CHAPITRE 33

 

Il était allongé dans l’un des tunnels, environ un kilomètre à l’intérieur du vaisseau. En combinaison et encore plutôt intact. Dans la douce lumière bleue qui irradiait les murs, les traits derrière le casque étaient affaissés sur le crâne, mais à part cela il ne semblait y avoir aucune décomposition notable.

Je me suis agenouillé à côté du corps, en regardant le visage de l’autre côté de l’équipement hermétique.

— Il a l’air en bon état, tout bien considéré.

— Réserve d’air stérile, a dit Deprez.

Il plaquait son Sunjet contre la hanche, et ses yeux allaient et venaient en permanence sur l’espace au-dessus de nos têtes. Dix mètres plus loin, l’air moins à l’aise avec son arme, Ameli Vongsavath marchait de long en large à côté de l’endroit où le tunnel débouchait sur une chambre-bulle.

— Et des antibactériens, si c’est une combi un peu efficace. Intéressant. La réserve est encore au tiers pleine. Donc, il n’est pas mort d’étouffement.

— La combi est endommagée ?

— Si elle l’est, je ne vois rien.

Je me suis accroupi.

— Ça n’a aucun sens. L’air est respirable. Pourquoi garder la combi ?

— Pourquoi mourir dans sa combi devant un sas ouvert ? a contré Deprez avec un haussement d’épaules. Rien de tout cela n’a de sens. J’ai arrêté de chercher.

— Mouvement, a lâché Vongsavath.

J’ai dégainé le pistolet à interface de la main droite et l’ai rejointe à l’ouverture. Le sol montait un peu à un mètre de l’ouverture et s’élevait comme un grand sourire avant de se rétrécir graduellement vers le plafond de chaque côté, pour se fermer sur un apex un peu arrondi. Il y avait deux mètres de couverture sans obstacle de chaque côté, et assez de place pour s’allonger sous le sol de l’ouverture. C’était un rêve de sniper.

Deprez s’est plié dans la couverture sur la gauche, le Sunjet levé à côté de lui. Je me suis accroupi à côté de Vongsavath.

— On aurait dit quelque chose qui tombait, a murmuré la pilote. Pas dans cette chambre. Peut-être celle d’après.

— OK.

J’ai senti le neurachem couler froidement contre mes membres, charger mon cœur. Content de savoir que, sous la fatigue écrasante de l’irradiation, les systèmes étaient encore opérationnels. Et après avoir lutté si longtemps contre des ombres, affronté des colonies de nanobes anonymes et les fantômes des défunts, humains ou non, la perspective d’un combat réel était presque plaisante.

Non, pas presque. Je sentais le plaisir qui me chatouillait l’estomac. La joie de tuer quelque chose.

Deprez a levé une main de la rampe de projection de son Sunjet.

Écoute.

Cette fois, j’ai entendu – un bruit de glissement discret dans la chambre. J’ai sorti mon autre pistolet à interface et me suis calé dans la couverture de la lèvre surélevée. Le conditionnement diplo a chassé toute tension de mes muscles, et l’a stockée en réflexes prêts à partir sous un calme de surface.

Quelque chose de pâle a bougé dans un espace de l’autre côté de la chambre. J’ai inspiré et commencé à viser.

C’est parti.

— Tu es là, Ameli ?

La voix de Schneider.

J’ai entendu le souffle de Vongsavath siffler à peu près en même temps que le mien. Elle s’est mise debout.

— Schneider ? Qu’est-ce que tu fous ? J’ai failli te descendre.

— Ha, c’est supersympa, ça. (Schneider est apparu dans l’ouverture et a enjambé la paroi. Son Sunjet était passé négligemment sur une épaule.) On se précipite à ton secours, et toi tu nous tires dessus pour nous remercier.

— C’est un autre archéologue ? a demandé Hand à sa suite.

Il tenait dans sa main droite un blaster, qui paraissait très déplacé. C’était la première fois, me suis-je rendu compte, que je voyais le cadre armé depuis que je le connaissais. Ça n’allait pas. C’était trop décalé par rapport à son aura de salle de réunion du XIXe siècle. La façade foutait le camp. C’était inapproprié, aussi dérangeant qu’un véritable reportage sur la guerre dans un numéro de recrutement de Lapinee. Hand n’était pas un homme qui utilisait lui-même des armes. Ou du moins, pas des armes aussi violentes qu’un blaster à particules.

Et puis, il a un sonneur dans la poche.

Récemment réveillé en vue du combat, le conditionnement diplo était mal à l’aise.

— Venez voir, ai-je suggéré en masquant mon inquiétude.

Les deux nouveaux arrivants nous ont suivis avec une absence de prudence blasée qui hurlait sur mes nerfs de combat. Hand s’est appuyé sur l’entrée du tunnel et a regardé le cadavre. Ses traits étaient cendreux. Empoisonnement aux radiations, et c’était la première fois que je le remarquais. Il paraissait penser consciemment à sa démarche, comme s’il ne savait plus combien de temps il tiendrait. Il avait un tic au coin des lèvres, qui n’était pas là à notre arrivée sur le vaisseau. À côté de lui, Schneider paraissait péter la forme.

J’ai étouffé cette étincelle de compassion. Bienvenue au club, connard. Bienvenue au point zéro de Sanction IV.

— Il est en combinaison.

— Finement observé.

— Comment est-il mort ?

— Mystère. (J’ai senti une autre vague de fatigue me tomber dessus.) Et pour être honnête, je n’ai pas le courage de faire une autopsie. On répare la bouée, et on fout le camp.

Hand m’a lancé un regard étrange.

— Il faut qu’on le rapporte.

— Alors vous me donnez un coup de main. (Je suis retourné à côté du corps et j’ai saisi une jambe.) Attrapez l’autre pied.

— Vous allez le traîner ?

— Nous, Hand. Nous allons le traîner. Ça ne le dérangera pas.

 

Il nous a fallu presque une heure pour rapporter le corps, dans le dédale de tuyaux tordus et de chambres surélevées. Le plus clair de ce temps a passé à chercher les boulettes et les flèches d’illuminum de notre cartographie d’origine, mais le mal des radiations a fait son œuvre entre-temps. À différents moments du trajet, Hand et moi avons été pris de vomissements, et avons dû abandonner le transport du corps à Schneider et Deprez. Les dernières victimes de Sauberville arrivaient au terme de leur sursis. Je pensais que même Deprez, dans son enveloppe résistante aux radiations, avait l’air malade. Nous avons fini par arriver au hangar. Maintenant que je la regardais vraiment, dans la lumière bleutée, Vongsavath avait la même pâleur grisâtre et les yeux marqués.

Tu vois ? a murmuré ce qui aurait pu être Sémétaire.

J’avais l’impression, lourde et malsaine, que quelque chose attendait dans les hauteurs rebondies de l’architecture du vaisseau, planant sur ses ailes parcheminées.

Quand le transport a été fini, j’ai regardé dans la lumière violette antiseptique du placard à cadavres. Les silhouettes étalées, en combinaison, ressemblaient à une mêlée de joueurs de crashball zéro G avec trop de protections, écroulés les uns sur les autres, quand le champ s’arrête et que les lumières reviennent à la fin d’un match. Les sacs contenant les restes de Cruickshank, Hansen et Dhasanapongsakul étaient presque hors de vue.

Mourant…

Pas encore mourant…

Le conditionnement diplo, inquiet d’un truc encore irrésolu, ne se décidait pas.

Le sol, c’est pour les morts. J’ai vu le tatouage à l’illuminum de Schneider comme un fanal derrière mes yeux. Son visage, méconnaissable, tordu par la douleur de ses blessures.

Des morts ?

— Kovacs ? (C’était Deprez, debout derrière moi.) Hand veut qu’on retourne tous à la plate-forme. On emporte de la nourriture. Tu viens ?

— Je vous rattrape.

Il a hoché la tête avant de redescendre dans le hangar. J’ai entendu des voix, et fait de mon mieux pour les oublier.

Mourant ?

Le sol, c’est

Des volutes de lumière autour d’un affichage de spirale

La porte…

La porte, vue par les hublots du cockpit de la Nagini

Le cockpit…

J’ai secoué la tête, énervé. L’intuition diplo n’était pas fiable, et une pleine dégringolade avec une surdose de radiations n’est pas l’idéal pour y faire appel.

Pas encore mourant.

J’ai abandonné l’idée de comprendre, et laissé le flou artistique m’envahir, pour voir où il m’amènerait.

La lumière violette du placard à cadavres qui m’appelle.

Les enveloppes abandonnées à l’intérieur.

Sémétaire.

 

Le temps que je revienne à la plate-forme, le dîner était presque fini. Sous les deux Martiens momifiés, le reste de la compagnie était assis autour de la bouée dénudée, sur des fauteuils gonflables, chipotant sans enthousiasme dans les restes de rations autochauffantes. Je les comprenais – dans mon état, l’odeur de ce machin suffisait à me donner des haut-le-cœur. Je me suis un peu étranglé, puis j’ai levé les mains quand le bruit a poussé tout le monde à sortir son arme.

— Eh, c’est moi.

Armes rangées avec des grognements. Je me suis inséré dans le cercle, en cherchant un siège. Un par personne, à peu près. Jiang Jianping et Schneider étaient tous les deux assis par terre. Jiang en tailleur, et Schneider étalé devant le siège de Tanya Wardani avec un air de propriétaire qui me mettait les nerfs en pelote. J’ai repoussé un plat qu’on me proposait et je me suis assis à côté du siège de Vongsavath. J’aurais aimé me sentir plus d’attaque pour ce qui allait suivre.

— Qu’est-ce qui t’a retenu ? a demandé Deprez.

— Je réfléchissais.

Schneider a ri.

— Putain, c’est pas bon pour la santé. Tiens. (Il a fait rouler dans ma direction une canette de cola aux amphétamines. Je l’ai arrêtée du pied.) Tu te rappelles ce que tu m’as dit à l’hôpital ? « Ne pense pas, soldat – tu n’as pas lu les modalités de ton recrutement ? »

Cela a suscité quelques sourires. J’ai opiné.

— Quand est-ce qu’il arrive, Jan ?

— Hein ?

— J’ai dit… (Je lui ai renvoyé la canette. Sa main a surgi pour l’attraper. Très très vite.) Quand est-ce qu’il arrive ?

Toutes les conversations étaient retombées, comme la seule tentative de raid aérien sur Millsport. Descendues au blaster à particules par le bruit de la canette et le silence soudain qui l’a retrouvée dans le poing de Schneider.

Son poing droit. Sa main gauche, vide, était un peu trop lente, se tendant vers son arme une fraction de seconde après que mon Kalach s’est braqué sur lui. Il l’a vu, et s’est figé.

— Non, lui ai-je dit.

À côté de moi, j’ai senti Vongsavath qui cherchait encore le sonneur dans sa poche. J’ai posé ma main vide sur son bras et secoué la tête. Mis un peu de persuasion diplo dans ma voix.

— Laisse, Ameli. Ça ira.

Son bras est retombé. J’ai scanné les autres en périphérique, et tout le monde paraissait attendre, pour l’instant. Même Wardani. Je me suis un peu détendu.

— Quand est-ce qu’il arrive, Jan ?

— Kovacs, je ne sais pas ce que t…

— Bien sûr que si. Quand est-ce qu’il arrive ? À moins que tu ne tiennes pas à tes deux mains ?

— Qui ?

— Carrera. Quand est-ce qu’il arrive, Jan ? Dernière chance.

— Je ne…

La voix de Schneider s’est transformée en cri aigu, quand le pistolet à interface lui a creusé un trou dans la main et a transformé la canette qu’il tenait en éclats de métal. Le sang et le cola aux amphétamines ont giclé dans l’air, d’une couleur étrangement similaire. Des gouttelettes ont atteint Tanya Wardani au visage, et elle a grimacé.

Ce n’est pas un concours de popularité.

— Qu’y a-t-il, Jan ? ai-je demandé gentiment. L’enveloppe que Carrera t’a donnée n’est pas douée pour les réactions d’endorphine ?

Wardani était debout, le visage encore souillé.

— Kovacs, il est…

— Ne me dis pas que c’est la même enveloppe, Tanya. Tu l’as baisé, maintenant et il y a deux ans. Tu sais.

Elle a secoué la tête, vide.

— Le tatouage…

— Le tatouage est tout neuf. Trop lumineux, même pour de l’illuminum. Il l’a fait refaire, ainsi que quelques trucs d’opérations d’esthétique qui faisaient partie du deal. Hein, Jan ?

Schneider se contentait de grogner de douleur. Il tenait sa main brisée à bout de bras, et la regardait sans y croire. Le sang a goutté sur le pont.

Et j’étais si fatigué…

— Je pense que tu t’es vendu à Carrera pour échapper à l’interrogatoire virtuel, ai-je dit tout en scannant en périphérique les réactions de l’auditoire. Je te comprends. Et s’ils t’ont proposé une enveloppe de combat toute neuve, avec résistance rad-chem et l’apparence sur mesure… j’admets, ce n’est pas courant sur Sanction IV, en ce moment.

— Vous avez des preuves ? a demandé Hand.

— À part le fait que c’est le seul d’entre nous à ne pas devenir gris, vous voulez dire ? Regardez-le, Hand. Il a tenu mieux que les enveloppes maories, et elles sont construites pour ce genre de saloperies.

— Je ne dirais pas que c’est une preuve, a dit Deprez, pensif. Même si c’est effectivement étonnant.

— Il ment, putain, a lâché Schneider entre ses dents. Si quelqu’un bosse pour Carrera en sous-main, c’est Kovacs. Samedi chéri, c’est un lieutenant des Impacteurs.

— Fais attention, Jan.

Schneider m’a foudroyé du regard, gémissant de douleur. De l’autre côté de la plate-forme, j’ai cru entendre les brins-de-chant s’en faire l’écho.

— Que quelqu’un me donne un putain de bandage.

Sun a tendu la main vers son médipack. J’ai secoué la tête.

— Non. D’abord il me dit dans combien de temps Carrera traverse la porte. Il faudra qu’on soit prêts.

Deprez a haussé les épaules.

— Sachant tout cela, nous ne sommes pas encore prêts ?

— Pas pour les Impacteurs.

Wardani a rejoint Sun et lui a pris le médipack.

— Donne-moi ça. Si les connards en uniforme refusent de me faire, je m’en chargerai moi-même.

Elle s’est agenouillée à côté de Schneider et a ouvert le paquet, répandant tout le contenu par terre pour trouver les bandages.

— Les étuis verts, là, a dit Sun sans rien pouvoir faire.

— Merci. (Tanya m’a lancé un seul regard.) Et maintenant, Kovacs ? Tu m’estropies aussi ?

— Il nous aurait tous vendus, Tanya. Il l’a déjà fait.

— Tu n’en sais rien.

— Je sais qu’il a réussi à survivre deux semaines à bord d’un vaisseau-hôpital à accès restreint sans aucun document légitime. Je sais qu’il a réussi à entrer dans les quartiers des officiers sans passe.

Le visage de Tanya Wardani s’est tordu.

— Je t’emmerde, Kovacs. Quand nous étions dans les fouilles à Dangrek, il nous a eu au flan une alimentation en électricité de neuf semaines auprès des autorités de Sauberville. Sans aucun document.

Hand s’est raclé la gorge.

— J’aurais cru…

Le vaisseau s’est illuminé autour de nous.

Cela s’est déversé par l’espace sous le dôme, des fragments de lumière soudaine gonflant pour devenir des blocs solides de couleur transparente, en rotation autour de la structure centrale. Des décharges crachaient dans l’air entre les couleurs, des lignes d’énergie délogées comme des voiles par grand vent, arrachées à la structure. Des fontaines de ce truc se déversaient depuis les niveaux supérieurs de la lumière en rotation, en expansion. Le pont était éclaboussé, et s’animait d’une lueur intérieure, plus vive aux endroits touchés. Au-dessus, les étoiles se sont estompées. Au centre, les cadavres momifiés des Martiens ont disparu, baignés dans l’orage lumineux. Il y avait un bruit dans tout cela, mais moins entendu que ressenti par ma peau noyée de lumière. Un martèlement montant qui faisait vibrer l’air. Le rush d’adrénaline au début du combat.

Vongsavath m’a touché le bras.

— Regarde dehors, a-t-elle dit avec urgence. Regarde la porte !

Elle était à côté de moi, mais on aurait cru qu’elle criait dans la tempête.

J’ai relevé la tête et poussé le neurachem pour voir au travers des courants de lumière tourbillonnants. Au début, je n’ai pas compris ce dont Vongsavath me parlait. Je ne voyais pas la porte, et je me suis dit qu’elle devait être de l’autre côté du vaisseau, pour terminer une orbite de plus. Puis j’ai fait le point sur une vague tache de gris, trop pâle pour être…

Et j’ai compris.

La tempête de feu et de lumière ne se cantonnait pas à l’air sous le dôme. L’espace autour du vaisseau martien était aussi vivant. Les étoiles étaient réduites à des lueurs diffuses sous un rideau scintillant et flou, à plusieurs kilomètres de l’orbite de la porte.

— C’est un bouclier, a tranché Vongsavath. On nous attaque.

Au-dessus de nos têtes, la tempête se calmait. Des taches d’ombre se mêlaient à la lumière, se dispersaient dans les coins comme des bancs de fretin argenté, et partout ailleurs explosaient en une lente spirale descendante pour prendre place sur une centaine de niveaux différents autour des cadavres martiens de nouveau visibles. Des éclats de lumière séquencés clignotaient aux angles des champs atténués de perle et de gris. Le battement s’est éteint, et le vaisseau a commencé à communiquer en syllabes plus définies. Des notes flûtées ont retenti sur la plate-forme, intercalées de pulsations sonores plus profondes.

— C’est… (Mon esprit est revenu à l’étroite cabine du chalutier, la lente spirale de données, les taches de données balayées dans un coin.) C’est un système de données ?

— Finement observé. (Tanya Wardani s’est avancée sous les traînées de lumière et a désigné le motif d’ombre et de lumière autour des deux cadavres. Elle avait une expression de bonheur total.) Un peu plus complet qu’un système holo de bureau, hein ? Je pense qu’il s’agit des contrôles principaux. Dommage qu’ils ne soient plus en état de l’utiliser, mais le vaisseau doit être capable de se débrouiller.

— Ça dépend de ce qui arrive, a dit Vongsavath d’un air sombre. Regardez les écrans supérieurs. L’arrière-plan gris.

J’ai suivi son bras. Très haut, près de la courbure du dôme, une surface perlée de dix mètres de côté affichait une version laiteuse des étoiles estompées par le bouclier.

Quelque chose se déplaçait, fin comme un requin et anguleux.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? a demandé Deprez.

— Vous ne devinez pas ? (Wardani frissonnait presque de ce qui se déroulait en elle. Elle était au centre de notre attention.) Regardez. Écoutez le vaisseau. Il est en train de vous dire ce que c’est.

Le système martien continuait à parler, dans un langage que personne n’était équipé pour comprendre, mais avec une tension universellement compréhensible. Les éclats de lumière – technoglyphes numéraux me sont passés en tête, comme une certitude ; c’est un compte à rebours. Des cris de combat montaient et descendaient bien au-delà du répertoire humain.

— Intrusion, a dit Vongsavath, hypnotisée. On s’apprête à attaquer ce qui se trouve dehors. Systèmes de combat automatisés.

La Nagini

Je me suis retourné.

— Schneider ! ai-je hurlé.

Mais Schneider était parti.

— Deprez, ai-je crié par-dessus mon épaule, en courant déjà. Jiang. Il va chercher la Nagini.

Le ninja était déjà à ma hauteur quand je suis arrivé à la spirale descendante, et Deprez quelques pas en arrière. Les deux ont sorti leur Sunjet, la crosse repliée pour plus de maniabilité. Au fond de la colonne, j’ai cru entendre tomber quelqu’un. J’ai senti un grondement de loup me traverser.

Une proie !

Nous avons couru, glissant et trébuchant sur la pente jusqu’à ce que nous atteignions le fond et la première pièce, vide et marquée par nos soins. Il y avait du sang sur le sol, là où Schneider était tombé. Je me suis accroupi à côté, et j’ai senti mes lèvres se retrousser. Une fois debout, j’ai regardé mes deux compagnons.

— Il ne va pas aller très vite. Ne le tuez pas si vous pouvez faire autrement. On cherche encore des réponses sur Carrera.

— Kovacs !

La voix de Hand, de tout en haut, criant de fureur réprimée. Deprez m’a lancé un sourire. J’ai secoué la tête et couru vers la chambre suivante.

En chasse !

Il n’est pas facile de courir quand chaque cellule de votre corps essaie de mourir, mais les gènes de loup et tous les biotechs des Impacteurs sont revenus à la surface, au milieu de la nausée, et ont chassé la fatigue d’un grondement. Le conditionnement diplo en a profité pour revenir en force.

Vérifiez la fonctionnalité.

Merci, Virginia.

Autour de nous, le vaisseau a frémi et s’est complètement réveillé. Nous avons traversé au pas de course des couloirs où battaient des anneaux séquencés de lumière violette que j’avais vue sur la porte quand elle s’était ouverte. Dans une salle l’une des machines au dos hérissé s’est avancée pour nous intercepter, sa façade affichant plusieurs technoglyphes et lâchant des sons doucereux. J’ai fait un petit geste, et les pistolets intelligents étaient dans ma main. Deprez et Jiang à mes côtés. L’impasse a tenu un moment, puis la machine s’est écartée avec des bruits déçus.

Nous avons échangé un regard. Au-delà de mon souffle horriblement court et du battement infernal dans mes tempes, j’ai découvert que ma bouche s’était retroussée en sourire.

— Allez.

Une dizaine de salles et de couloirs plus loin, Schneider s’est avéré plus intelligent que je n’avais pensé. Tandis que Jiang et moi faisions irruption dans une bulle, un tir de Sunjet a craché et craqué depuis la sortie opposée. J’ai senti la brûlure d’un coup raté de peu sur ma joue, puis le ninja à mon côté m’a mis au sol d’un geste du bras. Le coup suivant a fendu l’air à l’endroit où je me tenais. Jiang, touché, a roulé à côté de moi. Il a regardé sa manche calcinée avec un certain dégoût.

Deprez s’est arrêté net dans l’ombre de l’entrée, l’œil tourné vers le système de visée de son arme. Le tir de barrage qu’il a fait pleuvoir sur les bords du point d’embuscade de Schneider – j’ai plissé les yeux – n’a fait aucun dégât au matériau du vaisseau. Jiang a roulé sous le mitraillage et a trouvé un angle plus étroit sur le couloir. Il a tiré une fois, observé attentivement, et secoué la tête.

— Parti, a-t-il annoncé en se mettant sur ses pieds, la main offerte pour me relever.

— Je, euh, merci. (Je me suis remis debout.) Merci pour le coup de main.

Il a hoché la tête et est reparti en courant. Deprez m’a donné une tape sur l’épaule et l’a suivi. J’ai secoué la tête pour m’éclaircir les idées avant de les suivre. À la sortie, j’ai posé la main sur l’endroit où Deprez avait tiré. Ce n’était même pas chaud.

L’inducteur a vibré contre ma gorge. La voix de Hand a percé dans les interférences statiques. Jiang s’est figé devant nous, la tête penchée.

— …cas, ré… moi …nant. …pète, ré… nant…

— Négatif, répétez, a dit Jiang en espaçant ses mots.

— …iiiis… port, main…

Jiang m’a regardé. D’un geste de la main, j’ai défait mon inducteur. Index tendu en avant. Le ninja a débloqué sa posture et a repris la course, fluide comme un danseur de Corps total. Un peu moins gracieux, nous l’avons imité.

Schneider nous avait distancés. Nous avancions plus lentement, abordant les entrées et les sorties des chambres à la manière traditionnelle des commandos. Deux fois, nous avons repéré un mouvement devant nous et avons dû progresser lentement. Les deux fois, ce n’était qu’une machine réveillée qui traversait les salles vides en chantant seule. L’une d’elles nous a suivis un moment, comme un chien cherchant un maître.

À deux salles du hangar, nous avons entendu les moteurs de la Nagini se mettre en route. Toute prudence s’est évaporée. J’ai couru aussi vite que je le pouvais, d’un pas trébuchant. Jiang m’a dépassé, puis Deprez. Faisant de mon mieux pour les rattraper, je suis tombé, avec une crampe, saisi de nausées, au milieu de la dernière pièce. Deprez et le ninja étaient à vingt mètres de moi quand ils sont entrés dans le hangar. J’ai essuyé un filet de bile sur mes lèvres et me suis redressé.

Un cri aigu, percutant, une détonation, comme des freins qu’on aurait appliqués à tout l’univers.

La batterie ultravib de la Nagini utilisée en espace clos.

J’ai lâché mon Sunjet, plaqué les deux mains sur mes oreilles, et le cri s’est arrêté aussi soudainement qu’il avait commencé. Deprez est revenu dans la pièce, sans Sunjet, couvert de sang des pieds à la tête. Derrière lui, le gémissement des moteurs de la Nagini est devenu rugissement, tandis que Schneider mettait la poussée et la faisait sortir. Une détonation d’air dérangé dans les couches d’atmosphère, canalisée par le hangar et me soufflant au visage comme un vent chaud. Puis rien. Un silence douloureux, tendu par le bourdonnement de mes oreilles meurtries qui cherchent à surmonter l’absence de bruit.

Dans le silence, j’ai repris mon Sunjet et j’ai rejoint Deprez, écroulé au sol, le dos contre le mur. Il regardait ses mains sans comprendre d’où provenait le sang qui les couvrait. Son visage était strié de la même façon. Sous le sang, son treillis caméléochrome prenait déjà une couleur adaptée.

J’ai fait un bruit et levé les yeux.

— Jiang ?

— Ça…

Il a levé les mains vers moi, et ses traits se sont tordus un moment, comme le visage d’un bébé qui se demande s’il va pleurer. Les mots étaient hachés, comme s’il fallait qu’il s’arrête pour les assembler.

— C’est. Jiang. C’est… (Ses poings se sont serrés.) Putain !

Contre ma gorge, l’inducteur vibrait, impuissant. De l’autre côté de la chambre, une machine a bougé et s’est moquée de nous.

Anges Déchus
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