tira sans trop de difficultés.
— D’accord pour te montrer où se cache Scarlet, répondit-elle.
La pâte dentifrice lui avait donné une agréable sensation de fraîcheur et de propreté. À présent, les cheveux… Il lui fallut un peu de temps et quelques grimaces pour venir à bout des nœuds. À l’avenir, elle emporterait sa tunique avec elle. C’était tout de même plus pratique pour faire sa toilette.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer si brusquement d’avis ? demanda-t-il d’un ton méfiant.
— J’ai fini par comprendre que discuter avec toi était une perte de temps, parce que tu obtiens toujours ce que tu veux.
C’était vrai. Du moins en partie.
— Je vois que tu es une femme raisonnable, après tout.
Elle reposa la brosse à sa place.
— Et toi, tu es un mâle sans cœur qui n’aura pas son baiser, s’il continue à s’adresser à moi sur ce ton.
Elle fut elle-même surprise de son audace. Elle découvrait qu’elle était capable de se venger, et ça lui plaisait.
Il ne répondit pas, et elle se demanda si cela signifiait qu’il se taisait pour ne pas être privé de baiser. Peut-être pas… Mieux valait garder la tête froide et ne pas trop se bercer d’illusions. Cela lui éviterait des déceptions.
— Je n’ai pas blessé Legion, tu sais ? dit-elle. Pourtant, j’aurais pu.
— Tu ne l’as pas blessée intentionnellement, mais ta simple présence la fait souffrir. C’est étrange… Moi aussi, je suis un démon. Et pourtant, ta présence ne m’affecte pas. Mes compagnons non plus ne se sont plaints de rien. Aurais-tu une explication à ce phénomène ?
— Je pense que vos démons ont pris un peu de votre humanité. Suffisamment pour supporter la présence d’un ange. Je n’y suis pour rien, en tout cas.
Elle en avait assez, à présent, de parler de Legion. Il lui accordait décidément trop d’importance.
— Veux-tu que je te dise comment capturer Scarlet ? demanda-t-elle pour changer de conversation.
— Je suis désolé. Oui, bien sûr que je veux. Ça m’intéresse au plus haut point.
Elle retint un sourire. Il s’excusait encore. Toujours avec ce ton bourru, mais elle appréciait tout de même.
— Scarlet étant possédée par Cauchemar, elle est faible et vulnérable tant que le soleil brille.
Tout en parlant, elle vérifia son image dans le miroir. Elle avait les yeux cernés de mauve et ses joues lui parurent plus creuses. Elle aurait préféré ne pas se montrer à Aeron avec cette sale tête, mais elle n’avait guère le choix.
— Elle vit comme un vampire, elle dort le jour, conclut-elle.
Aeron prit quelques secondes pour réfléchir.
— Dans ce cas, nous la capturerons aujourd’hui. Pendant son sommeil.
— Pourquoi tant de précipitation ? Et que comptes-tu faire d’elle ?
— J’ai appris tout à l’heure que les chasseurs sont en ville. Je sais où ils se cachent, et je sais qu’ils sont protégés par Rhéa. Il faut interroger Scarlet et l’empêcher de s’associer aux chasseurs.
— J’aurais pu te le dire depuis longtemps, que les chasseurs étaient en ville. Mais tu refusais de m’entendre.
— Je sais, je sais… J’ai été stupide et j’en suis désolé. Que sais-tu à propos de Rhéa ?
Encore des excuses. Ça méritait une récompense.
— Rhéa aide les chasseurs qui l’appellent « Mère de la Terre », répondit Olivia, songeant qu’elle avait hâte de récompenser Aeron comme il se devait. Je sais aussi qu’elle est la gardienne du démon Conflit.
— Quand je pense que tu étais au courant de tout ça et que je refusais de t’écouter, grommela Aeron. Et si Conflit était attiré dans la boîte de Pandore, Rhéa y survivrait ?
— Non.
— Dans ce cas, pourquoi a-t-elle pris le parti des chasseurs ?
— Comme Galen, elle projette de vous tuer, puis d’utiliser vos démons pour obtenir le pouvoir. Dans le cas de Rhéa, ce serait de régner sur l’Olympe et de détruire Cronos, une fois pour toutes.
Il se tut. Pourquoi ne posait-il pas d’autres questions ? Sans doute songeait-il à s’adresser à son autre source. Car il en avait une, pas de doute. Et, dans ce cas, il n’aurait peut-être plus besoin d’elle.
— Merci pour tous ces renseignements, dit-il d’un ton réticent.
— Je t’en prie.
N’hésite pas. Montre-lui qu’il n’a pas seulement besoin de toi pour sa quête.
— J’accepte d’être payée en baisers, dit-elle. À ce propos, je t’en dois au moins deux. Pour les deux fois où tu t’es spontanément excusé.
Il se racla la gorge.
— Je n’ai jamais dit que je te paierais. Ni que j’étais disposé à accepter que tu me payes. Je… Euh… Il est temps de partir, à présent.
Décidément, il n’était pas drôle. Jamais partant pour s’amuser.
— Laisse-moi au moins…
Elle jeta un coup d’œil du côté de la serviette. S’enrouler là-dedans revenait à abandonner la partie. Ah, non ! Pas question !
Elle se mordit la lèvre et tâcha de se souvenir des conseils de Gideon. Les hommes avaient du mal à résister à une femme nue. Donc pas de serviette. De nouveau, un désir dévorant et à la limite du supportable l’envahit.
— Peu importe, dit-elle d’une voix altérée. Je suis prête.
Elle cambra le dos pour mettre sa poitrine en valeur, puisqu’il avait l’air d’apprécier ses seins… Puis elle agrippa résolument la poignée de la porte et poussa le battant. Aeron lui tournait le dos, les bras croisés. Malheureusement, il était tout habillé, prêt à partir.
Ne te décourage pas.
Rien ne l’empêchait de lui ôter ses vêtements, après tout.
Nue et humide, elle avança dans sa direction. Son cœur battait encore plus vite que tout à l’heure, quand elle avait envisagé de se caresser. Quand elle entra dans son champ de vision, il eut d’abord l’air simplement abasourdi. Puis ses narines frémirent et ses pupilles se dilatèrent d’un seul coup, comme si elles explosaient.
Olivia étouffa un gémissement. Gideon ne s’était pas trompé. Aeron ne restait pas insensible à sa nudité.
Vas-y, maintenant. Fonce.
Cette douleur au niveau du bas-ventre… Il fallait absolument qu’il la soulage.
— Que penses-tu de cette tenue ? murmura-t-elle en tournant sur elle-même.
Il laissa échapper des sons étranglés et incompréhensibles qui la convainquirent de ne plus jamais enfiler un vêtement.
— Je suis une mortelle, à présent. Et j’ai cru remarquer que les mortels réclamaient rétribution quand ils rendaient un service.
Elle ne chercha pas à dissimuler son excitation. Après tout, il fallait qu’il comprenne.
— Aussi, si tu veux obtenir de moi d’autres renseignements, tu vas devoir les payer.
— Comment ?
Ce « comment » ressemblait à un grognement, mais il n’avait pourtant pas l’air furieux.
— Avec des baisers ? insista-t-il.
— Les baisers, c’était il y a cinq minutes, et tu as refusé. Depuis, le tarif a augmenté. À présent, je veux que tu me réchauffes. Parce que j’ai froid.
Je suis en feu.
Il déglutit et laissa errer son regard sur ce corps qui s’offrait à lui, en s’attardant, comme elle s’en était doutée, sur ses seins et entre ses jambes. Sa respiration devint haletante.
— Par les flammes de l’enfer, tu veux me tuer ! s’exclama-t-il.
Prends-moi.
— Aeron…
— Ce… ce n’est pas le moment et nous n’avons pas le temps.
— Prenons-le, insista-t-elle en s’approchant de lui.
Le caresser.
— Je ne devrais pas, dit-il. Je sais que je ne devrais pas, même s’il m’a promis de ne pas…
— De quoi parles-tu ? Qui t’a promis de ne pas quoi ?
Il demeura interdit, conscient d’avoir trop parlé.
— Mon démon, répondit-il d’un ton dur.
Puis il posa ses mains dans le bas de son dos.
Il avait la peau brûlante.
— Mon démon ne te fera pas de mal, tu n’as rien à craindre.
Son démon… Comme si c’était le moment de parler de son démon…
— Dans cas, pourquoi me refuser ce que je te réclame ?
Il lui avait donné une première leçon de plaisir très prometteuse, il n’avait pas le droit de s’arrêter en si bon chemin.
— Je ne vois aucun obstacle sérieux.
— Des obstacles, j’en vois, bredouilla-t-il en fixant intensément ses lèvres. Nous sommes…
Elle n’avait aucune envie de l’entendre débiter un chapelet de bonnes raisons et lui posa sa main à plat sur le torse pour lui intimer l’ordre de se taire. Elle se rendit compte, à cette occasion, que son cœur cognait encore plus fort et plus vite que le sien, ce qu’elle interpréta comme un signe favorable. Elle le désirait de plus en plus et s’impatientait. N’y tenant plus, elle se cambra contre lui en gémissant. Oh, oui…
— Tu as besoin de réponses pour toi et pour tes compagnons. Pour ceux que tu aimes. Alors paye-moi.
Il s’humecta les lèvres, y laissant une traînée humide.
— Qui aurait cru qu’un ange pouvait être aussi manipulateur ? protesta-t-il d’une voix rauque.
— Je suis un ange déchu. Et puis assez parlé. Si nous passions plutôt à l’action ?
— Oui.
Il se pencha vers elle au moment où elle se hissait sur la pointe des pieds pour aller à sa rencontre. Leurs bouches se heurtèrent, mais elle dut forcer la barrière de ses lèvres. Pourtant, quand leurs langues se mêlèrent, il gémit et céda.
Ses bras lui enserrèrent la taille pour la soulever, et elle enroula ses jambes autour de lui en croisant les chevilles. Cette position qu’elle n’aurait pas imaginée lui parut parfaite. Elle plaçait son sexe exactement à la hauteur de son pénis en érection – pénis dont la pointe dépassait à présent de la ceinture de son pantalon.
De son stupide pantalon.
Ses cheveux coupés en brosse lui chatouillèrent la paume des mains quand elle lui caressa le crâne, et ce fut délicieux.
Il la saisit par la nuque pour lui incliner la tête, afin de mieux l’embrasser. Sa langue fouillait maintenant si profondément que sa caresse se répercutait dans chaque cellule de son être.
— Tu es beaucoup trop habillé à mon goût, dit-elle en profitant d’un moment où il s’écartait d’elle pour reprendre son souffle.
— Pas assez, tu veux dire… ? rétorqua-t-il avant de se jeter goulûment sur sa clavicule, qu’il se mit à sucer.
Il s’aventura plus bas, pour prendre possession d’un de ses seins, enfin. Mais il n’avait qu’une seule bouche et elle avait deux seins. L’une de ses mains alla donc consoler le délaissé.
— Je crois qu’une armure ne suffirait pas à me protéger de toi, ajouta-t-il.
Enfin, il le reconnaissait !
— Nous devrions nous calmer un peu, dit-il.
Quoi ? Mais non, pas du tout ! Elle n’était pas de cet avis et lui tira l’oreille, pour lui apprendre à dire des bêtises.
Il rétorqua en lui mordillant le bout du sein qu’il n’avait pas encore goûté, et elle ne put s’empêcher de crier, tout en se cambrant un peu plus contre lui et en se frottant – comme elle l’aimait tant.
— Je crois que le bout de ton sexe va bientôt être tout mouillé, dit-elle.
— Et tu trouves que ce n’est pas bien ?
Pas bien ? Pourquoi pas bien ? Elle se souvint qu’il avait refusé qu’elle prenne son pénis dans sa bouche, la première fois, en prétendant qu’il ne voulait pas la souiller.
Elle laissa retomber ses jambes, et ses pieds se posèrent au sol.
Il fronça les sourcils.
— Mais qu’est-ce que tu… ?
Elle se laissa tomber à genoux et tira sur son pantalon jusqu’à libérer son pénis, qu’elle admira pendant quelques secondes, comme en extase. Il était long, épais et incroyablement dur.
— Olivia…, gémit-il du ton de quelqu’un qui souffre. Tu ne devrais pas…
Elle pressa tendrement sa joue contre la peau si douce de cet appendice si dur. Les doigts d’Aeron attrapèrent ses cheveux pour la guider. Elle ouvrit la bouche et avala. Sa ceinture lui râpa un peu le menton, et ce n’était pas très pratique, mais par contre, le goût doux-amer de la chose la surprit agréablement.
— J’ai eu tort de me faire prier, gémit-il. C’est bien. C’est vraiment très bien…
Elle se mit à sucer, tout en jouant avec ses bourses. Que c’était agréable de le goûter ainsi, de lui donner du plaisir, de vaincre sa résistance, de le pousser à s’abandonner… Mais il ne la laissa pas aller jusqu’au bout et la saisit par les épaules pour la relever.
— Ça suffit, dit-il.
Elle eut le temps de remarquer qu’il avait le visage couvert de sueur, puis il la fit reculer et l’écrasa contre le mur. Sans un mot, il se mit à genoux. Ses mains puissantes lui écartèrent les jambes et, à son tour, il entreprit de la lécher, de la sucer, de la dévorer.
Elle avait les jambes en coton et voulut se raccrocher à quelque chose, mais ses mains qui cherchaient à tâtons sur le mur ne rencontrèrent rien. Sa tête s’agitait de droite à gauche, ses longs cheveux lui caressaient le dos et augmentaient son plaisir. Elle était au bord de…
Il se redressa d’un bond, tout en léchant sur son visage les traces humides de son sexe. Il avait les yeux mi-clos, un regard liquide.
— Je veux te posséder… Mais il ne faut pas… C’est pourtant si bon…
Oui, c’était infiniment bon.
— Aeron…
Il secoua la tête et sa résistance céda. Il avait tout à coup l’air décidé.
Il allongea le bras entre eux et saisit son sexe qu’il se mit à secouer vigoureusement, tandis qu’il la prenait par la taille de sa main libre.
— Je ne peux pas… Je n’ai pas le droit… Je ne dois pas oublier…
— Mais quoi ? Ne pas oublier quoi ? Est-ce que tu… ?
— Je ne peux pas.
Il se figea et la pièce résonna soudain de leurs respirations haletantes, mêlées, comme elle aurait voulu que se mêlent leurs corps.
— Je ne peux pas, répéta-t-il. Nous devons…
Il la lâcha pour se frotter le visage. Quand il l’abaissa, elle fut frappée par son expression rageuse.
— La plupart des humains connaissent la frustration, dit-il. Si tu veux être pleinement humaine, c’est une expérience que tu dois accepter.
Accepter la frustration ? Elle aimait mieux mourir.
— Tu m’apprendras la frustration une autre fois, Aeron. Je t’en prie.
Elle avait trop besoin de lui. Tout de suite.
Elle entama un mouvement de va-et-vient pour faire glisser son sexe humide contre son membre chaud, ce membre dont elle connaissait maintenant le goût.
Il dut apprécier, car il se remit en mouvement aussi, tout en lui prenant les fesses à deux mains, pour l’attirer à lui en cadence. Il ne la pénétra pas, pourtant, mais ce qu’ils faisaient était si bon, si parfait, qu’elle ne le regretta pas. Ils tremblaient et gémissaient ensemble, en haletant, tout en s’embrassant furieusement. Elle griffa la fente de ses ailes, sauvagement. Gideon lui avait dit qu’il avait besoin d’une femme passionnée, mais elle décida de se retenir de lui lacérer le dos, de peur de l’effrayer, et retira ses mains.
— Qu’est-ce que tu fais ? protesta-t-il.
— Je profite de toi et du plaisir que tu me donnes. Du moins c’était ce que je faisais avant que tu n’ouvres la bouche.
Il fronça les sourcils et écarta son visage pour mieux la voir.
— Tu peux recommencer à me griffer les ailes ?
— Je ne vais pas me faire prier, répondit-elle en se mordillant la lèvre inférieure et en se cambrant contre lui. Mais à condition que tu entres en moi.
Il laissa échapper un cri étranglé.
Elle se cambra pour l’accueillir et sentit la pointe de son pénis contre son clitoris. Oh… Voilà qui dépassait tout… Cette fois, elle allait atteindre le sommet qu’il lui avait déjà fait entrevoir une fois. Ce sommet qui allait la délivrer de cette douleur dans le bas-ventre, de cette tension qui la torturait.
— Encore, gémit-elle. J’y suis presque. Je vais…
— Non !
Il s’écarta d’elle et la lâcha si brusquement qu’elle tomba.
— Je ne peux pas, dit-il.
Il s’essuya la bouche comme s’il voulait se débarrasser du goût qu’elle y avait laissé. Ses mains tremblaient.
— Pas d’orgasme aujourd’hui, annonça-t-il de ce ton qu’elle haïssait.
Un ton plein de colère, et sans la moindre trace de désir.
— Je… je ne comprends pas…
Il posa sur elle un regard froid et dur, tout en rajustant son pantalon.
— Je te l’ai dit. Les humains n’obtiennent pas tout ce qu’ils désirent. Loin de là. Si tu veux devenir une vraie femme, tu dois le comprendre. À présent, habille-toi. Nous avons à faire.