12.
L'imposante figure du grand-père Chirac
« J'ai peu de souvenirs de mon grand-père
Chirac, car il est mort alors que j'avais 5 ans. Il était très
grand et fort. Dans la famille, on réduit de père en fils, en
taille et en corpulence. Mon grand-père était plus grand que mon
père, lequel était plus grand que moi. Ce doit être un phénomène de
dégénérescence ! Mon grand-père était un vrai personnage, un
bloc d'autorité. Il me terrorisait un peu. »
Ces quelques mots du président suffisent à
justifier qu'on aille faire connaissance avec son aïeul et son
père, même si la connaissance de l'hérédité n'a jamais fait partie
des sciences exactes. Jacques Chirac nous ouvre néanmoins une piste
en affirmant – à tort – que les deux Chirac qui l'ont précédé
étaient plus grands et plus forts que lui, et qu'ayant beau être le
premier des Français, il n'est pas le plus grand des Chirac… Il
voit en son aïeul un homme de quelque deux mètres, dépassant son
fils de cinq centimètres et son petit-fils de dix… Or Jacques
Chirac l'aurait dépassé de cinq centimètres, et son père de
huit !
Bernadette Chirac est elle aussi convaincue
1 que Louis Chirac a exercé
une grande influence sur son petit-fils, alors même qu'il est mort
quand le petit Jacques n'avait pas l'âge de raison : « Il
en avait une peur épouvantable […]. Mais si mon mari n'a finalement
pas connu ses grands-parents, je crois beaucoup à l'hérédité sur le
plan du caractère. En le regardant évoluer au jour le jour, dans sa
manière de travailler, d'exposer un dossier, je reconnais le
didactisme de l'instituteur. »
Laissons à nouveau le président égrener ses
propres souvenirs : « Mes quatre grands-parents étaient
instituteurs laïcs, mais le plus imposant était le grand-père
Chirac. Il était maître d'école et il a terminé sa carrière à Brive
comme directeur de l'école Firmin-Marbot, qu'on appelle aujourd'hui
école Chirac. Si vous demandez l'école Firmin-Marbot, les gens ne
savent pas ce que c'est, mais si vous demandez l'“école Chirac”,
tout le monde connaît. Il a été un grand directeur d'école. Une
autre chose connue est qu'il fut franc-maçon. J'ai même retrouvé
dans le grenier de ma petite maison de Sainte-Féréole des
accessoires de franc-maçon : c'était de notoriété publique.
Michel Baroin 2 , un de mes grands amis, m'en parla comme de
quelqu'un qui avait une place éminente dans la
franc-maçonnerie.
« Brive vivait au rythme des éditoriaux
virulents que se lançaient chaque semaine le chanoine Chastrusse,
dans le journal local catholique, et mon grand-père, dans le
journal local de gauche. Plus tard, Louis Chirac a été
correspondant de La Dépêche, et en
était bien vu. Ce n'était pas un correspondant ordinaire, c'était
une personnalité. »
Jacques Chirac me quitte pour aller chercher un
dossier sur son grand-père. Il revient avec quelques photocopies
d'articles de journaux, celle de sa carte de correspondant de
La Dépêche de Toulouse, et quelques
lettres de son père datées de 1943 et 1945 à propos de
ravitaillement et d'utilisation de « points » pour
l'habillement.
À partir de là, je ne pouvais faire l'économie
d'une enquête en Corrèze…
Louis Chirac est né le 29 octobre 1868 à
Beaulieu-sur-Dordogne, de François Chirac, charpentier, installé
place du Champ-de-Foire, et d'Anna Moutet. Il est longtemps resté
attaché à son village natal qui ne manqua pas d'atouts pour retenir
ses enfants. Si les chantiers de construction de gabarres
commencent à péricliter à cause du développement du chemin de fer,
le château d'Estresses, où les Normands furent arrêtés par le roi
Eudes en 889, ainsi que son abbatiale Saint-Pierre, fondée au
ix e siècle, rattachée à Cluny au xi e siècle,
défient le temps. Louis a-t-il été marqué, quand il avait 6 ans,
par la mort à l'âge de deux mois de son frère Pierre ? Quelles
étaient les relations des Chirac de la place du Champ-de-Foire avec
les autres Chirac, cultivateurs de Beaulieu ? Je sais
seulement que Louis, comme son copain Bouffard, ont été remarqués
par l'instituteur et incités à poursuivre leurs études. Le
charpentier a accepté que son fils emprunte l'« ascenseur
social » et s'est pour cela saigné aux quatre veines, comme on
disait alors…
Louis passe son brevet élémentaire le 1er avril 1885 et intègre ensuite – comme
Bouffard – l'École normale de Tulle, avec la place de major de sa
promotion. Il passe son brevet supérieur le 30 juillet 1888 et est
nommé, le 1er octobre,
instituteur-stagiaire à Beaulieu. Rien ne pouvait lui faire
davantage plaisir, car non seulement il aime Beaulieu plus que tout
au monde, mais avec ses mille francs de traitement annuel, il va
pouvoir aider ses parents, usés, ainsi qu'une vieille grand-mère,
qui, sans lui, ne pourraient mener une vie décente 3 .
Tout le monde semblait être satisfait du jeune
instituteur bellocois quand, en 1893, deux rapports d'inspection
sévères sont rédigés contre lui. Le premier, le 9 juin, estime
qu'il a mal expliqué le mot « liberté », qu'il surveille
mal le travail de ses élèves, et qu'il a écrit au tableau noir
« Mac Maon », en oubliant le h, et « Crèvy » au
lieu de Grévy. Le second, le 18 novembre, lui reproche de n'avoir
pas préparé ses leçons, de lire mal la fable du Héron, et conclut : « Il ne réfléchit
guère, son enseignement est banal, terre à terre, sans
idéal. » Ces rapports critiques sont-ils inspirés par une
cabale politique fomentée à son encontre ? Il est soupçonné
d'être « mielvacquiste » : avait-il pris fait et
cause pour Michel Mielvacque de Lacour, député républicain
progressiste et socialiste de Brive (1893-1898), à la réputation
sulfureuse ? ou s'agit-il – plus probablement – d'une cabale
étayée sur ses relations avec un homonyme du député, Marcel
Mielvaque 4 , né à Beaulieu en 1867, soit moins d'un an
avant Louis Chirac ? Toujours est-il qu'en 1894, le jeune
instituteur est muté à Ségur, à une bonne centaine de kilomètres.
Il râle, tempête contre ce qu'il estime être une grave injustice.
Il écrit à l'inspecteur d'académie pour exprimer son
mécontentement, protester qu'il est le principal soutien de ses
parents et de son aïeule « qui ne vivent et n'ont jamais vécu
que pour moi ». À Ségur il est en effet dans l'impossibilité
de leur venir en aide, d'autant qu'en quittant Beaulieu il a perdu
un certain nombre d'avantages, notamment en ne donnant plus de
cours particuliers. Il estime cette perte à quelque trois cents
francs par an. Il sollicite une nouvelle affectation dans le canton
de Beaulieu.
Ses démarches pressantes ne sont guère
appréciées : « M. Chirac a le tort grave de n'avoir
pas confiance uniquement en ses chefs… » Il n'en continue pas
moins à réclamer son changement d'affectation, car il s'est marié
avec Honorine Dumay, institutrice à Cahus, dans le Lot, et serait
même prêt à quitter la Corrèze pour l'y rejoindre. Finalement, il
obtient partiellement satisfaction. L'inspection d'académie le
nomme à Collonges en mai 1897, le rapprochant ainsi de Beaulieu, et
son épouse est affectée pour sa part en Corrèze, ce qui met fin à
près de deux années de séparation.
Il était temps : Abel Chirac naît en effet le
6 janvier suivant à Beaulieu, au domicile des parents de
Louis.
Louis ne reste que quelques mois à Collonges. Il
est muté jusqu'en 1901 dans la petite commune médiévale de
Donzenac, mais postule toujours son retour à Beaulieu. En septembre
1899, il prétexte la mort de sa mère, la maladie de son père,
67 ans, et les 85 ans de sa grand-mère pour réitérer sa
requête. Il est finalement nommé à Queyssac où le couple va rester
sept ans.
Sa femme et lui ne se plaisent guère dans cette
nouvelle affectation car « Queyssac est déshéritée et
arriérée », qu'elle n'a pas l'eau courante et que les
communications y sont difficiles. Invoquant la « néphrite
aiguë, avec complications cardiaques, de son père », il se
démène pour quitter Queyssac. En 1908, il demande n'importe quel
poste à Brive afin d'inscrire leur jeune fils Abel – père du
président de la République –, qui a maintenant 10 ans, dans
une école secondaire. Leur enfant étant d'« un tempérament
délicat », les Chirac n'ont jusque-là pas voulu s'en séparer
et l'ont gardé près d'eux à Queyssac.
En décembre 1908, Honorine Chirac est nommée dans
une école maternelle de Brive et Louis, adjoint-titulaire à l'école
publique de garçons de la rue Firmin-Marbot, également à Brive. Les
Chirac sont manifestement heureux de cette affectation après plus
de vingt ans de bons et loyaux services dans des communes rurales.
« Hussard noir de la République », Louis va y donner sa
pleine mesure, inculquer ses valeurs de solidarité et de fraternité
à des élèves dont il veut faire des citoyens responsables, dans
cette République dont il est un fervent militant. En juin 1912,
l'inspecteur qui vérifie ses aptitudes est impressionné :
« On chante chez M. Chirac en entrant en classe et en
changeant d'exercice. Cela jette une note gaie au milieu de la
sévérité de la classe, et délasse… Cela, malgré une classe très
nombreuse, très pénible… »
Alors que son fils Abel vient de partir pour la
guerre, Louis est nommé directeur de son école à titre provisoire.
En 1919, il passe directeur titulaire. Ses rapports d'inspection
sont élogieux. Celui de 1923 le qualifie de « très bon
directeur » après que l'inspecteur s'est dit impressionné par
sa leçon de morale sur la solidarité et l'entraide. Chaque
inspection se conclut désormais par une lettre de félicitations. La
dernière a lieu le 22 avril 1929. On y apprend que Louis Chirac
fait apprendre par cœur des poèmes des Châtiments, notamment « Les Soldats de l'an
II », mais aussi un portrait de La Bruyère et un poème de
Clément Marot. Il vient de faire étudier la biographie de Voltaire,
le mouvement des idées au xviii
e siècle… En histoire, il a fait
travailler ses élèves sur la guerre d'indépendance américaine. Le
rapport se termine par : « Il donne à tous l'exemple du
travail et de la probité professionnelle, et c'est évidemment ce
qui lui vaut une autorité incontestée et un prestige bien mérité.
Aussi son école se place-t-elle parmi les meilleures. Très
bien. »
Apprécié des parents d'élèves, Louis Chirac va
rapidement devenir une personnalité briviste. Éducateur du peuple,
c'est à partir de l'importance qu'il attache à la laïcité et à la
défense de l'école publique que ce promoteur acharné des principes
républicains va étendre son champ d'action. Franc-maçon, il devient
même Vénérable de la loge La Fidélité à l'orient de
Brive-la-Gaillarde. Cet engagement au service du progrès de
l'humanité va trouver de nombreuses applications concrètes sur les
terrains politique, philosophique et social. Membre très actif du
bureau du Parti radical-socialiste de l'arrondissement de Brive, il
s'engage dans tous les combats de l'entre-deux-guerres. Il adresse
des lettres d'insultes à Charles de Lasteyrie, député de Corrèze
(1919-1924), ministre des Finances dans le cabinet Poincaré
(1922-1924). Ironie de l'histoire : Jacques Chirac, son
petit-fils, épousera Bernadette, la propre nièce de
Lasteyrie !
La grande spécialité du directeur d'école sera
surtout de « bouffer du curé » avec une franche
allégresse, surtout dans la période du Cartel des gauches qui
relance la guerre entre catholiques et laïcs comme au temps du
petit père Combes. L'évêque de Tulle, monseigneur Castel, se montre
particulièrement virulent envers les francs-maçons. Dans le premier
numéro de l'Union catholique de
Corrèze, daté d'octobre 1925, il fustige ces
« personnages [qui] travaillent dans le mystère […] et se sont
attaqués à tout ce qui faisait la force et la beauté de la France
chrétienne ». Les Unionistes
réclament à chaque numéro l'abrogation des lois contre les
congrégations de 1901 et de 1904 5 . Leur cheval de bataille est le retour à la
liberté de l'enseignement. « La liberté d'enseignement
existe-t-elle en France ? » interrogent-ils. Les
catholiques corréziens n'admettent pas que dans leur département,
seulement un enfant sur dix fréquente l'école libre ; aussi
fêtent-ils en grande pompe l'ouverture à Brive d'une école Bossuet.
Pour les aider dans leur combat contre les francs-maçons locaux,
ils appellent à la rescousse des personnalités qui feront plus tard
figures de sinistres sires comme Xavier Vallat, alors député de
l'Ardèche (à Brive le 13 octobre 1929 à la salle
Saint-Libéral) ou Philippe Henriot (au Congrès diocésain du
4 octobre 1931).
Mais les banquets laïcs organisés autour d'Henri
Chapelle, maire radical-socialiste, et du sénateur Labrousse,
remportent toujours autant de succès. Et quand Chapelle parle de la
laïcité comme du « piédestal de la République », son ami
Louis Chirac n'est pas le dernier à applaudir.
Ce dernier polémique certes avec curés et évêque,
rédige des tracts, mais il se dévoue surtout sans compter pour de
nombreuses œuvres qui viennent en aide à la classe laborieuse. Il
sera ainsi longtemps secrétaire général de la société de
gymnastique La Gaillarde, mais aussi président de l'Université
populaire (après en avoir été nommé vice-président en mars 1924
6 ), vice-président de
l'Association des anciens élèves des Écoles laïques, secrétaire de
la section cantonale des pupilles de la nation…
Après une telle somme d'activités, Louis Chirac
aurait pu profiter quelque peu de sa retraite, qu'il prend à la fin
de l'année scolaire 1930-31, mais il va au contraire se mettre plus
que jamais au service des autres. Repéré pour ses talents de
polémiste par La Dépêche de Toulouse,
il est sollicité pour prendre la place de rédacteur-correspondant à
Brive, laissée vacante par un certain Royer qui vient de trépasser.
Il devient donc journaliste le 26 mai 1931. Activité qu'il va mener
avec brio sans délaisser pour autant les autres, notamment celle de
responsable de la gestion de l'Office des habitations à bon marché
(HBM), qui lui a été confiée par son ami Henri Chapelle, maire de
Brive, lequel a fait construire la Cité des Roses où sont logées
quelque cent familles nombreuses à revenus modestes. Sa gestion ne
se limite pas à l'encaissement de loyers très modérés ni à l'écoute
des problèmes de ses administrés : il fait de cette cité un
lieu de convivialité, y organise des fêtes, y fait venir des gens
de théâtre, des musiciens, des forains… Il traduit là dans les
faits son engagement « Front populaire ».
Avant de s'enflammer pour la coalition de gauche
en 1936, Louis Chirac s'est battu pour défendre la République
quand, en février 1934, il l'a crue menacée. À la fin de cette
année, à l'occasion des élections au Conseil d'arrondissement de
Brive, il revendique haut et fort ses engagements. Il ouvre les
colonnes de La Dépêche aux trois
candidats de gauche, ce qui lui vaut une violente philippique du
Courrier du Centre, auquel il riposte
le 1er décembre 1934 :
« … Tous trois sont également attachés à la
défense des idées laïques et républicaines, au progrès social de la
démocratie. Cela vous paraît intolérable. Pour un peu, vous le
déclareriez immoral. […] Tout doux, cher monsieur. Regardons un
peu, s'il vous plaît, les deux “blocs” en présence.
« À gauche, je le répète, parce qu'il ne faut
pas se lasser de le dire, le bloc de tous les républicains qui
demeurent invariablement fidèles à leurs principes, à leur
programme, qui travaillent et qui luttent pour la paix – oui, la
paix intérieure et extérieure, la concorde et la fraternité sociale
– et non, comme vous le dites dans un but par trop intéressé, pour
la révolution ; le bloc de tous ceux qui placent au-dessus de
tout la défense de la République et des droits de la représentation
nationale… »
Après une charge contre le « bloc des
droites », Louis Chirac conclut : « Et c'est pour
cela que dimanche prochain, toutes les forces de gauche feront bloc
contre vos troupes bigarrées. Le résultat de la bataille ne saurait
être douteux : le drapeau républicain en sortira
victorieux ! »
Ce même 1er décembre
1934, Le Petit Gaillard, journal
catholique de Brive-la-Gaillarde, s'en prend lui aussi aux
« cabrioles mirlitonnesques » de Louis Chirac :
« Il en vient à dire que tous ses lecteurs – rares, du reste –
voteront pour son candidat, mais il n'ose pas le nommer. Au fond,
il espère que les radicaux de sa teinte blafarde, embarrassés, se
résigneront à voter pour lui-même… »
En ces temps politiquement agités, Louis Chirac
est de toutes les manifestations, à la fois comme militant et au
titre de journaliste. Il relate avec ferveur le rassemblement
populaire qui a regroupé plus de cinq mille personnes à Brive, le
14 juillet 1935, et le serment solennel qui a été prononcé, ce
jour-là, de « rester unis pour le pain, la paix et la
liberté ». Il applaudit quand, après les élections du
printemps 1936, il constate que la discipline républicaine a
parfaitement été respectée dans l'arrondissement de Brive, même si
son ami Chapelle a été obligé de se désister en faveur de Jean
Romajon, adjoint au maire socialiste. Le 23 mai 1936, il
participe au Congrès de l'Union française pour le suffrage des
femmes qui se tient cette année-là à Brive. Il est à la table
d'honneur du banquet qui clôt, à l'hôtel Montauban, le
rassemblement des féministes. Quelques journaux reproduisent une
photo où on le voit au milieu d'un groupe de congressistes sous une
banderole proclamant : « Les Françaises veulent
voter ! » Il encourage les femmes de Brive qui défilent
pour exiger le droit de vote.
Brive peut alors être fière de compter deux
Corréziens au sein du gouvernement Léon Blum : Charles
Spinasse, ministre de l'Économie nationale, et Suzanne Lecorre,
sous-secrétaire d'État à la Protection de l'enfance. Quand, le 14
juillet 1936, tous deux viennent inaugurer, à Brive, le Foyer
social de l'enfance, et se retrouvent parmi les militants du
Rassemblement populaire qui, l'année précédente, ont fait le
serment solennel de rester unis « pour le pain, la paix et la
liberté », Louis Chirac rassemble ses plus beaux adjectifs
dans un article exceptionnellement long et dithyrambique destiné à
célébrer l'événement dans La
Dépêche.
Le 25 août 1936 a lieu à Brive un meeting de
soutien aux Républicains espagnols, rassemblant plus de cinq cents
personnes qui concluent la réunion en entonnant L'Internationale. « Les Républicains et
antifascistes de Brive se déclarent solidaires de leurs frères
espagnols », écrit dès le lendemain Louis Chirac. Nul besoin
de solliciter beaucoup ses écrits pour affirmer qu'il doit être
fier de travailler pour un journal qui, dès le déclenchement de la
guerre d'Espagne, a consacré toutes ses unes et une part importante
de son espace à la défense des Républicains et des brigadistes
internationaux venus les soutenir. Il se sent alors en parfaite
harmonie avec son journal, sa municipalité, son parti. Brive
accueille des réfugiés d'outre-Pyrénées. Comme tous ses amis, il
est convaincu que « le fascisme ne passera pas ». Dans
La Dépêche datée du 6 janvier 1937,
d'une plume enthousiaste, il rapporte les discours tenus à Brignac
à l'occasion d'une réunion du Rassemblement populaire. Les envolées
communistes et pacifistes ne l'ont pas choqué. Il en est
convaincu : « Après une telle journée à Brignac, nous
sommes assurés que le fascisme ne passera pas… » En ce même
mois de janvier, il est élu président du Syndicat de la Presse
briviste et réélu assesseur au bureau du Parti radical-socialiste
de l'arrondissement.
Il meurt le 8 mai 1937. Ses obsèques, dignes d'un
ministre, qui ont lieu le 11 mai, attirent une foule considérable.
De nombreux discours sont prononcés, où il est question du
« grand vide qu'il laisse dans le parti
radical-socialiste » ainsi que « dans les différentes
organisations locales de défense laïque et d'éducation
populaire ». Bouffard, son copain d'enfance, devenu directeur
de l'autre école publique de Brive, résume en ces termes tout ce
qui s'est dit ce jour-là : « … Chirac avait une âme
ardente, facilement enthousiaste, une intelligence très vive qui
m'a toujours subjugué, un savoir étendu. Doué en même temps d'une
énergie qu'accentuait un organe puissant, il avait tout ce qui
donne l'autorité […]. Mêlé à la vie publique comme correspondant du
journal La Dépêche de Toulouse, il
s'était bientôt imposé par la sûreté de ses informations, de ses
jugements, par la tournure franchement littéraire de ses articles,
et, de ce fait, acquit une influence incontestable et souvent
heureuse dans les affaires politiques et dans la vie de la
cité. » Même les journalistes qui ne partagent pas ses idées
louent son « esprit de tolérance et de liberté qui fait la
force des démocraties », ajoutant qu'« il défendait ses
idées avec une ardeur et un courage qui le faisaient respecter de
ses adversaires ; ses polémiques ardentes étaient dégagées du
sectarisme étroit et de la calomnie ; il savait toujours
garder la mesure et la courtoisie la plus parfaite ».
Un journal signale même, sans citer son prénom,
que le petit-fils de Louis Chirac assistait aux obsèques. Le
président de la République n'en garde aucun souvenir.
2 Ancien grand-maître du Grand Orient
de France, ancien patron de la Fnac, décédé dans un accident
d'avion en Afrique le 5 février 1987.
3 Les éléments relatifs à la carrière
de l'instituteur Louis Chirac ont été puisés dans son dossier
administratif déposé aux Archives départementales de Corrèze sous
la cote W1801A.
4 Voir la revue régionaliste
Lemouzi de 1907, dans laquelle
Mielvacque a écrit un long article sur Beaulieu. Après avoir quitté
le bourg, il a fait une petite carrière d'écrivain.
5 La première soumettait les
congrégations à une étroite surveillance ; la seconde leur
interdisait tout enseignement.
6 Un certain Jarrige en était alors
secrétaire-archiviste.