CHAPITRE X

Ils passèrent une soirée à l’atmosphère curieuse. Ils se sentaient très liés. Plus que jamais auparavant. Et curieusement confiants. Dans les alcôves voisines, de jeunes officiers d’un transport qui venait d’arriver fêtaient bruyamment quelque chose. Ils rentrèrent avec le plateau peu après 22 heures.

— J’appelle Ping, dit Michelli en fermant la rampe de la soute derrière le plateau.

— Moi, Grosse Tête, fit Ael.

— Et moi ? demanda Katel. Où est-ce que j’en suis ?

Ael la regarda dans les yeux.

— Katel, tu ne risques plus rien, ni de ton frère, ni de n’importe quelle autre sale aura, directement ou par chantage aux sentiments, je te le promets. J’ai placé un verrouillage qui te rend totalement indépendante et te garde ton libre-arbitre. Si tu veux, pour te redonner confiance, mets-toi en communication avec Grosse Tête en même temps que moi. D’ailleurs, j’aimerais bien avoir ton avis sur une chose : est-ce que les auras connaissent l’existence, chez un télépathe, des autres dons qui se sont développés en nous, sondage, téléportation, télékinésie, etc. Ça te va ?

— Tu ne crains pas qu’il me décèle ?

— Tu lui parleras ; avant, laisse-moi discuter avec lui, comme si tu écoutais et sonde-le.

— Je me demande si je réussirai à passer inaperçue.

— Tu es la meilleure de nous trois pour ça. Il te suffira d’attendre que je te fasse signe pour entrer en contact avec lui.

— D’accord.

Ils se rendirent au carré et placèrent deux cristaux, l’un devant Michelli et l’autre entre Ael et Katel. Puis ils se concentrèrent, à l’exception de la jeune femme.

— “Je suis content que tu appelles, petit,” fit la voix de Grosse Tête. “Mes amis sont à l’écoute. Est-ce que des choses ont changé, pour vous ?”

— “Oui,” dit Ael. “Je ne sais pas si vous êtes au courant de ce que font les sales auras ? Nous en avons beaucoup parlé et Katel nous a raconté.”

Ael fit signe à Katel de se concentrer.

— “Ah, te voilà, Katel… C’est bien ce que je pensais, tu as une très belle aura. Ael a de la chance.”

— “Je me sens encore mal à l’aise,” émit l’électronicienne. “Je suis encore traumatisée par ce qui s’est produit et j’en parle difficilement. Ael le fera mieux que moi.”

— “Sois tranquille, je sens beaucoup d’équilibre en toi,” fit une autre voix. “C’est moi qui viens d’une autre galaxie, dans notre groupe, Ael a dû te le dire.”

— “Oui, il nous a rapporté ses conversations avec Grosse Tête. Mais je préfère vous écouter, pour l’instant, le temps de reprendre confiance en moi.”

Grosse Tête revint.

— “Explique-toi, Ael. Tu as commencé à dire quelque chose d’important.”

— “Je crois que les sales auras ont un certain pouvoir sur des vivants qui leur sont proches et qu’ils peuvent dominer pendant un moment.”

— “Sur les vivants ?” dit une autre voix encore, d’un ton stupéfait.

— “C’est l’un de mes deux amis qui a vécu dans votre galaxie, dans une civilisation bien avant la vôtre,” précisa Grosse Tête.

— “Sur les vivants, oui,” répéta Ael. “Je crois que leur influence vient de la haine qui est en eux. Brad, le frère de Katel, a été tué au combat, au cours d’une bataille à laquelle j’ai moi-même participé. Il ressent une formidable haine à l’égard d’Altaïr, et celle-ci a submergé Katel. Je pense aussi qu’il lui en a habilement parlé en évoquant leur enfance. Elle s’est trouvée… contaminée par cette violence, amplifiée par le fait que je suis d’Altaïr. Et le hasard a fait qu’elle s’est trouvée en face de moi aussitôt après leur conversation. En revanche, il me semble que cette ‘influence’ que les sales auras développent par la puissance d’un sentiment, ne dure qu’un moment, en nous.”

— “C’est très intéressant,” fit l’aura issue de la Voie Lactée. “Nous ne savions pas cela. Maintenant que nous sommes prévenus, nous allons alerter tout le monde, surveiller ces mauvaises auras en permanence et les isoler, surtout. Si nous sommes assez nombreux, nous devrions pouvoir brouiller leurs contacts avec des vivants, s’ils se produisent. On ne peut pas laisser ces auras intervenir directement sur les vivants et, surtout, exercer leur cruauté, leur méchanceté. Parce qu’il y a ici des auras de dictateurs !”

Ael ne sentait plus la présence de Katel, elle devait sonder quelqu’un.

— “Il demeure que le fait s’est produit puisqu’une jeune aura comme ce Brad est capable de le réaliser,” poursuivait la même voix. “Dans une certaine mesure, nous devons une réparation aux vivants. Tu as dit que tu n’avais pas besoin d’aide, petit. En es-tu sûr ?”

— “Si, nous avons besoin d’être aidé, bien entendu, mais je ne veux pas abuser de la chance qui m’a mise en contact avec vous.”

— “Mais tu ne nous voles rien, nous ne sommes plus vivants ! Tu sais, dans l’univers, rien ne se perd, rien ne se crée. Y compris la Connaissance. Un peu comme si tout ce qui a été découvert par une civilisation devait l’être par les suivantes. C’est un phénomène étrange dont nous n’avons jamais découvert le processus. Bien sûr, on peut penser que chaque recherche aboutit aux mêmes résultats, ici ou ailleurs, et que tous les scientifiques sont à la poursuite de la Connaissance. Donc, nous redécouvrons les mêmes choses, les uns après les autres. Mais il semble parfois y avoir d’étranges raccourcis, car elle arrive très vite dans certaines civilisations, pourtant séparées des précédentes par des millénaires, et dans des galaxies différentes. Il y a cependant un point commun à toutes les galaxies, tu dois le savoir, elles sont composées des mêmes éléments chimiques de base, donc les Lois qui les régissent sont identiques, de l’une à l’autre. Mais cela n’explique pas des progrès foudroyants, ici ou là. Dans notre cas, nous pourrions te donner des éléments qui vous feraient progresser plus vite et nous tenons peut-être là un début d’explication.”

Ael fut un moment troublé par cette révélation puis il revint à leur conversation.

— “Moralement j’aurais pourtant l’impression de vous dépouiller ou… de n’avoir pas ‘mérité’ cela. Notre morale nous dicte qu’il faut travailler, se donner de la peine pour aboutir. Dans un autre domaine, jamais je ne porterais une décoration que je n’ai pas obtenue réellement, par exemple. Me comprends-tu ?”

Une nouvelle aura intervint dans le débat, qui se présenta comme étant l’autre Voie Lactéenne.

— “Tu reconnais que votre projet est quasiment utopique sans moyens financiers. Moi je pense que, même avec ceux-ci, il faut une bonne dose d’optimisme pour croire qu’on peut le réaliser !”

— “Pas moi. Je suis sûr qu’on réussirait à sauver, disons des centaines, voire quelques milliers d’hommes. Je sais que le chiffre parait négligeable, au regard de l’univers. Mais ce sont des hommes et des femmes qui souffrent. Alors, même s’ils n’étaient que quelques centaines, je me battrais.”

Ael sentit la main de Katel frôler la sienne. Elle avait terminé son sondage et voulait intervenir.

— “Ael ne veut rien demander aux autres,” dit-elle, “il est comme ça. Sa morale est parfois agaçante d’intransigeance. Moi, qui n’ai pas une aussi belle âme que lui, je sais que sans aide nous sommes fichus. Nous continuerons mais nous perdrons. Il va m’en vouloir mais moi, je suis prête à accepter de l’aide, avec joie et reconnaissance. Je suppose que vous devez voir que je suis sincère.”

— “La civilisation à laquelle nous appartenions, mon… ah c’est vrai que l’absence de nom est gênante dans une conversation avec des vivants ! Pour nous, l’identité de celui qui nous appelle est immédiatement perçue.” reprit le premier Voie Lactéen. “Je comprends mieux le surnom qu’Ael a donné à notre ami ‘Grosse Tête’. Bref notre civilisation a disparu dans une terrible guerre où nous avons utilisé l’anti-matière. Nous avons ainsi fait disparaître des constellations entières de la galaxie, qui a bien failli exploser, ou plutôt imploser. Nous nous sommes tués nous-mêmes. Nous en étions à un niveau élevé de la technologie. Il se trouve que nous étions tous deux scientifiques et nous avons été intrigués par vos Coms, à base de cristaux naturels, ou artificiels, que vous appelez quartz, je crois. Il y a pourtant tellement plus efficace, beaucoup plus puissant, surtout, que ces choses si primaires !”

— “Mais nous ne l’avons pas encore découvert, nous n’en sommes pas là,” intervint Ael en s’amusant.

— “C’est pourtant extrêmement simple. Et je suis sûr que vous connaissez les principes utilisés, mais que vous ne les avez pas reliés. Katel, veux-tu que nous fassions un essai. Nous allons mettre au point un lexique des symboles mathématiques et physiques, entre ton monde, ta civilisation et les nôtres, afin d’utiliser le même langage mathématique ?”

— “Ah, ça, c’est très excitant, d’un point de vue scientifique,” répondit-elle immédiatement. “J’écoute.”

Ael décrocha très vite. Ils étaient en train de refaire les mathématiques et il n’était pas d’un niveau suffisant pour les suivre jusqu’au bout. Levant les yeux il vit que Michelli avait terminé et bouillait d’impatience. Il sourit et lui montra la porte. Ils se levèrent en silence et sortirent.

— Ça remue salement chez les auras de nos morts au combat, commença-t-il, à tous les niveaux et aussi bien chez ceux d’Altaïr que de Procyon. J’ai même parlé à un Général, tu te rends compte ? Moi, un Sarmaj ! Et il m’a même pas snobé ! Ils sont dans une rogne folle. D’autant plus que pour beaucoup d’auras, Altaïr ou Procyon, il n’y a plus de différence. Aussi, le fait que Katel soit avec nous les rapproche encore plus de notre projet. Eux ont compris tout de suite que le fric est ce qui nous manque le plus. Ils disent qu’ils se sont tous mis en communication constante, depuis que Ping leur a raconté notre histoire et notre prise de contact !

Il était tellement excité qu’Ael devina qu’il n’en avait pas fini.

— Tu sais ce que le Général m’a dit ? Que ça lui donnait l’idée de refaire la même chose que nous ! Qu’il avait un compte financier codé. Quand son titulaire disparaît, il faut dix ans pour qu’il revienne à l’État. Et il m’a donné son code ! On peut en transférer le contenu sur notre compte à nous, dans l’Union. Et des tas d’autres ont un peu d’argent, placé d’une manière ou d’une autre, il paraît que c’était courant là-bas, à Procyon et chez nous, c’est fréquent chez les gars qui travaillaient dans le civil, avant la guerre. Ils cherchent le moyen de nous le faire récupérer.

— Bon Dieu, Michelli, tu as fait un boulot fabuleux ! Pourtant… on ne va pas le transférer sur notre compte mais sur un nouveau compte que va ouvrir la Fédération de l’Amas, elle-même, à Véga XX. On y aura accès tous les trois. Personne ne pourra y mettre son nez, de cette façon. Dès demain, on s’occupe de ça.

— Ping dit aussi que, d’après les gars de la Spatiale, il y a peu d’unités où on pourra récupérer des Props ou des systèmes Tunnel. Mais les Procyons affirment qu’il y a certainement des surplus en vente, chez eux. Et qu’ils vont bien trouver un scientifique qui nous donnera le moyen de faire commander les pièces de condensateurs Tunnel qu’on pourra assembler nous-mêmes. Et la même chose avec des petits Props de la fin de la guerre, plus performants que ceux de nos Patrouilleurs…

— Alors, il faut qu’on s’occupe de trouver des renforts, Sarmaj. On ne va pas pouvoir faire face. On va laisser tomber nos Coms à cristaux, pour l’instant, et revenir vers Altaïr pour essayer de récupérer les dossiers militaires de types encore vivants et retrouver ceux-ci. Viens, je dois me rajouter à la communication avec Katel.

— Je peux venir aussi ?

— Bien sûr, ça sera encore mieux qu’ils nous connaissent tous.

Ils revinrent dans le carré. Katel avait noirci de symboles une feuille de plasto et continuait à écrire. Ils s’assirent et se concentrèrent.

— “Ceci nous est inconnu,” émettait la jeune femme.

— “C’est une contraction commode de la formule alpha, dans ton langage.”

— “Oh, il suffit de la remplacer par ce symbole ?”

— Voilà. C’est pourquoi nous avons des formules définitives qui sont aussi courtes. Tu as tout noté ?”

— “Oui. Mais vous ?”

— “Nous notre mémoire s’est considérablement développée ; nous allons retenir votre langage mathématique. Mais, par sécurité, enregistre sur un petit ordi de calcul, comme tu dis, la concordance des symboles. Ensuite, il te suffira de lui donner des ordres pour qu’il les traduise tout de suite.”

— “C’est ce que je vais faire, dès ce soir.”

— “Vous avez fini ?” demanda Ael, entrant dans le circuit.

— “Oui. Ton amie est plus réaliste que toi,” dit Grosse Tête, “elle possède maintenant les calculs de réalisation d’un appareil de communication instantané que vous allez pouvoir fabriquer et vendre afin d’avoir les moyens de vous mettre rapidement à chercher les survivants. Ses principes ne sont pas trop en avance sur votre époque. Mais nous nous demandons comment vous allez vous y prendre, à trois, pour trouver ceux que vous cherchez ? La tâche nous parait impossible. Même avec ce que vous allez gagner avec ce Com, vous n’aurez pas suffisamment de moyens financiers. Il y a tant de planètes à visiter. Tu devrais accepter que nous t’aidions davantage.”

— “Je te l’ai dit cela me gêne, j’ai l’impression de vous piller. Nous partons demain pour Altaïr. Je te tiendrai régulièrement au courant… Merci, Grosse Tête et merci à tes amis.”

 

Avant de partir pour Altaïr, ils étaient retournés sur Véga XX pour ouvrir un compte “fédéral” dans un important groupe financier, au nom de la Fédération Libre de l’Amas, auquel ils avaient accès tous les trois, avec leur statut de “découvreurs.” Ils y avaient finalement fait virer tous les Ters dont ils disposaient encore. Un compte, à Véga, inspirerait la plus grande prudence à quiconque voudrait leur jouer un sale tour. En outre, c’était une garantie auprès des grandes Compagnies.

Ensuite, ils s’étaient offerts le plaisir d’enregistrer sur place la nouvelle immatriculation de la Barge, premier bâtiment de la Fédération ! Ils avaient, désormais, accès aux astroports inter fédéraux les plus importants, hors taxes.

Après quoi, ils avaient plongé en Temps Relatif vers Altaïr II. Pendant le voyage, Michelli avait reçu de Ping les coordonnées des comptes des auras des combattants d’Altaïr et de Procyon. Il y en avait une telle quantité qu’il enregistra un quartz entier. Chacun des comptes contenait assez peu de Ters, mais ensemble, ce serait certainement une somme appréciable, si les autorités ne les avaient pas déjà vidés.

Katel trima sur l’ordi de calcul pendant presque tout le voyage. Mais à la fin de ses études elle avait trouvé comment partager en trois éléments, totalement différents, les composants de ce nouveau Com.

Deux jours avant l’arrivée sur Altaïr II, elle arriva au carré avec un grand sourire.

— J’ai enfin compris.

— Quoi ? demanda Michelli en choisissant un plat.

— Comment fonctionne leur Com. Jusque-là, j’ai fait les calculs qu’ils m’avaient indiqués sans saisir le principe et puis, en terminant le partage des composants, d’un seul coup tout s’est éclairé.

— Compliqué ? demanda Ael.

— Quasiment enfantin. Mais l’idée de départ est géniale. Ils utilisent une variante du phénomène Tunnel, très largement amplifié, en l’adaptant aux ondes radio ! Je suppose qu’elles passent en Relatif et essaiment, tout au long de la plongée, des copies de leur contenu, vers l’espace libre, de manière à diffuser partout. Personne n’a jamais imaginé que l’effet Tunnel s’appliquait aux ondes… Il n’y aura pas de problème.

— Et il t’a fallu autant de temps pour comprendre ? demanda Michelli.

— Petit malin va ! Bon, je ne voulais pas vous en parler déjà… Le copain de Grosse Tête qui vient d’une autre galaxie m’a donné les plans et les principes physiques d’un Transmetteur atomique pour résoudre nos problèmes de transport.

— Besoin que tu m’expliques, fit Ael.

— C’est l’application d’un principe de physique. Tu décomposes la matière en atomes indépendants qui sont éjectés, transportés, canalisés, en une fraction de temps, d’un endroit précis à un autre où se trouve une balise de réception, où les atomes se reconstituent. Si tu veux c’est l’inverse de nos armes RCM, les Rupteurs de Cohésion Moléculaire. Et ce n’est pas si éloigné de notre technologie que ça, pour cette raison. Au lieu de provoquer un chaos moléculaire définitif, on disperse les atomes et on les projette vers un lieu où ils reprennent leur cohésion originelle. Une sorte de téléportation à l’échelle de l’univers.

Ael resta la fourchette en l’air.

— Tu veux dire qu’on peut transporter immédiatement quelque chose, d’Altaïr, par exemple, sur Amas II ?

— C’est ça, oui. Un projecteur qui “envoie” tout ce qui se trouve dans son champ, à sa mise en action. Tu transportes un être vivant ou une machine, comme ça, puisqu’il s’agit d’atomes. Ce qui veut dire que pour nos gars, on aura seulement besoin de les rassembler quelque part, et on les “enverra” sur Amas II, sans utiliser un Transport ! Mais ça peut aussi être une arme pour nous défendre. On peut installer quelques Projecteurs plus puissants à l’entrée de la faille et si un bâtiment se présente et nous parait hostile, on le vise avec le projecteur et on l’envoie à l’autre bout de la galaxie en une fraction de temps. On peut l’utiliser sans balise de réception et là les atomes se perdent dans l’infini. On peut aussi ne viser qu’un de ses Props, par exemple, et hop, le bâtiment est désemparé.

— Hop, hein ? répéta Ael, stupéfait. Tu ne crois pas que l’on se poserait des questions à notre sujet, dans le monde ?

— Si, mais les petits copains devraient comprendre d’abord ce qui s’est passé. On serait en paix et redoutés… Tu as l’air inquiet ?

— Pas inquiet, mais je préférerais que l’on passe inaperçus. On ne sera pas nombreux. Si toute la galaxie a les yeux tournés vers nous ce n’est pas le but recherché. On ne sait pas ce que quelque dingue de président de Fédération peut imaginer.

— Dis-moi si je me trompe. On est bien sous protectorat de l’OFG, non ? Et l’OFG dispose bien de troupes prélevées à chacune des Fédérations qui la composent ? Donc si l’Union Altaïr-Procyon, par exemple, nous faisait la guerre, une énorme force, interfédérale viendrait nous défendre ? Je me trompe ?

Ael sourit.

— Non, tu as raison, en tout cas sur le papier.

— D’un autre côté si, officiellement, on se borne à faire de l’élevage et de la culture, par exemple, et qu’on vende la production, dans le monde, il n’y a pas de raison qu’on inquiète quelqu’un. Il faudra bien qu’Amas II vive de quelque chose.

— Là, je suis d’accord. Mais l’élevage, par exemple, est limité.

Katel baissa la tête, mal à l’aise.

Ael leva les mains vers son visage, se frotta les joues puis lâcha :

— Bon, il y a encore autre chose, c’est ça…

Katel le regarda, les yeux brillants.

— Clonage. Je n’ai pas encore les données mais le copain extra-galactique peut me les reconstituer, dit-il. On choisit un animal comestible donnant une belle viande, le plus beau spécimen que l’on trouve, on le capture et on le multiplie à l’infini, au fur et à mesure des commandes qu’on livre par Projecteur, n’importe où, dans une filiale de notre Fédération où on installe une balise de réception.

Ael resta silencieux un instant.

— Ou du poisson ? ajouta-t-il.

— Pourquoi du poisson ? fit Katel, surprise.

— D’abord il est cher, dans la galaxie, tu le sais bien, et puis ça attire peut-être moins l’attention.

— Comment ça ?

— Imagine qu’on installe une usine de plats préparés, sur une planète du Cygne par exemple – ce sont des gens pacifiques et très commençants – avec un personnel qu’on imprègne pour qu’il ne se pose pas de questions. On l’approvisionne de telle manière qu’elle produise et exporte à un prix réduit, une grande variété de produit, de plats cuisinés différemment, si tu veux. Et ça à bas prix. Tu imagines les bénéfices ? Le succès d’un nouveau choix de nourriture ? On ne fait de tort à personne puisqu’il n’y a pratiquement pas de concurrence dans le domaine des poissons. Ça nous permettrait de moderniser Amas II beaucoup plus vite, avoir notre propre industrie pour fabriquer nous-mêmes, notamment, les produits de base et ne pas avoir besoin des circuits commerciaux. Prévoir une éventuelle mise à l’index par le reste du monde et pouvoir vivre en circuit interne.

— Alors là, tu me bluffes, riposta Katel. Je m’attendais à ce que tu pousses les hauts cris et tu vas au-delà de mes idées !

— Bon, vos idées là, c’est très beau, intervint Michelli, mais on en est encore loin. Il faut penser à sauver des gars et les amener quelque part. Comment on fait ? Tu y as pensé. Cap ?

— Oui. C’est sur Altaïr II que se trouve le gouvernement, n’est-ce pas ? Ça veut dire que, même si l’Armée est mal vue et a dû être isolée sur des bases lointaines, les gouvernants sont en rapport avec elle, donc qu’il y en a des représentants, des généraux de carrière – pas d’anciens civils – sur place. Et en civil, très probablement. On va tous les trois s’installer à proximité de l’Assemblée et on va commencer à sonder. On cherche des officiers supérieurs. À partir de là, on les sonde personnellement pour savoir où se trouvent les dossiers des soldats toujours en vie, des deux ex-clans et leur dernière résidence, ça doit bien exister, la Sécurité doit le savoir. Et on ordonne aux responsables de nous sortir des listes. En fait, on va faire exécuter le travail à notre place par les types qui sont au bon endroit et qu’on aura imprégnés ! Quand on aura récupéré un type, on fera mettre automatiquement la mention “disparu” dans son dossier.

— Alors là, je te retrouve, Cap ! Mais il va rester le problème de retrouver, physiquement, nos copains. Si on apprend qu’il y en a trois mille sur telle planète, on les joint comment ?

— Là, je n’ai pas encore trouvé, mais on a encore le temps d’y penser. En arrivant, on va se partager les tâches. On commence par récupérer les Ters de tous les comptes que nous a passé Ping et les faire virer sur celui de notre Fédération, à Véga. Je ne sais pas ce que ça va représenter, en tout.

— D’après mon Général, le sien était copieux, dit Michelli et c’était un compte personnel, le gars avait un poste important dans une grosse boite commerciale. Sûrement plus important que ceux des gars ou des officiers, venus directement des Maternas, qui n’avaient que leur solde.

— On va se partager les numéros de code et faire les virements depuis trois bornes éloignées, en ville. Rien à l’astroport. Je ne veux pas donner l’éveil avec ces transferts. Si on vous demandait des explications, n’oubliez pas qu’on a le statut d’étrangers plénipotentiaires ! Ensuite, Katel, tu vas t’occuper de trouver trois petites sociétés n’importe où pour faire fabriquer les trois parties, séparément, des nouveaux Coms des copains de Grosse Tête. Tu commanderas cinq ou six exemplaires de chacune d’elles. Quand elles seront terminées, tu en montes quatre en priorité. L’une sera expédiée au Président de la boîte qu’on va viser et on garde les autres. On lancera l’opération vente, avec la Confédération du Centaure, quand le premier exemplaire sera arrivé à Alpha VI. Ils ont d’énormes groupes industriels de Com, là-bas. On traitera avec eux. Pendant que tu seras occupée à ça, Michelli et moi, on commencera la surveillance et les sondages devant le Parlement. On s’installera dans les cafèt’ les plus proches pour sonder.

— Et pour Procyon ? demanda Katel.

— Avec la création de l’Union, il y a une chance pour que les autorités militaires aient été fusionnées en un seul organisme, succédant à nos Départements de la guerre respectifs. Donc, on devrait trouver des officiers généraux de Procyon dans le même bâtiment. Dans ce cas, si tu préfères, Katel, c’est toi qui t’occuperas de les imprégner et de remonter la filière pour obtenir les listes. Celles-ci, tirées sur plasto, vont représenter un énorme paquet. Si on le peut, on fera transmettre les informations par Com sur un quartz de stockage de l’ordi de bord. Il faudra d’ailleurs acheter des nouvelles mémoires pour cet ordi, il va être vite saturé.

— Il faut vraiment faire tout ça avant de chercher nos gars, Cap ? demanda Michelli.

— Oui, mon vieux. On doit installer une organisation solide, disposer d’argent pour être efficace dans nos recherches.

— Mais pendant ce temps il y en a qui se font tabasser, qui craqueront, peut-être ?

— Je le sais, Sarmaj, renvoya sèchement Ael, inutile de me le dire. On ne sait pas même là où il y en a le plus. Sur les grandes planètes ou pas. On ne lance pas une attaque au hasard, tu le sais. Il faut préparer son coup.

 

Ils avaient revêtu leurs dernières combinaisons quand ils prirent contact avec le Contrôle d’Altaïr II. Le contrôleur tiqua quand ils demandèrent l’approche sur l’astroport interfédéral. Il avait enregistré leur immatriculation et se posait des questions. Il coupa même, pour demander des instructions, probablement. Néanmoins, on les guida à poste, à l’écart comme ils l’avaient précisé. Au Contrôle, où Ael se rendit seul, l’attitude des spécialistes de quart était mitigée. Ils n’osaient pas demander des précisions sur la Fédération Libre de l’Amas, son bracelet était officiel, sa nationalité incontestable. Visiteur interfédéral, on ne lui demanda pas quel était le contenu de son bâtiment, ni combien de passagers étaient à bord.

Ils étaient curieux de cette cité, immense, vue de l’espace, pendant la descente. Dans l’ex-Fédération elle avait la réputation d’un monde extrêmement moderne et, en effet, elle était gigantesque. On distinguait même des parties industrielles, rattrapées et dépassés par les quartiers résidentiels, dans son expansion. Seul l’astroport, construit au sud, n’avait pas été rejoint par la ville, si on pouvait toujours donner ce nom à cet ensemble. Ils fermèrent la Barge et se dispersèrent, chacun avec sa liste de codes des auras, et prirent des Mobils à l’astroport pour aller en ville s’installer devant une borne-finance et commencer à collecter le contenu des comptes et les faire virer à Véga. Ils mirent chacun quatre heures avant d’en terminer ; beaucoup n’avaient pas encore été prélevés par les Autorités parce que les titulaires avaient utilisé un ancien compte civil…

— “Vous savez combien on a engrangé, ce matin, grâce surtout aux gars de Procyon, d’ailleurs ?” émit Ael à leur attention. “Quarante et un millions de Ters ! L’addition de petites sommes peut faire un bon paquet, finalement.”

— “Tu es sûr ?” demanda Katel. Ça me parait beaucoup quand même.”

— “Véga confirme.”

— “Alors, je peux m’offrir un petit gobelet d’alcool, Cap ?”

— “Pas maintenant, Michelli, direction le Parlement. Il te faudra un bout de temps pour y arriver, en Mobil. Là-bas, O.K. Tu me signaleras quand tu seras en place.”

— “Reçu, Cap.”

— “On se tient tous en contact. Si vous avez le moindre pépin ou même un soupçon, appelez. Katel, tu t’occupes des petites sociétés pour fabriquer ton matériel Com. Qu’elles fassent vite.”

Ils confirmèrent.

Ael prit un Mobil pour se faire conduire vers le Parlement où il arriva une heure et demie plus tard. Les larges avenues et les voies rapides, surélevées, étaient assez encombrées de Mobils filant dans toutes les directions. Le groupe d’immeubles, immense, était isolé, sur une grande place, au cœur de la capitale, comme c’était toujours le cas pour les bâtiments officiels.

Les premières Cafèt’ se trouvaient dans un petit Centre à trois cents mètres. Il s’installa dans la première, où il y avait juste deux couple dans des alcôves et trois types, bavardant un peu plus loin. Il se servit un jus de fruit et commença à se concentrer.

Très vite, il découvrit où se trouvait le Département militaire. Isolé, et protégé, dans les niveaux inférieurs. Pas le moindre uniforme, les hommes et les femmes portaient seulement un badge sur la poitrine pour se reconnaître ! Il sut très vite où se trouvaient les archives. Une suite de pièces assez petites, avec une quantité d’ordis, bien sûr, et des quartz de stockage par dizaines de milliers. Le service était commandé par un Général de carrière âgé. Ael l’attaqua tout de suite.

Il était mal dans sa peau, le Général. Révolté par le comportement du gouvernement à l’égard des Anciens. Ael l’imprégna sans difficulté. Il lui “apprit” ainsi qu’une décision confidentielle avait été prise au Parlement et qu’on était en train d’essayer de sauver le plus possible de survivants pour les rassembler sur une planète éloignée. C’était un projet top secret et il devait fermer les yeux sur tout message les concernant et transitant par son service. Pas même l’évoquer devant d’autres officiers Généraux ou qui que ce soit.

Ael se rendit compte que le brave type en était soudain revigoré !

Ensuite, il s’attaqua à remonter la filière. Savoir si la Sécurité connaissait les lieux de résidence actuelle des gars qui avaient échappé à la populace. Puis, si beaucoup avaient réussi à passer entre les mailles du filet et retrouver un boulot en dissimulant leur passé. C’était plausible dans la mesure où la Sécurité se situait à un niveau bien supérieur à la Milice qui avait fermé les yeux sur la chasse aux Anciens. Le gouvernement avait retrouvé son emprise sur la population en ne démentant pas la pseudo-responsabilité des Anciens sur la durée de la guerre, mais n’avait pas été jusqu’à faire rechercher ceux-ci par la Sécurité…

C’était le cas, en effet, celle-ci détenait ces renseignements. Des Anciens avaient pu sauver leur peau. Mais dans quelles conditions ! D’ex-Majors ou Colonels étaient employés subalternes dans des sociétés, certains même, conducteurs d’engins dont le travail, aléatoire, ne pouvait être exécuté par un robot. Humiliés mais satisfaits de manger à leur faim et d’échapper, même momentanément, aux persécutions des foules…

Sa révolte monta d’un cran. Du coup, il demanda si certains d’entre eux se trouvaient ici, sur Altaïr II. Il y avait 34 Anciens, de tous les corps combattants, et six officiers, dont un Capitaine des Brigades d’Assaut. Il nota l’adresse du lieu de travail de chacun et appela Michelli pour le mettre au courant et lui dire qu’il allait tout de suite en voir certains, en commençant par l’ancien des B.A.

Un Mobil le conduisit vers un entrepôt des quartiers nord et il se fit une autre idée de l’étendue de la ville. Elle s’étendait sur plus de 120 kilomètres, d’est en ouest. C’était ainsi partout, personne n’avait jamais pu expliquer pourquoi les villes s’étendaient toujours vers l’ouest, au fur et à mesure où elles s’agrandissaient. Un peu comme si les hommes voulaient voir le soleil couchant plutôt que levant. Mais ce qui était bizarre, c’est que le phénomène était identique sur les planètes où le sens de rotation était différent ! Même si, par commodité, il avait été convenu d’appeler le couchant : ouest et le levant : est.

La Compagnie dont il cherchait les entrepôts était aux fins fonds d’un labyrinthe de grandes voies de circulation où les Mobils étaient assez rares. Il plaça le curseur sur la position attente du tableau d’ordres et descendit de son engin. Il pénétra dans un hall très haut, empli de conteneurs, et chercha, mentalement, où se trouvait l’ex-Capitaine Flag. Il y avait assez peu d’humains au niveau du sol et il le localisa au bout d’un long moment, allant le rejoindre en traversant d’autres halls, sillonnés d’engins automatiques qui stoppaient lorsqu’il se présentait sur leur trajectoire. Le type était dans un recoin, en train d’enregistrer sur un ordi une suite de numéros de conteneurs… Un grand gaillard costaud, au visage si marqué de rides et de cicatrices qu’il ne faisait pas ses 28 ans, l’âge de Michelli…

Ael sentit sa fureur monter. Il avait sondé son cerveau en marchant jusque-là, et y avait appris que le gars avait été blessé deux fois au combat, dans des unités régulièrement engagées tout au long de la guerre. Plongeant dans la personnalité profonde de l’ancien officier il avait découvert que c’était un type meurtri mais pas encore aigri, toujours droit. Ça le décida.

Il le vit enfin, de dos, penché sur un clavier et approcha. L’autre l’entendit venir mais ne broncha pas.

— Je suis le Capitaine Ael Madec, dit-il dans son dos, 388ème Brigade d’Assaut, Premier Groupe.

Le Capitaine se retourna, blême.

— Je ne comprends pas, finit-il par lâcher. De qui parlez-vous ?

— De moi, je vous ai dit qui j’étais.

L’autre jeta un coup œil autour de lui d’un air mi-incrédule, mi-en colère. Ses yeux durcirent brusquement.

— À quel jeu… je ne suis pas un ancien soldat, mes copains et moi on va vous le faire entrer dans le crâne, si vous insistez.

Le gars le regardait fixement et Ael distingua, dans son regard, un peu du commandant de Groupe qu’il avait été. Sa voix n’était plus la même non plus. Il reprit encore mais plus doucement :

— Vous êtes inconscient, mon vieux, d’où venez-vous ? Je n’ai rien à voir avec l’Armée. Je suis gestionnaire de stocks et…

Ael continuait à le regarder dans les yeux.

— Je ne vous ai pas dit pas que vous étiez soldat mais que moi oui ! fit-il sèchement. Est-ce que vous n’êtes pas capable de reconnaître un camarade de combat, d’un provocateur, Capitaine Flag ?… Quand prenez-vous vos temps de repos, ici ?

— Mais… vous êtes dingue, Capitaine ! reprit l’autre. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Vous voulez vous faire lyncher… Et vous allez attirer l’attention sur moi !

— Personne ne nous entend. Capitaine, la fuite c’est fini. Je vous offre la dignité, sur une autre planète, dans une autre Fédération. Vous serez pris en charge. Tenez-vous encore à la nationalité de l’Union ?

Cette fois, les yeux vacillèrent un instant. Ael en profita, répétant.

— Alors cette pause ?

— Pourquoi faire ?

— Pour laisser tomber ce boulot et partir. Maintenant.

— Partir ?… où ça ?

— Loin d’Altaïr, de cette saloperie de Fédération qui laisse tomber les siens.

— Vous êtes fou, foutez-moi la paix !

— Bordel, jura Ael d’une voix rendue saccadée par la colère contenue, est-ce que vous avez encore un peu d’orgueil, Capitaine ?

L’autre le regarda vraiment pour la première fois et répondit, curieusement, sur un autre ton, encore.

— C’est une connerie, non ? On ne quitte pas Altaïr quand on a un bon boulot. Pourquoi faire, d’abord ?

— Pour récupérer des Anciens et les emmener loin d’ici… libres. Dernière fois : cette pause ?

Il y eut un long silence. Puis Flag se tassa légèrement. Pourtant, il venait de prendre sa décision, comme ses paroles suivantes le révélèrent.

— On la prend quand on le veut, il suffit de passer son badge au contrôle. Mais je ne vois pas pourquoi je prendrais une pause ! Vous êtes dingue.

— On l’est tous aux B.A., non ?

Il y eut un nouveau silence. Long, très long. Les deux hommes ne se quittaient pas du regard.

— D’accord, je viens. Mais, pour votre sécurité, passez devant, qu’on ne nous voit pas ensemble. Je vous rejoins dans une cafèt’ qui se trouve à gauche en sortant, un peu loin mais c’est la seule.

— J’ai un Mobil dehors, on peut stopper où on veut et parler.

— Je vous suis.

Ael l’attendit quand même cinq bonnes minutes, mais l’autre arriva, marchant rapidement, et monta dans l’engin.

— Tapez vous-même une destination, ordonna Ael.

— Il y a une autre cafèt’, dans une autre zone où on ne me connaît pas, et elles sont assez peu fréquentées, à cette heure-ci, fit-il en pianotant sur le clavier de commande.

Il ne dit rien pendant le trajet, qui fut assez court. La cafèt’ devait ressembler à celles de ces zones extra-urbaines, pas le luxe. Il y avait quand même des sortes d’alcôves sur les côtés. Deux d’entre elles seulement étaient occupées par deux quatuors de mecs en combinaisons tachées. Au bar carré, ils se servirent d’alcool qu’Ael régla avec son bracelet en le passant devant un lecteur automatique. Il sentit que l’autre était intrigué par sa couleur mais ne fit aucun commentaire.

Une fois assis en face l’un de l’autre, dans une alcôve isolée, ils se regardèrent longuement. Ael jaugeait son degré de combativité. Est-ce que ce type était au bout du rouleau ou y avait-il encore en lui quelque chose qui puisse relancer la machine ? Cependant, l’atmosphère venait de changer pendant le bref trajet.

— Je ne me souviens pas de votre prénom ? fit Ael.

Curieusement cela tira une esquisse de sourire sur le visage du Capitaine.

— Philéon. Il y a un gars qui a dû vouloir se marrer dans la Materna où j’ai été élevé… On m’appelle Phi. Je préfère encore.

— Je comprends ça, lâcha Ael en riant franchement. Dites donc, vous avez dû vous bagarrer assez jeune, avec un tel prénom ?

— Oui.

— Quel est votre niveau d’entraînement actuel ?

— Assez moyen. Quand je fuyais, j’étais encore en forme. Deux fois, je me suis fait tabasser par des groupes, il y a six mois. À chaque fois, j’ai eu quelques types et j’ai filé. Ils n’ont pas pu me rattraper. Mais depuis que j’ai eu la chance de trouver ce poste, j’ai laissé tomber. Plus de motivation… à rien, d’ailleurs.

— Où habitez-vous ?

— Au début, dans un abri de conteneurs vides. Depuis un mois, j’ai un petit local. Assez loin d’ici, à l’opposé de la capitale.

— Moralement, où en êtes-vous ?

— Pourquoi toutes ces questions ?

— Répondez !

Flag eut une ébauche de mouvement d’humeur mais laissa tomber.

— Comme tout le monde, enfin les… nôtres, quoi.

— C’est-à-dire ?

— Non mais vous venez d’où ? Vous n’avez pas vu ces chasses organisées contre les gars qui portaient encore leur uniforme ?

— Non. Je n’étais pas à Altaïr quand ça a commencé. Allez, répondez.

— Quel genre de moral voulez-vous que l’on ait quand la Fédération pour laquelle vous vous êtes battu pendant des années vous rejette, et que la population veut vous lyncher en vous reprochant d’avoir poursuivi la guerre ? On ne pense plus qu’à sauver sa peau. On accepte tout, on est perpétuellement sur ses gardes pour ne pas se trahir en connaissant quelque chose d’un niveau supérieur à son boulot, par exemple. Des gars ont été coincés comme ça.

— Êtes-vous en contact les uns avec les autres ?

— Vous rigolez ? C’est du chacun pour soi. Se retrouver, c’est prendre le risque d’être repéré. Nos habitudes, notre langage militaire, risquent de revenir. On l’a tous compris dès le début.

— Que comptez-vous faire ?

— C’est bien la question la plus idiote que j’ai entendu depuis des mois ! Me faire oublier, bien sûr, essayer de mettre un peu d’argent de côté et filer vers une planète de pionniers, la plus déserte possible, pour trouver un petit boulot.

— Du côté de M 75 II, en direction des Confins, il existe un amas énorme. Des amis et moi on y a découvert une planète terramorphe avec une vie animale. Nous avons l’intention d’y amener des pionniers particuliers : exclusivement des Anciens d’Altaïr et de Procyon.

Le type secoua la tête.

— Vous êtes un vrai salaud, vous !

— Pourquoi ?

— Bordel ! Vous êtes là en train de me dire que vous voulez sauver les copains, les mener dans un vrai paradis, ce dont ils n’osent même plus rêver, rêver, vous entendez ! dit-il en haussant le ton.

— Du calme, Phi !… Où est le problème ?

— Vous êtes fondu, complètement fondu ! C’est impossible, vous comprenez ? Im-po-ssi-ble. Même si le gouvernement acceptait que des Anciens soient regroupés, il n’autoriserait pas leur départ. La population ne le permettrait pas.

— Je n’ai pas besoin de la permission de la population. J’aurais même plutôt un compte à régler avec elle. Vous pensez que je m’amène comme ça sans avoir un plan, Capitaine ? Mais quel genre de Chef de Groupe étiez-vous ? Vous attaquiez sans établir de plan ?

L’autre marqua le coup.

— Vous avez un plan pour… faire partir des dizaines de gars ?

— Pas des dizaines, beaucoup plus, j’espère bien. Tous ceux que je trouverai.

— Comment ?

Ael secoua la tête.

— Pas comme ça que cela se passe. Vous marchez avec nous ou pas. On parle ensuite.

— C’est quoi l’engagement ?

— Vous vous engagez à quitter Altaïr, à abandonner votre nationalité pour celle d’une petite Fédération à peupler et à faire vivre, et à nous aider à y amener le plus grand nombre d’Anciens, même s’il faut risquer votre peau pour ça.

— Alors vous parlez vraiment sérieusement ?

— Je n’en ai pas l’air ?

— Vous représentez qui ?

— Nous. Nous seuls. Mais nous avons des moyens énormes, malgré les apparences. Alors, il vous faut combien de temps pour prendre une décision, Capitaine ?

— Capitaine ?… lança une voix près d’eux. Mais c’est des soldats, ces salauds-là. Eh, les gars, venez voir.

Ael avait déjà réagi. Il avait agrippé la main de l’ex-Capitaine pour l’immobiliser et s’était concentré. Il identifia immédiatement, à l’onde de haine qu’ils dégageaient, huit gaillards proches. Il imprégna leur cerveau d’une envie d’uriner qui dépassait tout ce qu’ils avaient jamais connu !

Ils virent passer au galop huit silhouettes se ruant vers la porte.

— Votre réponse, Phi ?

Ahuri, l’autre répondit rapidement, secouant la tête.

— Vous êtes dingue, mais je revis. D’accord.

— Envie de vous payer quelques-uns de ces salopards ? avant de partir ?

— Hein ?

— Vous êtes en état d’en prendre combien ?

— Deux, peut-être ? C’est trop peu…

— Non, je peux prendre les autres. On y va.

— Mais… où sont-ils ?

— Dehors, en train de se vider la vessie, ou enfin d’essayer. On y va.

Ils se levèrent et sortirent à leur tour. Les huit brutes étaient ridiculement alignées sur un rang, carrément contre la façade, en train d’essayer, vainement, d’uriner.

— Tu prends les deux premiers, glissa Ael en tutoyant Flag sans s’en rendre compte.

Il démarra et arriva sur la file en bolide, plongeant sur le troisième. Les suivants, bousculés, se trouvèrent au sol. Déjà, Ael frappait des pieds au sternum, pour en mettre le plus possible hors de combat. Mais ceux du bout de la file étaient en train de se relever et arrivaient en gueulant de colère.

Sautant, les jambes à l’horizontal, Ael frappa des talons deux mâchoires qu’il entendit craquer. Il roulait au sol et se relevait quand une armoire à glace surgit. Cette fois, il frappa à l’entrejambe ! L’autre poussa un véritable hurlement.

Il n’en restait qu’un qui encaissa une série de coups de tranchants des deux mains, au cou et aux flancs et tomba au sol, KO. Ael se détourna ; “Philéon” était en train d’acculer un type en tapant comme un sourd ! il n’avait pas besoin d’aide et c’était l’occasion d’imprégner les cerveaux. Ael effaça purement et simplement l’origine de l’incident de leur mémoire. Mais, de colère, leur laissa une envie d’uriner à chaque heure…

L’adversaire de Phi glissa au sol, le visage tuméfié.

— Bordel, ça fait du bien, fit celui-ci en se retournant, le souffle court. L’impression de se libérer après deux ans de fuite ! Celui-là en a pris pour tous ceux qui m’ont tabassé. Ce n’est pas juste, mais ça soulage !

— Néanmoins, tu vas reprendre l’entraînement de base, dit Ael. J’ai besoin de toi en pleine forme.

— O.K… Capitaine !

Il paraissait épuisé, mais presque un autre homme Philéon !

— Appelle-moi Ael, maintenant. Il y a des choses que tu voudrais récupérer dans ton local ?

— Des bricoles, mais qui me rappellent ces mois de harcèlement. Je ne veux pas les oublier.

— D’accord. On file les embarquer en vitesse et tu me suis.

Phi pianota des coordonnées sur le clavier et le Mobil démarra.

— Et pour mon boulot ?

— Tu vas leur envoyer un message automatique disant que tu pars pour les Confins. Tu dois disparaître logiquement. Allez, amène-toi.

Dans le Mobil il sonda à nouveau le cerveau de Phi. C’était un homme propre mais, à tout hasard il l’imprégna d’une fidélité totale à leur projet et une confiance absolue dans le groupe.

— Quelle était ta seconde qualification ? dit-il en songeant soudain qu’il avait oublié de le vérifier au sondage.

— J’étais en train de me spécialiser en physique, quand j’ai été incorporé dans l’Armée. Ça ne m’a pas servi à grand-chose, au combat. Mais j’étais censé m’occuper de l’état du matériel de technologie avancée. Ça ne rimait pas à grand-chose, à la bagarre, alors je bricolais tout ce qui était un peu compliqué, histoire de me détendre.

— Eh bien si tu aimais la physique tu vas avoir une surprise, mon vieux. On a un projet qui va te faire rêver.

— Il est trop tôt pour que tu m’en dises plus ?

— Non… Nous sommes trois à l’heure actuelle, dans le groupe. Tu es le premier qu’on récupère. Mais nous avons des moyens très puissants, je te l’ai dit. Je t’ai retrouvé par ton dossier militaire, au Parlement.

— Ah ça… comment vous avez fait ? fit l’autre absolument stupéfait.

— Un peu long à expliquer. On a accès à tous les dossiers des Anciens. Je veux récupérer, en priorité, tous les gars des B.A. encore en vie, et les membres des Divisions de combat de Procyon. Ça te pose un problème ?

L’autre secoua la tête.

— Non. Mais je doute qu’il y ait beaucoup d’Anciens des B.A. encore en vie, ils ne se sont pas laissé faire, pas le genre à fuir quand tout a commencé et ils ont dû être lynchés. Pour les gars de Procyon, eux aussi sont poursuivis, d’après ce que je sais.

— Oui. Il y a un Lieutenant ancien des Divisions de combat avec nous. Elle fait partie du groupe au même titre que n’importe quel autre.

Phi hocha la tête en signe d’approbation.

— Ah, on est arrivé. Je n’en ai pas pour longtemps.

Pendant son absence, Ael pianota une destination en ville puis émit en direction de Michelli.

— “Où en es-tu ?”

— “Je fais envoyer la liste des quelques survivants des B.A. dans une case réservée, à l’astroport interfédéral. Ils sont pas mal dispersés. Un bon nombre sont allés sur deux ou trois planètes des Confins, dès le début ; ils ont dû se passer le mot, je suppose. Eux ont réagi très vite, dès que tout a commencé. Ça va être dur de les joindre et de les réunir.”

— “Si on a assez de fric, non. J’ai une idée pour cela, on les fera rechercher par la Sécurité qui leur remettra un billet de transport pour une destination à définir, avec un mot bidon, mais signé du nom de leur ancien Chef de Groupe.”

— “Oui, ça peut marcher. Pas bête. Cap.”

— “Pourtant, il y aura un problème de tri à accomplir. Je ne veux pas emmener de types qui veulent avant tout se venger ; on doit passer inaperçus. Donc, il faudra les surveiller. Un sacré boulot… Katel, où en es-tu ?”

Il y eut un silence avant qu’elle ne réponde.

— “J’étais en train de discuter avec un technicien de la dernière boîte. On devrait avoir le tout dans trois jours.”

— “Parfait, ça va nous laisser le temps de récupérer les Anciens qui se trouvent ici. Je ramène le premier. Mais on va avoir un problème d’installation à bord de la Barge. Katel, procure-toi des couchages et de quoi installer des blocs d’hygiène supplémentaires, et aussi de compléter les vivres. Tu fais embarquer le tout discrètement. On l’installera nous même.”

— “O.K. Qui est-ce, ton ancien ?”

— “Un Capitaine des B.A… il s’appelle Philéon.”

Il les “sentit” éclater de rire.

— “Il se fait appeler Phi, alors respectez-le, hein ? Il m’a l’air assez bien. On s’est payé huit brutes, dans la périphérie. Il a besoin de reprendre l’entraînement, mais il sait encore se vider les tripes. Tu vas le prendre en main, Sarmaj.”

— “O.K., Cap.”

— “Par sécurité je l’ai imprégné. Est-ce que ça vous choque ?”

— “Non, Ael, répondit tout de suite Katel, c’est de la prudence. On doit être réaliste, les cas de conscience ce sera pour plus tard.”

— “Je suis d’accord aussi, Cap.”

O.K., je reviens à la Barge avec lui après avoir acheté une combin’ décente. On va lui faire tout de suite un bracelet.”

Phi arrivait, un ballot dans les bras.

— Pas grand-chose, n’est-ce pas ? fit-il. Il faut pouvoir filer très vite, alors on a presque rien d’important.

— Bonne réaction, fit Ael en tapant les coordonnées d’un Centre, sur le chemin de l’astroport, puis de celui-ci. Dis-moi une chose… as-tu une objection à changer de nationalité ?

Phi se tourna de son côté pendant que le Mobil démarrait.

— Je n’ai pas l’impression de devoir quelque chose à Altaïr, ce serait plutôt l’inverse, non ?

— O.K., alors tu vas devenir citoyen de la Fédération Libre de l’Amas.

— Qu’est-ce que c’est ? Jamais entendu ce nom-là.

— Quelques personnes seulement le connaissent. Elle est née très récemment et comprend, pour l’instant, quatre habitants. En te comptant…

Phi éclata de rire et Ael se demanda s’il s’agissait bien du même homme qu’il avait vu, plus tôt, devant un ordi de gestion.

— Fabuleux ! Je sais que j’ai eu la chance de ma vie, aujourd’hui. Quatre habitants… Bordel ! Et on fait un pied de nez à la puissante Union Altaïr-Procyon. Eh, mais on va en ville, là ?

— Oui. Je vais t’acheter une combin’ convenable. Toi, tu resteras dans le Mobil. Ensuite, on file à l’astroport.

Dans le Centre, très fréquenté, Ael choisit une combinaison à la mode et paya avec son bracelet, sous œil étonné du client suivant. Puis, il regagna le Mobil qui repartit immédiatement. À l’entrée de l’astroport, Phi ouvrit des yeux étonnés en voyant l’engin se diriger vers les stationnements interfédéraux.

Ils grimpèrent à bord de la Barge sans qu’il n’ajoute un mot. Il restait encore trois cabines vides et Ael décida de lui en attribuer une. Simplement parce qu’il était le premier à avoir été récupéré. Désormais, les grades de ceux qu’ils trouveraient ne compteraient plus, a priori, sauf s’ils montraient des qualités particulières.

Il l’y conduisit, laissant tomber le paquet de la nouvelle combinaison sur la couchette.

— Change-toi et rejoins-moi au carré, au bout à gauche en sortant. Je vais te faire tout de suite ton nouveau bracelet d’identité.

Cette fois, il en resta muet, Philéon !

La machine était prête quand il arriva, très élégant.

— Je ne me reconnais pas là-dedans, fit-il.

— C’est nécessaire. On ne doit pas avoir l’air de cloches. Mets ton poignet dans la machine, elle va t’enlever ton bracelet.

Ael brancha l’écran de lecture dès que l’ex-Capitaine eut glissé son avant-bras dans l’anneau qui se referma sur son poignet. Il y eut un bruit sec et le bracelet tomba. Ael le posa dans un logement et plaça un de ceux qu’on leur avait donné, à Véga, avant de commencer la lecture-enregistrement.

— Viens près de moi, dit-il… Tout va être copié, c’est la loi. On va imprimer ton identité et ta provenance, c’est obligatoire, mais tout ce qui concerne ton passé à Altaïr sera sous cache. On ne laisse accessible à un contrôle d’identité que ton nom, tes origines, et tes caractéristiques physiques et médicales. On va récupérer aussi tes Ters. Tu as un compte où ?

— Ici.

— On transfère le tout sur un compte à Véga. Ça impressionne.

— Oh, le tout, il n’y a pas grand-chose, tu sais, cinq Ters !

— Alors on va l’arrondir. Il faut que tu puisses payer n’importe quoi sans difficultés, dès demain, depuis une commande à un atelier de fabrication jusqu’à un appel holo Longue Distance.

— Mais je n’ai rien pour rembourser ça, moi !

Ael programma la copie sur le bracelet neuf et se tourna vers Phi pour lui répondre.

— Tu es ici avec nous ; à nos yeux, c’est suffisant. On est en train de faire naître une planète, y amener une population, alors on ne comptabilise pas ce que chacun fait. Si tu veux, d’un côté, il y a nous trois, jusqu’ici, qui recherchons les Anciens, organisons leur récupération, avec tout ce que ça comporte d’à-côtés comme l’argent, le matériel, les organisateurs-responsables du projet, et puis les gars qu’on va retrouver. En ce qui les concerne, on ne compte pas sur une collaboration très active de leur part, au début, sauf si on a besoin d’eux, ponctuellement. Notre but est de les amener à Amas II, notre planète. Toi, tu rejoins notre groupe d’organisateurs, parce qu’on a besoin de s’étoffer et parce que tu représentes un apport important. Tu vois, on va passer les trois jours prochains à tenter de retrouver, et contacter discrètement, les 34 Anciens et les cinq autres officiers qui vivent ici, à Altaïr II. Tu vas nous y aider. Il y a, en même temps, tellement de choses à faire… Par exemple acheter, aux surplus, des préfabriqués pour loger les premiers arrivants, les faire livrer sur une planète assez lointaine pour être relativement tranquille mais facile d’accès, des vivres, aussi, il faut penser à des quantités de détails pratiques. D’accord, notre expérience nous y aide – la tienne comme la nôtre – mais notre planète est vierge, alors il faut tout apporter pour que les gars y vivent en sécurité, dès leur arrivée.

Phi hocha lentement la tête.

— Un projet fantastique, et drôlement excitant… Dis, je suppose que vous avez pensé à la vie, sur place ? Je veux dire, une population signifie hommes et femmes…

— Bien vu. Oui, on y a pensé, c’est l’un de nos soucis, en amener autant des uns que des autres. Il faut s’efforcer de tout prévoir, je te l’ai dit… Ton bracelet va être prêt. Dès que l’enregistrement sera achevé, ton ancien va être dissous dans de l’acide avant que le nouveau ne soit soudé à ton poignet… Voilà, c’est terminé. Repasse ton bras dans l’anneau.

Le nouveau glissa autour de son poignet et fut soudé quasi immédiatement.

— Voilà, Phi, tu es citoyen de la Fédération de l’Amas. Plus personne ne peut te faire des ennuis, sans risquer de rendre des comptes à l’Organisation des Fédérations Galactiques, l’OFG, qui nous assure son Protectorat. Tu pourrais d’ailleurs te réfugier dans leur Délégation, sur n’importe quelle planète, et même demander la protection de la Milice, ici-même, en cas de pépin.

Phi faisait tourner et retourner son poignet.

— Je ne suis plus pourchassé, murmura-t-il.

— Non, sourit Ael. Mais le boulot commence. Chez nous la confiance est primordiale. Quand les autres seront rentrés, on dînera et on te racontera, en gros, comment on en est arrivé là. Tu vas passer une soirée dont tu te souviendras, je te préviens. Tu n’imagines pas ce que tu vas apprendre… Pratiquement, tu vas prendre en charge la fabrication d’un engin encore inconnu, une sorte de projecteur d’ondes que tu vas diviser en plusieurs parties – après avoir étudié les plans – pour les faire construire dans des entreprises différentes. Tu feras le montage toi-même ; ensuite, tu auras des instructions pour cela. Nous attendons beaucoup de cet engin.

— D’où tenez-vous ces plans ?

Ael sourit.

— De types très forts. Je t’en parlerai plus tard, tu n’es pas encore prêt. Je t’ai dit que tu allais tomber sur les fesses, avec nous. Tu n’as qu’à t’imaginer que ce sont des gars d’une autre galaxie !

— D’une autre…