CHAPITRE CINQ

 

 

— Vous ! s’exclama-t-elle, les yeux grands ouverts, les dévisageant tour à tour, stupéfaite, cherchant, semblait-il, une quelconque logique dans cette vision inattendue.

Sa voix était neutre, ni accueillante ni glaciale.

— Je n’aurais jamais cru vous revoir si tôt. Y a-t-il quelque chose que vous ayez oublié de me demander, Haluin, et qui vous ait poussé à me suivre jusqu’ici ? Il vous suffira de m’interroger. Je vous ai déjà pardonné, je crois.

— Mais, madame, répondit Haluin, secoué par l’apparition de la dame qu’il avait servie jadis et qu’il ne s’attendait pas à croiser en cet endroit, nous ne vous avons pas suivie. Je n’aurais en vérité jamais pensé vous trouver en ces lieux. Je vous suis reconnaissant de votre mansuétude et je n’aurais pas voulu vous déranger encore pour tout l’or du monde. Si je suis ici, c’est pour accomplir un vœu. Je comptais passer une nuit en prière à Hales, persuadé que j’étais que c’est là qu’était enterrée madame votre fille mais le curé nous a dit que ça n’était pas le cas. Elle repose à Elford, dans le caveau de ses ancêtres. J’ai donc continue jusqu’ici. La seule chose que j’ai à vous demander est de m’autoriser à veiller près de cette tombe la nuit prochaine, et ce afin de tenir ma promesse. Ensuite nous prendrons congé et nous ne vous ennuierons plus.

— J’aurais mauvaise grâce à nier, commença-t-elle, d’une voix plus douce, que je serai heureuse de vous voir partir. Oh ! je ne vous en veux pas ! Mais cette blessure que vous avez rouverte, je souhaiterais qu’elle se referme sans témoin. A cause de votre présence, voilà qu’elle saigne de nouveau. Croyez-vous que j’aurais sauté à cheval et couru ici si vite si vous ne m’aviez pas forcé à me remémorer cette très ancienne histoire ?

— J’espère, madame, répondit Haluin, troublé, d’une voix basse, qu’avec votre pardon, la plaie n’est plus infectée. Dans mes prières à votre intention, cette fois, j’intercéderai pour que la guérison soit douce et complète.

— Et pour vous ? interrogea-t-elle sèchement, se détournant un peu de lui avec un geste de la main qui lui interdit de répondre. Douce et complète ! Vous ne manquez pas d’audace. Je vous trouve bien exigeant envers Dieu et plus encore envers moi, articula-t-elle et, dans la lumière oblique du vitrail, son visage était dur et triste. Vous avez appris à parler comme un moine. Enfin, tout cela remonte à si longtemps ! Vous aviez la voix plus légère autrefois, et la démarche aussi. Je vous accorde au moins cela, vous n’avez pas dû vous amuser pour venir jusqu’ici. Ne me refusez pas la grâce de vous offrir un repas et un lit, cette fois. Je possède une maison en ces lieux, dans l’enceinte du manoir de mon fils. Venez vous y reposer au moins jusqu’à vêpres, si vous tenez à mortifier votre chair sur ces pierres froides toute la nuit.

— Ainsi, je disposerai de ma nuit pour veiller ? demanda Haluin bouleversé.

— Pourquoi non ? Ne m’avez-vous pas vu supplier Dieu pour la même raison ? Je vous ai vu blessé. Je ne voudrais pas que vous vous parjuriez. Oui, je vous accorde votre veille pénitentielle, mais venez d’abord vous restaurer chez moi. J’enverrais mes gens vous chercher quand vous aurez terminé vos oraisons.

Elle était presque à la porte, ne prêtant aucune attention aux remerciements hésitants d’Haluin, le privant de la moindre occasion de refuser son hospitalité, quand elle s’arrêta soudain et se tourna de nouveau vers eux, très insistante.

— Mais pas un mot à qui ce que soit sur ce qui vous amène en ce village. Le nom et la réputation de ma fille sont en sûreté sous cette pierre ; qu’ils y reposent en paix. Je n’aimerais pas que vous rafraîchissiez la mémoire à quiconque comme vous me l’avez rafraîchie à moi. Que cela reste entre nous et ce bon frère qui vous tient compagnie.

— Je ne m’en ouvrirai à personne qu’à l’un de vous deux, répliqua Haluin dévotement, ni maintenant ni jamais, ni ici ni en d’autres lieux.

— Vous m’ôtez un grand poids, souffla-t-elle. L’instant d’après, elle était partie en tirant doucement la porte derrière elle.

Haluin étant incapable de s’agenouiller sans quelque chose de ferme sur quoi s’appuyer, le bras de Cadfael lui soutint la taille pour soulager son poids et éviter qu’il ne pèse trop sur son bon pied. Ils offrirent leurs prières comme il convient, côte à côte devant l’autel, et Cadfael, très attentif quand Haluin se mit à genoux, étudia non sans sollicitude les traits épuisés du jeune homme. Il avait supporté ce long trajet à pied, mais la souffrance l’avait marqué. La nuit dans la nef serait froide, pénible, interminable, n’empêche, il tenait par-dessus tout à subir ce dernier châtiment qu’il avait cru bon de s’infliger. Et après cela, il faudrait songer à repartir. Ce ne serait pas plus mal si la châtelaine pouvait le décider à rester au moins une nuit de plus, comme s’il lui accordait une faveur maintenant que, dans une certaine mesure, ils avaient réussi à s’entendre sur le passé commun qui les hantait.

Il n’y avait en vérité rien d’impossible à ce que la visite inopinée d’Haluin l’ait décidée à partir également en pèlerinage pour réfléchir à ses propres responsabilités dans cette ancienne tragédie. Elle était passée au trot soutenu devant le petit essart d’un forestier près de Chenet, suivie seulement d’une servante et de deux domestiques, ranimant un vague souvenir dans la mémoire de Cadfael. Oui, cela n’avait rien d’impossible. L’élan du repentir pouvait être contagieux et l’on sentait de la hâte dans cette démarche. Cadfael revit les deux chevaux et leur double charge dans le petit matin, l’allure décidée qu’ils avaient adoptée. Se hâtait-elle d’aller payer une dette à moitié oubliée dans laquelle l’affection le disputait au remords ? Ou tenait-elle à arriver avant quelqu’un d’autre afin d’être prête et armée pour le recevoir ? Elle voulait qu’ils partent satisfaits. Mais c’était assez naturel. Ils s’en étaient pris à sa tranquillité d’esprit, levant devant son beau visage un vieux miroir imparfait.

— Aidez-moi à me relever ! s’exclama Haluin, qui tendit les bras comme un enfant pour qu’on le remette sur ses pieds.

C’était la première fois qu’il formulait pareille demande, avant qu’on ne lui propose un coup de main pour lequel ses remerciements témoignaient de résignation et d’humilité plus encore que de gratitude.

— Vous n’avez même pas ouvert la bouche, remarqua-t-il soudain, tout étonné, comme ils se dirigeaient vers la porte de l’église.

— C’est que je n’en ai pas éprouvé le besoin, répliqua Cadfael, mais ça n’a pas été le cas de tout le monde. Même vos silences n’étaient pas totalement dénués de sens.

 

Le serviteur d’Adélaïde de Clary les attendait sous le porche, comme elle l’avait promis, indolemment appuyé de l’épaule au chambranle de la porte, à croire qu’il était là depuis un moment déjà, mais montrant une patience immuable. L’apparition de ce garçon confirma tout ce que Cadfael s’était permis d’imaginer en voyant les cavaliers passer brièvement entre les arbres. Le plus jeune des deux avait dans les trente ans, il était solide, râblé, doté d’un cou de taureau, incontestablement bâti sur le modèle normand. La troisième ou la quatrième génération, peut-être, d’un géniteur qui était venu comme homme d’armes avec le premier de Clary. La souche originelle était encore vivace bien que des mariages avec des femmes anglaises aient transformé la chevelure blonde en une nuance châtain clair et un tant soit peu modéré l’agressivité de l’ossature du visage. Il avait toujours les cheveux coupés très court, à la mode normande, une mâchoire puissante, rasée de près et les yeux clairs, brillants, impénétrables, des gens du Nord. Quand ils approchèrent, il sauta sur ses pieds, plus à l’aise en mouvement qu’au repos.

— Ma dame m’envoie vous montrer le chemin.

Il avait une voix pincée, dépourvue d’intonation. Sans attendre de réponse, il se dirigea vers la sortie du cimetière à un rythme fort difficile à suivre pour Haluin. A la porte il se retourna et attendit ; ensuite, il ralentit le pas, mais il était visible que cela ne lui plaisait pas. Il choisit de garder le silence et répondit brièvement mais courtoisement aux questions qu’on lui posait ou aux formules de politesse. Oui, Elford était un beau domaine dont la terre était bonne et le propriétaire également. Il reconnut assez indifféremment qu’Audemar le gérait fort bien ; c’est à la mère qu’allait sa fidélité et non au fils. Oui, son père travaillait pour la même famille et le père de son père avant lui. Envers les deux religieux, il ne manifesta aucune curiosité, ce qui n’aurait rien eu d’anormal. Ses yeux gris pâle, lointains, gardaient tout pour eux, à moins qu’ils ne suggèrent une absence totale de réflexion.

Par un chemin herbeux, il les conduisit au portail de l’enclos du manoir, qui était muré et spacieux.

La demeure d’Audemar de Clary, massive, était installée en son mitan, l’étage d’habitation, surélevé, reposant sur une crypte de pierre. A en juger par les deux petites fenêtres à l’étage, il devait au moins y avoir deux chambres supplémentaires au-dessus du cabinet particulier. Quant à la vaste cour, elle s’étendait autour d’autres pièces habitables, aussi bien que des indispensables écuries, sans oublier l’armurerie, le fournil, la brasserie, les magasins, les ateliers ; on s’y affairait comme dans toutes les grandes maisons à l’activité débordante.

L’homme les guida vers une petite chambre en bois sous le mur de protection.

— Ma dame a ordonné qu’on prépare ce logement à votre intention. Utilisez-le comme il vous plaira, ce sont ses propres termes ; le portier veillera à ce que vous puissiez circuler librement et aller à l’église.

Ils se rendirent compte que cette hospitalité était parfaite mais lointaine, impersonnelle. La dame leur avait fourni de l’eau pour leurs ablutions, des paillasses confortables pour s’y reposer, envoyé des mets de sa propre table et elle avait donné des ordres pour qu’ils n’hésitent pas à réclamer tout ce dont ils pourraient avoir besoin ou qu’on aurait pu oublier de leur apporter, mais elle ne les reçut pas personnellement. Son pardon n’allait peut-être pas jusqu’à trouver agréable la présence d’un Haluin bourrelé de remords. Ce ne furent pas non plus ses propres serviteurs qui les servirent mais les deux palefreniers qui l’avaient accompagnée depuis Hales. Ce fut le plus âgé des deux qui leur apporta la viande, le pain, le fromage et la petite bière de l’office. Cadfael avait vu juste dans leurs relations ; les hommes étaient manifestement père et fils. L’aîné avait une bonne cinquantaine trapue ; il était aussi taciturne que son fils, avec des épaules plus larges et les jambes plus arquées d’avoir passé plus de temps à cheval que debout. Il avait le même regard froid, méfiant, les mêmes mâchoires rasées de près, au dessin hardi, mais il avait le teint bronzé comme Cadfael, qui reconnut là un être qui avait longtemps vécu loin de l’Angleterre. Son maître s’était croisé ; il y avait gros à parier qu’il l’avait accompagné en Terre sainte et que c’est là-bas qu’il avait acquis son bronzage, sous le soleil violent de l’Orient.

L’aîné des palefreniers revint plus tard dans l’après-midi, porteur d’un message destiné non pas à Haluin mais à Cadfael. Par bonheur, Haluin dormait sur sa paillasse et, avec sa démarche silencieuse comme celle d’un chat, malgré son poids, l’homme ne troubla pas son repos, ce dont Cadfael lui fut reconnaissant. Ils avaient devant eux une longue nuit de veille. D’un geste, Cadfael pria le messager d’attendre et le suivit dans la cour, refermant sans bruit la porte derrière lui.

— Laissons-le se reposer. Une nuit pénible l’attend.

— Ma maîtresse nous a expliqué comment il entend la passer, répondit l’homme. C’est vous qu’elle tient à voir, si vous voulez bien me suivre. Votre compagnon n’a qu’à rester dormir, parce que, d’après elle, il a failli mourir. Je reconnais qu’il ne manque pas de cran. Sinon, il ne serait jamais venu jusqu’ici dans cet état. Accompagnez-moi, mon frère !

La maison qui lui appartenait par droit d’héritage était bâtie dans un coin du mur de protection, à l’abri des vents dominants ; elle était petite mais cela suffisait pour les visites occasionnelles qu’Adélaïde rendait à son fils : une pièce principale étroite, une chambre et une cuisine adossée au mur extérieur. Le serviteur entra à grands pas et traversa la pièce d’habitation simplement, sans hésitation, comme s’il en avait le privilège – ce qui était sûrement le cas –, et approcha sa maîtresse comme s’il était son fils ou son frère ; manifestement, la confiance était réciproque. Adélaïde de Clary avait de bons serviteurs, dépourvus de bassesse.

— Voici frère Cadfael, de l’abbaye de Shrewsbury, madame. L’autre religieux dort.

Adélaïde était assise devant une quenouille portant un écheveau d’une laine d’un bleu très soutenu ; elle maniait le fuseau de la main gauche mais, quand ils entrèrent, elle cessa de le tourner et le déposa soigneusement au pied de la quenouille pour éviter que la laine ne s’emmêle.

— Bien ! C’est exactement ce qu’il lui faut. Laisse-nous à présent, Lothaire. Je gage que notre hôte saura retrouver son chemin. Mon fils est-il rentré ?

— Pas encore. J’irai le chercher dès qu’il sera là.

— Il a Roscelin avec lui, murmura-t-elle, et les chiens. Quand ils auront regagné le chenil et que les chevaux seront à l’écurie, tu t’occuperas comme tu veux, tu l’auras mérité.

Il acquiesça d’un simple signe de la tête et se retira, aussi calme et réservé qu’à l’ordinaire. Et cependant il y avait dans leurs brefs échanges une totale assurance mutuelle, solide comme un roc. Adélaïde n’ouvrit pas la bouche avant que la porte de sa chambre ne se soit refermée derrière son domestique. Elle observait Cadfael silencieuse, attentive, avec, sur les lèvres, l’ombre d’un sourire.

— Oui, confirma-t-elle, répondant à la question qu’il n’avait pas formulée. Lothaire est plus qu’un vieux serviteur. Il était avec mon époux pendant tout le temps qu’il a passé en Palestine. Plus d’une fois il a rendu à Bertrand un signalé service, le maintenir en vie, par exemple. C’est une manière d’allégeance qui n’a rien à voir avec ce qu’on peut attendre d’un valet. Il lui était fidèle comme un chevalier à son suzerain. Il représente l’héritage de mon mari, si vous voulez. Il se nomme Lothaire et son fils, Luc. Ils sont tous les deux bâtis sur le même modèle. Vous avez vu comme ils se ressemblent. Dieu sait qu’il est difficile de ne pas s’en apercevoir.

— Certes. Et j’avais deviné aussi où votre homme avait acquis ce teint hâlé.

— Vraiment ?

Elle l’étudiait avec un intérêt accru maintenant qu’elle s’était donné la peine de le regarder de près pour la première fois.

— J’ai moi-même passé quelques années en Orient, avant la venue de ce garçon, expliqua Cadfael. S’il vit assez longtemps, son bronzage pâlira tout comme le mien, mais cela prendra des mois et des mois.

— Tiens donc ! Ainsi vous n’êtes pas entré au couvent en bas âge ? Il me semblait bien que vous n’aviez pas l’air innocent de ces êtres vierges, murmura Adélaïde.

— J’y suis venu de mon plein gré, quand l’heure a sonné pour moi.

— Oh ! lui aussi il y est allé de son plein gré, mais je doute qu’il ait choisi le moment opportun ! répliqua-t-elle en soupirant et en s’agitant. Je voulais simplement savoir si vous aviez tout ce qu’il vous faut et si mes gens se sont bien occupés de vous.

— Mais… absolument. Et nous vous sommes profondément reconnaissants, ainsi qu’à eux également, de cette hospitalité.

— Je voulais aussi vous demander – à propos de Haluin… J’ai vu dans quel triste état il est. Un jour se portera-t-il mieux, à votre avis ?

— Il ne remarchera jamais comme avant, mais avec le temps ses muscles reprendront des forces et ça s’arrangera. Il a cru qu’il allait mourir, ce que nous pensions tous d’ailleurs, mais il est vivant et il s’apercevra que cela a du bon une fois qu’il aura retrouvé la paix de l’esprit.

— Vous pensez qu’il ira mieux sur ce point après cette nuit ? Est-ce cela dont il a besoin ?

— Oui, je le crois.

— En ce cas, il a ma bénédiction. Et après ? Vous le ramenez à Shrewsbury ? Je peux vous fournir des chevaux pour le voyage du retour. Lothaire les récupérera à Hales quand nous rentrerons chez nous.

— Je doute qu’il accepte cette proposition généreuse. Il a juré d’accomplir sa pénitence à pied du début jusqu’à la fin.

Elle acquiesça d’un hochement de tête.

— Je lui en parlerai quand même. Bon – c’est tout, mon frère. S’il refuse, je ne discuterai pas. Attendez, il y a autre chose ! Je vais à vêpres ce soir, je verrai le curé et je m’assurerai que personne – je dis bien personne ! – n’interroge ni ne dérange ce pauvre garçon pendant sa veillée. Vous comprenez, strictement rien ne doit filtrer, sauf auprès de ceux qui sont déjà au courant. Vous l’en informerez ? Ce qui reste ne concerne que lui et Dieu.

 

Le maître de céans passait le portail à cheval au moment où Cadfael regagnait le logement où Haluin dormait encore. Le tintement du harnachement, le claquement des sabots et le bruit des voix précédèrent les arrivants et cette animation attira dehors serviteurs et palefreniers, comme des abeilles qu’on vient de déranger. Aussitôt ils s’occupèrent de leur seigneur. Audemar de Clary montait un grand bai clair. C’était un homme solide, vêtu d’une tenue toute simple de cavalier, dépourvue d’ornements, mais il n’en avait pas besoin pour montrer qu’il détenait l’autorité en ces lieux. Il était nu-tête, le capuchon de son manteau court rejeté sur ses épaules. Il avait l’épaisse chevelure noire de sa mère mais la puissante ossature de son visage, son nez très droit, ses pommettes saillantes et son grand front venaient sûrement de son croisé de père.

Cadfael n’hésita pas à lui donner moins de quarante ans. La vigueur de ses mouvements quand il descendit de cheval, son pas élastique quand il fut à terre et jusqu’à sa façon de se déganter, tout indiquait la jeunesse. Mais les traits impressionnants de sa figure, la domination de soi qui éclatait dans toute sa personnalité, l’efficacité avec laquelle il administrait ses domaines, le service rapide et compétent qu’il attendait et obtenait de ses gens lui donnaient l’air plus âgé qu’il ne l’était en réalité. Il avait tout dirigé, se rappela Cadfael, pendant la longue absence de son père. Il avait dû commencer tôt, avant d’avoir eu vingt ans, et les terres des de Clary étaient vastes autant que dispersées. Il avait bien appris son métier. Et ce n’était pas le genre de personnage qu’il fallait contrarier à la légère ; personne, cependant, ne le craignait. On l’approchait joyeusement et on lui parlait hardiment. Il ne se mettrait en colère que pour une bonne raison, mais alors il serait terrible, voire dangereux.

Tout près de lui chevauchait un jeune page, ou un écuyer, dans les dix-sept ou dix-huit ans, avec un visage frais auquel le grand air et l’exercice avaient donné des couleurs et derrière eux deux valets de chenil suivaient à pied, tenant en laisse les chiens qui venaient de courir. Audemar confia sa bride au palefrenier qui arrivait au pas de course et secoua la poussière de ses bottes en laissant son manteau au jeune homme qui tendait les mains. En quelques minutes, cette brève période d’activité s’était apaisée, on emmenait les chevaux aux écuries, les chiens au chenil. Luc, le jeune valet d’écurie, alla glisser un mot à Audemar, un message de la part d’Adélaïde apparemment car aussitôt Audemar regarda vers les appartements de sa mère en faisant oui de la tête et il se dirigea vers la porte à grandes enjambées. Son regard tomba sur Cadfael qui était, par discrétion, resté à l’écart, et il s’arrêta un instant comme s’il allait lui adresser la parole, mais il changea d’avis, poursuivit son chemin et s’engouffra sous le porche profond.

A en juger par l’heure où elle était passée dans la forêt avec sa suivante et ses palefreniers. L’avant-veille, Cadfael calcula qu’elle avait dû arriver le jour même. Ils n’avaient eu nul besoin de passer la nuit à Chenet ; à cheval, la distance était minime pour rejoindre Elford. Ce qui supposait qu’elle avait déjà vu son fils et qu’elle lui avait parlé. Ce qu’elle avait à lui communiquer maintenant, alors qu’il venait de rentrer, avait certainement trait à ce qui était encore nouveau pour lui au manoir d’Elford. Et qu’est-ce qui pouvait l’être, sinon l’arrivée de deux religieux de l’abbaye de Shrewsbury et la raison pour laquelle ils étaient là, raison à laquelle elle donnerait probablement une interprétation édulcorée ? Il s’était certainement trouvé à Elford quand sa sœur était – soi-disant – morte des fièvres, ce qu’il devait croire lui aussi. C’était probablement tout ce qu’il savait ; une mort triste, toute simple, comme cela arrive dans toutes les familles, même en pleine jeunesse. Non, cette femme forte et décidée n’aurait jamais mis son fils dans la confidence. A la rigueur, elle se serait livrée à une vieille servante à la foi éprouvée – il y avait bien dû s’en trouver une, morte peut-être à l’heure qu’il est. Mais son fils cadet, impossible.

Si Cadfael voyait juste, il ne fallait pas s’étonner qu’Adélaïde se donnât tout ce mal pour faciliter les choses à Haluin de façon à se débarrasser de lui dans les meilleurs délais et à éviter toute curiosité déplacée, y compris de la part du curé. Elle leur avait même offert des chevaux pour hâter leur départ et demandé aux deux pèlerins de jurer de ne rien révéler du passé à âme qui vive, de ne pas souffler mot sur ce qui les amenait en ces lieux et de ne pas mentionner le nom de Bertrade.

Cadfael eut le sentiment qu’il commençait à y voir plus clair. Où que nous allions, songea-t-il, Adélaïde est là et s’interpose entre tous les autres et nous. Elle nous loge, nous nourrit, c’est le plus loyal de ses serviteurs qui est chargé de prendre soin de nous et pas un membre de la maisonnée de son fils. Qu’avait-elle dit déjà ? « Le nom et la réputation de ma fille sont en sûreté sous cette pierre, qu’ils y reposent en paix. » On pouvait difficilement lui reprocher de veiller à ce que cela reste ainsi ni s’étonner de la hâte avec laquelle elle avait quitté Hales pour arriver ici la première et être prête à les recevoir.

Eh bien, pensa-t-il, si l’état de Haluin le permet, on sera partis demain et elle aura tous ses apaisements. Si nécessaire, on trouvera un endroit où se reposer à un ou deux milles et elle pourra rayer Haluin de ses pensées.

Le jeune écuyer était resté immobile, suivant des yeux son maître qui se rendait chez sa mère ; il avait jeté le manteau d’Audemar sur son épaule et ses cheveux paraissaient presque blancs sur cette étoffe sombre. Il avait encore la grâce anguleuse d’un jeune poulain, propre à la jeunesse. D’ici un an ou deux, sa charpente mince s’étofferait et il serait à la fois fort et avenant, capable de contrôler chacun de ses mouvements, mais pour l’instant il avait encore l’air incertain, vulnérable d’un enfant. Il regarda Audemar s’éloigner, l’air surpris, méditatif et dévisagea Cadfael d’un œil candide et curieux avant de porter ses pas vers l’entrée de la demeure de son seigneur.

Il devait s’agir de ce Roscelin dont Adélaïde avait parlé, songea Cadfael, étudiant la silhouette qui s’éloignait. D’après sa stature et son teint, il ne devait pas être de la maison, mais ça n’était pas un domestique non plus. Sans doute un fils de l’un des vassaux d’Audemar envoyé chez son suzerain pour se former aux armes et prendre les manières d’une petite cour afin de se préparer à entrer dans le vaste monde. Ce genre de jeunes gens fourmillait chez tous les grands barons. Pourquoi les de Clary n’en auraient-ils pas un ou deux à domicile ?

La fraîcheur était tombée en ce début de soirée et un vent mordant s’était levé auquel se mêlaient quelques aiguilles dune fine neige fondue qui piquaient la peau. On serait bientôt rendu à vêpres. Cadfael fut heureux d’échapper au froid ; en entrant, il trouva Haluin éveillé qui l’attendait, silencieux, tendu, maintenant que l’heure de l’accomplissement allait sonner.

 

Il était patent qu’Adélaïde avait soigneusement pris ses dispositions. Personne ne s’immisça dans leur intimité, ne leur posa la moindre question, ne manifesta la moindre curiosité. Avant vêpres, le petit Luc leur apporta à manger et, à la fin de l’office, on les laissa seuls dans l’église conduire leur veillée à leur guise. Il est peu probable qu’un membre de la maisonnée s’interrogeât sur leur présence. Ils étaient accoutumés à toutes sortes de visiteurs de passage, avec des besoins différents, et les dévotions de deux bénédictins itinérants ne surprirent personne. Si des moines de l’abbaye de Saint-Pierre avaient décidé de passer la nuit en prière dans une église dédiée à saint Pierre, il n’y avait pas de quoi s’en étonner et puis ça ne les regardait pas.

Ainsi donc, frère Haluin avait obtenu le droit d’accomplir son vœu. Il n’aurait rien pour rendre la pierre moins dure, pas de manteau supplémentaire pour combattre le froid de la nuit, bref, rien pour adoucir les rigueurs de sa pénitence. Cadfael l’aida à s’agenouiller, à portée de l’appui solide de la tombe de façon à éviter de tomber trop brutalement s’il était pris de faiblesse ou de vertige. Ses béquilles furent disposées au pied de la pierre tombale. Il ne permettrait à personne de s’immiscer plus avant dans ses affaires. Mais Cadfael se mit à genoux avec lui, dissimulé dans l’ombre pour le laisser seul avec sa Bertrade et Dieu qui ne manquerait pas de lui prêter une oreille compatissante.

La nuit fut longue et froide. La lampe d’autel était comme un œil lumineux dans la pénombre et rappelait la couleur du feu à défaut d’en avoir la chaleur. Les heures défilaient l’une après l’autre dans le silence, comme portées par une vague infinitésimale ; le souffle de Haluin s’élevait, régulier et un murmure constant s’échappait de ses lèvres que l’on sentait dans son sang et au plus profond de soi-même plutôt que par l’oreille. De son cœur débordant montait un flot inépuisable de mots à l’adresse de celle qu’il avait aimée et qui était morte. Il était si passionné, tendu, qu’il ne sentait plus la douleur, qui n’en reprit pas moins ses droits avant minuit et ne le quitta plus jusqu’à l’aube qui marqua la fin de son épreuve et l’arracha à cette sorte d’état de grâce.

Quand il ouvrit enfin les yeux sur la vive lumière d’un matin nimbé de givre et qu’il écarta laborieusement ses mains jointes glacées, les bruits ordinaires des activités propres à la matinée étaient déjà nettement audibles au-dehors. Haluin, hébété, cligna des paupières ; on aurait cru qu’il revenait d’un très lointain voyage intérieur. Il tenta de bouger, d’agripper le rebord de la tombe mais ses doigts étaient si gourds qu’ils ne sentaient plus leur prise et ses bras si ankylosés qu’il ne put prendre appui sur eux pour se relever. Cadfael lui tendit une main secourable pour l’aider à se redresser, mais Haluin ne parvint pas à déplier ses genoux pour poser sur le sol son bon pied et il s’appuya lourdement sur son compagnon. Il y eut soudain des pas légers, précipités, et un autre bras, jeune et fort, le prit de l’autre côté ; une tête blonde s’inclina vers l’épaule de l’infirme qui, entre ces deux vivants piliers, put reprendre contact avec le sol, mais il évita de bouger tant que son sang ne recommençait pas à circuler normalement dans ses jambes qui lui refusaient tout service.

— Pour l’amour de Dieu, monsieur, s’écria le petit Roscclin, est-il bien indispensable que vous vous infligiez pareille épreuve alors que vous en avez déjà bien assez comme ça à supporter ?

Haluin était trop stupéfait et il n’avait pas encore suffisamment repris contact avec la réalité pour être capable de comprendre ce dont il s’agissait, et encore moins de répondre. Et si, en son for intérieur, Cadfael trouva la question marquée au coin du bon sens, il se contenta de suggérer au jeune homme de ne pas relâcher son soutien pendant que lui ramassait ses béquilles.

— Dieu vous bénisse, dit-il, vous êtes arrivé à point nommé. Mais évitez de le gronder, vous perdriez votre temps. Il a prononcé un serment.

— En voilà un serment ! s’exclama le garçon, avec l’arrogante certitude propre à la jeunesse. Qui s’en portera mieux pour autant ?

Mais, malgré sa désapprobation, il n’abandonna pas Haluin pour autant tout en le regardant avec une expression où il entrait au moins autant d’inquiétude que d’exaspération.

— Lui, pour commencer, répliqua Cadfael, glissant les béquilles sous les aisselles de Haluin dont il s’efforça de réchauffer les mains glacées, encore incapables d’en saisir les poignées. C’est difficile à croire, mais c’est pourtant comme ça. Bon, laissez-le s’appuyer dessus, à présent, mais ne le lâchez pas encore. C’est bien beau à votre âge, on a le sommeil facile, rien à regretter ni à se faire pardonner. Oh ! mais j’y songe, comment êtes-vous arrivé exactement au bon moment ? demanda-t-il, observant le jeune homme qui témoignait d’un intérêt tout particulier. On vous a envoyé ?

Il n’était en effet guère vraisemblable qu’Adélaïde se fût servie de ce garçon, trop jeune, trop peu diplomate, trop innocent, pour conduire ses hôtes encombrants loin d’Elford.

— Non, répondit Roscelin d’un ton sec, avant d’ajouter de meilleure grâce : J’étais curieux.

— C’est humain, admit Cadfael, reconnaissant là son péché mignon.

— Et ce matin, Audemar n’a pas besoin de moi dans l’immédiat ; il a du travail avec son intendant. Ne vaudrait-il pas mieux ramener votre collègue dans sa chambre, où il sera au chaud ? Comment va-t-on s’y prendre ? Je peux aller chercher un cheval si vous êtes capable de le mettre en selle.

Haluin reprit contact avec la réalité pour se rendre compte qu’on s’occupait de lui et qu’on s’entretenait à son sujet comme s’il était incapable de prendre soin de lui-même et qu’il ignorait où il se trouvait. Il se raidit d’instinct devant cet outrage.

— Non, inutile, je vous remercie ; ça va maintenant. Vous vous êtes montrés déjà bien assez bons pour moi.

Là-dessus, il empoigna ses béquilles de ses doigts qui s’étaient assouplis et il s’éloigna à pas prudents de la tombe de Bertrade.

Ils le suivirent de près, chacun d’un côté, au cas où il trébucherait, Roscelin le précédant dans l’escalier aux marches peu élevées pour le retenir s’il partait en avant et Cadfael juste sur ses talons pour le soutenir s’il tombait en arrière. Mais ils n’eurent pas à intervenir, Haluin avait retrouvé ses forces, et la volonté de se débrouiller seul, quel que soit le prix à payer pour cet effort. Et puis, rien ne pressait. Quand il en sentirait le besoin, il pourrait s’appuyer sur ses béquilles pour reprendre souffle, ce qui se produisit trois fois avant d’atteindre la cour d’Audemar, déjà pleine de gens qui s’affairaient au fournil, aux écuries, au puits alimenté par une source. Cadfael songea que c’était très révélateur quant à la délicatesse et à la vivacité de Roscelin, cette manière d’attendre sans commentaire ni impatience que Haluin reprenne sa marche et de s’abstenir de l’aider sans en avoir été prié. C’est ainsi que Haluin, comme il le souhaitait, retrouva son logis d’occasion, chez Audemar, boitillant sur ses pieds déformés, et qu’il put s’accorder un repos qu’il jugeait ne pas avoir volé.

Roscelin continua à les suivre, toujours curieux et apparemment pas pressé de vaquer à ses propres occupations.

— Alors, c’est tout ? demanda-t-il, regardant Haluin s’étendre avec un soulagement manifeste et tirer sur ses membres las une couverture de laine. Où irez-vous quand vous nous quitterez ? Quand comptez-vous partir ? Aujourd’hui même ? Je pense que non.

— Nous retournerons à Shrewsbury, répondit Cadfael. Aujourd’hui, j’en doute. Il serait sage de prendre une journée de repos.

A en juger par le visage fatigué mais détendu de Haluin et sa façon de s’abstraire, il était évident qu’il n’allait pas tarder à dormir. Ce serait un sommeil béni, le meilleur sûrement depuis sa confession.

— Je vous ai vu rentrer hier avec le seigneur Audemar, mentionna Cadfael, étudiant le jeune visage qu’il avait sous les yeux. La châtelaine a parlé de vous. Vous êtes de la famille ?

— Non, répondit le garçon, avec un signe de dénégation. Mon père est l’un de ses locataires et son vassal aussi. Ils sont amis depuis toujours, et ils se sont alliés par mariage il y a déjà un bout de temps. Non, mon père m’a ordonné de venir ici me mettre au service d’Audemar.

— Mais vous n’y teniez pas, observa Cadfael, se fondant sur son intonation plus que sur ses propos.

— Ah non alors ! L’idée ne vient pas de moi ! répliqua sèchement Roscelin qui se mit à fixer le plancher, les sourcils froncés.

— Cependant, selon toute apparence, il eût été difficile de trouver meilleur maître, suggéra doucement Cadfael. Vous auriez pu tomber sur bien pire.

— Oh ! il n’est pas mal ! admit le garçon, beau joueur. Je n’ai pas à me plaindre de lui. C’est à mon père que j’en veux de m’avoir envoyé ici pour se débarrasser de moi, et ça, c’est la vérité.

— Ah bon ? Et pourquoi un père tiendrait-il à ce que vous vidiez les lieux ? s’étonna Cadfael, plein de curiosité mais sans l’interroger directement.

Car enfin, ce garçon était incontestablement un fils très présentable, de belle prestance, bien élevé et décidément très avenant avec ses cheveux blonds, ses belles joues lisses. Quel père n’aurait pas été fier de le présenter à son entourage ? Même boudeur, il avait un visage attirant et il ne fallait pas être grand clerc pour voir que son service ne l’enthousiasmait pas.

— Il a ses raisons, répliqua-t-il, morose. Vous aussi, vous les trouveriez bonnes, je le sais. Et je ne me reconnais pas le droit de lui refuser l’obéissance qui lui est due. Me voici donc ici, et j’ai promis d’y rester tant que mon seigneur et mon père ne m’autoriseraient pas à m’en aller. Et puis, je suis forcé d’admettre que l’endroit ne manque pas d’agréments. Alors autant que j’en profite pendant que j’y suis.

Il semblait s’être mis à penser à quelque chose de plus sérieux, car il resta assis un moment, silencieux, fixant ses mains crispées, plissant le front : puis il releva la tête, jaugeant Cadfael, dont il contempla longuement l’habit noir et la tonsure.

— Je me suis posé la question, mon frère, commença-t-il de but en blanc, de temps en temps… la vie monastique… Il y a des gens qui l’ont adoptée, n’est-ce pas ? parce que ce à quoi ils tenaient le plus était hors d’atteinte ! C’est vrai, non ? Est-ce que cela peut donner un sens à la vie… si la vie qu’on désire est hors de portée ?

— Oui, répondit doucement frère Haluin comme s’il sortait d’un rêve éveillé très proche du sommeil. Oui, c’est possible.

— Je ne conseillerais à personne d’entrer au couvent faute de mieux, objecta fermement Cadfael.

C’était cependant la solution qu’avait adoptée Haluin, longtemps auparavant, et celui-ci parlait maintenant comme un être qui se rappelle une révélation, l’instant où s’ouvre le regard intérieur, alors même que ses yeux lourds de sommeil allaient se fermer.

— Cela pourrait être long, reprit Haluin, animé d’une certitude calme, mais à la fin il ne s’agirait plus d’un « faute de mieux ».

Il aspira profondément et, tournant la tête de l’autre côté sur l’oreiller, poussa un grand soupir. Ils l’observaient si intensément, dubitatifs, un peu interloqués, qu’ils n’entendirent ni l’un ni l’autre quelqu’un approcher vivement, au-dehors, et ils se tournèrent, tout surpris, quand la porte s’ouvrit à la volée pour livrer passage à Lothaire qui apportait un panier de nourriture et un pichet de petite bière pour les occupants. En voyant Roscelin assis familièrement sur la paillasse de Cadfael et apparemment en bons termes avec les deux religieux, le visage tanné du palefrenier se durcit soudain, presque dangereusement et, pendant un instant, une flamme sombre dansa dans ses yeux pâles avant de disparaître.

— Qu’est-ce que tu fabriques ici ? demanda-t-il sans ménagement, comme un égal, avec l’autorité sans ambiguïté de l’âge. Maître Roger te cherche et le seigneur Audemar veut que tu le rejoignes dès qu’il aura déjeuné. Si j’étais toi, je filerais, et sans demander mon reste, encore.

Affirmer que Roscelin prit mal cet avertissement ou manifesta la moindre inquiétude eût été excessif ; il se contenta d’un sourire amusé et ne se formalisa pas du ton sur lequel on lui adressait la parole. Toutefois il se leva aussitôt et avec un signe de tête et un mot en guise d’au revoir il s’éloigna sans discuter, mais sans hâte. Plissant les yeux, Lothaire le regarda s’en aller depuis l’encadrement de la porte, et il n’entra franchement dans la pièce avec son chargement que quand le garçon fut arrivé à l’escalier menant au logis.

« Notre chien de garde, songea Cadfael in petto, a reçu l’ordre d’éloigner quiconque s’approcherait d’un peu trop près mais il n’avait pas compté avec le jeune Roscelin. N’empêche, je voudrais bien savoir pourquoi sa présence le dérangeait à ce point. Car c’est la première fois que je vois s’émouvoir ce bonhomme impassible. »

La Confession de frère Haluin
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