CHAPITRE XIX

Wedge Antilles regarda Gavin Darklighter et Corran Horn flotter dans la cuve de bacta. Cela lui rappela l’époque où il s’était lui aussi trouvé dans une cuve.

À bord du Home One, le vaisseau amiral d’Ackbar, pendant la bataille d’Endor.

— Vos pilotes vont mieux, commandant Antilles ?

Wedge se retourna, surpris.

— Amiral Ackbar ? Que faites-vous ici, monsieur ?

— J’ai lu votre rapport. Comme il manquait de détails, j’ai décidé de venir me rendre compte par moi-même.

— Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour le rédiger.

— Et vous n’aimez pas ça.

— C’est vrai.

Wedge se passa une main sur le visage. Il s’aperçut qu’il ne s’était pas rasé depuis un moment.

Depuis combien de nuits n’ai-je pas dormi ?

— Vous auriez pu demander un rapport complémentaire, ou me convoquer sur le Home One pour vous épargner le voyage.

— J’y ai pensé. Mais je sais que vous ne voudriez pas quitter vos pilotes en ce moment. De plus, c’était l’occasion rêvée d’échapper au Conseil Provisoire sans être accusé de me défiler.

— C’en est à ce point ?

— J’exagère probablement. Les politiciens considèrent les soldats comme leurs joujoux privés.

— Et les soldats n’aiment pas ça.

— C’est nous qui nous faisons tuer. Nous avons tendance à mépriser les plans politiquement corrects mais suicidaires du point de vue militaire. (Il tapota le hublot.) Avons-nous une idée plus précise de ce qui est arrivé ?

— Pas encore. Nous avons trois pilotes gravement blessés, un tué et les six sentinelles abattues. Les autres ont quelques égratignures. Mais les choses auraient pu être pires. Si les commandos avaient utilisé des bombes équipées de minuterie, nous n’aurions jamais réussi à les trouver toutes avant l’explosion. Heureusement, ils avaient l’ordre de les cacher dans les bâtiments, puis de télécommander les explosions. Nous les avons tous tués ou capturés, ainsi que le Tranporteur Delta DX-9 qui les a amenés. Les deux commandos et les cinq hommes d’équipage refusent de parler. Ils sont en détention, isolés. Deux droïds s’occupent de l’autopsie des autres. Avec un peu de chance, cela nous donnera une idée de leur provenance.

— Et vous avez fait évacuer Talasea ?

— Oui, amiral. Les Impériaux risquaient de venir voir ce qui était arrivé à leurs copains. Nous avons laissé quelques petites surprises pour eux…

— Et le moral de votre unité ?

Wedge s’appuya contre la paroi de transpacier.

— Nous sommes tous en état de choc. Perdre Lujayne de cette façon. Elle n’était pas la meilleure pilote de l’escadron, et elle ne courait pas de risques inutiles. Personne n’aurait cru qu’elle serait la première à mourir. Corran, Bror ou Shiel, oui, mais pas elle. Et Corran a bien failli y rester. Lujayne a été assassinée dans son sommeil. C’est encore pire…

— La guerre est barbare, dit Ackbar. Mais nous essayons de la faire de la façon la plus civilisée possible. Nous n’attaquons que des cibles militaires, et sous certaines conditions. Combien nous aimerions que nos ennemis aient le même sens de l’honneur.

— Si c’était le cas, cette guerre n’aurait pas de raison d’être.

— C’est tout le problème, commandant Antilles. Quand vos gens quitteront-ils les cuves bacta ?

— Dans douze heures pour Darklighter et Horn. Vingt-quatre à quarante-huit en ce qui concerne Andoorni Hui. Elle a été blessée plus gravement, et son métabolisme est différent. J’aimerais célébrer un service à la mémoire de Lujayne. Gavin sera désespéré. Elle l’aidait à s’améliorer en astronavigation.

— Nous ne pouvons rien faire pour le moment, constata Ackbar, changeant de sujet.

— Attendre, c’est tout…, dit Wedge.

— Profitez-en pour prendre un peu de repos.

— Plus tard.

— Maintenant. C’est un ordre, commandant. Ou j’ordonnerai à un droïd Deux-Un-B de vous injecter un tranquillisant. Dans douze heures, je veux vous voir à bord du Home One avec votre second. Le général Salm sera là.

— Si j’avais su qu’il viendrait me passer un savon, j’aurais laissé les commandos me tuer…

— Le but de cet entretien n’est pas de vous réprimander. L’Empire a attaqué une de mes bases avancées. Nous devons répliquer, sous peine de l’encourager à continuer. Les bombardiers du général Salm devraient suffire à prendre notre revanche.

— Si vous voulez que l’Escadron Rogue participe à cette mission, nous sommes prêts.

— C’est la réaction que j’espérais de votre part, commandant. Maintenant, allez vous reposer.

— Oui, monsieur.

Wedge salua.

Je vais dormir. Et rêver de vengeance…

Corran se demanda ce qui était pire : le goût du bacta dans sa bouche, ou l’impression d’être toujours dans la cuve. Le rayon laser ayant perforé son poumon droit, un peu de bacta y avait été injecté, ce qui expliquait le goût.

Corran se sentait plutôt bien. Il avait seulement une marque rouge là où le rayon l’avait atteint. L’armure avait absorbé une partie de la puissance du coup. Corran se demanda une fois de plus comment Gavin avait survécu à un tir direct au ventre.

Gavin roula sur le flanc dans le lit placé à côté de celui du Corellien.

— C’est la première foi que je fais ça…

— Te faire tirer dessus, ou un séjour dans une cuve bacta ?

— Les deux, fit le jeune homme.

Corran s’assit au bord de son lit.

— C’est ma faute si tu t’es fait descendre, dit-il. J’aurais dû réaliser que tu n’avais pas compris qu’il te fallait attendre mon signal pour sortir dans le couloir.

Gavin toucha la marque rouge qui s’étendait sur son ventre.

— Ça m’a fait un mal de chien. Puis je me suis évanoui. Avant, j’ai tiré sur un commando. L’ai-je tué ?

— Je l’ignore, Gavin. Tous les Impériaux du couloir étaient morts, c’est ce qui compte.

— Y a-t-il eu des tués de notre côté ?

— Je l’ignore…

La porte de la chambre s’ouvrit. Wedge entra, souriant quand il vit les deux hommes éveillés.

— Je suis content de vous savoir pleins d’allant, dit-il.

— Une nuit de repos, et ça devrait aller, affirma Corran.

— Et vous, Gavin ? Comment vous sentez-vous ?

— Très bien, monsieur. Je pourrais piloter si nécessaire.

— Pas pour l’instant. Nous avons capturé les commandos survivants et leur vaisseau. Talasea a été évacuée. L’autopsie des cadavres nous a donné une idée de leur origine. Je dois rencontrer le général Salm pour organiser une contre-attaque.

— Je veux en être.

— Moi aussi, dit Gavin en se levant.

Ses genoux se dérobèrent, mais il se rattrapa au montant du lit.

Wedge hocha la tête. Corran comprit que le pire était à venir.

— Nous avons eu des pertes. Six sentinelles. Andoorni a été gravement blessée. Et Lujayne Forge est morte.

Gavin se laissa tomber sur le lit.

— Lujayne ?

Corran l’avait sentie mourir, mais il avait refusé d’y croire.

Elle était le cœur de l’unité, se souciant toujours du bien-être des autres. Elle n’aurait pas dû être la première à mourir Je ne lui ai jamais rendu la faveur qu’elle m’avait faite en réparant mon aile X. Maintenant, il est trop tard…

— C’est impossible, dit Gavin. Elle m’apprenait l’astronavigation… Lujayne, morte…

Il frappa la table du poing.

— Il n’est jamais aisé de perdre un ami, Gavin.

Gavin leva les yeux.

— C’est la première fois que quelqu’un que je connais meurt, dit-il.

— Vraiment ? demanda Corran.

— C’est un gamin, Corran, fit remarquer Wedge.

— Je sais, monsieur, mais son cousin…

— Des gens que je connaissais sont morts, mais je n’étais pas là quand c’est arrivé. Je me souviens d’Owen et de tante Beru… Je les ai vus une fois ou deux quand Biggs m’a emmené avec rendre visite à Luke Skywalker. Quand ils sont morts, mon père a repris la ferme…

— Je croyais que Luke l’avait donnée à un non humain.

— C’est exact. Il s’appelait Throgg. Mon père la lui a rachetée quelque temps plus tard. Je me souviens vaguement des Lars, mais j’étais vraiment jeune… Ils étaient gentils, pourtant…

— Tu ne les connaissais pas vraiment, je comprends. Mais Biggs, ton cousin…

— Il avait huit ans de plus que moi. À certains moments, il était content que je sois avec lui, à d’autres, non. Maintenant, je comprends pourquoi… Et puis, je n’ai jamais vu son corps… ni ceux de l’oncle et de la tante de Luke. Je savais qu’ils étaient morts, mais…

— Je vois, dit Wedge. J’étais présent quand Biggs a été tué. J’ai été blessé. Luke a ordonné qu’on me sorte de la tranchée. Biggs y est resté. Il est mort, mais il a donné à Luke le délai supplémentaire dont il avait besoin pour détruire l’Étoile Noire.

J’ai volé avec Biggs avant Yavin. Il était excellent. On aurait cru qu’il lisait dans l’esprit des pilotes de Tie. Il était fier de ses performances, mais pas arrogant.

Gavin sourit.

— Il avait ce sourire… Quand il avait fait quelque chose que les autres ne pouvaient pas faire…

Wedge gloussa.

— Je détestais ça quand il me l’adressait ! Mais ce n’était pas souvent le cas. Lors de sa première mission, Biggs a descendu cinq Tie, ce qui faisait de lui un as. Un autre pilote a prétendu que le troisième Tie était à lui. Du coup, ce type ramassa les lauriers. Il était à sa quinzième mission. Biggs lui a fait son fameux sourire, et il lui a laissé le Tie. Ensuite, chaque fois que Biggs abattait cinq ennemis ou plus, il lui donnait le troisième. Pas méchamment, mais il ne lui a jamais laissé oublier ce qu’il avait fait.

— Oui, Biggs était comme ça. Il poussait les gens à affronter leurs faiblesses jusqu’à ce qu’ils y remédient ou qu’elles ne les handicapent plus.

— C’était sa façon de forcer les autres à faire de leur mieux. C’est pour ça qu’il insistait pour que Luke aille à l’Académie. Il n’aimait pas les gaspillages de talents. S’il avait survécu à Yavin, nous serions sous ses ordres.

— Le type qui lui avait volé son troisième Tie s’est-il racheté ? demanda Corran.

Le sourire de Wedge s’effaça.

— Karsk – c’était son nom – se chargea de la troisième patrouille sur une série de cinq prévues pour Biggs. C’était une mission de tout repos, mais Biggs avait décidé qu’ils seraient enfin quittes. La mission consistait à escorter un vaisseau de liaison à Alderaan. Karsk était sur la planète quand l’Étoile Noire apparut.

— Biggs a eu de la chance de laisser le gars le remplacer…

— Oui, mais la chance ne dure qu’un temps. La nôtre tient toujours, au moins en partie. Je suis content que vous vous en soyez tirés. La liste des amis que j’ai perdus à cause de l’Empire est bien assez longue.

Gavin tendit la main à Wedge.

— Merci, monsieur. J’ai l’impression de connaître Biggs un peu mieux.

— C’est à moi de vous remercier de m’avoir donné l’occasion de me rappeler un type bien… Biggs, Porkins, Dack, Lujayne… Ils méritent tous qu’on se souvienne d’eux autrement que comme des noms sur la liste des disparus. Je ne pense pas assez souvent à eux comme à des gens.

Le commandant jeta un coup d’œil au chronomètre mural.

— Je dois bientôt rencontrer l’amiral Ackbar. Vous avez quatre heures devant vous, puis nous célébrerons un service funèbre à la mémoire de Lujayne et des autres victimes de Talasea. Après, nous irons bouffer de l’Impérial ! Ainsi, nos morts reposeront peut-être en paix.