CHAPITRE VII

LES TRÉSORS HEECHEE

Les planètes étaient belles, les images des étoiles aussi, mais tout le monde ne s’intéressait qu’à une seule chose : rafler de nouveaux échantillons de technologie heechee. Personne ne doutait qu’il y en eût d’autres… quelque part. Les astronefs le prouvaient. Les débris trouvés dans les tunnels de Vénus l’avaient déjà prouvé. Mais ils n’avaient fait qu’aiguiser l’appétit humain pour ce genre de merveilles.

Quatorze mois après le lancement officiel du programme d’exploration, une mission eut de la chance.

Son vaisseau était un Cinq, mais à cette époque, le système n’était pas encore rodé et seuls quatre volontaires partirent. Ils furent officiellement choisis par les quatre puissances terriennes qui avaient fondé l’Autorité de la Grande Porte (les Martiens ne s’y intéressèrent que plus tard). Il y eut donc un Américain, un Chinois, un Soviétique et un Brésilien. L’expérience du général Kaplan et de leurs prédécesseurs avait enseigné à ces prospecteurs que la traversée risquait d’être longue. Aussi emportèrent-ils assez de nourriture, d’eau et d’oxygène pour tenir le coup pendant six mois. Cette fois, ils ne voulaient pas prendre de risques.

À vrai dire, ils n’eurent pas besoin de toutes ces provisions. Leur Cinq les ramena quarante-huit jours plus tard, et ils ne revinrent pas les mains vides.

Leur destination se révéla être une orbite autour d’une planète ayant à peu près la taille de la Terre. Ils parvinrent à faire fonctionner l’atterrisseur et trois d’entre eux mirent le pied sur son sol.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des hommes marchèrent sur la surface d’un corps céleste qui ne faisait pas partie de l’entourage de leur Soleil.

Leurs premières impressions furent un tantinet décevantes. Ces représentants des quatre puissances comprirent vite que cette planète avait subi de rudes épreuves. Sa surface était toute racornie, comme sous l’effet d’une très forte chaleur, et certaines zones faisaient hurler leurs détecteurs de radiations. Ils surent donc qu’ils ne pouvaient lambiner. Mais, à moins de deux kilomètres de l’atterrisseur, au pied du versant aride de la montagne au sommet de laquelle ils s’étaient posés, ils découvrirent plusieurs formations rocheuses et métalliques qui semblaient artificielles. Ils les sondèrent et en prélevèrent trois éléments qu’ils pensaient valoir la peine de rapporter au pays. L’un était une tuile plate et mate sur laquelle on apercevait encore nettement un motif triangulaire. Le second objet, en céramique, était de la taille d’un cigare, strié de rainures… Un boulon ? Le troisième était un cylindre en chrome d’un mètre de long et percé de plusieurs trous. Un instrument de musique, peut-être ? Ou une pièce de machine… voire un tube Hilsch ?

En tout cas, il s’agissait d’artéfacts.

Lorsque les quatre prospecteurs montrèrent avec orgueil leurs trophées, ils déclenchèrent une immense effervescence sur la Grande Porte. Aucun de ces trois objets ne semblait a priori marquer un grand progrès technologique. Toutefois, le fait même qu’on les ait trouvés prouvait qu’il en existait d’autres… et certainement d’une valeur pratique beaucoup plus grande.

Alors, la ruée vers l’or interstellaire commença pour de bon.

Beaucoup de temps s’écoula avant qu’une autre mission eût autant de chance. Les statistiques sur les sorties de l’astéroïde de la Grande Porte révèlent que quatre sur cinq ne rapportaient rien d’autre que des clichés et des mesures relevées par instrument. Quinze pour cent des missions ne revinrent pas du tout. Et seul un vaisseau sur vingt rapportait des échantillons de technologie heechee, pour la plupart de menus objets sans intérêt. Ce qui n’était pas de la pacotille, en revanche, était d’une valeur inestimable.

Mais ces trésors étaient rares et éparpillés dans la galaxie. L’exploration de Vénus en témoignait : dans les centaines de kilomètres de tunnels heechee s’étendant sous sa surface, on n’avait trouvé qu’une douzaine de gadgets.

Certes, quelques-uns furent source de grand profit pour ceux qui apprirent à les reproduire. Le punching-ball anisocinétique était une merveille. Cognez-le à une extrémité et l’impact du coup rejaillira à l’autre. Plus merveilleux encore : les savants parvinrent à comprendre son principe de fonctionnement. Ses applications s’étendirent à tous les domaines du bâtiment, de l’industrie et même des réparations domestiques. Les perles de feu demeurèrent un mystère, ainsi que les éventails à prières.

Plus tard, bien sûr, les humains parvinrent jusqu’à la Grande Porte. Sa flotte d’astronefs représente la plus grande caverne d’Ali Baba de tous les temps. Mais l’astéroïde ne contenait que des vaisseaux vides, hormis leurs systèmes de navigation. L’astéroïde était presque chirurgicalement propre… comme si les Heechees avaient délibérément laissé ces vaisseaux, mais emporté tous leurs autres objets de valeur.

Pendant plus de vingt ans, les explorateurs de la Grande Porte partirent dans l’espace avec l’espoir de trouver du matériel heechee. Ils revinrent avec une foule de clichés et d’histoires, et toutes sortes d’êtres vivants et de minéraux. Mais fort peu d’artefacts heechee.

Voilà pourquoi tant de prospecteurs moururent dans la misère… ou moururent tout simplement.