J’entrepris de rapporter les faits de façon aussi prosaïque que possible, mais je n’étais pas allée bien loin dans mon récit lorsque la bouche de Sethos commença à se contracter. Son amusement était si évident que je lui lançai un regard sévère.
— Cette histoire plaît à votre sens de l’humour bien connu ?
Son sourire s’estompa aussitôt, et il redevint sérieux.
— Grands dieux, Amelia, vous ne supposez tout de même pas que j’ai joué un rôle dans cette affaire ! Du temps de ma jeunesse déjà lointaine et fort dévoyée, je me suis rendu coupable de nombre d’excentricités, mais jamais d’une telle extravagance.
— Humpf ! fit Emerson d’un air furieux.
— Ma foi, il y en a eu une qui n’en était pas très éloignée, admit Sethos en me couvant d’un regard attendri.
— Arrêtez cela, dis-je vivement.
Emerson n’avait jamais oublié ni tout à fait pardonné cette fois où j’avais été retenue prisonnière par mon beau-frère (si j’avais su !) amoureux, dans un cadre aussi voluptueux que celui décrit par Ramsès.
— Excusez-moi. Vous aussi, Rad… Emerson. Mais en vérité, si l’on ne peut pas rire devant la folie, quelle espérance reste-t-il à la race humaine ? (Il secoua la tête.) Je suis bien en peine d’expliquer cette aventure. Peut-être devons-nous l’attribuer à… euh… à un intérêt personnel de la part de la dame. Ce ne serait pas la première fois, n’est-ce pas ?
Le visage de Ramsès était presque aussi rouge que celui de son père. Sethos ne pouvait s’empêcher de titiller les gens. Je reconnus les symptômes de la fatigue. Cela le rendait toujours moqueur.
— C’est bientôt le matin, dis-je. Je pense que nous ferons preuve de plus de bon sens après quelques heures de sommeil. Comment pouvons-nous vous joindre ?
— Vous ne le pouvez pas. (Il se leva.) Je passerai vous voir demain soir. Peut-être accepterez-vous de dîner tous avec moi ? Pour fêter…
— Oh, disparaissez ! aboyai-je.
Manuscrit H
L’un dans l’autre, Ramsès n’avait pas été surpris de voir son oncle réprouvé. On devait rendre cette justice à Sethos, il avait le chic pour arriver sans prévenir lorsqu’on avait besoin de son aide, mais cette fois il était apparemment résolu à jouer les trublions. Il avait bouleversé son demi-frère qui ne se doutait de rien, avait rendu furieux Emerson, n’avait donné aucune information utile et aucune perspective d’en offrir… et (le plus exaspérant de tout) il avait refusé de prendre au sérieux l’histoire de Ramsès. Un de ces jours, pensa Ramsès férocement, il m’amènera à faire disparaître d’un coup de poing ce sourire narquois sur son visage.
— Qu’est-ce que tu as dit ? demanda Nefret.
— Rien. (Il finit de se déshabiller et se mit au lit.) Dormons.
Nefret, assise devant sa coiffeuse, se brossait les cheveux.
— Je suis trop tendue pour dormir. Tu ne veux pas que nous parlions de l’apparition surprenante d’oncle Sethos ?
Les longues boucles de cheveux défaits ondulaient sous l’effet de la lumière et du mouvement, mais, pour une fois, cette vue ne parvint pas à exciter Ramsès.
— Non, répondit-il d’un ton brusque.
Il roula sur le côté, lui tournant le dos. Lorsqu’elle le rejoignit finalement, il fit semblant de dormir.
La seule personne à qui il désirait parler, c’était David. Ils n’en avaient pas eu le temps la nuit précédente. Sa mère les avait chassés vers leurs chambres respectives dès que Sethos était parti. Mais David et lui se connaissaient parfaitement. En un regard et quelques mots, ils avaient convenu d’un rendez-vous pour le matin suivant.
Il attendait sur la terrasse depuis un quart d’heure lorsque David arriva, avec un sourire d’excuse.
— Je ne parvenais pas à m’arracher des bras affectueux de la famille, expliqua-t-il.
— Comment va oncle Walter ?
— Il est tout à fait rétabli et il brûle de curiosité. Le professeur et lui emmènent les enfants au Musée. Je leur souhaite bonne chance ! J’ai suggéré qu’ils emportent des laisses, mais je me suis fait huer.
— Et les autres ?
— À l’hôpital avec Nefret, excepté tante Amelia. Je crois qu’elle a décidé d’accompagner le groupe au Musée. Elle m’a demandé où j’allais.
— Cela ne m’étonne pas. Que lui avez-vous dit ?
Les yeux noirs de David s’agrandirent en une surprise simulée.
— La vérité, bien sûr. Que vous et moi désirions passer un peu de temps ensemble. (Son regard dédaigneux parcourut la terrasse, avec sa foule de touristes bien habillés, de fonctionnaires anglo-égyptiens et de serveurs au visage basané.) Mais pas ici, si cela ne vous fait rien. Cet endroit n’a guère changé, n’est-ce pas ?
— Non. Changera-t-il un jour ?
— Oh, oui, murmura David. Il changera.
Ramsès se tourna vers lui en fronçant les sourcils. Il secoua la tête et esquissa un sourire.
— Ne parlons pas de politique. Où allons-nous ?
Ils se rendirent à l’un de leurs cafés préférés. David s’assit sur une banquette et poussa un soupir de contentement.
— Comme au bon vieux temps ! Vous vous rappelez la nuit où nous étions ici, vous déguisé en Ali le Mouchard et moi en votre fidèle acolyte, lorsque votre père est entré ? Il a regardé dans votre direction, et vous avez crié : « Maudit soit le mécréant ! »
— Je crois que j’ai plutôt gémi. (Ramsès éclata de rire, s’abandonnant à une nostalgie sentimentale.) J’avais si peur qu’il nous reconnaisse que je suis presque tombé de ma chaise !
Un garçon apporta les cafés qu’ils avaient commandés, et un narghilé pour David.
— Nous avons connu de bons moments, dit David d’un air songeur.
— Rétrospectivement, peut-être. Mais, sur le coup, certains étaient loin d’être amusants.
David avait vieilli, songea Ramsès. Lui aussi, supposait-il. Cependant, certaines rides sur le visage de son ami étaient celles de la souffrance, profondément gravées dans la peau. Cette souffrance ne le quitterait jamais complètement, selon Nefret. Les blessures qu’il avait reçues en 1915 avaient lésé certains muscles de sa jambe, même si l’on ne s’en serait jamais douté en le voyant marcher. Quels efforts de volonté cela lui coûtait-il pour garder cette démarche assurée, Ramsès pouvait seulement tâcher de le deviner. Il était trop avisé pour le demander à son ami ou pour lui témoigner de la commisération. Néanmoins, cette prise de conscience donna plus de force à sa déclaration suivante.
— Maintenant nous sommes des hommes mariés, et des pères. Il était grand temps pour nous de renoncer aux folies de notre jeunesse !
David inhala la fumée dans ses poumons et l’exhala lentement.
— Nous n’en aurons probablement pas le loisir, avec des antiquités de valeur qui ont disparu sous le nez même de Cyrus et une dame qui n’est manifestement pas ce qu’elle semble être. C'est l’histoire la plus invraisemblable que j’aie jamais entendue… et j’en ai entendu un certain nombre !
— Et vécu un certain nombre ! Vous croyez que cela s’est vraiment produit, alors ?
— Bien sûr que cela s’est produit !
— Nefret pense qu’une partie, sinon le tout, était une hallucination.
— Est-ce que vous reconnaîtriez la femme, si jamais vous la revoyiez ?
Ramsès eut un rire forcé.
— Nefret m’a posé la même question. Vous savez ce que j’ai été assez stupide pour répondre ? Sans prendre la peine de réfléchir, j’ai laissé échapper : « Pas son visage. »
David lui adressa un sourire de sympathie.
— Son visage était voilé.
— C’était ce que je voulais dire. J’ai vu une bonne partie de son corps, mais une silhouette bien proportionnée n’est guère utile à des fins d’identification. J’ai été assez stupide pour dire cela également. Nefret a fait un certain nombre de remarques cinglantes.
— Elle est préoccupée, c’est tout. Comme je le suis. Parlez-moi de Rashad.
— Ce n’est pas lui qui avait envoyé le message.
— Comment le savez-vous ? Vous avez gardé le billet ?
C’était comme autrefois… beaucoup trop. David avait toujours su le mettre au pied du mur, et il n’allait pas lâcher prise.
— Non, je ne l’ai plus, reconnut Ramsès. Je l’ai probablement égaré à un moment ou à un autre. Quelle importance ? La manière d’opérer ne ressemblait pas à Rashad et à son groupe. Il ne m’aime guère, mais je ne puis croire qu’il nourrisse une telle animosité à mon égard pour se compliquer à ce point la vie. Et dans quel but ? Pour mettre la main sur vous ?
— Moi non plus, il ne m’aime pas. Mais vous prendre en otage serait une façon sacrément biscornue de m’atteindre. J’ignorais qu’il se trouvait au Caire.
— Est-ce la vérité ?
David se contenta de le regarder, haussant ses sourcils aux arcs parfaits. Ramsès baissa les yeux.
— Excusez-moi, David. Je sais que vous ne me mentiriez pas. Mais il y a eu des émeutes, des grèves et des assassinats sanglants ici, et ce genre de violence m’évoque irrésistiblement notre vieil ami Wardani. Il est toujours recherché par la police pour collaboration avec l’ennemi durant la guerre, et Dieu sait ce qu’il a fait depuis lors.
— Pas grand-chose, dit David calmement.
— Était-il l’instigateur des émeutes au printemps dernier ? Ils ont tué huit personnes non armées au cours d’un seul incident, et…
— C’était une manifestation spontanée pour protester contre l’arrestation et la déportation de Zaghlul Pacha.
Ramsès poussa un juron, et David dit :
— Bon, entendu. Il s’agissait de meurtres sanglants et inexcusables, mais ce n’était pas un complot organisé, juste une bande de pauvres imbéciles frustrés manipulés par un agitateur. Wardani n’y était pour rien, pas plus que les Turcs ou les Allemands, en dépit des accusations hystériques de certains hauts fonctionnaires. Cessez de me faire la morale et écoutez-moi, vous voulez bien ? Wardani est entré en contact avec moi voilà quelques mois. Et, non, je ne sais pas où il est. Peut-être à Paris, rôdant autour de la conférence de la Paix, dans l’espoir de s’immiscer dans les débats. En pure perte – Zaghlul Pacha est le leader reconnu du mouvement pour l’indépendance et Wardani n’a aucune influence, excepté sur une poignée de radicaux isolés.
— Comme Rashad.
— Rashad n’est pas un révolutionnaire, déclara David avec mépris. Il harangue la foule, c’est tout, ensuite il court se cacher. Wardani est assez intelligent pour comprendre qu’il doit tenir un rôle politique, et non fomenter des émeutes. Oh, il laisse des individus comme Rashad prôner la sédition, mais je serais très surpris d’apprendre que Rashad fait toujours partie de son organisation.
— Alors vous n’avez pas l’intention de vous impliquer à nouveau ?
David leva les mains. Son visage s’était rembruni.
— Nom d’un chien, Ramsès, je suis un artiste… un artiste quelconque… pas un combattant. J’ai donné ma parole à Lia de ne plus fréquenter Wardani. J’ai dit la même chose à Wardani. Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis notre dernière rencontre. Maintenant, est-ce que nous pouvons oublier la politique et porter notre attention sur des affaires plus urgentes ?
Il posa quelques pièces de monnaie sur la table et se mit debout.
— Venez. Nous allons chercher votre prison si exotique !
— Ce sera gaspiller notre temps, l’avertit Ramsès.
David n’avait pas vraiment répondu à sa question. David ne mentirait pas, pas à son ami, mais il lui cachait quelque chose, et tant qu’il ne serait pas disposé à parler en toute franchise, ce serait inutile et déloyal d’insister.
— On ne sait jamais. Commençons par le… c’était quoi ?… le sabil de Khalaoum, et essayons de reconstituer votre trajet.
Le café était ouvert et la petite place remplie de gens. Trois rues, ou ruelles, amenaient à la place.
— Laquelle ? demanda David tout en répondant au salut d’une vieille connaissance assise près de la fontaine.
Ils reconnurent le secteur aussi méthodiquement que les rues tortueuses le permettaient. Les hautes maisons anciennes du Caire transformaient les venelles en des canyons façonnés par l’homme, peuplés d’ombres et surmontés de balcons fermés en saillie. Des femmes se penchaient aux fenêtres et hélaient les vendeurs ambulants. Des ânes les bousculaient et des gens les frôlaient, vaquant à leurs occupations. Les rues animées et bruyantes étaient si différentes du silence de sa fuite éperdue dans la nuit qu’ils auraient pu se trouver dans une autre ville.
Finalement, David demanda avec exaspération :
— Vous ne vous souvenez pas d’un point de repère… une mosquée, une boutique ?
— J’ai aperçu un tas de points de repère, y compris une pyramide et les voiles d’une felouque, répondit Ramsès d’un ton cassant. Les effets de l’opium. Il me restait juste assez de clarté d’esprit pour savoir que je les imaginais, mais j’étais bien trop occupé à essayer de distancer l’individu qui me poursuivait pour distinguer entre hallucination et réalité. Et, non, je n’en ai pas touché mot à la famille. Cela aurait renforcé leur conviction que tout le reste était également le fruit de mon imagination débridée.
— Il n’en était rien.
— Non… Bon sang, David, je ne suis même plus certain de ce qui s’est réellement passé !
— Une chose est sûre, dit David d’un ton pratique. Vous avez disparu pendant des heures et vous n’étiez pas à l’endroit où le message vous demandait d’aller. Ce qui signifie pour moi qu’on vous a enlevé. (Il baissa la tête pour se glisser sous un plateau de pain, porté sur l’épaule par un marchand ambulant.) Ma foi, cela valait la peine d’essayer. Allons voir le souk.
— Si vous avez l’intention d’interroger les marchands d’antiquités à propos des bijoux de Cyrus, les parents l’ont déjà fait, sans résultat. Ils sont bien plus forts pour l’intimidation que nous.
— Mais nous sommes beaucoup plus charmants !
David arbora un large sourire et lui donna une tape sur l’épaule.
Ils continuèrent leur route en marchant l’un derrière l’autre, passèrent sous des balcons surchargés de linge qui séchait et arrivèrent finalement sur la place devant la mosquée de Hosein.
— Qu’est devenu el-Gharbi ? demanda David tout à trac.
— Qui ? fît Ramsès avec surprise.
— Le souteneur nubien parfumé qui contrôlait le quartier des Volets rouges jusqu’à ce que les Britanniques l’envoient dans le camp de prisonniers à…
— Je sais qui c’est, l’interrompit Ramsès. Qui pourrait oublier el-Gharbi ? Qu’est-ce qui vous fait penser à lui ?
— Il était mêlé à toutes les activités illégales qui fleurissaient au Caire, et il vous a communiqué des informations à plusieurs reprises.
En vérité, il était difficile d’oublier el-Gharbi : parfumé, couvert de bijoux et paré de robes blanches de femme. Personne ne pouvait aimer ou admirer un homme qui exerçait ce genre de commerce, mais il avait été un souteneur plus bienveillant que certains.
— Oui, il a été utile, à sa façon, répondit Ramsès. Malheureusement, il ne dirige plus rien ici. Père l’a fait sortir du camp de prisonniers, en échange de certains services – c’était toujours donnant donnant avec el-Gharbi –, et il a été exilé dans son village en Haute-Égypte. Je présume qu’il est toujours là-bas, s’il est encore en vie.
— Dommage !
Ils firent le tour des marchands les plus importants. David expliqua qu’il voulait un bracelet pour sa femme, et il se retrouva avec plusieurs anneaux de cheville en argent, tous de fabrication bédouine récente. On leur montra des colliers de « perles de momie » en faïence ternie que l’on pouvait monter en bracelets, déclara le marchand. Il les avait reconnus et ne s’attendait pas qu’ils achètent ces objets pitoyables. Néanmoins, qui ne tente rien n’a rien. On ne savait jamais avec les Inglizi, même ceux-là.
— J’aurais pu vous dire qu’ils ne nous proposeraient pas les bracelets de Cyrus, fit Ramsès. Ils savent qui nous sommes.
— Je suppose que nous n’avons pas le temps d’enfiler mes bons vieux déguisements de touristes.
David semblait le regretter. Ramsès éclata de rire mais secoua la tête.
— Oubliez ça, David !
— Eh bien, soit ! Allons déjeuner chez Bassam.
— Il ne pourra pas nous dire quoi que ce soit.
— Mais nous aurons un excellent repas. Cela me mettra dans une meilleure disposition d’esprit pour passer la soirée avec oncle Sethos.
***
Je crois bien que le seul à se faire une joie de ce dîner en famille était Sethos lui-même. J’avais préparé Walter du mieux que je le pouvais, le trouvant parfaitement rétabli physiquement, bien que complètement abasourdi. Il encaissa la nouvelle de l’infidélité de son père mieux que je ne m’y attendais – peut-être parce que lui aussi avait souffert de la froideur de sa mère. Cependant, bien que je l’eusse assuré que Sethos s’était racheté grâce à ses actes héroïques au service de son pays et était à présent rentré dans le droit chemin, je me rendis compte que Walter avait quelques réserves. (Il en était de même pour moi, ce qui avait peut-être diminué l’effet de mes assurances.)
La journée avait été très fatigante, particulièrement pour ceux d’entre nous qui avaient emmené les enfants au Musée. J’avais pris la décision de les accompagner, car je savais qu’Emerson et Walter seraient vraisemblablement absorbés par la contemplation d’une antiquité ou d’une autre et que les enfants se retrouveraient livrés à eux-mêmes. Je perdis Davy à deux reprises. La seconde fois, je le récupérai à l’intérieur d’un énorme sarcophage en granit. (Je fus tentée de l’y laisser un moment, puisqu’il ne pouvait pas en sortir, mais Emerson s’y opposa.)
Sur mon insistance, nous mîmes nos vêtements les plus élégants et nous nous efforçâmes de nous comporter comme s’il s’agissait d’une réunion normale avec des amis et des parents que nous n’avions pas vus depuis longtemps. Habillé d’une manière impeccable d’un habit à queue avec une cravate blanche, Sethos nous attendait lorsque nous sortîmes de l’ascenseur, et il nous entraîna aussitôt vers la salle à manger privée qu’il avait réservée. La table étincelait littéralement de cristal et d’argent, et il y avait des fleurs sur toute sa longueur et à la place de chaque dame. Des compliments redondants débordèrent de ses lèvres. Il insista pour qu’Emerson prît la place d’honneur et, dès que nous fûmes installés, des bouchons sautèrent et du champagne remplit nos verres. Étant donné qu’il était évident, même pour les esprits les plus lourds, qu’Emerson n’avait pas l’intention de porter un toast, Sethos s’en chargea. « Au Roi et aux cœurs fidèles qui le servent. À l’amour et à l’amitié ! » Même Emerson ne pouvait refuser de boire à cela.
Tandis que le repas s’avançait, plat après plat, je constatai que j’avais de plus en plus de mal à réprimer mes rires. C’était peut-être le champagne. Toutefois, voir l’effet du petit jeu de Sethos sur diverses personnes m’amusait énormément. Il avait décidé de gagner leur cœur, et personne n’aurait pu faire mieux que lui. La chère Evelyn, qui aurait pardonné à Gengis Khan si celui-ci avait exprimé son repentir, succomba incontinent à son charme, et Lia était visiblement fascinée. Il fit l’éloge du travail en philologie de Walter, citant des exemples afin de montrer qu’il le connaissait à fond. Il parla avec admiration des découvertes archéologiques d’Emerson – et des miennes – et rendit hommage à l’héroïsme de la jeune génération.
— Ce sont les enfants de l’orage, déclara-t-il. L’orage est passé, grâce à leur sacrifice… non seulement les jeunes hommes qui ont risqué, et donné, leur vie, mais ces femmes courageuses qui ont connu la souffrance encore plus grande de l’attente et du deuil.
Les yeux d’Evelyn se remplirent de larmes. Rien n’aurait pu être plus délicat que l’évocation de la mort de son fils au combat. Même Emerson parut ému. Le seul visage à ne pas être attendri était celui de Ramsès, bien que cet hommage lui eût été manifestement destiné, ainsi qu’à David. Il me lança un regard, ses sourcils haussés d’un air sceptique.
Bientôt, Emerson commença à ne pas tenir en place. Il était impossible d’entretenir ce qu’il aurait appelé une conversation sensée – c’est-à-dire une conversation portant sur l’égyptologie – au cours d’un dîner en famille, et je me rendais compte qu’il brûlait d’envie d’interroger Sethos sur un grand nombre de choses. Cependant, mes froncements de sourcils, mes clins d’œil et mes regards sévères le retinrent jusqu’à ce que l’on eût desservi la table, puis il fit remarquer d’une voix forte :
— Ce dîner a été très agréable, incontestablement, mais venons-en à présent à notre affaire. J’aimerais savoir… Oh ! Euh… Amelia, auriez-vous par hasard informé Walter de…
— Si vous faites allusion au vol des bijoux de Cyrus, elle me l’a dit, déclara Walter avec entrain. C’est bien regrettable ! Mais je présume qu’Amelia éclaircira cette affaire très vite.
Il finit son verre de vin et fit signe au serveur.
— Humph ! fit Emerson. Walter, vous avez suffisamment bu. Soit vous allez vous coucher, soit vous nous prêtez attention.
— Dans ce cas, je vais me coucher ! (Le visage congestionné et souriant, il se leva et, bien sûr, Evelyn se leva également.) Bonne nuit à tous. Et je vous remercie pour cette soirée très agréable, euh… hum… mon frère.
Une fois qu’ils eurent quitté la salle, je suggérai que nous devrions peut-être éviter d’aborder les sujets dont Emerson était résolu à parler en présence des serveurs. Sethos se rassit et haussa les épaules.
— Je n’ai rien d’important à rapporter.
L’air renfrogné d’Emerson indiqua qu’il n’était pas disposé à accepter cette allégation, aussi Sethos donna-t-il plus de détails.
— Je me suis renseigné cet après-midi. Comme je le savais déjà, mes principaux lieutenants sont partis.
— Partis ? m’exclamai-je. Vous voulez dire…
— Plusieurs d’entre eux sont morts. Vous vous souvenez de René ? Il a été tué dès la première semaine de la guerre.
Je ne cachai pas mon chagrin. J’avais eu beaucoup de sympathie pour le jeune Français. C’était un criminel et un voleur, mais c’était également un gentleman.
— Sir Edward, votre soupirant, est vivant et se porte à merveille, m’assura Sethos. Peu importe les autres. Je me contenterai de dire qu’ils n’entrent plus en ligne de compte. Les subalternes ont eux aussi connu des pertes. Sans mon commandement, ils sont devenus négligents et en ont subi les conséquences. Certains des marchands d’antiquités avec qui j’étais en relation exercent toujours leur commerce, mais ils n’avaient jamais été des membres permanents de l’organisation. En résumé, je dirai… et j’espère qu’il me sera permis de le faire, car Nefret ravale ses bâillements depuis plusieurs minutes… je dirai donc que je ne vois personne au Caire à qui Martinelli aurait pu remettre les bijoux.
— Pouvons-nous vraiment le croire ? demanda Emerson sèchement.
— Vous êtes bien obligés, répondit-il tout aussi brusquement. Il y a quelques personnes avec qui je traitais des transactions privées, mais elles se sont dispersées. Certaines sont parties en Europe, certaines en Amérique, et d’autres se trouvent au Moyen-Orient. Je poursuivrai mes recherches, mais pas dans l’immédiat. Il faut que je retourne à Constantinople demain. Mes affaires là-bas n’étaient pas terminées.
— Je suppose que vous n’avez pas l’intention de nous dire en quoi elles consistent, déclarai-je.
— Comme toujours, vous avez raison, Amelia, répondit Sethos, et son sourire s’élargit.
— Dans ce cas, nous allons vous souhaiter une bonne nuit, dis-je en tuant dans l’œuf les protestations d’Emerson.
Je n’étais pas disposée à laisser Sethos s’en tirer aussi facilement. Songeant qu’il parlerait peut-être plus ouvertement si les autres n’étaient pas présents, je les expédiai dans leurs chambres respectives (je m’attirai un regard extrêmement équivoque de la part de Ramsès), puis je me tournai vers mon beau-frère.
Il me devança, comme il le faisait si souvent.
— Oui, Amelia, nous avons plusieurs choses à nous dire.
— Ainsi qu’à moi, intervint Emerson.
Celui-ci, ai-je besoin de le préciser, était resté aussi immobile qu’un rocher lorsque j’avais congédié les enfants.
— Tout à fait, acquiesça Sethos. Trouvons un endroit confortable.
Nous en trouvâmes un, dans la salle Maure. Le cadre était attrayant, renfoncements sombres et lampes à l’éclairage tamisé, mais Sethos ne perdit pas un instant en paroles en l’air.
— Si je puis vous donner un conseil, quittez Le Caire au plus tôt.
— J’étais arrivée à la même conclusion, l’informai-je.
— Enfer et damnation ! s’exclama Emerson.
Il brûlait du désir de se battre, avec qui, cela n’avait pas une grande importance. Se trouver en compagnie de Sethos durant un certain temps avait toujours cet effet sur lui.
— Quand êtes-vous arrivée à cette conclusion, Peabody ? grommela-t-il. Ne me dites pas que vous avez parlé de nouveau à Abdullah !
Les sourcils parfaits de Sethos se haussèrent vivement.
— Je vous demande pardon ?
— Elle rêve de lui, répondit Emerson. Je suis un homme sensé. Je ne m’oppose pas à ce que mon épouse ait de longues conversations intimes avec un homme qu’elle… euh… admirait énormément. Que diable, je portais beaucoup d’affection à ce cher homme, moi aussi ! Mais je m’oppose à ce qu’elle fasse passer ses propres opinions pour celles d’un mort !
— Je suis surpris de vous voir aussi dogmatique, Radcliffe, dit Sethos. « Il y a plus de choses sur la terre et au ciel[2]… »
— Peuh ! fit Emerson. Et ne m’appelez pas Radcliffe.
Les lèvres de Sethos se contractèrent.
— Je m’efforcerai de ne plus le faire. Mais je suis certain qu’Amelia, comme moi-même, a arrêté sa décision après mûre réflexion. J’ai repensé à l’étrange aventure survenue à Ramsès. Cela me préoccupe.
— Vous avez donné l’impression d’être amusé et incrédule, et non inquiet, répliqua Emerson d’un air renfrogné.
— Je n’ai pas résisté à l’envie de taquiner un peu ce garçon. Il prend la vie tellement au sérieux ! Il est parfaitement concevable qu’une… dirons-nous une « dame » ?… se soit éprise de lui et qu’elle ait employé une méthode fort peu orthodoxe pour obtenir son attention. À l’instar de certains autres membres de la famille – la pudeur et la considération pour les sentiments de mon frère bien-aimé m’empêchent de les nommer –, il semble exercer une grande séduction sur les femmes.
— Balivernes ! s’exclama Emerson.
Sethos haussa les épaules et redevint sérieux.
— L’autre possibilité est moins inoffensive. Votre fils n’est pas resté oisif durant ces dernières années. Il a irrité presque autant de personnes que moi… les Turcs, les Senussi, les nationalistes, même plusieurs fonctionnaires de nos propres services. David n’est pas à l’abri de tout soupçon, lui non plus. Il est connu de la police comme membre de l’un des groupes nationalistes. Des émeutes pourraient éclater de nouveau à tout moment et, si cela se produisait, il serait l’un des premiers à être suspectés.
— Certainement pas ! m’exclamai-je. Les services qu’il a rendus à la Grande-Bretagne pendant la guerre…
— … l’exposeraient à un danger supplémentaire. Bien que ses activités ne soient pas connues des sous-fifres, elles le sont des hauts fonctionnaires des renseignements, et cela ne me surprendrait pas du tout d’apprendre qu’ils espèrent l’employer. Certains des membres de sa précédente organisation sont en liberté, et ils le considèrent comme un traître à leur cause. À votre avis, est-ce vraiment une coïncidence que Ramsès ait été enlevé la veille du retour de David en Égypte ?
— Il ne pouvait pas s’agir d’une erreur sur la personne ! protesta Emerson.
— J’ai dit que j’étais incapable d’expliquer cette affaire. Il n’y a peut-être aucun lien. De toute façon, les garçons seront plus en sécurité à Louxor.
Emerson tripota la fossette de son menton et regarda avec envie la barbe de son frère. Il continuait de me garder rancune parce que je m’étais opposée à ce qu’il en portât une.
— Je l’espère sincèrement, grommela-t-il. Mais…
— Je vous rejoindrai dans quelques jours, dit Sethos.
— Vous me donnez votre parole ? demandai-je.
— Vous avez ma parole. Sauf circonstances imprévues.
— Qu’est-ce que vous…
— Bonne nuit, Amelia. Bonne nuit, mon frère.
De fait, j’étais parvenue à ma conclusion par des moyens strictement rationnels, car j’inclus dans cette catégorie les déductions de l’inconscient, que certaines personnes (je ne citerai pas de noms) appellent à tort des intuitions. Que je rêve de temps à autre d’Abdullah, lequel avait fait le sacrifice de sa vie pour sauver la mienne, aurait pu être considéré comme un produit de l’inconscient. Pourtant, c’étaient des rêves étranges, aussi précis et cohérents que des rencontres avec un ami vivant. Je n’avais pas rêvé de lui depuis quelque temps, mais je le fis cette nuit-là.
Nous nous rencontrions toujours au même endroit, au sommet de la falaise derrière Deir el-Bahri, sur le sentier qui mène à la Vallée des Rois, et à la même heure, au point du jour, lorsque le soleil levant chasse les ténèbres et remplit la vallée de lumière.
Il n’avait pas changé depuis que j’avais commencé à rêver de lui (ce qui, je suppose, n’a rien de surprenant). De haute taille et robuste, sa barbe aussi noire que celle d’un homme dans la fleur de l’âge, il m’accueillit comme si nous nous étions vus tout récemment, et en chair et en os.
— Vous devez aller à Louxor immédiatement.
— C’est bien mon intention, dis-je avec une certaine irritation. Je présume que ce serait peine perdue de vous demander des explications. Vous aimez beaucoup trop vos sous-entendus énigmatiques.
— C’est parce qu’il y a des ennuis là-bas.
— Je le sais parfaitement.
Abdullah eut un geste impatient de la main.
— Il ne s’agit pas du vol du trésor d’Effendi Vandergelt. C’en est certes une partie, mais la plus infime. Veillez sur les enfants.
Je tendis les mains et j’agrippai ses bras avec force.
— Crénom, Abdullah, ne soyez pas énigmatique sur ce point entre tous ! Si les enfants sont en danger, il faut que je sache de quelle façon ils sont menacés, et pourquoi.
Il sourit, et ses dents blanches brillèrent au sein de la noirceur de sa barbe.
— Si je le savais, je vous le dirais, même si cela signifiait enfreindre les commandements qui me gouvernent ici. Je vois du danger pour vous tous… cela n’a rien de nouveau !… et ils sont incapables de se protéger. Veillez sur eux attentivement et ils seront à l’abri.
— Vous pouvez être sûr que je le ferai. Et vous… vous veillerez également sur eux ?
— Sur vous tous. Vous n’êtes pas venue voir mon tombeau récemment.
— Euh, non, dis-je, surprise par ce changement de sujet. Lorsque nous serons rentrés à Louxor…
— Oui, allez-y et emmenez les autres. Amenez-moi le fils de mon petit-fils, qui porte mon nom, afin qu’il me présente ses hommages. Je pense que vous serez étonnée par ce que vous trouverez, Sitt.
Il ôta doucement mes mains qui s’accrochaient à ses bras et il se détourna. Ses dernières paroles ne m’étaient pas adressées. Elles étaient le bougonnement d’autrefois, comme s’il réfléchissait à haute voix.
— Elle est imprudente. Elle prend des risques insensés. Je ferai de mon mieux, mais elle mettrait à rude épreuve la patience même d’un cheikh.
Je restai à l’endroit où il m’avait quittée, et je l’observai s’éloigner à grandes enjambées sur le sentier vers la Vallée.
— Que voulez-vous dire ? criai-je, sachant que je n’obtiendrais pas de réponse.
Et je n’en obtins pas. Abdullah se retourna, me regarda et sourit. Levant le bras, il me fit signe de le suivre… pas le long de ce sentier bien connu, mais vers Thèbes.
Le reste de la famille se plia volontiers à ma décision que j’avais présentée comme une suggestion, bien sûr. Avant de partir, nous prîmes des dispositions pour renvoyer la jeune nurse en Angleterre. Même durant le voyage, elle avait avoué qu’elle avait le mal du pays et qu’elle n’aimait pas du tout l’Égypte. C’étaient probablement le charivari et les cris à la gare qui l’avaient effrayée, puisqu’elle n’avait presque rien vu d’autre du pays. Aussi trouvai-je une famille respectable qui rentrait en Angleterre et qui fut ravie de l’avoir pour s’occuper de leurs enfants. Nous n’avions certainement pas besoin d’avoir sur les bras une autre personne innocente et sans défense, et dès que nous serions arrivés à Louxor Lia aurait toute l’aide enthousiaste qu’elle désirait. Chaque femme de la famille – je parle de notre famille égyptienne – brûlait d’envie de mettre la main sur les bambins de David.
Nous prîmes le train du soir. Tous ceux qui voyagent avec des enfants en bas âge préfèrent cet horaire, parce qu’il y a de grandes chances pour qu’ils dorment durant une partie du trajet. En apercevant l’air hagard de ses parents le matin suivant, j’en déduisis que cela n’avait pas été le cas pour Evvie. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre que c’était une enfant difficile, avec un tempérament coléreux qui démentait son aspect fragile. À l’évidence, elle avait été trop gâtée. Ses parents et ses grands-parents du côté maternel étaient des âmes charitables. Il me tardait de voir comment elle s’entendrait avec les jumeaux. Ni l’un ni l’autre ne pouvait être considéré comme une âme charitable. J’étais quelque peu inquiète au sujet de Dolly. Celui-ci assumait le rôle de protecteur de sa petite sœur, et son humeur égale serait sans aucun doute durement éprouvée dans les jours à venir. Mais c’est la vie ! Je ferais tout mon possible pour le défendre.
Je n’avais pas informé les autres de la mise en garde d’Abdullah. Ils ne l’auraient pas prise au sérieux et, de fait, certains pouvaient juger que c’était seulement l’expression de la sollicitude naturelle ressentie par un adulte qui a la responsabilité d’êtres faibles et irresponsables. Ce fut infiniment rassurant de découvrir la famille au grand complet qui nous attendait à la gare de Louxor. Daoud et Selim étaient là, l’impatience affectionnée de Kadija l’avait emporté sur sa timidité, et Basima se tenait légèrement à l’écart. Sennia et Gargery nous adressèrent force gestes de la main et nous souhaitèrent la bienvenue. Avec ces serviteurs robustes et les autres qui nous attendaient à la maison, le moindre mouvement des enfants serait surveillé.
— Où sont les jumeaux ? fut la première question d’Evelyn.
— Nous ne les emmenons pas n’importe où, à moins d’y être obligés, madame, répondit Gargery d’un air sombre.
Evelyn parut quelque peu choquée.
— Certainement pas dans une foule comme celle-là, ajoutai-je. Bonté divine, quelle cohue ! Je n’ai jamais vu autant de gens ici.
Mon premier mouvement fut de mettre fin à cette démonstration d’amour, de peur que cela n’effraie les enfants. Puis je me remémorai qu’ils n’étaient pas à ma charge. Ils étaient passés de main en main avec empressement, mais ils ne semblaient pas s’en porter plus mal. Evvie gloussa en regardant un Daoud visiblement entiché d’elle, et Dolly, l’air solennel et les yeux écarquillés, répondit timidement aux embrassades de Kadija. Aussi restai-je un peu en retrait, et je me retrouvai à côté de Bertie, lequel était venu pour représenter sa famille.
— Mère et Cyrus ont décidé de ne pas ajouter au désordre, dit-il en souriant. Ils espèrent que vous dînerez avec nous ce soir… une réunion très simple entre vieux amis, rien de cérémonieux.
— Je pense que je puis parler en leur nom à tous en vous répondant que j’accepte avec plaisir, Bertie.
Je baissai la voix, puis je fus obligée de répéter la question plus fort en raison du vacarme.
— Avez-vous eu du nouveau concernant… euh…
— Non. Vous n’avez rien appris ?
— Nous aurions immédiatement télégraphié à Cyrus si nous avions trouvé les bijoux. Un ou deux petits faits intéressants se sont produits, mais… Mon cher garçon, pourquoi ce regard effaré ?
— Veuillez m’excuser, m’dame. C’est simplement que vos petits faits intéressants sont souvent ce que d’autres appelleraient « l’échapper belle » ou « il s’en est fallu de peu » ! Que s’est-il passé ? Est-ce que Ramsès…
— Habituellement, c’est Ramsès, n’est-ce pas ? Ainsi que vous pouvez le constater, il se porte à merveille. Nous vous raconterons tout ce soir, Bertie. Puis-je prendre la liberté d’amener Selim ? Lui et les autres sont parfaitement informés de la situation. Je ne pense pas que ce pauvre Cyrus soit capable de parler d’autre chose.
— Selim est toujours le bienvenu, naturellement, répondit Bertie. Et vous avez raison au sujet de Cyrus. Il se fait gloire de sa réputation sans tache, et il perçoit qu’elle est fortement compromise en ce moment.
— En aucun cas, protestai-je d’un ton ferme. Nous allons le tirer de ce mauvais pas, et sa réputation non seulement restera intacte mais en sortira grandie. Rapportez-lui mes paroles, et dites-lui que nous vous verrons tous ce soir.