VOICI ce qui s’était passé dans le laboratoire de Shri Bahanba la veille de la visite de Nehru, d’après le récit que fit à Jeanne Corbet l’ancienne assistante du savant :

Elle travaillait, ce jour-là, le 16 janvier 1955, dans la pièce contiguë à celle où se trouvait son maître. Vers neuf heures trente du matin, elle vit à travers la cloison vitrée le premier assistant de Bahanba entrer dans le labo de celui-ci et s’adresser à lui d’un air soucieux. Elle n’entendait pas les paroles. Elle vit l’assistant poser une main sur ses yeux, puis la pointer vers un grand bouquet de fleurs, aller vers le bouquet et y prendre un certain nombre de fleurs qu’il brandit en revenant vers Bahanba et qu’il posa finalement sur une table.

Toutes ces fleurs étaient des fleurs rouges. La jeune laborantine vit à ce moment le visage de Bahanba. Il exprimait un bouleversement surprenant chez cet homme parvenu si près de la sérénité parfaite. Il alla d’abord vivement fermer la porte du labo qui était restée entrouverte, ferma hermétiquement les fenêtres, revint vers son assistant qu’il fit asseoir, lui examina les yeux et l’intérieur des mains puis s’assit devant lui et se mit à lui parler. Ce fut alors le visage de l’assistant qui exprima la stupéfaction, puis la joie, puis la peur. À un certain moment, comme pour détruire les objections que l’assistant semblait exprimer, Bahanba se leva, alla chercher sur une étagère une petite boîte de verre et vint la lui montrer. La biologiste vit ce qu’elle contenait : c’était un papillon vivant, aux ailes brunes tachées de bleu. L’assistant eut alors l’air accablé.

Bahanba reposa la boîte sur l’étagère et resta immobile quelques minutes debout, réfléchissant, les yeux fermés. Son assistant le regardait sans dire un mot. Bahanba rouvrit les yeux, se retourna vers lui, et lui parla longuement, calmement. Il avait retrouvé toute sa sérénité.

Par le téléphone intérieur, il appela l’une après l’autre chaque pièce du bâtiment et informa le personnel que son assistant et lui-même, à cause d’un travail en cours, devraient pendant quelque temps demeurer nuit et jour dans leur laboratoire. Pour des raisons qu’il ne pouvait expliquer, il devait interrompre momentanément l’activité du centre de recherches. Il priait les chercheurs et leurs collaborateurs de se considérer comme en congé à partir de ce soir. Il faisait confiance aux chefs de labo pour prendre d’ici là les mesures nécessaires à l’égard des petits animaux et des cultures microbiennes en cours. Personne, absolument personne, ne devait pénétrer dans les bâtiments à partir de demain matin.

La laborantine fut étonnée, comme tout le monde, mais fit le nécessaire. Elle sacrifia un certain nombre de souris porteuses de tumeurs ou d’infections et les porta à l’incinérateur. Elle ne savait que faire de celles qui étaient saines. N’étant pas assurée qu’il resterait quelqu’un au labo pour en prendre soin, elle se décida finalement à leur donner la liberté. Il y en avait deux grises et une blanche. Elle s’en souvenait bien. Elle les avait laissé tomber dans l’herbe, par la fenêtre. Elles étaient nées et avaient vécu dans des boîtes. L’espace les effraya. Elles se blottirent contre le bas du mur. La jeune femme leur fit « pchit ! pchit ! » avec des gestes de la main pour les éloigner. Elles ne bougèrent pas. Elles ont dû être mangées dès le crépuscule. Il y avait des chats dans le jardin. Et aussi des mangoustes. Et des serpents. Sans parler des oiseaux de nuit.

La laborantine détruisit les cultures bactériennes qui risquaient de devenir dangereuses, en plaça d’autres en congélateur pour un temps indéterminé.

Quand elle s’en alla, elle croisa des serviteurs qui apportaient deux lits de camp, des fauteuils et des vivres.

La semaine suivante elle reçut une lettre de licenciement, avec une indemnité. Elle trouva un emploi dans l’administration. Elle apprit la mort de Bahanba par les journaux.

Elle gardait de ces événements un souvenir très vif Elle put donner à Jeanne quelques précisions sur les travaux que poursuivait Bahanba à cette époque. Il s’agissait de recherches sur les substances ou les micro-organismes susceptibles de provoquer dans les cellules la production d’anticorps contre le cancer. Il n’y avait là rien de particulier. Dans le monde entier, des équipes travaillaient dans la même direction. Elle avait remarqué que, depuis plusieurs mois, Shri Bahanba s’enfermait par moments dans des silences d’une extrême gravité, comme quelqu’un qui doit résoudre un problème intérieur d’une grande importance. Elle pensait qu’il se trouvait à un moment capital de son évolution spirituelle. Non, il n’était pas malade. Il paraissait, au contraire, plus que jamais, en excellente santé.

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