Neuf

Michael se réveilla en sursaut, assoiffé, transpirant de chaleur malgré la fraîcheur de la chambre. Il avait sur lui son pantalon, sa chemise et ses gants.

Mais où suis-je donc ? se demanda-t-il. Il s’assit dans le lit. Au bout du petit couloir, il y avait un salon et un piano devant des rideaux à fleurs. Ce devait être sa suite de l’hôtel Pontchartrain.

Il ne se rappelait pas comment il avait échoué là et se sentit furieux d’avoir bu à ce point. Mais l’euphorie de la veille reprit vite le dessus : la maison de First Street sous le ciel violet.

Mais comment était-il arrivé jusqu’à l’hôtel ? Le souvenir net d’avoir parlé à l’Anglais devant la maison de First Street entraîna celui de l’homme aux cheveux sombres qui le fixait des yeux derrière la grille en fer. Une sensation étrange le parcourut : non pas de la peur mais une impression de menace.

Comment cet homme avait-il pu si peu changer au fil des ans ? Comment avait-il pu disparaître en un instant de sa vue ?

Il eut brusquement le sentiment qu’il connaissait la réponse à ces questions, qu’il avait toujours compris que cet homme n’était pas un être ordinaire. Cette révélation lui arracha un sourire.

— Tu t’y perds, mon vieux, se dit-il.

Il examina rapidement la pièce. Le tapis un peu passé, l’appareil à air conditionné sous la fenêtre et le téléphone, une réplique d’ancien, avec son voyant de message allume, lui procurèrent une impression de confort et de sécurité.

A sa gauche, il aperçut sa valise ouverte et, ô merveille, un seau à glace contenant trois grandes boîtes de sa bière favorite.

Il ôta le gant de sa main droite et en attrapa une. Instantanément, il perçut l’image d’un serveur en uniforme. Il remit son gant, ouvrit la bière et en but avidement la moitié. Il se leva et alla uriner dans la salle de bains.

Une douce lumière matinale filtrait à travers les stores à lattes. Il se brossa les dents.

Il avait un peu moins mal à la tête. Après s’être peigné et avoir terminé la canette de bière, il se sentit presque bien.

Il changea de chemise et de pantalon, prit une autre bière et s’engagea dans le petit couloir. Il déboucha sur une grande pièce au mobilier élégant.

Derrière une succession de canapés et de fauteuils en velours, l’Anglais était assis à une petite table en bois, penché sur un tas de papiers épars. Il portait une veste d’intérieur en velours gris nouée à la taille et un pantalon gris en tweed. Il posa sur Michael un regard extrêmement amical et bienveillant.

— Qui êtes-vous ? demanda Michael.

— Je m’appelle Aaron Lightner, répondit l’Anglais sur un ton agréable. Je suis venu de Londres pour vous rencontrer.

— Ma tante m’a parlé de votre visite. Je vous ai vu fureter près de chez moi à Liberty Street. Pourquoi diable m’avez-vous suivi jusqu’ici ?

— Parce que je veux vous parler, monsieur Curry, dit l’homme poliment, presque avec révérence. Il est tellement important que je vous parle que j’ai accepté le risque de désagréments possibles. Ma façon de faire vous importune, j’en suis conscient et je vous prie de m’en excuser. J’ai simplement voulu vous rendre service en vous ramenant ici et je dois souligner que je n’ai pas eu à vous forcer la main.

— Vraiment ?

Michael se sentit irrité.

Cet homme était un vrai charmeur, il fallait l’admettre. Un regard sur les papiers sur la table le rendit fou furieux. Pour moins de 50 dollars, le chauffeur de taxi lui aurait donné un coup de main et, lui, il ne serait pas resté.

— Vous avez parfaitement raison, dit Lightner de la même voix douce et tempérée. J’aurais peut-être dû me retirer dans ma propre suite, juste au-dessus, mais je craignais que vous ne soyez malade. Et, pour être honnête, autre chose me tracassait.

Michael resta muet. Il était évident que l’homme avait lu dans ses pensées.

— C’est un petit tour qui m’intéresse. Vous pouvez le refaire ?

— Si vous le voulez. Vous savez, il n’est pas difficile de lire dans les pensées d’un homme dans votre état d’esprit. Votre sensibilité exacerbée est à double tranchant, je le crains. Je peux vous montrer comment cacher vos pensées, si vous le désirez. Mais est-ce bien nécessaire ? Car les gens comme moi ne courent pas les rues.

Michael sourit malgré lui. Tout cela avait été dit avec une telle humilité qu’il se sentait rassuré. L’homme inspirait la confiance. Il semblait la bonté même.

Il passa devant le piano et tira sur la cordelette des rideaux : il détestait la lumière électrique le matin. Il se sentit très heureux en apercevant Saint Charles Avenue par la fenêtre, la large bande de pelouse, les rails du tramway et le feuillage poussiéreux des chênes.

Il devait absolument retourner à la maison de First Street.

— Vous avez réussi à éveiller ma curiosité, dit-il en se retournant. Et je vous suis reconnaissant de m’avoir aidé. Je vous accorde donc vingt minutes pour m’expliquer qui vous êtes, pourquoi vous êtes là et de quoi il retourne. (Il s’assit sur le canapé en face de l’homme et éteignit la lampe.) Oh, à propos ! Merci pour la bière. C’était une attention délicate.

— Il y en a d’autres dans le réfrigérateur de la cuisine, dit l’Anglais.

— Bien joué !

Michael se sentait à l’aise dans cette pièce. Le souvenir qu’il en gardait était assez flou mais elle était agréable avec son papier mural sombre, ses sièges en tapisserie et ses lampes en cuivre.

— Voudriez-vous un petit cognac ?

— Non. Pourquoi avez-vous la suite au-dessus ? Que se passe-t-il ?

— Monsieur Curry, j’appartiens à une vieille organisation. On l’appelle le Talamasca. En avez-vous entendu parler ?

Michael réfléchit un moment.

— Non.

— Elle remonte au XIe siècle. Et même plus loin, pour être exact. Mais nous avons pris le nom de Talamasca au XIe siècle et, depuis, nous avons une sorte de constitution et un règlement. Pour employer le langage moderne, je peux dire que nous sommes un groupe d’historiens qui s’intéressent en premier lieu aux phénomènes parapsychiques. La sorcellerie, les apparitions, les vampires et les gens doués de capacités psychiques remarquables, voilà ce qui nous intéresse. Nous tenons des archives extrêmement fournies sur ces domaines.

— Depuis le XIe siècle ?

— Oui, et même avant, comme je vous l’ai dit. En règle générale, nous nous comportons en spectateurs. Nous n’aimons pas intervenir. Je vais vous montrer notre carte de visite et notre devise.

Il sortit une carte de sa poche, l’apporta à Michael et retourna s’asseoir.

 

LE TALAMASCA

nous observons

et nous sommes toujours là

 

Il y avait des numéros de téléphone à Amsterdam, Rome et Londres.

— Vous avez des bureaux dans ces trois villes ? demanda Michael.

— Nous les appelons des maisons mères. Donc, comme je l’ai dit, nous sommes surtout des observateurs. Nous recueillons des données, nous faisons des corrélations et des recoupements entre les informations et nous les archivons. Mais nous sommes très actifs quand il s’agit de communiquer ces informations aux gens qui peuvent en avoir besoin. Nous avons eu connaissance de votre expérience par les journaux de Londres et un contact à San Francisco. Nous pensons que nous pourrions… vous être utiles.

Michael ôta son gant droit en tirant lentement sur chacun de ses doigts et le mit de côté. Il reprit la carte et vit Lightner en train de mettre plusieurs cartes identiques dans sa poche, dans une autre chambre d’hôtel. A New York. Une odeur de cigare. Le bruit de la circulation. Une femme parlant vite avec un accent anglais…

Il songea : « Cet homme me dit-il la vérité ? »

Les visions continuaient d’affluer, les voix se faisaient plus fortes, plus confuses. Dans le vacarme, Michael entendit Lightner lui parler.

— Concentrez-vous, monsieur Curry. Faites la part des choses dans ce que vous voyez. Sommes-nous des gens honnêtes ou non ?

Michael hocha la tête en se répétant silencieusement la question. C’était trop pénible. Il jeta la carte sur la table en veillant à ne pas en effleurer le bois. Il tremblait légèrement. Il remit son gant et sa vue s’éclaircit.

— Qu’avez-vous appris ? demanda Lightner.

— Quelque chose sur les chevaliers du Temple, les Templiers. Vous leur avez volé leur argent.

— Quoi ?

Lightner était abasourdi.

— Vous leur avez volé leur argent. C’est comme ça que vous avez obtenu vos maisons mères. Vous les avez volés quand le roi de France les a arrêtés. Ils vous avaient donné leur trésor en dépôt et vous l’avez conservé. Vous êtes immensément riches. Et vous avez honte de ce qui s’est passé avec les Templiers. Ils ont été accusés de sorcellerie et anéantis. Ça, je l’ai appris dans les manuels d’histoire, bien entendu. J’étais excellent en histoire et je connais très bien celle des Templiers. Le roi de France voulait briser leur pouvoir. Apparemment, il ignorait tout de vous.

Après l’avoir observé d’un air amusé, Lightner s’était mis à rougir. Il semblait de plus en plus mal à l’aise.

Michael ne put s’empêcher de rire. Il remua les doigts de sa main droite.

— Vous m’avez, bien dit de me concentrer et de faire la part des choses, non ?

— Je ne l’entendais pas comme ça mais, oui, c’est ce que je vous ai dit. Monsieur Curry, si vous avez des connaissances en histoire, vous n’ignorez pas que personne, à l’exception du pape, à Rome, n’aurait pu sauver les Templiers. En tant que petite organisation secrète, nous n’en avions pas le pouvoir. Et, pour être franc, lorsque les persécutions ont été terminées et que Jacques de Molay et les autres ont été brûlés vifs, il n’y avait plus personne à qui rendre l’argent.

Michael se remit à rire.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut dire cela, monsieur Lightner. Il n’en reste pas moins que vous avez réellement honte d’événements qui se sont produits il y a six cents ans. Vous devez être de drôles de types. Pour votre gouverne, sachez que j’ai publié un article sur les Templiers et que je suis d’accord avec vous. Personne n’aurait pu les aider, pas même le pape, à mon avis. Et si vous aviez voulu intervenir, vous auriez aussi terminé sur un bûcher.

— Sans aucun doute, dit Lightner en rougissant légèrement. Alors, vous êtes convaincu que je vous ai dit la vérité ?

— Convaincu ?

Michael l’examina un long moment. Une fois encore, il eut la nette impression que cet homme partageait avec lui des valeurs qui lui étaient chères.

— Et c’est ce travail dont vous m’avez parlé qui vous a amené à me suivre, au risque de m’être désagréable, comme vous dites ?

Michael reprit la carte, avec une certaine difficulté à cause de son gant, et la glissa dans sa poche de poitrine.

— Pas tout à fait. Mais je veux vraiment vous venir en aide. Et si cela vous paraît prétentieux, je m’en excuse humblement et sincèrement.

— Je suppose que je ne vous étonnerai pas en vous disant que je prie depuis des semaines pour que quelqu’un m’aide. Je me sens un peu mieux depuis deux jours. Bien mieux, même. Je suis sur le point de faire… ce que j’ai le sentiment de devoir faire.

— A votre insu, vous avez un pouvoir extraordinaire.

— Ce pouvoir n’est pas important. Je vous parle de ma mission. Vous avez lu les journaux à ce sujet ?

— Tout ce que j’ai pu trouver.

— Alors, vous n’ignorez pas que j’ai rencontré des êtres pendant que j’étais mort. Et qu’ils m’ont rendu la vie en me confiant une mission, Et que, de quelque façon que ce soit, je suis devenu amnésique à ce sujet.

— Oui, je comprends.

— Alors, vous savez que le pouvoir de mes mains n’a aucune importance.

Il avala une autre gorgée de bière.

— Personne ne croit à mon histoire de mission. Mais trois mois ont passé depuis l’accident et ce sentiment est toujours là. Cette mission a quelque chose à voir avec la maison où je suis allé hier soir.

L’Anglais l’examinait avec intensité.

— La maison aurait un rapport avec les êtres que vous avez vus ?

— Oui. Mais ne me demandez pas pourquoi. Pendant des mois, cette maison n’a pas quitté mon esprit. Je l’ai vue dans mon sommeil. J’ai fait trois mille kilomètres parce qu’elle a un rapport avec la mission.

— Et Rowan Mayfair, qu’a-t-elle à voir là-dedans ?

Michael posa lentement la boîte de bière et jeta un regard d’appréciation sur l’homme.

— Vous connaissez le docteur Mayfair ? demanda-t-il.

— Non, mais je sais bien des choses sur elle et sa famille.

— Vraiment ? Cela pourrait l’intéresser. Quel rapport entre sa famille et vous ? Je croyais que vous m’attendiez devant chez moi parce que vous vouliez me parler.

Le visage de Lightner s’assombrit un instant.

— Je suis embarrassé, monsieur Curry. Mais vous allez sans doute me donner la réponse. Comment se fait-il que le docteur Mayfair se soit trouvé là ?

— Écoutez, vos questions commencent à m’agacer. Elle était là pour m’aider. Elle est médecin.

— Elle était là en qualité de médecin ? J’ai dû me tromper, alors. Ce n’est pas elle qui vous a envoyé ici ?

— Envoyé ici ? Grand Dieu, non ! Et pourquoi ça ? Elle ne voulait même pas que je vienne ici. En fait, j’étais si soûl quand elle est venue me chercher que je peux m’estimer heureux qu’elle ne m’ait pas fait jeter en prison. Mais où avez-vous pris cette idée ?

— Vous ne connaissiez donc pas le docteur Mayfair avant de voir ces êtres ?

— Non. Seulement cinq minutes après.

— Attendez ! Je ne vous suis pas.

— C’est elle qui m’a repêché dans la mer, Lightner. La première fois que je l’ai vue, j’étais étendu sur le pont de son bateau.

— Mon Dieu ! Je l’ignorais totalement.

— Et moi aussi, jusqu’à vendredi dernier. Je ne savais même pas son nom. Les gardes-côtes avaient oublié de le lui demander quand elle les a appelés. Mais elle m’a sauvé la vie. Elle a une sorte de sixième sens qui lui permet de savoir si un patient va survivre ou non. Elle a tout de suite essayé de me ramener à la vie. Je me demande parfois si les gardes-côtes auraient essayé si c’étaient eux qui m’avaient repêché.

Lightner se plongea dans un profond silence, les yeux rivés sur le tapis.

— Je voulais retourner sur son bateau, poursuivit Michael. J’étais sûr qu’en touchant le pont sans mes gants je retrouverais la mémoire. Et le plus curieux, c’est qu’elle m’y a poussé. Elle n’est pas un médecin ordinaire, vous savez.

— Je suis assez d’accord avec vous, dit Lightner. Et que s’est-il passé ?

— Rien. J’ai simplement fait sa connaissance.

Il se demanda si Lightner pouvait deviner ce qui s’était passé entre eux.

— Je crois que vous me devez quelques réponses, monsieur Lightner. Que savez-vous exactement d’elle et de sa famille pour croire que c’est elle qui m’a envoyé ici ?

— Eh bien, c’est précisément ce que je cherchais à savoir. Je pensais que cela avait un rapport avec votre pouvoir. Qu’elle vous avait demandé de faire des recherches pour elle. C’est la seule explication que j’avais pu trouver. Mais, monsieur Curry, comment avez-vous su pour la maison ? Je veux dire, comment avez-vous fait le lien entre les êtres que vous avez vus et… ?

— J’ai grandi dans cette ville, Lightner. J’adorais cette maison quand j’étais petit. Je passais sans arrêt devant et je ne l’ai jamais oubliée. Même avant ma noyade j’y pensais tout le temps. J’aimerais savoir à qui elle est et ce que tout cela signifie.

— Mais… dit Lightner dans un murmure. Vous ne savez vraiment pas à qui elle appartient ?

— Je viens de vous le dire.

— Vous avez pourtant essayé d’escalader la grille hier soir.

— C’est exact, je m’en souviens. Auriez-vous l’amabilité d’éclairer quelque peu ma lanterne, s’il vous plaît ? Vous savez, pour moi, pour Rowan Mayfair, pour la maison. Vous savez, pour la famille de Rowan…

Il s’interrompit soudain et regarda fixement Lightner.

— La famille de Rowan ! reprit-il. C’est elle qui possède la maison ?

— Elle l’a fait construire, dit calmement Lightner. Et, si je ne m’abuse, elle reviendra à Rowan Mayfair au décès de sa mère.

— Je ne vous crois pas, murmura Michael.

C’était une façon de parler. Soudain, l’atmosphère des visions l’enveloppa et disparut presque immédiatement, comme toujours. Il regarda Lightner, incapable de formuler les questions qui se bousculaient dans sa tête.

— Monsieur Curry, s’il vous plaît. Veuillez m’expliquer en détail le lien entre la maison et les êtres. Ou, pour être plus précis, ce que vous savez de cette maison et les souvenirs d’enfance que vous en conservez.

— Pas avant que vous m’ayez dit ce vous savez, vous. Vous rendez-vous compte que Rowan… ?

— En temps voulu, je vous dirai tout ce que je sais mais, en échange, je vous demande simplement de parler le premier. Il faut que vous me disiez la moindre chose dont vous vous souvenez, même si vous n’avez aucune idée de sa signification. Je saurai peut-être vous donner des éclaircissements. Vous me suivez ?

— D’accord. Mes informations contre les vôtres. Mais avant, donnez-moi l’assurance que vous me raconterez tout.

— Je vous le promets.

Cela vaut la peine, se dit Michael. Il était le premier surpris d’avoir tant envie de s’ouvrir à cet homme, de tout lui raconter dans le moindre détail.

— D’accord, commença-t-il. Comme je vous l’ai dit, je passais tout le temps devant cette maison quand j’étais petit. Je faisais même un détour pour passer devant. J’habitais à Annunciation Street, à six pâtés de maisons de là. Je voyais un homme dans le jardin, le même qu’hier soir. Vous vous souvenez ? Je vous ai demandé si vous l’aviez vu ? Eh bien, je l’ai vu près de la grille et au fond du jardin. Et le pire, c’est qu’il n’avait pas changé d’un pouce. J’avais quatre ans la première fois et six quand je l’ai vu dans l’église.

— Vous l’avez vu dans une église ?

— Oui, à Noël. Dans l’église Saint Alphonse. Je ne l’ai jamais oublié parce qu’il y avait la crèche. Il se trouvait sur les marches de l’autel latéral.

— Vous êtes certain que c’était lui ?

— Absolument. Je l’ai revu une autre fois à un concert en ville. C’était Isaac Stern qui jouait et je ne l’oublierai jamais car c’était la première fois que j’entendais une musique aussi vivante. Vous voyez ce que je veux dire. L’homme me regardait.

Michael hésita. L’atmosphère de cet événement lointain lui revenait sans plaisir car c’était pendant une période triste de sa vie. Il secoua la tête. Lightner était en train de lire dans ses pensées, il en était persuadé.

— Elles ne sont pas claires quand vous êtes troublé, dit doucement Lightner. Mais c’est de la plus haute importance, monsieur Curry…

— A qui le dites-vous ? Tout cela a un rapport avec ce que j’ai vu pendant ma noyade. Je le sais parce que je n’ai pas cessé d’y penser depuis. Dès mon réveil, je voyais cette maison et je n’avais qu’une idée en tête, c’était d’y retourner. C’était une idée fixe.

— Je vous demande encore un peu de patience, dit Lightner. Pourriez-vous me dire ce que vous vous rappelez au sujet des êtres ? Vous m’avez dit que vous n’aviez pas tout oublié…

Michael fit une brève description de la femme aux cheveux noirs, du bijou, d’une vague porte…

— Probablement pas une porte de maison. Mais cela a quelque chose à voir avec la maison. Et un numéro que j’ai oublié. Non, pas une adresse. Un numéro à deux chiffres très important. Et une mission… Pour sauver quelque chose. Et je suis certain que je pouvais la refuser. Je ne crois pas qu’ils m’auraient laissé mourir si j’avais refusé. J’ai eu le choix et j’ai choisi de revenir et d’accomplir la mission. Je suis revenu à moi en me disant que j’avais quelque chose de très important à faire.

Lightner ne chercha pas à cacher sa surprise.

— Autre chose ?

— Non. J’ai parfois l’impression d’être sur le point de tout me rappeler. J’ai commencé à repenser à la maison environ vingt-quatre heures après. Ou un peu plus. Et j’ai tout de suite senti le lien. Comme hier soir. J’étais venu au bon endroit pour trouver toutes les réponses mais il ne s’est rien passé. Je commence à devenir fou.

— On le deviendrait à moins… J’ai une suggestion à vous proposer. Serait-il possible que l’image de la maison vous soit venue du contact de vos mains avec Rowan après la noyade ?

— Ce serait plausible si Rowan savait quoi que ce soit de cette maison. Elle ne sait absolument rien de La Nouvelle-Orléans ni de sa famille. Elle ne connaissait que sa mère adoptive qui est décédé l’an dernier.

Lightner semblait réticent à le croire.

— Écoutez…, dit Michael.

Il se sentait parti pour tout raconter et n’éprouvait aucune gêne à parler à cet homme, mais cela allait trop loin.

— A vous de parler, maintenant. Quand Rowan est venue me chercher vendredi, elle vous a vu. Elle a dit qu’elle vous avait déjà vu quelque part. Soyez franc avec moi, Lightner. Que savez-vous d’elle ?

— Je vous dirai tout, dit gentiment Lightner, égal à lui-même. Mais, encore une fois, êtes-vous certain qu’elle n’a jamais vu de photo de la maison ?

— Non, je lui ai posé la question. Elle est née à La Nouvelle-Orléans…

— Oui ?

— Mais on l’a emmenée le jour même. Et plus tard, on lui a fait signer un papier par lequel elle s’engageait à ne jamais y retourner. Je lui ai demandé si elle avait vu des photos de la maison de sa famille de La Nouvelle-Orléans et elle m’a dit que non. Elle a même précisé qu’elle n’est pas parvenue à obtenir la moindre information sur sa famille après la mort de sa mère adoptive. Vous voyez ? Ça ne peut pas venir d’elle. Mais nous sommes tous les deux impliqués.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Je veux dire qu’ils m’ont choisi à cause de mon passé… Qui j’étais, ce que j’étais, où je vivais. Tout se tient, mais je ne suis pas le centre de l’affaire. Le centre, c’est probablement Rowan. Il faut que je l’appelle pour lui dire que la maison appartient à sa mère.

— Ne le faites pas, Michael, dit soudain Lightner. Je vous en prie. Je n’ai pas rempli ma part de notre marché. Je ne vous ai pas encore tout dit.

— Mais enfin, vous rendez-vous compte ? Elle a dû sortir le Sweet Christine au moment même où je suis tombe de la falaise. Nous devions nous rencontrer. Et ces êtres qui savaient tout, qui ont choisi d’intervenir.

— Oui, je me rends compte… Tout ce que je vous demande, c’est que nous échangions tous nos renseignements avant que vous n’appeliez Rowan.

L’Anglais continuait à parler mais Michael ne l’écoutait plus. Il se sentit soudain complètement désorienté, comme s’il allait s’évanouir. Il fallait qu’il s’accroche à la table. Mais ce n’était pas son corps, c’était son esprit qui chancelait. Et pendant une seconde magnifique, les êtres réapparurent. La femme aux cheveux noirs lui parlait et, d’une position avantageuse, en hauteur, où il était en apesanteur et libre, il aperçut un petit bateau sur la mer et dit : « Oui, je le ferai. »

Il retint sa respiration. Par crainte de perdre le fil, il ne chercha pas à forcer ses visions. Il resta sans bouger jusqu’à ce qu’elles s’estompent, le laissant à nouveau troublé, frustré et en colère.

— Oh, mon Dieu ! murmura-t-il. Et Rowan qui n’a pas la moindre idée…

En ouvrant les yeux, il vit Lightner assis près de lui. Il avait le sentiment affreux d’avoir perdu plusieurs précieuses minutes.

— Une seconde ou deux, c’est tout, affirma Lightner. Vous avez failli vous écrouler.

— Vous n’imaginez pas à quel point il est atroce d’avoir perdu la mémoire. Et Rowan a dit quelque chose de vraiment étrange.

— Quoi donc ?

— Que c’était peut-être eux qui ne voulaient pas que je me rappelle.

— Cela vous paraît étrange ?

— Ils veulent que je me rappelle. Ils veulent que je fasse ce que je suis censé faire. La porte et le nombre 13. Et elle a dit autre chose encore. Elle m’a demandé comment je savais qu’ils étaient bons. Elle sous-entendait qu’ils avaient peut-être provoqué ma noyade… Je vous dis que je vais devenir fou.

— Ce sont des questions très pertinentes, dit l’Anglais dans un soupir. Mais vous avez parlé d’un nombre 13…

— C’est vrai ? J’ai dit ça ? Oui, le 13. Ca y est, c’est revenu ! Le nombre 13 !

— Écoutez-moi. Je ne veux pas que vous appeliez Rowan. Je vous demande de vous habiller et de venir avec moi.

— Attendez un peu, mon ami ! Vous êtes un type très intéressant. Vous avez plus fière allure en veste d’intérieur que n’importe quel héros des films que j’ai vus et vous avez des manières très persuasives et très charmantes. Mais je suis très bien où je suis et j’ai l’intention de retourner à cette maison après avoir appelé Rowan…

— Et qu’allez-vous faire une fois devant la maison ? Sonner ?

— Je vais attendre l’arrivée de Rowan, Elle a envie de venir, vous savez. Elle veut voir sa famille.

— Et l’homme ? Que vient-il faire là-dedans, d’après vous ?

Michael s’arrêta sur son élan.

— Vous l’avez-vu ? demanda-t-il.

— Non. Il ne m’en a pas laissé le temps. Il voulait que ce soit vous qui le voyiez. Et pourquoi ? C’est ce que j’aimerais savoir.

— Mais vous savez tout de lui, n’est-ce pas ?

— Oui.

— D’accord. A vous de parler, et tout de suite !

— Nous avons conclu un marché. Et il est indispensable que vous sachiez tout.

Il se leva, alla lentement jusqu’à la table et se mit à rassembler les papiers éparpillés. Il les rangea dans un grand dossier en cuir.

— Tout est là-dedans, reprit-il.

— Lightner, vous me devez quelques réponses.

— Ce dossier est un condensé des réponses, Michael. Il provient de nos archives et est entièrement consacré à la famille Mayfair, depuis l’année 1664. Mais je ne peux pas vous le remettre ici.

— Où, alors ?

— Nous avons une maison près d’ici. Une vieille maison de plantation. C’est un endroit charmant.

— Non ! s’impatienta Michael.

Lightner lui fit signe de se calmer.

— C’est à moins d’une heure et demie en voiture. J’insiste pour que vous vous habilliez et me suiviez. Vous lirez tranquillement le dossier à Oak Haven. Gardez vos questions jusqu’à la fin de votre lecture. Vous comprendrez alors pourquoi je vous ai prié de remettre à plus tard votre coup de téléphone au docteur Mayfair. Je crois que vous m’en remercierez.

— Il faut qu’elle voie ce dossier.

— C’est évident. Et si vous acceptez de le lui remettre en notre nom, nous vous en serions éternellement reconnaissants.

Michael examina encore une fois l’homme en essayant de faire la part entre son charme et le contenu ahurissant de ses paroles. D’un côté, il se sentait attiré vers lui et rassuré parce qu’il savait et, de l’autre, soupçonneux. Et plus que tout, il était fasciné de constater que les pièces du puzzle se mettaient petit à petit en place.

— Je ne peux pas aller avec vous, dit-il. Nul doute que vous êtes sincère mais je dois appeler Rowan et je veux que vous me donniez maintenant le dossier.

— Michael, il y a là-dedans des informations se rapportant à tout ce que vous m’avez raconté. Mais je ne vous les communiquerai qu’à mes conditions.

— Vous n’essayez pas de vous jouer de moi ?

— Non. Certainement pas. Mais n’essayez pas de vous jouer de vous-même. Vous avez toujours su que cet homme n’était pas… ce qu’il semblait être, n’est-ce pas ? Qu’avez-vous éprouvé hier soir en le voyant ?

— Oui, je l’ai toujours su…

Il se sentait à nouveau désorienté. Une émotion inquiétante le traversa. Il revit l’homme en train de l’observer. Soudain, malgré lui, il fit une chose étonnante. Il leva la main droite et fit un rapide signe de croix.

Gêné, il regarda Lightner. Une idée très claire lui vint alors.

— Serait-il possible qu’ils aient organisé notre rencontre ? Est-ce la femme aux cheveux noirs qui a tout arrangé ?

— Vous en êtes le seul juge. Vous êtes le seul à savoir ce que ces êtres vous ont dit et qui ils sont.

— Mais je n’en sais rien !

Michael mit ses mains sur ses tempes. Il s’aperçut qu’il fixait le dossier des yeux. De larges lettres d’or repoussé, à demi usées, étaient inscrites sur la couverture.

— Les sorcières Mayfair, lut-il à voix basse. Je ne me trompe pas ?

— Oui. Maintenant, allez-vous vous habiller et me suivre ? Un bon petit déjeuner nous attend là-bas.

— Vous ne croyez pas aux sorcières ? s’exclama Michael.

Mais ils revenaient. La pièce s’estompa et la voix de Lightner s’éloigna à nouveau. Michael trembla. Il se sentait mal. Il revit la pièce dans la lumière matinale, des années auparavant. Tante Vivian était assise ici et sa mère là. Appeler Rowan…

— Pas encore, dit Lightner. Lisez d’abord le dossier.

— Vous avez peur de Rowan. Vous voulez me protéger d’elle…

Il repensa au moment où il avait louché sa main dans la voiture.

Avertissement. Puis dans ses bras, plus tard.

— Vous savez de quoi il retourne, dit Lightner. Rowan vous l’a dit.

— Oh, c’est stupide ! Elle l’a juste imaginé.

— Non. Regardez-moi. Vous savez que je vous dis la vérité. Vous y avez pensé quand vous avez lu le mot « sorcières ».

— C’est faux. Il est impossible de tuer des gens simplement en souhaitant leur mort.

— Michael, je vous demande moins de vingt-quatre heures. Je vous fais confiance. Je vous demande de respecter nos méthodes et de nous consacrer ce temps.

— Je ne peux pas accepter ça ! Rowan n’est pas une sorcière. C’est de la folie. Elle est médecin et elle m’a sauvé la vie.

Et dire que c’était sa maison, sa magnifique maison, celle qu’il avait adorée dès son plus jeune âge. Toutes ces années, il savait parfaitement que l’homme n’était pas réel. Toute sa vie il l’avait su. Depuis l’église…

— Michael, cet homme attend Rowan.

— Attend Rowan ? Mais alors, pourquoi s’est-il montré à moi ?

— Écoutez-moi, mon ami, dit l’Anglais en posant une main chaleureuse sur celle de Michael. Je n’ai pas l’intention de vous alarmer ni d’exploiter votre fascination. Cette créature est attachée à la famille Mayfair depuis des générations. Elle peut tuer des gens. Et le docteur Rowan Mayfair aussi. En fait, il se peut qu’elle soit la première de sa lignée à pouvoir tuer entièrement seule, sans l’aide de cette créature. Et ils ne vont pas tarder à se rencontrer. Alors, s’il vous plaît, habillez-vous et venez avec moi. Si vous acceptez de servir de médiateur en remettant à Rowan le dossier sur les sorcières Mayfair, nos vœux les plus chers auront été exaucés.

Calme, Michael tentait d’assimiler ce qu’il venait d’entendre. Ses yeux regardaient Lightner mais voyaient d’innombrables autres choses. Il avait maintenant du mal à expliquer ses impressions à l’égard de « l’homme », cet homme qui lui avait toujours paru magnifique, l’élégance personnifiée, une silhouette frêle et attendrissante qui semblait doué d’une sérénité que Michael lui enviait. Derrière la grille, la veille, il avait essayé de lui faire peur. Ou était-ce une illusion ? Si seulement il pouvait le toucher sans ses gants !

— Mon rôle est d’intervenir, dit-il. Peut-être même au moyen de ce pouvoir qu’ont mes mains. Rowan a dit…

— Oui ?

— Elle m’a demandé pourquoi je croyais que le pouvoir n’avait rien à voir dans tout cela. Pourquoi je persistais à croire qu’il était indépendant… Évidemment, ce don que j’ai reçu n’est peut-être pas seulement destiné à me rendre fou ou à distraire mon attention.

— C’est ce que vous pensiez ?

Il acquiesça.

— Je crois bien. J’ai cru qu’il devait m’empêcher de venir ici et c’est pourquoi je me suis enfermé dans ma maison pendant deux mois. J’aurais pu trouver Rowan plus tôt…

Il regarda ses mains. Comme il détestait ces gants qui les faisaient ressembler à des prothèses !

— D’accord, dit-il enfin. Je vais avec vous. Je veux lire ce dossier. Mais je veux rentrer le plus vite possible. Je lui ai promis que je reviendrais si elle m’appelait. Je tiens à elle. Encore plus que vous ne le croyez. Et cela n’a rien à voir avec les êtres mais avec elle, personnellement… Je ne la ferai jamais passer après le reste.

— Pas même après les êtres ? demanda Lightner avec respect.

— Non. On n’éprouve que deux ou trois fois dans sa vie ce que j’éprouve pour elle.

— Je comprends. Je vous retrouve en bas dans vingt minutes. Et j’aimerais que vous m’appeliez Aaron, si vous le désirez. Nous avons un long chemin à faire ensemble. Je crois que je me suis laissé aller il vous appeler Michael une ou deux fois. J’aimerais que nous soyons amis.

 

 

En moins de quinze minutes, Michael fut douché, rasé et habillé. Il défit ses bagages, ne gardant que l’essentiel, et, au moment de prendre sa valise, aperçut le voyant lumineux clignotant sur le téléphone. Mais pourquoi n’avait-il pas répondu la première fois qu’il l’avait aperçu ? Il était furieux.

Il appela tout de suite le standard.

— Oui. Un certain docteur Rowan Mayfair vous a téléphoné, monsieur Curry. Vers 5 heures du matin.

La standardiste lui indiqua le numéro de Rowan.

— Elle a insisté pour que nous vous appelions et même pour que nous frappions à votre porte, précisa-t-elle.

— Et vous l’avez fait ?

— Oui, monsieur Curry, mais vous n’avez pas répondu.

Et Aaron était là, pourtant, songea Michael avec rage.

— Nous n’avons pas osé nous servir du passe pour entrer.

— Bon. J’ai un message pour le docteur Mayfair si elle rappelle.

— Oui, monsieur Curry ?

— Dites-lui que je suis bien arrivé, que je la rappellerai dans les vingt-quatre heures mais que je dois sortir pour l’instant. Je reviendrai plus tard.

Il laissa un billet de 5 dollars sur le couvre-lit pour la femme de chambre et sortit.

 

 

Le petit salon était plein d’animation lorsqu’il descendit et la salle du petit déjeuner était remplie de monde. Lightner, vêtu d’un costume impeccable en seersucker, l’attendait près de la porte de sortie. Il faisait très gentleman de la vieille école.

— Vous auriez pu répondre au téléphone, dit Michael, sans ajouter que Lightner ressemblait aux vieillards de son enfance qui faisaient leur promenade du soir dans Garden District.

— J’ai estimé que je n’en avais pas le droit, dit poliment Aaron. (Il ouvrit la porte à Michael et fit un geste vers une voiture grise – une limousine interminable – au coin de la rue.) De plus, je craignais que ce ne soit le docteur Mayfair, ajouta-t-il.

— Eh bien, c’était elle, dit Michael en grimpant à l’arrière de la voiture.

— Je vois. Mais vous ne l’avez pas rappelée ? demanda-t-il en s’asseyant à côté de Michael.

— Un marché est un marché, répondit Michael en soupirant. Mais ça ne me plaît pas. J’ai essayé de vous faire comprendre ce qu’il y a entre Rowan et moi. Vous savez, quand j’avais entre vingt et trente ans, tomber amoureux en une soirée était hors de question pour moi. Maintenant que j’ai la quarantaine bien tassée, ou bien je suis plus stupide que jamais ou bien j’ai beaucoup appris. Je suis capable d’évaluer une situation et de me rendre compte quand elle est proche de la perfection. Vous voyez ce que je veux dire ?

— Je pense.

La voiture était un peu vieille mais très confortable avec ses sièges de cuir gris et son petit réfrigérateur sur le côté. Toute la place voulue pour les longues jambes de Michael. Saint Charles Avenue défila trop vite derrière les vitres teintées.

— Monsieur Curry, je respecte vos sentiments envers Rowan mais j’avoue que je suis à la fois surpris et intrigué. Oh, ne vous méprenez pas ! Cette femme est extraordinaire à tous les points de vue. C’est un médecin incomparable et une jeune créature ravissante aux manières plutôt stupéfiantes. Je sais. Il faut que vous compreniez bien une chose : normalement, le dossier sur les sorcières Mayfair ne doit pas passer entre les mains de personnes étrangères à notre organisation ou à la famille Mayfair. En vous le montrant, j’enfreins le règlement et j’aimerais profiter de cet instant privilégié pour tout vous expliquer sur le Talamasca, comment nous opérons et la loyauté que nous vous demandons en échange de la confiance que nous vous faisons.

— D’accord ! Il y a du café dans ce taxi de luxe ?

— Oui, bien sûr.

Il sortit une bouteille thermos du vide-poche et remplit la timbale.

— Noir, c’est parfait.

A mesure que défilaient les hautes et fières maisons de l’avenue, avec leurs porches, leurs petites colonnes et leurs volets aux couleurs vives, la gorge de Michael se nouait. Une idée folle lui traversa l’esprit : un jour, il achèterait le même costume en seersucker que Lightner et se promènerait des heures sur l’avenue, comme les vieillards d’autrefois, suivant ses méandres parallèles à ceux du fleuve et passant devant ces maisons majestueuses qui résistaient au temps. Il se laissa dériver dans ce paysage abîmé mais magnifique, bien à l’abri dans la voiture aux glaces teintées.

— Oui, c’est beau, dit Lightner. Très beau.

— D’accord. Parlez-moi de votre organisation. Donc, vous circulez en limousine grâce aux Templiers. A part ça ?

Lightner hocha la tête d’un air réprobateur, un faible sourire sur les lèvres. A la surprise de Michael, il se mit à rougir.

— Je plaisante, Aaron, dit Michael. Allez, dites-moi comment vous avez entendu parler des Mayfair. Et, pendant que vous y êtes, ayez l’obligeance de me dire ce qu’est une sorcière.

— Une sorcière est une personne capable d’attirer et de manipuler des forces invisibles. C’est la définition que nous avons donnée à ce terme. Elle pourrait tout aussi bien s’appliquer aux voyants et aux prophètes, d’ailleurs. Nous avons été créés pour observer certains phénomènes comme celui des sorcières. Cela remonte à ce qu’on appelle maintenant le Haut Moyen Age, ou âge des ténèbres. C’était bien avant les persécutions contre la sorcellerie, comme vous le savez certainement. Et cela a débuté par l’intermédiaire d’un magicien - un alchimiste, comme il s’appelait lui-même - qui a commencé ses recherches dans un lieu isolé en rassemblant dans un grand livre tous les récits concernant le surnaturel qu’il avait lus ou entendus. Son nom et l’histoire de sa vie importent peu pour l’instant. Mais il fut probablement le premier historien à écrire sur l’occulte, l’invisible ou le mystérieux sans faire de suppositions ou d’affirmations sur l’origine démoniaque des apparitions et autres esprits. Et il exigeait de ses quelques disciples la même ouverture d’esprit. « Contentez-vous d’étudier les agissements de celui qu’on appelle l’ensorceleur, disait-il. Ne partez pas du principe que vous savez d’où lui vient son pouvoir. » Nous avons conservé ce principe. Nous ne sommes dogmatiques que lorsqu’il s’agit de défendre notre absence de dogme. Et, bien que nos membres soient nombreux et très sûrs, nous continuons à en chercher de nouveaux. Nous cherchons des gens qui respecteront notre passivité et nos méthodes lentes et soignées, qui seront aussi fascinés que nous par l’étude de l’occulte, qui sont doués d’un pouvoir extraordinaire comme celui de vos mains… Quand j’ai entendu parler de vous, j’ignorais totalement votre lien avec Rowan Mayfair ou avec la maison de First Street. J’ai simplement pensé à vous comme membre potentiel. Évidemment, je n’avais pas prévu de vous en parler aussi vite. Mais, étant donné les circonstances… Quoi qu’il en soit, je suis venu à San Francisco pour mettre nos connaissances à votre service et vous montrer, si vous le souhaitiez, comment utiliser votre pouvoir. Et puis, éventuellement, j’aurais évoqué avec vous le fait que vous pourriez apprécier notre mode de vie… Vous savez, il y avait quelque chose dans votre vie qui m’intriguait. D’après ce que j’avais lu et d’après une petite enquête que nous avons menée, j’avais l’impression qu’avant l’accident vous vous trouviez dans une impasse. C’était comme si vous aviez atteint vos objectifs mais que vous n’étiez pas satisfait… Mais revenons-en à notre organisation. Nous avons observé des phénomènes occultes dans le monde entier, vous vous en doutez. Et si notre travail sur les familles de sorcières n’en représente qu’une infime partie, il fait cependant partie des plus dangereux. Observer les phénomènes d’apparitions, de possession et de réincarnation ou lire dans les pensées ne présentent aucun danger. Avec les sorcières, c’est autre chose… Vous comprendrez cela en lisant le dossier. Tout ce que je vous demande, c’est de ne jamais parler de nous. Et si nous devions nous séparer, que ce soit d’une façon désagréable ou agréable, vous devrez respecter la vie privée des personnes mentionnées dans le dossier Mayfair…

— Vous savez que vous pouvez me faire confiance sur ce point. Vous me connaissez. Mais qu’entendez-vous par danger ? Vous parlez de cet esprit, cet homme, ou de Rowan ?

— Nous verrons cela plus tard. Que voudriez-vous savoir de plus sur nous ?

— Le recrutement de vos membres, comment procédez-vous ?

— Cela commence par un noviciat, comme dans un ordre religieux. Mais je précise qu’il ne s’agit pas de suivre des cours. Il s’agit d’apprendre une façon d’aborder la vie. Pendant les années de noviciat, on vit dans une maison mère. On rencontre les anciens membres, on travaille dans les bibliothèques et on peut consulter tous les documents à volonté…

— Le rêve ! Excusez-moi, je vous ai interrompu.

— Après deux ans de préparation, nous commençons à parler sérieusement d’engagement et de recherches sur le terrain. Bien entendu, contrairement à ce qui se passe dans un ordre religieux, le vœu d’obéissance n’existe pas chez nous et chacun est libre de refuser une mission qu’on lui propose. Nous exigeons seulement de nos membres fidélité et confidentialité. Finalement, c’est une question de compréhension. Il s’agit de savoir si l’on veut ou non entrer dans une sorte de communauté très particulière…

— Je vois. Parlez-moi des maisons mères ? Où se trouvent-elles ?

— Celle d’Amsterdam est la plus ancienne. La plus grande est dans les environs de Londres et la plus secrète, à Rome. Bien entendu, l’Église catholique ne nous aime pas. Elle ne nous comprend pas. Elle nous met dans le même sac que le diable, comme les sorcières et les Templiers autrefois. Mais nous n’avons rien à voir avec le diable. S’il existe, il n’est pas de nos amis…

Michael se mit à rire.

— Vous pensez que le diable existe ?

— Pour être franc, je ne sais pas. C’est la réponse que vous fera tout membre digne du Talamasca.

— Dites-moi quelque chose, Aaron.

— Si je peux…

— Est-ce qu’on peut toucher un esprit ? Cet homme. On peut le toucher avec la main ?

— Eh bien, parfois je me dis que ce serait tout à fait possible… Quant à savoir si l’esprit se laissera toucher, c’est une autre histoire. Vous vous en rendrez compte bientôt.

Michael hocha la tête.

— Tout est lié, alors. Les mains, les êtres, et même vous… et votre organisation.

— Attendez d’avoir lu l’histoire. Chaque chose en son temps…

Le lien maléfique
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