CHAPITRE IX

 

PATATRAC !

 

Tu fais une entrée fortuite en claironnant le mot « messieurs » et tu prends un avantage immédiat. Voyez Ruy Blas, par exemple. « Bon appétit, messieurs ! » Comment que ça les a confondus, les ministres z’intègres. Comment qu’il a pu placer pour le coup sa grande tirade sur l’aigle à Charles Quint transformé en poulaga recette Henri IV !

Dans mon bigntz, y a qu’un inconvénient.

Et il est majeur et vacciné, l’inconvénient.

L’un de mes « messieurs » ne comprend pas le franche-caille si bien que ma réplique spadassine le laisse froid comme un sorbet sibérien. Tout ce qu’il pige, le cher garçon, c’est que je les braque. Alors, comme il a des réflexes et l’art de les utiliser, il se jette derrière la bagnole dont le pauvre Huncoudanlproz tétait les gaz avec une paille, et il dégaine à son tour.

Allons, bon. On va droit au siège, mes gueux ! Fort Alamo version banlieue ! Cette nuit sanglante n’est donc pas encore terminée ? Pourtant il fait complètement jour maintenant ! C’est pour quelle heure, le cessez-le-feu ?

J’interpelle le quinquagénaire (je le qualifie ainsi, ignorant son nom et ayant la flemme de lui chercher un pseudonyme).

— Puisque tu parles français, dis à ton pote de déposer les armes. Le quartier est cerné et il est inutile d’aggraver la situation. A partir de tout de suite, c’est du matuche que vous pouvez démolir, et la viande de flic, sur pied, coûte une fortune !

Ce connard, tout ce qu’il fait pour m’obtempérer, c’est de lever à demi les mains : il n’engage que lui ! Là-dessus, deux balles me décoiffent. J’ai juste le temps de me baisser. Il a l’air décidé à continuer sa série de malheurs, le blondinet.

Moi, vous me connaissez ? Je dispose toujours d’une foule d’atouts dans les cas difficiles. Le principal étant la chance !

En m’accagnardant, je constate que deux boutons blancs sont fichés dans le mur, à portée de ma main. L’un commande l’ouverture automatique de la porte du garage, l’autre l’électricité. D’un geste vif je les actionne simultanément. Une solide pénombre engloutit les contours du local. Elle va en s’accentuant vu que le vaste panneau de la lourde est en train de basculer lentement. Toujours accroupi, je vais m’embusquer de l’autre côté de la bagnole. Le grand rectangle blafard de l’ouverture se rétrécit comme certains écrans de cinoche s’adaptant aux différents diamètres des films projetés. J’attends. Le vantail continue de se rabattre, avec un léger zonzon électrique. Il n’est plus qu’à un mètre du sol lorsque le blond joue son va-tout pour se tirer de ce piège à rat. Il exécute un admirable roulé-boulé.

Il est futé car, pour sortir, il a attendu que la porte soit presque fermée de manière à ce qu’elle protège sa fuite au maxi. Je défouraille dans sa direction. Trois prunes dont la dernière sonne clair contre le cadre métallique de la porte. L’ai-je touché ? Mystère !

A pas de loup je reviens vers mon poste précédent afin de réactionner la lumière et la porte.

A peine ai-je réappuyé sur les boutons qu’une pétarade grondante fait vibrer le garage.

Le grisonnant a mis notre rodéo à profit pour se couler dans l’auto. Il démarre sèchement. Je n’ai pas le temps de me précipiter. La guindé a répondu au quart de tour. Il embraye sec, met la sauce et percute en force la porte qui commençait de s’ouvrir.

« Arrrrhhan ! » ça produit, comme bruit.

Presque «hareng ». C’est drôle, non ? Pourtant, habituellement, un hareng, c’est silencieux. Le délicat moteur d’ouverture est bousculé dans ses engrenages. Un moteur, faut lui obéir, jamais le braver. Dès que tu le prends à contre-piston, il te dit merde et se met en berne. Çui-là pousse un juron et devient plus flasque que la zézette d’un membre de l’institut bourré de diabète. La porte folle se relève d’un coup. La tire, une forte Mercedes de gros P.-D.G. (ou de vieux M. A.C. ou de riche B.O.F.) fonce dans une allée goudronnée.

Elle embarde légèrement en escaladant le blond étalé sur son passage (bravo, San-Antonio, ton premier prix de tir, tu ne l’avais pas volé).

Vous materiez ce circus, mes pauvres potes !

Quel gâchis !

Parce que le cher Huncoudanlproz est toujours attaché au pare-chocs arrière.

Les chocs, il les pare pas du tout ! Ce sont eux au contraire qui ne le désemparent pas ! Bling ! Blong ! Bloug ! Pouf ! Tiaf ! Zim ! Boumi !

Le bougre tressaute, cogne, heurte, frappe. Il hurle ! Il agonit ! Il agonise ! Je m’élance, le feu au poing.

Je vise soigneusement la lunette arrière. Vite, San-A. ! Vite !

Je presse la détente. Et couic ! Pour la première fois de sa carrière, cet effronté de Tu-Tues s’enraye ! J’ai trop défouraillé à bout portant dans des portes. Il a dû se fausser ou quelque chose comme ça. Toujours est-il qu’il renonce. Ah, l’ordure ! Ah, le mesquin déserteur ! Vous vous rendez compte ! LE revolver de San-Antonio qui se croise les bras ! Je te le vas révoquer d’urgence, ce voyou passé à l’ennemi ! Il déshonore mes poches ! D’un geste rageur je l’expédie à la campagne dans les bégonias du jardin. Après quoi, je me fous à courir derrière la bagnole. Elle a pris de la vitesse. Faut vous dire qu’il n’y a pas de portail à cette seconde propriété. L’est déjà sur le quai du général Foudroyet, la Mère Cédés.

Une 6 litres 3, vous pensez si ça déménage. C’est pas le zigoto attaché à son arrière qui la perturbe. Ça représente une petite casserolette à la queue d’un saint-bernard ! Et encore ! La voilà qui disparaît au tournant du quai et de la rue Brouffebrite. Vous pensez que le conducteur a oublié son client du pare-chocs ? J’ai idée qu’il va avoir du succès, en ville avec cette surprenante remorque au panier !

Un bonhomme glaglateux se pointe à ma hauteur. Le pêcheur de naguère !

— Dites, il bredouille en se retenant le dentier à deux mains, est-ce que vous avez vu ce que j’ai vu ?

— Ben quoi, j’objecte, vous trouvez extraordinaire, vous, un type qui pousse une auto pour la faire démarrer ?

Le pille-Marne secoue la tête.

— Il la poussait pas : il était couché par terre !

— Chacun a ses petites recettes, mon vieux ! Pourquoi tout le monde devrait-il faire comme tout le monde ?

Le père La Méduse se demande s’il radeaute. Des fois que le miroitement de l’eau lui filerait des étourdissements après toux.

Il reste indécis, dans l’attitude du bonhomme de neige en train de fondre. Puis il a un geste mou pour me désigner le blondinet écrasé dans l’allée.

— Et ça, là ?

— C’est un jeune homme, je dis.

— Mais il a la tête écrabouillée !

— Vous avez déjà vu des types prendre une Mercedes 300 sur la tronche sans être décoiffés, vous ? Ça lui suffit !

Le v’là qui retrouve la vélocité de ses cinquante ans et le souffle de l’époque où il était clairon à son régiment pour se sauver en hurlant au secours !

Au secours de qui, je vous le demande ! Tout le monde est mort !

Ç’en fait sept de dénombrés à c’t’heure. Et je ne fais pas état de Just Huncoudanlproz, lequel ne doit plus tellement avoir l’éclat du neuf derrière sa Dolorès 300 !

 

*

*  *

 

Touchantes, les retrouvailles de ces dadames.

On s’effusionne copieusement. On se raconte les chapitres précédents. Elles parlent en même temps, chacune pour soi. Parce que c’est toujours ainsi dans la vie : les gens ne causent que pour eux-mêmes. Ils ne s’intéressent qu’à ce qu’ils savent, tout comme ils n’aiment que les chansons qu’ils connaissent ! La mère Pinaud se prend pour Mme Dassault et raconte son kidnapping ! Berthe explique le petit Antoine, la clocharde, la tête dans le frigo, la pauvre Thérèse, l’horrible Manigance, le reste ! Elles se juxtaposent la diatribe ! S’escaladent l’explication. Montent le ton ! S’entrecroisent les épithètes.

Je les laisse pour rendre une visite surfine à Rebecca.

Lorsque j’entre dans sa carrée, elle dort toujours, la môme courant d’air ! Ces cellules de luxe sont, ainsi que je l’avais décidé plus haut, complètement insonorisées. Tu peux tirer n’importe quoi dans le couloir : un coup de canon ou un coup tout court, t’entends rigoureusement rien de l’intérieur.

Je relourde délicatement et prends place dans un fauteuil. Au bout d’un instant, les ondes de ma présence vont titiller l’entendement de mam’zelle Gigot. Elle bat des cils et me défrime mollement ; puis son regard se précise, la lucidité l’illumine et, d’un bloc, la camarade de lèche-frifrite de Nini se met sur son séant.

— Non, ma poule, tu ne cauchemardes pas, soupiré-je. C’est bien moi, le seul, le vrai, l’unique, le grand San-Antonio. Je n’ai pas fait long pour te retrouver et pour découvrir le pot aux roses, hé ? Quelques heures... Une prouesse, non ? Cela dit, la nuit a été longue, ma chérie. Mais c’est pas le tout, pendant qu’il me reste encore un chouïa d’énergie, faut que je mette à jour. J’aime pas accumuler les factures impayées. Tu veux bien te lever, mignonne ?

Elle me mate sans réagir.

— Debout ! ! ! je lui hurle.

Illico, elle se dresse.

J’en fais autant : c’est pas poli, un m’sieur qui reste assis devant une dame debout ! Tous les manuels de savoir-vivre vous le diront.

— Fais chaud chez toi, soupiré-je en posant ma veste.

Après quoi je me croise et me décroise les mains une demi-douzaine de fois consécutives, comme un pianiste qui viendrait de faire la barre fixe avant d’interpréter le Con sert tôt de Francis Lopez. Lorsque je me sens les salsifis bien agiles, magnifiquement déliés, je commence à la momifier à toute beauté. Oh, ce trèfle à cinq feuilles, mes mignardes ! Ça fait « couic » dans la tronche de Marcelle-Rebecouille-de-mes-deux-cas ! Je lui laisse pas le temps de chialer. Y a la sœur jumelle de la précédente qui vient en revers. Ensuite, me reste plus qu’à continuer. Je les compte plus. J’assaisonne tant que ça peut. Les dents crochetées par la rogne. Flic-floc ! Pif ! Paf[43] ! Elle titube, vacille, embarde, se remet d’aplomb ! Perd tout aplomb ! Se plombe ! Penche ! Se désincline ! Se déglingue ! Se saintglinglinte ! On dirait qu’elle est frappée de couperose, Rebecca, lorsque j’arrête ma distribution de tartelettes. Chose surprenante, elle est restée droite et ne pleure pas.

Le silence forcené, désespérant, du puni qui trouve son châtiment mérité et s’étonne même qu’il ne soit pas plus sévère.

Seulement bibi ne s’estime pas quitte ! Oh, que non ! Oh, quenouille ! J’attrape la fille en soudard et lui trousse la jupaille. Rrran, d’un seul coup ! J’ai un compte à régler avec les panties et les collants à présent ! Te chope à pleins doigts cruels l’un et l’autre. Ça fait Craaaaaactchiiii[44] ! Je déchire primo le côté pile, deuxio le côté face ! Le tout s’écroule misérablement sur le tapis. Ce qui reste, m’est obligation de vous le dire, est de toute splendeur ! Une merveille de cuisses ! Un dargiflet plus beau que le portrait en couleur de Richard Nixon ! Une tirelire à bouclettes qui ferait dérailler un fourgon de queue ! Une peau délicieusement ocre, p’t-être bistre après tout ? Satinée, veloutée !

Moi, vous me connaissez ?

Bon, alors pas besoin de vous faire un dessin qui risquerait de vouer cet ouvrage aux foudres d’une censure qui vigile, mine de rien.

Ah ! ma petite gougne, je me bredouille en aparté, tu vas avoir ta fête en vistavision ! Une seule bougie pour l’happy-birthday, mais de taille ! A toute violée je catapulte miss Sales-Combines sur son plumard encore tiède. Et hop ! Le saut de l’ange ! Il plonge, San-A. Oh, le beau triton ! Neptune, à moi ! Que ta fourche l’enfourche ! Ah, t’as voulu que je grimpe chez toi, ma gredine ! Ah ! t’as voulu me chambrer ! Ah, tu m’as pris pour un quart de Brie ! Ah, tu t’imaginais que San-Antonio avait des méninges achetées en solde au rayon garçonnet du rayon Machin ! Ah, tu joues les mariolles pimbêches ! Ah, tu croques de l’ail ! Ah ! ah...

Cette troussée, mes poules ! Quelle était verte ma vallée des délices ! Mamma mia ! Tiens, chope ! Et pas d’entrave à la liberté de la presse ! Ça presse trop ! T’en voudrais pas ? T’en auras le double ! Pas de quartier ! L’unité pleine et entière ! Pan dans la hune ! A la baguette ! Dans les baguettes ! Laisse bien lesbienne de côté ! V’là ton billet de croisière, mignonne. Ton titre de transports ! Emmène-toi promener dans la purée ! Haute voltige ! Quadrille des lanciers ! Et radadi et radadoche t’as ton zizi sous ma brioche ! (ronde enfantine). Hein qu’elle est faite au moule ? Pour les moules ? C’est la grosse Nini qui t’entreprend le glandulaire ainsi ? Pas elle qui te décoiffe la frisette de cette manière ! Tu le connaissais pas, le coup du taureau camarguais ? Et çui du moine maudit ? La queue de la poêle ? Le poil de l’aqueux ? L’aquaplane magique ! Tintin dans le milou ! La brouette à glissière... Le déraillement téléguidé ! Pince-me et pince-fesse sont sur un bateau... La tante Hortense n’a plus de culotte ! Fume la mère de madame ! Tronche-montagne ! Le cœur est un petit grelot. La fusée infernale ! Le sous-off de Christophe Colomb. La faim des Romanoff (à la coque). Seul maître queux à bord ! C’est pas bon, ça ? Dis, gosse, c’est pas plus sublime que le chat-chat-chat ? La danse de Ventre-Saint-Gris ! La Valse ardente ! Le tango godeur !

Te la finis à la baïonnette ! Te lui démantèle le bastringue ! Te lui désorganise le système nerveux ! L’embroussaillé ! La submerge ! La confine ! La dévaste ! La rectifie ! Lui fais toucher les deux et Paul ! L’emporte dans de sauvages éblouissements !

Qu’à la fin, Mam’selle La Liche en évanouit d’apothéose. S’engloutit dans son trésor comme une qui plongerait dans sa propre faille et s’y anéantirait totalement, tant il est vrai, comme l’écrivait récemment le professeur Lucien Saillet dans son traité sur la Déconnection du bouton de chaglaglate dans le coït moderne, tant il est vrai (je cite) « que le meilleur moment de l’amour c’est pas quand on monte l’escalier, mais quand on lâche la rampe » (fin de citation, ajouterait Léon Zitroën).

La porte de la chambre s’ouvre fougueusement. J’ai pas le temps de me rajuster, comme on dit dans les romans libertins du xiie siècle et du 16e arrondissement : Berthe s’avance, les mains jointes, comme une miraculée de frais.

— Santonio, glabouille-t-elle, Ah ! Oh ! J’ai tout vu par le trou du judas. Tout ! Bravo ! Magnifique ! Je ne savais pas que ça pouvait exister. Je m’en doutais sans y croire vraiment ! Mon Dieu que c’était beau ! Plus beau que le Gaullisme ! Je n’en reviens pas ! N’en reviendrai jamais ! Quel tempérament exceptionnel ! Quelle vitalité ! Est-ce que cette petite conne a bien apprécié, au moins ! J’eusse donné n’importe quoi pour être à sa place ! Qu’est-ce que je raconte, n’importe quoi ! Tout ! ! ! Béru, ma vie ! Mes économies ! Ma bague de fiançailles ! La photo de maman ! Quand je pense que j’admirais Alfred, notre ami le coiffeur ! Petite folle que j’étais ! Innocente ! Santonio, mon ami, mon chéri, mon roi, mais je viens de m’apercevoir d’une chose terrible : je connais encore rien de l’amour ! Je sus neuve ! J‘sus vierge !

Comme elle prétend m’enlacer, je la refoule d’un geste blasé.

— Merci pour vos compliments, ma bonne. Venant de vous ils me touchent profondément.

— Putain ! crie une voix dans le couloir.

Je regarde. La mère Pinaud qui a pris la relève pour ce qui est de coltiner Antoine défrime Berthe d’un œil haineux. Elle a le visage inondé de larmes et une estafilade sur la joue gauche.

— Que vous est-il arrivé, chère vous ? exclamé-je.

— Laissez, gronde la Gravosse. Cette pie rance voulait regarder aussi par le judas, seulement comme il était qu’à une place y a fallu que je la bousculasse.

Je refoule les deux commères.

— Faites la paix, leur recommandé je, nous approchons de la conclusion et il ne faut pas laisser le lecteur sur une mauvaise impression. C’est une simple question de probité professionnelle.

 

*

*  *

 

— Alors, Rebecca, si tu te mettais à jour, à présent ?

Elle amorce un début de pleurnicherie pour m’amadouer. Elle se dit qu’en ajoutant quelques larmiches bien venues à nos transports, elle achèvera de m’annexer, ce qui est d’une puérilité que je me réserve de lui démontrer, le moment venu.

— Chéri, mon amour, murmure-t-elle, d’une voix rauque, en me contemplant avec des yeux soulignés de reconnaissance ; c’est si délicat à expliquer...

— Bon, allons-y. Primo tes relations avec ton patron.

Elle détourne les yeux. V’là que je lui embouteille déjà le plan d’action.

— T’es de Lesbos par adoption, hein ? je ricane. En fait t’as déjà tâté du julot, ma fille. Je devine qu’il t’a fait le coup du grand vizir, Just, non ? Il est beau gosse, il a de l’allure... Bref, tu étais sa maîtresse ?

Vous savez ce qu’elle me répond ? Ah non, ce que les gonzesses sont désarmantes... Elle me dit :

— Un petit peu.

Un petit peu ! Ces dames couchaillent du bout des fesses, ou bien en grand. Elle, c’était pour ainsi dire ses obligations de secrétaire. La radadasse professionnelle.

— Tout a commencé avec ton histoire de neveu, n’est-ce pas ?

— En effet.

— Un truc qu’on ne peut pas t’enlever : tu as l’esprit de famille. Lorsque le môme s’est évadé, il est venu te relancer pour que tu l’aides ?

Un silence. Mais ma perspicacité a raison de ses réticences. Alors elle approuve d’un léger signe de sa tête de linotte.

— Tu l’as planqué chez vous en cachette de Nini ?

— Oui.

— Où ça ?

— Sur la terrasse, elle n’y monte jamais.

— Il a fait du camping ?

— Pour ainsi dire.

— Longtemps ?

— Quelques jours.

— La suite ?

Elle hausse les épaules.

— Ah non ! m’emporté-je, la période des pimbêchages est terminée. On bivouaque sur le perron de la cour d’assises, ma gosse, essaie de comprendre ! La Vérité, que tu ergotes, que tu minaudes, que tu pleurniches ou non, te sera arrachée mot après mot, comme on plume une volaille. D’autres types que moi t’entreprendront, et ça ne sera pas de la meringue !

— Un jour, Charles m’a téléphoné au bureau. Il était épouvanté. Il m’a raconté qu’un homme venait de s’introduire chez nous en passant par les toits. Pris de peur, il l’avait tué d’un coup de hallebarde.

Ah, bien... Donc, le môme est l’assassin de Kelloustik ! L’histoire de la hallebarde décrochée en hâte plaide effectivement pour l’affolement.

— Je vois. Cette nouvelle t’a « révolutionnée », ma pauvre toute, et tu t’es confiée à Just, exact ?

— Oui.

— Tu lui avais déjà parlé du neveu, ce qui a facilité les choses... Il t’a dit de ne pas perdre le nord et il t’a accompagnée quai d’Orléans pour aviser sur place.

J’en suis à cette période, si essentielle pour un agenceur où «je vois » les choses. La vérité passe au loin, dans la nuit, comme les lettres de feu d’un journal lumineux. En regardant bien, en exerçant son œil et son esprit, on parvient à déchiffrer. On remplace approximativement les mots sautés. On trouve en lisant ce qui est lisible le sens des phrases manquantes. C’est un jeu. Une voltige mentale.

Ainsi, l’affaire de l’île Saint-Louis, je la conçois parfaitement maintenant.

Rebecca noire de trouille radine au bras de son patron-amant. Il y a là un mort et un délinquant en fuite qui claque des dents parce qu’il a sauté le pas.

Just Huncoudanlproz est un homme calme qui sait dominer les situations fâcheuses. Il réfléchit, décide, impose un plan d’action. Primo : se débarrasser du cadavre en le virgulant dans la cour. Ensuite faire disparaître dans la mesure du possible les traces du drame : sang, tapis, hallebarde. Tout rectifier pour que Nini ne s’aperçoive de rien... Il se chargera de planquer le garnement meurtrier. Tu parles, parallèlement à ses occupations officielles, il a d’autres activités nécessitant une main-d’œuvre d’un genre particulier ! Charles Naidisse peut être une recrue intéressante dans son « équipe »...

Le bouton de blazer ?...

C’est lui qui l’a arraché de la veste du môme pour le carrer entre les dents du mort. Sans doute même a-t-il persuadé Charly qu’il fallait agir ainsi pour, le cas échéant, pouvoir plaider la légitime défense. Prouver aux autorités qu’il avait dû se colleter avec sa victime.

Bon, la fîloche. Le blanc-bec est amené dans la maison de Nogent. On l’embrigade. C’est un petit gars prêt à tout. Il a franchi la ligne désormais. Il a tué !

Je questionne Rebecca.

Et Rebecca confirme.

Pourtant elle tique lorsque je fais état de « l’organisation ».

— Quelle organisation ? demande-t-elle.

— Sans charre, tu n’es pas au courant de la partie occulte de Néo-Promo ?

— Mais non...

Elle paraît franchement éberluée. Bon, passons. Il n’importe. Ça change quoi qu’elle sache ou non que cette maison sert de planque aux bannis illustres, aux grands traqués de ce monde ? Huncoudanlproz est à la tête d’un trafic peu banal. Il « escamote » ceux pour qui le monde est devenu trop petit ! L’émir, le diplomate, le banquier... Il leur assure ce bien inestimable entre tous pour un homme traqué : du temps. Plus la vie douillette... Le rêve, quoi !

Mais à un certain moment, le truc s’est fissuré. Il a craqué.

J’arrive pas à piger l’intervention de Kelloustik dans ce bigntz. La tête tranchée ! Thérèse appelant chez le bijoutier de Saint-Franc-la-Père... Et le pourri de Manigance observant les allées et venues nocturnes de la jeune femme. Mes questions demeurent sans réponse, dès lors que Rebecca ignore ce dont je parle.

Elle n’a été qu’un épisode de l’affaire.

Un épisode somme toute banal, mais qui, pourtant m’a permis de mettre le tarin dans tout ça !

Alors ?

Moi, vous me connaissez ?
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