CHAPITRE II

La jeune femme s'approcha sans bruit.

Parvenue derrière le fauteuil, elle se pencha un peu en avant, laissa couler sa chevelure fauve. Les longues mèches vinrent caresser le visage de l'homme, s'interposèrent comme un rideau de cuivre luisant et tiède entre ses yeux et le journal qu'il lisait.

Content ? demanda-t-elle d'une voix joyeuse.

Il sourit, replia le quotidien qu'il posa près du siège, à même le sol carrelé de la terrasse.

— Si tout va bien jusqu'au bout..., commença-t-ii.

Il s'interrompit en voyant la mine de Marianne. Elle avait contourné le fauteuil et faisait une moue plus explicative que des reproches formulés.

— Excuse-moi..., reprit-il. Oui, on est merveilleusement bien ! Tu comprends, je viens de lire le compte rendu du lancement dans ce journal et...

Elle sourit et vint s'asseoir sur l'accoudoir du siège.

Je sais, murmura-t-elle. fie comprends qu'il te soit difficile de penser à autre chose, Lou. Mais nous sommes en vacances ! En outre, après avoir lu les rapports officiels, après avoir parlé longuement du départ de l'Alliance-6 avec Monfort, as-tu vraiment besoin de connaître en plus le point de vue, sans doute erroné, de la presse non spécialisée ?...

Elle s'interrompit, ajouta presque aussitôt, taquine : C'est du vice !

Elle avait raison. Il faisait un temps superbe. La terrasse, toute blonde de soleil, surplombait un vaste espace vert où dominaient palmiers et chênes-lièges. Au fond, entre les arbres, la mer miroitait. D'azur et d'argent.

Silencieuse et sereine.

En une fraction de seconde, il s'adressa des reproches qu'il s'était déjà répété cent fois.

Jusqu'au retour de l'Alliance-6, il ne pouvait rien faire. Pourquoi ne pas profiter de ces vacances pour oublier un peu tout cela, tromper son attente ? Born et Parker ne reviendraient que dans un mois. En cas de besoin, on savait où le toucher... Alors ?

Mal convaincu lui-même par les arguments qu'il présentait, Lou Montoya essaya mollement de se justifier.

—La presse... Oui, il y a évidemment des erreurs. Plutôt des fautes d'interprétation, d'ailleurs, et je crois que certaines sont volontaires. Le grand public ne comprendrait rien à la sécheresse d'un exposé purement scientifique ! Il lui faut de la petite histoire ; de la légende. Et de l'héroïsme ! L'homme de la rue ne serait pas satisfait si jef et Valéry n'étaient pas des héros...

Lou fit une brève pause, continua d'un ton enjoué : L'homme a besoin de se sentir grandi par ses semblables ! Nous avons tous tendance à faire nôtres les prouesses d'autrui. Qu'on retranche tout côté sensationnel, extraordinaire, héroïque, à la mission de Born et Parker, et tout le monde va éprouver un sentiment de frustration !

La jeune femme sourit, protesta pourtant —Tu ne prétends quand même pas enlever tout mérite à...

—Non, coupa Lou. Ce n'est pas cela...

Il se leva, passa affectueusement son bras sur les épaules de Marianne.

—Viens, dit-il. Tu as un maillot ? Descendons à la plage.„ 6. Ils s'éloignèrent lentement vers les arbres.

— Ce n'est pas cela, répéta Montoya en marchant. Mais cette valeur humaine qui fait 7 .d'un être un héros a perdu de...

 

P*

 

A des milliers de kilomètres de là. Chris ,Monfort se tenait des propos à peu près identiques.

Il se trouvait dans le minuscule bureau directorial qu'il occupait dans le refuge lunaire de l'O.C.'. A l'intérieur du cratère aménagé, tout était réduit mais rationnel. Une belle installation. On était parvenu à y loger tous les services complexes d'une base cosmique en préservant un certain confort, surtout dans les locaux où ils vivaient en dehors des heures il de service, en essayant de mener une existence à peu près normale.

derniers relevés des calculatrices concernant l'Alliance-6. Un simple coup d'oeil aux chiffres lui avait suffi à se rendre compte que tout allait bien.

II y avait maintenant plus de cinq ans qu'il avait été attaché à l'Organisation Cosmique Internationale, et près de deux ans qu'on lui avait confié la direction de la base lunaire.

Un séjour déjà long, seulement coupé de rares et brefs congés dont il avait profité pour aller , se retremper dans une atmosphère moins confinée, sur Terre. Deux ans qui avaient été presque exclusivement consacrés à la réalisation de ce projet qui venait de prendre corps avec le départ de Parker et de Valéry Born. Des années qui avaient mobilisé les efforts non seulement du personnel de la base lunaire Ilsinon ceux aussi de nombreuses industries et centres d'études terrestres.

Et Chris Monfort pensait maintenant que la personnalité des deux cosmonautes qui avaient pris place dans la capsule de l'Alliance-6 n'avait qu'une importance réduite comparée à celle, considérable, du matériel et du labeur de tous.

. Montoya était en quelque sorte le promoteur I, et le principal organisateur, avait indéniablementdes dimensions errandioses.

i-Il s'agissait du. premier lancement d'une , capsule habitée au-delà du cercle des astéroïdes, dans l'espace au delà de la portion du système solaire où gravitaient les planètes intérieures.

Ple Equipée de moteurs ioniques, la tète de Ll'Alliance-6 devait se placer sur une orbite m' autour de Jupiter. Le programme prévoyait , cinq révolutions autour de l'énorme planète, puis une modification de la trajectoire qui permettrait deux passages à moins de dix kilomètres du sol de ce géant du système solaire, avant qu'une nouvelle accélération ne relançât la capsule en direction de la Terre. L'opération s'accompagnait évidemment des habituelles analyses, observations et photographies, désormais classiques au cours des vols interplanétaires.

Pe En soi, cette mission ne se différenciait des autres que par l'espace immense dans lequel elle allait se dérouler.

Pour le reste, toutes les phrases en étaient en somme assez routinières. Comme on l'avait , et Mars, le lancement d'une capsule habitée vers Jupiter avait ,été précédé de celui de capsules identiques, mais porteuses seulement d'instruments divers et complexes et de caméras. Le matériel avait été éprouvé, offrait toutes les garanties de sécurité.

Pe En fait, pensait Montfort, il faudrait jouer justement cet appareil, précisément celui qui emportait deux hommes, connût un sort différent de celui, fort satisfaisant, qu'avaient connu les précédents engins.

Pl" La seule énigme demeurait le comportement des hommes, aussi bien en tant qu'orgarnismes qu'en tant que personnes, qui allaient être plongés dans une portion de l'univers très éloignée du secteur cosmique où ils avaient vécu jusqu'alors.

Et, au fond, se disait encore le directeur de la base lunaire, tout l'héroïsme des deux hommes consistait en cette acceptation de servir de cobayes.

Il y avait une différence énorme entre les pionniers du cosmos et ceux, par exemple, de l'aéronautique. Le cosmos n'avait pas eu, n'aurait jamais, ses Clément Ader, ses Blériot, ses Mermoz. Il n'y aurait jamais de Saint-Exupéry de l'espace. Ceux-là avaient été des inventeurs.

C'était grâce à leur courage, à leur témérité parfois, qu'une technique était née, s'était développée. L'exploration cosmique n'admettait pas de telles expériences. On disposait d'une technique, d'une science, et ceux qui prenaient place un jour dans une fusée spatiale avaient l'assurance de le faire en disposant d'un matériel qui avait déjà fait ses preuves. L'aventure changeait d'aspect. Le but d'une mission humaine était davantage l'étude du comportement de l'homme dans d'autres conditions d'existence que la nécessité d'aller recueillir des images et des échantillons de sol ou d'atmosphère sur quelque planète, moisson scientifique que des machines, des robots programmés à l'avance, pouvaient faire aussi aisément.

me Comme Lou Montoya, Chris Monfort trouvait un peu décevant ce rôle presque strictement expérimental des cosmonautes.

Il fallait, bien sûr, du courage. Une certaine valeur. Surtout beaucoup d'abnégation.

PLes mêmes qualités que celles que devait avoir un malade qui acceptait d'essayer un nouveau produit.

Or, pensa Monfort, les hôpitaux regorgeaient en somme de ces héros involontaires, de ces malades qui, sans même le savoir, servaient de sujets d'observation des effets et réactions d'un médicament nouveau, avant sa commercialisation !

le Toute la différence résidait sans doute dans la connaissance ou fa méconnaissance du rôle qu'on vous faisait jouer...

Chris Monfort se leva en soupirant et se ile dirigea vers la salle de contrôle.

tiples cadrans. Les panneaux n'étaient que scintillements de voyants lumineux et battements d'aiguilles. Il s'arrêta près de l'un des Li hommes, l'interrogea d'une mimique.

le — Tout va bien, affirma le technicien, mais ' le contact phonique devient extrêmement faible. Je doute, assura-t-il, que nous puissions le maintenir encore longtemps.

ept Monfort approuva d'un signe de tête.

lir II se détourna vers la maquette du vol, la contempla. Minuscule : la Terre ; plus petite encore, la Lune ; et, très écartée des deux premières, une sphère plus grosse qui figurait Jupiter. Un mince fil de cuivre chromé traçait ileese , la trajectoire que devait suivre l'Alliance-6. Le .

fil brillant partait de la lune en une large spi raie, englobait l'ensemble Terre-Lune dans deux : courbes, la seconde orbite déjà très écartée i de la première, puis partait vers Jupiter en une ligne qui paraissait rectiligne, mais était, iten fait, un arc immense de l'orbite gigantesque !qui enfermait les trois planètes dans une même trajectoire. Trois petits fanions rouges, accro r chés au fil, marquaient les moments où se L séparaient, l'un après l'autre, les trois étages rde la fusée. Ensuite, la capsule continuait seule.

libLes cinq tours autour de Jupiter, puis les deux ; orbites aux ellipses plus allongées qui permet, ofaient à Born et à Parker, à leur passage au , érigée, de s'approcher de la planète. Enfin, le 'retour. L'autre extrémité du fil était fichée ilbdans la petite boule qui représentait la Terre, ' après de nouvelles spirales pendant lesquelles Si.la capsule serait freinée. On ne distinguait pas ' très bien, sur la maquette, en raison de la : petitesse de l'échelle, le lieu géographique de , ce retour. Un point dans l'Atlantique, au large Ut ie Miami.

or Chris Monfort hocha la tête en silence.

' Comme tout semblait simple sur cette reproduction !

!le Il essaya d'imaginer la capsule, les deux hommes à son bord. Maintenant, ils devaient , ; sur le fil.

, Le périple durerait vingt-neuf jours et quelques heures. Il restait donc près d'un mois à attendre. C'était long! Pour eux aussi, sans doute ! Très long, et très court à la fois, si on songeait à la distance que la capsule allait couvrir. On avait naturellement déterminé la date de la mission de manière à profiter de ce que Jupiter et la Terre parvenaient aux points de leur ellipse respective qui les rapprochaient le plus. Malgré cela, près de six cent millions de kilomètres séparaient les deux planètes.

Une distance qui n'aurait jamais pu être franchie sans la mise au point des moteurs ioniques.

 

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