En guise de conclusion
 
Quelques pistes pour l’avenir…

La société est aujourd’hui particulièrement violente. Mais est-ce vrai ? On sous-estime beaucoup des phénomènes d’autrefois qui ne faisaient pas de la société un havre de paix : les crimes de sang y étaient plus nombreux qu’aujourd’hui, les phénomènes de bandes de jeunes, les troubles provoqués par les manifestations d’étudiants – bien avant 1968 –, sans compter les actes peu recensés comme les violences familiales. Et si l’on remonte dans l’histoire, on doit parler des périodes de guerre, des mouvements révolutionnaires sanglants du XIXe siècle ou des « émotions populaires » et jacqueries de l’Ancien Régime, époque où les simples fêtes de villages tournaient parfois au pugilat avec la maréchaussée royale…

 

Alors, quelle police pour la société de demain ? Il est très difficile d’en définir le modèle idéal. Chaque territoire ou catégorie de population a ses caractéristiques et il n’est pas aisé de s’adapter à des situations diversifiées à l’infini.

J’observe qu’aujourd’hui deux concepts sont en concurrence. L’un privilégie la présence continue, la connaissance directe de la population, le contact individualisé avec le citoyen, la connaissance fine du terrain, des quartiers et des espaces. L’autre met l’accent sur la concentration des forces, l’intervention, l’action énergique ponctuelle sans s’attacher à un territoire particulier. Disons-le, ces deux modèles ont leur logique et leur nécessité. Ils devraient être complémentaires mais sont en réalité en concurrence, compte tenu de la rareté de la ressource budgétaire.

Par ailleurs, le renseignement ou l’information générale, peu importe l’intitulé, doit être considéré comme un instrument fondamental de la connaissance des phénomènes sociétaux. Au-delà du terrorisme, du contre-espionnage, de la lutte contre la grande criminalité, il existe un besoin spécifique de connaissance des faits sociaux pour permettre au pouvoir exécutif de prendre les décisions en toute connaissance de cause. Je crois qu’il est nécessaire de renforcer cette capacité d’appréciation des phénomènes collectifs non seulement en raison du développement des réseaux sociaux et des technologies de diffusion de l’image mais aussi parce que la période de faible croissance économique et de tensions budgétaires pourrait conduire à des risques sociaux comme nous n’en avons plus connus depuis longtemps.

Cela ne nécessite pas de disposer exclusivement de policiers. Je crois que le renseignement, aujourd’hui, a besoin de la contribution de « civils », analystes, sociologues, linguistes, etc., capables d’apporter un éclairage qui affine les évolutions et les risques à venir. D’une manière générale, je dirai qu’un gouvernement démocratique, quel qu’il soit, ne peut pas sous-estimer l’importance et la qualité de ce que j’appellerai le « renseignement sociétal » dont le champ couvre la compréhension et le déchiffrement des faits économiques, sociaux et culturels de notre époque.

 

Et ceci nous conduit à l’autre volet de la sécurité de demain avec cette question : quelle est la forme que prend le terrorisme ? Dès la période 1989-2001, il a perdu tout aspect marginal pour devenir la préoccupation centrale en matière de sécurité pour les gouvernements. Il revêt les caractéristiques de ce qu’était la guerre autrefois mais avec des formes ramifiées, plus difficiles à saisir. Les méthodes de guerre contre le terrorisme sont connues, il s’agit de pénétrer les réseaux, d’agir par anticipation, de cerner les menaces, de surveiller son fonctionnement économique à la fois puissant par la masse d’argent à l’échelle planétaire et très faible au regard de l’ampleur des actions.

La coordination dans cette lutte est, de l’avis de tous, très bien organisée en France. On peut considérer qu’au fil des années les services en charge ont empêché de se réaliser au moins une ou deux actions d’envergure par an. De façon permanente, les services concernés agissent par des mesures rigoureuses : démantèlement de réseaux, reconduites à la frontière, contrôles fiscaux très appuyés. L’objectif est la neutralisation et la déstabilisation des terroristes potentiels. Ou alors, ils « tombent » pour d’autres raisons : fraude fiscale ou vol, par exemple.

Le terrorisme peut recruter dans ces collectivités humaines déracinées, mal à l’aise, malheureuses. C’est vrai en France, en dépit d’un système social de soutien très actif et très présent, c’est encore plus vrai ailleurs. Dans certains pays du Maghreb, on peut voir à la périphérie des villes les banlieues-bidonvilles où des populations vivent dans la misère. C’est là que peuvent se mobiliser les extrémistes qui utilisent finalement la ceinture explosive.

En France, un tel risque existe-t-il ? On ne peut jamais prévoir exactement comment vont évoluer les esprits et rien ne peut être exclu. Les islamistes radicaux se resserrent autour de noyaux durs, et surtout qu’ils tiennent de moins en moins leurs enfants. À ces éléments s’ajoutent des facilités inimaginables autrefois : la possibilité d’acheter des kalachnikovs à vil prix en Europe centrale, en Tchétchénie notamment. Ces kalachnikovs, cachées dans quelques caves de banlieues, pourraient sortir un jour et être utilisées délibérément contre les policiers. Elles ont déjà servi dans la lutte entre trafiquants de drogue : kalachnikov contre pistolet-mitrailleur Thomson… Il existe donc, dans ces banlieues, des potentiels de violence fondés sur un ensemble de facteurs qui requièrent une attention particulière.

Le terrorisme ne va pas disparaître de sitôt. La mort de Ben Laden, n’est pas un élément d’apaisement, tout au contraire. Désormais, les actions risquent d’être plus diluées, plus « rampantes », commises par des groupes de plus en plus restreints qui, par leur capacité de dissimulation, rendent difficiles les recherches policières. On est loin de pouvoir exclure de nouveaux attentats. Mais il faut continuer la lutte contre les extrémismes, vent debout, définir un axe, celui de la Liberté, celui du combat, celui du triomphe.

Ainsi, rappelons les mesures de sécurité les plus fermes qui s’imposent, à travers trois éléments primordiaux. D’abord, identifier la menace. L’actualité bouge en ces domaines à partir de prises de position de la France à l’étranger ou d’actions qu’elle y conduit. Ensuite, appréhender cette menace dans sa globalité et sous tous ses aspects. Enfin, prendre en compte que le terrorisme est une manifestation extrême, mais qu’il traduit le dérèglement de notre société, laquelle pourrait basculer rapidement dans le chaos à la faveur d’un événement déclenchant.

C’est à ce prix que, tous ensemble, nous défendrons nos libertés.



[1] Joëlle Aubron est morte d’un cancer en 2006, Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan bénéficient d’un régime de semi-liberté depuis 2007, Georges Cipriani est en libération conditionnelle depuis 2011.

[2] Condamnée à vingt ans de réclusion criminelle, Florence Rey a été libérée en mai 2009.

[3] Cité par Isabelle Renoir, secrétaire général de la Défense nationale, dans un article sur « Le Renseignement », Cahiers de la sécurité intérieure.