DISCOURS SUR LA CAUSE DE L’ÉCHO

PRONONCÉ LE PREMIER MAI 1718

Le jour de la naissance d’Auguste il naquit un laurier dans le palais, des branches duquel on couronnait ceux qui avaient mérité l’honneur du triomphe.

Il est né, messieurs, des lauriers avec cette académie, et elle s’en sert pour faire des couronnes aux savants qui ont triomphé des savants. Il n’est point de climat si reculé d’où l’on ne brigue ses suffrages : dépositaire de la réputation, dispensatrice de la gloire, elle trouve du plaisir à consoler les philosophes de leurs veilles, et à les venger, pour ainsi dire, de l’injustice de leur siècle et de la jalousie des petits esprits.

Les dieux de la fable dispensaient différemment leurs faveurs aux mortels : ils accordaient aux âmes vulgaires une longue vie, des plaisirs, des richesses ; les pluies et les rosées étaient les récompenses des enfants de la terre : mais aux âmes plus grandes et plus belles ils réservaient la gloire, comme le seul présent digne d’elles.

C’est pour cette gloire que tant de beaux génies ont travaillé, et c’est pour vaincre, et vaincre par l’esprit, cette partie de nous-mêmes la plus céleste et la plus divine.

Qu’un triomphe si personnel a de quoi flatter ! On a vu de grands hommes, uniquement touchés des succès qu’ils devaient à leurs vertus, regarder comme étrangères toutes les faveurs de la fortune. On en a vu, tout couverts des lauriers de Mars, jaloux de ceux d’Apollon, disputer la gloire d’un poëte et d’un orateur :

Tantus amor laudum, tantæ est victoria curæ1.

Lorsque ce grand cardinal2, à qui une illustre académie doit son institution, eut vu l’autorité royale affermie, les ennemis de la France consternés, et les sujets du roi rentrés dans l’obéissance, qui n’eût pensé que ce grand homme était content de lui-même ? Non : pendant qu’il était au plus haut point de sa fortune, il y avait dans Paris, au fond d’un cabinet obscur, un rival secret de sa gloire ; il trouva dans Corneille un nouveau rebelle qu’il ne put soumettre. C’était assez qu’il eût à soutenir la supériorité d’un autre génie ; et il n’en fallut pas davantage pour lui faire perdre le goût d’un grand ministère qui devait faire l’admiration des siècles à venir.

Quelle doit donc être la satisfaction de celui qui, vainqueur de tous ses rivaux, se trouve aujourd’hui couronné par vos mains !

Le sujet proposé était plus difficile à traiter qu’il ne paraît d’abord : c’est en vain qu’on prétendrait réussir dans l’explication de l’écho, c’est-à-dire du son réfléchi, si l’on n’a une parfaite connaissance du son direct ; c’est encore en vain que l’on irait chercher du secours chez les anciens, aussi malheureux sans doute dans leurs hypothèses que les poëtes dans leurs fictions, qui attribuèrent l’effet de l’écho aux malheurs d’une nymphe causeuse, que Junon irritée changea en voix, pour avoir amusé sa jalousie, et par la longueur de ses contes (artifice de tous les temps), l’avoir empêchée de surprendre Jupiter dans les bras de ses maîtresses.

Tous les philosophes conviennent généralement que la cause de l’écho doit être attribuée à la réflexion des sons, ou de cet air qui, frappé par le corps sonore, va ébranler l’organe de l’ouïe ; mais s’ils conviennent en ce point, on peut dire qu’ils ne vont pas longtemps de compagnie, que les détails gâtent tout, et qu’ils s’accordent bien moins dans les choses qu’ils entendent, que dans celles qu’ils n’entendent pas.

Et premièrement, si, cherchant la nature du son direct, on leur demande de quelle manière l’air est poussé par le corps sonore, les uns diront que c’est par un mouvement d’ondulation, et ne manqueront pas d’alléguer l’analogie de ces ondes avec celles qui sont produites dans l’eau par une pierre qu’on y jette ; mais les autres, à qui cette comparaison parait suspecte, commenceront dès ce moment à faire secte à part ; et on les ferait plutôt renoncer au titre de philosophe que de leur faire passer l’existence de ces ondes dans un corps fluide, tel que l’air, qui ne fait point, comme l’eau, une surface plane et étendue sur un fond ; sans compter que, dans ce système, on devrait, disent-ils, entendre plusieurs fois le même coup de cloche, puisque la même impression forme plusieurs cercles et plusieurs ondulations.

Ils aiment donc mieux admettre des rayons directs qui vont, sans se détourner, de la bouche de celui qui parle, à l’oreille de celui qui entend ; il suffit que l’air soit pressé par le ressort du corps sonore, pour que cette action se communique.

Que si, considérant le son par rapport à la vitesse, on demande à tous ces philosophes pourquoi il va toujours également vite, soit qu’il soit grand, soit qu’il soit faible ; et pourquoi un canon qui est à cent soixante et onze toises de nous, demeurant une seconde à se faire entendre, tout autre bruit, quelque faible qu’il soit, ne va pas moins vite ; on trouvera le moyen de se faire respecter, et on les obligera, ou à avouer qu’ils en ignorent la raison, ou du moins on les réduira à entrer dans de grands raisonnements, ce qui est précisément la même chose.

Que si l’on entre plus avant en matière, et qu’on vienne à les interroger sur la cause de l’écho, le vulgaire répondra d’abord que la réflexion suffit ; et on verra d’un autre côté un seul homme qui répond qu’elle ne suffit pas. Peut-être goûtera-t-on ses raisons, surtout si on peut se défaire de ce préjugé, un contre tous.

Or, de ceux qui n’admettent que la réflexion seule, les uns diront que toutes sortes de réflexions produisent des échos, et en admettront autant que de sons réfléchis. Les murailles d’une chambre, disent-ils, feraient entendre un écho, si elles n’étaient trop proches de nous, et ne nous envoyaient le son réfléchi dans le même instant que notre oreille est frappée par le son direct. Selon eux, tout est rempli d’écho : Jovis omnia plena3. Vous diriez que comme Heraclite, ils admettent un concert et une harmonie dans l’univers, qu’une longue habitude nous dérobe ; d’autant mieux que, la réflexion étant souvent dirigée vers des lieux différents de celui où se produit le son, parce qu’elle se fait toujours par un angle égal à celui d’incidence, il arrive souvent que l’écho ne rend point les sons à celui qui les envoie : cette nymphe ne répond pas toujours à celui qui lui parle ; il y a des occasions où sa voix est méconnue de ceux mêmes qui l’entendent ; ce qui pourrait peut-être servir à faire cesser bien du merveilleux, et à rendre raison de ces voix entendues en l’air, que Rome, cette ville des sept montagnes, mettait si souvent au nombre des prodiges4.

Mais les autres, qui ne craient pas la nature si libérale, veulent des lieux et des situations particulières ; ce qui fait qu’ils varient infiniment et dans la disposition de ces lieux, et dans la manière dont se font les réflexions à cet égard.

Avec tout ceci on n’est pas fort avancé dans la connaissance de la cause de l’écho. Mais enfin un philosophe est venu, qui, ayant étudié la nature dans sa simplicité, a été plus loin que les autres : les découvertes admirables de nos jours sur la dioptrique et la catoptrique ont été comme le fil d’Ariadne, qui l’a conduit dans l’explication de ce phénomène des sons. Chose admirable ! il y a une image des sons, comme il y a une image des objets aperçus : cette image est formée par la réunion des rayons sonores, comme dans l’optique l’image est formée par la réunion des rayons visuels. On jugera sans doute, par la lecture qui va se faire, que l’académie n’a pu se refuser à l’auteur de cette découverte5, et qu’il mérite de jouir de ses suffrages, et de la libéralité du protecteur.

Cependant je ne puis passer ici une difficulté commune à tous les systèmes, et qui, dans la satisfaction où nous étions d’avoir contribué à donner quelque jour à un endroit des plus obscurs de la physique, n’a pas laissé que de nous humilier. On comprend aisément que l’air qui a déjà produit un son, rencontrant un rocher un peu éloigné, est réfléchi vers celui qui parle, et reproduit un nouveau son, ou un écho ; mais d’où vient que l’écho répète précisément la même parole, et du même ton qu’elle a été prononcée ? comment n’est-il pas tantôt plus aigu, tantôt plus grave ? comment la surface raboteuse des rochers, ou autres corps réfléchissants, ne change-t-elle rien au mouvement que l’air a déjà reçu pour produire le son direct ? Je sens la difficulté, et plus encore mon impuissance de la résoudre.

VIRG. Georg., lib. III, v. 112.

Richelieu, fondateur de l’Académie française.

VIRG., Egl., III, 60.

Visi etiam audire vocem ingentem ex summi cacuminis luco. (TIT.-LIV. Hist., lib. I, cap. XXXII.)

Spreta vox de cœlo emissa. (Ibidem, lib. V, cap. XXXII.)

Templo sospitæ Junonis nocte ingentem strepitum exortum. (Ibidem, lib. XXXI, cap. XII.)

Silentio proximæ noctis ex sylva Arsia ingentem editam vocem. (Ibidem, lib. II, cap. VII.)

Cantusque feruntur

Auditi, sanctis et verba minacia lucis.

OVID., Metam., lib. XV, v. 792.

L’abbé Jean de Hautefeuille, né à Orléans le 20 mars 1647, mort eu cette ville le 18 octobre 17-21. La Dissertation sur les causes de l’écho, couronnée par l’académie de Bordeaux a été publiée à Bordeaux, chez R. Brun, en 1718. in-12. (RAVENEL)