INTRODUCTION
Pour aider les lecteurs qui lisent peut-être les journaux de Mme Emerson pour la première fois, nous avons obtenu la permission de reproduire ici cet extrait du Dictionnaire Biographique National, 45e édition.
« Ma date de naissance est sans importance. Je n’ai commencé à exister vraiment qu’à partir de 1884, à l’approche de la trentaine[1]. C’est cette année-là que je suis partie pour l’Égypte avec une jeune compagne, Evelyn Forbes, et que j’ai connu les trois choses qui allaient donner un sens à ma vie : les affaires criminelles, l’égyptologie et Radcliffe Emerson !
Emerson (qui entamait une remarquable carrière archéologique, détaillée par ailleurs dans ce dictionnaire) et son frère Walter faisaient des fouilles sur le site reculé d’Amarna en Moyenne Égypte. Peu après qu’Evelyn et moi nous fûmes jointes à eux, le travail fut interrompu par une série d’événements extraordinaires auxquels prit part ce qui était apparemment une momie animée. Démasquer l’individu à l’origine de cette apparition ne troubla pas outre mesure une saison de fouilles réussie[2].
Mon mariage avec Emerson eut lieu peu de temps après, de même que l’union d’Evelyn avec le frère d’Emerson. La naissance de notre enfant unique, Walter Peabody Emerson, familièrement connu sous le nom de Ramsès, nécessita une brève interruption de nos expéditions annuelles en Égypte. Ce fut seulement à l’automne 1889 qu’une sollicitation de la part de la veuve de Sir Henry Baskerville – dont la mort dans des circonstances mystérieuses avait mis un terme aux fouilles qu’il pratiquait dans une tombe royale de Thèbes – nous ramena (le lecteur imaginera avec quel plaisir) en Égypte. Nous fûmes bien sûr en mesure d’achever le travail de Sir Henry et de résoudre le mystère de sa mort[3].
Nous avions laissé notre fils avec son oncle et sa tante en Angleterre cette saison-là, vu que son extrême jeunesse (ainsi que certaines de ses habitudes) auraient mis en péril sa vie (et celle de ses proches). Cependant, comme il avait depuis sa plus tendre enfance manifesté de grandes dispositions pour l’égyptologie, il nous accompagna (à la demande pressante de son père qui l’adore) en Égypte l’année suivante. Nous avions espéré travailler sur le grand site des pyramides de Dachour cette saison-là, mais le dépit et la jalousie[4] du Directeur des Antiquités de l’époque nous avaient réduits à travailler sur le site voisin de Mazghounah – sans doute le site archéologique le moins intéressant et le moins important d’Égypte. Heureusement, notre travail fut rendu moins terne par notre première rencontre avec ce génie énigmatique du crime connu sous le surnom de Sethos, ou, comme je préférais l’appeler, celui de Maître criminel.
Les détails de la carrière de cet homme étonnant sont voilés de mystère, mais elle a dû débuter à la fin des années 1880, dans la région de Louxor. Quelques années plus tard, il s’était débarrassé de tous ses rivaux et dirigeait sans concurrence le trafic illégal d’antiquités. Tous les objets volés dans les tombes et les temples par des clandestins, égyptiens et européens, passaient entre ses mains. Une intelligence supérieure, une imagination poétique, une nature absolument impitoyable, ainsi qu’un talent incomparable pour le déguisement, contribuèrent à son succès. Seuls les quelques lieutenants en qui il avait la plus grande confiance connaissaient sa véritable identité.
Nous fûmes en mesure cette année-là de déjouer les tentatives de Sethos pour piller les tombes des princesses à Dachour et d’échapper à ses tentatives d’assassinat sur nos personnes[5]. Cependant, il nous échappa, et nous le retrouvâmes à nouveau en travers de notre chemin lors de la saison suivante. Toutefois, certains événements de nature privée (qui n’ont pas besoin d’être rapportés dans le cadre de cet article) nous portèrent à croire que nous l’avions vu pour la dernière fois[6].
À l’automne 1897, nous partîmes pour le Soudan, qui était en train d’être reconquis par des troupes égyptiennes commandées par les Britanniques, après une longue occupation par les Derviches. Nous avions projeté de faire des fouilles dans l’antique capitale du pays de Koush, Napata, mais à la suite d’un message émanant de Willie Forth, vieil ami d’Emerson qui avait disparu depuis plus de dix ans, nous partîmes pour le Désert de l’Ouest à sa recherche et celle de sa famille. Les détails de cette étonnante aventure (peut-être la plus remarquable de notre vie) ont été rapportés ailleurs[7]. Elle se termina par la délivrance de Nefret, la fille de Forth, retenue dans l’oasis reculée où elle vivait depuis sa naissance.
L’hiver 1898-99 nous vit derechef sur le site d’Amarna. Nous avions laissé en Angleterre Ramsès et Nefret (devenue notre pupille), et je me faisais une joie de retrouver les doux souvenirs de ma première rencontre avec mon admirable époux. Les événements surprenants qui interrompirent nos fouilles cette année-là contiennent des éléments personnels qui ne ressortissent pas à une biographie officielle[8]. Qu’il suffise de dire que nous rencontrâmes pour la troisième fois notre grand et terrible adversaire, le Maître criminel, plusieurs de ses acolytes, ainsi qu’une femme mystérieuse que nous connûmes seulement sous le nom de Berthe. Cette aventure eut un dénouement éclatant : Sethos tomba victime de la balle d’un assassin et Emerson liquida ce même assassin ; quant à Berthe et aux acolytes, ils disparurent.
On m’a souvent demandé d’expliquer la fréquence de nos rencontres avec des criminels de tout acabit. Après mûre réflexion, je dirais que cela tenait par la force des choses à deux raisons : d’abord le manque de surveillance des sites de fouilles durant la période en question, et deuxièmement le caractère de mon mari. Dès le début – et, à l’origine, presque tout seul – Emerson a combattu les pilleurs de tombes, les inspecteurs d’antiquités incompétents, et les collectionneurs peu scrupuleux, dans sa croisade pour préserver les trésors historiques de l’Égypte. Inutile de préciser que j’ai toujours été à ses côtés pour approfondir nos connaissances et poursuivre les canailles.