CHAPITRE II
L’écran frontal de vision extérieure était allumé mais ne montrait que les zébrures blanchâtres, habituelles en Temps Relatif. Katel, penchée depuis un moment sur l’écran-répétiteur de Détection qu’elle venait d’achever de monter sur la droite du tableau de bord, se releva en se massant les cotes, avec une grimace amusante qu’Ael remarqua.
Celui-ci était assis dans le fauteuil-Premier-pilote et tapait sur un clavier, situé sur sa droite, entre le petit ordi de navigation de la Barge et le grand Astronomique, le récupéré, que la fille avait installé la veille.
Elle avait eu l’astuce de relier les deux ordis, commandés maintenant par un seul clavier, et de destiner le plus petit essentiellement aux calculs. Depuis la veille, Ael travaillait sur les cartes astronomiques de cette région des Confins. Inlassablement, il se livrait à des estimations correspondant aux secteurs dont il appelait les cartes sur le grand écran. Il ne quittait son poste que pour aller prendre un repas avec les autres, dans le petit carré, sous le poste, près des cabines.
Katel examina une dernière fois le petit écran qu’elle venait d’achever de monter, après avoir installé l’ordi Directeur de vol récupéré, qui permettrait à Ael de programmer des évolutions et de connaître à chaque instant leur position.
— Voilà, ça doit marcher, dit-il. Je crois que jamais une Barge n’a été équipée d’un matériel aussi complet. Dès qu’on sera sorti du Temps Relatif, tu auras, à ton poste, ici, une image du grand écran de Détection que j’ai mis derrière, avec la Com. La définition est moins bonne, mais pour une vue générale ça doit coller. Et le Directeur de vol fonctionne parfaitement, je viens de le tester. Il est donc relié à l’ordi. Pour les ordis de navigation tu peux passer directement les informations et tes ordres de l’un à l’autre, tu n’es plus contraint de faire tes calculs uniquement sur le petit.
Ael leva la tête et parut faire un effort pour assimiler les paroles qu’elle venait de prononcer, tant il était concentré.
— Tu as fait un travail fantastique, Katel.
— C’est mon boulot, ça n’était pas vraiment difficile. Rien à côté de ce que vous avez réussi, Michelli et toi. Vous faites une sacrée équipe tous les deux. Si vous étiez aussi efficaces au combat, ça devait dégager.
— On avait un bon Groupe, oui, fit Ael en hochant la tête. Avec Michelli j’étais toujours sûr que tout serait prêt.
— Quelle Brigade ?
— 388ème, Premier Groupe.
Elle siffla légèrement entre ses dents.
— Premier Groupe d’une Brigade d’Assaut. Traditionnellement le meilleur ! Une drôle de référence. Pourquoi ils ne t’ont jamais nommé Major ?
— Refusé. Pas envie de quitter mes gars. Je les connaissais, je les formais, je savais ce que je pouvais attendre d’eux… Et, surtout, aucune ambition. Capitaine-Ancien me suffisait largement. J’avais ma Barge, mon matériel, je ne dépendais de personne, en opération ponctuelle. Au combat, avec la Brigade entière, si bien sûr.
— Vous avez combattu longtemps ensemble, Michelli et toi ?
— Neuf ans. Il a débarqué quand j’étais jeune chef de section et lui soldat. Il m’a plu tout de suite, j’ai vu ce qu’il valait et je l’ai fait nommer chef d’escouade dès que possible, puis sous-officier jusqu’à Sarge-Major, le sommet de la pyramide. On a été de toutes les grosses bagarres, sauf pendant ma blessure.
— Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
— Il ne t’a pas raconté ? Pourtant il adore. J’avais bêtement ôté mon casque, pendant une attaque. Un rayonnement direct de Thermique a fait exploser des rochers derrière lesquels on s’abritait. J’ai écopé au crâne. L’os de la calotte crânienne fracturé en deux endroits.
— Et alors ?
— Michelli m’a porté à l’arrière et, comme je vivais toujours, il m’a mis de force dans une barge d’évacuation : l’équipage n’a pas osé l’en empêcher tellement il était en rogne ! Sur le bâtiment-Porteur, on m’a ajusté une calotte en métal, sous la peau, juste là, au-dessus… C’est pour ça que j’ai gardé mes cheveux, mais tout le dessus de mon crâne est en métal ! Le cerveau n’avait pas été touché. Après dix jours j’ai retrouvé mon Groupe. C’est tout.
— Je comprends mieux pourquoi vous vous complétez aussi bien, vous êtes très liés, dit Katel en s’asseyant dans le fauteuil de droite. Tu sais, votre boulot, sur l’astéroïde, ça m’a bluffée.
C’était l’avant veille, deux heures après leur plongée en Temps Relatif ; l’écart avec les missiles était stabilisé. Ils étaient descendus au carré, en dessous du poste, à côté des cabines, et avaient réchauffé des plats préparés militaires. De ces plats dont on arrachait une languette pour déclencher le réchauffement.
Katel avait brusquement demandé :
— Je peux vous demander comment vous avez eu cette Barge ?
— Oh, c’est une longue histoire avait répondu Ael. Un enchaînement de circonstances, aussi.
— Mais c’est à M 92 que tout a commencé, en fait, dit le Sarmaj. Tu te souviens de la première conversation, Cap ?
— La Brigade était engagée depuis quatre jours contre votre 29ème Division et on avait dégusté. 40% de perte, commença à raconter Ael, après quelques instants. Il faisait salement froid sur ce monde, même avec les combinaisons lourdes. On attendait de nouveaux ordres et on s’était regroupés par petits groupes pour essayer, en vain, bien sûr, de se réchauffer les uns contre les autres. J’ai dit que ce qui me faisait le plus mal au cœur c’est que, dans une guerre, l’État est le grand gagnant. Quand un type est grillé, son compte financier, celui sur lequel est versée sa solde, revient à l’État. Et nous, on était en opération sans arrêt, on ne dépensait rien, forcément. Ma solde, je n’avais jamais eu l’occasion d’y toucher depuis au moins six ans…
— Ça m’a flanqué une rogne pas possible, intervint Michelli et j’ai dit qu’il fallait qu’on trouve le moyen de baiser l’État. Alors le Cap s’est marré et il a dit qu’on avait qu’à se léguer nos comptes entre nous. Dans ma tête, ça a fait tilt.
— Il faut te dire que Michelli est assez près de ses sous, sourit Ael. Je l’avais surnommé “Faut-pas-gâcher” !
— Ben, c’est vrai qu’il faut pas gâcher, hein, Katel ? dit le Sarmaj, après, on manque… Bon, enfin, ça m’a travaillé et quand on a ré-embarqué sur le Porteur, j’ai demandé au Cap de m’expliquer son histoire de legs. Il m’a dit qu’on avait le droit de passer un contrat mutuel pour laisser tout ce qu’on avait à quelqu’un, au dernier vivant, en somme. T’imagines ?
— Il a été pris d’une frénésie dingue, continua Ael. Je ne le voyais plus. Il passait son temps avec les gars des autres Groupes. Et puis il est venu m’expliquer son idée. De la 388ème où on avait débarqué, au début de la guerre, il ne restait que quatorze types seulement ! Trois Lieutenants-Anciens et des Sarges. Il est allé voir ceux-ci et leur a proposé de faire un legs aux derniers vivants, d’entre nous, après la guerre.
— Tu aurais vu la tête des gars quand je leur annonçais que leur fric irait à l’État s’ils étaient portés disparus ! rigola Michelli. Ils ont marché tout de suite. Mais c’est le Cap qui s’est occupé des officiers de toute la Brigade, sauf le Général ! C’est comme ça qu’on a passé un contrat officiel, sur le Porteur, en ouvrant un compte financier où serait versé ce qui appartenait aux gars grillés ! Mais le truc s’est répandu et des Sarges, plus jeunes, sont venus nous demander de faire partie du club ! Et on s’est retrouvé à 48 ! Seulement moi, ça m’avait excité cette histoire et je me suis demandé ce qu’on ferait, après la guerre.
— À chaque période de repos, ou presque, se souvint Ael, il venait me parler de ça. C’était vrai que je m’étais posé la question, moi aussi, depuis des années. Il y avait tant de pilotes, plus expérimentés que moi sur de grosses machines, qu’après la guerre, si j’étais toujours là, jamais je ne trouverais un poste dans une Compagnie de transport, avec mon brevet civil par équivalence. Je me disais que je deviendrai un crève-la-faim sur de petites planètes paumées. Aucun de nous, à la Brigade, avions une formation assez pointue, malgré la seconde qualif, obligatoire, pour trouver un boulot dans une grosse boite. C’est Michelli qui a eu l’idée.
— Ben, c’était normal, continua le grand Sarmaj. Le Cap avait donc un brevet de pilote civil, alors je me suis dit que si on avait un petit engin spatial, on pourrait faire du commerce dans les Confins. Seulement, comment acheter un engin spatial, hein ? Ça coûte une fortune ces trucs-là… On en rêvait tout le temps. Et puis deux ans ont passé et, d’un seul coup, on nous a annoncé que la paix venait d’être signée ! Personne s’y attendait, tu sais ? On nous a ramené à bord du Porteur et tout le monde était excité. On parlait de nous démobiliser là où on le voudrait, enfin toute sorte de bruits circulaient. Mais y en a un qui m’a frappé. Un mec parlait des surplus de guerre. Il disait que le matériel militaire était vendu aux enchères aux civils, après toutes les guerres, dans les grandes Base-dépôts. Je me suis renseigné et j’ai eu le nom d’une immense Base sur Altaïr IX, à la périphérie de la Constellation. J’en ai parlé au Cap en lui disant qu’il fallait qu’on demande à y être rapatriés, puisqu’on pouvait choisir…
Il y eut un silence comme si les deux hommes revoyaient leurs souvenirs. Puis Ael prit la suite :
— De ceux qui avaient signé le legs, on était les seuls survivants, Michelli et moi. Le hasard. Pas trop fiers de penser qu’on allait profiter de la mort des copains… Il a fallu du temps avant qu’on arrive sur Altaïr IX… Le contact avec la population civile nous a refroidis. Tous les gens se plaignaient de ce que la guerre leur avait fait subir, des privations, que les salaires étaient amputés d’énormes taxes pour l’effort de guerre. Entendre ça quand, nous, on avait vu les gars tomber à la bagarre… Enfin, ça nous a mis en rogne. Et Michelli a été repris de sa fièvre et a disparu de la circulation.
— J’avais appris qu’on trouvait des engins spatiaux militaires à vendre, pas cher, fit celui-ci, des surplus qui n’avaient plus leur utilité. Ils dataient d’avant guerre, ils avaient même souvent une trentaine d’années et il fallait les remettre en état. Alors, je me suis lié avec des Chefs. Il faut dire que chez nous, les sous-officiers forment une sorte de caste. On est coincé entre les hommes et les officiers et tous les ordres passent obligatoirement par nous. On est au courant de tout et on se serre les coudes. Le gars qui m’avait parlé des surplus, sur le Porteur, tu sais, il avait raison ! Chaque semaine, des lots de matériels étaient vendus aux enchères publiques. Alors, j’ai fouillé la Base. Elle était tellement grande qu’il m’a fallu trois jours. Seulement, je suis tombé sur une trentaine de BDLD, protégées sous film plasto, depuis dix-douze ans. Neuves !
— La série avait été fabriquée avant le début de la guerre, précisa Ael, pour les Brigades d’Assaut de l’époque. Mais ces BDLD ne correspondaient plus à l’utilisation qu’on en a faite. Elles étaient trop grosses, conçues pour transporter 600 gars avec tout leur matériel, les vivres, un armement lourd, au besoin, sur deux niveaux ; tu as vu combien la soute est haute de plafond ? Alors, que le Commandement a très vite voulu des Barges pour un Groupe seul, 300 types et leur matériel, pour donner plus de mobilité aux opérations ponctuelles, à une ou plusieurs Barges. Si bien que toutes ces BDLD n’ont même pas été affectées aux unités ! Celles de la Base étaient vraiment neuves. Carrément neuves, sans peinture de camouflage, rien ! Et là, Michelli s’est mis au travail, avec ses copains Sarges.
— J’ai dit aux gars qu’après neuf ans de bagarres, je trouvais écœurant que des civils s’en mettent plein les poches avec notre matériel. Tu parles s’ils m’ont suivi… Quand je leur ai dit que le Cap et moi, on voudrait acheter une BDLD, ils m’ont dit de pas m’inquiéter ils allaient nous en préparer une, avec une flopée de packs de pièces détachées et attendre le bon moment pour la mettre en vente. Ils connaissaient les acheteurs civils, bien sûr, et pouvaient mettre n’importe quoi dans un lot, des saloperies usées jusqu’à la corde ou du bon matos. Alors, ils ont prévenu les acheteurs de ne pas renchérir le jour où ils le leur diraient, et ils ont compris le message ! C’est comme ça qu’on s’est retrouvé propriétaire de cette BDLD au plus bas prix possible. Et d’un lot de 2 000 Plateaux de Transports, et quelques Mobs, dans la soute ! On pensait que sur les planètes de pionniers, ça partirait comme des petits pains. Mais il restait un sacré problème : aller sur place ! Là, c’est le Cap qui a eu l’idée de génie.
Ael sourit.
— Comme ça, dans un fauteuil, c’était facile, d’y penser… Je me suis souvenu d’un incident trois ans auparavant. On rentrait d’une opération à trois Barges, dans le secteur Bêta 23 où vous aviez fait une avancée, accompagnés d’un Patrouilleur de Reconnaissance. Le Patrouilleur avait l’ordre de chercher un gros astéroïde où déposer une balise automatique de Détection et on devait le protéger au sol. On a fini par en trouver un et on s’est mis en orbite pendant que lui se posait. Là, il y a eu un os, mauvaise manœuvre, inattention de l’officier de quart, ou je ne sais quoi. Toujours est-il qu’au sol, l’engin s’est mis à déraper et il est venu heurter une pointe rocheuse qui a transpercé la coque. Dépressurisation totale immédiate ! Chef du Premier Groupe, j’étais l’officier le plus ancien. J’ai décidé d’aller moi-même chercher nos morts. Le Patrouilleur n’était pas récupérable. Et on est repartis. Si je te raconte cela, c’est que les vieilles BDLD avait un sacré défaut : leurs Props. Sous-puissants. Elles pouvaient passer en Temps Relatif, mais l’accélération était si faible qu’il leur fallait un temps infini pour atteindre, puis dépasser, à peine, la vitesse d’entrée. Et ils la gardaient, en Temps Relatif, bien sûr : ils n’étaient pas équipés des condensateurs à effet Tunnel. Pour gagner les Confins par nos propres moyens, avec la BDLD d’origine, il nous aurait fallu près de deux ans ! La solution était de l’emmener sur un Transport commercial, ce qui nous a coûté le reste de nos Ters, puis de retourner vers l’épave du Patrouilleur et la cannibaliser ! Récupérer ses Props modernes, qui venaient de chez le même constructeur que les vieux de la BDLD, ses condensateurs à effet Tunnel avant et arrière, des plaques supplémentaires anti-G, pour avoir une grosse réserve de puissance, en atmosphère, et remonter le tout sur notre engin ! Relier les commandes, installer dans le poste celles des condensateurs et des plaques, etc. La deuxième qualification de Michelli, Technologie Générale, devait, théoriquement lui permettre de réussir. Mais seul et dans ces conditions…
— Ah ça, j’en ai bavé, lâcha celui-ci en hochant la tête. L’apesanteur de l’astéroïde permettait de travailler facilement et les collage-soudures étaient archi-solides dans le vide, d’accord, mais je devais démonter en prenant des notes. De mémoire, jamais je ne me serais souvenu des schémas. Pour les capotages moteurs il n’y avait pas de problème, on pouvait placer les Props à leurs emplacements d’origines. Ils prenaient beaucoup plus de place, c’est vrai, mais à l’extérieur de la BDLD. Il fallait souder de plus grandes plaques de protection, c’était tout. Quatre mois on est resté sur ce foutu astéroïde… Pendant ce temps, le Cap récupérait la Détection, le gros Ordi Général de Navigation Astronomique, qui contenait les cartes de tout l’univers, l’ordi Directeur astronomique de vol, les packs de pièces détachées les vivres et une quantité de matériels, écrans secondaires, câblages électronique, n’importe quoi. Et il prenait tout ce qu’il pouvait pour aménager les cabines et la vie à bord de notre BDLD. Il a pillé les cabines des Officiers ! Tout, depuis les sièges du poste de navigation, l’aménagement de son carré, les couchettes magnétiques pour nos cabines, deux blocs d’hygiène supplémentaires, jusqu’au conservateur de vivres et même des appareils de cuissons ; il y en a sur ces Patrouilleurs pour préparer des vivres fraîches qu’ils emportent ! C’est fou ce qu’il a ramassé. Tiens, même des armes, des Rupteurs de Cohésion Moléculaire, des RCM ! qu’on a planqué derrière une trappe, à tout hasard. Ah, le jour où on s’est installé dans le poste pour tout tester… La frousse, dis donc ! Mais les Props ont fonctionné et les condensateurs à effet Tunnel ont pris leur tension normalement !… Du coup, on a pris une de ces cuites… Après on a décollé, direction M 75 II, pour vendre directement aux pionniers le chargement de Plateaux militaires, dans la soute. Et là, sans voler les pauvres types, puisqu’on leur filait du bon matos, on a gagné un bon paquet de Ters, hein, Cap ?
— Oui… Il reste à savoir comment on va pouvoir les dépenser, maintenant…
Le rappel des Missiles, qui avaient plongé derrière eux, en Temps Relatif avait jeté un froid.
— Tu as une idée pour qu’on s’en tire ? demanda Katel après un silence.
Le regard d’Ael revint à l’écran du gros ordi de Navigation.
— On peut toujours replonger en Temps Relatif quand on émergera, ce soir. Les missiles ont calé leur plongée sur l’angle de la nôtre si bien qu’ils émergeront à peu près au même endroit que nous, toujours derrière. Ils n’ont pas de condensateurs à effet Tunnel si bien que leur vitesse, en Relatif, est très basse, mais ils s’alignent sur leur cible. Mais c’est un petit jeu qui a ses limites… L’idéal serait qu’on émerge à proximité d’un bâtiment de la Spatiale qu’on rejoindrait. Les missiles se mettraient aussitôt à sa poursuite, ses Props plus puissants les attirerait, et il lui suffirait de les détruire avec ses Thermiques lourds ! Enfin, j’ai bien une vague idée mais il faut que je travaille encore.
— Tu es crevé, tu devrais te reposer.
— Plus tard.
— Bon, je te laisse.
Elle se leva et Ael replongea dans ses calculs.
Deux heures plus tard, il arrivait dans le carré avec un sourire sur le visage. Michelli et Katel étaient en train de boire un gobelet de jus de fruits.
— Toi, t’as trouvé une solution, fit immédiatement Michelli.
— Peut-être bien… Qui aura la générosité de me donner à boire ?
Michelli devança Katel et posa un gobelet devant lui.
— À la sortie en espace, on va rester à la limite de la plongée pour empêcher les missiles de gagner du terrain et on va faire une grande courbe pour faire presque demi-tour.
— On retourne sur M 75 II ?
Michelli était stupéfait.
— Non. D’après les cartes, il y a l’un des plus grands amas d’astéroïdes de la galaxie dans l’ouest astronomique de M 75 II, de la taille d’une grande Constellation, loin mais joignable ! Tellement dense qu’il n’a jamais été exploré. On a juste répertorié ses abords jusqu’à une petite distance, à l’intérieur. Suffisamment, en tout cas, pour connaître les grands couloirs d’entrées. C’est là-dedans qu’on va coincer les missiles !
— Comment ça ?
— On émerge tout près de la limite de l’amas, on freine à mort et on entre dans un couloir. Les missiles vont nous suivre, bien sûr. Seulement, nous, on va foncer dans des passages étroits, sinueux. On a de bonnes chances qu’ils percutent, en nous suivant. Parce qu’on est beaucoup plus maniable qu’eux, vous suivez ?
Katel fit la moue :
— Dis donc, c’est drôlement tangent ton idée, non ? Nous aussi on peut percuter…
— Oui, c’est vrai, on peut percuter.
— T’as jamais vu piloter le Cap en approche d’une planète, lâcha Michelli avec un grand sourire. Les autres Barges nous suivaient pas ! On était toujours les premiers au sol. C’est comme ça que notre Premier Pilote a été décoré plusieurs fois… L’État-Major pensait que c’était lui qui tenait les commandes !
— Oui, mais tu imagines que là il faudra non seulement piloter à vue dans des couloirs forcément étroits, sans savoir ce qu’il y a, au bout d’une ligne droite, mais en étant obligé de foncer pour ne pas être rattrapés par les deux saloperies…
— Tu seras dans le poste, fit Ael, devant ta Détection dirigée tantôt sur l’avant, tantôt sur l’arrière, et tu me guideras.
— Moi ?
— Ne t’inquiète pas, je sais que tu t’en tireras.
— Bon Dieu, Ael, tu ne me connais pas. Tu ne sais pas ce que je vaux…
— Tu as une qualif qui correspond à ce boulot. Et tu as les nerfs solides.
— Ah ça, comment tu peux en être sûr ?
— Ta combinaison.
— Quoi, ma combinaison ?
— Elle est vieille, comme les nôtres. L’emplacement des campagnes et des décorations, que tu as enlevées, n’est pas de la même couleur que le reste du tissu. Apparemment, tu en avais un bon nombre. Tu ne les as pas reçues pour rien.
— Ben, j’en avais moins que vous, en tout cas. Vous aviez de vrais placards, d’après la teinte !
— Surtout des campagnes, mais la question n’est pas là, insista Ael, d’autant que tu es plus jeune que nous et que tu es arrivée en unité des années après nous. Si on te les a données, c’est que tu as fait tes preuves au combat. Donc tu as du sang froid.
Elle finit par acquiescer :
— Au combat, oui, mais pour mon boulot d’Électronicienne ?
— Tu es forcément compétente. Et tu l’as prouvé, ici, à bord. Tu refuses ?
— Non, bien sûr. Mais je vous mets en garde à propos de ma compétence.
— Dites donc, vous deux, vous avez des points communs, hein ? rigola Michelli. Vous pouvez pas vous empêcher de douter de vous-même. Ce serait trop simple de dire tout bêtement “on fait ça”… Je me suis déjà farci le Cap pendant neuf ans, si j’ai deux spécimens du même genre sur le dos, maintenant, je ne vais plus vivre, moi. Vous allez me contaminer !
Ael et Katel se regardèrent et sourirent.
— Pratiquement ? demanda-t-elle.
— Eh ben, voilà ! intervint Michelli, j’aime mieux ça. On entre dans le sujet sans bla-bla.
— Je dors jusqu’à 23h.30 pour récupérer un peu, fit Ael. On sort du Temps Relatif à 35. On s’installe dans le poste… Tiens, pendant que j’y pense : avec de quoi manger et boire, à tout hasard, on ne sait jamais. Et on entame notre demi-tour. J’ai déjà calculé le cap et le point d’émersion. Je vous préviens que ce sera assez impressionnant, mais il le faut si on veut garder une avance. Et on entre dans l’amas. À partir de là, on aura tous du boulot. Sarmaj, tu t’occuperas des Props. Par moment, je te demanderai sûrement de passer toute la puissance sur les tuyères latérales pour virer sec. Donc tout le monde sera attaché vraiment serré. Toi, Katel, tu commences par évaluer la distance et la vitesse des missiles, sur l’arrière, il se peut qu’ils soient proches et, dès que je te lance le top, tu passes la Détection dans l’axe de notre trajectoire pour me guider.
— Je croyais avoir vu des dingues, chez nous, fit-elle mais il faut croire qu’il y avait mieux chez vous ! M’étonne pas qu’on ait perdu la guerre.
Le visage d’Ael devint grave.
— Katel, ne répète jamais ça, s’il-te-plaît, dit-il d’une voix plus sèche. Nos armées se valaient, tu le sais très bien. Il n’y a pas de vainqueur, seulement des gouvernements qui ont décidé, un jour, d’arrêter la boucherie. Ça n’a rien à voir avec la valeur d’un camp ou de l’autre. En vérité, on est tous perdants, nous les anciens soldats, pas gagnants !
Elle le regarda, surprise.
— Tu le penses vraiment ?
— Katel, en neuf ans, la Brigade a été reformée, au moins six fois, après des combats contre vous. On a pris des branlées, on vous en a données, tout ça s’équilibre. À mes yeux, aujourd’hui, je ne fais même plus la différence entre vous et nous. Il n’y avait que de pauvres diables qui se faisaient griller, d’un côté comme de l’autre. Et, depuis que je te connais, j’en suis encore plus persuadé.
Elle les regarda longuement, l’un après l’autre, ébaucha le geste de répondre et finit par fermer la bouche. Seuls ses yeux envoyaient un message.
— O.K., va dormir, dit-elle enfin, je te réveillerai… Même si on ne s’en sort pas, je ne regretterai pas de faire le grand saut avec vous, les gars.
À trois minutes de l’émersion, ils étaient installés dans le poste. Katel avait même fixé à côté de chacun de quoi se restaurer, pour le cas où il y aurait des manœuvres qui enverraient tout balader.
— Moins deux, annonça Ael, calme. Katel tu localises tout de suite les deux petits copains, je veux savoir dans quel sens évoluer pour qu’ils ne gagnent pas de terrain dans le virage.
— Ensuite, la plongée sera longue, avant d’arriver à l’amas ? demanda Michelli.
— Selon le point d’immersion entre trois jours et demi et quatre. On fera une directe. J’ai calculé les différentes possibilités et je les ai enregistrées sur le Directeur de vol. Il n’y a jamais eu une Barge équipée comme celle-ci et sûrement peu d’engins civils de cette petite taille. On est pratiquement au niveau d’un gros Patrouilleur, vous vous rendez compte ?
— Les difficultés, maintenant, c’est quoi ? demanda Michelli.
— De rester à la limite de la vitesse de pénétration en Temps Relatif… 50 secondes…
Ils étaient tendus quand l’écran de visibilité extérieure noircit et que des étoiles apparurent. Ael avait posé les mains sur les commandes et donnait des indications au Sarmaj pour affiner la puissance des Props.
— Les voilà ! annonça Katel. Ils ne sont pas si près, finalement. On a une marge de manœuvre de… 1 minute 53 secondes, avant impact.
— Normal ils ont été lancés un moment après notre départ. Mais leur accélération initiale était beaucoup plus forte. Maintenant, ça s’est égalisé.
— Ael, tu peux venir au 212° est austral. Ils ne pourront rien gagner dans la courbe.
— Parfait, je manœuvre, tu me dis s’ils se rapprochent.
La Barge ne sembla pas bouger tant Ael modifiait légèrement les commandes.
— Ael, ils coupent la trajectoire ! intervint soudain la jeune femme.
— Vacherie, leur ordi anticipe. Bon, on va évoluer par le deuxième angle de plongée. Mais il faut que je sois plus brutal qu’eux pour qu’ils ne gagnent rien. Tenez-vous ! À cette vitesse, la Barge n’a plus de pesanteur.
Les étoiles parurent basculer, devant, pendant que la Barge effectuait une montée brutale.
— Michelli, toute la puissance sur la gauche et tu la laisses en fin d’évolution, je me recalerai pour entrer en Temps Relatif.
Le Sarmaj ne répondit mais le ronronnement des Props se changea en rugissement, dans l’engin, pendant quelques secondes, comme c’était toujours le cas quand un flot de protons était éjecté brusquement. La cellule transmettait tout.
— 1 minute 50, annonça Katel. On leur a repris un peu du terrain perdu.
Ael se pencha rapidement sur le Directeur de vol et enfonça une touche. Des coordonnées s’affichèrent sur l’écran, avec un diagramme de trajectoire dont une partie était en pointillés, la partie en Temps Relatif de leur route.
La Barge évolua encore sèchement.
— Plongée dans quatre secondes… trois… deux… un… Plongée !
L’écran redevint zébré.
— Je crois qu’on leur a repris encore quelques fractions de secondes, fit Katel. C’est important, Ael ?
— Pas tellement, mais ils viennent de révéler une faille : ils mettent un certain temps à réagir aux changements de cap brutaux. Dans l’amas, si on doit évoluer rapidement, ils risquent effectivement de percuter un astéroïde… Bon, on peut se détendre. Émersion dans… 85 heures, 58 minutes, 23 secondes, devant l’amas ! D’ici là, repos. Il faut emmagasiner des forces.
Ils passèrent ces trois jours et demi à dormir, à manger et à s’entraîner physiquement, dans la soute, vide maintenant, à part le Plateau qu’ils avaient conservé et deux Mobs. Ils se donnaient, physiquement, tellement à fond qu’ils replongeaient sans problème dans le sommeil.
Et quand ils furent réveillés, automatiquement, deux heures avant l’émersion, ils se préparèrent sans se presser, en bonne forme.
— Trois… deux… émersion ! lança Ael.
Quand le grand écran, s’alluma, au-dessus du tableau de bord, là où se trouvait le pare-brise des engins de la préhistoire spatiale, des millénaires plus tôt, aussi large que haut, débordant de chaque côté du poste, sur les parois, il faillit avoir un mouvement de recul. Ses mains étaient posées sur les commandes et il agit immédiatement, tout en commentant :
— On est très près, je renverse la Barge, Michelli la puissance max… Top !
La Barge avait fait un demi-tour sur elle-même et les Props crachaient, dans l’axe de la trajectoire désormais, freinant tellement l’engin que celui-ci vibrait légèrement.
— À part les deux vacheries, je n’ai rien à la Détection dans cette position, avertit Katel d’une voix tendue. Mais elles se rapprochent vite.
— Je vais nous remettre droit dès qu’on aura assez ralenti. Mais ça va être un peu acrobatique. Michelli, tu m’aideras à repérer une entrée dans l’amas, que j’ai le temps de nous y enfiler.
— Reçu, Cap.
Ael dut se forcer à attendre, les yeux rivés sur la fenêtre indiquant, en temps universel les heures, minutes, secondes et centièmes de secondes.
— Coupe, lança-t-il à Michelli en même temps qu’il ramenait la barge l’avant sur son axe.
Une véritable muraille d’astéroïdes !
— Freine par les tuyères en inversant la poussée, lança vivement Ael.
— À gauche, plus bas, répondit son compagnon dont les mains basculaient une rangée de contacts alors que ses yeux ne quittaient pas l’écran.
— Vu, fit Ael. Pas large mais on doit pouvoir entrer.
— Ils sont derrière, fit Katel… Ils se sont retournés pour freiner aussi, dites donc !
— Ça, je ne pensais pas qu’ils pouvaient le faire, murmura Ael. J’espérais un peu qu’ils allaient se balancer dans les astéroïdes.
La muraille basculait pendant qu’Ael brutalisait les commandes pour forcer la Barge à adopter l’angle de pénétration le plus perpendiculaire possible.
Brusquement, l’entrée fut là. Un immense couloir de plusieurs kilomètres de large, probablement.
— Freine toujours, Michelli. La Détection, qu’est-ce que ça donne sur l’avant ? Je voudrais un couloir latéral.
— Rien en vue, répondit Katel.
— Accélère, Michelli.
Les parois se mirent à défiler si vite que les astéroïdes, pourtant loin les uns des autres, semblaient soudés !
La puissance des Props avait un avantage secondaire. Au freinage normal, en faisant passer le flux de protons par les tuyères d’éjection situées à l’avant, l’effet était beaucoup plus sensible qu’avec les anciens Props, plus faibles. Certes c’était moins efficace qu’en retournant la Barge sur sa trajectoire, mais néanmoins appréciable.
— Les voilà, annonça Katel, ils viennent d’entrer dans le couloir. Ils ont énormément gagné avec notre freinage ils sont à 35 secondes.
— Garde-les en visuel, lança Ael. Il faut savoir s’ils gagnent encore sur nous.
Il sélectionna un cercle, sur l’écran de visibilité extérieure, devant ses yeux, et en augmenta le pouvoir grossissant au maximum de façon à voir le plus tôt possible les sinuosités du couloir. C’est ainsi qu’il aperçut le coude, sur la droite, montant à 30°.
— Freine ! hurla-t-il à Michelli.
Il manœuvra sec. La Barge vint frôler la paroi mais passa, de justesse. Il entendit Michelli lâcher l’air qu’il avait retenu dans ses poumons… C’était vraiment de l’acrobatie ! Il aurait fallu trouver un couloir plus petit et plus sinueux où les missiles auraient été obligés de ralentir sérieusement. Mais le grand passage semblait se poursuivre tellement loin, devant.
Et puis Katel passa la Détection sur l’avant, pendant quelques secondes :
— À gauche, Ael, loin, tu as une entrée qui parait beaucoup plus petite, mais elle est à 70°. Tu pourras la prendre ?
— Il le faudra bien. Préviens-moi quand on en sera à 30 secondes, je t’envoie notre vitesse en incrustation sur ton secondaire de gauche.
— O.K.
— Michelli, je vais tenter le coup de nous retourner, sois prêt à couper et remettre la puissance à fond.
— Reçu, Cap.
— Ils vont nous rattraper très vite, on va se retrouver tout près d’eux, fit remarquer Katel.
— Oui, je sais, se borna à répondre Ael. Mais il faut tenter quelque chose.
Il manœuvra les commandes, inclinant à fond le petit manche commandant les tuyères de direction.
— Coupe !
Le ronronnement cessa soudainement alors que les parois paraissaient virevolter sur l’écran.
— À fond !
Le vacarme des Props emplit le poste. Ael attendit huit secondes puis entama la manœuvre inverse pour orienter l’avant de la Barge vers sa trajectoire.
— Je vois l’entrée, dit-il, tendu. Remets la Détection sur l’arrière, Katel.
— Bon Dieu ! Ils sont là, tout près, gronda-t-elle. À peine huit secondes.
— Normal, ils n’ont pas freiné, ils ne connaissent pas nos intentions… On y va, puissance max, Michelli.
Ael l’utilisa sur les tuyères de manœuvre pour obliger la Barge à virer à gauche. Cette fois, il vit venir la paroi du passage droit sur eux ! Il coupa au plus serré, craignant un instant de toucher l’intérieur du virage…
Et ça passa !
Il enregistra, avec sa vision périphérique, la grande lueur qui venait d’illuminer le petit écran répétiteur, à côté de lui, suivit du hurlement de Katel.
— Explosion, derrière !
— Ils ont percuté ? demanda le Sarmaj.
— L’un des deux, en tout cas, fit Ael en accélérant à nouveau.
Cette fois le couloir ne devait pas mesurer plus de cent mètres de large et sinuait beaucoup, il devait manœuvrer constamment.
— Pourquoi tu as dit un seul ? interrogea Katel ?
— Ça, c’est le Cap, renvoya Michelli, un rire retenu dans la voix. Tant qu’il n’a pas contrôlé et recontrôlé, il n’y a pas de certitude, pour lui. Ça parait ultra-pessimiste mais c’est grâce à ça qu’on est encore là, tous les deux. Il faudra que tu t’habitues…
— Surveille constamment l’arrière, Katel, jeta Ael. Dès que je vois un autre embranchement, je l’emprunte. Il faut brouiller la détection de l’ordinateur de poursuite, s’il reste encore un engin.
Pendant un quart d’heure, ils continuèrent à filer aussi vite que la largeur du passage le leur permettait. Ael découvrit un embranchement en Y devant et décida de passer à gauche, au dernier moment ; le virage paraissait assez facile et ne nécessitait qu’un freinage léger.
Il allait l’emprunter quand le cri de Katel jaillit.
— Un missile, derrière, à 30 secondes. Bon Dieu ! Tu avais raison, Ael, si on avait ralenti, il nous collerait aux fesses… Un seul a percuté. Mais comment font-elles, ces saloperies ?
— L’accélération, répondit Ael d’une voix un peu lasse. Ce sont des missiles, pas des Barges, le rapport poids/puissance est bien meilleur que le nôtre, leur poussée est beaucoup plus puissante. Ils repartent beaucoup plus vite, après avoir freiné. Je pense aussi qu’ils ont une petite mémoire de manœuvre. Ils doivent enregistrer notre dernière position et nous retrouvent aussi par le dégagement de protons qu’on laisse derrière nous. Ce n’est pas comme je l’ai fait qu’on aura le dernier. Il faut être plus vicieux. Le battre à ses propres qualités, être plus rapide que lui… ou profiter de son accélération, peut-être.
— Plus rapide qu’un cerveau électronique ?
Il y avait un tel doute dans la voix de la fille que Michelli se retourna.
— Regarde-moi, Lieutenant… Si le Cap le dit, c’est qu’il peut le faire ! Mets-toi ça dans le crâne, fais-lui confiance. Tout le temps ! Moi, il m’a fait faire les coups les plus tordus que tu puisses imaginer, pendant la guerre. Mais on s’en est toujours tiré parce que je lui ai toujours fait confiance. Tu entends ? Toujours ! Même quand tout me disait qu’il se plantait, qu’on était foutu. J’ai obéi à la fraction de seconde. Si tu veux que l’équipe survive, fais comme moi. C’est lui le patron et tu obéis sans te poser de question… Tu le prends pas mal, hein ? Je voudrais pas te vexer, t’es une fille bien.
Il y eut un temps puis Katel tourna son visage de son côté avec un sourire un peu forcé, tordant légèrement ses lèvres.
— Non, Sarmaj, je ne le prends pas mal. Je suis trop contente que vous m’ayez acceptée… Et si on y laisse notre peau, “je partirai en bonne compagnie,” comme disent les héros dans les films holos !
— On n’y laissera pas notre peau, gronda Ael, la voix mauvaise. On a encore des tas de choses à faire de notre vie ; on ne va pas se laisser avoir par un petit missile de merde, dépassé techniquement… Je trouverai le moyen, l’endroit. Il faut patienter le temps qu’il faudra, mais il se présentera une occasion. Forcément. Tôt ou tard. Il faut seulement tenir pour la saisir au vol. Michelli, je n’ai pas besoin de toi dans ce passage – on ne va pas assez vite – tu peux nous donner quelque chose à boire ? Reconstituant, hein ? Je pense que ça va être une lutte au finish, le plus résistant gagnera. On va peut-être rester là, dans le poste, pendant un sacré bout de temps. Il faut garder nos forces et notre lucidité.
Un autre embranchement se présentait. On avait l’impression que le dédale se resserrait et que les passages étaient de plus en plus petits, de plus en plus sinueux. Ael ne pouvait pas se permettre une seconde d’inattention.
Régulièrement, Katel annonçait la distance qui les séparait du missile. Plus les passages devenaient étroits plus celui-ci se rapprochait !
Le temps passa…