Ils revenaient du futur...
A peine croyable ! Eux-mêmes en doutaient, par moments... Pourtant, Je cadavre d'Oanoa... Non, ce n'était pas une preuve... Ils l'avaient vu... Mais le corps de celle qui s'était sacrifiée pour les sauver était resté dans ce temps autre auquel ils avaient, eux, échappé en absorbant l'une des pastilles que la jeune femme avait .données à Born. Les seules preuves étaient les choses tangibles comme l'appareil, le petit tube métallique avec les mystérieuses pilules qu'il contenait encore...
Des preuves largement suffisantes ! Mais Born et Parker, surtout Born, avaient l'impression, à cause de la disparition de son corps, que la jeune femme était morte deux fois...
Difficile à admettre qu'elle n'avait pas dis226 LES RESCAPFS DU FUTUR Ireparu, puisqu'elle n'avait jamais existé dans le temps de la Terre.
Ils avaient craint une nouvelle intervention des Médiens en parvenant à proximité de la Terre. Voumou et les siens n'étaient pas apparus. Born et Parker en avaient d'abord éprouvé quelque surprise. Puis, ils avaient pensé que c'était normal. Ils avaient absorbé les pastilles à une distance encore grande de la Terre. Le rajeunissement cosmo-physiologique annoncé par Oanoa s'était opéré pour eux en même temps que disparaissait le corps de la jeune femme. Changement de temps... Pour nie les combattre, Voumou aurait été obligé de changer de temps, lui aussi... Il le pouvait.
Mais les deux Terriens pouvaient dès lors compter sur l'appui de leurs semblables...
Abel Brouker, Lou Montoya, Maurice Vaolour, Lise Parker qui ne lâchait pas la main de son époux, et quelques autres, les avaient oaccueillis avec un enthousiasme mêlé de stupeur; puis ils les avaient écoutés, et leur surprise n'avait fait que croître, d'explication en explication, de révélation en révélation...
Tout était sujet à stupéfaction... Depuis l'existence de la base terrestre jusqu'à celle, sur Céres, de descendants de Terriens disparus longtemps auparavant... Depuis l'existence sur le gros astéroïde d'une race humanoïde à la civilisation techniquement très avancée, vivant dans un autre temps, et celle de ce groupe que dirigeait Oanoa, dont certains membres avaient su aller jusqu'au suprême sacrifice.
— Ce groupe d'opposants, avait expliqué Valéry Born, était dirigé par Oanoa. Sa constitution n'avait été motivée que par un fait ; les projets médiens vis-à-vis de la Terre ; projets qui ne pouvaient recevoir l'agrément de ceux qui avaient des attaches avec notre planète... Cela heurtait leur sensibilité, leur sentimentalité... La plupart d'entre eux, j'imagine, n'étaient jamais venus sur Terre. Mais tous se sentaient une certaine affection pour cette planète où étaient nés et avaient vécu leurs aïeux... Tout ceci créa un mouvement de solidarité... Ils s'organisèrent, chaque jour un peu mieux, s'entraînèrent au pilotage des appareils, au maniement des armes, firent en sorte d'occuper des postes d'où ils pouvaient exerlicer une certaine surveillance, être au courant, immédiatement, des nouvelles concernant ce projet qu'ils voulaient combattre. Ainsi, Oanoa n'était apparemment qu'une femme de chambre, mais ce déguisement cachait un chef, et un spécialiste des affaires cosmiques...
PL,Lou Montoya avait demandé : — Comment pensaient-ils intervenir?
— Je l'ignore. Nous n'avons pas eu le ihtemps d'être mis au courant de tous les détails... Je pense que notre arrivée sur Céres constitué le fait nouveau qui leur a permis l"asser à l'action. L'occasion rêvée ! Voumou a indubitablement commis une faute grave en décidant de nous transférer là-bas..., mais il est vrai qu'il ne savait rien, pas plus que son propre gouvernement, de l'existence de cette opposition... En nous libérant, Oanoa et ses sympathisants faisaient d'une pierre deux coups : on nous sauvait, et on compromettait gravement Je projet médien... Reste à définir maintenant ce que nous pouvons faire pour nous défendre, ou plutôt pour parer le coup...
C'était à cela qu'ils pensaient tous maintenant.
Le danger était réel, et sans doute imminent.
Loin d'être un simple relais sur la route spatiale des autres planètes internes, comme Ilr l'avait prétendu Vournou, la base aménagée dans la Fosse de Porto-Rico était un avantposte d'où allait partir une vaste opération.
Une opération imparable...
le Il s'agissait de conquérir la Terre, de la coloniser... Non par la force, comme l'avait supposé Born lorsque la jeune femme lui avait révélé le projet des Médiens. Ces derniers disposaient d'autres armes, qui leur permettaient d'éviter une lutte ouverte. Il s'agissait de saper toute l'économie terrestre, de paralyser toute l'industrie, tous les moyens de production... De réaliser en somme un biocus économique devant lequel les Terriens se seraient trouvés désarmés, privés de tout moyen de réaction... Réduite à ce marasme total, menacée par la famine, la Terre n'aurait pu qu'abdiquer devant l'envahisseur et accepter ses volontés.
Nous avons pu constater sur Céres, commenta jef Parker, que le problème démographique qui se pose aux Médiens est extrêmement sérieux. Céres n'est plus qu'une ville énorme, et c'est le même cas sans doute sur tous les astéroïdes du Ceinturon où les Médiens ont été peu. à peu contraints d'immigrer. Trouver d'autres terrains d'extension est une nécessité absolue...
Et la Terre était naturellement l'endroit rêvé ! relativement proche, réunissant des conditions de vie parfaitement adaptées aux organismes des Médiens, et offrant de vastes zones encore peu peuplées, que la technique médienne aurait tôt fait d'aménager, d'améliorer... Le projet avait lentement pris tournure...
La terre était habitée ? Ce n'était pas un handicap. 11 fallait neutraliser ses habitants, les réduire à l'impuissance, s'imposer... Après, on verrait dans quelles conditions pouvait s'instituer une coexistence entre Terriens et Méiens... Le plus important était de se rendre d'abord maître de la planète.
Les bases en étant jetées, on était passé à l'exécution de ce programme immense. Le refuge sous-marin de l'Atlantique avait été installé, puis agrandi sans cesse... Oanoa avait prétendu que la base de Porto-Rico était d'ores et déjà capable d'accueillir puis de ventiler en divers points stratégiques quelque deux mille spécialistes dans un délai très court...
C'était suffisant pour paralyser les grands ensembles, et sans doute pour passer à des actions de moindre envergure avant que les Terriens aient pu trouver une solution à un problème qui prendrait très vite des proportions affolantes.
—Il faut tenir compte du fait que les Médiens ne se révéleront vraiment à nous que lorsqu'ils nous auront à leur merci. Ils ne courent ainsi aucun risque ! En effet, insista Born, certains d'entre eux ne se transposeront à notre époque que pour nous mettre le marché en main : accepter qu'ils occupent un espace qui nous appartient, en jouant dès lors un rôle primordial dans les affaires terrestres, ou mourir à petit feu ! Dans un lent étouffement... Nous n'aurons pas le choix !
—je n'aime guère votre façon de vous exprimer au futur, observa Abel Brouker, misévère, mi-badin.
—Une mauvaise habitude que nous venons de contracter ! plaisanta Born.
Evidemment, fit Montoya. Il serait plus juste de dire que nous n'aurions pas le choix...
Mais nous sommes prévenus, et nous disposons en outre, déjà, d'un appareil capable de nous amener jusqu'à la base secrète : cette pyramide à bord de laquelle vous êtes revenus !... I1 reste encore, bien sûr, à amplifier nos moyens d'attaque. Car il ne s'agit pas de nous défendre, mais bien d'attaquer ! Cette pyramide n'est sans doute que l'embryon des moyens énormes qui devront être mis en œuvre, très vite, pour réduire à néant les ambitions médiennes...
Il y eut un murmure d'approbation.
—Pour ma part, ajouta Montoya, je ne suis pas fâché de constater que c'est un problème qui intéresse la Défense en premier lieu !
Nous ne sommes ni des stratèges ni des guerriers, et je crois que nous avons eu notre part de problèmes !
Ils rirent. Cela détendit l'atmosphère.
Marianne venait de lui servir un scotch.
Elle s'assit devant lui, soupira : —je n'y comprends rien.
—A quoi ? demanda Lou.
A tout..., à rien ! C'est cela, je ne comprends rien à rien !
Iviontoya sourit.
—L'opération prévue par les Médiens ?
Leur invulnérabilité 711..
Elle acquiesça.
C'est assez simple... Pour nous, les Médiens n'existent pas tant qu'ils ne passent pas dans notre propre temps, ou plutôt nous n'existons pas encore, nous, par rapport à eux, puisqu'ils vivent dans un temps en avance sur le nôtre... De toute façon, il est impossible de se défendre contre quelqu'un qui n'existe pas !... En revanche, ils peuvent agir sur les objets qui constituent leur cadre aussi bien que le nôtre, et, étant en avance sur nous, ils peuvent évidemment « prévenir » tous nos actes, les vouer d'avance à l'échec... Ce principe de l'a priori appliqué à l'ensemble des moyens de production entraîne des conséquences catastrophiques pour nous : une stratégie qui consiste en l'annulation anticipée de toute oeuvre positive, celle-ci devenant automatiquement nulle ou négative...
La jeune femme fit une grimace amusante.
—Pas tellement simple! dit-elle.
—Oui et non, admit Lou Montoya. En fait, le contrôle de toute chose nous aurait échappé... 11 suffisait pour cela que les Médiens, au lieu de se cantonner dans leur base secrète, dans un cadre artificiel qu'ils se sont créé et qui est donc érent du nôtre, se soient mis à agir directement sur tout ce qui nous entoure... Tu crois me servir un scotch et le liquide que tu as pris se répand sur le sol parce que le verre dans lequel tu le verses est « déjà brisé De comprends-tu 7... Ce n'est qu'un exemple, un peu ridicule sans doute, mais en. le généralisant, on parvient à la catastrophe qui nous guettait...
Marianne avait instinctivement jeté un coup d'oeil au verre que tenait Lou. Ils éclatèrent de rire.
Combien de temps y avait-il qu'ils n'avaient ri de si bon coeur? Les jours passés avaient été un cauchemar...
Born et Parker enfin revenus ; sauvés... Rescapés du futur...