CHAPITRE HUIT

 

 

A la fin de l’après-midi, Cenred envoya son intendant demander aux deux bénédictins de se joindre aux membres de la famille pour souper dans la grande salle, à moins que frère Haluin ne préfère continuer à se reposer dans sa chambre où on le servirait en privé. Haluin, qui était plongé dans de sombres méditations, sentant qu’il serait discourtois de rester plus longtemps de son côté – ce qu’il aurait nettement préféré –, fournit l’effort d’émerger de son silence inquiet et d’honorer la compagnie de sa présence à la grande table. On l’avait placé près des futurs époux en vertu de son statut de prêtre qui allait les unir. Cadfael, assis un peu à l’écart, pouvait ainsi observer tout le monde. Et en dessous, dans le grand hall, toute la maisonnée était assemblée par ordre hiérarchique, à la lueur des torches.

En examinant le visage grave de Haluin, Cadfael songea subitement que son ami serait pour la première fois appelé à servir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il était certes exact qu’on encourageait, plus que par le passé, les jeunes religieux à devenir prêtres, mais beaucoup d’entre eux, à l’instar de Haluin, n’auraient jamais à s’occuper d’une paroisse. Au cours de leur longue vie, il ne leur serait vraisemblablement jamais demandé de célébrer un baptême, un mariage ou l’office des morts, ni d’ordonner d’autres prêtres qui les suivraient sur les mêmes voies bien protégées. Pour Cadfael, qui n’avait jamais aspiré à l’ordination, c’était une terrible responsabilité que de se voir confier, en tant qu’homme, la grâce de Dieu, d’avoir le privilège et la charge de jouer un rôle dans la vie d’autrui, de promettre le salut dans le baptême, d’unir des vies par les liens du mariage et de détenir la clé du purgatoire lors de la mort. « Si je me suis mêlé de ce qui ne me regardait pas, songea-t-il sincèrement, et Dieu sait que cela m’est arrivé, c’est qu’il le fallait et que j’étais seul à en être capable, au moins ai-je agi en tant que pécheur comme tout le monde, qui peinait sur le même sentier et non comme représentant du ciel qui se penche pour relever autrui. Maintenant, Haluin est confronté à ce terrible devoir et il a peur. Je le comprends. »

Il passa en revue tous ces visages que Haluin, qui était si proche, ne distinguait qu’en profils perdus et brièvement, quand l’un d’eux bougeait et que la lumière des flambeaux projetait sur lui un éclairage trompeur. Cenred avait une figure large, ouverte, aux traits carrés, qui pour le moment manquaient un peu de naturel, mais il était décidé à paraître gai à tout prix ; sa femme présidait, s’efforçant de se montrer aimable, mais son sourire était teinté d’inquiétude ; Perronet était heureux sans malice, rayonnant du plaisir d’avoir Hélisende près de lui et presque sienne ; la jeune fille, calme et pâle, résolument gracieuse, faisait de son mieux pour répondre à sa joie, puisqu’il n’était pas responsable de son malheur. Elle avait d’ailleurs reconnu qu’il ne méritait pas ça. A les voir réunis, on ne pouvait douter de l’attachement du garçon à son égard et, s’il regrettait le manque d’enthousiasme de sa future épouse, peut-être qu’il s’en accommodait parce que, pour lui, c’est ainsi qu’un mariage commençait, et il était décidé à se montrer patient en attendant que la chrysalide se transformât en papillon.

C’était la première fois que Haluin revoyait Hélisende depuis ce moment où elle était brusquement apparue dans la grande salle et qu’il s’était soudain redressé avant de s’écrouler à moitié étourdi, comme s’il était encore ballotté dans la tempête et la neige qui l’aveuglait. Et cette jeune silhouette qui se raidissait, parée de ses plus beaux atours, au visage doré par la lueur des flambeaux, aurait aussi bien pu être celle d’une étrangère qu’il découvrait pour la première fois. Quand il remarqua plus nettement son profil, dubitatif, effaré, il se sentit écrasé d’une responsabilité nouvelle, difficilement supportable.

Il était tard lorsque les femmes se retirèrent de la grande table, laissant les hommes terminer leur vin. Haluin se tourna pour attirer l’attention de Cadfael, lui donnant à entendre d’un coup d’œil qu’il était temps pour eux de laisser les hôtes et leur invité ; déjà il tendait la main vers ses béquilles et se préparait à fournir l’effort qui lui permettrait de se relever quand Emma sortit du cabinet d’un pas pressé, l’air inquiet, une jeune servante sur ses talons.

— Il se passe quelque chose d’étrange, Cenred ! Edgytha est sortie et elle n’est pas encore rentrée. Or voilà qu’il a recommencé à neiger. Où peut-elle bien être allée, comme ça en pleine nuit ? J’avais demandé qu’on me l’envoie pour qu’elle m’aide à me coucher, comme toujours, et on ne la trouve nulle part. Et maintenant Madlyn m’explique qu’elle est partie il y a des heures, dès que le crépuscule est tombé.

Cenred fut lent à se détourner de son rôle de maître de maison qui reçoit un hôte de marque pour se consacrer à une affaire domestique apparemment mineure. C’était là le problème des femmes, pas le sien.

— Edgytha a le droit de sortir quand elle en a envie, répliqua-t-il en souriant, elle reviendra quand ça lui chantera. C’est une femme libre, elle sait ce qu’elle veut et on peut avoir confiance en elle pour ce qui est de son travail. Si pour une fois elle n’est pas là quand on l’appelle, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Pourquoi êtes-vous aussi soucieuse ?

— Est-il jamais arrivé à Edgytha de disparaître de cette manière ? Pas que je sache ! Et, je vous le répète, il neige. En outre, si Madlyn dit vrai, elle est partie depuis des heures. Et s’il lui était arrivé malheur ? Jamais elle ne s’absenterait aussi longtemps de son propre chef. Vous savez à quel point je l’apprécie. Je ne voudrais pour rien au monde qu’il lui soit arrivé quelque chose.

— Mais moi non plus, rétorqua vivement Cenred, ni à elle, ni à aucun de mes gens. Si elle s’est égarée, nous allons nous mettre à sa recherche. Inutile de pleurer avant d’avoir mal. Approche, petite, parle, qu’est-ce que tu sais sur toute cette histoire ? D’après toi, elle serait partie depuis plusieurs heures ?

— Ben oui, monsieur ! s’exclama Madlyn en s’avançant sans se faire prier, les pupilles dilatées sous l’excitation de cet événement qui sortait de l’ordinaire. C’était après que nous avons fini de tout préparer. Je venais de la laiterie et elle de la cuisine ; elle était emmitouflée dans son manteau. Je lui ai dit qu’on allait avoir du travail, ce soir, et qu’elle nous manquerait, mais elle a répondu qu’elle serait de retour avant qu’on ait besoin d’elle. La nuit commençait juste à tomber. J’aurais jamais cru qu’elle serait partie aussi longtemps.

Cenred voulut savoir si elle ne lui avait pas demandé où elle allait.

— Pour sûr, rétorqua la fille, mais elle n’aimait pas trop parler de ses affaires. Si elle m’avait répondu, ce qui n’avait rien de sûr, elle m’aurait mouchée vertement. Mais là je n’ai rien compris. Elle parlait, conclut Madlyn, qui était l’image de la perplexité, d’aller chercher un chat pour le lâcher parmi les pigeons.

Si ces termes ne signifiaient rien pour elle, ils avaient un sens pour Cenred et sa femme, qui les entendaient manifestement pour la première fois. Stupéfaite, Emma se tourna vers son mari qui sauta brusquement sur ses pieds. Le regard qu’ils échangèrent, Cadfael le déchiffra comme s’il avait entendu les mots qu’ils ne prononcèrent pas. Il disposait pour cela de suffisamment d’indices. Edgytha avait été la nourrice des deux jeunes gens, leur avait tout passé, les avait aimés comme s’il s’agissait de ses enfants ; même leur séparation la fâchait, n’en déplaise à l’Église et aux liens du sang, sans parler de ce mariage qui rendait leur séparation définitive. Elle était partie chercher de l’aide afin d’empêcher ce qu’elle déplorait, même au dernier moment. Elle entendait expliquer à Roscelin ce qui se tramait derrière son dos. Elle était allée à Elford.

Et, bien sûr, impossible d’en souffler mot en présence de Jean de Perronet, qui était debout à côté de Cenred et dévisageait chacun tour à tour, étonné et compatissant devant ces ennuis domestiques qui n’étaient pas de son ressort. Une servante âgée qui disparaît en fin de soirée alors que la nuit et la neige s’apprêtent à tomber, cela justifie qu’on s’en inquiète. C’est ce qu’il proposa ingénument, rompant un silence qui, à tout moment, aurait pu le forcer à regarder d’un peu plus près ce qui se passait sous son nez.

— Elle est partie il y a pas mal d’heures ; on devrait envoyer des gens, non ? Les chemins ne sont pas toujours sûrs la nuit, et pour une femme qui se promène seule…

Cette diversion était un vrai bonheur et Cenred ne laissa pas passer une telle occasion.

— Bien sûr, et tout de suite encore. Je vais dépêcher un groupe qui suivra la route qu’elle aura sûrement prise. Peut-être a-t-elle été retardée par la neige, tout simplement, si elle comptait rendre visite à quelqu’un du village. Mais vous n’avez nul besoin de vous tourmenter, Jean. Il me déplairait que votre séjour soit gâché. Laissez donc mes hommes se charger de cette affaire. Ils sont assez nombreux au manoir. Et soyez assuré qu’elle ne saurait être loin, nous ne tarderons pas à la retrouver et elle va rentrer tranquillement.

— Je serais heureux de vous accompagner, proposa Perronet.

— Non, c’est hors de question. Ne changeons rien à ce que nous avons prévu pour ici, et que rien ne gâte la cérémonie. Considérez ma maison comme la vôtre et allez vous reposer la conscience en paix. Demain nous en aurons terminé avec ce petit contretemps.

Il ne fut pas difficile de persuader l’invité obligeant de renoncer à son offre généreuse, peut-être parce qu’il n’y avait rien de vraiment sincère dans ses paroles, uniquement de la courtoisie. Cordonnier est maître chez soi, et il est préférable de ne pas s’immiscer dans les affaires d’autrui. Il est poli de lui demander s’il veut qu’on l’aide, mais ensuite, renoncer gracieusement, c’est se montrer sage. A présent Cenred savait très bien ce qu’Edgytha s’était mis en tête et il n’y avait guère à hésiter sur la route à prendre. En outre, les raisons de s’inquiéter ne manquaient pas : en-quatre heures, elle aurait eu largement le temps d’aller et de revenir, neige ou pas neige.

Cenred sortit de table d’un air décidé, et donna ordre à ses hommes de se regrouper à la porte du manoir. Il souhaita avec emphase le bonsoir à Jean de Perronet, ce que ce dernier prit avec philosophie comme une mise à l’écart même par rapport à cette mobilisation domestique ; il pria vivement certains de ses serviteurs de se joindre à la troupe qui allait se mettre en branle, après les avoir choisis soigneusement. Ils étaient six, vigoureux, dirigés par son intendant.

— Et nous, que décidons-nous ? demanda frère Haluin à mi-voix, de l’endroit retiré où il se tenait avec Cadfael.

— Vous, vous allez sagement au lit, et vous vous reposez dans la mesure du possible. Et puis une ou deux petites prières ne nuiraient à personne. Moi, je les accompagne.

— Sur le raccourci qui mène à Elford, insista Haluin d’un ton pressant.

— Afin d’y trouver un chat susceptible d’être lâché parmi les pigeons. Oui, évidemment. Mais vous, vous restez là. S’il faut agir ou parler, je devrais en être aussi capable que vous.

Le battant était ouvert, le petit groupe descendit lourdement l’escalier menant à la cour ; deux d’entre eux avaient une torche à la main. Cadfael fermait la marche. Il regarda la nuit glaciale, scintillante. Le sol était à peine recouvert de minuscules flocons, pointus comme des aiguilles, arrachés à un ciel presque diurne, illuminé par les étoiles, trop froid pour d’abondantes chutes de neige. Il jeta un coup d’œil en direction de la porte ; les femmes de la maison, les servantes comme les suivantes, aussi mal à l’aise les unes que les autres, s’étaient rassemblées à l’autre bout de la grande salle, les yeux fixés sur les hommes qui s’éloignaient. Le doux visage d’Emma, tout crispé, trahissait sa détresse et elle tordait nerveusement ses doigts potelés.

Hélisende se tenait à quelques pas ; elle seule ne cherchait pas un réconfort dans la présence des autres. Elle s’était assez reculée par rapport à l’une des torchères pour que sa figure se trouve mise en relief, sans ombres trop violentes. A présent, on lui avait sûrement rapporté et les propos d’Emma et ceux de Madlyn. Elle savait où Edgytha avait couru et pour quelle raison. Elle considérait, les pupilles dilatées, un avenir dont elle ne savait plus ce qu’il lui réservait, où les conséquences des événements de cette nuit se dissimulaient sous le couvert de la panique, de l’effarement et aussi d’une possible catastrophe. Elle s’était préparée à un sacrifice volontaire, mais n’avait pas du tout prévu ce qui la menaçait à l’heure actuelle. Elle avait toujours l’air calme et maîtresse d’elle-même, seulement ce n’était plus qu’une façade, elle avait perdu ses certitudes. Sa résolution s’était changée en impuissance, et sa résignation en désespoir. Elle avait débarqué sur un champ de bataille qu’elle avait cru pouvoir occuper, quelles que soient les pertes qu’elle aurait à subir, et voilà que maintenant le sol tremblait et s’ouvrait sous ses pieds alors que son propre destin lui échappait. La dernière image qu’emporta Cadfael dans le froid de la nuit fut celle de cette bravoure ébranlée, désarmée, vulnérable.

 

Cenred s’entoura le visage de son manteau pour se protéger du vent et, à partir du portail du manoir, prit un chemin inconnu de Cadfael. Avec Haluin, il avait tourné sur la grand-route, qui était assez éloignée, se guidant sur la lumière émise par les flambeaux du château, mais cette fois, la piste repartait en biais pour rejoindre une chaussée beaucoup plus proche d’Elford, représentant un raccourci d’un demi-mille au bas mot. La nuit émettait ses propres lueurs blafardes qui provenaient en partie des étoiles et en partie de la fine pellicule de neige, ce qui permettait d’avancer rapidement en se dispersant le long d’une ligne dont la route formait le centre. C’était une zone de terrain plat ; au début, il n’y avait pas d’arbres, puis ils longèrent quelques bois et taillis. Ils n’entendaient que leur souffle et le bruit de leurs pas, le doux gémissement du vent parmi les buissons. Cenred s’arrêta deux fois pour obtenir le silence, puis il appela en donnant toute sa voix. Vainement.

Pour qui connaissait bien le coin, Cadfael calcula qu’Elford n’était pas à plus de deux milles. Edgytha aurait dû avoir regagné Vivier depuis longtemps et, d’après ce qu’elle avait raconté à la petite Madlyn, elle comptait être de retour bien à temps pour se tenir à la disposition de sa maîtresse après le souper. D’ailleurs, comment aurait-elle pu s’égarer sur un itinéraire aussi familier par une nuit tellement claire, alors que la neige était pratiquement inexistante ? Il semblait de plus en plus évident qu’il fallait redouter quelque chose qui l’avait empêchée soit d’arriver à son rendez-vous, soit d’en revenir saine et sauve. Ce n’était pas un caprice de la nature qu’il fallait incriminer ni un malheureux hasard, mais bel et bien la main de l’homme. Par ce genre de nuits, les hors-la-loi qui s’en prenaient aux voyageurs (encore fallait-il prouver qu’il s’en trouvait dans les parages) étaient vraisemblablement restés chez eux, au lieu de vaquer à leurs sombres occupations. Avec ce froid, ils n’avaient guère de chances de rencontrer des victimes potentielles. Non, si quelqu’un s’était décidé à empêcher Edgytha d’atteindre son but, il avait en tête une idée bien précise. Peut-être y avait-il une moins tragique explication : elle avait effectivement vu Roscelin, lui avait annoncé la nouvelle et lui l’avait persuadée de ne pas repartir, mais de demeurer tranquillement à Elford et de le laisser se charger du reste. Cadfael lui-même, cependant, n’était pas sûr d’admettre cette hypothèse. Si cela s’était passé ainsi, Roscelin aurait sûrement déjà fait irruption au château de Vivier avant qu’on ne se fût aperçu du départ d’Edgytha, et il aurait exigé des explications.

Cadfael, qui s’était rapproché de Cenred, se glissa hâtivement au centre de la ligne des rabatteurs. Un simple et sombre coup d’œil salua sa présence, sans exprimer de surprise.

— Il ne fallait pas vous donner cette peine, émit Cenred d’une voix brève. Nous sommes suffisamment nombreux.

— Un homme de plus ne nuira à personne. Non, certes, mais l’accueil manquait de chaleur. Apparemment, on préférait considérer cette histoire comme chasse gardée, chez les Vivier. Cenred, toutefois, ne semblait pas vraiment gêné par la présence d’un bénédictin de rencontre parmi ses gens. Il voulait retrouver Edgytha, de préférence avant qu’elle n’arrive à Elford, ou à défaut à temps pour contrebalancer le tort qu’elle était susceptible de causer. Il s’était peut-être attendu à rencontrer son fils en chemin, accourant pour empêcher un mariage qui ne lui laisserait plus aucun espoir, même non fondé. Mais au bout d’un bon mille, il n’y avait toujours personne dans la nuit.

Ils avançaient dans une zone de bois peu fournis, assez dégagée, sur une herbe inégale, où le givre était trop mince pour la coucher au sol. Ils seraient passés sans se douter de rien devant un tertre peu élevé à main droite s’il n’y avait pas eu cette tache noire qui apparaissait à travers la pellicule de dentelle blanche, à la nuance plus soutenue que l’herbe brune, aux couleurs passées de l’hiver. Cenred était déjà plus loin, mais il s’arrêta net quand Cadfael fit halte et regarda dans la même direction que lui.

— Vite ! Qu’on apporte une torche !

La lumière jaunâtre mit clairement en relief la forme d’un corps étalé, la tête à l’opposé du sentier, blanchi par une croûte de neige. Cadfael se pencha, débarrassa le visage de son voile cristallin et se trouva confronté à deux grands yeux où la peur se lisait encore, à une chevelure grise dont le capuchon était tombé dans la chute. La femme reposait sur le dos, légèrement tournée vers la droite, les bras tendus devant elle, comme pour parer une attaque. Son manteau noir était clairement visible sous le filigrane blanc. Une petite tache, sur sa poitrine, salissait son voile, là où elle avait un peu saigné en dissolvant les flocons tombés à cet endroit. Impossible pour le moment de déterminer d’après sa position si elle avait été frappée en allant à Elford ou en s’en retournant. Cadfael eut toutefois le sentiment qu’à la dernière minute elle avait entendu quelqu’un se glisser derrière elle et qu’elle s’était retournée, les mains tendues, pour se protéger la tête. La dague que son agresseur voulait lui enfoncer entre les côtes avait manqué son but et l’avait à la place touchée en plein cœur. Elle était morte, toute froide, mais la température ne permettait pas d’évaluer l’heure à laquelle elle avait été tuée.

— Mon Dieu, Seigneur ! murmura Cenred. Je m’attendais à tout sauf à ça ! J’ignore ce qu’elle avait en tête, mais pourquoi l’a-t-on tuée ?

— Le froid n’empêche pas les loups de chasser, remarqua l’intendant d’un ton grave. Mais Dieu seul sait ce qu’ils ont à y gagner ! Regardez, on ne lui a rien pris, pas même son manteau. Des brigands l’en auraient dépouillée.

— Il n’y en a pas chez nous, j’en jurerais, objecta Cenred en fronçant les sourcils. Non, ça n’a rien à voir. Je me demande où elle se rendait quand c’est arrivé.

— Quand on la déplacera, on devinera peut-être quelque chose, suggéra Cadfael. Et maintenant ? On ne peut plus lui être d’aucun secours. Celui qui a joué du couteau connaissait son affaire, il n’a pas eu besoin de s’y reprendre à deux fois. Quant au sol, il est trop dur pour qu’il y ait laissé des empreintes, même là où la neige ne les a pas recouvertes.

— Il faut la ramener à la maison, déclara tristement Cenred. Ma femme et ma sœur vont avoir beaucoup de peine. Elles étaient très attachées à cette vieille servante. Depuis que ma jeune belle-mère l’a amenée au manoir, elle s’est toujours montrée loyale et digne de confiance. Ah, mais ça ne se passera pas comme ça ! Je vais envoyer quelqu’un vérifier si elle est arrivée à Elford, et ce qu’on peut nous apprendre là-bas. Peut-être ont-ils entendu parler de maraudeurs qui traînaient par ici, venus de Dieu sait où. Mais cela m’étonnerait beaucoup. Audemar surveille ses terres de près.

— Faut-il qu’on nous envoie une civière ? interrogea l’intendant. Elle ne pèse pas bien lourd, on doit pouvoir la transporter en s’aidant de son manteau.

— Oui, inutile de nous imposer un nouveau déplacement. Mais toi, Edred, emmène Jehan avec toi, allez à Elford et voyez ce que vous pourrez y glaner. A-t-elle rencontré quelqu’un ? Se sont-ils parlé ? Non, prends deux hommes. Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur, au cas où il y aurait des bandits de grand chemin qui rôdent dans le coin.

L’intendant opina du bonnet et saisit une des torches pour s’éclairer jusqu’à ce qu’il parvienne à destination. La petite lueur résineuse brilla par intermittence sur la route menant à Elford, avant de disparaître peu à peu dans la nuit. Ceux qui restaient se tournèrent vers le cadavre qu’ils déplacèrent de façon à détacher et à étendre sur le sentier le manteau qu’elle portait. Dès qu’on la souleva, un point au moins fut mis en évidence.

— Il y a de la neige sous elle, constata Cadfael. En effet, sa silhouette recroquevillée était sombre et humide là où son corps encore chaud avait transformé les flocons en vapeur, mais tout au bord, là où son manteau effleurait légèrement le sol, il restait une mince pellicule de neige.

— Elle est tombée après le début de la chute de neige. Elle revenait donc vers Vivier, conclut Cadfael.

 

Elle reposait entre leurs mains, légère, inerte. Si son corps était glacé, c’était dû au froid et non à la rigidité cadavérique. On l’enveloppa étroitement dans son manteau et on l’attacha solidement à l’aide de deux ou trois ceintures et de la cordelière de Cadfael, de façon à fournir des poignées aux serviteurs qui la transportaient. Et c’est ainsi, au bout d’un mille environ, qu’elle regagna Vivier.

Au manoir, tout le monde était encore debout, attendant les nouvelles, incapable d’aller se reposer avant de savoir. Une des servantes vit le triste petit cortège franchir le portail et courut en sanglotant informer Emma. Quand ils eurent déposé le corps d’Edgytha dans la grande salle, toute la théorie des femmes s’était rassemblée, serrées les unes contre les autres pour se soutenir mutuellement. Emma prit la situation en main avec bien plus d’énergie qu’on aurait pu l’imaginer chez une dame aussi douce. Elle renvoya les filles à leur travail d’un ton sans réplique qui ne leur laissa pas le loisir de se répandre en jérémiades. Il fallait préparer une table à tréteaux dans une des petites chambres pour y déposer une bière, redonner figure humaine à la défunte, apporter du linge parfumé qu’on sortirait des coffres du manoir afin de draper et couvrir la malheureuse, chauffer de l’eau. Les rites funéraires conviennent aussi bien aux morts qu’aux vivants dont ils occupent l’esprit et les mains, leur fournissant l’occasion de se rendre utiles. Très vite, le murmure à peine audible qui s’élevait de la chambre mortuaire, où s’exprimaient l’effroi et la détresse, se changea en une mélodie élégiaque, presque apaisante.

Emma sortit de la grande salle où son époux et ses gens, glacés jusqu’aux os, se réchauffaient les pieds au coin du feu et tentaient de rétablir la circulation du sang dans leurs doigts gourds.

— Oh ! Cenred, comment une chose pareille a-t-elle pu arriver ? Qui a pu commettre un pareil forfait ?

Personne n’essaya de répondre à sa question. Elle en eût d’ailleurs été la première surprise.

— Où l’avez-vous trouvée ? insista-t-elle.

A cela il pouvait apporter une réponse. Frottant son front plissé d’un air fatigué, il lui donna tous les détails qu’il connaissait.

— Vous pensez vraiment, murmura Emma, qu’elle a été à Elford ?

— Le contraire serait étonnant. De toute manière, j’y ai expédié Edred pour mener une petite enquête. Il devrait être de retour d’ici une heure ou deux. Mais que nous apprendra-t-il ? Dieu seul le sait.

Ils parlaient à mots couverts, tous les deux, de façon à éviter de prononcer le nom de Roscelin ou à invoquer les raisons qui avaient poussé Edgytha à sortir seule, au pas de course, par une nuit d’hiver. Il était certain qu’à présent tous avaient été informés, des écuries au chenil. Toute la maisonnée des Vivier s’était réunie, mal à l’aise. Ceux qui servaient à l’intérieur formaient un groupe inquiet dans un des recoins du château ; ceux du dehors venaient rôder et jeter un coup d’œil par-dessus l’épaule de leurs collègues, incapables qu’ils étaient de retourner à leur travail ni même d’aller se reposer comme d’habitude tant qu’un événement quelconque ne se produirait pas sur place, les forçant à se disperser. Aucun d’entre eux, sûrement, n’avait reçu les confidences de leur maître concernant les amours illicites de Roscelin, mais bon nombre d’entre eux avaient dû deviner ce qui poussait Hélisende à ce mariage à la sauvette. En face de ce clan, il ne serait pas mauvais de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

Et puis, comme si les choses n’étaient déjà pas assez compliquées, Jean de Perronet sortit de la chambre d’au-dessus où il s’était retiré non pas pour y dormir, mais par pure courtoisie, car il n’avait pas quitté les beaux vêtements qu’il portait au souper. Frère Haluin, qui lui avait dû se relever, était là aussi, inquiet, silencieux. Tous ceux qui, cette nuit-là, se trouvaient sous le toit des Vivier se glissaient petit à petit, presque furtivement, dans la grande salle.

Non, pas exactement tous. Cadfael dévisagea un par un les membres de l’assemblée : quelqu’un manquait à l’appel. Hélisende n’avait pas rejoint les autres.

A en juger par sa mine. Perronet avait dû se livrer à de sérieuses réflexions depuis qu’il s’était plié à la volonté de ses hôtes et avait renoncé à prendre part aux recherches. Il arriva dans la grande salle, le visage grave, impassible, sans rien révéler de ses pensées. Il prit tout son temps pour regarder toutes les personnes présentes et plus particulièrement Cenred, encore plus muet et morose que les autres, dont les bottes fumaient parmi les cendres du foyer, et qui penchait la tête, les yeux fixés sur les braises du feu.

— Il me semble, commença-t-il d’un ton décidé, que tout s’est plutôt mal terminé. Avez-vous retrouvé votre servante ?

— Certes oui, répondit Cenred.

— Blessée ? Morte ? Oui, c’est cela. Elle est morte.

— Mais pas de froid, déclara Cenred sans ménagement. Elle a été poignardée et laissée au bord de la route. Et pas la moindre trace près du corps ; nous n’avons vu ni entendu âme qui vive le long du chemin. Pourtant, c’est arrivé il y a peu. Après que la neige a commencé à tomber.

— Elle était chez nous depuis dix-huit ans, murmura Emma, effondrée, en se tordant les mains. La malheureuse, ah la malheureuse ! Finir ainsi ! Frappée par un vagabond sans foi ni loi, pendant une nuit glaciale. Je donnerais n’importe quoi pour que cela ne se soit pas produit !

— Je suis vraiment désolé, l’assura Jean de Perronet, surtout en un moment pareil. Y aurait-il un lien, par le plus grand des hasards, entre les circonstances qui m’ont amené ici et la mort de cette femme ?

— Non ! s’écrièrent le mari et son épouse d’une seule voix, s’efforçant davantage de chasser cette pensée qui les hantait que de tromper leur invité.

— Non, poursuivit Cenred plus doucement. Dieu veuille que non. D’ailleurs, je suis sûr que ce n’est pas le cas. C’est une coïncidence épouvantable, mais c’est tout, j’en réponds.

— Ce sont des choses qui arrivent, reconnut Jean de Perronet, manifestement peu convaincu. Et ces malheurs ne se privent pas de gâter les occasions les plus belles, y compris les mariages. A ce propos, vous ne préféreriez pas repousser celui qui doit avoir lieu demain ?

— Mais non. Pourquoi ? Vous n’êtes en rien concerné. Cependant il y a eu meurtre, et il faut que le shérif en soit averti et que le meurtrier soit poursuivi. A ma connaissance, il ne reste plus de famille à la victime, c’est donc à nous de l’enterrer. C’est un devoir auquel nous ne manquerons pas. Mais il n’y a aucune raison pour que vous en pâtissiez.

— Je crains que ce drame n’ait bouleversé Hélisende, répliqua-t-il. Cette femme a été sa nourrice et elle l’aimait beaucoup.

— Raison de plus pour que vous l’emmeniez loin d’ici et que vous lui donniez une nouvelle maison et une nouvelle vie.

Pour la première fois, il jeta un coup d’œil alentour, surpris de ne pas la voir parmi les femmes, en même temps soulagé qu’elle ne soit pas là pour rendre la situation encore plus difficile. Si elle avait pu s’endormir, tant mieux, il ne fallait surtout pas la réveiller ; il serait bien temps demain de la mettre au courant. Les servantes sortaient lentement de la chambre où elles s’étaient affairées à préparer le corps d’Edgytha. Leur tâche était terminée et leur présence, muette, craintive, commençait à devenir pesante. Au prix d’un effort, Cenred se secoua afin de se débarrasser d’elles.

— Emma, renvoyez les femmes se coucher ; nous n’avons plus besoin d’elles. Il est inutile qu’elles attendent. Et vous, les gars, allez dormir. Ça ne sert à rien de se morfondre tant qu’Edred ne sera pas rentré d’Elford. Inutile de l’attendre.

Puis, s’adressant à Perronet, il expliqua :

— Je l’ai envoyé avec deux de mes hommes informer mon suzerain de cette mort. Un assassinat dans la région relève de sa juridiction, ce sera donc son affaire tout comme la mienne. Venez, Jean, avec votre permission, nous allons nous retirer dans mon cabinet et laisser dormir ceux qui ont sommeil.

Il était hors de doute, songea Cadfael, observant Cenred qui semblait épuisé, qu’il aurait donné cher pour que Perronet se décide de nouveau à lui laisser les mains libres, mais cette fois il ne fallait guère y compter. Et, bien qu’il eût tenté de donner à la visite de son intendant à Elford un sens qu’elle n’avait pas, la simple mention de ce nom prenait à présent une signification qu’il ne pouvait pas nier. Et il n’était pas homme à tromper autrui de gaieté de cœur, d’ailleurs il n’était pas doué pour mentir. Il avait la sincérité chevillée au corps.

Les femmes avaient immédiatement obtempéré et, dans un concert de chuchotements effrayés, avaient regagné leurs quartiers. Les serviteurs éteignirent les torches, n’en laissant que deux allumées pour éclairer l’entrée, puis ils alimentèrent et couvrirent le feu afin qu’il brûle lentement pendant la nuit. Perronet suivit son hôte jusqu’à la porte du cabinet d’où Cenred, d’un signe de la main, pria Cadfael de se joindre à eux.

— Vous étiez là, mon frère, vous pouvez témoigner quant aux circonstances dans lesquelles nous avons découvert la pauvre femme. C’est vous qui nous avez montré qu’on l’avait tuée après que la neige s’était mise à tomber. Vous voulez bien attendre avec nous et voir quelles nouvelles mon intendant va nous rapporter ?

Nul n’avait précisé si cette invitation s’adressait également à frère Haluin, mais ce dernier attira l’attention de Cadfael qui semblait plutôt lui déconseiller de venir lui aussi, suggestion que l’infirme ne suivit pas. Il en avait assez vu pour apprendre à juger par lui-même puisqu’on lui demandait d’unir deux êtres et de célébrer un mariage dont on était en droit de supposer qu’il avait un rapport avec le crime. Il était impératif qu’il sût ce qui se tramait derrière ces randonnées nocturnes, quitte à revenir sur sa décision si cela lui paraissait justifié. Serrant les dents, il accompagna les autres, dans le cabinet, le tapis de roseau ralentissant sa marche, et ses béquilles produisirent un écho assourdi quand elles sonnèrent sur le plancher. Il prit place sur un banc dans le coin le plus reculé afin d’écouter sans être remarqué, cependant que Cenred s’assit lourdement à la table sur laquelle il posa les coudes, appuyant sa tête sur ses mains solides.

Perronet voulut savoir si ses hommes étaient à pied.

— Oui.

— Alors il va falloir nous armer de patience. Ils ne vont pas rentrer tout de suite. Avez-vous envoyé d’autres gens sur d’autres routes ?

Cenred répondit « Non » d’un ton sec sans fournir d’excuse ni d’explication. Cadfael songea qu’un quart d’heure auparavant il se serait bien gardé de répondre à cette question qu’il aurait tenté d’éluder. Maintenant il n’essayait même plus de sauver les apparences. Avec un meurtre, des tas de problèmes remontent à la surface cependant que le criminel, lui, reste dans l’ombre.

Perronet crispa les mâchoires sur les questions qui lui venaient aux lèvres et décida d’attendre en montrant une patience inaltérable. Le silence feutré de la nuit s’était refermé sur le manoir de Vivier, lourd de présages, oppressant. Dans la grande salle, il était probable que personne ne dormait, mais chacun bougeait furtivement et parlait à voix très basse.

L’attente, cependant, ne dura pas aussi longtemps que le craignait Perronet. Le silence fut brusquement rompu par le fracas de sabots de chevaux qui galopaient sur la terre gelée de la cour. Une voix jeune, furieuse, exigea d’un ton comminatoire qu’on vienne s’occuper de sa monture ; les palefreniers se précipitèrent et, à l’intérieur, tous ceux qui ne dormaient pas s’agitèrent. On s’élança dans le noir, en pleine confusion, on battit le briquet, trop vite pour obtenir un résultat probant, on plongea une torche dans le feu couvert de terre et on s’empressa d’allumer d’autres flambeaux. Avant que les occupants du cabinet n’aient eu le temps de sortir voir ce qui se passait, on tapait violemment du poing à la porte du manoir. Il y eut des cris, des ordres.

Deux ou trois domestiques se hâtèrent d’aller ouvrir, car ils avaient reconnu celui qui appelait, mais dès que le lourd vantail s’écarta ils furent violemment jetés contre le mur avec lui, et, dans la lumière brillante des torches, Roscelin fit brutalement irruption. Il était tête nue, ses cheveux très clairs avaient été décoiffés par sa course et ses yeux bleus lançaient des éclairs. Le froid de la nuit entra avec lui, toutes les torches se mirent à couler et à fumer. Cenred, qui s’engouffrait dans la grande salle, se trouva immobilisé tout aussi abruptement par le regard flamboyant de son fils :

— C’est vrai, ce que raconte Edred ? demanda-t-il sans préambule. Qu’est-ce que vous avez manigancé derrière mon dos ?

La Confession de frère Haluin
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