CHAPITRE VII
Dans la matinée du lendemain, peu avant midi, ils avaient échoué le canot dans une petite crique, le long d'une côte qui, d'après ce qu'ils avaient pu constater en s'en approchant, s'étendait sur de nombreux kilomètres.
Il faisait chaud. A la fois heureux de toucher enfin la terre ferme et surpris, vaguement inquiets, de n'avoir pas vu le moindre bateau ni le moindre avion de tous ceux qui, logiquement, devaient fouiller toute la zone où s'était posée la capsule, Born et Parker avaient sauté sur le rivage.
Les vagues étaient courtes et tièdes ; rafraîchissantes malgré tout. L'eau les avait mouillés jusqu'aux genoux. Ils avaient couru sur la grève.
A quelques métres, le canot se balançait mollement. Dans le fond de l'embarcation, les deux scaphandres de cosmonaute dont ils s'étaient défaits de bonne heure, dès que le soleil avait commencé à chauffer. Ils ne s'en préoccupaient pas.
Le plus important était de trouver quelqu'un, de renouer enfin le contact avec leurs semblables.
Ils s'étaient mis en route.
A quelques kilomètres, un village. Petit ; plutôt un hameau. Un nom à résonance espagnole sur une plaque partiellement rouillée dont le support s'inclinait vets le bas-côté de la mauvaise route.
Immédiatement, ils avaient été surpris par le calme qui y régnait.
La rue, unique, était vide. On n'y voyait même pas les animaux — chiens, poules, chats et autres hôtes des villages de campagne — qui rôdaient généralement dans les venelles et les cours de telles agglomérations.
Ils s'étaient avancés dans la rue, jusqu'à une minuscule place qui devait marquer le centre de la petite localité, sans y rencontrer personne.
Là, Parker avait appelé. A plusieurs reprises. Sans obtenir aucune réponse.
Ils s'étaient alors approchés des maisons, étaient entrés dans plusieurs d'entre elles.
Elles étaient toutes vides.
Affreusement vides et silencieuses.
Marianne lui passa tendrement une main sur le front, releva une mèche rebelle.
r_ Tu devrais te reposer un peu, murmurat-elle.
Lou Montoya soupira.
Il était las, en effet. Fatigué et abattu...
!Ilit'échec... D'ailleurs, n'avait-on pas désormais tout tenté pour retrouver les deux hommes 7 PeQue pouvait-on faire de plus ?
— Scientifiquement, dit-il, la mission est réussie. Pleinement. L'Alliance-6 a été hissée à Obord du René Latour, et avec elle tous les 'instruments de mesures, d'analyses, de sonLlages, de photographies... Tout..
ru' II parlait d'une voix un peu hachée ; avec l'élocution difficile d'un homme à la fois fatigué et découragé.
Il— ... Nous saurons tout de Jupiter ; tout , ce que nous voulions savoir, examiner... Ce i n'est que l'affaire de quelques heures de travail dans les laboratoires... En revanche...
Il hocha la tête et se tut.
. On va les retrouver, affirma la jeune ! femme. Ils n'ont pas pu se volatiliser.
Ilei on La Je me...
du téléphone l'interrompit.
Marianne décrocha.
— Oui, il est ici, dit-elle. je vous le passe...
: Elle tendit le combiné à Lou.
— C'est Maurice Valour...
•Montoya se saisit un peu fébrilement de l'appareil, approcha l'écouteur de son oreille, grogna : S, — Montoya...
En l'espace de quelques secondes, Marianne vit changer l'expression de son visage. D'abord de la joie. Puis les traits de Lou reflétèrent , une contrariété plus vive encore que précédemment.
Valour devait lui dire que le nécessaire avait déjà été fait, que tout était en train.
rontoya se borna à approuver brièvement, 'sans interrompre son correspondant.
—Bien, dit-il finalement. je ne bouge pas : un fait nouveau, et tu m'appelles, en tout cas, 1 de demi-heure en demi-heure, d'accord ?
Marianne lui saisit la main.
—Un comble ! explosa Lou. On vient enfin de retrouver le canot... Le canot et les scaphandres de Parker et de Born ! Mais ils demeurent introuvables...
—Le canot a été découvert sur la côte r nord cubaine, pas très loin de Banes, à l'est 6.1 de l'île,., Les Cubains ont déjà organisé avec r nos services un dispositif de recherches dans •toute la région... Il faut attendre...
— Tu vois ! encouragea Marianne. S'il est •. difficile de comprendre ce qui les pousse à !IL agir de la sorte, il est tout aussi impossible de croire que Born et Parker se cachent !
Crois-moi, Lou, ce n'est qu'une' question de , minutes...
—Peut-être..., murmurat-il.
toya surveillait le téléphone. On le sentait Illitendu, prêt à s'emparer du combiné au premier grelottement de la sonnerie d'appel.
—A quoi penses-tu ? interrogea Marianne.
: Il hésita, comme quelqu'un qu'on tire brusquement de réflexions complexes.
—1-e ne sais pas... Ou plutôt si : je pensais à certains cas de disparitions étranges survenues en mer, certaines, assez nombreuses . tement le « triangle mortel des Bermudes »...
le est délimité approximativement par les côtés Petracés de Porto-Rico à Miami, de Miami aux Bermudes et de cet archipel à. Porto-Rico de - nouveau... C'est-à-dire que File Mayaguana se trouve au sud de ce triangle fameux, et la ! côte nord de Cuba n'en est pas très éloignée...
Bizarre, non ?
—Oui..., peut-être..., approuva timidement jeune femme.
—Des avions, des bateaux y ont disparu, et on n'a jamais, à ma connaissance, pu donner une explication à ces disparitions... Toutes , , n'ont d'ailleurs pas eu ce triangle pour théâi, tre...
68 LES RESCAPÉS DU FUTUR Il y a longtemps ?
— Il y en a eu pendant longtemps, oui...
Certains cas sont célébres, comme celui du Rosalie, un navire français... Certains anciens, comme celui du voilier Mary Celeste retrouvé vide mais en parfait état en..., en décembre revanche, il y avait une lettre inachevée sur le pupitre du capitaine, un poulet mis à frire dans une cocotte, et du thé servi dans des tasses... Le breuvage était encore chaud quand iion a découvert le voilier abandonné (1) !
amusante.
— Curieux, admit-elle. Mais c'était en faits inexplicables. Il y a longtemps qu'il n'y te a plus de fantômes !
Evidemment...
Et vraiment personne à bord ?
Personne ! Sur le Rosalie, il ne restait qu'un canari à demi mort de faim dans sa Illicage. Le bâtiment était en parfait état et voguait toutes voiles dehors... Ce sont des mystères qui paraissent tenir de la légende, mais qui appartiennent pourtant à l'histoire.
—Curieux..., répéta la jeune femme.
Elle se leva, demanda: —Veux-tu boire quelque chose. Lou ?
(1) Authentique.
Du café.
Marianne quitta la pièce ; elle revint après quelques instants avec un plateau sur lequel fumaient deux tasses.
Le temps s'écoulait lentement. Montoya Ph.guettait de nouveau la sonnerie du téléphone.
La première demi-heure passa enfin. Nouvel appel de Maurice Valour, qui n'apportait Lauciun élément nouveau. A Cuba, les recheTFr ches se poursuivaient. Une vaste opération de L ratissage. Cependant, aucune trace des deux l'cosmonautes n'avait encore été découverte.
Attendre. Attendre encore. Lou Montoya sentait l'énervement le gagner. Il avait organisé les recherches, donné des ordres en conséquence. Tout un réseau, complexe, qui utilisait un matériel énorme, tant aérien que .maritime et, maintenant, terrestre. Les rapports, des divers points, lui parvenaient régulièrement. Même lorsque, comme à présent, il ose trouvait à son domicile.
Il avait, en somme, fait son travail. Il ne pourrait agir de nouveau que lorsqu'il y aurait des faits nouveaux, quand il faudrait prendre de nouvelles dispositions. Cette inactivité forcée lui pesait. Montoya songea un moment à rejoindre Maurice Valour, au P.C. qui supervisait maintenant les opérations de Cuba. Il.
eut même envie de partir là-bas, d'aller se LES RESCAPÉS DU FUTUR joindre aux patrouilles qui fouillaient la partie est de l'île.
Ili -_-Et Mme Parker 7 demanda Marianne.
Il sursauta légèrement.
—Brouker doit la convoquer demain, dans la matinée, si toutefois la situation n'a pas évolué d'ici là. Vis-à-vis d'elle, il serait difficile de jouer plus longtemps la comédie de 1' « isolement »... Elle a appelé Brouker ; elle s'étonne, 6L évidemment, de cette mesure qui n'avait nul"liement été prévue dans le plan de la mission...
II. II fit une pause, ajouta : —Il ne sera d'ailleurs pas possible de cacher la vérité beaucoup plus longtemps, pas plus aux journalistes, à tout le monde, qu'à l'épouse de jef Parker... Il ne faut pas oublier que...
La sonnerie l'interrompit.
La seconde demi-heure n'était pas tout à >fait écoulée. Montoya, en décrochant, se sentit envahi par une vague d'espoir.
il: C'était bien Maurice Valour.
IF Mais Lou Montoya ne sut vraiment plus à quel saint se vouer quand il entendit son ' second lui annoncer, d'une voix qui trahissait son émotion: —Un appareil biréacteur a mystérieusement disparu d'un petit aérodrome situé à proximité de Holguin, à une cinquantaine de kilomètres de Banes...
ot Montoya en resta bouche bée.
Allô ! appelait Valour, allô ! Tu m'entends — Oui, dit-il enfin, oui... Nous nous retrouvons là-bas dans les plus brefs délais possibles !...
Il se tourna vers Marianne.
je me demande si tu as raison de ne pas croire aux fantômes ! dit-ii.