CHAPITRE XX

La pyramide avait survolé, à basse altitude, une ville immense avant de se poser sur la pelouse en terrasse de l'un des immeubles.

A priori, rien ne Te distinguait vraiment des édifices voisins, à part peut-être sa hauteur, légèrement supérieure à la moyenne. Et encore était-ce difficile de juger à cause de la perspective qui faisait paraître certains immeubles éloignés plus petits qu'ils ne devaient l'être en réalité puisqu'ils émergeaient eux-mêmes de plusieurs mètres au-dessus du niveau de cette mer de gratte-ciel.

Auparavant, rappareil avait décrit un vol orbital qui leur avait permis de constater, sur les écrans grossissants, que la minuscule planète était presque entièrement recouverte par les constructions. On avait l'impression que IP l'astéroïde était une seule cité immense dont les divers quartiers étaient séparés par de rares espaces verts, de dimensions réduites, et quelques plans d'eau qui ressemblaient bien plus à des lacs qu'à des étendues marines...

Evidemment, l'espace manquait... Born et Parker en étaient pourtant restés un peu atterrés. 11 fallait, pour en arriver à de tels extrêmes, que le problème démographique dont Voumou les avait brièvement entretenus fût d'une acuité angoissante.

Iaouya était du voyage. Lisant sans doute ia surprise sur leurs visages. il avait expliqué que ces immeubles immenses, ronds pour la plupart, si serrés les uns contre les autres qu'ils évoquaient une épaisse forêt d'arbres gigantesques dont il ne serait resté que les i troncs, n'étaient que la partie visible des édifices. Sous le sol, les constructions s'enfonçaient à des profondeurs invraisemblables, se . ramifiaient, formaient une autre ville sauterh. raine réservée aux usines, bureaux, administrations diverses, services publics, industries 1 . de toutes sortes. Seuls quelques privilégiés, membres d'organismes gouvernementaux, avaient un bureau à l'air libre. Tout le reste : des parties extérieures était réservé à l'habillUt, dans un souci louable de préserver des !conditions d'existence à peu près normales, encore que souvent plutôt désagréables dans 6..• une telle fourmilière.

iht Ille Pour suppléer sans doute au manque de verdure, de nombreux jardinets étaient installés au sommet des édifices, parcs suspendus où se pressait constamment, partout, une foule dense. Seule, la pelouse de la terrasse où ils s'étaient posés était presque déserte, mis à part quelques êtres dont l'uniforme était identique INer à celui que portaient Iaouya et les gardes de la base sous-marine. L'immeuble était le siège principal du gouvernement. On les avait imméjordiatement conduits, par couloirs et ascenseurs, - jusqu'à une pièce assez luxueusement meublée bien que tout le mobilier fût composé d'éléments d'apparence métallique, aspect froid et dur qu'on avait cherché à compenser par l'emploi de tissus aux teintes vives et chatoyantes.

nutes. Born avait profité de ce répit pour chuchoter à son compagnon : ri. a As-tu remarqué que nous n'éveillons pas la moindre curiosité 7... Dans les corriIlleeors, nous avons croisé plusieurs de ces êtres, certains en groupes de trois ou quatre... Notre . vue n'a pas iparu les surprendre... Comme s'ils avaient l'habitude de voir déambuler tous les jours dans leurs couloirs des individus venus d'autres planètes !

II. — C'est vrai...

. — Il est probable, bien sûr, que tous conFul 11" ; naissent l'existence de la base terrestre et savent donc que la Terre est habitée... Ils ont même certainement vu des documents, des photographies ou des films, montrant les gens de notre race, notre façon de vivre, nos villes Met nos campagnes, nos us et coutumes... Mais quand je pense aux commentaires que sou, , lève une vedette de l'écran sur son passage, chez nous, même si nous l'avons vue mille fois en image !... Ici, rien ne...

gnés par l'éternel laouya, l'avait obligé à s'interrompre.

le L'un d'eux avait pris la parole, aidé fréquemment par Iaouya qui retrouvait ainsi ses fonctions d'interprète. Quelques mots seulement. Cela avait eu l'allure d'un petit discours Ild'accueil. Les trois représentants du gouvernement médien leur avaient souhaité la bien1 venue à... un nom qui n'avait aucun équivalent dans les sons terriens et qu'ils n'avaient pu retenir avec exactitude. On avait évoqué qu'ils posaient aux Médiens ; on leur avait assuré que le gouvernement entier s'en pré; occupait et que diverses solutions étaient d'ores et déjà à l'étude. Enfin, on les avait r_ invités à la patience... Ils devaient comprendre qu'il faudrait un certain temps pour tout régler, en dépit du désir sincère du gouvernement de Céres de leur venir en aide... Ce i qui constituait une sorte de promesse de Après quoi Born et Parker avaient été de nouveau confiés aux bons soins de Iaouya.

Il y avait de cela près de quarante-huit heures...

Quarante-huit heures grignotées seconde par seconde par la montre-bracelet de Valéry Born, que celui-ci remontait avec soin, et qui indiquait donc le temps de la Terre. Ici, le ciel s'était déjà obscurci cinq fois derrière les fenêtres du petit appartement où ils avaient rété conduits après leur brève entrevue avec les membres du gouvernement.

Leur transfert avait eu lieu par les voies souterraines. Depuis leur arrivée, Born et Parker avaient essayé plusieurs fois de s'orienter par rapport à l'édifice où la pyramide s'était posée. Mais c'était impossible. L'appartement était haut perché, mais on ne voyait, par la fenêtre, qu'une faible partie de l'immense ville. Beaucoup de façades s'élevaient plus haut que le niveau de leurs baies, leur dissimulaient presque tout le paysage... Les deux hommes n'avaient en fait aucune idée de l'endroit où ils se trouvaient, pas plus que de l'orientation générale et de la longueur du trajet qu'ils avaient parcouru sous terre.

Dans le fond, ce n'était peut-être pas très important. Mais le fait d'ignorer où ils étaient renforçait leur sensation d'isolement, et l'impression qu'ils éprouvaient d'être en somme en résidence surveillée, dans un lieu inconnu dont ils ne pouvaient s'échapper, voués à attendre dans un désoeuvrement déprimant le bon vouloir de ceux qui les séquestraient...

Quarante-huit heures...

Iaouya venait de temps en temps, essayait d'entamer une conversation,, sentait leur hostilité et s'en allait. Es préféraient encore être seuls. Ou, plutôt, ils ne savaient plus. Seuls, ils ne faisaient que ressasser les mêmes pensées mornes, que se répéter les mêmes commentaires, qu'envisager ensemble des plans vagues qui ne débouchaient famais sur rien, que s'irriter mutuellement. Ils s'étaient dit mille fois qu'il fallait tenter quelque chose ; n'importe quoi... Que cette situation devenait plus insupportable à chaque instant... Lors de l'une des venues de Iaouya, jef Parker avait eu un mouvement pour se précipiter sur lui... Assez rapidement pour avoir le temps d'apercevoir les gardes sur le seuil, avant que Iaouya eût refermé Ja porte...

Cette constatation avait ajouté à leur trouble.

— S'ils envisagent vraiment de nous libérer, pourquoi nous maintiennent-ils dans cette souricière ! s'était exclamé Born peu après.

L'attitude des Médiens était en effet diamétralement opposée à la teneur de leur promesse.

Au matin du troisième jour de cette détention, Iaouya vint en compagnie de deux jeunes femmes. Il expliqua qu'elles viendraient régulièrement, afin de s'occuper de l'entretien de l'appartement, et seraient à leur disposition pour leur apporter tout ce qu'ils pourraient désirer, tout au long de la journée.

Une tentative de la part de Born pour lui arracher quelques mots au sujet de ce que le gouvernement de Céres prévoyait de faire à leur égard... Vainement. Iaouya prétendait toujours ne rien savoir ; ou que tout suivait son cours.

Les deux femmes s'activèrent dans l'appartement. Born et Parker se cantonnaient presque constamment dans une petite pièce aménagée en salle de séjour, la plus claire de toutes, négligeant les trois autres pièces à l'exception de la chambre où ils prenaient quelques heures de repos, goûtaient un sommeil agité, peu réparateur, dont ils sortaient plus découragés encore qu'auparavant Elles revinrent les jours suivants, non plus accompagnées par houya mais escortées par deux gardes qui se tenaient généralement dans l'entrée. Elles arrivaient toujours de bonne heure. Les travaux ménagers ne retenaient jamais longtemps les deux femmes, qui semblaient s'appliquer à accomplir leur besogne en ignorant la présence des deux Terriens.

Elles s'en allaient. Parker et Born ne les rappelaient jamais. Qu'avaient-ils à leur demander? Ils ne manquaient de rien. En cela, au moins, les Médiens avaient tenu parole : ils étaient bien traités..., mais prisonniers.

Cette visite devint pourtant un rite, une coupure somme toute agréable dans la morne journée des deux hommes. Comme un petit incident qui venait combattre l'ennui, la monotonie... Après leur départ, Born et Parker parlaient d'elles. Un bavardage qui durait peu, mais les changeait pourtant de leurs soucis habituels. Parker plaisantait — je t'assure que la plus grande, la brune, te regarde à la dérobée chaque fois qu'elle en a l'occasion. Et ses yeux en disent long, même si elle ne desserre pas les dents I...

Ils riaient. Il y avait longtemps déjà qu'ils n'avaient plus ri de bon coeur.

Tu verras, prétendait jet que tout cela se terminera par un mariage !

Ils riaient encore. Puis, Parker s'assombrissait. C'était invariable. Ces railleries amicales lui ramenaient, en quelques secondes, plus vives que jamais, ses préoccupations au sujet de son épouse. Il ne parlait jamais de Lise.

Born, par pudeur, évitait de l'en entretenir.

Mais il savait que ces soucis étaient pour une bonne part dans les crises d'abattement, ou, parfois, d'excitation inquiétante, que son camarade traversait fréquemment.

— Ta belle brune..., disait Parker.

Après deux ou trois jours médiens de ce jeu, ils se forçaient un peu à rire...

Un matin...

Elles avaient presque terminé leur travail.

La e belle brune » dit quelques mots à sa compagne. Celle-ci quitta la pièce. L'autre se précipita alors vers Valéry Born, sortit vivement un papier de la poche de l'espèce de combinaison qu'elle portait, le glissa dans la paume de Born en murmurant : — Cachez-le !...

Interloqué de l'entendre soudain s'exprimer dans leur iangue, Born eut une seconde d'hésitation, enfouit finalement le petit papier plié dans la poche de son propre survêtement Elle avait déjà repris sa besogne. Le tout n'avait duré que quelques secondes. Sa compagne revenait, porteuse d'un appareil qu'elle était allée chercher dans l'entrée.

Born jeta un regard à Parker. Il lisait, assis dans un siège cylindrique et profond, à quelques mètres de là. Il semblait n'avoir rien remarqué. Valéry, en affectant la plus complète indifférence, se détourna vers la fenêtre et s'abîma dans la contemplation du paysage. Un paysage de blocs de béton, de baies de verre, de métal, d'édifices qui semblaient se lancer à l'assaut des nues.

Il n'avait pas sorti la main de sa poche.

Entre ses doigts, il tenait le papier roulé, bouillant d'impatience en dépit de son apathie apparente.

Elles partirent enfin...

Un signe à Parker... Il n'avait vraiment rien vu auparavant. Ils lurent des yeux ensemble le court message.

L'écriture était un peu hésitante, l'orthographe incertaine.

«Je m'appelle Oanoa. je veux vous aider.

Tenez-vous ce soir devant la fenêtre de votre chambre, trois ioulii après la tombée de la nuit. Commande d'ouverture automatique de la fenêtre sous encadrement. »

Ils se précipitèrent d'un même élan vers la chambre, cherchèrent sous la nervure qui encadrait la baie.

les' Il y avait, en effet, un bouton minuscule, invisible si on ne connaissait pas son emplacement, qu'ils n'avaient évidemment jamais remarqué jusque-là.

IF Ils évitèrent soigneusement d'y toucher.

Reste à savoir à quoi correspondent ces trois ioulii..., chuchota Born.

lOs — Une mesure de temps propre à...

Pl — Evidemment, coupa Born ; mais cela pifait combien de nos heures, de nos minutes ?.

Problème assez simple. Il suffisait de se tenir à proximité de la fenêtre dès la tombée J de la nuit et de prendre son mai en patience.

len — Tu resteras dans la salle de séjour, murmura Born. De bonne heure, je donnerai des i signes évidents de fatigue, et rentrerai dans la 1 Ilie-Parker acquiesça d'un signe.

— Nous sommes sans doute surveillés, mais le message de..., de Oanoa, compléta-t-il • en jetant un coup d'œil au papier, laisse entendre que cette surveillance ne s'exerce pas h. dans la chambre... De toute manière, j'éteindrai l'éclairage presque aussitôt après y être entré.

Pr Dans l'obscurité, ce sera plus sûr, de toute façon...

IS II sortit son briquet, enflamma le petit rectangle de papier, en pila les cendres en les hie mélangeant à celles de la cigarette que Parker fumait.

Ill — Tu ne quittes l'autre pièce sous aucun : prétexte, reprit Born...

III — Compris, l'interrompit jef Parker. Et si, ; par hasard, Iaouya ou quelqu'un d'autre se L présente, je prétends que tu dors du sommeil Fe du juste, et je le retiens de toute manière loin , de cette chambre !...

Ils quittèrent la pièce, regagnèrent la salle de séjour.

Je te disais bien que ton charme naturel avait agi sur cette mignonne personne !

plaisanta Parker en envoyant une bourrade amicale à son compagnon.

 

Les Rescapés du futur
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