CHAPITRE V
Dans cette situation, avec ce mystère angoissant di au silence des deux cosmonautes, on ne pouvait que se féliciter, pensa Montoya, d'avoir refusé l'accès à bord du René-Latour aux journalistes de la presse internationale et d'avoir tenu secret l'endroit exact où l'amerrissage devait avoir lieu. Il s'en était fallu de peu. Pendant quelques jours, il avait été sérieusement question d'admettre, au moins à bord de l'un des croiseurs d'escorte, certains représentants accrédités des plus grands quotidiens et hebdomadaires mondiaux. Lou Montoya avait personnellement insisté pour que les demandes fussent repoussées et, devant le déploiement de bateaux un peu partout dans l'Atlantique Nord, les reporters n'avaient pas su à quels bâtiments ils devaient s'attacher.
Une bonne chose, se dit-il. Il n'aurait plus manqué que les mouchards de la grande presse pour tout arranger ! Un fiasco !... Les gens de l'O.C.I. étaient incapables d'entrer en contact avec ceux qu'ils envoyaient en mission ! Leurs engins, sans se soucier le moins du monde des programmes établis, décidaient de se poser où bon semblait à leurs équipages I... Et sans doute bien d'autres détails, vrais ou faux. il était facile d'imaginer les réactions des journalistes devant une telle aubaine, une telle nouvelle à sensation !
Le ciel était presque découvert. Quelques nuages épars, bas et blancs. Une visibilité excellente.
Les deux hélicoptères, de toute la puissance de leurs compresseurs, progressaient rapidelent vers Mayaguana, à quelque deux cent mquante mètres d'altitude.
L'air sifflait dans les pales de l'appareil.
Installé dans le siège normalement réservé au copilote, à l'avant de la bulle de plastique épais et parfaitement transparent, Lou Montoya se saisit de nouveau des jumelles accrochées à une lanière de cuir qu'il avait passée autour de son cou, et examina attentivement le ciel et la mer devant lui.
— A cette heure, commenta-t-il, ils devraient être arrivés, et les Maraudeurs partis de Port-de-Paix devraient se trouver également sur les lieux...
LES RESCAPÉS DU FUTUR 45 ile. Le pilote hocha la tête affirmativement.
— Nous sommes encore un peu trop loin, Or remarqua-t-il. Pourtant, avec cette visibilité, i nous ne devrions pas tarder à les apercevoir.
Voulez-vous que nous appelions ?
L'équipage des deux avions qui avaient , ; quitté Haïti quelque temps plus tôt avait reçu lel'ordre de signaler l'endroit exact de l'amerrissage dès que la capsule serait repérée... A quoi bon s'enquérir d'une nouvelle qui devait être diffusée aussitôt ? En dépit des coordonnées indiquées par le Centre, le repérage 1 que les appareils fussent parvenus avec un peu de retard à l'endroit prévu, la capsule pouvait avoir dérivé déjà, entraînée pax quelque courant. Elle n'était qu'un point minuscule sur l'immensité mouvante et brillante de l'océan.
Que les observateurs des deux Maraudeurs tardent un peu à la localiser était bien compréhensible.
II6, — Attendons encore un peu, répondit Lou.
L'expérience, après de nombreuses années passées sur les bases cosmiques ou dans les Centres spatiaux, lui. avait appris qu'il ne fallait jamais désespérer. Plutôt s'armer de patience, et d'un farouche optimisme. Combien ioede fois, déjà, alors que tout semblait perdu, L avait-il assisté à un renversement de la situation? Même l'actuel silence de Born et de Parker n'était, tout au plus, qu'inquiétant.
Tout comme la modification, presque en dernière minute, de leur trajectoire d'approche.
L'espace, le cosmos, étaient encore un champ vierge. Trop mal connu encore pour qu'on pût tout prévoir, calculer, planifier.
Lou Montoya se força à penser que tout ce qui était mystérieux et inqui6tant dans le retour de l'Alliance-6 ne serait probablement plus, dans quelques moments, qu'une aventure de plus, parfaitement explicable, dont ils riraient tous ensemble, en compagnie du joyeux Born et de l'ombrageux Id Parker.
Durant quelques instants, il imagina les deux hommes dans la capsule. Ses connaissances, aussi bien que les expériences qui avaient précédé l'envoi de l'Alliance-6, lui permettaient de vivre avec eux, par la pensée, les moments qu'ils avaient connus... L'impressionnante chute dans le vide, par exemple, dans l'engin transformé en une boule incandescente par le contact avec les hautes couches de l'atmosphère, quand les couches protectrices s'enflammaient les unes après les autres, spontanément... L'effet déplaisant des opérations de décélération... La...
La voix grésilla dans le récepteur de bord, tirant brusquement Montoya dé ses réflexions.
—Arthur-1 à Georges-5 !... Arthur-I à...
—Georges-5 écoute ! répondit aussitôt Montoya.
•II échangea ui clin d'œil avec le pilote.
Enfin, le message tant attendu !
La voix reprit dans le récepteur : —Nous venons de repérer votre canard !
Déviation: 37 minutes Est...
•Lou Montoya regarda le pilote. Celui-ci fit wune mimique. Il avait compris, modifiait le cap F-en conséquence.
› Observations ? interrogea Montoya.
Bonnes, répondit la voix. L'engin flotte normalement et dérive très lentement vers le Isud-ouest... Rien de spécial... Nous avons déjà .effectué deux passages au ras des vagues, mais . nous allons un peu trop vite pour pouvoir , remarquer les détails..
—Tout semble normal, insista l'observateur de l'un des Maraudeurs. Mais nous ne lie pouvons rien faire d'autre que de surveiller l'engin jusqu'à votre arrivée...
—Entendu...
•actuelle de l'engin, à 37 minutes plus à l'est Oidonc, et de la lente dérive sud-ouest que nous •relevons, remarqua l'homme, tout semble indiquer qu'il s'est posé beaucoup plus au nordouest qu'il n'était prévu, et cela depuis assez de temps pour avoir pu dériver et passer sensiblement au point prévu avant que nous y •l'arrivions... C'est tout ce que nous pouvons L vous indiquer, et ce n'est pas bien sûr qu'une , hypothèse...
— C'est possible, admit Montoya. Communiquez immédiatement tout événement nouveau qui pourrait se produire. Nous ne tarde". rons plus guère maintenant à vous rejoindre.
1". L'homme acquiesça, puis coupa la communication.
Les avions tournaient comme des mouettes au-dessus des vagues.
Ils se balancèrent latéralement, en signe de ' reconnaissance, lorsque les deux hélicoptères parvinrent à proximité, et prirent aussitôt de l'altitude tandis que la voix de l'observateur elevait de nouveau de la radio de bord.
Vu? s'enquit l'homme. Ici, rien à signa-Vu, répondit laconiquement Montoya.
le Son appareil venait de s'immobiliser à la verticale de la capsule, à moins de cinquante mètres. On distinguait parfaitement la partie supérieure de l'engin, en forme de cône tronqué. Entre certaines traces noirâtres laissées par la combustion du revêtement de protection, des plaques de métal luisaient et reflétaient les rayons du soleil. Le jour déclinait lentement. Les reflets avaient de ces tons orangés et rougeâtres qui annoncent le couchant.
Le second hélicoptère s'était arrêté sur leur droite, dans un point fixe irréprochable.
Si proche que, au, travers des cockpits, Lou Montoya voyait distinctement les traits du pilote et de Maurice Valour.
Toujours le même silence. Rien, aucun signal visuel ou sonore n'émanait de l'Alliance-6. On avait, tant depuis les deux Maraudeurs que depuis les hélicoptères, multiplié les appels dès que la capsule avait été repérée. Aucune réponse.
Montoya jeta un coup d'œil vers le bas.
La trappe supérieure d'accès à la capsule était rabattue, apparemment close.
Ce détail le frappa.
Il était, en effet, surprenant que Born et Parker, même s'ils savaient qu'ils devaient par la force des choses se résigner à attendre l'arrivée des hélicoptères et des navires à bord de l'engin spatial, n'eussent pas éprouvé le besoin impérieux de sortir, d'ouvrir cette trappe, de se tenir à demi extirpés de l'appareil... Après un mois passé à l'intérieur, ils devaient pourtant avoir envie de respirer une grande goulée d'air frais ; de l'air de la Terre natale...
Lou se retourna vers le deuxième hélicoptère, fit une grimace à Maurice Valour.
Il faut descendre, dit-il par radio.
Il le fit acquiescer d'un mouvement de tête.
vais, si tu veux bien, répondit !
Valour. Nous pouvons descendre un peu plus, ; nous stabiliser à six ou sept mètres et dérouler ensuite une échelle...
— D'accord...
II donna des instructions au. pilote pour r qu'il écartât un peu leur appareil de la verticale. L'hélicoptère de Va.lour vint aussitôt , occuper leur place, commença à descendre lentement.
loi Plus haut, les deux Maraudeurs évoluaient en cercles, sans beaucoup s'écarter du secteur.
Mont•ya vit l'hélicoptère s'immobiliser de nouveau. Le pied de l'échelle de corde frappa ; l'eau très près de la capsule, en éclaboussa le : flanc droit. Valour apparut aussitôt sur les premiers barreaux. Il avait coiffé le casque à écouteurs, avec les deux pastilles du laryngo_phone plaquées contre sa gorge.
Il Lou Mon toya appela : Maurice...
Valour marqua un temps d'arrêt.
Non, rien, ajouta aussitôt Montoya.
L'échelle se balançait mollement.
Maurice Yalow reprit sa descente. Il progressait en souplesse, en saisissant l'un des montants pour l'utiliser comme une simple corde, et en ne prenant appui que de temps en temps sur l'un des barreaux.
• Puis tout se déroula soudain très vite.
Montoya perçut d'abord l'exclamation étouffée que poussait son assistant. Ensuite, très vite — Mais... la trappe est ouverte L. D'en haut, on croirait qu'elle est fermée, mais elle est simplement rabattue L.
Les événements isembièrent s'accélérer encore.
Avant que Montoya ait eu le temps de faire le moindre commentaire, Valour avait sauté de l'échelle sur la petite plate-forme qui constituait le sommet de l'Alliance-6, ouvert la trappe, s'était glissé à l'intérieur...
Une autre exclamation...
En une fraction de seconde, Lou Montoya s'imagina les deux cadavres... Born... Parker...
Comment s'était ouverte la trappe ?... Que s'était-il 7...
— II n'y a personne ! s'écria Valour.