CHAPITRE XXVI
L’aile X de Corran sortit de l’hyperespace à côté de l’Émancipateur Le profil effilé de l’ancien superdestroyer impérial lui cachait en partie le monde que Corran connaissait sous le nom de Lunenoire. À côté de l’Émancipateur volaient l’Eridain et deux croiseurs modifiés. Le Mon Valle servait de base aux Défenseurs de Salm ; le Corulag était la plate-forme de lancement des huit navettes d’assaut chargées de déposer l’infanterie à la surface.
L’Émancipateur avait pour mission de protéger le vecteur de sortie de la flotte.
Malgré le beau discours de Kre’fey sur la reconnaissance que leur vaudrait leur participation à cette mission, Corran ne parvenait pas à chasser le mauvais pressentiment qu’il avait depuis le début. Les briefings avaient mis l’accent sur le moral des troupes plus que sur les faits. Quelque chose ne collait pas.
Garde les yeux ouverts, tu ne peux rien faire d’autre pour l’instant.
Whistler afficha l’écran tactique.
— Rogue Leader, pas de vaisseaux ennemis en vue, mais la base est protégée par un bouclier.
— Merci, Neuf. Rogues, formez une escorte pour les Défenseurs, dit la voix de Wedge. Volez au-dessus de l’Émancipateur.
Presque aussitôt, le grand vaisseau tira des salves de turbolaser et de canons à ions qui allèrent s’écraser sur le bouclier défensif de la base ennemie. La jungle environnante prit feu.
L’incendie rendra le vol plus difficile, mais il délimite bien la cible.
— Whistler, je veux un relevé des courants aériens. Surveille la taille du bouclier. Si elle diminue, ça signifiera qu’il est en train de céder.
Des vagues incessantes d’énergie se déversaient sur le dôme protecteur, assez violentes pour faire trembler le bunker de commandement où se tenait Kirtan. Les quelques moniteurs encore fonctionnels montraient une vue par satellite de la flotte ennemie et le cercle de flammes qui entourait la base.
— Difficile de croire que quiconque survive à un tel enfer, n’est-ce pas ?
— C’est exact, général.
— De plus, les Rebelles sont prompts à crier victoire. Statut des boucliers, monsieur Harm ?
— Boucliers opérationnels à cent pour cent, général.
— Parfait. Baissez progressivement leur puissance. Quand le feu ennemi sera moins nourri, passez à vingt pour cent, puis cinq, puis zéro.
— Vous êtes sûr qu’ils ne vont pas raser la base ? C’est ce qu’ils ont fait à Vladet.
— C’est pour cela que nous sommes dans un bunker souterrain, fortifié. De plus, les Rebelles veulent se servir de cette base. Nous ne risquons rien.
Le bip aigu de Whistler attira l’attention de Corran sur son écran tactique. Les boucliers de la base commençaient à s’effondrer.
L’Émancipateur fit feu avec moins de violence, car si les boucliers cédaient brusquement, les canons à ions risquaient de détruire les installations que Kre’fey voulait prendre.
Corran passa sur la fréquence de communication intra-unité. Lujayne n’ayant pas encore été remplacée, il manquait toujours un pilote au Vol Trois. Corran savait que Tycho aurait pu piloter l’aile X de Lujayne. Un poste où il aurait été, à son avis, plus utile que dans l’Eridain.
— Dix, Douze, préparez-vous. Les boucliers cèdent. Ce sera bientôt à nous.
Whistler annonça l’effondrement des boucliers avec un ululement de triomphe. Quelque chose tracassait Corran, mais il ne parvenait pas à identifier la raison de son malaise.
— Rogues, préparez-vous, dit Tycho d’une voix étrangement mal assurée. Ordre direct du général Kre’fey : vous assurerez l’escorte des navettes d’assaut sur la planète.
— Pardon ? demanda la voix de Wedge. Les Défenseurs sont prêts à attaquer.
— Rogue Leader, Kre’fey estime que ce n’est pas nécessaire. Il a ordonné aux ailes Y de repartir.
— Contrôle, et les canons à ions ?
— S’ils avaient pu tirer, ils l’auraient déjà fait, annonça la voix du général Kre’fey. Toute résistance a cessé sur la planète. Allons récupérer notre butin.
— Rogue Leader à Escadron Rogue. Mettez-vous en formation pour escorter les navettes.
L’estomac de Corran se noua.
— Je n’aime pas ça.
— Neuf, cette fréquence est destinée à un usage militaire, pas à diffuser vos opinions. Gardez-les pour le rapport final. Et pilotez assez bien pour que nous ayons l’occasion d’en faire un !
— J’en ai l’intention, Rogue Leader. Stabilisateurs en position d’attaque.
L’Émancipateur s’éloigna de la planète et prit son poste de surveillance du vecteur. Corran se sentit plus impuissant que jamais. Le superdestroyer n’était pas conçu pour lutter contre des chasseurs, mais il aurait pu détruire leur base de lancement.
Bien entendu, Kre’fey nous l’aurait interdit. Il veut récupérer les installations intactes.
Le malaise de Corran augmenta quand il s’approcha des navettes d’assaut.
Transportant chacune quarante soldats, elles feraient trois voyages pour déposer à terre la totalité de l’infanterie.
L’écran tactique de Corran ne montrait aucun ennemi en vue. L’opération semblait se dérouler mieux que prévu. Pourtant, un frisson courut le long de l’échine de Corran. C’était peut-être idiot, mais il ne parvenait pas à croire à leur bonne fortune.
Il effleura son médaillon.
C’était la même chose quand mon père mort. Tout allait trop bien. Je m’étais inquiété pour lui. Comme rien ne se passait, j’ai baissé ma garde. Il a été tué à cause de ça. Quelque chose n’est pas normal, mais quoi ?
La réponse jaillit dans son esprit une nanoseconde avant que le premier éclair ionique frappe une des navettes d’assaut. Le rayon d’énergie entoura le Modaran d’un réseau d’électricité crépitante. Les moteurs de la navette explosèrent. Le vaisseau tomba vers la planète, de la fumée sortant par une douzaine d’écoutilles.
Whistler lança un avertissement. L’écran tactique montrait que de nombreux chasseurs sortaient des tunnels de lancement situés sur le périmètre du dôme de défense. Il indiquait aussi que la puissance du bouclier était de deux cents pour cent, une valeur impossible si on en croyait les estimations présentées lors du briefing.
— Contrôle, ordonna Wedge, faites rentrer immédiatement les navettes !
— Rogue Leader, deux escadrons de Tie arrivent sur vous. Des Mirettes et des Bourdons.
— Je les vois, Contrôle. Escadron Rogue, tenez-les à l’écart des navettes.
— Sept navettes, deux douzaines d’Impériaux et onze ailes X. Ce sera du gâteau !
Corran étudia la trajectoire des ennemis.
Approche oblique. Ils sont fichus !
— Vol Trois, passez sur les torpilles à protons et verrouillez une cible. S’ils veulent jouer à ce petit jeu…
Des rayons d’énergie ionique quittèrent la planète. L’un d’eux frappa l’Émancipateur, se dissipant sur ses boucliers. Un autre visait une navette qu’il n’atteignit pas. La boule d’énergie frémit comme si elle avait touché un bouclier, mais elle ne laissa aucun débris derrière elle.
— Deux, au rapport.
Personne ne répondit à l’appel de Wedge.
— Rogue Leader, nous avons perdu le contact avec Deux.
Malédiction. C’était le bouclier de Peshk…
— Manœuvres d’évasion, Rogues. Contrôle, faites bouger ces navettes !
Le réticule de visée de Corran vira au vert. Il tira sur l’intercepteur, puis choisit une autre cible. Whistler annonça qu’un intercepteur avait été détruit et un autre endommagé.
Corran augmenta la puissance de son bouclier avant et plongea, tirant sur un troisième Tie avant d’avoir un verrouillage de cible. Le vaisseau ennemi explosa.
Corran poussa le manche à balai et traversa la boule de feu.
— Douze, vire à bâbord !
L’aile X d’Andoorni bondit vers la gauche, mais le Bourdon qui lui collait au train la suivit.
— Vire encore, Douze. Grimpe !
— Impossible. Stabilisateur latéral fichu.
— Mets-toi en tire-bouchon, Douze !
La Rodienne commença la manœuvre. Le premier tir rata son vaisseau, mais les suivants tirent exploser les moteurs. Une seconde plus tard, l’appareil frémit et la coque se fissura. Des flammes argentées transformèrent l’aile X en un soleil miniature, puis en une boule de gaz incandescents.
Corran désintégra le vaisseau qui avait descendu Andoorni. Il ne se permit pas de pleurer la perte de sa camarade.
Plus tard. S’il y en a un.
— Vol Trois, quatre intercepteurs se dirigent vers la navette Devonian.
— Ooryl reçoit, Contrôle. Ooryl les a.
— J’arrive, Dix.
Ooryl amena son aile X derrière les deux chasseurs de tête et ralentit pour s’accorder à leur vitesse.
— Ooryl engage les torpilles à protons.
— Dix, passe sur laser ! Ils doivent avoir un avertisseur de verrouillage thermique.
Un chasseur équipé de ce système pouvait dévier sa course assez vite pour éviter une torpille.
Corran fit passer son aile X sur son stabilisateur tribord et amorça la courbe qui l’amènerait derrière un des Bourdons. Whistler l’avertit qu’un autre intercepteur s’approchait de lui par-derrière.
Corran fit effectuer à l’aile X un arc de 180 degrés, revenant vers l’intercepteur selon un angle que le pilote n’attendait pas. Corran tira deux volées de rayons d’énergie rouges qui perforèrent l’aile bâbord du vaisseau ennemi et firent éclater son cockpit.
Des éclairs ioniques continuaient de monter de la planète. L’Émancipateur fut atteint deux fois, le Mon Valle une.
— Ooryl est touché !
Corran appuya sur l’accélérateur et fit tourner son aile X à temps pour voir le chasseur de son équipier se briser en plusieurs morceaux. Il vit Ooryl flotter dans l’espace, agitant les bras. Corran espéra que c’était autre chose qu’un réflexe d’agonisant. Un morceau de stabilisateurs sectionna le bras droit du pilote au-dessus du coude. Le corps partit en tournoyant dans l’espace.
— Contrôle, Dix est hors véhicule. Envoyez quelqu’un le récupérer.
— Neuf, l’Émancipateur indique que la zone est trop dangereuse pour les opérations de sauvetage.
— Débrouillez-vous pour convaincre ces types du contraire, Contrôle !
— Contrôle, dit la voix de Wedge, Trois et Huit sont hors véhicule. Nous avons besoin d’aide.
— Je m’en occupe, Rogue Leader. Ce sera fait.
Trois et Huit. Nawara et Erisi. Deux morts, et trois pilotes hors de combat.
Une autre voix retentit dans le casque de Corran.
— Ici Contrôle. Bonne nouvelle : sauvetage en cours. Mauvaise nouvelle : deux escadrons de Bourdons arrivent du côté nord de la planète. ETA : deux minutes. Les navettes se préparent à entrer dans l’hyperespace.
Corran les regarda accélérer jusqu’à la vitesse-lumière. Le Corulag avait déjà disparu, ainsi que les ailes Y. Deux éclairs ioniques touchèrent le Mon Valle. L’Eridain se mit en mouvement et l’Émancipateur dériva vers le nord, se positionnant pour l’entrée dans l’hyperespace, comme si l’amiral Ragab hésitait entre la fuite ou la lutte.
Il faut fuir. Nous n’avons plus de raisons de rester ici.
Les Tie rejoignirent leurs renforts.
— Devons-nous les poursuivre, Rogue Leader ?
— Négatif. Protégez nos gens.
Corran intervint.
— Rogue Leader, deux escadrons de Bourdons contre une demi-douzaine d’ailes X, ça ne va pas être très joli.
— Neuf, si tu ne peux pas t’occuper de tes quatre ennemis, je m’en charge.
Corran ignora la pique de Bror.
— Du calme, les Rogues. Nous sommes là pour protéger les nôtres. Concentrez-vous sur votre mission !
— Contrôle à Rogue, l’ETA des Bourdons est de trente secondes. Trois a été récupéré.
Corran sourit. Au loin, il voyait la coque triangulaire du Banni, immobile dans l’espace. Son pilote avait utilisé un rayon tracteur pour tirer le naufragé à travers le hayon d’urgence de la coque.
Le Corellien vola vers l’endroit où Ooryl était suspendu dans l’espace.
— Dix est là, Banni.
— Merci, Neuf. J’ai les coordonnées, je suis en route.
C’était la voix de Tycho.
— Capitaine ?
— Vous m’avez démasqué, Dix. Quatre Bourdons s’approchent de votre position. Débarrassez-vous d’eux avant que j’arrive, s’il vous plaît.
— D’accord, dit Corran.
Il se demanda qui était le plus stupide. Tycho, pour venir en mission de sauvetage dans une zone chaude ? Ou lui, qui attaquait seul quatre intercepteurs ?
Ce sera stupide si nous nous faisons tuer. Sinon, on parlera d’héroïsme.
Corran poussa l’accélération au maximum. Un des intercepteurs se détourna de la navette. Corran se concentra sur l’autre. Quand le réticule de visée vira au rouge, il appuya sur la détente, lançant une torpille à protons vers l’intercepteur. Occupé à éviter les torpilles de la navette, le Tie ne s’aperçut pas que le missile de Corran fonçait sur lui.
La torpille explosa au cœur de la cible.
Sachant qu’il prenait des risques, Corran plongea à la suite de l’intercepteur que le Banni avait effrayé.
Whistler lança un avertissement strident : les deux autres intercepteurs revenaient. Corran tira sur le Bourdon, le touchant à une aile.
Le vaisseau ennemi s’éloigna.
L’astromech bipa de nouveau. Les deux intercepteurs se trouvaient à moins d’un kilomètre et se rapprochaient.
— Ici Neuf. Un peu d’aide serait la bienvenue.
— Je les tiens, Neuf. Dix en chemin. Virez à bâbord à mon signal.
Dix ? Le code d’Ooryl. Mais ce n’est pas sa voix. Que se passe-t-il ?
— Virez.
Corran vit des éclairs bleus fuser vers les vaisseaux qui lui filaient le train. Des rayons ioniques ? La planète se trouvait derrière lui, pas devant. Et les canons à ions de la base n’auraient pas tiré sur des Tie.
— Vous êtes sorti d’affaire, Neuf.
Corran comprit ce qui s’était passé. Les ailes Y des Défenseurs s’étaient jointes au combat, pulvérisant joyeusement les intercepteurs. Les vaisseaux lourds compensaient leur manque de maniabilité par une puissance de feu impressionnante. Leur arrivée marqua la fin d’une demi-douzaine d’intercepteurs.
— Ils filent !
— Pas de quoi se réjouir, dit la voix de Salm. Les canons à ions tireront de nouveau dès qu’ils leur laisseront la voie libre.
— Banni à Contrôle, nous avons récupéré tous les pilotes éjectés.
— Banni, vous pouvez entrer dans l’hyperespace.
Quatre éclairs ioniques venant de la planète touchèrent le Mon Valle. Le croiseur modifié explosa. Des capsules d’éjection jaillirent de l’épave, filant vers l’espace libre.
Le vaisseau tomba vers Lunenoire.
— J’espère qu’il démolira leurs installations.
— Contrôle à tous les chasseurs. Vous pouvez plonger dans l’hyperespace.
— Contrôle, l’Eridain a-t-il besoin de protection pour récupérer les capsules d’éjection ?
— Négatif, Rogue Leader. Elles arrivent vers nous, et les intercepteurs rallient leur base.
— Merci, Contrôle. Rogues, nous rentrons à la maison.
Corran regarda une dernière fois Lunenoire.
— La plupart d’entre nous rentrent… Une erreur a été commise, et nos amis ont payé le prix fort. Mais ce sera la dernière fois.