CHAPITRE QUATRE

 

 

A première vue Cadfael, qui s’habituait aux jeux d’ombre et de lumière de la petite salle, lui donnait une dizaine d’années de moins que lui, mais elle paraissait plus jeune. Il n’y avait pratiquement aucun fil gris dans les cheveux noirs enroulés en lourdes tresses de part et d’autre de sa tête et l’ossature fine, impérieuse, de son visage avait conservé son élégance d’antan, même si la peau qui la couvrait était aujourd’hui un peu fanée et abîmée. Son corps aussi était devenu plus maigre, anguleux, quand la sève de la jeunesse s’était tarie. Ses mains étaient encore belles mais avec leurs phalanges gonflées et leurs veines noueuses, elles trahissaient le poids des ans ; la peau pâle de sa gorge et de ses poignets s’était relâchée. En dépit des rides, le visage ovale, les lèvres longues, résolues, et les grands yeux au fond de leurs orbites révélaient les traces d’une grande beauté. Non… le terme était impropre, c’était quelque chose de plus vivant, qui était bien là, et qui brûlait comme le charbon au cœur du brasero.

— Approchez-vous !

Quand Haluin se tint devant elle, la figure éclairée par la lumière pâle et froide qui venait de la fenêtre et rougie par le feu, elle s’exclama :

— C’est bien vous ! Je me demandais… Que vous est-il arrivé ?

Elle avait une voix basse, pleine, autoritaire, mais son intonation ne trahissait plus l’effarement ni l’inquiétude. Elle le couvrait d’un regard dénué de compassion et de sévérité, avec une sorte d’indifférence mêlée de détachement. Si curiosité il y avait, elle n’allait pas bien loin.

— Pour mon état, je suis seul à blâmer, expliqua Haluin. C’est sans importance. Je n’ai que ce que je mérite. Je suis tombé d’un toit mais par la grâce de Dieu, je suis toujours vivant, alors que j’aurais dû mourir dix fois. J’ai ouvert mon âme à Dieu et à mon confesseur à qui j’ai confié tous mes péchés, et de la même manière je suis venu vous demander de me pardonner.

— Etait-ce bien nécessaire ? s’étonna-t-elle. Après toutes ces années, venir d’aussi loin…

— C’était indispensable. J’ai grand besoin de vous entendre dire que vous me pardonnez le tort que je vous ai causé et aussi le chagrin que je vous ai valu. Il ne saurait y avoir de repos pour moi tant qu’il restera la moindre tache sur mon passé.

— Et vous avez repris tous les vieux comptes, constata la châtelaine, non sans amertume, tous ces secrets honteux, j’imagine. Pour les livrer à votre confesseur, n’est-ce pas ? Et à qui d’autre ? A ce bon frère qui vous tient compagnie ? A toute la communauté du chapitre ? C’était trop vous demander de rester dans le péché au lieu de divulguer sur la place publique le nom de ma fille, qui est morte depuis si longtemps ? Moi j’aurais mieux aimé expier mes péchés au purgatoire !

— Moi aussi, que croyez-vous donc ? s’écria Haluin, piqué au vif. Ce n’est pas ça du tout. Frère Cadfael est avec moi parce qu’il est le seul à être au courant, à l’exception de l’abbé Radulphe, qui m’a entendu en confession. Et nous garderons le silence là-dessus. J’ai, par mes actes, causé beaucoup de tort à frère Cadfael qui avait le droit de m’accorder ou de me refuser son pardon. C’est lui qui m’avait appris les vertus des plantes et c’est son magasin que j’ai dévalisé pour vous apporter les remèdes que je vous ai donnés.

Elle tourna son regard vers frère Cadfael qu’elle dévisagea longuement, intensément, et son visage, nettement visible pour une fois, était figé.

— Oh ! murmura-t-elle, retombant dans son indifférence, il y a si longtemps maintenant ! Oui se souvient encore de tout cela ? Et puis je ne suis pas encore à l’article de la mort. Est-ce que je sais ? Moi aussi j’aurai besoin d’un prêtre, un jour. Peut-être vous répondrai-je mieux à ce moment-là. Bien, finissons-en… Je vous accorde ce que vous me demandez, je vous pardonne. Je m’en voudrais d’ajouter à vos souffrances. Retournez en paix à votre couvent. Je vous pardonne comme j’espère que l’on me pardonnera un jour.

Il n’y avait aucune passion dans ces mots ; son sursaut de colère s’était éteint tout de suite. L’absoudre ne lui coûta aucun effort, elle s’en acquitta avec une parfaite neutralité, selon toute apparence, aussi peu concernée que si elle donnait de quoi manger à un mendiant. Pour une dame bien née comme elle il était normal d’entendre implorer la charité, et l’accorder avec une certaine largesse faisait partie des rites nobiliaires. Mais les mots qu’elle prononça négligemment furent pain bénit pour Haluin. Ses épaules se détendirent ainsi que ses mains crispées. Il baissa humblement la tête devant elle et la remercia d’une voix basse, saccadée, comme s’il ne savait plus où il en était momentanément.

— Votre pitié, madame, me soulage d’un grand poids et je vous en suis reconnaissant du fond du cœur.

— Retournez à la vie que vous avez choisie et aux devoirs qui sont désormais les vôtres, déclara-t-elle en se rasseyant, mais sans toutefois reprendre son aiguille. Ne pensez plus à ce qui est arrivé il y a longtemps. Votre vie, paraît-il, a été épargnée. Utilisez-la au mieux comme je m’y efforcerai moi-même.

C’était mettre un terme à cet entretien, Haluin ne s’y trompa pas, il s’inclina profondément et pivota précautionneusement sur ses béquilles. Cadfael tendit la main pour l’aider à garder son équilibre. Elle ne les avait même pas priés de s’asseoir, trop frappée peut-être par cette visite aussi inopinée que troublante, mais elle les rappela brusquement alors qu’ils arrivaient à la porte :

— S’il vous plaît de rester, reposez-vous et soupez ici. Mes serviteurs vous donneront tout ce dont vous aurez besoin.

— Merci, madame, répondit Haluin, mais maintenant que j’ai terminé mon pèlerinage en ces lieux, nous devons repartir sur-le-champ.

— Dieu vous accorde un bon retour, conclut Adélaïde de Clary qui reprit son aiguille d’une main ferme.

L’église n’était qu’à deux pas du manoir ; deux routes y bifurquaient et les maisons du village se serraient autour du mur d’enceinte.

— La tombe est à l’intérieur, expliqua Haluin cependant qu’ils pénétraient dans l’édifice. On ne l’a jamais ouverte pendant que j’étais là, mais le père de Bertrand est enterré ici. Je suppose qu’on l’a ouverte pour Bertrade. C’est à cet endroit qu’elle est morte. Je suis désolé d’avoir refusé une hospitalité que vous auriez pu accepter. J’y ai pensé trop tard. Moi, je n’aurai pas besoin de lit cette nuit.

— Vous n’en avez pas soufflé mot à la dame, observa Cadfael.

— C’est exact. Je ne sais pas pourquoi. Quand je l’ai revue j’ai pensé que j’avais tort de reparaître devant elle en lui rappelant sa peine d’antan. Ma seule présence lui était une offense. Elle ne m’en a pas moins pardonné. Je me sens bien mieux grâce à elle qui ne doit pas en éprouver de rancœur. Mais vous auriez pu avoir une bonne nuit de sommeil. Il n’est nul besoin qu’on veille à deux.

— Je suis pourtant plus apte que vous à passer une nuit à genoux, riposta Cadfael. Et je ne suis pas sûr que l’accueil aurait été très chaleureux. Elle voulait qu’on parte. Non, c’est beaucoup mieux comme ça. Elle doit nous croire sur le chemin du retour, hors de ses terres, et s’en laver les mains.

Haluin s’arrêta une seconde, les doigts sur le lourd loquet de fer de la porte de l’église, le visage dans l’ombre. Le vantail grinça en s’ouvrant tout grand et l’infirme s’accrocha à ses béquilles pour descendre les deux marches larges menant à la nef. L’intérieur était très sombre et glacial. Cadfael attendit un moment jusqu’à ce que ses yeux s’habituent au manque de lumière mais Haluin se dirigea aussitôt vers l’autel. Rien n’avait vraiment changé en dix-huit ans et il n’avait rien oublié. Même les bords irréguliers des dalles sur le sol lui étaient familiers. Il alla vers le mur de droite, accompagné du claquement sourd de ses béquilles, et Cadfael qui le suivait le rejoignit près d’une pierre funéraire située entre deux piliers. L’image sculptée du gisant le montrait vêtu d’une grossière cotte de mailles, l’une de ses jambes passée sur l’autre, la main posée sur la poignée de son épée. Encore un croisé, le père de Bertrand, probablement, que son fils avait à son tour suivi en Terre sainte. Après un calcul rapide, Cadfael en conclut qu’il avait très bien pu participer, en même temps que lui, à la prise de Jérusalem dans l’armée de Robert de Normandie. Les de Clary étaient manifestement très fiers de leurs exploits militaires en Orient.

Un homme sortit de la sacristie et voyant deux bénédictins, on ne pouvait guère s’y tromper, il s’avança aimablement dans leur direction. La quarantaine, vêtu d’une vieille soutane noire, son visage exprimant une curiosité courtoise et pleine de sympathie, il arbora un sourire de bienvenue. Il avait beau marcher sans bruit. Haluin entendit son pas et se tourna aussitôt, heureux de retrouver un visage de connaissance, mais s’interrompit immédiatement en découvrant un étranger.

— Bonjour, mes frères ! Dieu soit avec vous ! s’exclama le curé de Hales. Ma maison est toujours ouverte à des voyageurs vêtus comme vous l’êtes, tout comme la maison de Dieu. Vous venez de loin ?

— De Shrewsbury, répondit Haluin, contrôlant son émotion. Pardonnez-moi ma surprise, mon père. Je m’étais attendu à voir le père Wulfnoth. Ce qui, en vérité, était stupide de ma part car je n’étais pas revenu dans la région depuis des années et quand je l’ai connu, il grisonnait déjà, seulement j’étais jeune et il me semblait qu’il en serait éternellement ainsi. Maintenant j’ose à peine poser la question.

— Le père Wulfnoth nous a quittés voici sept ans, il me semble, expliqua le curé. Moi, je suis arrivé il y a dix ans, après qu’une attaque l’eut cloué au lit. Je me suis occupé de lui pendant les trois ans qui ont précédé sa mort. J’étais un jeune prêtre à l’époque. Wulfnoth m’a beaucoup appris, il avait l’esprit très clair si son corps l’avait trahi. Si je comprends bien, vous connaissez cette église et le manoir. Vous êtes originaire de cet endroit ?

— Non, ce n’est pas cela. Mais pendant quelques années j’ai servi dame Adélaïde au château. J’ai bien connu l’église et le village avant de prendre l’habit à Shrewsbury. Maintenant, poursuivit Haluin avec décision, se rendant compte de l’attention dont il était l’objet et sentant le besoin d’expliquer son retour, j’ai grand besoin de rendre grâce pour avoir échappé à un accident qui aurait pu me coûter la vie. J’ai décidé de soulager mon âme, dans la mesure du possible, de tout ce qui pèse sur elle. Et c’est l’une des raisons de ma présence sur cette tombe. Il y avait une dame chez les de Clary à qui je portais une affection particulière et qui est morte avant son temps. J’aimerais passer la nuit à l’endroit où elle est enterrée et prier pour elle. Cela s’est passé longtemps avant votre arrivée, il y a dix-huit ans. Verriez-vous une objection à ce que je reste sur place cette nuit ?

— Mais pas du tout, je vous en prie, s’exclama chaleureusement le curé. Je vous allumerai une torchère, si vous voulez, ça vous aidera à lutter contre le froid. Cependant, mon frère, je crains que vous ne fassiez erreur. Certes, les événements en question se sont produits avant mon arrivée mais le père Wulfnoth m’a beaucoup parlé de l’église et du manoir, il avait été toute sa vie au service des seigneurs de Hales. Ils lui avaient payé ses études et procuré cette cure. Personne n’a été enterré ici depuis la mort du père de Bertrand, celui dont l’effigie est gravée sur ce tombeau. Et ça remonte à plus de trente ans, c’est son petit-fils qui a pris la relève aujourd’hui. Il s’agirait d’une dame de la famille ? Morte jeune ?

— Oui, oui, confirma Haluin, à voix basse, troublé, fixant cette pierre tombale intacte depuis trente ans. Elle est morte au manoir ; j’aurais cru qu’elle reposerait là.

Il évita de la nommer ou d’en révéler plus que nécessaire sur lui-même ou ses motivations même à cet excellent homme. Cadfael se tint à l’écart, se contentant de les observer sans souffler mot.

— Il y aurait dix-huit ans, pas plus ? Alors je vous assure qu’elle n’est pas là, mon frère. Vous connaissiez le père Wulfnoth, vous savez donc qu’on pouvait avoir toute confiance en lui. Et croyez-moi, il a gardé toute sa tête, jusqu’à sa mort.

— Je n’en doute pas, répondit Haluin, qui se mit à trembler sous le coup de la déception. Il n’aurait pas commis pareille erreur. Donc – donc, elle n’est pas là !

— Mais ce n’est pas le manoir principal de la famille, remarqua doucement le prêtre, non, il se trouve à Elford, dans le Staffordshire. Le seigneur Audemar, le chef de la famille, y a emmené son père pour son enterrement. Ils ont un grand caveau là-bas. Si un proche est mort ces dernières années, c’est là qu’il repose. Je suis persuadé que la dame dont vous parlez y a été enterrée afin de dormir parmi les siens.

Haluin s’empara avidement de cette éventualité.

— Mais oui… C’est très possible. C’est sûrement ça. Oui, c’est là que je la trouverai.

— J’en suis convaincu, répondit le curé. Mais si vous voyagez à pied, ce n’est pas la porte à côté.

Il avait bien saisi un emportement qui n’entendrait pas facilement raison et il s’employa de son mieux à le tempérer.

— Si vous voulez y aller maintenant, je vous conseillerais de trouver des montures ou d’attendre que le temps s’améliore ou que les jours rallongent. Venez au moins chez moi partager mon repas et vous reposer cette nuit.

Comme Cadfael l’avait déjà compris, Haluin ne voulut pas en entendre parler. Tant qu’il resterait une heure de clarté et qu’on pourrait encore voir par la fenêtre, tant qu’il aurait assez de force pour marcher un mille, il continuerait. Un peu honteux, il bredouilla une excuse et, assez mal à Taise, prit congé du brave homme, qui les regarda partir en se posant des questions jusqu’à ce qu’ils arrivent aux marches menant au porche et tirent la porte derrière eux.

 

— Il n’en est pas question ! articula fermement Cadfael, dès qu’ils eurent quitté l’enceinte de l’église pour prendre le chemin qui desservait les maisons du village et menait à la grand-route. Je considère que vous n’en êtes pas capable.

— Si, je le peux et je le dois ! répondit frère Haluin, tout aussi résolu. Qu’est-ce qui m’en empêche ?

— Pour commencer, vous ne savez pas à quelle distance nous sommes d’Elford. Le trajet est une fois et demie plus long que celui-ci. Et dois-je vous rappeler les efforts que vous avez déjà fournis ? Deuxièmement, la permission de venir vous a été accordée parce qu’il semblait évident que c’est ici que le voyage s’arrêterait et qu’ensuite on retournerait au couvent. Ce qui me paraît la meilleure solution. Inutile de secouer la tête, c’est tout ce qu’envisageait le père abbé. Sinon il ne vous aurait jamais donné son autorisation. Je suis d’avis de rebrousser chemin.

Haluin était d’un calme implacable. Il savait exactement ce qu’il avait à faire et était prêt à discuter le temps qu’il faudrait.

— Mais ça n’est pas possible, déclara-t-il. Si je tourne les talons, je manque à ma parole. J’ai promis d’accomplir un vœu et je ne m’en serais pas acquitte. C’est un être méprisable et condamnable qui reviendrait à Shrewsbury. Ce n’est pas ce que souhaitait le père abbé, même s’il pensait que ma pénitence serait plus courte. Ce qu’il m’a accordé c’est, je le répète, d’accomplir un vœu. S’il était là, maintenant, je suis sûr qu’il serait d’accord avec moi. Vous savez très bien ce que j’ai promis et qui reste en souffrance.

— Vous n’y êtes pour rien, objecta Cadfael, tenace.

— En quoi est-ce une excuse ? Si je dois marcher deux fois plus longtemps, c’est que je le mérite. Et si je manque à ma parole j’ai juré de mourir relaps et ce, sur l’autel de sainte Winifred qui s’est montrée si bonne envers nous. J’aimerais mieux finir sur la route en essayant de respecter mon vœu que de me déshonorer et rentrer ainsi la honte au cœur.

Cadfael se demanda qui parlait de cette façon : le moine respectueux de ses devoirs ou le fils d’une bonne maison normande dont les origines étaient aussi anciennes que celles de Guillaume le Conquérant quand il était parti à la conquête de la couronne d’Angleterre, sans être entachées de bâtardise qui plus est. L’orgueil est certes un péché, mais le moyen de s’en débarrasser complètement quand on est de famille noble ?

Haluin s’était rendu compte de son arrogance et il en rougit tout en refusant de céder. Il s’arrêta net, oscilla sur ses béquilles et s’empressa de saisir Cadfael par le poignet :

— Ne m’en veuillez pas ! Je sais très bien, et ça se lit sur votre visage, que vous auriez pu vous montrer sévère, et que vous vous en êtes abstenu. Je suis comme ça. Ah ! Cadfael, je connais tous les arguments que vous pourriez m’opposer, à juste titre ; j’y ai songé, j’y songe encore, mais, voyez-vous, je me sens lié. Si mon abbé me juge rebelle et désobéissant et si mon abbaye me rejette, tant pis, je dois courir le risque. Je ne veux pas, je n’ose pas rompre mon vœu. Je ne puis supporter de revenir sur ce que j’ai promis à Bertrade.

Cela lui allait très bien, ce sang qui lui montait aux joues, il paraissait moins émacié, en meilleure santé et même plus jeune. Immobile, il put changer de position et, pesant sur ses béquilles, il se redressa. Aucun argument ne l’ébranlerait, mieux valait s’incliner.

— Mais vous, Cadfael, reprit-il, ce serment ne vous concerne pas, vous n’êtes tenu à rien. Vous avez rempli votre mission, rien ne vous oblige à aller plus loin. Laissez-moi et servez-moi d’avocat auprès du père abbé.

— Mon petit, répliqua ce dernier, partagé entre la sympathie et l’exaspération, nous sommes tous les deux dans la même galère et vous le savez mieux que personne. J’ai pour mission de vous accompagner au cas où vous vous effondreriez et, si cela se produit, de prendre soin de vous. Vous avez vos affaires qui vous appellent et moi, celles de l’abbé. Si je ne puis vous ramener avec moi, je ne peux pas rentrer seul.

— Mais… votre travail, protesta Haluin, effaré mais inébranlable. Le mien peut attendre, mais vous, on aura besoin de vos services. Comment pourra-t-on s’arranger si vous êtes parti trop longtemps ?

— Ils se débrouilleront. Les cimetières sont pleins de gens indispensables, répliqua Cadfael sans ambages. Et si vous voulez mon avis, c’est aussi bien comme ça. Non, n’insistez pas. Vous avez pris votre décision, eh bien, moi aussi. Là où vous irez, j’irai. Et puisqu’il reste encore une heure de jour et que vous ne tenez pas, j’imagine, à coucher à Hales, nous avons intérêt à nous mettre tranquillement en route et à chercher un abri en chemin.

 

Adélaïde de Clary se leva le matin et se rendit à la messe, comme elle en avait l’habitude. Elle ne prenait pas la religion à la légère et continuait la tradition de son mari en ce qui concernait les aumônes. Si, en cette circonstance, elle paraissait un peu froide, distante, on savait qu’elle ne manquait jamais à ce devoir. A chaque fois que le curé de la paroisse était confronté à un cas exigeant des secours, il en appelait invariablement à la châtelaine.

Après l’office, il la raccompagna jusqu’à la porte, s’empressant à ses côtés.

— J’ai eu la visite de deux bénédictins, hier, signala-t-il comme elle se drapait dans son manteau pour se protéger du vent de mars qui fraîchissait. Deux moines de Shrewsbury.

— Ah bon ? Et que vous voulaient-ils ?

— L’un d’eux marchait en s’aidant de béquilles. Il paraît qu’il était à votre service avant de prendre l’habit. Il se souvenait du père Wulfnoth. J’ai pensé qu’ils étaient venus vous présenter leurs respects. C’est bien cela ?

Elle ne lui répondit pas directement, les yeux fixés dans le lointain, comme si elle ne s’intéressait qu’à moitié à la conversation.

— Oui, je m’en souviens. J’ai en effet eu un secrétaire qui est entré à l’abbaye de Shrewsbury. Qu’est-ce qui l’amenait dans votre église ?

— Il m’a raconté que la mort l’avait épargné et qu’il voulait laver son âme de ses péchés pour mieux se préparer. Je l’ai trouvé près de la tombe du père de votre époux. Ils pensaient qu’une femme de votre maison y avait été enterrée il y a dix-huit ans. Je les ai détrompés. Celui qui boitait avait l’intention de passer la nuit à prier pour elle.

— Tiens, c’est curieux, laissa tomber Adélaïde, toujours aussi peu intéressée. Mais si vous l’avez détrompé…

— Je lui ai expliqué que je n’étais pas là à l’époque mais que je savais par le père Wulfnoth que cette tombe n’avait pas été ouverte depuis une éternité et que les suppositions de ce jeune moine étaient erronées. Je lui ai précisé que tous les membres de votre famille étaient enterrés à Elford, où vous aviez votre manoir principal.

— C’est un voyage long et pénible pour un infirme, qui est à pied, de surcroît, remarqua Adélaïde, compatissante. J’espère qu’il n’avait pas l’intention d’aller là-bas.

— J’en ai bien l’impression, au contraire, madame. Je leur ai proposé de partager mon repas et de passer la nuit à la maison, mais ils ont refusé et ils sont partis tout de suite. Le plus jeune était sûr de trouver celle qu’il cherchait à cet endroit. Oui, je suis certain qu’en arrivant à la grand-route, ils auront pris vers l’est. C’est vrai qu’il aura bien du mal à y arriver, mais ce n’est pas la volonté qui lui manque.

Ses relations avec la châtelaine étaient suffisamment bonnes pour qu’il puisse se permettre de lui demander directement si le jeune moine serait récompensé de ses peines à Elford.

— C’est très possible, répondit Adélaïde qui marchait d’un pas tranquille à ses côtés. Dix-huit ans, ça ne date pas d’hier, et je ne sais pas ce qu’il a en tête. J’étais plus jeune à l’époque, il y avait plus de monde au château, des cousins et cousines dont certains n’avaient pas un sou. Mon époux veillait comme un père sur toute sa famille. Et moi aussi en son absence ; c’était mon devoir.

Ils allèrent jusqu’à la porte du cimetière où ils s’arrêtèrent. L’air était doux, grisâtre, très calme toutefois et la couverture de nuages planait, basse et lourde.

— On pourrait bien avoir de la neige, remarqua le curé, si le temps ne tourne pas à la pluie, avant d’ajouter, sans penser à mal : Dix-huit ans ! Allez savoir si ce jeune bénédictin n’a pas été attiré par une de ces petites cousines – ça arrive souvent chez les jeunes – dont la mort prématurée lui a causé beaucoup plus de chagrin qu’il n’a laissé paraître auprès de vous.

— Cela se peut, répondit Adélaïde, distante, avant de tirer le capuchon de son manteau sur sa tête pour se protéger de la neige fondue qui tombait dans Pair immobile et lui piquait la joue. Au revoir, père !

— Je prierai pour que son pèlerinage lui apporte un réconfort à lui qui est en vie et à la dame qui nous a quittés.

— Excellente idée, père, répliqua Adélaïde sans se retourner. Et ne manquez pas d’ajouter une prière pour moi et toutes les femmes de ma maison, afin que le temps ne nous pèse pas trop quand notre heure aura sonné.

Cadfael resta éveillé dans le grenier à foin d’un forestier de la forêt royale de Chenet, à écouter le souffle mesuré de son compagnon, dont le rythme trop constant et tendu indiquait qu’il ne dormait pas. C’était la seconde nuit depuis leur départ de Hales. La première, ils l’avaient passée chez un fermier solitaire et sa femme à environ un mille après le hameau de Weston ; le jour suivant avait été long et pénible et ce second abri, près de l’orée de la forêt, avait été le bienvenu, avec la chaleur qu’il leur offrait. Ils n’avaient pas tardé à gagner leurs couches au grenier car Haluin – c’est lui qui avait tant insisté pour qu’ils continuent si avant dans la soirée – était au bord de l’épuisement. Cadfael remarqua qu’il n’avait pas eu de mal à s’endormir paisiblement, ce qui était heureux pour cette âme tellement tourmentée dès qu’il s’éveillait. Dieu a plus d’une façon de soulager le fardeau des pécheurs. Chaque matin. Haluin se levait revigoré et décidé.

Il n’y avait pas encore de lumière et il n’y en aurait sûrement pas avant une heure. Il n’y avait aucun mouvement, pas le moindre bruit dans le foin du côte où reposait Haluin, mais Cadfael savait qu’il ne dormait plus ; cette immobilité était une bonne chose car elle indiquait qu’il était calme alors qu’il avait si souvent tendance à s’agiter.

— Cadfael ? murmura une voix lointaine dans l’obscurité. Vous dormez ?

— Non, répondit ce dernier, tout aussi doucement.

— Vous ne m’avez jamais rien demandé. Sur ce qui s’est passé jadis. Sur elle…

— Cela ne me paraît pas nécessaire, déclara Cadfael. Si vous avez envie de parler, je n’aurai pas besoin de vous poser des questions.

— Je n’ai jamais eu le loisir de parler d’elle, reprit Haluin, avant aujourd’hui. Et à présent je ne peux m’adresser qu’à vous, qui êtes au courant.

Il y eut un silence. Les mots coulaient lentement, malaisément, comme souvent chez les solitaires.

— Elle n’était pas aussi belle que sa mère, poursuivit-il au bout d’un moment, à voix basse. Elle n’avait pas cet éclat sombre, mais plus de bonté dans le regard. Il n’y avait rien d’obscur ni de secret en elle. Elle avait un air ouvert, lumineux, comme une fleur. Elle n’avait peur de rien, enfin au début. Elle avait confiance en tout le monde. Personne ne l’avait encore trahie – pas encore. Ça ne lui est arrivé qu’une fois et elle en est morte.

Il y eut un autre silence, plus prolongé, et cette fois le foin se mit à bruire doucement, comme un soupir.

— Cadfael, insista une voix timide, vous avez passé la moitié de votre vie dans le siècle, avez-vous jamais aimé une femme ?

— Oui, répliqua-il. C’est un sentiment que je connais.

— Alors vous comprenez ce qui s’est passé entre nous. Car nous nous sommes aimés, elle et moi, vous savez, affirma frère Haluin se souvenant d’un passé douloureux, à la fois surpris et résigné. C’est quand on est jeune qu’on souffre le plus. On n’a nulle part où se cacher, pas de bouclier pour se protéger. Ah, la voir chaque jour… et savoir qu’elle éprouvait la même chose que moi…

Il avait eu beau mettre cet épisode au second plan pendant toutes ces années, consacrer ses mains, son esprit, son âme au service qu’il avait choisi de son propre chef, dans son angoisse, il n’avait rien oublié ; tout était là, prêt à revivre au moindre souffle, comme un feu qui se rallume au premier courant d’air. Maintenant au moins, il pouvait se laisser aller ouvertement, s’adresser au monde de tous les hommes qui connaissaient bien ces souffrances, manifester sa compassion et recevoir celle des autres. De la part de Cadfael, ce n’était pas de mots dont il avait besoin, mais simplement de savoir qu’il avait un compagnon à l’oreille compatissante et qu’il pouvait en être sûr.

Haluin s’endormit, une phrase inachevée sur les lèvres, presque inaudible après ces silences prolongés. Il aurait pu s’agir de son nom, Bertrade, ou d’un son voisin. Quelle importance ? Ce qui importait, c’est qu’il l’avait prononcé juste avant de glisser dans le sommeil et qu’il allait dormir comme un loir après s’être tellement fatigué sur la route, peut-être bien après le lever du jour. Eh bien, tant mieux ! Un jour de plus passé à son pèlerinage pourrait tourmenter son esprit impatient mais bénéficierait certainement au corps, qu’il menait à la dure.

Cadfael se leva pratiquement sans bruit, laissant son compagnon profondément endormi et virtuellement prisonnier dans son grenier puisqu’il lui faudrait de l’aide pour se remettre debout et descendre l’échelle. Par la trappe ouverte, on entendrait aisément s’agiter le dormeur, mais à en juger par son corps détendu et son visage maigre soulagé de ses tensions, il n’était pas près de se réveiller.

Cadfael sortit dans le matin clair et frais afin de humer l’air calme où s’attardaient encore les parfums de la forêt hivernale à moitié assoupie. Depuis le petit essart du forestier on apercevait la route grise dégagée à travers l’échappée des troncs chenus qui poussaient avec une vigueur suffisante pour ne laisser à peu près aucune place aux buissons. Une charrette à bras cheminait sur la route, chargée de petit bois trouvé parmi les branches mortes tombées pendant l’automne. L’envol bruyant des oiseaux dérangés l’accompagnait dans une lueur de branches frissonnantes et de feuilles tourbillonnantes. Le forestier était déjà debout, accaparé par ses tâches de la matinée ; la vache arriva pesamment pour la traite, un chien gambadant sur ses talons. C’était une journée sans pluie, le ciel était couvert mais le plafond était haut et la lumière agréable, conditions idéales pour les voyageurs. A la nuit tombée, ils auraient atteint Chenet et au manoir, qui était sur les terres du roi, on les hébergerait. Demain, Lichfield et là, Cadfael insisterait pour que la nuit leur ménage un long repos, quels que soient les arguments que Haluin pourrait avancer afin d’arriver au plus vite à Elford. Après avoir bien dormi à Lichfield, Haluin serait en meilleure condition pour passer, comme il l’avait juré, une nuit à prier pour la mémoire de Bertrade et envisager le trajet du retour, pendant lequel, Dieu soit loué, il n’y aurait nul besoin de se presser ni de peiner jusqu’à épuisement.

Sur la terre battue du sentier, les sons parvenaient étouffés, mais Cadfael perçut plutôt la vibration des sabots d’un cheval que leur impact. Des chevaux arrivaient de l’ouest à vive allure, deux pour être exact, qui marchaient en contrepoint, à un trot soutenu après avoir passé une bonne nuit tranquille à l’écurie et prêts à mener grand train. Sans doute s’agissait-il de voyageurs se rendant à Lichfield, qui avaient dormi au manoir de Stratton, à deux milles de là. Cadfael s’arrêta pour les regarder passer.

Deux hommes surgirent vêtus de couleur sombre, en manteaux de cuir, qui se tenaient bien en selle. Leur assiette et leur façon de conduire leurs montures étaient si semblables qu’ils avaient dû apprendre l’équitation ensemble quand ils étaient enfants, à moins que l’un n’ait servi de professeur à l’autre. En vérité l’un d’eux était deux fois plus gros que l’autre ; peut-être y avait-il entre eux une génération d’écart. Bien qu’ils fussent trop loin et qu’ils soient passés trop vite pour qu’on les voie nettement, il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’ils étaient parents. Deux palefreniers privilégiés appartenant à une noble maison et portant chacun une dame en croupe ? Probable. Les femmes chaudement vêtues pour voyager se ressemblent fort ; cependant Cadfael observa la première avec une attention soutenue sans la quitter des yeux jusqu’à ce que chevaux et cavaliers aient disparu le long de la route et que le claquement des sabots se soit évanoui dans le lointain.

Elle n’avait pas quitté sa pensée quand il retourna vers l’endroit où on entreposait le foin, fouillant dans sa mémoire, certain qu’il était, ce qui paraissait absurde, de l’avoir déjà vue et que, s’il se donnait la peine d’y réfléchir, il saurait où.

Qu’il ait raison ou non, que cela soit ou non de bon augure, il n’y pouvait pas grand-chose. Il haussa les épaules et repoussa cette idée au second plan, entrant pour guetter le moment où Haluin s’éveillerait et aurait besoin de lui.

 

Ils traversèrent quelques bosquets et atteignirent une grande étendue de prairies à l’herbe un peu blanchie et grise pour l’instant dans l’air froid. Cette terre, fertile toutefois et bien cultivée, évoquait un îlot de richesse dans un comté par ailleurs en assez piteux état suite à la pacification brutale qui remontait à cinquante ans. Devant eux, il y avait les méandres de la Tame, le toit en pente raide d’un moulin et la masse toute proche des maisons d’Elford, de l’autre côté de la rivière.

Les clercs de Lichfield, témoignant d’un sens chaleureux de l’hospitalité, leur avaient offert une nuit de repos, et ils leur avaient indiqué le plus court itinéraire pour se rendre à Elford. Aux premières lueurs de l’aube, ils avaient attaqué les quatre derniers milles de ce pèlerinage pénitentiel dont le but se trouvait devant eux, presque à portée de la main, simplement séparé par quelques champs paisibles et une passerelle de bois au-delà de laquelle attendait l’absolution. C’était un endroit attirant, alors que tant d’autres affichaient leur pauvreté. Ici, au bord de l’eau, se dressaient non pas un moulin mais deux, car il y en avait un second en amont, entouré de vastes prairies et d’un sol riche où les terres arables se détachaient des autres, où l’on respirait une paix de l’esprit qui était la bienvenue après le mal que les voyageurs s’étaient donné.

Le fil pâle du sentier les emmenait droit devant eux et les toits d’Elford apparurent dans leur champ de vision ainsi que des buissons encore nus et noirs à cette distance et dont les bourgeons n’étaient pas encore assez avancés pour laisser pointer leur première nuance de vert. Ils traversèrent le pont dont les planches inégales forcèrent Haluin à poser précautionneusement ses béquilles pour ne pas tomber, puis ils parvinrent à la rue entre les maisons. C’était un village bien entretenu ; ménagères et cultivateurs vaquaient gaiement, sans crainte, à leurs occupations quotidiennes ; ils avaient remarqué la présence d’étrangers tout en restant courtois et accueillants envers ces deux bénédictins. Ils les saluèrent le long de la route et Haluin, qui trouvait une satisfaction profonde dans le fait qu’il avait pu mener son projet à terme, commença à rougir de plaisir en se voyant ainsi accepté spontanément.

Inutile de demander comment se rendre à l’église, ils en avaient aperçu le clocher bas avant de traverser le pont. Elle avait été construite depuis la venue des Normands, solide bâtisse de pierre grise, avec un grand cimetière nanti d’une bonne palissade derrière laquelle on pouvait se réfugier en cas de besoin et planté de beaux arbres qui ne dataient pas d’hier. Ils entrèrent sous la voûte ronde du porche qui menait à la pénombre fraîche, et sonore des lieux saints ; il y régnait une vague odeur de poussière, de cierges de cire et surtout, tellement rassurante pour eux, l’atmosphère de ce foyer qu’ils avaient délibérément choisi.

Haluin s’était arrêté sur les dalles de la nef silencieuse afin de s’orienter. L’endroit était dépourvu d’une chapelle pour y loger la tombe d’un bienfaiteur entre les autels ; les seigneurs d’Elford devaient reposer sur les bas-côtés, logés dans les pierres des murs qu’ils avaient érigés. L’œil rouge d’une lueur provenant de la lampe d’autel indiqua où était la tombe qu’ils cherchaient ; une grande dalle tabulaire en pierre occupait en effet une niche du mur droit. Un de Clary défunt, le premier peut-être à avoir accompagné le roi Guillaume et qui en avait été récompensé plus tard, était représenté en gisant sur le dessus du tombeau. Haluin s’était dirigé vers lui pour s’arrêter presque immédiatement et reculer au premier écho de son pas, car une femme agenouillée était là en prière.

Ils ne voyaient d’elle qu’une silhouette dans l’ombre, son manteau gris avait la même couleur que la pierre, et s’ils purent reconnaître une femme, c’est que le capuchon qu’elle avait repoussé sur ses épaules révélait une coiffe de toile blanche recouverte d’un voile de gaze. Ils se seraient retirés sous le porche pour la laisser terminer ses prières, mais elle avait entendu le bruit des béquilles sur le carrelage et elle tourna vivement la tête dans leur direction. D’un seul mouvement vif, gracieux, elle sauta sur ses pieds et, se portant à leur rencontre, elle se plaça sous la lumière d’une fenêtre, leur révélant ainsi le beau visage fier et ciselé par l’âge d’Adélaïde de Clary.

La Confession de frère Haluin
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