CHAPITRE IV

 

 

— Il ment, il ment, répétait Yves en fixant d’un œil courroucé la table frugale du prieuré, sans brimer pour autant son bel appétit d’adolescent. Il n’a pas quitté une seconde la réunion. Vous l’imaginez, vous, renonçant à toute récompense ? Renonçant à décrocher la plus haute ? Il sait parfaitement qui détient Olivier. Mais si Étienne ne peut ou ne veut l’obliger à lâcher le morceau, qui d’autre le pourra ?

— Même un menteur – car je t’accorde qu’il l’est très probablement – peut parfois dire la vérité, fit judicieusement remarquer Hugh. Je te le répète, très peu de gens savent ce qui est arrivé à Olivier. Peut-être même personne. J’ai lancé des perches là où je le pouvais ; sans aucun succès. De son côté, Cadfael a prêté une oreille attentive aux propos des frères. Mieux encore, je crois savoir qu’après avoir entendu les déclarations que tu as faites ce matin, l’évêque va mener sa propre enquête.

— Si j’étais toi, proféra Cadfael au sortir d’une réflexion profonde, je n’évoquerais plus ce sujet dans la salle capitulaire. Le roi et l’impératrice vont forcément devoir se déclarer et ni l’un ni l’autre n’apprécieraient d’être importunés par le sort d’un écuyer alors que leur destin personnel est en jeu. Continue de chercher s’il se trouve ici quelque rescapé de Faringdon. Quant à moi, je parlerai au prieur. Même des oreilles monastiques peuvent capter aussi promptement que les autres les rumeurs qui passent à leur portée et auront ainsi de meilleures chances de rester secrètes.

Mais Yves refusait de se laisser distraire de ses sombres ruminations :

— Soulis sait. Je le lui ferai cracher, dussé-je arracher l’information du fond de son âme de traître !

Balayant d’un geste l’objection que Cadfael avait sur le bout de la langue, il jeta :

— Mais oui, je le sais parfaitement ; ici, je suis complètement ligoté et ne peux pas le toucher !

« Alors pourquoi perd-il son temps à constater l’évidence avec cette énergie tenace et pourtant si tranquille ? se demanda Cadfael. Comme s’il voulait se la rappeler à lui-même plutôt que nous rassurer ? Pourquoi le regard candide de ces yeux d’habitude grands ouverts est-il tourné vers l’intérieur, vers une vision pénible, complexe, infiniment inquiétante ? »

— Lui et moi allons bientôt devoir quitter la protection de l’Église, dit Yves, s’arrachant brusquement à ses réflexions. Plus rien alors ne m’empêchera de l’aborder les armes à la main et de lui arracher la vérité des tripes.

 

Frère Cadfael se frayait un chemin à travers la foule massée dans la grande cour et se dirigea vers l’église du prieuré. Les hauts personnages n’étaient sûrement pas pressés de quitter leur table bien garnie pour reprendre des discussions peu susceptibles de conduire à des résultats favorables ; il avait le temps de se retirer dans un coin tranquille pour se libérer un moment des soucis du monde. Mais les recoins tranquilles étaient rares, même dans l’église. Quantité de partisans de moindre importance avaient également trouvé commode de s’y retrouver pour conférer sans être entendus et ils se pressaient à l’abri des autels et dans les niches du cloître. Attentifs, des hommes d’Église en visite contemplaient la nef, le chœur et l’ornementation des autels. Quelques frères, retournant à leurs tâches après la demi-heure de repos, se faufilaient silencieusement entre les étrangers.

Une jeune fille se tenait devant le maître autel, les bras croisés, les yeux modestement baissés. Priait-elle ? Cadfael en doutait. La lampe de l’autel jetait une clarté rose sur son sourire léger, plein d’assurance ; à son côté, un homme lui parlait à l’oreille, avec discrétion et respect, mais un sourire ambigu, assez semblable au sien, courbait ses lèvres. Évidemment ! Dans cette assemblée virile, parmi tant de beaux jeunes hommes, une jeune fille seule de son sexe et de son âge pouvait se sentir grisée par ces privilèges fugaces et vouloir exploiter les occasions. Cadfael l’avait déjà vue ce matin ; elle suivait allègrement l’impératrice à la messe, portant le livre de prières impérial et un châle de laine, au cas où Mathilde souffrirait du froid pendant l’office dans la vaste grotte de pierre. Elle était la nièce de la dame d’honneur, avait-il entendu dire. Ces trois personnages, l’un de sang royal, les deux autres issus du baronnage, étaient les seules femmes présentes dans l’enceinte au milieu de toute la noblesse du pays. De quoi faire tourner la tête d’une jeune fille, assurément ! Encore que d’après sa pose, son port de tête et l’assurance avec laquelle elle écoutait sans répondre, Cadfael jugeât que celle-là n’accorderait pas ses faveurs à la légère, ni ne perdrait de vue son avantage personnel. Elle écouterait, sourirait, elle pourrait même donner l’impression de pouvoir aller plus loin mais elle avait un solide aplomb. En présence d’une bonne centaine de jeunes hommes disposés à l’admirer et la combler d’attentions flatteuses, le premier et le plus audacieux avait peu de chances de pouvoir s’aventurer bien loin avant que les autres ne soient venus parader. Elle était assez jeune pour prendre plaisir à ce jeu mais assez avertie pour n’y pas laisser de plumes.

D’ailleurs, l’heure approchait et les exigences de son service l’appelaient. La jeune fille fit demi-tour afin d’aller attendre sa maîtresse à la porte de la salle capitulaire. Son pas vif et décidé signifiait qu’elle se souciait fort peu de savoir si son admirateur la suivait, tout en lui laissant le temps de lui emboîter le pas. Cadfael n’avait pas encore reconnu l’admirateur, le premier et le plus téméraire sans doute : la belle tête, l’allure élégante et assurée, le sourire délié, un peu condescendant étaient ceux de Brien de Soulis. Avec un aplomb plein de morgue, il suivit la jeune fille qui sortait de l’église ; apparemment, l’homme était certain qu’il n’y avait pas urgence et qu’elle viendrait à lui lorsqu’il le voudrait. De même était-elle convaincue qu’elle pouvait se jouer de lui avant de le congédier. Lequel de ces deux présomptueux l’emporterait sur l’autre ? Bien malin qui l’eût prédit.

La curiosité de Cadfael l’entraîna à leur suite jusque dans la cour. La dame de compagnie de l’impératrice avait quitté le vestibule des hôtes à la recherche de sa nièce. Elle contempla les jeunes gens sans manifester la moindre émotion, fit signe à sa nièce de la suivre et repartit. Soulis prit le temps de saluer l’une et l’autre avant de se diriger nonchalamment vers la salle capitulaire. Et Cadfael retourna vers le préau du cloître dont il arpenta pensivement le pâle gazon hivernal.

La dame d’honneur de l’impératrice ne devait guère apprécier le badinage de sa nièce, si discret fût-il, avec le renégat qui avait trahi Mathilde. Il lui faudrait mettre sa nièce en garde contre pareille sottise. A moins peut-être qu’elle ne connût assez sa parente pour ne pas s’inquiéter, consciente d’avoir affaire à une jeune femme trop avisée pour se laisser aller à une imprudence fatale à son avenir prometteur dans la maison de l’impératrice.

Allons, il avait mieux à faire qu’à supputer les chances d’une jeune fille rencontrée par hasard. Il était presque l’heure où les factions rivales devaient se retrouver pour une session. Combien d’individus dans l’un et l’autre camp étaient-ils sincèrement à la recherche de la paix ? Et combien à la recherche d’une victoire définitive par les armes ?

 

Grâce à une manœuvre adroite, Cadfael se retrouva tout près du portail de la salle capitulaire et découvrit que, pour cette session, l’évêque de Clinton avait cédé la présidence à l’évêque de Winchester, peut-être dans l’espoir qu’un prélat si puissant exercerait une influence plus forte sur ces esprits obstinés, en vertu de son sang royal et du prestige lié à la charge de légat du pape qu’il occupait depuis peu dans le royaume d’Angleterre. L’évêque Henri se levait justement pour demander le silence lorsque des pas rapides et la voix brusque mais polie d’un homme qui demandait qu’on le laissât passer fendirent la masse serrée des assistants. Le nouveau venu, qui n’avait quitté ni son manteau ni ses bottes maculés de poussière, s’avança jusqu’au centre de la salle capitulaire. Derrière lui, dans la cour, on entendait sonner les sabots du cheval dont il venait de sauter et qu’un palefrenier emmenait aux écuries.

A grandes enjambées silencieuses, le retardataire franchit l’espace qui séparait les deux partis. Il salua avec déférence l’évêque à la présidence qui, haussant des sourcils interrogateurs, l’accueillit d’un hochement de tête sec et sévère ; puis il s’inclina pour baiser la main du roi sans que fût compromise un seul instant son austère dignité. Le roi lui sourit avec une bienveillance manifeste.

— Votre Grâce, je vous demande pardon de mon retard. J’ai eu beaucoup à faire avant de pouvoir quitter Malmesbury, dit-il d’une voix de basse, cependant claire et pénétrante. Messeigneurs, veuillez excuser mon habit fripé de voyageur. J’espérais paraître devant cette assemblée dans une tenue plus élégante mais je suis arrivé trop tard pour différer plus longtemps ces débats.

Sa façon d’être face aux évêques était d’une courtoisie pointilleuse. A l’impératrice il ne dit mot, mais s’inclina devant elle avec une politesse cérémonieuse et une expression distante d’une arrogance manifeste. Il passa devant son père sans lui accorder un coup d’œil puis, se retournant, le considéra d’un regard fixe et lointain, comme s’il ne l’avait jamais vu.

Car il s’agissait certainement de Philippe FitzRobert, le plus jeune fils du comte de Gloucester. La ressemblance était évidente bien qu’ils fussent bâtis de façon différente. Cet homme n’était pas massif et solide mais mince et flexible, rude aussi mais ses mouvements étaient élégants. Au-dessus de traits réguliers, le front altier s’élevait jusqu’à une chevelure épaisse et bouclée ; sous l’abri des sourcils froncés, les yeux brillaient en sourdine comme des braises sous la cendre. Le teint était foncé. La ressemblance criante résidait dans les lèvres étirées, passionnées, et dans la redoutable mâchoire que la seconde génération avait poussée aux extrêmes. Chez le père, on aurait parlé de constance et chez le fils d’obstination.

L’arrivée de Philippe, semblait-il, faisait planer sur l’assemblée une sorte de contrainte qui ne pouvait se dissiper sans une initiative de sa part. Il eut soin de la libérer de cette tension passagère en adressant, de la tête et de la main, l’assurance de sa déférence à l’égard des évêques.

— Messeigneurs, je vous prie de poursuivre. Je m’efface.

Il recula pour se fondre parmi les hommes du roi Étienne et disparut dans les derniers rangs. Sa présence n’en demeurait pas moins palpable : les dos s’étaient raidis, les oreilles se dressaient aux aguets, les cous s’étiraient. Bien des participants auraient juré qu’il n’oserait venir là où seraient le père qu’il avait affronté et l’impératrice qu’il avait trahie. Il apparaissait finalement qu’il était fort peu d’audaces devant lesquelles cet homme aurait reculé, fort peu d’obstacles qu’il n’aurait surmontés avec un sang-froid inflexible et trop dominateur pour être désigné à la légère comme de l’effronterie.

Il avait même légèrement déconcerté l’évêque de Winchester, dont l’hésitation néanmoins dura peu ; sa voix solennelle s’éleva avec autorité pour adjurer les assistants de prier et leur rappeler les graves sujets dont ils avaient à débattre tous ensemble.

Jusqu’à présent, les principaux protagonistes s’étaient contentés d’énoncer prudemment les fondements de leur droit à la souveraineté. Il était grand temps de leur arracher des considérations sur la distance qu’ils étaient disposés à franchir sur la voie de la reconnaissance mutuelle de leurs titres. L’évêque Henri aborda l’impératrice avec circonspection ; maintes fois dans le passé il s’était essayé à manœuvrer Mathilde et s’était rompu la tête contre le rempart insurmontable de son obstination. Précaution primordiale : éviter de mentionner son titre de comtesse d’Anjou. Elle y avait pleinement droit mais le considérait indigne de son rang, celui de fille d’un roi et de consort d’un empereur.

— Madame, dit l’évêque avec force, vous savez la nécessité et l’urgence où nous sommes. Ce royaume a trop longtemps souffert de la discorde et, sans réconciliation, la guérison est impossible. Des cousins de sang royal devraient être capables de s’accorder harmonieusement. Je vous le demande en grâce, sondez votre cœur et parlez. Donnez à votre peuple l’exemple de ce que nous devrions faire, en ce jour et dans ce lieu, pour mettre fin au saccage des vies et du pays.

— J’ai réfléchi des années à ce sujet, répondit l’impératrice d’un ton tranchant et, pour ma part, la vérité est claire ; la contempler davantage n’y changera rien et nul argument ne pourra faire qu’elle ne soit toujours la vérité. Les choses demeurent semblables à ce qu’elles étaient quand mon père mourut. Il était roi de plein droit – nul ne l’a jamais contesté – et, après la mort de mon frère, je suis restée la seule enfant vivante de mon père et de la reine, son épouse légitime, Mathilde, elle-même fille du roi d’Écosse. Pas une personne ici présente n’ignore ces faits. Pas un homme en Angleterre n’oserait les nier. Comment alors pourrait-il y avoir un autre héritier à ce royaume après la mort de mon père ?

Pas un mot, bien entendu, de la bonne douzaine d’enfants que le vieux roi a laissés derrière lui, éparpillés dans son royaume et nés d’autres femmes, commenta in petto Cadfael. Ils ne comptaient pas. Pas même le meilleur de tous qui se tenait, patient et inébranlable, à côté de Mathilde et qui aurait pu évincer ses deux rivaux royaux si son ascendance avait respecté les lois et les coutumes normandes. Au pays de Galles, il aurait eu droit au trône, étant le fils aîné de son père et le plus royal.

— Déjà, pour que la succession soit assurée, poursuivit la voix orgueilleuse, le roi mon père en a posé les prémisses devant la cour. Le jour de Noël, neuf ans avant sa mort, il convoqua les grands vassaux de son royaume afin qu’ils prêtent le serment solennel de me recevoir, moi, descendante de quatorze rois, comme son héritière et comme leur reine après lui. Ce qu’ils firent tous, sans exception. Messeigneurs les évêques, ce fut Guillaume de Corbeil, plus tard archevêque de Cantorbéry, qui fit serment le premier. Mon oncle, le roi d’Ecosse, le suivit et le troisième qui me jura fidélité, dit-elle en élevant la voix et l’affûtant comme une dague, ce fut Étienne, mon cousin, qui se présente ici contre moi et prétend à la royauté.

Des murmures bourdonnèrent, anxieux et désapprobateurs d’un côté, coléreux de l’autre. D’une voix forte et ferme, l’évêque parla.

— Ce n’est pas le lieu qui convient pour remettre en avant tous les forfaits passés. Ils furent nombreux et n’étaient pas tous imputables au même parti. Nous nous trouvons à présent au point où fautes et trahisons, quelle qu’en soit l’origine, nous ont laissés, et c’est de là que nous devons repartir, nous n’avons pas d’autre choix. Il convient à présent de défaire le mal qui peut être défait. Telle est la tâche qu’il nous faut saisir à bras-le-corps. Expliquons-nous en gardant cette idée constamment présente à l’esprit et sans désir de vengeance concernant le passé.

— Je demande seulement que la vérité soit reconnue, repartit l’inflexible Mathilde. Je suis la reine légitime d’Angleterre, par droit héréditaire, par l’ordonnance royale de mon père et par les serments solennels de tous ses grands vassaux de m’agréer et de me reconnaître. Le voudrais-je, je ne pourrais changer mon statut et, aussi sûr que Dieu me voit, je ne le ferai pas. Le fait que mes droits soient niés n’y change rien. Je ne les ai pas abdiqués.

— Vous ne pouvez abdiquer ce que vous ne détenez pas, brocarda une voix, issue de l’arrière-garde des partisans d’Etienne.

Elle déclencha de part et d’autre de violents remous. L’on criait à l’insulte, à la provocation, à la dérision si bien qu’Etienne, martelant du poing les bras de sa cathèdre, aboya ses ordres qui couvrirent les protestations indignées de l’évêque et imposa le silence.

— Mon impériale cousine peut à juste titre affirmer ce qu’elle vient de dire ; elle a hardiment exprimé sa pensée, proclama-t-il d’un ton ferme. Pour ma part, je parlerai des symboles qui n’ordonnent ni ne prophétisent la souveraineté, mais qui la confèrent et la confirment. Pour que la comtesse d’Anjou hérite de cette couronne qu’elle revendique par héritage, il serait nécessaire de me priver, moi, de ce que je détiens par le couronnement, le sacre et l’onction. Ce consentement qu’on lui avait promis, je suis venu le chercher, je l’ai demandé et je l’ai honnêtement conquis. L’huile qui m’a sacré ne peut être effacée. Tel est le droit en vertu duquel je revendique ce que je possède. Et ce que je possède, je ne le céderai pas. Et ce que j’ai gagné, quelle que soit la manière, je ne le céderai pas. Je ne fais pas de concession. Aucune.

Après ces déclarations proférées par les deux partis, celui qui plaidait les droits du sang, l’autre la reconnaissance séculière et cléricale et l’investiture, à quoi eût-il servi d’ajouter quoi que ce soit ? Pourtant, ils essayèrent. Les voix modérées parlèrent à leur tour : sans exhorter au pardon et à l’amour fraternel ou parental, elles exposèrent sans ménagements les faits bruts. Si l’on échouait à sortir de l’impasse, querelles et ravages se poursuivraient, argumenta Robert le Bossu avec une énergie sèche et froide. Bientôt, plus rien ne vaudrait la peine d’être annexé ou conservé. Il ne resterait que désolation et le vainqueur, si le survivant avait le cœur de se targuer de ce nom, n’aurait plus qu’à s’asseoir au milieu des ruines et des cendres. Cela aussi, on l’ignora. Tablant sur la certitude que son mari et son fils tenaient sous leur emprise toute la Normandie et que la plupart des grands seigneurs anglais, pour que soient protégées les terres qu’ils possédaient là-bas, devaient se cramponner à la faveur dont ils jouissaient près de la maison d’Anjou pour accomplir cet exploit, l’impératrice se sentait certaine d’une victoire définitive en Angleterre. Quant à Étienne, conscient que son étoile s’élevait dans le firmament anglais, grâce aux brillantes conquêtes accumulées cette année, il était également convaincu que le reste tomberait entre ses mains ; il était décidé à prendre le risque de ce qui pourrait arriver sur le continent, de laisser faire pour l’instant et de s’en occuper plus tard.

Comme d’habitude, les voix froides de la raison tombaient dans les oreilles de sourds. Le débat se réduisait pratiquement à un échange d’accusations et de contre-accusations. Henri de Winchester maintenait vaillamment un équilibre précaire et parait au danger d’un conflit imminent mais ne pouvait faire mieux. De nombreux assistants, nota Cadfael, écoutaient avec une attention austère, sans desserrer les dents. Pas un mot de Robert de Gloucester, pas un mot de son fils et ennemi, Philippe FitzRobert. Aussi sceptiques l’un que l’autre, ils se gardaient de gaspiller leur souffle et leur peine pour ou contre les partis.

— Rien n’en sortira, murmura Robert le Bossu, résigné, à l’oreille de Hugh Beringar, lorsque les deux monodies se furent finalement muées en un thrène plus funèbre encore. Pas ici, pas encore. C’est ainsi que tout s’achèvera, dans une sombre désolation… Mais non, cela ne se terminera pas ici, pas encore.

 

Lorsque cette session stérile fut enfin levée, l’évêque adjura les participants de passer ensemble cette dernière soirée, dans un esprit de tolérance mutuelle, et d’assister de concert aux offices des vêpres et de complies à l’église, avant de repartir le lendemain pour leurs destinations respectives. Néanmoins, les seigneurs, proches voisins du prieuré, reprirent la route le soir même ; ils estimaient inutile de perdre plus de temps et peut-être même étaient-ils satisfaits que les heures gaspillées n’aient porté aucun fruit. Là où la majorité des hommes rêvaient encore de victoire totale, la minorité qui se serait satisfaite d’un compromis de sauvegarde ne pesait pas. Et pourtant, comme Robert le Bossu l’avait dit, les choses suivraient fatalement ce cours, il ne pourrait y avoir d’autre conclusion. Aucun des camps ne vaincrait jamais, aucun ne perdrait. Et ils finiraient par dépérir à force de gaspiller leur temps, leurs vies et leur pays.

Mais pas ici. Pas encore.

Cadfael sortit dans la paix du crépuscule précoce et vit l’impératrice traverser la cour vers son logis, accompagnée de la silhouette élancée de Jovetta de Montors et de la jeune Isabeau qui suivait modestement quelques pas derrière. Chacun disposait d’une heure de repos et de réflexion avant les vêpres. Mathilde se contenterait probablement des services de son chapelain, plutôt que d’assister aux offices à l’église abbatiale ; à moins qu’elle n’estime préférable de faire une dernière apparition en grand apparat pour faire valoir ses droits légitimes, avant de tourner définitivement le dos aux mesquineries d’un compromis et de repartir vers les champs de bataille.

Après cette confrontation d’opinions et de rancunes, ils y aspirent tous, méditait tristement Cadfael. Sièges, coups de main et pillages vont se multiplier après cette pause pendant laquelle ils auront fait provision de haine, de vigueur et d’énergie. Puis, à cette période d’enthousiasme et d’ardeur renouvelés, le découragement succédera. Dès l’approche de l’année suivante, la lassitude l’emportera de nouveau. Et moi, je n’ai rigoureusement rien appris sur le lieu où mon fils est détenu, je suis seul pour décider comment poursuivre le long voyage qui mènera à sa délivrance.

Sans se soucier d’Yves ou de Hugh, il se rendit à l’église. Il s’y trouvait à présent quantité d’endroits tranquilles pour les âmes en quête de sainte solitude et du silence peuplé par la présence de Dieu. Chaque fois qu’il entrait dans une église autre que la sienne, il ressentait fugitivement l’absence du modeste autel de pierre et du reliquaire ciselé où sainte Winifred n’était pas, tout en y étant. Un regard posé sur elle allumait toujours au fond de son cœur un petit feu vivace. Ici, il lui fallait se passer de cette consolation et se soumettre à une bénédiction qui ne lui était pas familière. Néanmoins, il y avait en ce lieu réponse à tous les besoins.

Il trouva une place discrète dans une encoignure ombreuse du transept, sur un étroit rebord de pierre, juste de quoi s’asseoir ; là, s’obligeant patiemment au calme, il ferma les yeux, le meilleur moyen de tenir à distance le doux visage olivâtre et les yeux noirs scintillants et pailletés d’or du fils de Miriam. D’autres hommes engendraient des fils et se délectaient de leur enfance avant de connaître la joie de les voir devenir hommes. Lui n’avait eu que l’homme accompli et merveilleux, projeté dans sa maturité comme l’irruption d’une vision angélique, aussi soudaine, aussi aveuglante ; et cela, lors de deux aperçus rapides, aussi arbitrairement retirés qu’accordés. Il en avait été comblé, reconnaissant, c’était plus qu’il ne méritait. Aussi longtemps qu’Olivier avait été libre, sans crainte et heureux, son père n’avait eu besoin de rien de plus. Mais Olivier captif, soustrait au monde, privé de la lumière du jour, l’idée était insupportable. Le vide ténébreux où il s’était enfoncé était une offense à la vérité.

Seul et silencieux, en contemplation devant ce vide douloureux, inconscient des quelques personnes qui allaient et venaient dans la nef, Cadfael avait perdu la notion du temps. Le transept s’enfonçait dans l’ombre, et le frère, si tranquille, échappa au regard d’un homme qui, venu du cloître encore baigné par un doux crépuscule, s’approcha de sa retraite ténébreuse. Cadfael ne l’entendit pas venir et sursauta, tiré de sa retraite intérieure, lorsqu’un corps le frôla, avant de le heurter du bras et du genou. Une main rapide lui saisit l’épaule pour les stabiliser tous deux. Il n’y eut pas d’exclamation mais un moment de silence, le temps pour l’étranger d’ajuster sa vision à la pénombre ambiante. Puis une voix tranquille s’éleva :

— Je vous demande pardon, frère, je ne vous avais pas vu.

— Mon désir était de ne pas l’être.

— En certaines occasions, opina la voix d’un ton égal, j’aurais moi aussi apprécié cela.

La main aux doigts longs et minces pressa légèrement l’épaule de Cadfael avant de se retirer. Le frère ouvrit les yeux sur une silhouette svelte dont l’obscurité estompait le visage ovale, doté de pommettes hautes et d’un nez aquilin, qui le regardait sans sourciller avec une sagacité grave et légèrement déconcertante. Le regard brillant et soutenu l’étudiait sans hâte, sans réticence et sans pitié. Face à un homme ordinaire, qui n’était ni son allié ni son ennemi, Philippe FitzRobert considérait l’humanité avec une pénétration curieuse et profonde à laquelle il était malaisé de se soustraire.

— La souffrance existe-t-elle, frère, jusque dans la clôture ?

— La souffrance est partout, répondit Cadfael, dedans, dehors. Il est peu de retraites. Telle est la nature du monde.

— J’en ai fait l’expérience, dit Philippe qui s’écarta sans faire mine de partir et sans délivrer Cadfael de la perspicacité objective de son regard noir et distant.

Dans son style rigide, c’était un bel homme, et un homme jeune, trop jeune peut-être pour contrôler sa puissante intelligence. Il n’avait pas trente ans, l’âge d’Olivier ; dans la pénombre, il offrait l’image d’Olivier, vu dans un miroir embué.

— Puisse votre souffrance s’effacer de votre mémoire lorsque nous tous, étrangers, quitterons ce lieu et vous laisserons en paix, dit Philippe. Comme nous serons effacés quand s’éteindra le claquement du dernier sabot.

— Si Dieu le veut, dit Cadfael, sachant bien qu’il n’en serait pas ainsi.

Philippe fit demi-tour et s’éloigna dans la clarté relative de la nef. Sitôt qu’elles brillèrent au-dessus de lui, autour du chœur et jusqu’au grand autel, les bougies révélèrent un jeune homme à la démarche souple et légère. Cadfael n’avait plus qu’à se demander pourquoi, pendant ce moment d’étrange camaraderie où l’autre l’avait sûrement pris pour un frère de ce monastère, il n’avait pas questionné face à face le fils de Gloucester pour savoir qui tenait prisonnier Olivier de Bretagne ; se demander également s’il avait tenu sa langue parce que ce n’était ni le lieu ni l’endroit, ou parce qu’il avait eu peur de la réponse.

 

Dernier office de la journée, les complies auraient dû signifier l’achèvement d’un cycle d’adoration, la reconnaissance d’une journée d’efforts, si défectueuse fût-elle, et l’accomplissement d’un jour, si humble fût-il. Ce soir-là, elles furent l’occasion d’un ultime déploiement d’orgueil et d’ostentation, rivaux contre rivaux. S’ils ne pouvaient encore triompher sur le champ de bataille, ils auraient au moins tenté de se surpasser mutuellement en éclat et en piété. L’Église pourrait bénéficier de leurs aumônes somptueuses. Le royaume, lui, n’y gagnerait rien.

En fin de compte, l’impératrice s’était sentie contrariée d’abandonner à son rival ce dernier terrain. Elle fit une entrée sombre et splendide, sans ses dames d’honneur mais entourée des plus jeunes et plus beaux écuyers de sa maison, suivie de ses puissants barons, abandonnant aux roturiers le soin de remplir les parties retirées de la nef. Bleu foncé et or, sa tenue miroitait de l’éclat sombre et métallique d’une armure – sans doute était-ce délibéré – et elle avait écarté les femmes de son entourage qui n’avaient rien à faire sur un champ de bataille où elle-même égalait tous les hommes, où nulle autre femme ne pouvait rivaliser avec elle. Elle préférait oublier l’épouse héroïque et compétente d’Étienne, reine incontestée dans le Sud-Ouest, où elle préservait l’intégrité du noyau originel de la souveraineté de son mari.

Puis Étienne s’avança, royal jusqu’au bout des ongles dans la splendeur sans apprêts de sa silhouette massive et de sa tête nue et altière. Souriant avec complaisance, Ranulf de Chester s’attribua d’autorité la droite du roi, comme s’il avait été habilité par une charge royale, spécialement créée pour un nouvel et précieux allié. A la gauche d’Étienne, Guillaume Martel, son intendant, et Robert de Vere, son connétable, suivaient plus posément. Une loyauté longuement éprouvée dispense les vassaux de cirer les bottes ou baiser les mains. De l’obscur recoin qu’il occupait dans le chœur, Cadfael, au bout d’un moment, vit Philippe FitzRobert quitter le lieu où il attendait posément, s’avancer sans hâte et prendre place parmi les partisans du roi ; il ne chercha pas à se pousser vers l’avant pour s’assurer que le roi remarquerait sa présence mais demeura dans l’arrière-garde. La réserve et le retrait ne le diminuaient pas.

Cadfael chercha Hugh qu’il découvrit parmi les hommes liges du comte de Leicester qui avait rassemblé autour de sa personne nombre de jeunes hommes parmi les plus solides et les plus fiables. Mais il ne put trouver Yves. L’affluence était telle dans l’église que, lorsque l’office commença, les derniers venus auraient eu fort à faire pour s’introduire dans la nef ou même sous le porche. Les visages s’estompaient dans la grisaille. Les fenêtres s’obscurcissaient, excluant le monde extérieur des affaires intérieures. Apparemment, les évêques avaient accepté, non sans tristesse, l’échec de leurs efforts pour assurer quelque espoir de paix ; le bref discours d’adieu, prononcé par Roger de Clinton pour dissoudre l’assemblée, fut empreint de solennité.

— Avant que vous ne vous dispersiez et ne vous élanciez à nouveau vers la guerre et la discorde, je vous adjure de passer ici cette dernière nuit. Vous y avez été appelés pour parler du dépérissement du pays, et, bien que vous désespériez d’une guérison immédiate, vous ne pouvez pour autant évacuer de vos âmes le fardeau des misères de l’Angleterre. Passez cette nuit en prière et en réflexion, et si vos cœurs ont changé, sachez qu’il n’est pas trop tard pour parler franchement et changer le cœur des autres. De vous tous qui dirigez et de nous à qui Dieu a remis le salut des âmes, nul ne peut se soustraire au blâme si nous violons et délaissons nos devoirs envers le peuple confié à nos soins. Allez maintenant et méditez ces propos.

La bénédiction retentit comme un avertissement et la voûte répercuta la voix puissante et véhémente de l’évêque, tel un écho tonnant du courroux divin. Ni le roi, ni l’impératrice n’en furent vraiment impressionnés. S’il est vrai que ces répercussions les figèrent à leur place jusqu’à ce que le clergé fût parvenu à la sacristie, sitôt sortis de l’église et revenus dans le monde, environnés de leurs hommes de guerre, ils oublieraient ces avertissements.

Certains retardataires avaient tranquillement reculé afin de dégager la voie pour la sortie processionnelle des frères et le départ des princes. Empruntant le porche sud, ils s’étaient répandus dans l’obscurité profonde du cloître et le froid de la nuit. Parmi les premiers d’entre eux, quelques pas plus loin dans l’allée nord, un cri aigu s’éleva soudain, puis le bruit de quelqu’un qui trébuche mais évite la chute. Cette exclamation de surprise n’était pas assez forte pour qu’on l’entendît dans l’église ; en revanche, le cri d’alarme et de consternation qui suivit résonna jusqu’au chœur du sanctuaire.

— Au secours ! Apportez des torches ! Quelqu’un est blessé… Là, par terre, quelqu’un… criait la même voix, amplifiée par l’urgence.

Les évêques l’entendirent et revinrent jusqu’au seuil de leur vestiaire où ils s’immobilisèrent un moment, l’oreille tendue avant de s’élancer à la hâte vers le portail sud. Tous les fidèles qui en étaient proches se ruèrent vers la sortie, bouchant le portail et, comme les graines déhiscentes d’une cosse, ils furent expulsés dans toutes les directions par la pression qui les projetait dans la nuit. Mais la cohue fut miraculeusement tranchée en deux, comme la mer Rouge, lorsque Etienne fonça au travers, sans même céder la préséance à l’impératrice, emportée dans son sillage et proche de lui. Elle arriva sur les lieux tendue, indignée mais silencieuse ; au contraire d’Étienne retentissant et péremptoire.

— Des torches, vous autres ! En vitesse ! Êtes-vous sourds ?

Il s’engagea dans la galerie nord du cloître vers l’endroit, à présent silencieux, d’où était partie l’alarme. L’obscurité le retint assez longtemps sous la voûte pour qu’un homme l’y rejoigne, brandissant une torche qui coulait. Un coup de vent projeta une giclée de suif enflammé sur les doigts du porteur qui lâcha sa lumière en jurant ; elle grésilla quelques secondes sur les dalles avant de s’éteindre.

En raison du vent aigre du soir, les chandelles ne serviraient à rien mais frère Cadfael, s’avisant soudain qu’il avait vu sous le porche une lanterne de corne, prit un des chandeliers pour la retrouver et l’allumer. Un frère était près de lui, muni d’une torche arrachée à son support, et un homme de Leicester s’était emparé d’un brasero de la cour extérieure fiché sur son long pied. Ils s’enfoncèrent ensemble à travers la mêlée vers la galerie nord du cloître et se frayèrent un chemin afin d’éclairer le lieu d’où provenaient les cris.

Sur les dalles nues à l’extérieur de la troisième niche de la galerie, un homme gisait sur le côté droit, les genoux légèrement repliés, les bras mollement abandonnés sur la pierre et le visage dissimulé par une épaisse mèche de cheveux châtain clair. Son beau vêtement noir témoignait de son rang, une épée au fourreau pendait en diagonale de sa hanche gauche ; l’extrémité de l’arme arrivait juste dans le portail de la niche et les orteils de l’homme effleuraient le seuil. Yves Hugonin, qui était penché vers lui, se releva, le visage blafard, et posa sur eux un regard incrédule et bouleversé.

— J’ai trébuché sur lui dans le noir. Il est blessé…

Le garçon regarda sa main dont les doigts étaient tachés de sang. L’homme étendu à ses pieds montrait la calme indifférence propre au monde inanimé tandis que les regards glacés et subjugués du roi, de l’impératrice et de nombreux seigneurs étaient braqués sur lui. Puis Étienne se pencha, posa la main sur l’épaule qui saillait et poussa le corps qui bascula sur le dos, offrant à la lumière des torches un visage figé d’incompréhension, dont les yeux mi-clos s’indignaient encore ; une tache de sang, qui s’élargissait et fonçait lentement sous leurs yeux, trouait la large poitrine.

Derrière le roi, un cri étouffé s’éleva, un gémissement plutôt, durement réprimé, rauque, bref ; il glaça l’entourage. Fendant la foule comme un forcené, Philippe FitzRobert se jeta à genoux devant le corps inanimé, posa la main sur les chairs encore tièdes du front et de la gorge, souleva une paupière et scruta un œil qui ne réagit ni à la lumière ni à l’obscurité puis, brusquement, violemment même, abaissa les deux paupières. Par-dessus la dépouille de Brien de Soulis, il affronta Yves, la voix accablée, l’œil étincelant.

— Droit au cœur et il n’avait même pas dégainé ! Nous savons tous la haine que tu lui portes. A peine avais-tu mis les pieds ici que tu lui sautais à la gorge. Des témoins me l’ont rapporté. Ta rage contre lui, je l’ai constatée ensuite de mes yeux. Votre Grâce, voici le meurtrier ! Un meurtre commis, Messeigneurs les évêques, sur une terre consacrée, pendant l’adoration divine ! Faites arrêter cet homme, qu’il soit remis à la justice. Ou laissez-moi l’emmener et disposer équitablement de sa vie en échange de celle qu’il a prise !

Frère Cadfael fait pénitence
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