Qui a peur de Sam Wulf ?
Ronda Thompson

 

 

Le nom de Wulf est maudit. Dès que les hommes de la lignée connaissent le grand amour, le monstre qui sommeille en eux se réveille. Pour se débarrasser de ce démon, faut-il qu’ils affrontent un ennemi plus terrible encore, tapi au plus profond de leur être ?

 

 

Laura Wulf était citadine jusqu’au bout des ongles. Elle savait que, pour rien au monde, celui qu’elle avait épousé cinq heures plus tôt n’aurait manqué ses virées mensuelles en forêt. Sam adorait aller pêcher, chasser et ne plus faire qu’un avec la nature, tandis que Laura refusait de s’éloigner d’une prise de courant pour son sèche-cheveux ou même d’un Starbucks.

Elle avait omis de lui signaler ce détail depuis qu’ils avaient eu le coup de foudre l’un pour l’autre, huit mois auparavant. En fait, Laura lui avait même laissé entendre le contraire. Sam croyait qu’elle adorait les grands espaces au moins autant que lui. Comment allait-elle pouvoir faire illusion toute une semaine durant ?

— Que pensez-vous de notre petit nid d’amour, madame Wulf ?

Le cabanon ressemblait en effet à une sorte de nid ; mais Laura ne voyait pas ce qui en faisait « l’endroit idéal pour passer sa lune de miel ». Des lampes étaient allumées, en revanche ; comme il le lui avait promis, il y avait l’électricité. Il flottait dans l’air un léger parfum de pin et de cire au citron, signe que Sam avait tenté d’y mettre un peu d’ordre avant leur arrivée.

Mais les lieux étaient exigus, quelque peu décrépits, et les fenêtres étaient ornées d’horribles rideaux écossais. Les murs lambrissés de pin et le sol en vieux parquet étaient si fatigués qu’ils auraient eu besoin d’une bonne couche de vernis. Mais ce n’était pas le bois à l’intérieur du cabanon qui lui posait problème. C’était la forêt, dehors.

— Je sais que tu aurais mérité mieux mais, avec nos emplois du temps et ce que nous a coûté le mariage, je ne peux pas faire mieux pour le moment, mon cœur.

En voyant ses grands yeux de cocker, Laura en aurait presque oublié les rideaux écossais et le paysage encore plus effrayant au-dehors. Sans doute ne s’agissait-il pas du voyage de noces dont elle avait rêvé, mais ils étaient ensemble. Ils étaient mariés. C’était tout ce qui comptait.

— Ce n’est pas si mal, mentit-elle. Et tu as raison, c’est très intime.

Sam la prit dans ses bras.

— Nous allons passer un moment merveilleux, ici. Quel individu sain d’esprit n’aimerait-il pas passer une semaine au calme en pleine forêt ?

Boucle d’Or n’avait sans doute pas beaucoup apprécié sa brève équipée dans les bois. Ni le Petit Chaperon rouge, d’ailleurs. Quant au Petit Poucet… Et la liste était longue. Laura fut soudain frappée de constater à quel point on incitait les enfants, dès leur plus jeune âge, à se méfier des bois. Sans doute parce qu’il s’y produisait de drôles de choses.

— C’est vraiment charmant, s’obligea-t-elle à dire, ne serait-ce que pour s’en convaincre elle-même.

En regardant autour d’elle, elle remarqua les lits superposés. Des lits superposés ? C’était leur nuit de noces ! Désignant les couchages d’un signe de tête, Laura demanda :

— Tu préfères être au-dessus ou en dessous ?

Blotti contre son cou, il lui répondit :

— On prendra la position que tu préfères, ma chérie.

Voilà qui était bien dit. Il y avait au moins un sport pour lequel Laura n’hésitait pas à transpirer, quand elle le pratiquait avec son séduisant mari. Mais elle voulait d’abord se préparer pour sa lune de miel.

— Je vais prendre une douche.

— La salle d’eau est là. (Sam lui indiqua l’unique porte du cabanon en plus de celle de l’entrée.) Je vais rassembler les couchages pour en faire un seul lit. Ce sera très romantique. Tu verras.

Romantique ? Laura avait des doutes, mais elle s’empara de son nécessaire de voyage et se dirigea vers la salle d’eau. Elle actionna l’interrupteur et fut ravie de constater la présence d’une prise pour son sèche-cheveux. Peut-être que ce séjour de cinq jours en forêt, loin de la ville et de leur vie trépidante, se révélerait finalement plus romantique qu’elle l’imaginait.

Ils avaient tous les deux besoin de ralentir le rythme après leur relation éclair et le stress dû à l’organisation du mariage. Certains avaient jugé leur décision un peu hâtive, mais Laura était certaine d’avoir fait le bon choix en épousant Sam Wulf. Elle avait eu le coup de foudre pour lui, et son amour s’était renforcé quand elle avait appris à le connaître, au cours de ces derniers mois.

En plus d’être délicieusement beau, Sam était attentionné, sensible, et un amant exceptionnel. Il était presque trop parfait pour être vrai. Et elle lui avait mis le grappin dessus. Cette idée la fit sourire, même si la salle d’eau n’était pas beaucoup plus grande qu’un placard à balais.

Il y avait heureusement de l’eau chaude, et elle n’avait pas la même teinte brunâtre que les horribles rideaux de l’autre pièce. Laura se savonna avec du gel douche au parfum sensuel. L’odeur de lavande l’apaisa. Elle n’avait pas le trac mais était juste anxieuse à l’idée de devoir rester une semaine dans les bois. Sam et elle n’allaient pas passer tout leur temps au lit. Qu’allaient-ils bien pouvoir faire d’autre ?

Connaissant son mari, il était probable que leurs activités seraient plutôt physiques. Aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Sam dirigeait une entreprise d’aménagement paysager, et c’était par ce biais que Laura l’avait rencontré. Elle avait fait appel à ses services pour que son équipe et lui redonnent un coup de jeune à quelques propriétés qu’elle comptait ajouter au catalogue de sa propre agence immobilière. La première fois qu’il s’était présenté dans une maison à retaper pour discuter des tarifs, elle l’avait embauché. Rien que pour voir s’il allait travailler torse nu, le prix de Sam était le sien. Ce fut le cas, et Laura passa bien trop de temps dans la propriété, à le regarder œuvrer sous un soleil de plomb.

De fil en aiguille, ils commencèrent à sortir ensemble. Huit mois plus tard, elle était Mme Sam Wulf, et se sentait plus heureuse que jamais. L’eau de la douche se fit soudain glaciale, et Laura poussa un petit cri perçant. D’accord, elle aurait pu être un poil plus heureuse. Elle aurait pu passer sa lune de miel ailleurs.

— Ça va, Laura ? demanda Sam, derrière la porte.

Après avoir aussitôt refermé le robinet, dont la pression n’était pas très forte, elle répondit :

— L’eau est glacée !

— Le ballon d’eau chaude n’est pas très gros. Il va falloir prendre des douches rapides, tant qu’on sera ici.

Des douches rapides ? Un petit ballon d’eau chaude ? Des lits superposés ?

— D’accord, promit-elle en sortant de la douche et en empoignant une serviette moelleuse.

— Tu as besoin d’un coup de main pour te sécher ?

— Non ! s’esclaffa Laura. Je vais te faire une surprise avec ce déshabillé coquin, même si je ne compte pas le garder plus de cinq minutes. Tu es censé créer une atmosphère romantique.

— Je n’attends plus que toi. Je suis prêt, mon cœur. Plus que prêt, même.

Le cœur de Laura se mit à battre plus fort. Elle se sécha, se donna un coup de brosse et enfila un déshabillé noir indécent assorti à un minuscule string, ainsi que des mules noires à hauts talons. Elle éteignit la lumière et ouvrit la porte.

Pendant le peu de temps qu’elle avait passé sous la douche, Sam avait transformé le petit cabanon. Il avait allumé plusieurs bougies et les avait disposées dans toute la pièce. Il avait ouvert les deux grandes fenêtres pour laisser pénétrer la lueur argentée de la pleine lune, de sorte qu’elle illuminait les deux petits couchages qu’il avait serrés l’un contre l’autre. Son mari était déjà au lit, baigné par une douce clarté qui faisait ressortir sa musculature cuivrée et dissimulait son visage dans la pénombre.

— Ouah, chuchota-t-elle.

— Pareil, répondit-il du lit. Approche un peu, femme. J’ai l’intention de te combler !

La voix de Sam résonna comme un grondement, et Laura se laissa submerger par une vague de désir. Elle s’approcha du lit en titubant. Elle avait pourtant l’habitude de se déplacer sur des talons aiguilles de près de huit centimètres, mais ceux-là ne cessaient de se coincer dans les fissures, entre les lames du plancher. À mi-chemin du lit, elle s’en débarrassa d’un coup de pied. Sam se mit à rire doucement.

— J’aurais dû te prévenir qu’il était inutile d’apporter des hauts talons en forêt. Tu as bien pris une paire de chaussures de marche, hein ?

Des chaussures de marche ? La question la figea tout net. Laura avait apporté une adorable paire de tennis en jean, mais elle s’était imaginé qu’ils feraient, au pire, quelques balades au clair de lune autour du cabanon, rien de plus. Comme elle le redoutait, Sam avait d’autres idées en tête.

— Oui, répondit-elle. J’ai pris tout ce qu’il faut pour aller dans les bois.

— J’adore ce que tu portes en ce moment, mais quelque chose me dit que tu ne vas pas le garder longtemps. (Il tapota le lit.) Viens vite, ou je vais te chercher !

Toutes ses inquiétudes à propos de la marche se dissipèrent. C’était sa nuit de noces. Elle s’approcha de lui dans un déhanchement langoureux, ce dont elle avait été incapable avec ses talons. Laura avait presque atteint le lit quand quelque chose de pointu s’enfonça sous la plante de son pied. Elle poussa un cri de douleur. Une seconde plus tard, Sam était là pour la recueillir dans ses bras.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il en la portant jusqu’au lit.

— Je crois que je me suis enfoncé une écharde dans le pied !

Après l’avoir déposée en douceur sur le matelas, Sam se pencha auprès d’elle.

— Fais-moi voir ça.

Laura doutait qu’il puisse distinguer quoi que ce soit à la faible lueur des chandelles. Toutefois, avec ses mains brûlantes, il parvint à apaiser quelque peu sa douleur. Même si Sam était grand et costaud, il savait faire preuve de délicatesse. Laura tendit la main et l’enfonça dans l’épaisse chevelure blonde de son jeune époux. Elle adorait ses boucles qui lui tombaient sur les épaules.

— Ce n’est qu’une petite écharde, dit-il. Je crois pouvoir la retirer sans pince à épiler. Prête ?

Elle se demanda comment son mari avait pu repérer le minuscule morceau de bois dans son pied, et comment il ferait pour l’extraire.

— Aïe !

— Un baiser magique, et tu ne sentiras plus rien, lui promit-il.

Laura n’était pas fétichiste, loin de là. Pourtant, quand Sam commença à lui mordiller les orteils, elle se demanda si elle n’allait pas changer d’avis. Il poursuivit jusqu’à sa cheville, puis plus haut, jusqu’à ce que l’écharde ne soit plus qu’un lointain souvenir. Il fit remonter ses mains sous la légère chemise de nuit de Laura, avant de faire glisser sa culotte presque inexistante le long de ses cuisses.

— Tu sens bon, chuchota-t-il d’une voix rauque. Tu as la peau si douce… Tu es magnifique.

Même si Laura se savait séduisante, avec Sam, elle avait l’impression d’être une déesse. Elle aimait cette façon qu’il avait de la vénérer. Lentement, il fit remonter son déshabillé au-dessus de ses cuisses, autour de sa taille. Quand il se mit à lui mordiller l’intérieur des cuisses, elle poussa un léger gémissement, les yeux mi-clos, en prévision des plaisirs à venir. La lune, dont l’éclat brillait par les fenêtres ouvertes, baignait Sam de ses rayons argentés. Sauf que… Ce n’étaient pas des rayons de lune, mais des insectes !

Se redressant d’un bond, Laura voulut écraser l’une des bestioles et frappa Sam sur la tête.

— Eh ! (Il recula.) Pourquoi m’as-tu giflé ?

— Il y a des insectes géants !

Laura serra les jambes d’un geste brusque et bondit du lit, manquant, dans sa précipitation, de faire tomber Sam.

— Ce ne sont que quelques moustiques, Laura, la réprimanda-t-il doucement. Va dans la salle d’eau et asperge-toi d’insecticide pendant que je les chasse et que je referme les fenêtres. Le répulsif se trouve dans l’armoire à pharmacie. C’est sans doute le parfum de ton gel douche qui les a attirés.

Il était donc interdit de sentir bon en forêt ? Laura piqua un sprint jusqu’à la salle d’eau et ferma la porte derrière elle. Elle actionna l’interrupteur, craignant que la petite pièce soit elle aussi infestée d’insectes, mais les moustiques étaient manifestement aussi claustrophobes qu’elle. Comme Sam le lui avait affirmé, l’insecticide se trouvait dans la pharmacie. Elle s’en aspergea le corps et entrebâilla la porte.

— Ils sont partis ?

Sam fit le tour du cabanon en allumant de nouvelles bougies.

— Je crois que j’ai réussi à en chasser une bonne partie, répondit-il. Je dispose quelques chandelles à la citronnelle autour du lit. L’odeur les tiendra à distance.

Les bougies sentaient à peu près aussi bon que le répulsif qu’elle s’était vaporisé sur le corps. Elle quitta la salle d’eau, prenant garde à ne pas traîner ses pieds nus, de crainte de récolter une nouvelle écharde.

— On peut sans doute attendre jusqu’à demain soir, pour la lune de miel.

— Quelle idée ! (Sam déposa encore une bougie incandescente sur parquet et s’approcha de Laura.) Je veux faire l’amour à ma femme. C’est la tradition.

Jusque-là, leur nuit de noces n’avait rien de traditionnel.

— Ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’on couchait ensemble. Je sens mauvais, et il y a des insectes dans la pièce. Allons nous coucher, et on refera une tentative demain.

Il secoua la tête et la prit dans ses bras.

— C’est la première fois, Laura. Nous n’avons jamais fait l’amour en tant que mari et femme. En ne faisant plus qu’un ce soir, c’est comme si nous confirmions les vœux que nous avons prononcés tout à l’heure.

Laura sentit les larmes lui monter aux yeux. Les paroles de Sam étaient certes romantiques, mais c’était surtout l’arôme des chandelles qui lui chatouillait les narines. Elle avait voulu que cette soirée soit parfaite… enfin, autant que possible compte tenu de l’endroit où ils se trouvaient. Mais, jusqu’à présent, tout s’était déroulé de travers. Néanmoins, Laura n’allait pas empêcher son nouvel époux d’accomplir son devoir conjugal. Elle ne le lui avait d’ailleurs jamais refusé alors qu’ils n’étaient pas encore mariés. Une idée lui traversa l’esprit. Prenant Sam par la main, elle le guida jusqu’à la salle d’eau.

Après avoir fait passer son léger déshabillé par-dessus sa tête, Laura ouvrit le robinet de la douche.

— Bon, mon chéri, tu as dix minutes avant que l’eau devienne glacée.

 

Sam était assis dans le rayon de lune qui se déversait par les fenêtres, observant Laura dormir. Avec sa peau de porcelaine, sa chevelure aussi noire que la nuit et ses yeux bleus étincelants, elle était à tomber. Il avait eu le coup de foudre pour sa femme, et plus les mois s’écoulaient, plus il l’aimait. Elle était drôle, effrontée et raffinée. Cette femme était censée être l’Élue, alors comment se faisait-il qu’il ne ressente aucun changement, au fond de lui ?

Scrutant la nuit, Sam distinguait encore des choses qu’aucun humain ne pouvait voir. Son ouïe lui permettait de percevoir le léger craquement des branches quand un animal nocturne filait dans les broussailles. Le mal dont Laura avait été le révélateur aurait dû s’estomper, ce soir-là. Il avait rencontré la femme qui lui était destinée. Il l’avait épousée, et ils avaient consommé leur mariage lors de leur nuit de noces. Que s’était-il passé ? Pourquoi était-il toujours victime de cette malédiction ?

— Sam ? marmonna Laura d’une voix endormie.

Il repoussa une mèche de son visage.

— Je suis là.

— Les ressorts du lit me rentrent dans le dos.

Après s’être emparé de deux oreillers, Sam tenta d’installer sa femme plus confortablement. Il se tourna vers elle et se sentit honteux. Il lui avait menti, et pas uniquement à propos de la destination de leur voyage de noces. Sam avait de l’argent. Il aurait pu proposer à sa jeune épouse une croisière des plus romantiques. Il aurait même pu l’emmener à Paris, mais le fléau de ses ancêtres le rendait prisonnier de la forêt et de la pleine lune.

Si la malédiction n’était pas rompue, contrairement à ce que le poème qu’ils se transmettaient de génération en génération suggérait, il fallait que Sam puisse se fondre dans un environnement propice. Il devait dissimuler la vérité à la seule femme pour laquelle il ne voulait avoir aucun secret.

Il était sur le point de se transformer. Le monstre tapi au fond de lui était près de s’échapper. Il fallait que Sam s’éloigne de son épouse et aille s’aventurer dans les bois pour céder à son instinct animal. Il jeta un dernier coup d’œil à Laura, se pencha au-dessus d’elle et lui déposa un léger baiser sur le front.

— Je suis vraiment désolé, mon cœur.

Il se leva et dirigea ses pas vers la porte, qu’il ouvrit avant de se glisser hors du cabanon. Il huma à pleins poumons le parfum de la terre humide, de l’humus et de l’air frais. Il se sentait aussi bien attiré par la forêt que par la pleine lune, suspendue au milieu du ciel nocturne. Il répondit à l’appel, se déplaçant tout d’abord avec lenteur, avant d’accélérer et de laisser la bête s’exprimer. Il se précipita dans les ténèbres, bondissant par-dessus les troncs d’arbres, sans prêter la moindre attention aux épines de pins et aux petits cailloux sous ses pieds nus.

Même si le fléau de ses ancêtres s’était abattu sur lui, il considérait ce châtiment lié à son nom comme un don. Jamais Sam ne se sentait si libre que lorsqu’il ne faisait plus qu’un avec la nuit. Ces derniers mois, il s’était habitué à la douleur de la transformation, et acceptait à présent l’intégralité de cette mutation. Elle se produisait en douceur : il courait sur ses deux jambes et, l’instant d’après, il filait à quatre pattes.

Il se sentait chez lui au milieu des autres créatures de la nuit. Mais il voulait également que sa femme l’accepte, et n’était pas certain de savoir comment elle réagirait en apprenant la vérité. Peut-être ne s’agissait-il ce soir-là que d’un coup du hasard et que, le lendemain, il serait capable de résister à l’appel de la pleine lune. Même s’il appréciait sa liberté, il éprouvait pour Laura un amour bien plus fort. Même s’il acceptait cette présence monstrueuse en lui, il était prêt à s’en défaire.

Quand il se transformait, il lui était de plus en plus difficile de tenir un raisonnement sensé. Sa complète liberté l’emplissait de joie, mais cela n’effaçait pas toute inquiétude. Si la malédiction n’était pas rompue le soir suivant, que diable allait-il pouvoir raconter à sa femme ?

 

Laura se réveilla à cause d’une forte douleur dans le dos. Les ressorts métalliques du sommier, sous le fin matelas, lui semblaient avoir fusionné avec sa colonne vertébrale. Une salve de mots choisis lui vint à l’esprit mais, soudain, elle se rappela. Il s’agissait de sa lune de miel. Elle était Mme Sam Wulf. Le sourire aux lèvres, elle se retourna vers l’autre côté du lit. Son mari n’était pas là. Les bruits d’ablutions et la porte close de la salle d’eau lui permirent de le localiser. Sam était sous la douche.

Après avoir rassemblé ses forces pour se redresser en position assise, elle jeta un coup d’œil dans le cabanon, espérant qu’il aurait un aspect plus engageant à la lueur du jour. La vision de la kitchenette, avec son plan de travail vieillot, lui remit du baume au cœur. Il y avait une cafetière. Pleine. Elle repoussa le léger duvet qui la recouvrait et se leva. Elle avait enfilé un pyjama plus douillet une fois que Sam et elle avaient transformé une douche tiède en moment torride.

Chaussettes aux pieds, Laura se dirigea vers la kitchenette. Elle repéra une tasse et y versa une dose de remontant. Quel genre d’horreurs Sam lui réservait-il, ce jour-là ? En jetant un coup d’œil par les deux fenêtres, au-dessus du lit, elle remarqua la présence de montagnes abruptes et d’un soleil radieux. La journée s’annonçait splendide. Flûte !

La porte de la salle d’eau s’ouvrit. Sam en sortit, une serviette autour de la taille. Il avait tiré ses cheveux blonds en arrière, révélant ses traits virils. Une barbe naissante lui assombrissait la mâchoire de manière très sensuelle. Des gouttelettes s’étaient accrochées à son torse musclé. Elle poussa un soupir. Qu’est-ce qu’il était beau…

— Tu as bien dormi, mon cœur ?

Malgré le matelas aussi fin que bosselé et les ressorts du sommier, Laura avait relativement bien dormi, blottie contre Sam, entre ses bras protecteurs.

— Comme une souche, déclara-t-elle, estimant que le côté sylvestre de sa réponse était des plus appropriés.

Il esquissa un sourire.

— Tu es terriblement sexy dans ce pyjama en pilou.

D’habitude, Laura évitait cette matière. Mais Sam l’avait prévenue que les nuits pouvaient être fraîches à la montagne, même en plein été. Pivotant sur elle-même tel un top-model, elle déclara :

— Il va falloir t’y habituer. C’était la dernière fois que je mettais des dessous coquins. Maintenant que nous sommes mariés, tu vas voir le monstre que je suis parvenue à te cacher pendant tous ces mois.

Sa menace n’obtint pas le sourire escompté. Il se contenta de détourner le regard, avant de hisser sa valise sur le lit.

Laura le rejoignit.

— Tu as bien compris que je plaisantais, hein ?

— Bien sûr, répondit-il en continuant à fouiller dans ses vêtements. Je m’étais dit qu’on aurait pu marcher jusqu’au lac et pêcher quelques truites pour le dîner. Qu’est-ce que tu en dis ?

Elle fut ravie qu’il ait la tête enfouie dans sa valise : il fut donc dans l’incapacité de la voir blêmir. Pêcher ? Marcher ? Il allait falloir qu’ils s’enfoncent dans les bois pour atteindre le lac, non ?

— On ne peut pas y aller en voiture ?

Il secoua la tête.

— Il va falloir traverser des étendues de terrain plutôt sauvage avant de pouvoir gagner le lac, mais on devrait y être en moins d’une heure, si on ne traîne pas trop.

Il ajouta en enfilant un tee-shirt :

— Asperge-toi bien de répulsif avant de partir.

Elle esquissa un sourire aussi bref que jaune, puis saisit sa valise et la fit rouler jusqu’à la minuscule salle d’eau. Elle aurait dû être franche dès le début et lui avouer tout de suite qu’elle avait une peur bleue de la forêt. Elle s’était enfoncée dans son mensonge, prétendant adorer les grands espaces parce qu’elle savait que Sam était du genre à apprécier la nature. Elle n’avait pas voulu réduire à néant ses chances avec lui uniquement parce qu’ils n’avaient pas le même point de vue sur ce détail. Pendant des mois, Laura s’était efforcée d’imaginer des prétextes au cas où il lui aurait proposé de l’accompagner dans son cabanon, mais Sam ne l’y avait jamais invitée. Pourquoi, d’ailleurs ? Et pourquoi se posait-elle cette question à cet instant précis ?

— Tu viens, Laura ? J’ai tout ce qu’il nous faut. Ça mord mieux, le matin !

En se regardant dans le miroir, Laura se redressa.

— Je peux le faire, répéta-t-elle.

 

Au bout de dix minutes de marche, Sam fut à peu près certain que Laura n’avait jamais pris part à la moindre randonnée. Même si elle avait de jolies chaussures, celles-ci n’étaient pas faites pour la marche et, dès qu’il les avait vues, il avait décidé d’opter pour un chemin plus facile que celui qu’il avait initialement prévu. La première fois où ils s’étaient rencontrés, sa nouvelle épouse lui avait pourtant affirmé qu’elle adorait les grands espaces.

Cela l’avait inquiété, à l’époque, car il avait craint qu’elle insiste pour l’accompagner à son cabanon, auquel il se rendait chaque mois. Mais Laura ne lui avait jamais posé la question. Il savait pourquoi, à présent. À sa réaction quand elle avait vu le cabanon la veille au soir – sans parler des insectes –, Sam avait compris que c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans une forêt.

— On est bientôt arrivés ? demanda Laura en haletant.

D’après sa façon de regarder partout autour d’elle bouche bée en marchant, Sam était persuadé qu’elle n’allait pas tarder à trébucher et à rompre son joli cou.

— On n’est plus très loin, lui assura-t-il. Ça te plaît, Laura ?

— Bien sûr, répondit-elle en butant contre une branche. (Elle retrouva l’équilibre et lui adressa un sourire.) Comme tu l’as dit hier soir, qui n’aime pas les bois ?

Son épouse. Laura ne contemplait pas le paysage comme si elle était stupéfaite par la beauté des montagnes. Elle était terrifiée. L’instinct animal de Sam lui permettait de sentir sa peur. Il lui prit la main.

— Tu n’as rien à craindre, Laura.

Elle humecta ses lèvres appétissantes.

— Tu veux dire qu’il n’y a pas d’ours ou d’animaux sauvages dans les environs ?

Il jugea qu’il serait irresponsable de lui mentir sur les dangers potentiels qu’ils couraient.

— Il y a toutes sortes d’animaux sauvages dans les bois, lui expliqua-t-il. Et, si, il y a des ours, bien que, la plupart du temps, ils préfèrent rester en altitude. Tant que nous éviterons de laisser de la nourriture derrière nous, ils ne nous embêteront pas. Il est sage de rester vigilant mais, quand on a peur, il est impossible de profiter de la beauté de la nature.

Il sentit la tension qui émanait de Laura diminuer un peu. Elle avait confiance en lui. Elle avait raison : il la protégerait, de sa vie si c’était nécessaire, mais il fallait également que Laura apprenne à se fier à ses propres instincts.

— J’ai déjà emprunté ce chemin de nombreuses fois, je le connais donc plutôt bien. Mais, si ça n’avait pas été le cas, j’aurais apporté des morceaux de tissu et balisé la piste pour pouvoir regagner le cabanon sans problème au cas où mon sens de l’orientation m’aurait fait défaut.

— C’est une excellente idée, dit Laura. Et pour les animaux ? Comment ferais-tu pour les tenir à distance ?

Sam ajusta les cannes et le matériel de pêche qu’il tenait dans une main.

— La plupart du temps, ça ne pose pas de problème. Les animaux sauvages évitent en général de s’approcher des hommes. Ils préfèrent ne pas se montrer. Seul un animal malade ou affamé, ou une femelle voulant protéger ses petits, attaquerait un humain.

Laura tourna brusquement la tête vers lui.

— Ne me dis pas que dans cette immense forêt il n’y a pas au moins l’un d’entre eux.

Il avait du mal à se faire comprendre. Sam voulait apaiser ses craintes, et non les exacerber. Il s’immobilisa et saisit Laura par le bras.

— Tu veux rentrer ? On peut rester dans le cabanon, aujourd’hui, si tu préfères.

Les magnifiques yeux bleus de son épouse se mirent à briller. Puis elle fronça les sourcils.

— Mais tu veux pêcher… (Elle se redressa et poursuivit.) Non, je veux continuer. Peut-être que je me découvrirai une nouvelle passion.

— Je croyais que tu avais déjà pêché.

Elle se mit à rougir.

— Eh bien, pas longtemps. J’ai oublié tout ce que j’avais appris.

Il soupçonnait fort qu’il s’agissait pour elle d’une première. Il ne lui en voulait pas d’avoir tenté de lui faire croire qu’elle adorait la nature, même s’il était désormais évident qu’elle n’y avait jamais mis les pieds. Un petit mensonge bien inoffensif par rapport à ce qu’il lui avait dissimulé.

La malédiction aurait dû être rompue. Il avait espéré ne jamais être obligé de lui en parler. Comment un homme pouvait-il révéler à sa femme, qui avait manifestement une peur bleue des animaux sauvages, qu’elle en avait épousé un ?

— Quelque chose ne va pas, Sam ?

Il se rendit compte qu’il n’avait pas cessé de la dévisager. Il secoua la tête.

— Non, allons pêcher.

 

Comment avait-elle pu croire un seul instant qu’elle aimerait la pêche ? La gibecière de Sam était pleine de choses malodorantes, d’horribles asticots en plastique et de petits poissons en métal brillant équipés d’hameçons.

— Je vais appâter ton hameçon, dit Sam.

Elle aurait pu l’embrasser ! Au moins, il ne s’attendait pas à ce qu’elle sache comment faire une telle chose, ou même qu’elle le veuille. Quand il plongea la main dans un bocal de ce qui ressemblait à une sorte de caviar rouge spongieux, elle fit la grimace. Il garnit son hameçon d’un œuf, puis fixa une boule rouge et blanc sur la ligne.

Il lança la ligne et lui tendit la canne.

— Les truites aiment particulièrement les œufs de saumon. Surveille le bouchon, et s’il se met soudain à s’agiter ou à s’enfoncer, tire sur la canne et commence à mouliner.

Hein ?

— D’accord, répondit-elle, faisant mine de comprendre ses instructions.

Laura surveilla le bouchon. Il se mit à remuer, et elle tira d’un coup sec sur sa canne à pêche.

— C’était juste le courant, lui dit Sam. Tu verras la différence quand ça se mettra à tirer sur la ligne, ou quand le bouchon disparaîtra sous l’eau.

— Je le sais bien, mentit-elle. Je voulais juste repositionner le bouchonnet.

Elle sentit qu’elle n’était pas crédible.

— Si tu veux, installe-toi confortablement sur ce rocher. La pêche requiert une bonne dose de patience.

Confortablement ? Sur une pierre ? Elle allait juste salir son joli short, oui !

— Je crois que je vais rester debout, décida Laura.

— D’accord, comme tu voudras.

Sam se dirigea vers le rocher avec sa canne. Il lança la ligne avant de s’asseoir. Son solide mari semblait très à l’aise dans cet environnement. Il était tout à fait détendu, tandis que Laura se demandait déjà ce qu’elle ferait si elle parvenait à prendre un poisson.

Au bout d’une demi-heure, elle semblait moins inquiète.

— Tu es sûr qu’il y a des poissons, dans ce lac ? demanda-t-elle à Sam.

— J’en rapporte toujours des quantités quand je viens ici. Il n’y a rien de meilleur que de la truite fraîche frite.

Laura n’avait pas de goût particulier pour le poisson. Elle aimait le crabe et le homard, mais le reste l’indifférait. En revanche, si Sam parvenait à pêcher quelque chose, elle s’était juré d’en manger. Elle avait induit Sam en erreur, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Le temps était venu de tout lui avouer.

— Sam, il faut que je te dise quelque chose.

Il se tourna vers elle et haussa un sourcil.

Elle eut du mal à soutenir son regard de cocker, et baissa la tête.

— Je n’ai pas été tout à fait honnête avec toi quand on s’est rencontrés. Je ne suis pas une fille de la nature, Sam. Si je l’ai prétendu, c’était uniquement parce que je croyais que tu préférerais une femme qui partage les mêmes centres d’intérêt que toi. Je voulais te plaire autant que tu me plais.

Soudain, Sam se dressa devant elle. Il lui prit la canne à pêche des mains et la déposa par terre. Lui tenant le menton, il l’obligea à le regarder.

— D’habitude, je suis en effet plus attiré par les femmes qui partagent mon amour des grands espaces mais, la première fois que je t’ai vue, tout était différent. Je n’arrivais à rien faire d’autre que de te regarder, de constater à quel point tu es belle, intelligente et drôle. J’ai immédiatement su que tu étais celle que j’attendais.

Les larmes commençaient à piquer les yeux de Laura, et cette réaction n’avait rien à voir avec l’odeur du répulsif dont elle s’était aspergée avant de quitter le cabanon. Sam était adorable. Les hommes de sa trempe ne couraient pas les rues. Ils étaient en voie d’extinction.

— Je ne te déçois pas trop ? demanda-t-elle. Tu ne m’en veux pas de ne pas avoir été franche avec toi ?

Il lui caressa les joues pour essuyer ses larmes.

— Ce n’était qu’un petit mensonge. Naturellement, j’aurais adoré que tu me demandes de passer un peu de temps ici avec moi, mais si ce n’est pas ton truc, je comprends. Ce n’est pas parce que j’adore ça qu’il faut que tu te croies obligée d’aimer.

Le cœur de Laura battait dans sa poitrine.

— J’ai épousé le prince charmant.

Laura se dressa sur la pointe des pieds et lui déposa un baiser sur les lèvres. Comme il ne répondait pas, elle recula pour mieux le voir. Il avait l’air hagard.

— Que se passe-t-il, Sam ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il détourna le regard.

— Moi non plus, je ne t’ai pas tout dit…

Elle attendit qu’il poursuive mais, soudain, sa canne à pêche fut projetée en avant, sur le sol. Sam recula et se précipita dans sa direction. Il s’en empara de justesse.

— Viens, Laura. Tu es sur le point de pêcher ton premier poisson.

 

Plus tard dans la soirée, blottie dans les bras de Sam, Laura ne se souciait plus du matelas bosselé, ni des douloureux ressorts métalliques. Ils avaient mangé le poisson qu’elle avait pris dans la journée. Elle avait trouvé ça bon, mais tout de même moins que le moment qu’ils avaient passé au lit après le dîner. Qui aurait cru que Laura Wulf était une bonne pêcheuse ? Certainement pas elle.

Le souffle lent et régulier de Sam lui indiqua qu’il s’était assoupi. Ils étaient tous les deux épuisés après leur randonnée jusqu’au lac, sans parler de leur longue partie de jambes en l’air. Sur le chemin du retour, Laura avait vraiment pris le temps d’apprécier la nature environnante et les bois plutôt que de se demander ce qui pourrait bien se jeter sur eux pour les dévorer.

Peut-être apprendrait-elle à aimer les grands espaces. Cela ferait certainement plaisir à Sam et, même s’il lui avait affirmé que ce n’était pas très important pour lui, ça l’était pour elle. Laura refusait que quoi que ce soit puisse les empêcher de passer du temps ensemble. Il était sans doute possible de réaménager le cabanon. Elle le faisait tout le temps, pour son agence immobilière. La priorité serait d’y installer un lit confortable, à deux places, sans trou au milieu. Elle en avait assez de se retrouver coincée entre les deux matelas au milieu de la nuit.

Laura s’endormit en songeant aux modifications qu’elle pourrait apporter. Un peu plus tard, quelque chose la réveilla. Le bruit de la porte que l’on refermait doucement. Elle se tourna vers Sam, mais le lit était vide. Elle se redressa en tendant l’oreille.

— Sam ?

Pas de réponse.

Le clair de lune illuminait la pièce, ce qui lui permit de constater que la porte de la salle d’eau était ouverte, et la lumière éteinte. Sam n’était pas dans le cabanon. Se hissant jusqu’à la tête du lit, elle jeta un coup d’œil dehors. Son mari avait les yeux rivés sur la lune bien pleine. Il était nu !

— Bon sang, mais qu’est-ce qu’il fabrique ? marmonna-t-elle.

L’espace d’un instant, elle se demanda s’il était somnambule, même si cela ne s’était jamais produit jusque-là et que Sam ne lui avait jamais avoué être sujet à ce genre de problème. Mais, tandis qu’elle continuait à l’observer, il semblait parfaitement éveillé. Il se dirigea vers les arbres, à la lisière de la clairière. Puis il se mit à courir. Nu. Pieds nus. Loin du cabanon.

Son amusement passager se dissipa aussitôt. Laura avait peur. Pas pour elle, cette fois, mais pour Sam. Ce qu’il faisait était sans aucun doute dangereux, même s’il se sentait chez lui dans les bois. Elle se leva et s’empara d’un peignoir en éponge qu’elle avait emporté pour avoir bien chaud. Après avoir retrouvé et enfilé ses chaussures, Laura fit une chose dont elle ne se serait jamais crue capable, même un jour plus tôt. Elle quitta le cabanon au beau milieu de la nuit.

— Sam ! appela-t-elle.

Mais son mari avait disparu. Qu’allait-elle faire, à présent ? Devait-elle partir à sa recherche ? En aurait-elle le courage ? Au clair de lune, les arbres avaient l’air de monstres géants, dont les branches taillées comme autant de griffes n’attendaient que de se refermer sur elle si elle s’en approchait trop.

Sam lui avait dit plus tôt dans la journée que les animaux ne manquaient pas, dans la forêt. Pour quelle raison se serait-il donc précipité vers le danger ? Une terrible idée lui vint à l’esprit. Sam avait-il toute sa tête ? Ne lui manquait-il pas une case ? Laura avait du mal à le croire. Il était parfait. Trop parfait, s’était-elle souvent dit.

— Il n’est ni fou ni dérangé, se gourmanda-t-elle.

Si son époux s’était glissé hors du cabanon au beau milieu de la nuit et pour se précipiter dans les bois nu comme un ver, il avait forcément une bonne raison de le faire. Il ne restait plus à Laura qu’à découvrir quelle était cette raison.

 

Sam avait endossé son apparence de loup. Un jour, il avait lu que, en se transformant, les hommes de la famille Wulf perdaient la faculté de maîtriser leurs pensées et leurs actes. En plus du poème composé par le premier Wulf maudit – à l’encre si passée qu’il en était presque illisible – les membres de sa famille s’étaient transmis de génération en génération des lettres qui expliquaient certains aspects de cette transformation.

Quelle partie du poème – ou de ce qu’il en restait – Sam avait-il pu mal interpréter ? La malédiction était censée être liée à l’amour, mais ce sentiment devait également en être la clé. Depuis des siècles, les Wulf avaient mis un terme à cette calamité en épousant leur âme sœur ; Sam était donc parti du principe qu’il en irait de même pour lui.

À moins que Laura ne soit pas l’Élue. Sam avait esquivé cette possibilité. Si ce n’était pas elle, alors tant pis. Il l’aimait. Il ne quitterait pas sa femme, même si cela signifiait qu’il serait maudit pour le restant de ses jours. Mais Laura accepterait-elle de rester avec lui ?

À travers la végétation, grâce à sa vue perçante, il distingua l’éclat d’une faible lueur. Une lampe torche, comprit-il bientôt. Quittant sa cachette à pas de loup, l’animal contourna les arbres jusqu’à la source lumineuse. Il fut surpris de constater qu’il s’agissait de Laura. Elle était revêtue de son peignoir miteux en éponge et, de temps à autre, elle s’arrêtait pour accrocher un morceau de papier toilette à un arbre afin de marquer son chemin. Sam se sentit alors immensément fier d’elle. Il comprit à quel point sa femme l’aimait.

Même si elle avait admis un peu plus tôt que les bois l’effrayaient, elle était partie à sa recherche. Du moins, il présumait qu’il s’agissait de la raison pour laquelle Laura avait décidé de faire face à ses craintes, n’hésitant pas à se mettre en danger. Sam voulait aller la rejoindre, la serrer dans ses bras et lui avouer tout ce qu’elle représentait pour lui… Mais c’était impossible. Laura serait terrorisée de le voir sous sa forme lupine. En même temps, il fallait qu’elle retourne au cabanon.

Sam étant dans l’impossibilité de modifier son apparence à volonté, il aurait jusqu’au matin pour réfléchir au mensonge le plus approprié. Pour le moment, il voulait qu’elle retourne en lieu sûr. Il savait comment s’y prendre pour lui faire regagner le cabanon, même si cela ne lui plaisait guère. S’efforçant de surmonter toute la répugnance qu’il éprouvait à l’idée de duper celle qu’il aimait, et évitant de songer à la possibilité de la perdre, Sam exprima ses sentiments sous la forme d’un hurlement des plus inquiétants.

 

Laura se figea. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête et son cœur se mit à battre la chamade. C’était le cri d’un loup. Y en avait-il encore dans les bois ? Elle avait entendu dire qu’ils avaient presque disparu, sauf dans quelques parcs naturels comme Yellowstone. S’il s’agissait d’un loup… À moins que ce soit quelque chose d’encore plus terrifiant. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de yéti ? Personne ne savait s’ils hurlaient, puisqu’ils étaient censés ne pas exister.

Toutes les créatures effrayantes qu’elle avait vues au cinéma ou à la télévision ou dont on lui avait parlé lors de soirées pyjama au collège lui revinrent à l’esprit. Les trolls. La créature du marais. Ces affreux singes volants du Magicien d’Oz. Le monstre de Frankenstein. Les momies. Les vampires. Les loups-garous. Cette dernière catégorie l’interpella. Les loups-garous étaient censés hurler à la lune, non ?

— Ressaisis-toi, Laura, chuchota-t-elle.

Elle fut pourtant incapable de cesser de faire trembler la lampe torche dans sa main, réduisant à néant sa tentative de se faire passer pour quelqu’un qu’elle n’était pas, quelqu’un qui ne serait pas terrifié.

Un second hurlement fendit la nuit. Laura sursauta. Elle aurait juré qu’il s’était rapproché. Elle perdit toute rationalité et se mit à courir, sans tenir compte du chemin qu’elle avait balisé avec soin. Cela n’avait plus aucune espèce d’importance. La créature était sur ses talons, et tout ce qu’elle voulait, c’était lui échapper.

Quand elle aperçut enfin le cabanon, elle avait un point de côté. De toute sa vie, Laura n’avait jamais été si heureuse de voir quelque chose. Elle se précipita vers l’abri, se glissa à l’intérieur et verrouilla la porte.

— Sam ? appela-t-elle dans l’obscurité. Sam, je t’en prie, réponds…

Mais personne ne répondit. Son jeune époux était parti gambader nu dans les bois alors qu’un animal sauvage était en train de pourchasser sa femme. Elle alluma la lampe et tira les horribles rideaux écossais. Elle s’étendit et attendit. À son retour, Sam allait devoir lui fournir quelques explications.

Même si elle était trop soucieuse pour s’endormir, Laura parvint à somnoler tout au long de la nuit. Elle se réveilla en sursaut. Sam se tenait près d’elle et la regardait fixement. L’amour qui se lisait dans son regard la fit presque fondre. Puis elle se ressaisit. En se redressant, elle lui demanda :

— Où étais-tu passé, cette nuit ?

Il recula et détourna le regard.

— Je suis allé courir.

— Nu ?

Il reporta son attention sur elle.

— Tu m’as vu ?

— Oui. Je me suis réveillée quand tu es sorti. Quand j’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu à la lueur de la lune que tu étais nu. Ensuite, tu t’es enfoncé sous les arbres.

Il se passa une main sur le visage.

— Tu n’aurais pas dû me suivre. Ça aurait pu être dangereux.

Fronçant les sourcils, elle lui demanda :

— Comment sais-tu que je t’ai suivi ?

Sam se leva et lui tourna son large dos hâlé. Il ne portait qu’un jean taille basse.

— Parce que je te connais, et je sais que tu réagirais de cette façon, même en étant parfaitement consciente des risques.

Malgré la vue qu’il lui offrait, Laura ne se laissa pas distraire.

— Si c’est ce que tu penses, tu me connais mieux que moi, lui assura-t-elle. Mais je m’inquiétais pour toi. Il y a un loup dans la forêt. Je l’ai entendu hurler, cette nuit. Je crois qu’il m’a poursuivie jusqu’au cabanon.

Quand il se retourna, elle eut une meilleure vue encore sur son large torse nu.

— Et tu avais peur.

Elle s’efforça de lever les yeux.

— Bien sûr que j’ai eu peur. J’étais terrifiée à l’idée qu’il puisse me dévorer.

Il se rassit auprès d’elle, lui prit ses mains glacées dans les siennes, bouillantes.

— Et si je te disais que tu n’avais aucune raison d’être effrayée par ce loup ? Qu’il ne t’aurait jamais fait le moindre mal ?

Sam avait l’air tout à fait sérieux. Était-il aussi complètement fou ?

— Comment peux-tu en être certain ?

— Ce n’est pas la première fois que je le vois. Il ne ferait jamais de mal à un humain. Du moins, tant qu’on ne représente aucune menace pour lui.

Au contact de ses mains rassurantes, elle s’apaisa un peu.

— Est-ce que c’est l’animal de compagnie de quelqu’un qui habite dans les environs ?

— On peut dire ça.

— Il est domestiqué, alors ?

— Autant qu’un loup puisse l’être.

Elle comprenait, à présent.

— Comme un chien ?

Sam tressaillit.

— Quand même pas. C’est un loup.

Laura n’était même pas sûre d’aimer les chiens. Ce dont elle était certaine, c’était qu’elle détestait les loups.

— Tout cela ne m’explique pas pourquoi tu courais nu dans la forêt.

Sam lui libéra les mains, se leva et se dirigea vers la kitchenette. Il se versa une tasse de café.

— J’adore courir nu dans les bois, la nuit. C’est un plaisir.

Comment pouvait-on éprouver du plaisir à courir nu dans une forêt infestée de moustiques ? Laura craignait qu’il s’agisse d’un problème plus profond, inavouable.

— Serais-tu exhibitionniste, Sam ?

Il manqua de recracher la gorgée de café qu’il venait de boire.

— Bien sûr que non, Laura. Les exhibitionnistes veulent se montrer. Si c’était mon cas, je ne courrais pas nu dans un endroit isolé, au beau milieu de la nuit, qui plus est.

Elle fut soulagée.

— Je crois que j’ai compris, reconnut-elle. Mais tu sais, tu peux courir nu devant moi tant que tu veux. Tu as des avantages non négligeables.

Il éclata de rire, ce qui rompit la tension entre eux. Il s’approcha d’elle et se mit à lui mordiller l’oreille.

— Ton pyjama en pilou commence sérieusement à m’exciter.

Même si elle lui avait découvert une étrange manie, son mari était encore le même homme que celui dont elle était tombée amoureuse. Lui aussi en avait beaucoup appris sur elle. Sans doute huit mois ne suffisaient-ils pas pour connaître quelqu’un, mais Laura restait convaincue d’avoir fait le bon choix. Ils ressentaient le besoin de réaffirmer leur amour après cette nuit orageuse. Elle savait comment s’y prendre. Elle lui adressa un clin d’œil en ouvrant légèrement son peignoir miteux, révélant ainsi quelques centimètres carrés de pilou.

— Reviens te coucher. La nuit a été longue, sans toi.

 

Ils passèrent une bonne partie de la journée au lit, profitant l’un de l’autre, riant, se taquinant. Puis la nuit était tombée, et Sam se demandait comment il allait pouvoir s’éclipser sans la réveiller de nouveau. Il se demandait également si la malédiction était enfin rompue, ce qui lui éviterait de devoir s’enfuir. Si ce n’était pas le cas, le cycle prendrait fin le lendemain. Mais uniquement jusqu’au prochain. Pourrait-il continuer à mentir à Laura jusqu’à la fin de ses jours ? Ce n’était pas dans ses intentions. Peut-être, au bout d’un certain temps, serait-elle en mesure d’accepter la vérité.

Blottie contre lui, elle déclara :

— Je viens de penser à quelque chose.

Il l’embrassa sur le sommet du crâne.

— À quoi donc ?

— J’ai peur d’un loup, alors que mon nouveau nom de famille sonne comme « loup » en anglais.

Il lui avait fallu du temps pour faire le rapprochement. La malédiction, qui remontait à présent à plusieurs siècles, était liée à ce nom. Au fil des ans, elle s’était affaiblie, et il était rare qu’elle se manifeste, désormais. Mais Sam était la preuve vivante qu’elle avait encore cours. Ses parents en avaient vite décelé les signes avant-coureurs et l’avaient préparé au jour où il trouverait le grand amour et commencerait à se transformer. Il faudrait également que Sam fasse la même chose pour ses propres fils, un jour. Encore un secret qu’il avait omis de révéler à Laura.

Persuadé que la malédiction aurait dû prendre fin pour lui lors de leur nuit de noces, Sam décida d’attendre et de voir, en ce qui concernait ses enfants. Inutile d’inquiéter Laura pour rien.

— Tu vois, tu n’as rien à craindre de lui. Vous êtes presque parents, finit-il par lui répondre.

Elle se mit à glousser et se pelotonna tout contre lui.

— Tu m’as épuisée. Je vais dormir comme une pierre, cette nuit.

Il l’espérait de tout son cœur. Si rien n’avait changé pour lui, Sam n’allait pas tarder à devoir la quitter. Comment allait-il pouvoir rompre la malédiction si le fait d’avoir trouvé son âme sœur et de l’avoir épousée ne suffisait pas ? Il avait lu quelque chose à propos d’un homme devant affronter son pire ennemi. Pour autant que Sam le sache, il n’en avait pas le moindre. Est-ce que cette strophe était une manière archaïque de dire qu’un homme devait faire face à sa plus grande peur ? Pour lui, c’était de perdre Laura. Le seul moyen d’y faire face serait de lui révéler la vérité.

S’il s’y résolvait, Laura, effrayée par les bois et les créatures qui les peuplaient voudrait certainement mettre le plus de distance possible entre elle et son nouvel époux. À moins qu’il lui explique qu’il était inutile de craindre tous les animaux. Il y avait un moyen de le lui faire comprendre. Mais elle n’allait pas aimer.

 

Il faisait un froid glacial dans le cabanon. Même le pyjama en pilou de Laura ne lui suffisait pas, ce soir-là. Elle franchit le trou entre les deux lits, en quête d’un peu de chaleur humaine. Non seulement il y faisait aussi froid, mais son mari n’était pas là. Il faisait encore noir. Les horribles rideaux qu’elle avait tirés avant d’aller se coucher empêchaient toute lumière de filtrer dans la pièce. Mais elle aperçut un rayon de lune, par la porte ouverte.

— Sam ? appela-t-elle, espérant qu’il était quelque part dans le cabanon.

Pas de réponse.

— Ça alors. (Laura repoussa les couvertures.) Si tu veux absolument aller courir nu dans les bois en pleine nuit, tu pourrais au moins refermer la porte derrière toi.

Même si elle savait qu’il était inutile de se plaindre, elle se sentit mieux. Elle était sur le point de se lever quand elle remarqua quelque chose. Une ombre, sur sa gauche. Une paire d’yeux rougeoyants. Elle voulut pousser un cri mais se ravisa, craignant d’inciter l’animal à se jeter sur elle.

Une fois sa vision ajustée à l’obscurité, Laura s’aperçut que l’ombre était en fait celle d’un loup. Il devait s’agir de celui qu’elle avait vu la nuit précédente. Celui dont Sam lui avait certifié qu’il ne s’attaquerait jamais aux humains. Mais son mari n’était pas là pour le mettre dehors.

— Gentil loup, dit-elle. Sors, maintenant.

Le loup se leva et s’approcha d’elle. Laura roula de l’autre côté du lit et se précipita vers la porte. Grâce à l’adrénaline, elle parvint à l’atteindre et sortit en courant, puis referma la porte derrière elle.

— Ah, ah ! s’écria-t-elle. Je t’ai bien eu, hein ?

Elle ne fit pas longtemps la maligne. Il faisait froid, dehors. La voiture était verrouillée, et les clés étaient dans le cabanon. La seule possibilité qui s’offrait à elle était de partir à la recherche de Sam. Elle savait que ce n’était pas une bonne idée d’aller traîner dans la forêt sans la moindre lampe ni quoi que ce soit qui lui aurait permis de baliser son chemin, mais elle pouvait au moins aller y jeter un coup d’œil. Peut-être Sam n’était-il pas très loin du cabanon.

Suivant la direction dans laquelle Sam était parti la nuit précédente, Laura tenta de garder son sang-froid. La lune illuminait la clairière, mais elle dessinait également le contour des arbres. Ils étaient toujours aussi effrayants. De petits nuages de vapeur s’échappaient de sa bouche à chacune de ses respirations, et ses chaussettes étaient trempées par la rosée. Derrière elle, le loup continuait à hurler, presque comme s’il demandait à Laura de rentrer au cabanon.

— Ouais, reviens pour que je puisse te dévorer, grommela-t-elle. Sam !

Aucune réponse.

Plus elle s’enfonçait sous les arbres, plus le silence aurait dû lui sembler rassurant ; au contraire, elle avait l’impression de ne plus se trouver sur terre. Comment Sam pouvait-il supporter de courir nu par un tel froid ? Elle était frigorifiée. Elle se souffla dans les mains et aurait tapé des pieds si elle n’avait pas redouté de se blesser en marchant sur quelque chose.

Plus elle s’enfonçait dans les bois, moins elle savait où elle allait. Elle était complètement perdue. Elle avait la voix éraillée à force d’appeler Sam. Elle était sur le point de céder à la panique. Laura se laissa tomber sur une souche et prit de profondes inspirations pour se calmer. Se frottant les bras pour se réchauffer, elle continua à appeler son mari. Toujours pas de réponse.

Même si elle n’y connaissait rien à la forêt, elle savait que ce qu’elle avait de mieux à faire, à présent, c’était de retourner au cabanon. Peut-être que, si elle rouvrait la porte, le loup s’enfuirait. Et puis, peut-être Sam était-il déjà rentré et s’était-il chargé de l’animal.

À présent, il ne lui restait plus qu’à retrouver son chemin. Elle se leva et se dirigea avec peine dans la direction par laquelle elle était venue. Elle marcha ce qui lui sembla durer une éternité avant d’entendre un bruit familier. Le hurlement du loup.

Elle était sur le point de fondre en larmes. Au moins, à présent, elle avait un repère pour regagner le cabanon. Elle poursuivit son chemin d’un pas plus assuré, au son des hurlements. Elle ne tarda pas à apercevoir le refuge. Ses genoux se dérobèrent presque sous son poids tant elle fut soulagée. Mais il restait un problème à résoudre. Sam n’était manifestement pas encore revenu, et le loup se trouvait encore dans l’abri.

Avec ses deux mains tremblantes, elle saisit la poignée de la porte du cabanon. Elle l’ouvrit en grand et se plaqua contre le mur extérieur.

— Sors de là, le loup ! exigea-t-elle. Je ne veux pas de toi chez moi !

L’animal bondit dehors et se précipita vers les arbres. Laura courut se réfugier à l’intérieur et verrouilla la porte. Le cœur battant, elle prit une profonde inspiration pour tenter de retrouver son calme. Elle était en lieu sûr. Saine et sauve. Mais où diable était Sam ? Laura s’écarta de la porte et se dirigea vers la salle d’eau. Elle avait toujours aussi froid, et une douche bien chaude d’une dizaine de minutes parviendrait sans doute à la réchauffer. Si Sam revenait alors qu’elle était sous la douche, il pourrait se servir de la seconde clé, qu’il avait dissimulée sous le paillasson.

Comme elle l’avait espéré, la douche ranima sa circulation sanguine. Elle évita d’utiliser le gel douche au parfum sensuel. Sam lui avait dit qu’il attirait les insectes. Elle sortit, se sécha et noua une serviette autour de ses cheveux mouillés. De retour dans la pièce principale, elle actionna l’interrupteur et fronça les sourcils à l’idée d’enfiler son pyjama en pilou.

Elle préféra s’emparer dans la vieille commode du cabanon d’une chemise de nuit sexy et de la robe de chambre qui allait avec. Ce n’était pas vraiment pour faire plaisir à Sam quand il reviendrait. Laura avait juste besoin de se sentir féminine. De plus, une femme se devait d’être irréprochable, la première fois qu’elle tançait son mari.

 

Cette nuit-là, Sam souffrit comme jamais. Il lui fut impossible de se laisser submerger par la bête et de courir dans les bois. Il avait eu l’intention de prouver à Laura que le loup en lui ne lui ferait aucun mal, mais son plan s’était retourné contre lui. Il avait été très loin de s’imaginer que Laura s’enfuirait du cabanon, l’enfermant à l’intérieur. Il s’était jeté à plusieurs reprises contre les grandes fenêtres au-dessus du lit, mais c’était compter sans ce satané double vitrage qu’il avait installé pour mieux isoler la pièce. Il avait mal à la gorge à force de hurler pour guider Laura si elle venait à trop s’éloigner de la cabane.

Non seulement sa citadine d’épouse avait retrouvé son chemin, mais elle lui avait ordonné de quitter l’abri. Sam était sacrément fier d’elle mais, après ce qui s’était produit cette nuit-là, il savait qu’il se devait de lui révéler la vérité. Elle était plus robuste qu’il l’avait imaginé, à lui de faire preuve d’autant de courage qu’elle. Au risque de la perdre à tout jamais.

Il pénétra dans le cabanon, nu et couvert de terre. Laura savourait une tasse de café sur le lit. Elle ressemblait à de la barbe à papa dans sa chemise de nuit moulante et sa robe de chambre roses.

— La chasse d’eau est cassée, furent ses premiers mots.

Sam saisit un pantalon de pyjama dans sa valise et l’enfila.

— J’y jetterai un coup d’œil dès que nous aurons discuté.

— Tu vas la réparer tout de suite, rectifia-t-elle. Il faut que j’aille aux toilettes, et je n’irai pas tant que je ne pourrai pas tirer la chasse d’eau.

Sam s’approcha d’elle en la regardant fixement.

— Ce que j’ai à te dire est beaucoup plus important qu’une chasse d’eau cassée.

Elle croisa ses longues jambes.

— Ça dépend du point auquel on a envie d’aller aux toilettes.

Sa discussion avec Laura devrait attendre.

— D’accord, je vais la réparer.

Il ne lui fallut qu’un instant pour comprendre que la chaîne du flotteur s’était détachée. Sam corrigea le problème, se lava le visage et les mains et se brossa rapidement les dents. Il sortit ensuite de la salle d’eau.

— C’est réparé.

Elle se leva et se dirigea vers lui dans un bruissement de soie rose. Quand elle parvint à sa hauteur, elle lui tendit sa tasse de café.

— Tu pourrais avoir besoin de prendre des forces. J’ai l’intention de te crier dessus.

Il en but une gorgée.

— Merci de me prévenir.

Il se dirigea vers le lit, déposa la tasse sur la table de nuit et s’installa. Laura ressortit peu après des toilettes. Il remarqua ses mules à hauts talons. Il avait l’impression que ses jambes étaient interminables.

— Je vois que tu as appris à marcher entre les fissures, dit-il.

— Tu serais surpris de savoir tout ce qu’une fille peut apprendre quand elle est mariée à un homme qui sort la nuit.

Laura plaçait ses coups où elle le pouvait. Elle n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds par un homme. Sa femme était drôle, intelligente et raffinée. C’était ce qui lui était arrivé de mieux dans la vie, même si elle était à l’origine de la malédiction qui le frappait. Et il était sur le point de la perdre.

— C’est ce dont je voulais te parler, dit-il.

Elle poussa un adorable petit gloussement.

— Ah bon ? Quelle coïncidence. Moi aussi, je voulais t’en parler.

Même si Sam n’avait qu’une envie, lui faire l’amour, il fallait qu’il cesse de lui dissimuler certaines choses.

— Il faut que je t’avoue quelque chose.

Le sourire sarcastique de Laura se dissipa.

— Tu as un secret inavouable, n’est-ce pas, Sam ?

Il allait devoir ajouter « intuitive » à la liste de ses merveilleux traits de caractère.

— Oui.

Elle se dirigea vers le lit en soupirant et s’installa auprès de lui.

— Tu fais partie d’un culte étrange dont les membres se réunissent nus dans la forêt pour y chanter et danser, c’est ça ?

Si seulement c’était aussi simple. Il allait être difficile de lui parler de son problème. Autant aller droit au but.

— Je suis un loup-garou, ma chérie.

Pour seule réponse, elle écarquilla ses grands yeux bleus innocents. Puis elle éclata de rire.

— Bien essayé. Vas-tu me dire ce qui se passe vraiment ?

Sam aurait bien aimé pouvoir rire, lui aussi, prétendre que ce qu’il venait de dire était ridicule. Il prit les mains de Laura dans les siennes.

— Je suis maudit. Je croyais qu’en t’épousant, comme tu es mon âme sœur, je serais libéré de cette malédiction, mais ça n’a pas été le cas. J’avais espéré ne jamais être obligé de te dévoiler mon secret. Le loup dans les bois. Le loup dans le cabanon, cette nuit. C’était moi.

L’espace d’un instant, elle sembla accuser le coup, puis elle ôta ses mains de celles de Sam. Elle se leva et lui lança un regard noir.

— Ça n’a rien de drôle, Sam !

Non, rien du tout, en effet. C’était horrible… du moins, la réaction de Laura l’était. La malédiction en elle-même n’était pas si terrible.

— C’est la vérité, Laura.

Elle lui tourna le dos et se passa les doigts dans les cheveux. Quand elle lui fit de nouveau face, elle avait l’air étonnamment calme. Très lentement, elle lui demanda :

— Est-ce que tu as oublié de prendre des médicaments ? Tu veux que j’aille les chercher dans ta valise ?

Laura ne le croyait pas. Elle était persuadée qu’il était malade. Sam voulait lui dire qu’il plaisantait et reprendre le cours de leur voyage de noces. Mais il en était incapable. Il lui avait déjà menti trop longtemps.

— J’aimerais bien que tout cela puisse disparaître en prenant un simple cachet, mon cœur, mais ce n’est pas le cas. Le fait de t’avoir épousée et d’avoir consommé notre mariage lors de notre nuit de noces n’ayant pas mis fin à la malédiction, contrairement à ce que j’avais espéré, je crois que je vais devoir la garder à vie.

Elle porta la main à sa poitrine, puis le rejoignit sur le lit.

— Tu es en train de me dire que tu es un loup-garou. Tu ne plaisantes pas. Tu es tout ce qu’il y a de plus sérieux. Tu te rends compte à quel point ça peut paraître dément ?

À présent qu’il lui avait révélé son secret, Sam était décidé à la convaincre qu’il disait vrai.

— Quand le loup était là, cette nuit, tu as dit : « Gentil loup », puis tu m’as demandé de sortir. Au lieu de cela, je me suis approché de toi. Tu as roulé de l’autre côté du lit, tu t’es précipitée vers la porte, et tu m’as enfermé à l’intérieur. Quand tu es revenue, tu m’as ordonné de partir. Si je n’étais pas le loup, comment pourrais-je le savoir ?

Elle fronça les sourcils puis plissa les yeux.

— Tu étais là pendant tout ce temps ? Tu te cachais pendant que j’avais la peur de ma vie ?

Sam se leva, ressentant le besoin de se dégourdir les jambes.

— Jamais je ne me cacherais alors que tu es effrayée. J’espérais que tu comprendrais que le loup ne te voulait aucun mal, mais tu ne m’en as pas laissé l’occasion. Aujourd’hui, j’ai mal à la gorge à force d’avoir hurlé pour que tu puisses retrouver ton chemin. Je redoutais qu’il t’arrive quelque chose.

Laura déglutit bruyamment. Les larmes lui montèrent aux yeux. Il parvenait enfin à se faire comprendre.

— Tu ne plaisantes pas. Tu es vraiment un loup-garou.

Toutes sortes d’émotions lui traversèrent l’esprit. De l’horreur. De la tristesse. Tout sauf de la résignation. Sam se planta devant elle.

— Je sais que ça doit être très dur à comprendre, à croire, mais…

— Non, l’interrompit-elle en baissant les yeux sur ses mains croisées. Étonnamment, je n’ai aucune difficulté à te croire. Si, inconsciemment, j’ai continué à avoir peur de tout ce qui m’effrayait quand j’étais petite, ça peut signifier que, au fond de moi, je continue à croire à l’existence des sorcières, des ours qui parlent et des singes volants. (Elle leva de nouveau les yeux vers lui.) Alors, comme ça, tu es victime d’une malédiction… (Sam haussa les épaules.) Et en m’épousant, tu étais censé t’en affranchir, mais ça n’a pas fonctionné ? S’agit-il de la seule raison pour laquelle tu as voulu qu’on se marie ? Parce que tu croyais que ça allait mettre un terme à ta malédiction ?

La douleur qui se lisait dans le regard de Laura le piqua au vif. Il s’inclina devant elle.

— Si je t’ai épousée, c’est parce que je t’aime, Laura. C’est cet amour qui a déclenché la malédiction. Dès l’instant où je t’ai vue, ça m’est tombé dessus. Je savais que tu étais l’Élue.

Laura secoua la tête. Une larme roula sur sa joue blafarde.

— Mais ça ne peut pas être le cas, puisque la malédiction n’est pas levée. Peut-être y a-t-il une autre femme quelque part qui pourra t’aider.

Essuyant les larmes de sa femme, Sam tenta de la rassurer.

— Je ne veux personne d’autre que toi, Laura. Si tu veux encore de moi, je me moque d’être maudit le restant de mes jours. Si tu acceptes de vivre avec moi tel que je suis, je le pourrai aussi.

Comme il l’avait fait un instant plus tôt, Laura essuya les larmes de Sam.

— En deux jours, j’ai beaucoup appris sur moi-même. Je sais désormais que je peux survivre en forêt si je me sers de ma tête. Je sais que je suis capable d’affronter mes peurs. Je suppose que je pourrais vivre sans toi, Sam. Mais je n’en ai pas envie. Je t’aime. Pour le meilleur et pour le pire, tu te rappelles ?

Ses paroles le réconfortèrent bien plus que les vœux qu’ils avaient prononcés à peine trois jours auparavant. L’amour inconditionnel de son épouse était une leçon d’humilité pour lui. Ainsi que sa résignation et son courage. Il aurait dû lui dire la vérité depuis le début, lui faire confiance et parvenir à se convaincre qu’il avait fait le bon choix. Mais il ne lui avait pas encore tout dit.

— Il se peut que nos fils soient également porteurs de cette malédiction, Laura. Elle ne se manifeste que rarement de nos jours, mais je suis la preuve vivante qu’elle est encore active.

Elle fronça les sourcils.

— On le saura ?

Il acquiesça.

— Mes parents l’ont su alors que je n’étais encore qu’un nourrisson. Ils m’ont aidé et m’y ont préparé.

Laura lui prit la main et l’incita à venir la rejoindre sur le lit.

— Je comprends à présent la lueur d’espoir dans leur regard, à notre mariage. Elle était si intense. Ils n’attendaient pas simplement que nous coulions des jours heureux. Ils espéraient que je pourrais te délivrer de la malédiction dont je suis à l’origine. Et je n’ai pas été à la hauteur de leurs attentes. Ni des tiennes.

Sa femme n’avait rien à se reprocher. Sam refusait qu’elle se sente coupable de quoi que ce soit.

— Je peux vivre avec cette malédiction. Ce n’est pas si terrible. J’aime avoir ma liberté, mais je suis prêt à la sacrifier pour toi. Je sacrifierais n’importe quoi, pour toi.

Les larmes se mirent à couler à flots sur les joues de Laura, mais elle parvint tout de même à lui adresser un sourire.

— On va se tirer de ce mauvais pas, hein, Sam ?

La prenant dans ses bras, Sam lui répondit :

— Tout se passera bien. J’y veillerai.

Il se pencha pour l’embrasser, mais fut soudain projeté en arrière, sur le lit. Il ouvrit grand la bouche. Une vive lumière bleue en jaillit, comme une sorte d’apparition. Il en eut le souffle coupé. Au-dessus de lui, la silhouette indistincte prit forme. La forme d’un loup incandescent.

Laura poussa un cri déchirant. Le loup tressaillit. Elle continua de crier jusqu’à ce que l’esprit se jette sur elle. L’animal fantomatique se dématérialisa et se déversa dans sa bouche grande ouverte. Sam parvenait à peine à respirer, mais il bondit sur l’esprit. Trop tard. Il avait disparu dans la gorge de Laura, qui déglutit bruyamment.

— Oh, non ! (Sam se mit à la secouer.) Non !

Elle rota. Les yeux encore écarquillés, elle demanda :

— Bon sang, qu’est-ce qui m’est arrivé ?

Sam l’attira vers lui.

— L’esprit du loup a quitté mon corps. La malédiction est rompue, mais elle est à présent en toi.

Elle le repoussa, les yeux encore ronds.

— C’était censé se dérouler de cette manière ? Tu le savais ?

Il secoua la tête.

— Je n’ai rien lu à ce propos, mais… Attends, je me souviens d’un passage sur les esprits qui s’approprient une nouvelle enveloppe.

La lèvre inférieure de Laura se mit à trembler.

— Es-tu en train de me dire que je suis désormais un loup-garou ?

Sam n’avait aucune réponse à lui fournir. Il n’avait jamais lu que des esprits pouvaient vouloir posséder le corps d’un être vivant autre que celui d’un homme de la lignée des Wulf. Si, il y était fait allusion dans un texte ancien. Il faudrait qu’il le retrouve pour l’étudier. Il devait exister un moyen de faire sortir cet esprit d’un hôte non consentant. Comme un exorcisme.

— Ce n’est que temporaire, lui assura-t-il. Je vais trouver le moyen de t’en débarrasser.

Elle leva les mains.

— Génial. Je suis une femme. J’avais déjà une malédiction par mois, et m’en voilà avec une autre. Je n’aime même pas les bois, mais il va falloir que j’aille y courir à chaque pleine lune.

N’ayant jamais véritablement considéré cette malédiction pour ce qu’elle était, mais plutôt comme un don, Sam ne savait pas trop comment s’y prendre pour la réconforter. Il prit de nouveau son épouse dans ses bras.

— Au moins, maintenant, tu sais que ce qu’il y aura de plus effrayant dans les bois, ce sera toi.

Les yeux noyés de larmes, elle hoqueta.

— J’imagine que tu as raison. Tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de me débarrasser de cet esprit, je serai une sorte de reine de la forêt, c’est ça ?

Sam pensait qu’il serait difficile de la rassurer. Il fut surpris de constater avec quelle aisance elle gérait la situation.

— Les autres animaux et même les humains n’iront jamais se frotter à un loup.

Laura le repoussa, se dirigea vers la fenêtre et jeta un coup d’œil dehors.

— Il faudra que l’on continue à venir ici tous les mois, mais ce sera à cause de moi, désormais.

— Je prendrai soin de toi, Laura, lui promit Sam. C’est plus un inconvénient momentané qu’une malédiction. Ce sera pour toi un excellent moyen d’apprendre à aimer la nature. J’en connais déjà les ficelles, je pourrai donc t’aider à gérer ta transformation. Et, un jour, il faudra que nous y préparions nos enfants, ensemble.

Elle demanda alors d’une voix tremblante :

— Ça va se produire dès ce soir, Sam ?

Il la rejoignit devant la fenêtre.

— Non. Ça n’arrivera qu’à la prochaine pleine lune. Le reste de notre voyage de noces nous appartient. Nous allons pouvoir discuter, rire et nous aimer.

— Ça, je saurai le faire, dit-elle. On s’en sortira tant qu’on sera ensemble, hein ?

Il était sur le point d’éclater de joie. Il avait choisi celle qu’il lui fallait. Il aimait Laura, mais il l’avait mal jugée. Il aurait dû lui faire confiance et comprendre qu’elle était assez forte pour accepter la vérité.

— Tant qu’on sera ensemble, approuva-t-il en la faisant pivoter face à lui pour pouvoir l’embrasser.

Laura l’en empêcha.

— Tu as dit tout à l’heure que tu ferais n’importe quoi pour moi. (D’un signe de tête, elle indiqua les fenêtres, au-dessus du lit.) Il faudra enlever ces rideaux. Et je voudrais refaire le plancher, et agrandir la salle de bains. Si l’on doit passer quelques jours ici tous les mois, il faut que l’on en fasse une retraite de luxe.

Tout bien considéré, sa demande était loin d’être extravagante.

— Tout ce que tu voudras, ma chérie.

Attirant le visage de son époux près du sien, elle déclara :

— Tout ce que je veux, pour le moment, c’est que mon mari me fasse l’amour. Ensuite, je souhaite que tu me racontes tout ce que tu sais à propos de cette malédiction que tu m’as transmise. Ce qui se produit, ce que tu ressentais quand ça t’arrivait, ce que moi, je vais éprouver. Et dès qu’on sera rentrés chez nous, on cherchera le moyen d’exorciser cette chose.

Sam était certain qu’il y avait un moyen. Il avait l’intention d’insister pour que Laura accepte, au moins une fois, de connaître le sentiment de liberté que l’on éprouve quand on est un loup. Cela devrait faire des merveilles pour la mettre en confiance quand elle serait confrontée à la nature. Ce n’était pas parce qu’il n’était plus obligé de venir séjourner dans son cabanon que Sam ne voudrait plus y mettre les pieds. Ils y amèneraient même leurs enfants, un jour. Leur avenir était tracé. Et, plus que jamais, il comprit qu’ils resteraient ensemble pour toujours, quelles que soient les embûches que la vie dresserait en travers de leur chemin.

— Tout ce que tu voudras, Laura, répéta Sam avant de l’embrasser.

Lune de Miel, Lune de Sang
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