10

Des mains magiques

 

 

Les quatre compagnons de Chloé avaient poursuivi leur route sur la plage de galets jusqu’à ce qu’ils atteignent le Royaume d’Argent. Les Chevaliers Santo et Falcon quittèrent alors leurs frères d’armes pour se diriger vers la forteresse du Roi Cull, gardant l’un des chevaux qui transportaient les provisions. Les Chevaliers Dempsey et Bergeau continuèrent vers le sud pour s’acquitter de leur propre mission.

Santo et Falcon virent enfin les fortifications du Royaume d’Argent se détacher sur l’horizon et ils en furent plutôt étonnés. Le château se dressait sur une colline mais le pays tout entier semblait entouré d’une haute muraille de pierre. Les deux Chevaliers s’arrêtèrent un instant et l’observèrent. Jamais ils n’avaient entendu parler de ces fortifications dans leurs cours d’histoire du continent.

— C’est une construction récente, affirma Santo en effleurant la surface du mur.

— Elle sert sans doute à protéger le royaume des vents violents ou des vagues pendant les tempêtes, avança Falcon.

— Il n’y a qu’une façon de le savoir.

Ils longèrent la muraille pendant des heures sans y apercevoir d’entrée. La mer était désormais loin derrière eux et ils se trouvaient sur la frontière entre le Royaume d’Argent et le Royaume de Cristal, se dirigeant lentement mais sûrement vers le pays d’Emeraude Ier.

— C’est ridicule ! éclata finalement Falcon. Pourquoi un roi aurait-il bâti de telles fortifications sans prévoir d’issues ?

— Sans doute parce qu’elles se trouvent au nord ou plus près du château, répondit Santo qui refusait de se décourager Wellan leur avait confié cette mission et ils ne retourneraient vers lui que lorsqu’ils s’en seraient acquittés. Ils poussèrent vers l’est en se servant de leurs sens magiques pour repérer tout signe de vie. Rien. Ce n’est qu’à la tombée de la nuit qu’ils découvrirent enfin d’immenses portes d’acier, devant un chemin de terre qui conduisait au Royaume de Cristal. Falcon s’annonça avec beaucoup de courtoisie et une tête coiffée d’un heaume se profila dans les créneaux, au sommet du rempart. L’homme les examina un moment puis disparut sans dire un mot.

— Il me paraît ridicule de demander à un roi de se protéger contre une invasion tandis que son royaume est entouré d’une telle muraille, déclara Falcon à son compagnon.

— Il faut tout de même le prévenir, insista Santo.

Des dizaines d’hommes vêtus d’armures argentées s’agglutinèrent entre les blocs de pierre et se penchèrent pour les observer.

— Passez votre chemin, étrangers, fit l’un d’eux. Nous avons ordre de ne laisser entrer personne.

— Nous sommes des Chevaliers d’Emeraude, répliqua Falcon, sans cacher son étonnement devant leur manque de civilité.

— Telle est la volonté du Roi Cull d’Argent. Partez.

— Nous avons un message pour le roi, insista Santo en se redressant fièrement sur sa selle. Nous ne repartirons que lorsque nous le lui aurons livré.

Les gardes échangèrent des propos à voix basse et les Chevaliers sentirent naître une grande haine dans leur cœur. Ils savaient bien que les habitants du Royaume d’Argent avaient subi les conséquences de l’attaque de Draka mais ce n’était pas une raison pour traiter des visiteurs avec un tel irrespect.

— Notre seigneur n’a que faire d’un message en provenance du Royaume d’Emeraude, cracha l’un des hommes avec mépris.

— Dites au Roi Cull que les Chevaliers d’Émeraude ne sont pas seulement des hommes d’honneur et des guerriers de valeur, mais qu’ils sont aussi des magiciens, ajouta Santo en observant leur réaction.

Les soldats hésitèrent, puis l’un d’eux, d’un mouvement rapide comme l’éclair, lança une dague sur les cavaliers. Santo leva le bras et le poignard s’arrêta à quelques centimètres de sa main. Un murmure inquiet s’éleva des créneaux.

— A qui dois-je le rendre ? demanda moqueusement le Chevalier.

Les soldats plongèrent se mettre à l’abri. Agitant doucement les doigts, Santo attira l’arme jusque dans sa main et l’examina soigneusement.

— C’est une belle pièce, déclara-t-il à Falcon en hochant la tête.

— Si nous laissions les chevaux paître en attendant la réponse du roi ? suggéra l’autre.

Santo glissa le poignard à sa ceinture et mit pied à terre. Les deux Chevaliers menèrent les bêtes à l’écart.

À l’intérieur de l’enceinte fortifiée, les soldats avaient désigné l’un d’entre eux pour aller porter un urgent message au Roi Cull. Il n’y avait plus de magicien au Royaume d’Argent depuis le départ de Shill, le fils aîné de Draka, et ils savaient que le roi en cherchait un désespérément. Le coursier mena son cheval à bride abattue jusqu’au château en flanc de colline, les sabots de la bête claquant sur les dalles de la cour. S’arrêtant devant les magnifiques portes en argent de l’aile principale, l’homme sauta sur le sol, confia sa monture à l’un des gardes et se précipita à l’intérieur.

Grand édifice de pierre blanche, tout autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le palais d’Argent n’était pas un endroit accueillant. Les murs polis affichaient une décoration plutôt sobre et n’étaient éclairés que par quelques torches. Seule la salle du trésor contenait de belles œuvres d’art ainsi que l’armure et les effets personnels du Roi Hadrian, qui avait jadis dirigé les premiers Chevaliers d’Émeraude.

Les événements des dernières années avaient aigri les habitants d’Argent et il régnait un silence de mort dans le château. Même le Roi Cull était sombre. Il n’accordait plus d’audience à ses sujets, car il était trop occupé à jongler avec les maigres ressources de son peuple.

Sans échanges commerciaux ou culturels, le Royaume d’Argent devait se suffire à lui-même, produire suffisamment de nourriture pour tout son monde et tenter d’éduquer les enfants qui se faisaient de moins en moins nombreux. Mais ce qui manquait cruellement au roi, c’était un magicien ou un grand guérisseur, car son jeune fils était gravement malade et rien ne semblait vouloir lui redonner la santé. La Reine Olivi et lui avaient déjà perdu deux enfants en bas âge et ils craignaient, au fil des jours, que le troisième ne subisse le même sort.

Lorsque le gardien de ses appartements vint lui dire qu’un soldat voulait le voir, Cull fut tenté de le renvoyer à son poste sans l’écouter. Il était littéralement épuisé, ayant passé plusieurs nuits au chevet du prince malade sans pouvoir le soulager. Il poussa un profond soupir et, d’un mouvement de la tête, lui indiqua de le laisser entrer. Puis, il se cala dans son fauteuil en faisant de gros efforts pour garder les yeux ouverts. Le soldat poussiéreux posa un genou en terre et salua son monarque.

— Il y a deux étrangers à la porte sud, sire, annonça-t-il.

— Mes ordres à ce sujet sont pourtant clairs, soldat, répliqua Cull avec agacement.

— L’un d’eux est magicien, Majesté.

Le roi se redressa dans son fauteuil. Était-ce là la réponse aux prières qu’il avait adressées aux dieux de la mer que son peuple vénérait ?

— Vous ont-ils dit qui ils étaient ? demanda-t-il.

— Des Chevaliers d’Émeraude.

Comment était-ce possible ? Ces guerriers étaient disparus plusieurs centaines d’années auparavant, leur cupidité ayant précipité leur perte.

— Ils vous apportent un message, ajouta le soldat.

— Dans ce cas, conduisez-les à la tour sud. Soyez courtois, mais ne les laissez pas entrer en contact avec qui que ce soit.

— J’y cours de ce pas, sire.

Cull se rendit dans la grande pièce où il conservait ses costumes d’apparat et appela ses serviteurs. Il allait recevoir ses visiteurs comme un homme de son rang devait le faire, même si sa famille avait été rejetée par le reste du continent.

 

* *

*

 

Pendant ce temps, les deux Chevaliers avaient allumé un feu en bordure de la route, dans un espace dégagé d’un côté par d’étranges menhirs. Santo prépara du thé pendant que Falcon s’occupait des chevaux. Il faisait très sombre et le Chevalier superstitieux n’aimait pas se trouver dans un endroit aussi découvert. Il revint s’asseoir près de Santo et accepta avec reconnaissance le gobelet de thé qu’il lui tendait.

— Tu n’as rien à craindre, mon frère. J’ai sondé la région et il n’y a personne sauf nos amis les soldats et nous.

— Crois-tu que nos pouvoirs nous permettraient de sentir la présence de dragons ou d’hommes-insectes ? demanda Falcon en frissonnant.

— S’ils sont vivants, oui, je le crois.

— Et si leur sang était différent du nôtre ?

— Falcon, je t’en prie ! Nous avons été entraînés à reconnaître tout ce qui nous entoure et je te jure qu’il n’y a aucun danger ici. Calme-toi et sonde aussi cet endroit pour te rassurer.

Falcon déposa le gobelet et ralentit sa respiration, ce qui n’était pas chose aisée pour lui, tandis que l’obscurité s’étendait sur Enkidiev. Il ferma ses yeux bleu turquoise et laissa entrer en lui toutes les vibrations de la terre et du ciel. Une apaisante chaleur parcourut tout son corps. Il écouta intensément ce qui s’y passait, mais Santo avait raison. Il ne sentit aucun danger… jusqu’à ce qu’un coup sourd lui fasse subitement ouvrir les yeux. Les grandes portes de métal pivotaient lentement sur leurs gonds. Santo, déjà debout, plissait le front de concentration.

— Je ne ressens aucune intention hostile, affirma-t-il.

Une dizaine de soldats vêtus d’armures argentées s’avancèrent, la main sur la garde de leurs épées, mais Santo était persuadé que ce n’était qu’une précaution. Il se doutait bien qu’ils n’étaient pas sortis de leur forteresse pour les chasser. Les hommes s’arrêtèrent devant eux et les Chevaliers sentirent leur réticence, mais ils avaient reçu des ordres.

— Sa Majesté le Roi Cull d’Argent a été informée de votre présence et désire s’entretenir avec vous, fit l’un d’eux en regardant au-dessus de leurs têtes.

Pendant que Santo s’inclinait légèrement devant le soldat pour marquer sa soumission, Falcon sonda leurs cœurs. Ces hommes n’étaient que des enfants lorsque le Roi Draka s’était réfugié à Shola et ils s’en sentaient toujours profondément humiliés.

Santo et Falcon rassemblèrent leurs affaires, récupérèrent leurs montures, puis suivirent les hommes d’Argent de l’autre côté de la muraille. D’autres soldats à cheval les attendaient, torches en main pour éclairer leur route.

Les Chevaliers observèrent discrètement ce qui les entourait. Le royaume tout entier s’étendait entre les remparts comme à l’intérieur d’une grosse coquille. En chevauchant vers le palais, ils virent des milliers de petits points lumineux au loin, indiquant que les habitants vivaient en grappe, jusqu’au bord de la mer, en petits villages serrés.

La forteresse apparut alors devant eux. Pas aussi élevée que celle du Royaume d’Emeraude, elle couvrait cependant plus de surface. Il n’y avait pas de pont-levis, mais plutôt d’énormes portes en argent. Des serviteurs s’avancèrent pour s’occuper de leurs chevaux et d’autres soldats prirent le relais pour les conduire à la tour du roi.

Falcon ne put s’empêcher de noter la réaction hostile de ceux qu’ils croisaient lorsqu’ils apercevaient leur cuirasse verte sertie de pierres précieuses, rappel cuisant de la défaite du Roi Draka. À ses côtés, Santo gardait la tête haute, pourtant, il devait ressentir exactement la même chose. Les soldats s’arrêtèrent devant une porte, l’ouvrirent et se rangèrent de chaque côté pour laisser passer les étrangers.

Les deux Chevaliers entrèrent dans une grande pièce circulaire, au centre de laquelle se dressait un trône en argent massif occupé par un homme aux traits tirés. Il était vêtu d’une tunique immaculée et ne portait qu’une ceinture d’argent et une couronne toute simple coulée dans le même métal précieux. Les Chevaliers s’inclinèrent devant lui.

— Je suis le Roi Cull du Royaume d’Argent, déclara-t-il avec la voix rauque d’un homme très fatigué. Mon messager me dit que vous êtes des Chevaliers d’Emeraude.

— C’est exact, Majesté, répondit Santo.

— Pourtant ces Chevaliers ont disparu il y a fort longtemps.

— Il y a de cela quinze ans, le Roi Emeraude Ier a décidé de faire revivre cet ordre de chevalerie en formant les enfants du continent qui manifestaient des talents exceptionnels. Nous figurons parmi les premiers à avoir été adoubés.

Cull les regarda un long moment et les Chevaliers ressentirent sa profonde tristesse, car il avait été tenu à l’écart des décisions du continent depuis le début de son règne.

— Je suis le Chevalier Santo d’Émeraude et voici le Chevalier Falcon d’Émeraude, poursuivit le jeune guerrier pour l’empêcher de sombrer davantage dans la mélancolie.

— Pourquoi êtes-vous venus vers moi ?

Les deux Chevaliers échangèrent un regard et convinrent par télépathie que Santo parlerait en leur nom. D’une voix empreinte de compassion, il lui révéla ce qu’ils avaient vu au pays de Shola.

— Avez-vous trouvé le corps de mon frère, le Roi Shill ? voulut savoir Cull dont le visage avait considérablement pâli.

— Oui, Majesté, affirma Santo en baissant les yeux. Il a été poignardé par l’ennemi.

Cull avait du mal à croire qu’un magicien aussi habile que Shill n’ait pu se défendre contre de pareils monstres. Il demeura silencieux un long moment, à tenter d’imaginer les dernières minutes de la vie de son frère.

— Qu’est-il advenu de la Reine de Shola ? demanda-t-il enfin.

— Elle a également péri, sire, fit Santo, mais elle avait déjà confié sa fille au Roi d’Émeraude.

— J’ignorais que mon frère avait une héritière, s’étonna Cull. Je croyais que…

Le roi ne termina pas sa phrase. Il se leva et marcha jusqu’à la meurtrière qui s’ouvrait sur l’océan au loin. Les Chevaliers ne comprirent pas l’émotion étrange qui envahit son cœur. Il aurait dû se réjouir d’apprendre qu’un héritier de son sang avait survécu au massacre, pourtant il était plutôt la proie d’une grande jalousie. Cull était amoureux de Fan et il fulminait à la seule pensée qu’elle ait donné un enfant à son frère. « La reine a dû l’ensorceler lui aussi », pensa Falcon. Santo envoya un discret coup de coude dans les côtes de son compagnon d’armes pour le rappeler à l’ordre.

— Est-ce que l’enfant doit rester au Royaume d’Émeraude ? demanda Cull en se tournant vers les jeunes guerriers.

— C’était la volonté de sa mère qu’elle devienne Chevalier, Majesté, répondit Santo.

— Est-ce qu’elle ressemble à Fan ? s’enquit le roi, se rapprochant d’eux, les yeux remplis de larmes qu’il contenait avec peine.

— D’une certaine façon, éluda le Chevalier, mal à l’aise.

Cull retourna s’asseoir et soupira avec une lassitude qui n’était pas feinte.

— Mes soldats me disent que l’un de vous est magicien, déclara-t-il en fronçant les sourcils.

— Tous les Chevaliers d’Émeraude le sont, Altesse, assura Santo.

— Ont-ils aussi le don de guérison ?

— Certains d’entre nous y excellent plus que d’autres.

— Mon fils est gravement malade et aucun des remèdes traditionnels ne semblent lui redonner la santé. Accepteriez-vous de le soigner ?

— Ce serait un honneur, sire.

Malgré sa grande fatigue, Cull bondit de son siège, franchit la porte de la tour et emprunta des couloirs étroits et des escaliers dérobés sans se soucier de ne pas être escorté par sa garde personnelle. Les Chevaliers lui emboîtèrent le pas en silence en comprenant enfin leur véritable rôle sur le continent. Ils étaient les protecteurs et les serviteurs de tous les habitants d’Enkidiev, même des jeunes princes malades.

Ils entrèrent dans une vaste pièce de marbre blanc, illuminée par une multitude de chandelles, très certainement la chambre royale. Sur le mur opposé, entre deux larges fenêtres, reposait un grand lit recouvert d’un dais. Les voiles opalescents qui le recouvraient flottaient doucement dans la brise du soir. Des armoires et des commodes luxueuses étaient adossées aux autres murs, ainsi qu’un miroir dans un superbe cadre d’argent en forme de goéland. La Reine Olivi était assise près d’un berceau d’argent qu’elle remuait avec douceur. C’était une femme douce et effacée, aux longs cheveux dorés, ses beaux traits marqués par de nombreuses nuits d’insomnie passées au chevet de son fils. Elle posa un regard éteint sur les deux étrangers qui accompagnaient son époux.

— Ce sont des Chevaliers d’Emeraude, lui annonça le roi, et ils sont magiciens.

Une lueur d’espoir anima les yeux fatigués de la reine. Ces hommes étaient là pour sauver son fils. Cull cueillit doucement l’enfant dans son berceau et l’approcha des Chevaliers. Le bébé était pâle comme la mort et la sueur plaquait son léger duvet noir sur sa petite tête. Agé de quelques mois, il aurait dû être grouillant de vie, mais il demeurait inerte dans les bras de son père. Santo était celui des Chevaliers d’Émeraude qui affichait le plus de talent pour la guérison. Il tendit donc les mains et le Roi Cull lui confia le prince sans hésitation. Inquiète pour son enfant, la reine se pressa contre son époux afin d’observer le guérisseur. Le Chevalier coucha le nourrisson sur son bras gauche et passa lentement sa main droite au-dessus de son corps frêle.

— Où pourrais-je le déposer ? demanda-t-il au roi.

Cull se précipita vers une grande commode de bois clair et, d’un geste brusque, en débarrassa la surface de tout ce qui l’encombrait, Santo y allongea le prince et passa l’autre main au-dessus de lui.

— Pouvez-vous le sauver ? chuchota le roi d’une voix suppliante.

— Son mal est profond, Majesté, répondit Santo, cependant je crois pouvoir l’aider. Lorsque je lui aurai transmis ma force vitale, je sombrerai probablement dans l’inconscience, alors il faudra faire tout ce que le Chevalier Falcon vous demandera.

— Nous lui obéirons, assura Cull.

Santo tourna légèrement la tête vers Falcon et, pendant quelques secondes, leurs yeux échangèrent de l’information. Oui, ils étaient de véritables mages, comprit le couple royal en sentant passer une curieuse force froide et invisible entre eux. Santo se concentra ensuite sur l’enfant malade. Il leva les mains au-dessus de lui et s’exprima dans une langue inconnue. Soudain, ses paumes s’illuminèrent et la reine Olivi porta la main à sa bouche, étouffant un cri de surprise. Le jeune homme à la cuirasse verte posa ensuite ses mains lumineuses sur la poitrine de l’enfant, puis sur sa tête. Au bout d’un moment, le Chevalier se mit à trembler de façon incontrôlable et la lumière disparut de ses paumes. Il vacilla et Falcon le retint par un bras.

— Où peut-il se reposer loin des regards ? demanda-t-il au roi en dissimulant l’inquiétude que lui inspirait la défaillance de son compagnon.

La reine lui indiqua aussitôt un lit dans une alcôve. Falcon transporta Santo jusqu’à la couchette et l’étendit sur les couvertures. Il passa rapidement la main au-dessus de son corps et constata que sa force vitale était très faible.

— Tu sais quoi faire, murmura Santo, les yeux à demi ouverts.

Falcon hocha vivement la tête et lui serra l’avant-bras à la façon des Chevaliers, puis recula. Le corps de Santo s’entoura alors d’un cocon de lumière blanche et Falcon s’apprêta à monter la garde près de lui. La récupération de l’énergie, après une guérison aussi profonde, constituait un moment d’extrême vulnérabilité pour un Chevalier. Un de ses frères d’armes devait absolument demeurer près de lui afin que personne ne le touche.

Sur la commode, l’enfant s’anima sous le regard incrédule de ses parents. Jamais, depuis sa naissance, il n’avait manifesté autant de vitalité. Ses petits bras s’agitèrent dans tous les sens et, finalement, il se mit à pleurer.

— Il a réussi… Il a réussi, mon époux, murmura Olivi qui avait du mal à le croire.

Elle prit tendrement sort fils dans ses bras et le serra sur son sein avec bonheur. En les observant tous les deux, Cull savoura ce revirement de fortune. Le destin réservait parfois de telles surprises aux hommes. Il embrassa la joue de la reine et la tête du bébé et se rendit dans l’alcôve où Falcon veillait.

— Comment est-il ? s’inquiéta Cull.

— Il refait ses forces, Altesse, répondit le Chevalier. Il reviendra à lui dans quelques heures.

— Je vais vous faire préparer une chambre plus adéquate pour que vous vous reposiez tous les deux.

— Je crains que mon compagnon ne puisse être déplacé tant que la lumière le nourrit.

— Dans ce cas, je vais mettre des domestiques à votre disposition. N’hésitez pas à leur demander tout ce dont vous avez besoin.

Falcon le remercia et le roi se retira en compagnie de sa femme et de son fils. Le Chevalier tira un siège au chevet de Santo et s’y installa pour le veiller. Il ne devait pas s’endormir avant que son frère d’armes soit hors de danger et personne ne devait toucher à la lumière blanche qui entourait son corps. Les instructions d’Élund avaient été très claires à ce sujet. Il surveilla donc son visage paisible en espérant que la guérison du prince héritier leur permettrait de convaincre le Royaume d’Argent de reprendre ses relations avec le reste du continent.

Santo émergea de son inconscience quelques heures avant l’aube. Les énergies du ciel et de la terre avaient complètement rétabli ses forces et il céda aussitôt sa place à son compagnon afin que celui-ci puisse prendre un peu de repos avant le lever du soleil. Il alla boire de l’eau et installa sa chaise près de la fenêtre. Originaire du Royaume de Fal, en bordure du Désert, et ayant grandi au Royaume d’Émeraude, en plein centre d’Enkidiev, Santo ne connaissait pas vraiment l’océan. Il demeura donc appuyé à la fenêtre à admirer son immensité et à regarder les premiers rayons du soleil colorer le ciel de rose et de gris. Il savait qu’il y avait d’autres terres quelque part à l’ouest, de l’autre côté de la mer, mais elles étaient si éloignées qu’on ne pouvait pas les voir, même du sommet de la Montagne de Cristal. Et sur ces terres lointaines, vivaient des dragons qui dévoraient le cœur des êtres à sang chaud…

Falcon se réveilla au moment où un messager du roi venait les convier à sa table pour le premier repas de la journée. Les deux Chevaliers firent une toilette rapide, consacrèrent quelques minutes à la méditation et suivirent les serviteurs. Ils arrivèrent finalement dans une immense salle de marbre blanc ornée de tapisseries brodées de bleu et d’argent représentant des créatures marines inconnues d’eux. L’une d’elles était un immense poisson au dos tout noir et au ventre blanc, avec une rangée de dents acérées. L’autre était encore plus étrange : elle avait une tête ronde, fichée d’un seul œil, et une multitude de longues pattes. Wellan aurait certes pu les identifier, lui qui avait lu tous les bouquins de la bibliothèque d’Émeraude, mais pour Santo et Falcon, c’était des bêtes tout aussi effrayantes que les dragons mangeurs d’hommes.

Les deux hommes prirent place à la table du roi. Cull et son épouse affichaient tous deux une mine radieuse.

— Vous avez sauvé la vie de mon fils, Chevaliers, déclara le roi avec un large sourire. Demandez-moi ce que vous voulez, vous l’obtiendrez.

— Dans ce cas, promettez-moi, si l’un de vos enfants démontre du talent pour la magie, de lui permettre de devenir un Chevalier d’Émeraude, répondit Santo.

— Je vous en donne ma parole, fit le monarque.

Les serviteurs déposèrent sur la table du pain, du miel, des œufs et des fruits, et les deux voyageurs mangèrent avec appétit.

— Ainsi, votre mission consistait à nous annoncer le tragique destin du royaume de mon frère ? demanda plus sérieusement le Roi Cull.

— Nous sommes venus vous demander de préparer votre peuple à une éventuelle invasion en provenance de la mer, l’informa Falcon, mais lorsque nous avons vu la muraille qui entoure votre royaume, nous avons compris que vous étiez déjà en sécurité.

— Nous voulions quand même vous rencontrer et vous faire savoir que les Chevaliers d’Emeraude sont de retour, ajouta Santo.

— Nouvelle rassurante, s’il en est une, acquiesça le souverain. Quant à la muraille, j’en ai ordonné l’érection au début de mon règne pour protéger mon peuple d’éventuelles représailles des autres royaumes après le départ de mon père.

— Ce qui, finalement, vous sauvera tous, remarqua Santo.

Le roi les observa en silence pendant un moment, tout comme Emeraude Ier le faisait lorsqu’il était sur le point de prendre une importante décision.

— Dites à votre souverain que nous abriterons tous ceux qui demanderont asile si cette guerre devait éclater, déclara-t-il finalement. Mais avant de rentrer chez vous, j’aimerais que vous assistiez au rituel funéraire que je ferai célébrer en mémoire de mon frère et de sa femme.

— Ce sera un honneur pour nous, assura Falcon.

Satisfaits de l’issue de leur première mission, les deux Chevaliers burent à la santé du Royaume d’Argent.

Le Feu dans le ciel
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