10

C’est seulement quand le dîner fut presque terminé à l’hôtellerie, que Matthieu, assis à côté de Melannguell, encore tout rouge et exalté par les merveilles de la matinée, revint soudain à des problèmes plus graves et commença à regarder autour de lui en fronçant les sourcils. Tant qu’il s’était occupé de dame Weaver et de ses jeunes parents, il avait partagé leur joie sans mélange et oublié le reste. Mais cela ne pouvait durer, malgré Rhunn, assis à ses côtés, encore sous le coup du miracle ; il prononçait à peine un mot et avait presque perdu le goût de boire et de manger. Il négligeait les attentions des deux femmes. Il avait été si loin qu’il lui fallait du temps pour revenir.

— Je n’ai pas vu Ciarann, chuchota doucement Matthieu à l’oreille de Melannguell, et il se souleva un peu sur son siège pour examiner la salle bondée. Et toi, l’as-tu aperçu dans l’église ?

Elle aussi avait oublié jusqu’alors, mais en voyant son visage, le souvenir la foudroya et son coeur se serra. Elle ne se démonta pas pourtant et, persuasive, posa la main sur le bras de son voisin pour le forcer à se rasseoir.

— Avec tout ce monde ? Oh ! il était sûrement là ! Il a dû se faufiler parmi les premiers, il est resté là, afin de se trouver une bonne place. On n’a pas vu tous ceux qui sont allés vers l’autel ; on est restés avec Rhunn, et il était loin derrière.

Oh ! ce mélange de vérités et de mensonges – mais elle s’arrangea pour que sa voix ne tremble pas et, troublée, s’efforça de garder l’espoir.

— Mais où est-il maintenant ? Je ne le vois pas ici non plus.

Mais les gens étaient si excités, se déplaçaient tellement de table en table pour s’entretenir entre amis qu’on pouvait très bien ne pas remarquer quelqu’un.

— Il faut que je le trouve, dit Matthieu pas encore vraiment inquiet, cherchant à se rassurer.

Comme il se levait, elle l’arrêta.

— Assieds-toi donc ! Il est quelque part, c’est forcé. Laisse-le tranquille, il se montrera quand il voudra. Il se repose peut-être sur son lit, car demain il doit repartir nu-pieds. Pourquoi le chercher maintenant ? Tu ne peux pas te passer de lui un seul jour ? Aujourd’hui surtout ?

Matthieu la dévisagea avec des yeux d’où toute joie et toute gaieté avait disparu et il libéra sa manche de son étreinte sans brutalité mais fermement.

— N’empêche, il faut que je le trouve. Reste ici avec Rhunn, je reviens. Tout ce que je veux, c’est le voir, pour être sûr...

Il s’éloignait, se faufilant tranquillement entre les tables pleines d’animation, et regardant attentivement autour de lui. Elle ne savait si elle allait le suivre, puis elle se ravisa : pendant qu’il cherchait le temps passerait doucement et Ciarann disparaîtrait dans le lointain. Peut-être finirait-il par oublier son ami, ce qu’elle souhaitait si fort. Elle demeura donc à la joyeuse tablée, avec un sentiment d’exclusion, et à chaque moment qui passait elle se demandait si elle devait s’inquiéter ou se rassurer. A la fin, l’attente lui pesa trop. Elle se leva sans bruit et sortit. Dame Alice était dans tous ses états, partagée entre le rire et les larmes, trônant toute fière près de son prodige et entourée de voisins aussi heureux et bavards qu’elle. Bien qu’il fût le centre d’intérêt du groupe, Rhunn gardait ses distances. Il restait sous le choc de ce qui venait de lui être révélé et s’efforçait de répondre de son mieux aux questions qui fusaient de toutes parts. On n’avait nul besoin de Melannguell, on se passerait très bien d’elle pour un moment.

Quand elle arriva dans la grande cour, où flambait la lumière de midi, c’était l’heure la plus calme, le repos d’après-dîner. A aucun moment de la journée la cour n’était totalement déserte, il y avait toujours des allées et venues, mais à cette période elles se raréfiaient. Presque craintivement Melannguell se dirigea vers le cloître, où, à part un unique copiste occupé à revoir son travail de la veille et frère Anselme qui, dans son atelier, préparait la musique de vêpres, elle ne trouva personne ; elle alla ensuite aux écuries même s’il n’y avait aucune raison d’y rencontrer Matthieu puisqu’il n’avait pas de cheval, ni aucune chance pour que son compagnon désirât ou pût en acheter un ; puis dans les jardins où deux novices taillaient les surgeons désordonnés d’une haie de buis ; elle passa même par la cour de la grange où l’on rangeait les provisions ; où quelques serviteurs laïcs en prenaient à leur aise et glosaient sur l’événement du matin, comme tout le monde ici à l’abbaye, et aussi, soyons juste, dans Shrewsbury et sur la Première Enceinte. Les jardins de l’abbé étaient vides, bien ordonnés, et les roses, parfaitement entretenues, resplendissaient. Par une porte ouverte de ses appartements, on apercevait quelques invités qui se déplaçaient avec componction.

Très inquiète, à présent, elle revint vers le jardin. Elle ne mentait pas très bien, par manque d’habitude, et même pour une bonne cause, elle en souffrait. Et, malgré tout le mouvement qu’il y avait ordinairement en ce lieu, pas trace de Matthieu. Mais il ne pouvait pas être parti, non, le portier s’avéra incapable de lui fournir aucun renseignement, Ciarann n’était pas passé par là ; elle non plus ne dirait rien, pas avant d’y être forcée, pas avant que Matthieu, qui avait le coeur tendre, n’eût accepté sa disparition et ne fût disposé à l’écouter avec bonne volonté.

Elle revint sur ses pas, en contournant la haie de buis. Comme elle progressait hors du champ de vision des novices, elle tomba nez à nez avec Matthieu.

Ils avancèrent l’un vers l’autre, entre les haies bien fournies, dans un terrible tête-à-tête. Se sentant coupable, elle s’écarta un instant de lui, car il semblait plus distant, plus étranger que jamais ; il l’avait pourtant reconnue, lui accordant avec un sourire forcé le droit de le chercher, mais presque au même moment d’un regard il lui montra que sa présence était déplacée.

— Il est parti ! dit-il d’une voix rauque, glaciale, regardant au loin, comme si elle n’était pas là. Dieu te garde, Melannguell, il va falloir que tu te débrouilles seule, je suis désolé. Il est parti – il a filé pendant que j’avais le dos tourné. Je l’ai cherché partout, aucune trace. Le portier ne l’a pas vu sortir, je le lui ai demandé. Mais il est parti ! Seul ! Il faut que j’y aille. Dieu te garde, petite, pour moi ça n’est plus possible, et porte-toi bien !

Il s’en allait ainsi, presque sans un mot, avec ce visage si froid, si sauvage ! Il avait tourné les talons et commençait à s’éloigner à la hâte quand elle s’élança derrière lui, l’attrapa à deux mains par les bras et l’obligea à s’arrêter.

— Non, non, pourquoi ? En quoi a-t-il besoin de toi ? Lui es-tu plus nécessaire qu’à moi ? Il est parti ? Eh bien, tant mieux ! Penses-tu que ta vie lui appartienne ? Il n’en veut pas ! Il veut que tu sois libre, il veut que tu vives ta vie, au lieu de mourir avec lui. Il sait, il sait que tu m’aimes ! Tu oserais dire le contraire ? Il sait que je t’aime. Il veut que tu sois heureux ! N’est-ce pas normal de la part d’un ami ? De quel droit refuserais-tu d’obéir à son dernier souhait ?

Elle comprit alors qu’elle en avait trop dit, mais elle ignorait à quel point c’était une erreur fatale. Il s’était complètement tourné vers elle, s’immobilisant sur place, et son visage avait l’immobile froideur du marbre. Il dégagea sa manche, sans aucune douceur cette fois.

— Ah il veut ! lançait-il d’une voix sifflante qu’elle ne lui avait jamais entendue, ouvrant à peine la bouche. Tu lui as parlé ! Tu prends sa défense ! Tu savais ! Tu savais qu’il comptait partir, et me laisser derrière comme un imbécile, damné, manquant à ma parole. Tu savais ! Quand ? Quand lui as-tu parlé ?

Il la tenait par les poignets et la secouait brutalement. Elle poussa un cri, tombant à genoux.

— Tu savais qu’il comptait partir ? insista Matthieu, penché vers elle, la voix glaciale malgré sa fureur.

— Oui.

— Oui ! Il me l’a dit ce matin... Il le souhaitait...

— Il le souhaitait ! Et qu’est-ce qui le lui permettait ? Comment a-t-il eu ce courage, alors qu’on lui avait volé la bague de l’évêque ? Il n’osait pas mettre un pied dehors, il mourait de peur à l’idée de quitter l’abbaye...

— Il a la bague, s’écria-t-elle, n’essayant plus de mentir. Le seigneur abbé la lui a rendue ce matin, inutile de t’inquiéter pour lui, il a son sauf-conduit... Il n’a pas besoin de toi !

Toujours penché sur elle, Matthieu observait un silence de mort.

— Quoi ? Il a la bague ? Tu le savais et tu ne m’en as rien dit ! Si tu en sais si long, tu n’as peut-être pas tout dit. Vide ton sac ! Où est-il ?

— Parti, murmura-t-elle, tremblante. Il ne te voulait que du bien... Il nous voulait du bien à tous deux... Oh ! laisse-le, laisse-le partir, il te rend ta liberté !

Quelque chose, un rire sans doute, convulsa le visage de Matthieu, elle l’entendit et un long frisson lui traversa le corps. Elle n’avait jamais entendu un tel rire, il lui glaça le sang.

— Il me rend ma liberté ? Et il faut que tu lui serves de complice ? Ô mon Dieu ! Il n’est pas passé par le portail. Si tu sais tout, alors dis-moi tout – comment est-il parti ?

— Il t’aimait, balbutia-t-elle, fondant en larmes, il voulait que tu vives, que tu l’oublies et sois heureux...

— Comment est-il parti ? répéta Matthieu, le souffle si court qu’on aurait dit qu’il allait s’étrangler en parlant.

— Par le ruisseau, murmura-t-elle, d’une voix à peine audible, par le plus court chemin pour le pays de Galles. Il paraît... qu’il a de la famille là-bas...

Il respira péniblement et ouvrit les mains, la laissant tomber face contre terre quand il lâcha ses poignets. Puis il lui tourna le dos et s’éloigna à grands pas, oubliant tout ce qu’ils avaient partagé, ne pensant plus qu’à ce qui l’obsédait. Elle ne comprenait pas, incapable qu’elle était d’assimiler aussi vite ce qui venait d’arriver, mais elle sut que celui qu’elle aimait la quittait pour accomplir Dieu sait quel devoir qui ne la concernait en rien. Elle bondit sur ses pieds et courut derrière lui, l’entoura de ses bras, leva un visage suppliant vers ces yeux morts, hagards.

— Laisse-le partir ! l’implora-t-elle passionnément. Je t’en prie ! Il veut partir seul, nous délivrer de lui...

Presque silencieux au-dessus d’elle retentit ce rire terrible, si différent de celui qu’il avait eu, si joli, quand il suivait le reliquaire avec elle. On aurait dit qu’un sirop épais, brûlant, étouffant, lui obstruait la gorge. Il lutta pour se dégager et, quand de nouveau elle tomba à genoux s’accrochant désespérément à lui de tout son poids, il leva brutalement sa main droite et la frappa violemment au visage avec un sanglot, puis s’arrachant à elle par la force, il s’enfuit, la laissant couchée sur le sol, face contre terre.

 

Dans les appartements de l’abbé, Radulphe et ses invités restèrent longtemps à table, car les sujets de conversation ne manquaient pas. Le premier, ce fut naturellement celui dont tout le monde parlait.

— Nous avons bénéficié ce matin d’une faveur insigne, déclara l’abbé. Ce n’est pas la première manifestation de la grâce à laquelle nous assistons, mais jamais elle ne s’est montrée d’une façon aussi évidente, ni en présence de tant de témoins. Quel est votre sentiment ? Je commence à manquer de fraîcheur d’esprit devant les miracles dont certains d’ailleurs promettent plus qu’ils ne tiennent. Je sais que les hommes ne sont pas toujours honnêtes et qu’ils ne le font pas toujours exprès. Celui qui trompe les autres est parfois trompé lui-même. Si les saints ont un pouvoir, c’est aussi vrai pour les démons. Cependant ce garçon me paraît franc comme l’or. J’ai peine à croire qu’il nous abuse ou s’abuse lui-même.

— On m’a cité le cas d’infirmes qui avaient jeté leurs béquilles aux orties pour marcher seuls, dit Hugh, et qui ont dû les reprendre quand leur ferveur s’est dissipée. Avec le temps on verra si lui devra s’en resservir.

— Je lui parlerai plus tard, répondit l’abbé, quand les esprits seront un peu calmés. J’ai su par frère Edmond que frère Cadfael s’est occupé de ce jeune homme pendant les trois jours qu’il a passés parmi nous. Il est possible que ses soins aient amélioré son état, mais de là à opérer une guérison aussi soudaine !... Non, je crois vraiment, je l’avoue, que notre maison a eu la chance d’être le théâtre de la grâce divine. Je m’entretiendrai également avec Cadfael qui doit en savoir plus que nous sur ce petit.

Olivier était assis avec déférence en présence d’un homme d’Église aussi respectable que l’abbé, mais Hugh remarqua qu’il souleva l’arc de ses paupières et que son regard s’éclaira quand on mentionna Cadfael. Il n’ignorait donc pas le nom de celui qu’il cherchait et ce n’était pas seulement une rencontre dans le feu de l’action qui rapprochait curieusement deux êtres aussi dissemblables.

— Je serais maintenant heureux d’entendre les nouvelles que vous nous apportez du Sud, dit Radulphe. Vous êtes-vous rendu à Westminster avec la cour de l’impératrice ? Je me suis laissé dire qu’elle s’y était installée.

Olivier donna volontiers un compte rendu sur l’état des affaires dans la capitale et répondit aux questions sans rechigner.

— Mon seigneur est resté à Oxford, ajouta-t-il. C’est à sa demande que j’ai entrepris cette mission, je suis parti de Winchester. Mais oui, l’impératrice est bien au palais et les plans pour son couronnement avancent, très lentement, il faut reconnaître. La cité est très consciente de son pouvoir et entend qu’on le lui reconnaisse, c’est du moins mon opinion.

Il n’irait pas plus loin et n’avouerait jamais ses inquiétudes concernant la sagesse de la souveraine de son seigneur, ou son imprudence, mais il eut une moue dubitative et fronça brièvement les sourcils.

— Vous étiez au concile, père, vous êtes au courant de tout ce qui s’est passé. Mon seigneur a perdu là-bas un bon chevalier ; c’était un de mes amis, il a été tué dans la rue.

— Rainald Bossard, dit l’abbé, le visage tendu, je n’ai pas oublié.

— J’ai eu un entretien avec le seigneur shérif dont j’aimerais vous donner la teneur. Car j’ai une autre mission à remplir, en plus du travail dont on m’a chargé pour l’impératrice ; il s’agit cette fois de la veuve de Rainald Bossard. Rainald avait chez lui un jeune parent avec qui il se trouvait quand on l’a tué ; après sa mort, le jeune homme a quitté le service de sa dame sans un mot, dans le plus grand secret. D’après elle, il était devenu silencieux et renfermé avant même de disparaître et la seule chose qu’on sache de lui ensuite est qu’il se trouvait sur la route de Newbury et qu’il se dirigeait vers le nord. Depuis, plus rien. Donc, quand elle a appris que je montais dans le nord elle m’a prié de me renseigner au sujet du garçon partout où je passerais ; en effet c’est quelqu’un qu’elle apprécie et respecte, et elle a besoin de lui auprès d’elle. Je ne veux pas vous mentir, père, d’aucuns prétendent qu’il s’est enfui parce que c’est lui qui a tué Rainald. Selon eux, il était fou de Juliana et au cours de cette bagarre il a sauté sur l’occasion de la rendre veuve ; ensuite il aurait pris peur quand ces bruits ont commencé à se répandre. Mais pour moi, les rumeurs ne sont nées qu’après sa disparition. Juliana, qui le connaît sûrement mieux que quiconque et le considère comme un fils – les Bossard n’avaient pas d’enfants –, est absolument sûre de lui. Elle veut qu’il revienne, lavé de tout soupçon, quelle que soit la raison pour laquelle il l’a quittée ainsi. Je me suis donc arrêté à chaque monastère, chaque auberge le long de la route et j’ai posé des questions. M’autorisez-vous à me renseigner ici aussi ? Le frère hospitalier connaît sûrement le nom de tous ses hôtes. Mais, ajouta-t-il à regret, un nom, c’est tout ce dont je dispose, et si ça se trouve je l’ai déjà vu sans savoir que c’était lui. De plus il s’appelle peut-être autrement, aujourd’hui.

— C’est vrai, ce n’est pas grand-chose, reconnut l’abbé avec un sourire, mais je vous en prie, menez votre enquête. S’il est innocent, je serai ravi de vous aider à le retrouver et à le ramener. Comment se nomme-t-il ?

— Luc Meverel, il a dans les vingt-quatre, vingt-cinq ans, de taille moyenne, bien bâti, avec des yeux et des cheveux noirs.

— Cela pourrait s’appliquer à des centaines de jeunes gens, soupira l’abbé, en hochant la tête, et j’imagine qu’il aura changé de nom s’il a quelque chose à cacher ou s’il a simplement des raisons de se croire soupçonné. Essayez toujours. Cependant il faut avouer que si quelqu’un veut se faire oublier il disparaîtrait facilement ici. Denis vous indiquera qui parmi ses hôtes a les qualités ou l’âge requis. Votre Luc Meverel est manifestement de famille noble, probablement bien élevé et lettré.

— Très certainement, admit Olivier.

— Alors vous avez ma bénédiction, allez voir frère Denis, vous verrez dans quelle mesure il peut vous aider. Il a une excellente mémoire, il saura certes vous dire qui chez nous peut correspondre à ce signalement. Qui n’essaie rien n’a rien.

 

En sortant de chez Radulphe ils commencèrent cependant par chercher Cadfael qu’ils eurent bien du mal à trouver. Hugh se rendit d’abord à la cabane de l’herbarium, où ils parlaient habituellement de leurs affaires. Mais de Cadfael, point. Il n’était pas plus au cloître avec frère Anselme, à discuter d’un point délicat concernant la musique du soir. Il n’était pas non plus à l’infirmerie, en train de vérifier – pourquoi pas ? – le contenu de l’armoire à pharmacie qui avait dû subir une sérieuse ponction ces derniers jours ; il l’avait remplie aux petites heures de ce matin glorieux.

— Il était là, dit doucement Edmond, il y avait un pauvre diable qui saignait de la bouche, qui avait sûrement forcé sur les dévotions. Mais il va bien maintenant, il dort, l’hémorragie s’est arrêtée. Il y a déjà un moment que Cadfael est parti.

Frère Oswin, qui luttait vaillamment contre les mauvaises herbes, n’avait pas vu son supérieur depuis le dîner.

— Mon petit doigt me dit qu’il pourrait bien être à l’église, murmura Hugh, méditatif, clignant des yeux au soleil de midi.

Cadfael était au pied des trois marches de l’autel de sainte Winifred, d’où la grâce était venue, il n’était pas en oraison, les mains levées, non, elles reposaient sur son habit. Il ne fermait pas les yeux en suppliant, il les ouvrait tout grands pour recevoir l’absolution. Il était agenouillé depuis quelque temps alors qu’avec ses genoux douloureux il ne tenait pas à rester ainsi trop longtemps. Il n’éprouvait ni douleur ni chagrin, rien qu’une immense reconnaissance où il baignait comme un poisson dans l’eau. Une eau aussi pure, bleue, profonde à se noyer, transparente que celle de la côte qu’il se rappelait si bien, à l’extrémité de la mer du Milieu, au bout de laquelle se trouvait la ville sainte de Jérusalem, siège du tombeau de Notre Sauveur et royaume chèrement acquis. La sainte qui présidait ici, qu’elle y résidât ou non, l’avait projeté dans les espaces infinis et lumineux de l’espérance. Elle accordait ses faveurs à qui elle voulait, mais de très haut. Elle avait étendu la main sur un innocent qui méritait bien cette bonté. Qu’attendait-elle de lui, qui était beaucoup moins innocent mais dont les besoins étaient aussi grands ?

Derrière lui on entendit, approchant tranquillement de la nef, une voix familière lui demander doucement s’il quémandait encore un miracle.

À regret il détourna les yeux du reliquaire et regarda vers l’autel paroissial. Il vit, comme il s’y attendait, Hugh Beringar qui lui souriait.

Mais par-dessus l’épaule de Hugh, il aperçut la tête et les épaules de quelqu’un de plus grand qui se distinguait dans la pénombre, un beau visage aux pommettes hautes, le doux creux des joues lisses et mates, des yeux dorés d’oiseau de proie sous l’arc des sourcils noirs, une longue bouche souple qui lui souriait timidement.

Ce n’était pas possible ! Et pourtant si. Olivier de Bretagne sortit de l’ombre et de son pas que le moine aurait reconnu entre mille s’approcha des cierges de l’autel. À cet instant précis, sainte Winifred tourna la tête, regarda droit dans les yeux son fidèle serviteur, si sujet à l’erreur, et sourit également.

Un second miracle ! Et pourquoi non ? Quand elle donnait c’était de bon coeur, des deux mains.

Le Pèlerin de la haine
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