CHAPITRE DOUZE

 

 

Le palefrenier qui traversa tranquillement la cour pour s’enquérir de ce que souhaitait ce visiteur n’était ni Lothaire, ni Luc, mais un grand gaillard dégingandé d’une vingtaine d’années doté d’une abondante tignasse brune. Derrière lui, on ne voyait pas l’agitation qui régnait habituellement en ce lieu, seuls quelques serviteurs des deux sexes vaquaient à leurs occupations sans la moindre hâte, comme si la discipline s’était nettement relâchée. Ce calme portait à croire que le maître de céans et la plupart de ses hommes se consacraient toujours à la recherche d’une piste pouvant les mener au meurtrier d’Edgytha.

— Si c’est le seigneur Audemar que vous voulez voir, l’informa le garçon, vous n’avez pas de chance : il est toujours à Vivier, il poursuit son enquête sur la femme qui a été tuée avant-hier au soir. Mais si vous cherchez un lit, voyez son intendant, il est là.

— Merci, répondit Cadfael, lui confiant sa bride, mais c’est la mère du seigneur Audemar que je souhaite rencontrer. Je sais où sont ses appartements. Si je peux vous confier mon cheval, j’irai moi-même demander à sa chambrière si sa maîtresse aurait la bonté de me recevoir.

— Comme il vous plaira, en ce cas. Mais, je vous ai déjà vu, s’écria le valet d’écurie, observant de plus près le visage qui lui était vaguement familier. Oui, il y a quelques jours à peine, avec un autre religieux, un infirme qui avait des béquilles.

— C’est exact, j’ai eu une conversation avec votre maîtresse à ce moment-là. Elle ne nous aura pas oublié, mon compagnon et moi. Si elle refuse de m’accorder une audience, eh bien tant pis – mais… ça m’étonnerait beaucoup.

— Je ne vous empêche pas d’essayer, acquiesça son interlocuteur d’un ton détaché. Elle est au manoir avec sa suivante, j’en suis sûr. Elle n’est guère sortie, ces derniers temps.

— Elle avait deux serviteurs qui l’accompagnaient, le père et le fils. On s’est croisés quand nous avons séjourné ici, ils étaient venus avec elle du Shropshire. Je bavarderais volontiers avec eux, s’ils n’ont pas accompagné le seigneur Audemar à Vivier.

— Eux ? Pas de danger. Ce sont des hommes à elle, pas à lui. Elle les a envoyés en mission, ils sont partis hier à la première heure. Mais où ? Ma foi, je n’en sais rien. J’imagine qu’ils sont retournés à Hales. C’est là que la vieille dame réside, la plupart du temps.

En se dirigeant vers le logis d’Adélaïde, à l’intérieur du mur de clôture, Cadfael se demanda si Adélaïde de Clary apprécierait que les palefreniers de son fils, comme celui qui conduisait le poney de Cadfael aux écuries, l’appellent « la vieille dame ». Il était évident que pour ce jeune rustre, elle était vieille comme Mathusalem, ce qui ne l’empêchait pas de conserver fièrement les traces de sa beauté passée.

Si elle avait choisi pour confidente une femme ordinaire, au visage marqué de petite vérole, si elle s’entourait de gens qui ne brillaient pas par leur beauté, il y avait bien une raison, cette compagnie mettait en valeur le charme qui émanait d’elle.

Il demanda à être conduit à la porte de la chambre d’Adélaïde. Gerta, qui veillait jalousement sur l’intimité de sa maîtresse, s’approcha de lui, hautaine, très consciente de ses responsabilités. Il n’avait pas donné son nom et quand elle l’aperçut, elle marqua un temps d’arrêt, assez mécontente de revoir un des bénédictins de Shrewsbury revenir si vite, apparemment sans raison valable.

— Ma maîtresse n’a pas envie de recevoir. Que lui voulez-vous ? Est-il indispensable que vous la dérangiez ? S’il vous faut un lit et de la nourriture, l’intendant du seigneur Audemar s’en chargera.

— C’est uniquement pour dame Adélaïde que je suis ici, et cela ne concerne qu’elle. Informez-la que frère Cadfael est de retour, qu’il vient de l’abbaye de Farewell et qu’il souhaite s’entretenir avec elle. Qu’elle évite les visites, je le comprends aisément. Mais je doute qu’elle refuse de me recevoir.

Gerta n’eut pas le cran de prendre sur elle de le renvoyer. Elle s’exécuta avec un mouvement de tête et un regard dédaigneux, espérant de toutes ses forces lui rapporter une réponse négative. A voir son air grognon quand elle sortit du cabinet, elle n’avait manifestement pas obtenu satisfaction.

— Ma dame vous prie d’entrer, annonça-t-elle d’un ton glacial, en lui ouvrant largement le battant pour qu’il puisse pénétrer dans la pièce.

Elle espérait sans doute rester et assister à la conversation qui allait avoir lieu mais la confiance de la châtelaine ne s’étendait pas jusque-là.

— Laissez-nous, lança cette dernière, depuis l’ombre profonde d’une fenêtre protégée par un épais rideau. Et fermez la porte derrière vous.

 

Cette fois, Adélaïde n’avait pas de tâches féminines pour s’occuper les mains, pas de broderie ni de rouet pour se donner une contenance. Non, elle était assise dans un grand fauteuil, immobile dans la pénombre. Ses bras reposaient sur les accoudoirs et ses poings se crispaient sur les têtes de lion sculptées à leurs extrémités. Quand Cadfael entra, elle ne broncha pas. Elle n’était ni surprise ni troublée. Son regard brûlant se posa sur lui ; il n’exprimait ni étonnement, ni regret, du moins c’est l’impression qu’il eut. C’était comme si elle l’avait attendu.

Elle voulut savoir où Haluin était resté.

— A l’abbaye de Farewell, répondit Cadfael.

Elle resta silencieuse un moment, le visage figé. De son regard fiévreux émanait une intensité qui vibrait presque dans l’air. Peu à peu, les yeux du moine s’habituèrent à la lumière tamisée et les traits du visage d’Adélaïde émergèrent de l’ombre dans laquelle elle avait choisi de s’enfermer.

— Alors, je ne le reverrai jamais, prononça-t-elle d’une voix dure, décidée.

— Non, vous ne le reverrez jamais. Quand ce sera terminé, nous rentrerons chez nous.

— Mais vous, j’ai toujours eu dans l’idée que vous reviendriez. Tôt ou tard. Je l’ai toujours su. C’est peut-être aussi bien, après tout ! Les choses sont allées trop loin et tout m’a échappé. Bon, puisque vous êtes là, je vous écoute. Moi, je préfère garder le silence.

— Cela me paraît difficile ! Cette histoire, c’est la vôtre.

— Alors, soyez mon chroniqueur. Racontez-la ! Aidez-moi à me souvenir ! Voyons un peu comment elle sonnera aux oreilles de mon confesseur, dans la mesure où il y aura un prêtre pour accepter de m’entendre.

Elle tendit soudain une longue main, lui indiquant un siège d’un geste impérieux, mais il resta debout, là où il pouvait le mieux la voir et elle ne tenta pas de fuir son regard d’une absolue fixité. Muette, elle contrôlait son beau visage orgueilleux, sans rien avouer, sans rien nier. Seule la flamme qui brûlait au fond de ses prunelles était éloquente et ce langage, il n’était pas sûr de le comprendre complètement.

— Auriez-vous oublié la façon dont vous avez agi pendant toutes ces années ? Vous avez puni le malheureux Haluin d’une manière horrible parce qu’il avait osé aimer votre fille qui était enceinte de ses œuvres, comme on dit. Vous l’avez poursuivi jusqu’au fond du couvent où votre haine l’avait jeté, avant que le temps en soit venu, mais les jeunes se désespèrent vite. Vous l’avez forcé à vous fournir de quoi provoquer un avortement et vous lui avez ensuite envoyé un message comme quoi la mère et l’enfant étaient morts. Cette culpabilité effroyable, vous la lui avez imposée pendant une éternité, pour qu’elle le tourmente jusque sur son lit de mort. Qu’avez-vous à répondre ?

— Rien, continuez ! Vous venez à peine de commencer.

— C’est vrai, je commence à peine. Ce mélange d’hysope et d’iris qu’il vous a procuré, vous ne l’avez jamais utilisé. Il a uniquement servi à l’empoisonner, lui. Qu’avez-vous fabriqué, avec ? Avez-vous jeté le flacon aux orties ? Non, bien avant d’avoir extorqué cette potion au malheureux, dès après l’avoir chassé de chez vous, vous avez envoyé Bertrade loin d’Elford et vous l’avez mariée à Edric Vivier. Cela a dû se passer comme ça, certainement encore assez tôt pour donner un enfant à un père acceptable sinon vraisemblable. Quand la petite est née, je ne doute pas que le vieux gentilhomme ait été très fier d’être assez viril à son âge pour avoir un héritier. Comme vous avez agi très vite, nul n’a vu de raison pour s’interroger quant à sa date de naissance.

Elle était toujours aussi immobile, n’avait pas battu un cil, absolument impassible.

— N’avez-vous jamais craint, demanda-t-il, que quelqu’un. Dieu sait comment, répandît la nouvelle à l’abbaye que Bertrade de Clary avait épousé Edric Vivier au lieu d’être six pieds sous terre ? Et qu’elle avait donné une fille à son vieil époux ? Il suffisait d’un voyageur arrivé par hasard, avec la langue bien pendue.

— Les risques n’étaient pas bien grands, répliqua-t-elle froidement. Il n’y avait pratiquement aucun contact entre Hales et Shrewsbury. C’est après son accident, quand il a décidé d’accomplir son pèlerinage, que la situation a changé. Non, je ne voyais pas pourquoi on jaserait dans les manoirs d’un autre comté. Les risques étaient inexistants.

— Admettons et continuons. Votre fille était bien vivante quand vous l’avez emmenée et donnée à un mari. Et la naissance s’est passée sans problème. Vous avez eu de la pitié pour votre fille et pas pour lui. Je voudrais savoir pourquoi. Pourquoi tant de haine envers lui ? Pourquoi vous être vengée avec autant de méchanceté ? Pas à cause de ses agissements envers votre fille, en tout cas. Et d’abord pourquoi ne pas l’avoir considéré comme un parti digne d’elle ? Il venait d’une famille honorable, il aurait hérité d’un bon manoir s’il n’avait pas prononcé ses vœux. Qu’est-ce que vous pouviez bien avoir contre lui ? Vous étiez belle, accoutumée à l’admiration et à l’hommage des hommes. Votre époux était en Palestine. Je revois très bien Haluin, quand il est entré chez nous à dix-huit ans, avant d’avoir reçu la tonsure. Je l’ai vu comme vous l’avez eu sous les yeux pendant quelques années lors de votre célibat forcé. Il était beau…

Il s’arrêta là car la grande bouche volontaire, en face de lui, s’était enfin ouverte. Elle l’avait écouté sans flancher, sans essayer de l’interrompre, sans se plaindre. Maintenant, elle n’y tenait plus :

— Trop beau ! s’exclama-t-elle. Je n’avais pas l’habitude qu’on me repousse, je ne savais même pas courtiser qui que ce soit. Le pauvre, il était trop innocent pour comprendre où je voulais en venir. Quel art ont les enfants pour vous enfoncer le couteau dans la plaie sans le vouloir ! Mais puisque je ne pouvais pas l’avoir, poursuivit-elle d’une voix farouche, elle non plus. Aucune femme ne l’aurait ; elle moins qu’une autre.

Elle avait craché son venin, d’une haleine, sans essayer de se trouver des circonstances atténuantes. Maintenant elle restait à ruminer son passé, revoyant comme s’il s’agissait d’une autre je désir et la rage qu’elle ne pouvait plus éprouver avec la même intensité.

— Oh ! mais ce n’est pas tout, protesta Cadfael, pas le pire peut-être. Avez-vous oublié l’histoire d’Edgytha, votre confidente ? Edgytha était le seul être dont la loyauté vous était acquise, la seule à connaître toute la vérité. C’est elle que vous avez envoyée à Vivier avec Bertrade. Elle vous était entièrement dévouée et fidèle, elle a gardé votre secret et celui de votre vengeance pendant tout ce temps. Et vous pensiez que cela continuerait éternellement. Tout allait plutôt bien pour vous jusqu’à ce que Roscelin et Hélisende grandissent, et tombent profondément amoureux l’un de l’autre. Ils savaient sans vouloir en tenir compte que le monde et l’Église tiendraient leur amour pour coupable, qu’il n’avait donc aucun avenir. Quand ce secret est devenu une barrière entre eux là où il n’y aurait jamais dû en avoir, quand Roscelin a été chassé de Vivier et que le mariage de Hélisende avec de Perronet allait sonner le glas de leur amour, Edgytha n’a pas pu le supporter. Elle a couru vers vous en pleine nuit, car c’est vous qu’elle venait voir, pas Roscelin ! Pour vous supplier de révéler la vérité ou de l’autoriser à s’en charger pour vous.

— Je me suis demandé comment elle savait que j’étais là, tout près.

— C’est moi qui le lui avais dit. Sans le savoir je l’ai poussée à aller vous parler afin que vous leviez l’obstacle qui pesait sur deux enfants innocents. Par le plus grand des hasards, j’ai mentionné que nous avions eu un entretien à Elford. C’est donc moi qui vous l’ai envoyée, et elle en est morte, tout comme Haluin vous a poussée à venir ici, en toute hâte, afin de prévenir toute découverte fâcheuse. On ne vous voulait que du bien, nous n’en avons pas moins été les instruments de votre chute. A présent, je vous conseille de réfléchir à ce qui peut encore être sauvé.

— Poursuivez ! ordonna-t-elle. Vous n’en avez pas encore terminé.

— Non, pas encore, en effet. Edgytha est donc venue vous supplier d’intervenir et vous avez refusé ! A cause de vous, elle est repartie pour Vivier désespérée. Et vous savez ce qui lui est arrivé en route.

Elle ne nia pas. Son visage était tiré, morose, mais elle ne détourna pas les yeux.

— Aurait-elle révélé la vérité, bien que vous le lui ayez défendu ? Ni vous ni moi ne le saurons jamais. Mais quelqu’un qui vous était tout aussi loyal a surpris votre conversation et a compris le danger que vous couriez si elle parlait. Ce quelqu’un a eu peur, l’a suivie et réduite au silence. Oh non ! Pas vous ! Vous aviez des gens sous la main pour ça. Leur en avez-vous glissé un mot à l’oreille ?

— Non ! cria Adélaïde. Je n’aurais jamais fait cela ! A moins que mon visage n’ait parlé pour moi, auquel cas, il en a menti ! Je n’aurais jamais accepté qu’on s’en prenne à elle.

— Je vous crois. Mais lequel des deux l’a suivie ? Ils sont pareils, tel père, tel fils. Ils mourraient pour vous sans discuter, et sans discuter, l’un d’eux a tué pour vous. Et comme par hasard, ils sont partis. Pour Hales ? J’en doute. Ce n’est pas assez loin. A quelle distance se trouve le manoir le plus éloigné de votre fils ?

— Vous ne les trouverez pas, s’écria Adélaïde, sûre d’elle. Quant à savoir qui a commis ce crime que j’aurais pu éviter, je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. Ils voulaient se dénoncer, je les en ai empêchés. A quoi cela aurait-il servi ? Je suis seule responsable, comme de tout le reste. Et j’entends assumer entièrement cette responsabilité. Je les ai renvoyés, oui. Ce n’est pas à eux de payer mes dettes. Enterrer Edgytha avec les honneurs est une piètre compensation, la confession, la pénitence, l’absolution même, n’ont jamais ressuscité personne.

— Il y a toutefois une compensation qu’on peut envisager, suggéra Cadfael. Sans compter que je pense que vous aussi avez dû payer le prix de vos actions, tout comme Haluin, durant toutes ces années. N’oubliez pas que je vous ai vue quand il s’est présenté devant vous, réduit à l’état d’infirme. Je vous ai entendue quand vous vous êtes écriée : « Que vous a-t-on fait ? » Ce que vous lui avez infligé, vous vous l’êtes infligé à vous-même, il n’existe aucun moyen de détruire votre œuvre. Mais vous pouvez peut-être vous libérer et le libérer du même coup, si vous y êtes disposée.

— Dites toujours ! murmura Adélaïde, qui devait cependant avoir une idée assez juste de ce qui allait suivre.

Elle s’y préparait à en juger par l’attitude qu’elle avait adoptée. Depuis le début de l’entretien elle s’attendait à ce que le doigt de Dieu se posât sur elle, dans cette pièce à demi éclairée.

— Hélisende est la fille de Haluin, pas d’Edric, déclara Cadfael. Pas une goutte du sang des Vivier ne coule dans ses veines. Il n’y a donc rien qui puisse constituer un obstacle à son mariage avec Roscelin. Ces deux-là ont-ils raison de vouloir s’unir ? Il ne nous appartient pas d’en décider. Mais on peut les libérer de l’interdit de l’inceste. Il faut que la vérité soit connue, comme c’est déjà le cas à Farewell. Haluin et Bertrade s’y sont retrouvés, ils ont parlé et se sont apaisés l’un l’autre. Hélisende, leur fille, est avec eux et la vérité est sortie de son puits.

Adélaïde le savait. Elle avait compris dès qu’Edgytha était morte, qu’il lui faudrait en arriver là. Et si elle avait délibérément détourné les yeux et refusé de l’admettre, cela ne lui était plus possible maintenant. Elle n’était pas du genre à charger les autres de ses problèmes une fois qu’elle avait pris sa décision, ni à faire les choses à moitié, quelles qu’en soient les conséquences.

Soucieux de ne pas lui forcer la main, il recula en silence, afin de lui laisser tout le temps nécessaire. Il l’observait, tentant de la suivre dans ses réflexions et d’évaluer mentalement le lourd tribut que lui avait coûté dix-huit ans de secret, d’amour et de haine impitoyablement réprimés. Les premiers mots qu’il lui avait entendu prononcer, même au cœur de cette situation extrême, avaient concerné Haluin, et il avait encore dans l’oreille la souffrance qui brisait presque sa voix quand elle s’était écriée :

— Que vous a-t-on fait ?

Elle se leva brusquement de sa chaise, à grands pas nerveux, elle se dirigea vers la fenêtre dont elle repoussa le rideau pour laisser entrer l’air, la lumière et le froid. Pendant un moment elle regarda la cour tranquille, le ciel pommelé de petits nuages et le voile verdâtre qui dissimulait les branches au-delà du mur de clôture. Quand elle se tourna vers lui il vit de nouveau son visage, parfaitement éclairé, et, comme dans une double vision, son impérissable beauté ainsi que les marques que le temps y avait déposées : le fier dessin des lignes de son cou allongé qui s’affaissait, les fils gris dans ses cheveux noirs, les rides qui s’amassaient autour de sa bouche et de ses yeux, les veinules sur ses joues, jadis de la couleur de l’ivoire le plus pur. Mais elle était forte, elle ne renoncerait pas de gaieté de cœur à son emprise sur ce monde qu’elle ne quitterait pas sans combat. Elle vivrait longtemps, luttant pied à pied contre l’incessant assaut de la vieillesse jusqu’à ce qu’enfin la mort triomphe d’elle et lui soit une délivrance. De par son caractère, la pénitence d’Adélaïde était assurée.

— Non ! scanda-t-elle, abrupte, impérieuse, autoritaire, comme s’il lui avait proposé quelque chose qu’elle ne pouvait tolérer. Non, je ne veux pas d’avocat. Personne ne me privera de la moindre parcelle de ce qui m’appartient. S’il y a quelque chose à raconter, c’est à moi seule de m’en charger et à personne d’autre ! Maintenant, si vous ne m’aviez pas approchée, vous qui étiez toujours prêt à soutenir Haluin au premier faux pas, vous et votre regard tranquille qui me restait indéchiffrable, j’ignore si je me serais décidée à parler un jour. Qu’en pensez-vous ? Mais cela n’a plus aucune importance à présent. Ce qui reste à accomplir aujourd’hui, c’est mon affaire à moi.

— Ordonnez-moi de partir et je m’en irai, prononça Cadfael. Vous n’avez pas besoin de moi.

— En tant que défenseur, sûrement pas. En tant que témoin, peut-être ! Oui, c’est cela ! lança-t-elle, enthousiaste. Accompagnez-moi, vous verrez comment se termine l’histoire. Je vous dois bien cela, comme je suis redevable d’une vie à Dieu.

 

Il chevaucha à ses côtés, ainsi qu’elle l’avait décidé. Pourquoi pas ? Il lui fallait retourner à Farewell, pourquoi ne pas passer par Vivier ? De plus, une fois qu’elle avait décrété quelque chose, il fallait s’exécuter sans traîner ni tergiverser.

Chaussée de bottes munies d’éperons, elle montait comme un homme alors que dans ses déplacements, ces dernières années, elle s’était contentée de s’installer dignement en croupe, derrière un palefrenier, ce qui était nettement plus conforme à son âge et à sa position sociale. Elle se tenait en selle aussi sûre d’elle qu’un chevalier, très à l’aise, très droite, sans remonter sa main de bride. Elle maintint une allure vive, régulière, sa défaite ne semblant pas avoir plus d’effet sur elle qu’une victoire.

Cadfael, qui la suivait exactement, ne put s’empêcher de se demander si elle n’était pas tentée de garder pour elle une parcelle de vérité et de couvrir les traces de son ultime trahison. Mais le calme brûlant de ses traits était une réponse à cette question. Non, elle ne chercherait aucune forme d’excuse. Elle revendiquerait ses actes passés dont elle parlerait sans détours. Et Dieu seul saurait si elle s’était repentie ou non.

La Confession de frère Haluin
titlepage.xhtml
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_000.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_001.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_002.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_003.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_004.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_005.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_006.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_007.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_008.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_009.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_010.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_011.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_012.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_013.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_014.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_015.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-15]La Confession de frere Haluin.(The Confession of Brother Haluin).(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_016.htm