CHAPITRE VI
Ils s’étaient mis en stationnaire dans l’espace, assez loin pour que la Détection repère les différents mouvements de rotation de cette planète. Et que les calculs en déduisent les informations élémentaires sur son comportement, ses saisons, etc.
À leur approche, après deux jours de plongée en Temps Relatif, ils avaient décelé une atmosphère dense, riche en oxygène, comme sur Amas I, et surtout une couche d’ozone épaisse. Les rayons durs du jeune soleil devaient être considérablement filtrés, ici. Le sol était couvert d’une végétation riche : des plaines herbeuses aussi bien que des forêts. Un océan, gigantesque, et deux immenses mers intérieures. Peu de sols émergés, finalement.
Ce n’était pas une grosse planète et pourtant l’attraction, d’où la pesanteur au sol, était voisine de 1, selon l’échelle de Porter. Son noyau devait peser particulièrement lourd. Ael avait voulu en savoir davantage et s’était éloigné pour faire ces mesures à la Détection.
— C’est un cas, dis donc, fit Katel, depuis son poste. Elle tourne sur un axe nord-sud et lentement sur un axe nord-est/sud-ouest. Il doit y avoir deux saisons, pas davantage, je pense. En tout cas le climat est certainement tempéré sur les trois quarts de sa surface. Même l’équateur ne doit pas être torride.
— O.K., on en sait assez, on se pose. Quelqu’un a une préférence ?
— Les mers intérieures nous ont porté chance, suggéra Michelli.
— Va pour une mer intérieure, la plus proche de l’équateur, pour trouver une eau chaude ?
— C’est ça.
Ael fit une nouvelle révolution autour de la planète en perdant de la vitesse, puis plongea en faisant basculer la Barge avant de brancher les anti-G.
À mille mètres du sol, revenu en vol normal, ils approchèrent d’une côte découpée. Ici, il y avait pas mal de rochers, les plages de sable étaient plus rares. Il choisit un endroit à la limite des deux, sur la rive sud, et posa la Barge en douceur.
Tous les voyants étaient au vert, l’atmosphère était respirable. Peu de gaz rares. Hydrogène, oxygène. C’était une planète terramorphe.
Finalement, l’espace était peuplé de deux sortes d’astres, la plupart étaient invivables, en surface, mais très peu étaient inabordables, soit en raison de vents colossaux, soit d’une température de magma, ou avec une atmosphère de gaz. Il s’agissait plutôt de planètes trop loin ou trop proches d’un soleil, ce qui imposait de vivre dans des installations souterraines.
Et puis il y avait les planètes terramorphes. Beaucoup plus nombreuses que les premiers scientifiques de la préhistoire spatiale ne le prétendaient.
Cela avait été la grande surprise de la première mission d’exploration inter-constellation. Et la raison de la Grande Expansion, causée non par esprit de conquête mais simplement parce que les deux chefs d’États qui avaient déclenché la dernière guerre, sur Terre, étaient mégalomanes et inconscients et avaient détruit, volontairement, les zones de culture de l’adversaire, pour l’obliger à capituler…
Le résultat avait été que la Terre ne pouvait plus nourrir sa population. Une période de transition avait succédé où les algues des océans avaient pris le relais pour permettre aux hommes de survivre. Et on avait construit des bâtiments de plus en plus grands pour emmener des volontaires s’installer sur les planètes terramorphes découvertes. Il avait fallu un siècle pour revenir à un équilibre entre ce que pouvait encore fournir le sol de Terre comme nourriture et sa population. Mais les colonies avaient fait leur part en envoyant sur Terre le produit de leurs récoltes et d’un élevage intensif, avec des vaisseaux gigantesques. C’est plus tard que les Fédérations de planètes, s’étaient constituées, suivant les Constellations.
Bien plus tard encore, la technologie ayant beaucoup progressé, les rivalités étaient réapparues, pour les mêmes raisons économiques qu’autrefois, et les guerres avaient refait surface…
En tout cas, aucun des trois membres de l’équipage ne fut surpris de découvrir cette nouvelle planète terramorphe.
La grosse surprise se produisit quand ils ouvrirent la porte latérale de la Barge. Dans les réserves de la Barge, ils avaient trouvé des combinaisons de travail de l’Armée et aussi de la Spatiale, plus légère. Depuis leur départ de Amas I, ils avaient décidé de se changer et portaient les combin’ de la Spatiale, d’un blanc clair. Ce qui allait particulièrement bien à Katel ! Pour descendre au sol ils se demandèrent s’ils ne devaient pas revêtir les ponchos. Mais la chaleur paraissait moins intense et ils y renoncèrent.
Au pied de la rampe, ils furent assaillis de senteurs tellement nombreuses qu’ils n’arrivaient pas à les distinguer les unes des autres. Ils n’étaient pas habitués à une telle profusion de parfums naturels.
Il y avait un goût d’iode, venant de la mer, c’était sûr, et aussi une forte odeur émanant apparemment de grands arbres. Mais aussi une multitude d’autres, plus ténues, qui s’y mélangeaient. Le sol de la petite falaise sur laquelle la Barge était posée était couvert d’herbes d’un vert très foncé, presque à la limite du bleu. Plus loin, des collines disparaissaient sous de petits buissons colorés de fleurs, probablement très petites.
Ils s’étaient arrêtés au pied de la rampe et respiraient à pleins poumons. Il faisait bon, surtout après leur séjour torride sur Amas I, autour de 32 à 34° seulement. Michelli approcha du bord de la falaise et regarda en bas. L’extrémité de la plage était à moins de dix mètres en dessous.
— Oh, cette eau ! s’exclama-t-il.
— Quoi ? demanda Katel en approchant.
— Regarde ce qu’elle est transparente, jamais rien vu de pareil. Impossible d’apprécier la profondeur… Eh, vous avez vu ce banc de poissons… ?
— Ael ! cria-t-il, il y a une faune. Oh, il faut que j’aille me baigner.
— On n’a pas mesuré les radiations au sol, renvoya Ael, resté près de la Barge et observant le paysage. Mettez vos calottes en attendant, et prenez vos RCM, surtout s’il y a une faune. On ne la connaît pas.
Michelli remonta la rampe en trottant.
— Cap, je sens que je vais me plaire ici, dit-il au passage, en s’engouffrant dans leur engin.
Ael sourit de l’enthousiasme de son ami et songea qu’il avait bien changé, ces derniers mois. Pendant la guerre, il était difficile de lui tirer un sourire et les hommes le craignaient pour son visage toujours impassible. À la réflexion, il se dit qu’il avait probablement le même !
Un peu plus tard, il alla chercher son ceinturon et approcha de la falaise. Katel et Michelli étaient dans l’eau.
— Je vais faire un tour, leur cria-t-il.
— Eh, tu fais gaffe, renvoya Katel.
— Oui. “Planète inconnue, observation intensive,” je me souviens.
C’est en pénétrant sous l’ombre des arbres qu’il se souvint de l’odeur qu’ils dégageaient. Ça ressemblait un peu à celle des pins, acclimatés de Terre. Il s’enfonça droit devant lui. La végétation n’était pas dense au point de devoir faire des détours à chaque instant.
Entendant du bruit au-dessus de lui, il redressa la tête et aperçut des sortes d’écureuils de Jalna, en plus petits, qui sautaient de branches en branches en piaillant, comme s’ils le suivaient. Ça l’amusa puis le ramena à la réalité. Il se dit qu’il n’était pas suffisamment sur ses gardes et se concentra en observant le décor d’un œil plus… militaire.
Il marcha un bon moment sur un terrain ondulé dont les hauteurs dépassaient rarement vingt à trente mètres de dénivellation. À l’orée d’une plaine, il distingua fugitivement une tache, au loin et se concentra, diaphragmant son regard.
Et il se produisit un phénomène bizarre. Une image se dessina, dans son cerveau, celle d’un animal, mi-félin, mi-rongeur. Haut d’une cinquantaine de centimètres et devant peser dans les quinze kilos. Des pattes munies de griffes qui laissaient des traces dans le sol. Un peu un guépard terrien.
Inconsciemment, il voulut en savoir plus et fut envahi d’un sentiment d’un être en chasse, guettant une proie, plus petite, un herbivore, qui avançait sans se méfier. Il “assista” à l’attaque, brutale, en trois bonds très longs et à la mort de l’herbivore. Après quoi, le chasseur se mit à dévorer sa proie.
Quelque chose se révolta, instinctivement, en lui et il “vit” le fauve se redresser immédiatement, regarder autour de lui et s’enfuir, très vite. Ael mit un instant à comprendre que c’était lui, enfin son sens de télépathe, qui venait de provoquer cela…
Ainsi, désormais il pouvait aussi “émettre” ? Jusque-là, il avait “lu” dans l’esprit de Katel, le premier jour et s’était efforcé de ne plus jamais le refaire mais il n’avait jamais pensé qu’il pouvait envoyer des messages mentaux. Quoi que si… puisqu’il avait ainsi débloqué le cerveau de ses amis.
Il se rendit compte aussitôt qu’il avait eu tort de se mêler de la vie sur cette planète. Les hommes aussi mangeaient… Son cerveau tenta de renouer avec le fauve et le retrouva immédiatement. Il courait toujours.
Ael songea fortement à un sentiment de paix puis de faim et de tranquillité. Il essayait de faire comprendre au fauve qu’il pouvait revenir dévorer sa proie, devinant que pour communiquer avec un animal, il fallait utiliser des sentiments primaires, vitaux, comme la peur, la faim, la paix. Ça demanderait sûrement une période d’accoutumance.
En esprit, il “vit” le fauve s’arrêter. Ael redoubla ses efforts, émettant qu’il n’y avait aucun danger. Après quelques minutes, le fauve se retourna et commença à revenir sur ses pas, prudents, d’abord, puis au petit trot, ensuite.
Il en fut vraiment heureux et voulut le communiquer. Sans réfléchir à ce qu’il faisait, il songea fortement à Michelli et dit, mentalement :
— “Michelli, je viens de découvrir qu’on peut émettre des pensées, même à des animaux. J’ai envoyé un message à un petit fauve et il a obéit, c’est fantastique.”
Il allait faire demi-tour quand une pensée éclata dans son crâne, si forte qu’il en grimaça :
— “Dieu, tu m’as parlé, Cap ? C’était bien toi ?”
— “Vacherie ne pense pas si fort tu résonnes dans mon crâne !”
— “Mais je ne pense pas fort, je te jure.”
— “Alors baisse un peu la puissance de ton émission, je ne sais pas comment te dire ça, moi !”
— “Comme ça, c’est bon ?”
Le ton était nettement plus faible, comme si le colosse s’était trouvé en face de lui. Il eut une idée soudaine.
— “Michelli, demande à Katel si elle entend notre conversation ?”
Il attendit la réponse quelques instants.
— “Non, elle n’a rien reçu.”
— “Bon, je vais l’appeler, mais ne lui dit rien, surveille son visage seulement…”
— “Katel, tu me reçois ?”
— “Ael ? C’est toi ?” entendit-il dans son crâne.
Alors il pouvait “personnaliser” un appel, s’adresser à une seule personne ? Et seule cette personne “l’entendait.”
— “Katel, je viens de découvrir qu’on peut moduler nos émissions en fonction d’une seule personne. J’ai d’abord appelé Michelli et, apparemment, tu n’as rien entendu. Je vais faire un nouvel essai pour voir si on peut aussi communiquer à plusieurs. Ne préviens pas Michelli.”
Il songea fortement à ses deux amis, les visualisant, et dit, mentalement :
— “Est-ce que vous m’entendez tous les deux ?”
— “Oui !” fit la voix de Katel.
— “Comme tout à l’heure, Cap, aussi bien.”
— “Je rentre, j’ai des trucs à vous raconter.”
À son arrivée, ils avaient sorti le campement qui leur avait servi sur Amas I. Des jus de fruits étaient servis dans des gobelets réfrigérants. Il en sourit de plaisir tant il avait soif et s’assit.
Puis il commença à leur faire le récit détaillé de ce qui s’était produit.
— Alors c’est valable dans les deux sens ? fit Katel, songeuse… Tu sais, Ael, j’ai l’impression qu’on a encore un sacré travail à faire pour découvrir ce que nos cerveaux sont capables de réaliser.
— Oui, je pense aussi qu’on doit s’entraîner. Un peu comme on le fait physiquement.
— Il n’y a qu’une chose qui me perturbe, reprit la jeune femme. À quoi ça va nous servir ?
— Outre le fait de communiquer entre nous, je ne sais pas, répondit Ael, mais ce n’est pas une raison pour ne pas pousser l’expérience.
— Oui, là je suis d’accord, mais ça nous fait une belle jambe, d’être télépathes.
— T’es pas réaliste, Katel, intervint Michelli avec un petit sourire de contentement. Quand on va recommencer à faire du tramp. Si un gars veut nous filer une marchandise HS ou s’il prépare un coup fourré, on le saura immédiatement ! Et le coup de la cafèt’ ne risque pas de se reproduire parce qu’on l’aura senti venir, tu vois ? Quand on a été contrôlé, cette après-midi-là, avec le Cap, on était de bonne foi. On aurait pu savoir… et ben déjà qu’on nous attendait, hein ? Connaître les intentions des Miliciens, et puis que leurs prétentions étaient bidon. Et prendre un autre chemin. Tu me suis ?
Elle hocha la tête.
— Pour ça d’accord. Ce que je voulais dire, c’est qu’il est dommage de jouir de dons pareils et de ne pas pouvoir faire plus. Je ne sais pas, moi, en faire bénéficier les autres, par exemple… D’accord, ajouta-t-elle, je me rends compte que je parle comme une gamine.
— Non, fit Ael en réfléchissant. Tu poses le vrai problème, je crois. L’utilisation de ces dons… Il va falloir qu’on y réfléchisse, tous.
Puis, changeant de sujet, il reprit :
— Il faudrait qu’on détermine si notre puissance télépathe diminue ou non, selon la fatigue physique. On fera des tests après des séances d’entraînement poussés, des trucs comme ça.
Katel sourit.
— Je croyais que c’était moi la scientifique, ici ! Mais tu as établi un bon programme expérimental. C’est vrai qu’il faut faire le tour de nos possibilités, on ne les connaît pas. Et renforcer la puissance de nos émissions, si c’est possible.
Ils restèrent trois mois sur cette planète, ne changeant de campement que quatre fois. Mais ce fut la période la plus bouleversante de leur vie.
C’est Michelli qui fit la première découverte, un jour qu’ils faisaient, ensemble, un entraînement physique à l’endurance, peu de temps après leur arrivée. Le terrain était mauvais, des éboulis rocheux qu’il fallait sauter, quand ils n’étaient pas trop hauts.
Le Sarmaj venait de s’envoler pour franchir un gros rocher quand son pied s’y accrocha et il tomba de l’autre côté dans de la caillasse qui lui meurtrit les côtes. Il était furieux et quand ils reprirent leur course il sentit une douleur qui persistait. Il se retourna vers les rochers, hors de lui… et une explosion retentit !
Le rocher venait de voler en éclats ! Les autres stoppèrent net.
— Michelli, interrogea immédiatement Ael. Qu’est-ce que tu as fait ? Rappelle-toi tous les détails.
— Ben, rien… C’est cette saloperie de rocher. Je n’ai pas eu la place de rouler au sol, et maintenant j’ai mal au côté.
— Alors ?
— Quoi alors ? Je me suis arrêté. J’étais drôlement en rogne et j’ai regardé le rocher.
— Tu étais furieux ?
— Ouais.
— Tu avais envie de le détruire ?
— Je sais pas… non, je crois pas. C’est juste que j’en voulais à cette saloperie, quoi. C’était idiot, je sais !
— Et ta fureur l’a désintégré ! Ça, c’est fou, alors.
— On serait capable d’une forme de télékinésie ? fit Katel d’une voix lente.
— C’est quoi ? interrogea Michelli.
— Déplacer des objets à distance. À la limite, les détruire. D’après ce dont je me souviens, les cas de ce genre sont rarissimes et il s’agissait de faire bouger un petit objet de quelques centimètres seulement. Devant témoins, parfois, mais jamais en laboratoire, ce qui a justifié des accusations de trucages, évidemment, à juste raison, je crois. Le bombardement qu’on a subi a peut-être beaucoup plus fortement modifié nos neurones qu’on ne le pensait, vous savez, les gars ? Jamais entendu parler d’un type à la fois télépathe et pratiquant la télékinésie.
— On n’en est peut-être pas tous capable non plus, remarqua Ael. On a peut-être, chacun, des possibilités plus ou moins développées, dans certains domaines, selon la partie de notre crâne qui a été la plus exposée. Il faut tenir compte de l’originalité de la personnalité humaine.
— Dis donc, si j’avais su ça, les missiles, je te les aurais fait sauter vite fait, fit Michelli.
Katel et Ael se regardèrent. Était-ce possible ? Ils prenaient conscience de l’ignorance qu’ils avaient de leurs possibilités.
— Et on ne serait jamais venu ici, riposta la jeune femme. C’est comme si… il fallait qu’on passe par l’épreuve de la poursuite dans l’amas… comme si on nous guidait…
— Là, tu pousses peut-être ? sourit Ael. Il ne faut pas donner d’autre sens au mot hasard.
— Oui, peut-être.
Elle semblait troublée et Ael n’insista pas. Mais ils firent demi-tour ; Michelli avait besoin de se soigner. Il avait peut-être une côte abîmée.
Au campement, Ael lui serra le torse avec une toile découpée en bandes. Puis ils s’occupèrent vaguement jusqu’au dîner. Ael alla chercher son cristal translucide favori et joua avec, au soleil. Parfois, il le plaçait sur le sol et le regardait rêveusement. Il se sentait en paix. La guerre, la poursuite des missiles, tout devenait sans importance. Il était bien. Souvent, en fin de journée, il allait le chercher et jouait ainsi à faire danser les rayons de lumière. Jamais il n’avait pu reproduire deux fois un reflet avec les mêmes teintes.
Ils mangèrent silencieusement, vaguement préoccupés. C’est ensuite qu’ils entamèrent, spontanément une conversation.
— J’ai beau y réfléchir, dit Ael, je ne peux pas me contenter de l’explication de la fureur, pour le rocher.
— Ça me gène aussi, ajouta Katel. Comme si on passait à côté de quelque chose.
— Oui, c’est ce je ressens aussi, précisa Ael.
— Ben imaginez-vous combien j’étais en rogne, gronda Michelli.
— Sarmaj, refais-nous, lentement, le récit de ce qui s’est passé, depuis le moment où tu es tombé. Mais pas les faits, plutôt ce qui se passait en toi, souviens-toi.
Le Sarmaj parut se concentrer et s’efforça de jouer le jeu. Il était maladroit mais faisait des efforts pour répondre à la question, remis sur la voie par les observations de l’un ou de l’autre.
Quand il eut terminé, ils se turent longtemps. Puis Ael remarqua :
— Et si on avait tout faux ? Si ces dons existaient, bien entendu, mais étaient déclenchés, non par une circonstance extérieure mais par notre volonté ?
— C’est étrange, lâcha Katel d’une voix songeuse, j’étais en train de suivre plus ou moins le même raisonnement. Comme si chaque circonstance nous avait “forcés” à penser fortement, mais différemment.
— Attends, fit Ael… Oui, je suis sûr que c’est ça ! La concentration. À un moment donné, on atteint une concentration plus intense, après avoir éprouvé un sentiment fort, par exemple, et il se passe quelque chose.
— Oui, peut-être, approuva Katel, mais ça nous mène à quoi puisqu’il faut un élément extérieur pour la déclencher.
— Justement, tout est là, ajouta Ael en élevant le ton, cette fois. Il est question du corps humain, c’est-à-dire qu’il y a une unité, on peut certainement faire des parallèles. Souvenez-vous de votre arrivée dans l’armée. Vous n’étiez pas capable de grand-chose, avant de subir l’entraînement, mais vous étiez là parce que des tests avaient prouvé un potentiel, en vous, qu’il fallait mettre à jour, faire s’épanouir, puis accroître, enrichir. On nous a fait faire des exercices physiques de plus en plus durs, qui nous paraissaient au-dessus de nos possibilités, au début. En réalité, on nous apprenait à amplifier notre volonté et notre concentration pour mobiliser la totalité de nos forces afin d’exécuter un exercice, franchir un obstacle, sauter, etc. Nos instructeurs amélioraient nos dons.
— Où veux-tu en venir ? interrogea Katel.
— À ceci. On en est, maintenant, au stade où on a commencé l’entraînement physique, dans l’armée. On avait des possibilités, mais non exploitées. Il va falloir qu’on se mette tous au boulot. S’entraîner chaque jour à nous concentrer, puisqu’il s’agit de notre cerveau et pas de muscles. C’est la concentration le mot clé, je crois. Se concentrer sans savoir sur quoi cela débouchera. Apprendre à focaliser notre volonté. Ne me demandez pas comment on y réussira, c’est à chacun de nous, je crois, de trouver la méthode qui lui convient, en gardant en mémoire combien on en a bavé en camp de mise en forme… Et l’apprentissage au tir instinctif, souvenez-vous des cibles mouvantes qui se dressaient à un endroit ou un autre, exigeant qu’on soutienne notre attention pendant deux ou trois heures, si on voulait progresser. C’était de la concentration, déjà. Ça devrait nous servir de modèle.
Katel était silencieuse. Michelli finit par laisser tomber en se repoussant en arrière sur son siège :
— Je comprends ce que tu veux dire avec l’exemple du tir instinctif. Au bout d’une demi-heure, j’avais des résultats minables. Il m’a fallu longtemps pour apprendre à me contrôler pendant longtemps. Je ne quittais plus le champ de tir des yeux. Je vidais mon crâne pour ne penser à rien d’autre qu’à ce qui pouvait surgir à droite ou à gauche. C’est ce que j’ai appris à nos gars, ensuite, et ils tiraient bien, hein Cap ? C’est ça que tu suggères ?
— Oui, d’une certaine manière. Peux être est-ce la bonne méthode, pour toi. Il me semble qu’on devrait commencer chacun de notre côté, et dire aux autres régulièrement sur quoi on bute ou ce qu’on a réussi… On est tous les trois télépathes et Michelli réussit une sorte de télékinésie. Mais qui peut dire si c’est tout ce que nos neurones sont capables de faire, désormais ? Ils ont subi un traitement de cheval, qu’on est incapable de mesurer. Je suppose que ça les a profondément modifiés, ou dopés, je ne sais pas quel est le bon mot. À nous de découvrir de quoi ils sont capables, dans n’importe quel domaine. Il faut laisser aller notre imagination, notre instinct, surtout. Mais, d’abord apprendre à concentrer notre énergie mentale… oui, c’est le mot ça. Tout à l’heure, c’est une décharge d’énergie mentale qui a fait exploser le rocher… Katel, tu nous as dit tout ce que tu savais sur le cerveau ?
La jeune femme haussa les épaules.
— Mes connaissances sont si rudimentaires… Je sais que le cerveau a un énorme besoin de sang et d’oxygène, que les réseaux de communication qui relient nos cent milliards de neurones, environ, sont composés de fibres nerveuses, ce qui représente des milliards de connexions transmettant des informations en même temps. À la fois par impulsions électriques et par une substance chimique un neuro-transmetteur. Je sais aussi que nous perdons chaque jour des neurones et que de nouvelles connexions, ou de nouveaux réseaux, si vous voulez, se forment aussitôt. Et, comme les empreintes des doigts ou des yeux, il ne doit pas y avoir, dans le monde, deux cerveaux semblable, ou au fonctionnement identique. Car ils sont uniques par la construction de leurs réseaux, qui communiquent et comparent des informations, en permanence…
— Nos cerveaux sont tous différents ? réfléchit Ael, et travaillent différemment ? Ça expliquerait qu’on ne procède pas exactement de la même manière pour l’utiliser… et, dans notre cas, qu’un phénomène se déclenche d’une façon différente… de l’un à l’autre. J’ai noté aussi un détail dans ce que tu as dit, le besoin d’oxygène du cerveau. Cette planète a une atmosphère parfaitement pure, pas la moindre pollution. Je pense qu’il faut garder ça en mémoire : respirer à fond quand on se concentre pour envoyer un maximum d’oxygène dans notre cerveau.
Ils continuèrent longtemps à discuter, ce soir-là. Et, dès le lendemain, ils furent moins souvent ensemble. Katel avait besoin de marcher pour travailler sa concentration et Michelli de se donner, courir, sans relâche. Il avait une telle énergie qu’il disait que s’il ne la dépensait pas, d’abord, elle l’empêchait de réfléchir. Ael ne fit pas de commentaires mais, instinctivement, chacun à sa manière, oxygénait son cerveau !
Lui, au contraire, s’asseyait devant la mer, immobile, le regard au loin et, le buste bien droit, gonflait régulièrement et profondément ses poumons. Au début, il avait pensé que c’était pour mieux sentir l’odeur d’iode, qu’il adorait. Maintenant, il doutait. Peut-être son corps avait-il choisi d’instinct, lui aussi, cette méthode ?
Il se rendait compte qu’il progressait lentement, mais assez régulièrement. Désormais, il ne devait pas faire autant d’efforts pour se concentrer. Ça venait beaucoup plus vite. Un jour il s’assit dans l’autre sens pour faire face au décor, la forêt, les ondulations de terrain.
C’est ainsi que le second phénomène se produisit. Il regardait fixement, depuis un moment, le sommet d’une petite hauteur qu’il aimait particulièrement pour la couleur violette des minuscules buissons qui en recouvraient les flancs et le sommet, et il sentit monter en lui une tension.
Soudain le paysage changea, autour de lui. Il se retrouva au somment de la colline, toujours assis, mais dans les buissons !
Cette fois, il mit plusieurs minutes à s’en remettre et appela les autres :
— “Vous m’entendez, tous ? Il vient de se passer quelque chose. J’étais au camp, je travaillais ma concentration et je me suis retrouvé au sommet de la hauteur aux fleurs violettes, au nord.”
— “Bon Dieu, téléportation !” jura la voix de Katel, dans sa tête. “Tu as réussi une téléportation instantanée… Comment te sens-tu ?”
— “Bien, pas fatigué, si c’est ce que tu veux dire ?”
— “Eh, Cap, tu as grimpé cette foutue colline sans t’en rendre compte ?”
— “Non, je ne l’ai pas grimpée, Michelli, je me suis retrouvé au sommet !”
— “Comme ça, d’un seul coup ?”
— “Oui. Je regardais le sommet, en pleine concentration, et je m’y suis retrouvé.”
— “Dieu, il faut que j’essaie ça !”
— “Katel, poursuivit Ael, j’ai pensé à une chose, ce matin. Il faudrait qu’on essaie de voir si on peut fouiller un cerveau, en choisissant un domaine précis pour ne pas être indiscret. Et aussi chercher si la personne sondée s’en rend compte et peut dresser je ne sais quelle barrière ?”
— “Je n’osais pas t’en parler. Je ne trouvais pas de sujet impersonnel.”
— “J’en ai un qui ne nous gênera, ni les uns ni les autres. On en parlera ce soir… Ah ! À propos, ça n’a rien à voir, mais si vous vous éloignez, pour travailler, n’oubliez pas vos armes, vous avez vu qu’il y a des prédateurs, sur cette planète, et ce matin tu ne portais pas ton RCM, Katel.”
Ael redescendit la colline à pied, il craignait confusément un échec s’il tentait une nouvelle téléportation. À mi-chemin, il fut furieux contre sa lâcheté. Ou bien il était capable de reproduire le phénomène, ou il s’était agi d’un hasard et il faudrait tout reprendre à zéro.
Il s’immobilisa et commença à se concentrer, en fermant à demi les yeux. Il songea fortement à la plage, chassant toute autre idée de son crâne.
… Et il sentit de l’eau sur ses pieds… Une vaguelette venait de les recouvrir !
Pour lui, ce fut la première vraie victoire. Parce qu’elle n’était due qu’à sa volonté. Il avait reproduit, un phénomène, selon sa volonté. Il était sûr, maintenant, d’avoir progressé et que c’était la bonne voie qu’ils avaient choisie.
Le jour même, Katel eut envie de tenter l’expérience de la lecture du cerveau.
— D’accord, lui dit-il. Voilà mon sujet : on a fait des années de guerre et on en a des quantités de souvenirs. On se focalise là-dessus, exclusivement, ça n’a rien d’intime. Tu veux commencer, Katel ?
— Non, toi.
Ael hocha la tête et se concentra. Très facilement il eut l’impression d’être dans le cerveau de la jeune femme. Il “voyait” une attaque, Katel courait en tête d’un détachement quand l’un de ses hommes tomba. Elle ralentit et se baissa pour voir s’il était gravement touché. C’est à cet instant qu’un rayonnement de thermique lourd passa juste au-dessus d’elle ! Si elle n’avait pas été baissée, elle eut été touchée. Elle regarda autour. Son détachement avait été grillé…
Il allait continuer à explorer pour en savoir plus quand il ne rencontra plus que du noir. Le cerveau de la jeune femme était empli… d’espace, infini.
— Je ne lis plus rien, dit-il.
Katel avait un grand sourire.
— J’ai “senti” quand tu as commencé à fouiller. Je te jure que j’ai senti quelque chose que je suis incapable de définir. C’est vrai que j’étais attentive, concentrée. J’ai attendu deux secondes et j’ai pensé au noir de l’espace. Apparemment, ça a marché ! Est-ce que tu as eu quand même le temps de lire quelque chose ?
— Oui. J’ai vu le déroulement de cette attaque où tu as perdu ton détachement sur un coup de thermique lourd, alors que tu étais penchée pour examiner l’un de tes gars qui venait de tomber.
Elle fut ahurie.
— Tu as vu tout cela ?
— Oui, toute la scène, en détail.
— Mais j’ai fermé mon cerveau presque tout de suite !
— Alors il faut en conclure que ces “explorations” se font à une vitesse phénoménale. À toi, Michelli, sonde mon cerveau.
À peine quelques secondes plus tard, Michelli grondait :
— C’est pas bien, Cap, ce que tu as fait là ! Tu n’avais pas le droit de raconter ce bobard à tout le monde, c’est pas une blague, ça. Je me demandais pourquoi les gars se foutaient de moi… Tu m’as vraiment fait ça, Cap ?
— Quoi ? dit Ael, innocemment.
— J’ai jamais mis d’alcool dans mon bidon en partant en opération…
Ael se mit à rire.
— Mais je le sais bien, tu viens de lire en moi, c’était une blague. Je voulais voir ta tête. Tu obligeais tous les gars à boire à ton bidon, même s’ils n’en avaient pas envie !
— Eh, vous me racontez ? intervint Katel.
Michelli lâcha :
— C’était il y a quatre ou cinq ans. Je viens de découvrir qu’il avait raconté à tout le monde que je remplissais mon bidon d’alcool avant une opération, le salopard ! J’avais jamais su qui faisait courir ce bruit…
— Tu veux dire qu’Ael t’a… “parlé,” dans ton cerveau ?
— Non, je… je ne sais pas comment dire, j’ai tout de suite trouvé, lu ou découvert, je ne sais pas, ce souvenir-là, dans sa tête.
— Ael, ce n’était pas ce qui était prévu ! fit Katel.
— Oui, excusez-moi, je n’ai pas pu y résister. C’était une blague entre nous, je l’en accusais souvent et il se mettait en rogne. Mais je savais évidemment qu’il ne le faisait pas.
— Bon Dieu, Ael, est-ce que tu te rends compte que tu viens d’imprégner son cerveau, alors qu’il était censé fouiller le tien ? Tu lui as dicté ce qu’il devait chercher. Il l’a dit lui-même, il a “lu.” Ça veut dire qu’il ne s’agit pas de communication mais d’imprégnation…
— Tu veux dire…
— Je veux dire, martela Katel, qu’il a vraiment cru lire, par hasard, l’histoire que tu as logée dans son cerveau ! Tu ne l’as pas laissé “sonder” ton cerveau, librement, comme on l’avait dit, tu lui as laissé trouver ce qui te convenait, tu as renversé les rôles, surpassé l’expérience.
Ael se sentit rougir, comme un gosse.
— Je suis vraiment désolé… Michelli, c’était une blague idiote, je regrette sincèrement.
— Tu as jamais cru que je partais avec de l’alcool ?
— Jamais, je t’en fais le serment.
Michelli soupira.
— Dis donc, tes blagues elles me secouent.
— Mais vous êtes inconscients tous les deux, gueula soudain Katel. Il vient de se passer quelque chose de fantastique et vous parlez de vos petites histoires… Ael, tu viens de prouver qu’on pouvait imprégner un cerveau. Tu imagines ça, imprégner, c’est-à-dire influencer ?
Il la regarda, comprenant peu à peu la signification de ses paroles.
— Télépathie, télékinésie, téléportation, imprégnation… Où est-ce que ça va s’arrêter, Katel ? Ça commence à… enfin, je suis troublé. On est devenu des mutants, des monstres ou quoi ?
— Le contraire, fit-elle, souriante, apaisante. On est en train de devenir des êtres humains complets. Regarde, à aucun stade, nous ne sommes complets, aucun de nous. Si l’un de nous trois manquait, il y aurait un vide de connaissances, celles de l’autre. C’est notre union, à nous trois, qui nous renforce. On en est à un stade aussi important que lorsque le premier homme s’est redressé sur ses pattes de derrière ou a pris quelque chose avec ses doigts ! Il aurait pu se prendre pour un mutant. Il venait simplement de découvrir une possibilité de son corps. Tous les scientifiques savent que l’on n’utilise mal, ou incomplètement, tous les neurones de notre cerveau. Nous, on vient, par hasard, d’en découvrir l’usage, c’est tout. On est normal ! À l’époque de la préhistoire, sur Terre, des athlètes faisaient des compétitions pour savoir qui courait le plus vite. Les résultats, en un siècle, ont été prodigieux. Les derniers athlètes n’étaient pas des mutants, par rapport aux premiers qui ont fait les mêmes compétitions. Ils s’étaient seulement améliorés, ils utilisaient mieux leur corps, leurs muscles, avec une technique mise au point, c’est tout. La diététique, la chimie, aussi, les méthodes d’entraînement ont développé la puissance de leurs muscles. Mais les résultats étaient fantastiquement différents. Nous, nos neurones ont reçu un bombardement qui a eu probablement des résultats chimiques. Il n’y a pas de quoi en faire un plat. Ça devait arriver, un jour ou l’autre, à l’espèce humaine.
Il y eut un long silence qu’Ael rompit.
— Il faut continuer à développer notre concentration et tenter, chacun, de réussir ce que font les autres. Je crois que c’est cette concentration qui nous permet de découvrir de nouvelles possibilités… Je vous propose de faire une pause. On explore un peu plus sérieusement cette planète. Je vous rappelle aussi qu’on en est les découvreurs. Elle nous appartient. On est chez nous et je trouve que c’est vraiment pas mal.
Ils décollèrent le lendemain et entreprirent une reconnaissance systématique. C’est ainsi qu’ils découvrirent assez vite des fauves ressemblant au premier petit qu’Ael avait vu attaquer un herbivore, mais beaucoup plus grands et redoutables. Immenses, beaucoup plus que les tigres terriens.
Le climat était agréable. Hormis les pôles, glacés, la température oscillait entre 21-22° et 38° sur l’équateur. Il y avait aussi d’immenses troupeaux de gros herbivores, dont ils abattirent un spécimen, dans les plaines à l’herbe tantôt rase et dense, tantôt haute. Ils voulaient reconstituer les vivres fraîches, même s’il allait falloir cuisiner la viande qu’ils venaient de se procurer. C’est Michelli qui s’y collerait, par la suite, en la faisant cuire sur un feu. Il l’avait déjà fait, dans le passé. Beaucoup d’eau, aussi. Des rivières et de larges fleuves, en dehors du grand océan et des mers qui recelaient des quantités de poissons.
En réalité, cette planète n’était pas plus exceptionnelle que la plupart des planètes de pionniers mais elle était à eux et ils s’émerveillaient de tout. D’un autre côté, c’était vrai que la vie y était douce.
Quand ils établirent leur dernier camp, près d’une petite rivière, s’ils avaient continué à s’entraîner d’arrache-pied, ils n’avaient plus jamais reparlé de leurs dons et Ael aborda résolument le sujet.
— Ça fait quatre mois qu’on est ici. On a chassé, reconstitué nos provisions et il nous en restait encore beaucoup, mais il serait peut-être temps d’aller voir ce qu’on peut faire de nos cristaux. Et faire un ou deux chargements dans le Monde, pourquoi pas ? En tout cas signaler à l’Organisation Fédérale Galactique la localisation et la naissance de notre “Fédération des planètes je-ne-sais-quoi,” de la Constellation de l’Amas, avec ses trois habitants propriétaires. Il faudra trouver un nom à cette petite Fédération et ne pas en révéler les accès – on n’y est pas tout de suite obligé, je pense – si on veut éviter des visiteurs.
Les deux autres hochèrent la tête pour montrer leur approbation.
— Il faut bien qu’on parle aussi, avant de partir, de ce qu’on a appris, de nos dons. Je suggère qu’à partir de demain, chacun montre ce qu’il sait faire et en apprenne la technique aux autres qui s’y entraîneront. Est-ce que vous y voyez un inconvénient ?
— Au contraire, dit Katel, il vaut mieux qu’on connaisse ce que savent faire les autres, surtout si on le réussit moins bien. De façon à se compléter.
— Je vous apprendrai à faire péter plusieurs rochers en même temps, fit Michelli en souriant.
— Non ? Tu sais faire ça, fit Ael interloqué.
— Et pas seulement. À cogner contre un arbre jusqu’à le renverser. Si on se retrouvait devant les malfrats de M 75 II, on n’aurait même pas besoin de se frayer un passage. Je les repousserai devant nous en avançant.
Ael, songeur, finit par dire :
— Je crois qu’il faudrait mettre tout de suite quelque chose au point. Personne ne doit deviner nos dons. Personne ! Sinon, on va avoir de gros ennuis. Tôt ou tard, des types penseront aux planètes et à Amas I. Or, on n’est pas assez pour défendre notre bien. Qu’un bâtiment marchand d’exploration arrive et on se fait massacrer. Ce ne serait pas la première fois que les grandes Compagnies agiraient comme ça. Tout le monde le sait. Elles font disparaître les témoins. Et là, il n’y en a que trois… Pour les cristaux, il va falloir déclarer qu’on les a trouvés sur un gros astéroïde, entre M 75 II et l’amas, par exemple. Il y a juste assez de vérité pour ne pas se couper.
— Juste trois témoins, mais qui savent se bagarrer, dit Katel, et qui n’ont pas l’intention de se laisser faire. Néanmoins, tu as raison. Pour l’astéroïde aussi. Alors ? On se donne encore quelques jours pour s’apprendre nos trucs, les uns aux autres, et on part ?
— On pourrait chasser encore un peu pour emporter de la viande fraîche, cuisinée ; ça, il faudra s’y mettre, tous, des poissons, des fruits, des jus de fruits, dit Michelli. Ici, j’ai perdu le goût des plats préparés. Et il y a ce qu’il faut, à bord, pour cuisiner un peu et pas seulement se borner de faire un feu comme je l’ai fait. Mais je te préviens, Cap, je rapporterai de l’alcool du Monde !
— O.K., O.K., Sarmaj, dit Ael en souriant.
Michelli n’avait toujours pas oublié la blague qu’il lui avait révélée.