Chapitre IX
Godith – si seulement il l’avait su ! - se regardait en ce moment dans le miroir d’Aline, que Constance tenait suffisamment loin d’elle pour qu’elle pût mieux se voir. Lavée et coiffée, vêtue d’une robe d’Aline en brocart marron rehaussé de fils d’or, ses boucles folles maintenues par un fin cercle d’or appartenant à Aline, elle se tournait à gauche et à droite, toute à sa joie de se retrouver femme ; son visage n’était plus celui d’une gamine, mais d’une jeune aristocrate grave et consciente de ses charmes. La douce lumière des bougies la rendait plus mystérieuse à ses propres yeux.
— S’il pouvait me voir ainsi ! dit-elle, pensive, oubliant qu’elle n’avait parlé que de frère Cadfael jusque-là et que même à Aline, elle ne pouvait rien révéler de Torold, excepté son nom ; sur elle-même, elle avait tout dit, elle lui devait bien cela.
— Ah ! Il y a un garçon ? demanda Aline, le regard brillant et complice. Il vous accompagnera ? Où que vous alliez ? Non, je ne dois pas vous questionner, ce ne serait pas juste. Mais pourquoi ne porteriez-vous pas cette robe pour lui ? Une fois partis, rien ne vous oblige à voyager vêtue en garçon.
— J’en doute, rétorqua Godith à regret. Pas là où nous allons.
— Alors, emportez-la. Vous pourrez la mettre dans votre grand paquet. J’en ai d’autres, et si vous partez sans rien, vous en aurez besoin quand vous serez en sécurité.
— Si vous saviez comme vous me tentez ! Vous êtes bonne ! Mais je ne puis accepter. Nous serons suffisamment chargés, au moins au début. Mais je vous remercie, et je n’oublierai jamais.
Par plaisir, aidée de Constance, elle avait essayé toutes les robes d’Aline et à chaque fois, elle se représentait le visage de Torold – qui ne s’attendait pas à cela – empreint d’une respectueuse stupeur. Et alors qu’elle ne savait ni où il était, ni ce qu’il faisait, elle passa un après-midi merveilleux, sûre d’elle et de lui. Il la verrait certes richement vêtue, portant d’autres belles robes, des bijoux. Ses cheveux, longs de nouveau, seraient tressés et maintenus aussi par un beau cercle d’or comme celui d’Aline. Puis elle se revit assise à côté de lui, partageant fraternellement les prunes dont ils jetaient les noyaux dans la Severn, et elle rit. A quoi bon faire jamais des manières avec Torold ?
Elle enlevait le cercle de ses cheveux, quand elles entendirent soudain frapper discrètement à la porte d’entrée, et pendant un moment, les femmes s’immobilisèrent, se regardant affolées.
— Compteraient-ils aussi fouiller cette maison ? murmura Godith, étonnée et choquée. Vous aurais-je mise en danger ?
— Non ! Quand ils sont venus, Adam m’a assuré qu’on ne me dérangerait pas ce matin, répondit Aline, en se levant énergiquement. Restez ici avec Constance et verrouillez la porte. J’y vais. Serait-ce frère Cadfael qui vient déjà vous chercher ?
— Non, sûrement pas, ils surveillent encore partout.
On avait frappé très respectueusement, mais Godith n’en resta pas moins immobile derrière la porte, écoutant, l’oreille aux aguets, les bouts de phrase qui lui parvenaient de l’extérieur. Aline avait fait entrer son visiteur, dont la voix grave exprimait l’ardeur et la courtoisie.
— Adam Courcelle ! souffla Constance, avec un sourire connaisseur. Il est si amoureux qu’il ne peut pas s’éloigner d’elle !
— Et elle, Aline ? murmura Godith, curieuse.
— Qui sait ? Elle, non, pas encore.
C’est cette même voix que Godith avait entendue ce matin, à la porte ; il s’adressait aux serviteurs laïcs et au portier sur un ton bien différent. Mais ces obligations ne sont agréables pour personne et peuvent même mettre de mauvaise humeur un homme avenant d’ordinaire. Celui qui s’intéressait à la tranquillité d’esprit d’Aline avec ce dévouement et cette considération était peut-être le vrai Adam Courcelle.
— J’espère que ce remue-ménage ne vous a pas trop dérangée, disait-il. Mais vous pouvez être tranquille, c’est fini maintenant.
— Nul ne m’a molestée, l’assura calmement Aline. Je n’ai pas à me plaindre, vous avez été plein d’attentions. Mais je suis désolée pour ceux dont on a pris les biens. S’est-il passé la même chose en ville ?
— Oui, reconnut-il à regret, et ça continuera demain, mais l’abbaye peut être tranquille maintenant. Nous avons fini.
— Vous l’avez trouvée ? La fille que vous aviez ordre de rechercher ?
— Non, on ne l’a pas trouvée.
— Que diriez-vous, demanda délibérément Aline, si je vous avouais que j’en suis heureuse ?
— Je dirais que je n’en attendais pas moins de vous et que je vous respecte pour cela. Je vous sais incapable de vouloir du mal à qui que ce soit, surtout à une jeune fille innocente. J’ai tant appris sur vous, Aline.
Il y eut un bref silence lourd et quand il répéta » Aline », sa voix était si basse que Godith ne put saisir ce qu’il disait. Elle n’y tenait pas d’ailleurs, tant il y avait d’intimité pressante dans son intonation. Mais au bout d’un moment, elle entendit Aline lui répondre avec douceur.
— Ne me demandez pas trop de compréhension ce soir, la journée a été harassante pour tant de gens. Je ne peux m’empêcher de me sentir aussi lasse que vous l’êtes certainement. Laissez moi dormir ce soir, nous reparlerons de tout cela demain, le moment sera mieux choisi.
— Certes ! dit-il, parlant de nouveau en soldat qui reprend le collier. Pardonnez-moi, ça n’était pas le moment. La plupart de mes hommes sont déjà dehors, je vais les rejoindre et vous laisser dormir. Il y aura encore des allées et venues de soldats et de charrettes pendant un quart d’heure environ, et après, tout sera calme.
Les voix s’éloignèrent vers la porte de devant que Godith entendit s’ouvrir, puis se refermer sur quelques phrases inaudibles. Le verrou claqua, puis au bout d’un moment, Aline frappa à la porte de la chambre.
— Vous pouvez ouvrir. Il est parti.
Elle se tenait dans l’encadrement de la porte, rougissante, les sourcils froncés, perplexe plutôt que mécontente.
— Il semble, commença-t-elle en souriant (et Adam Courcelle se serait réjoui de voir son sourire), que je ne lui aie pas porté tort en vous donnant asile. Il est soulagé, je crois, de ne pas vous avoir trouvée. Ils s’en vont. C’est fini. Il ne nous reste plus qu’à attendre la nuit... et frère Cadfael.
Dans la cabane de l’herbarium, Cadfael nourrit, rassura et soigna son patient. Torold, une fois qu’il eut une réponse satisfaisante à sa première question, s’allongea sans protester sur le lit de Godith et laissa Cadfael lui panser de nouveau l’épaule et la cuisse, même si la blessure se refermait bien.
— Si vous devez partir pour le pays de Galles cette nuit, dit-il, il vaut mieux ne prendre aucun risque, et cette plaie pourrait se rouvrir très facilement.
— Cette nuit ? dit Torold, tout heureux. Cette nuit, vraiment ? Elle et moi ? Tous les deux ?
— Certainement, et il est grand temps. Je commence à ne plus pouvoir supporter cette tension, déclara Cadfael, mais il avait l’air plutôt satisfait. Non que je sois fatigué de vous, mais tout de même, je me sentirai mieux quand vous aurez pris la route qui mène chez Owain Gwynedd. D’ailleurs, je vous remettrai un signe de reconnaissance pour le premier Gallois que vous rencontrerez. Même si vous avez déjà une lettre de recommandation de FitzAlan pour Owain, qui est un homme de parole.
— Une fois partis, promit Torold de tout coeur, je prendrai grand soin de Godith.
— Et elle de vous. Je veillerai à ce qu’elle ait un pot de cet onguent que j’ai utilisé pour vous soigner, et d’autres objets dont elle peut avoir besoin.
— Et dire qu’elle s’est occupée toute seule du bateau et de son chargement, murmura Torold, plein d’affection et de fierté. Combien de filles auraient su garder la tête froide et s’en tirer aussi bien ? Et cette jeune dame qui l’a accueillie ! Et qui vous a si bien tenu au courant ! Croyez-moi, frère Cadfael, il y a des femmes remarquables dans ce comté ! Mais comment allons-nous la sortir de là ? reprit-il après un silence méditatif. Il y a peut-être encore des gardes. De toute manière, ce ne serait pas très malin qu’on me voie sortir par le portail ; le portier n’ignore pas que je ne suis pas entré par là. Et le bateau est là-bas, pas ici.
— Taisez-vous un peu, protesta Cadfael, en finissant de le panser. Laissez-moi réfléchir. Et vous ? Votre journée ? Vous vous en êtes bien tiré, ce me semble, plutôt à votre avantage. Vous n’avez dû laisser aucune trace suspecte, car on n’a pas parlé du vieux moulin. Apparemment, vous les avez semés rapidement.
Torold lui raconta cette interminable journée, dangereuse et pourtant si ennuyeuse, où il n’avait cessé de marcher, de s’arrêter, de courir et de se cacher, de se hâter et de traîner.
— J’ai vu la compagnie qui a ratissé la berge et le moulin ; il y avait six fantassins et un officier à cheval. Mais je m’étais assuré de n’avoir rien laissé derrière moi. L’officier est d’abord entré, seul, et puis il a appelé ses hommes. Je l’ai revu ce soir, se rappela-t-il, soudain frappé par cette coïncidence, au moment où j’ai traversé le ruisseau à gué, quand je me suis caché dans le foin. Il patrouillait sur la rive d’en face, entre le fleuve et le bief. Je l’ai reconnu à sa façon de se tenir en selle, à son cheval aussi. J’ai traversé quand il me tournait le dos et quand il est revenu vers l’aval, il s’est arrêté et il a regardé l’endroit précis où j’étais caché. J’aurais juré qu’il m’avait découvert. On aurait dit qu’il me regardait droit dans les yeux. Et il souriait ! J’étais sûr qu’il m’avait découvert. Puis il s’est éloigné. En fin de compte, il n’a pas pu me voir.
— Vous l’avez reconnu à son cheval, demanda Cadfael, pensif, rangeant ses médicaments. Qu’avait-il de si remarquable ?
— La taille et la robe. C’est un grand cheval, maigre et solide, qui fait de longs pas ; il a une robe pommelée qui va de l’isabelle à un dos et une arrière-main presque noirs.
— Et l’homme ? Cadfael frotta son nez brun et camus, puis se gratta la tonsure.
— Il était jeune, à peine plus âgé que moi. Brun et mince. J’ai surtout vu ses vêtements et sa façon détendue de monter ce cheval qui a sûrement la bouche dure. Mais je l’ai aperçu ce soir. Il a un visage mince, aux arêtes nettes, avec des yeux et des sourcils noirs. Il sifflote, ajouta Torold, tout surpris de se rappeler ce détail. Très doucement.
Tiens donc ! Cadfael aussi s’en souvenait. Et du cheval aussi, qui était resté dans les écuries de l’abbaye, alors que son propriétaire en avait fait partir deux autres meilleurs de surcroît. Il avait dit qu’il voulait bien en sacrifier deux, pas tous les quatre, et pas les meilleurs. Cependant, il avait choisi et continuait à monter l’un des deux qui restaient, et l’autre était sûrement encore à sa disposition. Il avait donc menti. Le roi lui avait déjà donné un poste, et dans la fouille d’aujourd’hui, il était en service. Mais il le faisait avec discernement. Qui donc avait choisi pour lui ?
— Et vous craignez qu’il ne vous ait vu traverser ?
— Quand j’ai été bien caché, j’ai regardé, il s’est retourné vers moi. J’ai cru qu’il m’avait vu bouger du coin de l’oeil.
« Celui auquel je pense a des yeux à facettes », se dit Cadfael, » et ce qu’il ne voit pas n’est pas digne d’intérêt. »
— Il s’est arrêté, vous a regardé, et puis il est reparti ? se borna-t-il à dire.
— J’ai même cru qu’il levait la main de bride pour me saluer, admit Torold, souriant de sa propre crédulité. Mais à ce moment, j’imaginais sans cesse des choses, tant j’étais impatient de rejoindre Godith. Puis il m’a tourné le dos et il est reparti, toujours aussi calme. Non, croyez-moi, il ne m’a pas vu.
Très étonné, Cadfael se demanda ce que tout cela signifiait. Il commença à le deviner au moment où le crépuscule céda à la nuit. Il ne faisait pas complètement noir, le soleil s’était simplement couché, laissant derrière lui, à l’ouest, de légers rayons verdâtres ; il ne comprenait pas encore tout, mais c’était une confirmation prometteuse de ce qu’il entrevoyait peu à peu.
— Ce n’est pas possible, n’est-ce pas ? demanda Torold, craignant d’avoir mis en danger tous ceux qui approchaient Godith.
— Ne craignez rien, le rassura Cadfael. Tout va bien, mon petit, ne vous en faites pas. Je commence à y voir clair. Ah, il est l’heure de complies. Tirez donc le verrou derrière moi, allongez-vous sur le lit de Godith et dormez une heure ou deux. Vous en aurez besoin d’ici l’aube. Je reviendrai dès que l’office sera fini.
C’est ce qu’il fit, non sans avoir pris le temps de passer par les écuries. Comme il s’y attendait, ni le cheval pommelé, ni le goussaut aux reins larges n’étaient dans leur stalle. Une innocente visite à l’hôtellerie confirma que Hugh Beringar n’était pas non plus dans les salles réservées aux gentilshommes, ni ses gens d’armes dans celles réservées aux serviteurs. Le portier se souvenait que trois d’entre eux étaient sortis peu après le retour de Beringar, qui avait terminé son service de jour, et qu’il les avait tranquillement suivis, une heure après environ.
« Tiens ! Voyez-vous ça ! » se dit Cadfael. » Il a fait le pari que c’est pour ce soir et il est prêt à jouer quitte ou double. Eh bien, puisqu’il a l’audace et la finesse d’anticiper mes mouvements, voyons si je peux en faire autant ; moi aussi, je vais parier.
« Bon, commençons : Beringar savait depuis le début que le roi avait accepté ses services et que ses chevaux ne risquaient rien ; donc, il voulait les mettre ailleurs parce que cela l’arrangeait. Pourquoi voulait-il aussi que je conspire avec lui ? S’il en avait vraiment eu besoin, il aurait pu trouver un endroit lui-même. Non, il voulait que je sache exactement où étaient les chevaux, et que je puisse les prendre. Il savait que je devais faire sortir deux personnes de la ville pour qu’elles échappent au roi et que je sauterais sur une telle occasion. Les deux chevaux étaient un appât, pour que je mette le trésor au même endroit, prêt à être emporté. Ainsi, nul besoin de chercher les fugitifs, il n’avait qu’à s’asseoir et à attendre que je les amène à la grange dès que possible, ainsi il aurait tout sous la main pour faire d’une pierre deux coups.
« Il s’ensuit donc qu’il nous attend cette nuit, et cette fois, il aura ses hommes avec lui. »
Mais il y avait encore des détails gênants. Pourquoi Beringar avait-il fait semblant de ne pas voir où Torold se cachait ce soir ? Parce qu’il ne savait pas à ce moment-là où se cachait Godith et que si Torold restait libre, il le mènerait à elle ? Admettons. Mais en réfléchissant bien, Cadfael finit par se dire qu’il avait probablement aussi percé à jour le déguisement de Godith et qu’il savait très bien où trouver sa fiancée disparue. Il n’y avait pas moyen d’en sortir. Alors, s’il se doutait que Godric était Godith et qu’un homme de FitzAlan se cachait dans le vieux moulin, une fois sûr que Cadfael avait récupéré le trésor, il aurait très bien pu revenir en force et remettre les deux fuyards et le trésor au roi. Celui-ci en aurait été ravi et reconnaissant. S’il avait préféré agir discrètement, c’est qu’il avait autre chose en tête. Par exemple, de s’emparer de Godith et de Torold et de les livrer au roi contre récompense, mais l’or de FitzAlan ne retournerait pas à Shrewsbury, il le confierait à ses hommes ou mieux, il l’emmènerait lui-même, pour lui-même, dans son château. En ce cas, les chevaux ne serviraient pas seulement à duper le vieux moine, mais aussi à transporter secrètement le trésor directement à Maesbury, sans avoir à s’approcher de Shrewsbury.
Ceci, naturellement, laissait supposer que Beringar n’était pas l’assassin de Faintree. Car s’il l’était, il y aurait une différence importante dans son plan. Il veillerait à ce que Godith serve bien d’appât et que Torold Blund soit pris mort et non vif. Mort, et donc silencieux. Un second meurtre pour cacher le premier. Voilà tout.
Perspective peu réjouissante, songea Cadfael, que cette menace laissait en définitive assez froid. Car bien sûr, il y avait peut-être une autre interprétation, totalement différente. Pas peut-être, sûrement ! ou je ne m’appelle plus Cadfael, et on ne m’y reprendra plus à me frotter à un jeune homme intelligent !
Il retourna à l’herbarium, l’esprit en paix, prêt à passer une autre nuit blanche. Torold, bien réveillé, tira le verrou dès qu’il reconnut Cadfael.
— Est-il l’heure ? demanda-t-il. Y a-t-il moyen d’arriver à la maison à pied ?
Il serait sur des charbons ardents tant qu’il ne l’aurait pas vue et touchée, et qu’il ne se serait pas assuré qu’elle était libre et qu’il ne lui était rien arrivé.
— On peut toujours y arriver. Mais il fait encore trop clair et il y a encore trop de remue-ménage ; alors, asseyez-vous et reposez-vous tant que c’est possible ; vous aurez à porter quelque chose de lourd avant de retrouver les chevaux. Il faut que j’aille au dortoir avec les autres, et puis au lit ! Ne vous inquiétez pas, je vais revenir. Une fois dans nos cellules, ce n’est pas difficile de sortir. Je suis près de l’escalier de nuit ; le Prieur est à l’autre bout et il dort comme une souche. Auriez-vous aussi oublié la porte paroissiale de l’église, qui donne sur la Première Enceinte ? La seule porte hors les murs. C’est tout près de chez Dame Siward, et si on passe devant sa loge, croyez-vous que le portier remarque tous ceux qui sont dehors un peu tard ?
— Dans ce cas, Aline a très bien pu aller à l’office par cette porte, comme les autres laïcs, remarqua Torold, admiratif.
— Parfaitement ; mais alors, il lui aurait été impossible de me parler ; en outre, elle a préféré profiter de sa situation auprès de Courcelle et montrer aux Flamands qu’elle n’était pas n’importe qui ; elle est maligne. Oh, votre amie n’est pas mal non plus, jeune homme, et j’espère que vous serez bon pour elle, mais Godith commence tout juste à se rendre compte de sa valeur, de ce qu’elle peut faire, et croyez-moi, bientôt ce sera une autre Godith.
Torold sourit dans la pénombre tiède de la cabane, sûr, malgré son inquiétude, qu’il n’y avait qu’une seule Godith.
— Vous avez dit, rappela-t-il, que le portier ne ferait sûrement pas attention aux gens qui rentrent tard chez eux, mais un Bénédictin, à cette heure-ci, risque de lui paraître louche.
— Qui a parlé d’un Bénédictin traînant dehors à pareille heure ? C’est vous qui irez chercher Godith. La porte paroissiale n’est jamais fermée et la loge est si près que c’est rarement nécessaire. Je vous ferai sortir le moment venu. Allez à la dernière petite maison près du moulin, amenez Godith et le bateau depuis le vivier jusqu’à l’endroit où l’eau retourne au ruisseau, je vous attendrai là.
— La dernière maison des trois situées de notre côté, murmura Torold, rayonnant même dans le noir. Je la connais.
La chaleur de sa gratitude et de son bonheur illumina la cabane. L’odeur des herbes aromatiques lui montait à la tête ; ce serait donc lui et personne d’autre qui irait chercher Godith pour l’emmener, ce qui semblait tellement plus beau qu’un simple mariage de fuyards.
— Vous serez sur la rive, du côté de l’abbaye, quand on arrivera ? reprit-il.
— Oui, et ne partez pas sans moi ! Allongez vous donc pendant une heure et ne poussez pas le verrou, au cas où vous dormiriez profondément. Je reviendrai quand tout sera calme.
Le plan de Cadfael se révéla parfait. La journée avait été si rude que chacun fut heureux de tirer ses volets, d’éteindre les bougies, de se barricader pour la nuit et de s’endormir. Torold, bien réveillé, lui, attendait le retour de Cadfael. L’un suivant l’autre, dans l’univers calme des intervalles entre les offices, ils traversèrent les jardins, la petite cour entre les appartements de l’abbé, et pénétrèrent dans le cloître, puis dans l’église, par la porte sud. Ils n’échangèrent pas un mot avant de rentrer dans l’église, épaule contre épaule sous la grande tour, et ils poussèrent la porte ouest. Quand elle fut entrouverte, Cadfael tendit l’oreille. Regardant attentivement, il vit que les portes sombres de l’abbaye étaient fermées : seul le guichet tel un mince rayon de lumière dans la nuit, demeurait ouvert.
— Tout est calme. Allez, maintenant. Rendez-vous au ruisseau.
Le garçon se glissa par l’étroite ouverture et, s’éloignant de la porte, gagna le milieu de la route d’un pas léger comme s’il venait de l’un des sentiers près du champ de foire aux chevaux. Cadfael referma la porte, pouce par pouce. Sans se presser, il repartit comme il était venu, sous la lumière solitaire des étoiles, par le jardin et le champ. Prenant à droite, il descendit le long de la rive du ruisseau jusqu’à ce qu’il fût impossible de continuer. Puis il s’assit dans l’herbe, parmi les vesces du bord de l’eau, pour attendre. La nuit d’août était calme et tiède, avec juste assez de brise pour faire parfois frémir les buissons, soupirer les arbres et couvrir le bruit léger du pas d’hommes prudents et expérimentés. Mais on ne les suivrait sûrement pas cette nuit. A quoi bon ? Celui qui aurait pu les suivre était déjà à son poste, au bout de la route, à les attendre.
Constance ouvrit la porte ; l’apparition de ce jeune homme en habits civils, alors qu’elle attendait un moine, la fit sursauter et la réduisit au silence. Mais Godith était là, tendue, brûlant d’impatience ; poussant un bref cri inarticulé, presque inaudible, elle passa devant elle, se jeta dans les bras du garçon et se serra contre lui. Puis elle redevint Godric, mais pour lui, elle serait toujours Godith, qu’il n’avait encore jamais vue vêtue en femme. Elle se pressait contre lui, riant et pleurant, se pelotonnait, le grondait et le menaçait tout à la fois, touchait tendrement son épaule bandée, réclamait des explications sans le laisser parler... Puis, soudain silencieuse, elle leva vers lui un visage apaisé, attendant un baiser. Stupéfait, ravi, Torold l’embrassa.
— Vous devez être Torold, dit Aline depuis le fond de la pièce, si calmement qu’elle en savait certainement plus maintenant sur leurs relations que lui-même. Ferme la porte, Constance, tout va bien.
Elle le regarda des pieds à la tête, cherchant à deviner ses qualités, attitude dictée par sa propre expérience récente, et il lui plut.
— Je savais que frère Cadfael ferait signe, reprit-elle. Godith voulait repartir tout de suite, mais je m’y suis opposée. Il a dit qu’il viendrait. Je ne savais pas qu’il vous enverrait, vous. Mais le messager de Cadfael est le bienvenu.
— Elle vous a parlé de moi ? interrogea Torold, rougissant légèrement à cette idée.
— Seulement ce que j’avais besoin de savoir. Elle est la discrétion même ; moi aussi, déclara gravement Aline. Si frère Cadfael attend, reprit-elle, rougissant légèrement, elle aussi, les yeux brillants (mais c’était plutôt dû à l’excitation et au plaisir que lui causait son activité clandestine, regrettant à moitié de la voir se terminer si tôt), si frère Cadfael attend, il ne faut pas traîner. Plus vous aurez fait de chemin avant l’aube et mieux ce sera. Voici le paquet qu’a apporté Godith. Attendez ici, le temps que je vérifie si tout est calme dans le jardin.
Elle se glissa dans la nuit douce et s’immobilisa au bord du vivier, tendant l’oreille. Elle était sûre qu’il ne restait pas de gardes ; à quoi bon ? Ils avaient fouillé partout et pris tout ce qu’on leur avait demandé de prendre. Mais dans les maisons d’en face, quelqu’un pourrait être encore debout. Non pourtant, il n’y avait plus de lumière, il lui sembla même que les volets étaient tirés, malgré la tiédeur du soir, de crainte qu’un Flamand solitaire ne revînt se servir, prenant prétexte de ce qui s’était passé pendant la journée. Même les branches du saule pendaient immobiles, protégées de la brise légère qui agitait l’herbe, au bord de l’eau.
— Venez ! souffla-t-elle, entrouvrant la porte. Tout est calme. Suivez-moi bien, la pente est rude.
Elle avait même pensé à troquer sa robe claire contre une robe sombre, dans l’après-midi, pour mieux passer inaperçue. Torold tira le sac contenant le trésor de FitzAlan par la corde qui le maintenait fermé, et il repoussa fermement la tentative de Godith de vouloir le porter avec lui. Miracle ! elle ne protesta pas et, très calme, trotta devant lui jusqu’à l’endroit où se trouvait le bateau, au bout de sa courte amarre, à demi caché par les branches du saule pleureur. Aline se pencha juste au bord de l’eau et, le corps incliné, rapprocha la barque qu’elle maintint fermement, car il y avait une dénivellation de deux pieds entre eux et l’eau. Cette digne jeune fille, jusque-là cloîtrée, était tout heureuse d’apprendre aussi vite à prendre des décisions et à se rendre compte de tout ce dont elle était capable.
Godith se glissa dans le bateau et des deux bras, elle équilibra le sac de toile entre les bancs de nage. Le bateau, conçu pour deux personnes au plus, s’enfonça dans l’eau quand Torold fut lui aussi à bord, mais la frêle embarcation flottait bien et devait être solide ; elle les mènerait à bon port, comme elle l’avait déjà fait.
Godith se pencha et embrassa Aline qui était toujours à genoux dans l’herbe de la rive. Il était trop tard pour la remercier encore de vive voix, mais Torold baisa la petite main soignée qu’elle lui tendit, puis détacha le bout de l’amarre qu’il jeta à bord, et le bateau s’éloigna doucement de dessous la rive, pour s’abandonner aux tourbillons du courant, et regagner l’endroit du ruisseau où se formait le bassin. Le bief du moulin s’empara de leur esquif, lui imprimant une douce accélération, comme s’il les poussait ; Torold releva sa pagaie et laissa le flot silencieux les sortir du vivier. Quand Godith se retourna, elle ne put voir que la silhouette du saule et, derrière, la maison sans lumière.
Frère Cadfael surgit parmi les hautes herbes comme Torold manoeuvrait le bateau vers la rive de l’abbaye.
— Très bien ! dit-il à mi-voix. Pas de difficultés ? Vous n’avez vu personne ?
— Pas un chat. Maintenant, on vous suit.
Cadfael, pensif, balança le bateau d’une main.
— Faites passer Godith et le sac de l’autre côté, puis rejoignez-moi. J’aime autant traverser à pied sec.
Quand ils furent tous en sécurité, de l’autre côté du ruisseau, il tira le bateau et le mit sur l’herbe, et Godith s’empressa de l’aider à le cacher dans le bosquet le plus proche. Une fois à couvert, ils prirent le temps de souffler et de se concerter. Le calme de la nuit les entourait et cinq minutes bien employées ici, comme le dit Cadfael, pourraient leur épargner nombre de tracas après.
— On peut parler, mais doucement. Et puisque personne, du moins je l’espère, n’est supposé voir notre sac avant que vous ne soyez partis vers l’ouest, il me semble qu’on pourrait l’ouvrir et se partager la charge. Les sacs de cavalerie seront bien plus faciles à porter que ce gros paquet.
— Je peux en porter une paire, dit Godith, enthousiaste, près de lui.
— Oui, peut-être, sur une courte distance, rectifia gentiment Cadfael.
Il s’activait à démêler deux paires de sacs noués ensemble de la toile de jute qui les enveloppait. Ils étaient munis de courroies suffisamment larges pour qu’on les porte sur l’épaule et, primitivement, on en avait équilibré le poids pour des chevaux.
— J’avais d’abord pensé qu’on pourrait s’épargner un demi-mille environ, en utilisant le fleuve pendant la première partie du chemin, dit-il, mais nous sommes trois et avec cette coquille de noix, on coulerait sûrement. Et puis, on n’a pas si loin à aller avec ce chargement, un peu plus de trois milles peut-être.
Il équilibra au mieux deux des sacs sur son épaule et Torold prit les deux autres sur son bras valide.
— Je n’ai jamais transporté une telle fortune de toute ma vie, déclara Cadfael, se mettant en route, et je ne dois même pas savoir en quoi elle consiste.
— Ça me fait drôle, répliqua Torold, dans son dos. Elle a coûté la vie à Nick et je ne pourrai même pas le venger.
— Pensez donc à vous et à vos propres soucis, riposta Cadfael. Il sera vengé. Occupez-vous plutôt de l’avenir, et laissez-moi m’occuper de Nick.
La façon dont il conduisait son petit convoi différait de celle qu’il avait employée pour guider Beringar. Au lieu de traverser le ruisseau et de piquer droit sur la grange après Pulley, il prit nettement plus à l’ouest, de façon, quand ils seraient à hauteur de la grange, à s’en trouver à un bon mille plus à l’ouest, plus près du pays de Galles, et protégés par une forêt plus épaisse.
— Et si on nous suivait ? interrogea Godith.
— On ne nous suivra pas.
Il était si sûr de lui qu’elle accepta cette réponse, tout heureuse d’être rassurée, et cessa de poser des questions. Si Cadfael le disait, c’était vrai. Elle avait tenu à porter le sac de Torold sur environ un demi-mille, mais il le lui avait repris dès qu’elle avait commencé à avoir le souffle court et à trébucher. Devant eux, le ciel plus pâle apparaissait dans l’entrelacs des branches. Ils arrivèrent précautionneusement à l’orée d’un grand chemin forestier fait de bonne terre qui coupait le leur, obliquement. Plus loin, leur sentier continuait, un peu plus ouvert sur la nuit qu’auparavant.
— A présent, écoutez-moi bien, dit Cadfael, les arrêtant à couvert, car il vous faudra retrouver votre chemin sans moi jusqu’à ce point. Le chemin qu’on vient de croiser est une belle route droite construite par les Romains. Vers l’est, à notre gauche donc, on arriverait au pont d’Atcham, sur la Severn. Si vous prenez à droite, vers l’ouest, vous arriverez droit comme une flèche sur Pool et le pays de Galles ; et si vous rencontrez un obstacle, vous n’aurez qu’à prendre plus au sud pour trouver le gué à Montgomery. Une fois que vous y serez, vous pourrez pousser vos chevaux, même si ça monte parfois dur. On va traverser ici, il nous reste un demi-mille pour parvenir au gué du ruisseau. Alors, prenez bien vos repères.
Il était évident que le chemin était plus utilisé, les chevaux y passeraient sans grande difficulté. Le gué auquel ils parvinrent était large et calme.
— C’est là qu’on laisse nos sacs, dit Cadfael. Un arbre au milieu d’une forêt, c’est assez difficile à repérer, mais un arbre isolé près du seul gué qu’il y ait sur ce chemin, on ne peut pas le rater.
— Laisser nos sacs ? s’étonna Torold. Mais n’allons-nous pas directement prendre les chevaux ? Vous avez dit vous-même qu’on ne nous suivrait pas cette nuit.
— En effet. Mais ne perdons pas de temps, ayez confiance en moi et faites ce que je vous dis.
Quand on sait exactement où attendre et qu’on est sûr de la nuit, à quoi bon se fatiguer ? Il joignit le geste à la parole et laissant tomber son sac, chercha des yeux la cachette la meilleure et la plus sûre dans l’obscurité à laquelle il s’était maintenant habitué. Parmi les buissons les plus épais, près du gué, il y avait un vieil arbre rabougri, dont un côté était mort et dont les branches les plus basses plongeaient dans les fourrés. Cadfael y jeta ses sacs et sans mot dire, Torold en fit autant avec les siens, puis il recula pour s’assurer que seuls ceux qui les y avaient cachés pourraient les retrouver. Le feuillage dense les recouvrait entièrement.
— Très bien, approuva Cadfael, satisfait. A partir de maintenant, on va aller un peu vers l’est ; d’ailleurs le chemin sur lequel nous sommes rejoint celui, plus direct, que j’avais pris d’abord. Car il faut arriver à la grange par le bon chemin. Si un petit curieux s’apercevait qu’on s’est approchés du pays de Galles d’un mille, ça n’arrangerait pas nos affaires.
Les épaules légères, ils se rapprochèrent et le suivirent main dans la main, confiants comme des enfants. A présent que la possibilité de partir était plus proche que jamais, ils n’avaient plus rien à dire ; serrés l’un contre l’autre, ils pensaient que tout se passerait bien.
Leur sentier rejoignait le chemin direct qui n’était qu’à quelques minutes de marche de la petite clairière où se dressait la masse de la grange. Le ciel pâlissait parmi les arbres plus clairsemés. Une petite lumière brilla quelque part dans la maison, faible lueur qui apparut, furtive, entre les planches. Autour d’eux, la nuit silencieuse et calme étendait son manteau.
Frère Anselme leur ouvrit si vite qu’un voyageur venant de Shrewsbury avait dû passer raconter les malheurs de la ville et le tohu-bohu de la journée ; il avait dû ajouter que ceux qui craignaient le pire pourraient bien s’inquiéter et prendre la poudre d’escampette. Rassuré, le moine les attira en hâte à l’intérieur et tout en fermant la porte, regarda, curieux, les deux jeunes gens qui suivaient Cadfael.
— Je m’en doutais ! Je l’avais senti. Je pensais bien que ça serait pour ce soir. Ça se gâte sérieusement chez vous, à ce qu’on dit.
— En effet, reconnut Cadfael, avec un soupir. Je ne souhaite ça à personne. Et surtout pas à ces deux-là. Mes enfants, ces bons frères ont veillé sur votre précieux dépôt et vous l’ont soigneusement gardé. Anselme, voici la fille d’Adeney et l’écuyer de FitzAlan. Où est Louis ?
— Parti seller les chevaux, dit Anselme, dès qu’il vous a vus venir. On a eu dans l’idée toute la journée que vous voudriez accélérer le mouvement. J’ai préparé de la nourriture, au cas où vous viendriez. Ça n’est pas bon de voyager le ventre vide. Il y aussi une flasque de vin à l’intérieur. Voici la besace.
— Bien ! J’ai aussi apporté quelques objets, dit Cadfael, vidant également la sienne. Ce sont des médicaments, Godith sait s’en servir.
Godith et Torold écoutaient, admiratifs. Le garçon était presque muet de reconnaissance et de stupéfaction.
— Je vais aider à seller, proposa-t-il.
Il retira sa main de celle de Godith et se dirigea vers les écuries, parmi les herbes folles de la petite cour. Ces essarts forestiers, incultivables en ces temps troublés, retourneraient bientôt à la forêt. Les étés successifs feraient disparaître ces simples bâtiments de bois au sein de leur végétation luxuriante. D’ici trois à quatre ans, la Forêt Longue reprendrait tout sans laisser de traces.
— Frère Anselme, dit Godith, pleine d’admiration pour ce géant qu’elle regardait de la tête aux pieds, merci de tout coeur pour ce que vous avez fait pour nous deux. Même si c’est probablement pour frère Cadfael que vous nous avez tant aidés. Il m’a servi de maître pendant huit jours et je comprends tout ce qu’il représente. Si je pouvais, j’aimerais en faire autant et même plus pour lui. Je vous promets que nous n’oublierons jamais et que nous chérirons toujours le souvenir de vos bontés.
— Dieu me pardonne, mon enfant, répondit Anselme, charmé et amusé, vous parlez comme un livre saint. Mais quand une jeune femme est menacée, tout homme normal doit faire ce qu’il peut pour la protéger. Et son ami aussi.
Frère Louis sortit des écuries, menant le rouan que Beringar montait quand il avait amené ses chevaux ici, en pleine nuit. Torold suivait avec le noir. Leur robe brillait dans la faible lumière, ils avaient l’air parfaitement soignés, nourris et reposés.
— Et le sac, dit Anselme, d’un ton plein de sous-entendus. Le voici, en parfait état. Moi, j’en aurais plutôt fait deux, ce serait mieux pour les chevaux, mais je n’ai pas cru devoir l’ouvrir. Il est donc resté tel que tu me l’as remis. Moi, je le mettrais sur le cheval qui a le cavalier le plus léger, mais fais à ton idée.
Et ils s’en allèrent tous deux chercher le sac de toile que Cadfael avait apporté quelques nuits auparavant. Apparemment, il y avait des choses qu’on leur avait cachées, tout comme Torold et Godith en avaient accepté d’autres sans comprendre. Anselme sortit de la maison, portant le sac sur ses larges épaules, et le laissa tomber près des chevaux sellés.
— J’ai apporté des courroies pour les fixer à la selle.
Ils y avaient sérieusement réfléchi, ils avaient adapté des boucles aux cordes du sac et ils étaient en train de les fixer quand une lame trancha net les épissures qui tenaient le loquet de la porte, derrière eux.
— Restez où vous êtes ! ordonna une voix sèche, claire et décidée. Que personne ne bouge ! Tournez-vous tous, lentement, et gardez vos mains bien visibles ! Dans l’intérêt de la dame !
Comme dans un rêve, ils se tournèrent, obéissant à cette voix impérative, inquiets, les yeux ahuris. La porte de la palissade était largement ouverte, repoussée vers l’intérieur. Devant le portail se tenait Hugh Beringar, son épée à la main ; et derrière lui, deux archers brandissaient leur grand arc bandé. A en juger par leur oeil et leur main, ils savaient s’en servir et tous deux visaient Godith. La lumière était faible mais suffisante. Ceux qui y étaient habitués n’auraient aucun mal à tirer au but.
— Admirable ! dit Beringar, approbateur. Vous m’avez parfaitement compris. Maintenant, restez où vous êtes et ne bougez pas, pendant que le troisième de mes hommes ferme les portes derrière nous.