L’ASCENSEUR était chauffé. La neige et la glace accrochées à tous leurs replis fondaient. Léonova ôta ses gants. Ses mains étaient tièdes. Hoover soufflait sur les siennes Elles restaient immobiles, blêmes. Il ne sentait pas davantage ses oreilles ni son nez. Et dans quelques minutes il faudrait agir. Il n’en serait pas capable.

— Tournez-vous, dit-il.

— Pourquoi ?

— Tournez-vous, nom de Dieu ! Il faut toujours que vous discutiez !

Elle rougit de fureur, faillit refuser, puis obéit en serrant les dents. Il lui tourna le dos à son tour, réussit à enfoncer ses deux mains dans son slip, coinça le revolver entre ses deux paumes, et le tira au-dehors. Il lui échappa et tomba. Léonova sursauta.

— Ne vous retournez pas !

Il repoussa à l’intérieur le pan de sa chemise, saisit le curseur entre ses deux index. Il savait qu’il le tenait, mais il ne le sentait pas. Il tira vers le haut. Il lui échappa. Il recommença deux fois, dix fois, gagnant chaque fois quelques crans de la fermeture. Il eut enfin un aspect plus présentable. Il regarda l’indicateur de descente. Ils étaient à moins 980. Ils allaient arriver.

— Ramassez le revolver, dit-il, moi je ne peux pas.

Elle se retourna vers lui, anxieuse.

— Vos mains... ?

— Tout à l’heure, mes mains ! On n’a pas le temps !... Ramassez ce machin !... Vous savez vous en servir ?

— Pour qui me prenez-vous ?

Elle maniait l’arme avec aisance. C’était un pistolet à répétition de gros calibre, une arme de tueur professionnel.

— Otez le cran de sûreté.

— Vous croyez que... ?

— Je ne crois rien... Je crains... Tout dépendra peut-être d’un dixième de seconde.

L’ascenseur freina dans les trois derniers mètres et s’arrêta, la porte s’ouvrit.

C’étaient Heath et Shanga qui étaient de garde aux mines. Ils regardèrent avec effarement sortir de la cabine Hoover trempé, hirsute, portant au bout de ses bras ses mains comme des paquets inertes, et Léonova brandissant un énorme pistolet noir.

— What’s the matter ? demanda Heath.

— Pas le temps... ! Donnez-moi la salle, vite !

Heath avait déjà retrouvé son flegme. Il appela la salle de réanimation.

— Mr Hoover and miss. Léonova want to corne in...

— Attendez ! cria Hoover.

Il essaya de prendre le combiné, mais sa main n’était qu’un paquet de coton et l’instrument lui échappa. Léonova le prit et le lui tint devant les lèvres.

— Allô ! Ici Hoover. Qui m’écoute ?

— Moïssov écoute, répondit une voix en français.

— Répondez ! Est-ce que Coban vit ?

— Oui ! Il vit. Bien sûr.

— Ne le quittez plus des yeux ! Surveillez tout le monde ! Que chacun surveille son voisin ! Surveillez Coban. QUELQU’UN VA LE TUER !...

— Mais...

— Je ne peux pas vous faire confiance à vous seul. Passez-moi Forster.

Il répéta son cri d’alarme à Forster, puis à Lebeau. A chacun il répéta : QUELQU’UN VA TUER COBAN ! Ne laissez personne l’approcher. N’IMPORTE QUI !

Il ajouta :

— Qu’est-ce qui se passe dans l’Œuf ? Qu’est-ce que vous voyez dans l’écran de surveillance ?

— Rien, dit Lebeau.

— Rien ? Comment, rien ?

— La caméra est en panne.

— En panne ? Mon œil ! Ouvrez les mines ! Vite !

Léonova rendit le récepteur à Heath. Le clignotant rouge s’éteignit, le champ de mines était désactivé. Mais Hoover se méfiait. Il leva le genou et tendit sa botte à Shanga avec l’aisance donnée par vingt générations d’esclavagistes.

— Tire ma botte, petit.

Shanga eut un sursaut et recula. Léonova devint furieuse.

— C’est pas le moment de se sentir nègre ! cria-t-elle.

Elle posa le revolver, prit la botte à deux mains et tira.

Elle ne cherchait plus à comprendre, elle faisait confiance totale à Hoover, et elle savait à quel point chaque fraction infime de temps était essentielle.

— Merci, petite sœur. Couchez-vous tous !

Il donna l’exemple. Shanga, effrayé l’imita aussitôt. Heath aussi, avec l’air de ne pas le faire. Léonova, à genoux, tenait toujours la botte.

— Jette-la dans le trou !...

Le trou, c’était l’ouverture de l’escalier qui réunissait le fond du puits à l’accès de la Sphère. Les mines étaient dans l’escalier, sous les marches. Léonova jeta la botte. Rien ne se produisit.

— On y va, dit Hoover. Ote-moi l’autre, et ôte les tiennes. Nous devons être silencieux comme la neige. Heath, vous ne laissez plus entrer personne, vous entendez ? Personne.

— Mais qu’est-ce que... ?

— Tout à l’heure...

Les bras écartés de lui, pour que ses mains douloureuses ne touchent rien, il s’enfonçait déjà dans l’escalier, Léonova derrière lui...

Dans l’Œuf, il y avait un homme couché et un homme debout. L’homme couché avait un couteau à neige planté dans la poitrine, et son sang composait sur le sol une petite mare en forme de « bulle » de bande dessinée. L’homme debout portait un casque de soudeur qui cachait son visage et pesait sur ses épaules. Il tenait à deux mains le canon du plaser, et en dirigeait la lance de flamme sur le mur gravé. L’or fondait et coulait.

Léonova tenait le revolver dans sa main droite. Elle eut peur de ne pas le tenir assez solidement. Elle y ajouta sa main gauche et tira.

Les trois premières balles arrachèrent le plaser aux mains de l’homme et la quatrième lui broya un poignet, sectionnant presque la main. Le choc le jeta à terre, la flamme du plaser lui grilla un pied. Il hurla. Hoover se précipita et, du coude, coupa le courant.

L’homme au couteau dans la poitrine, c’était Hoï-To.

L’homme au  masque de soudeur, c’était Lukos.

Hoover et Léonova l’avaient reconnu dès qu’ils l’avaient vu. Il n’y avait pas deux hommes de sa stature à l’EPI. D’un coup de pied, Hoover fit sauter son casque, découvrant son visage suant aux yeux révulsés. Sous la douleur horrible de son pied réduit en cendres, le colosse s’était évanoui.

La nuit des temps
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