Sixième jour
7 h 12

Avec les vibrations de l’hélicoptère, j’ai dû sommeiller quelques minutes. Je me suis réveillé en bâillant et j’ai entendu des voix dans mon casque. Plusieurs hommes parlant entre eux.

— Alors ? demanda une grosse voix, quel est exactement le problème ?

— Apparemment, l’unité de fabrication a rejeté des substances dans la nature. C’était un accident. Plusieurs animaux morts ont été découverts dans le désert, à proximité de l’usine.

La voix était réfléchie, méthodique.

— Qui les a trouvés ? grogna la grosse voix.

— Deux écologistes trop curieux. Ils n’ont pas tenu compte des panneaux interdisant l’accès au site. Ils se sont plaints à la direction et demandent à visiter l’usine.

— Ce que nous ne pouvons autoriser.

— Non, bien sûr !

— Comment allons-nous régler ce problème ? demanda une voix craintive.

— Je suggère, répondit la voix méthodique, de minimiser la contamination et de fournir des éléments indiquant qu’aucune conséquence fâcheuse n’est à redouter.

— Pas d’accord pour cette stratégie, déclara la grosse voix. Il vaut mieux nier catégoriquement qu’il y ait eu des rejets. D’ailleurs, qu’est-ce qui le prouve ?

— Les animaux morts. Un coyote, deux ou trois rongeurs, quelques oiseaux peut-être.

— Quoi de plus normal que de trouver des animaux morts dans la nature ? Vous vous souvenez de l’affaire des vaches éventrées ? On a cru que c’était l’œuvre d’extra-terrestres débarquant de leurs vaisseaux, puis on s’est rendu compte que les animaux mouraient de mort naturelle et que leur ventre éclatait sous l’effet des gaz accumulés dans les carcasses en décomposition. Ça vous rappelle quelque chose ?

— Vaguement.

— Je ne suis pas sûr, glissa la voix craintive, qu’il nous sera possible de nier...

— Et comment, qu’on va nier !

— Il n’y a pas des photographies ? Je crois que les écolos ont pris des photos.

— Et alors ? Tout le monde s’en tamponne ! Que montreront ces photos : un coyote mort ? Personne ne va pousser des hauts cris pour un coyote mort. Faites-moi confiance... Pilote ? Où sommes-nous ?

J’ai ouvert les yeux. J’étais à l’avant de l’hélicoptère, à côté du pilote. L’appareil se dirigeait vers l’est, dans la lumière aveuglante des premiers rayons du soleil. Le terrain que nous survolions était plat, parsemé de quelques pieds de cactus, de bouquets de genévriers et, de loin en loin, d’un arbre de Josué aux formes torturées.

Le pilote suivait la rangée de pylônes supportant les lignes à haute tension, semblables à des soldats d’acier aux bras écartés avançant à la file indienne dans le désert. Dans la lumière oblique du soleil, les pylônes projetaient sur le sol des ombres étirées.

Un homme massif, en costume-cravate, assis à l’arrière de l’appareil, s’est penché vers le pilote.

— Il y en a encore pour longtemps ?

— Nous venons d’entrer dans le Nevada. Nous y serons dans dix minutes.

Le passager s’est rassis en poussant un grognement. Nous nous étions présentés avant le décollage, mais son nom m’échappait. J’ai tourné discrètement la tête vers les trois hommes en costume-cravate. Des consultants en relations publiques, engagés par Xymos. Leur apparence correspondait aux voix que j’avais entendues. Il y avait un petit maigre, nerveux, qui se tortillait les mains. Un autre, légèrement dégarni, un porte-documents sur les genoux. Et celui qui s’était adressé au pilote, plus âgé, bourru, à l’évidence leur chef.

— Quelle idée d’avoir construit cette usine au Nevada !

— La réglementation est plus souple, les contrôles moins rigoureux. Aujourd’hui, la Californie ne voit pas d’un bon œil les nouvelles industries. Il aurait fallu attendre un an rien que pour l’étude d’impact et, après ça, il aurait été bien plus difficile d’obtenir le permis de construire. Voilà pourquoi ils sont venus ici.

— Quel endroit de merde, grommela la grosse voix en regardant par la vitre l’étendue désertique. De toute façon, je me contrefous de ce qui se passe ; ce ne sera pas un problème. Et vous, poursuivit-il en s’adressant à moi, vous faites quoi ?

— Des programmes informatiques.

— Vous avez signé un accord de non-divulgation ?

Il voulait savoir si les conditions de mon engagement m’empêcheraient de parler de ce que je venais d’entendre.

— Oui.

— Vous allez travailler dans l’usine ?

— Comme consultant.

— Consultant, il n’y a que ça de vrai, poursuivit-il en hochant la tête, comme s’il avait trouvé un allié. Pas de responsabilité, on ne doit rien à personne. On se contente de donner son avis en sachant qu’ils n’en tiendront pas compte.

La voix du pilote grésilla dans mon casque.

— Unité de fabrication moléculaire Xymos droit devant, annonça-t-il. Vous apercevez l’usine.

À une distance de trente kilomètres, j’ai distingué un groupe isolé de bâtiments bas qui se découpaient sur l’horizon. Les trois spécialistes des relations publiques se sont penchés du même mouvement.

— C’est ça ? interrogea la grosse voix. Il n’y a que ça ?

— C’est plus grand que ça n’en a l’air à cette distance, répondit le pilote.

Quand l’hélicoptère s’est rapproché, j’ai vu que les bâtiments imbriqués les uns dans les autres étaient des blocs de béton nu, simplement blanchis à la chaux. Les trois passagers de l’arrière étaient si contents qu’ils ont failli applaudir.

— Magnifique !

— On dirait un hôpital !

— Superbe architecture...

— Cela rendra bien en photo.

— Pourquoi ? demandai-je.

— Il n’y a aucune saillie, répondit l’homme au porte-documents. Pas d’antennes, rien de pointu, rien qui dépasse. Les gens ont peur des pointes et des antennes : des études l’ont démontré. Mais des bâtiments lisses, carrés comme ceux-là et blancs – la couleur idéale, associée à la virginité, l’hôpital, la guérison, la pureté –, des bâtiments comme ceux-là ne suscitent aucune inquiétude.

— Les écolos vont être baisés, déclara la grosse voix avec satisfaction. Ils font bien de la recherche médicale ici ?

— Pas exactement...

— Ils en feront après m’avoir écouté, faites-moi confiance. La recherche médicale, voilà la manière de présenter les choses.

Tandis que l’hélico survolait le complexe, le pilote indiquait les différents bâtiments.

— Le premier, c’est l’alimentation électrique. Un passage mène à ce bâtiment bas, la résidence. À côté, des labos ou je ne sais quoi. Le grand bâtiment carré à trois étages et sans fenêtres, c’est l’unité principale de fabrication. J’ai cru comprendre que c’est une carcasse de béton, qu’il y a un autre bâtiment à l’intérieur. Là-bas, sur la droite, ce hangar bas sert de réserve et d’abri à voitures. Les véhicules doivent rester à l’ombre sinon le tableau de bord se gondole et, quand on pose la main sur le volant, on se fait une brûlure du premier degré.

— Il y a des chambres ? demandai-je.

— Oui, répondit le pilote. C’est obligé. Le motel le plus proche se trouve à deux cent cinquante kilomètres, dans les faubourgs de Reno.

— Ils sont combien à vivre ici ? s’enquit la grosse voix.

— Il y a de quoi coucher douze personnes, expliqua le pilote, mais il y en a en général entre cinq et huit. Il ne faut pas beaucoup de monde pour faire tourner l’usine. Tout est automatisé, d’après ce qu’on m’a dit.

— Qu’est-ce qu’on vous a dit d’autre ?

— Pas grand-chose. Ici, c’est bouche cousue ! Je ne suis même pas entré dans l’usine.

— Parfait, fit la grosse voix. Faisons en sorte que ça ne change pas.

Le pilote actionna le manche ; l’appareil vira à droite et commença à descendre.

 

J’ai ouvert la porte en plexiglas du cockpit pour sortir. J’ai eu aussitôt l’impression d’entrer dans un four : une bouffée d’air brûlant m’a suffoqué.

— Ce n’est rien ! cria le pilote pour couvrir le vrombissement des pales. Nous sommes presque en hiver ! Il ne fait pas plus de 40° C !

— Quelle chance !

Je me suis retourné pour prendre mon nécessaire de voyage et mon ordinateur portable que j’avais glissés sous le siège du passager craintif.

— Il faut que j’aille pisser un coup, déclara l’homme à la grosse voix en détachant sa ceinture de sécurité.

— Dave..., objecta l’homme au porte-documents d’une voix où perçait l’inquiétude.

— Ça va, j’en ai pour une minute !

— Dave..., reprit l’homme au porte-documents avec un regard gêné dans ma direction. On nous a dit de ne pas descendre de l’hélicoptère, poursuivit-il en baissant la voix. Tu t’en souviens ?

— Je ne peux pas attendre une heure... Et puis, qu’est-ce que ça changera ? Il y a que dalle à des milliers de kilomètres à la ronde !

— Mais, Dave...

— Lâche-moi la grappe, je vais pisser !

Il s’est soulevé pesamment de son siège.

Je n’ai pas entendu la suite de leur conversation ; j’avais retiré mon casque. Pendant que Dave descendait, j’ai pris mes affaires et je me suis éloigné de l’appareil en me courbant pour passer sous les pales. Je me suis arrêté au bord de l’aire d’atterrissage ; elle s’achevait brusquement le long d’un chemin de terre qui serpentait entre les bouquets d’oponces[5] et menait au bâtiment d’alimentation électrique, une construction trapue, toute blanche, distante d’une cinquantaine de mètres. Personne n’était là pour m’accueillir ; en fait, je n’apercevais âme qui vive.

En me retournant, j’ai vu Dave se rajuster et remonter dans l’hélico. Le pilote a fermé la porte et m’a fait un signe de la main quand l’appareil a décollé. Je lui ai répondu avant de me baisser pour me protéger du sable tourbillonnant soulevé par l’hélice. L’appareil a fait un tour, puis il a mis le cap à l’ouest ; le bruit du rotor s’est estompé.

Le silence du désert n’était troublé que par le bourdonnement des lignes à haute tension passant à quelques centaines de mètres. Le vent faisait bouffer ma chemise et battre le bas des jambes de mon pantalon. J’ai commencé à tourner en rond en me demandant ce que je devais faire. Et en repensant à la mise en garde de l’homme au porte-documents : On nous a dit de ne pas descendre de l’hélicoptère, tu t’en souviens ?

— Hé ! vous, là-bas !

Je me suis retourné. Une porte s’était entrouverte dans le bâtiment de l’alimentation électrique ; une tête dépassait.

— Vous êtes Jack Forman ?

— C’est moi.

— Qu’est-ce que vous attendez ? Une carte d’invitation ? Venez donc par ici !

Et il a claqué la porte.

Voilà l’accueil qu’on m’a réservé à l’unité de fabrication de Xymos. J’ai repris mes bagages et suivi le chemin de terre menant au bâtiment blanc.

Les choses ne se passent jamais comme on l’imagine.

 

Je suis entré dans une petite pièce fermée sur trois côtés par des murs faits d’un matériau lisse voisin du formica. Il a fallu un moment à mon regard pour s’habituer à la pénombre. J’ai vu que le quatrième mur, en face de moi, était entièrement constitué de verre ; derrière, il y avait un espace également fermé par une paroi de verre. Ces deux parois étaient munies de bras articulés en acier, terminés par des plaques métalliques. L’ensemble évoquait la salle des coffres d’une banque.

Derrière la seconde paroi de verre se tenait un homme solidement charpenté, en chemise et pantalon bleus, le logo de Xymos sur la poitrine. Il devait être le responsable de la maintenance de l’usine ; il m’a fait des signes.

— C’est un sas. L’ouverture est automatique... Avancez.

J’ai fait un pas en avant ; la première paroi de verre s’est ouverte avec un chuintement. Une lumière rouge s’est allumée. À l’intérieur du sas, sur le sol, au plafond et sur les deux murs, il y avait des grilles. J’ai hésité à avancer.

— Ça ressemble à un toasteur, hein ? lança l’homme en bleu avec un sourire qui découvrit une bouche édentée. Ne vous inquiétez pas, poursuivit-il, ça va juste vous décoiffer. Approchez, approchez !

Je suis entré dans la petite pièce vitrée et j’ai posé mon sac.

— Non, non, reprenez votre sac !

Dès que je l’ai soulevé, la paroi de verre a commencé à se refermer, les bras en acier se sont dépliés, un son mat a suivi la fermeture hermétique des portes. J’ai ressenti un léger bourdonnement d’oreilles pendant la mise en pression du sas.

— Il vaudrait peut-être mieux fermer les yeux, suggéra l’homme en bleu.

J’ai fermé les yeux ; une vapeur glaciale jaillissant de tous côtés m’a aussitôt frappé le visage et le corps. Mes vêtements étaient trempés. J’ai perçu une odeur âcre, rappelant celle de l’acétone ou d’un dissolvant. J’ai frissonné : c’était vraiment froid.

Le premier souffle d’air chaud est venu du plafond, accompagné d’un grondement qui a rapidement atteint la violence d’un ouragan. Je me suis arc-bouté pour résister. Mes vêtements battaient et se plaquaient sur mon corps. Le souffle s’est renforcé, menaçant d’arracher mon sac, puis il s’est arrêté et un nouveau souffle est monté du sol. Il y avait de quoi être désorienté, mais cela n’a pas duré. Les pompes à vide se sont mises en marche avec un sifflement, j’ai ressenti une légère douleur dans les oreilles quand la pression a baissé, comme dans un avion au moment de la descente. Puis le silence est revenu.

— C’est fini, lança une voix. Avancez.

J’ai ouvert les yeux. Le liquide qu’on avait vaporisé sur moi s’était évaporé, mes vêtements étaient secs. La paroi de verre s’est ouverte ; je suis sorti du sas.

— Tout va bien ? demanda l’homme en bleu en me considérant d’un air interrogateur.

— Oui, je crois.

— Pas de démangeaisons ?

— Non...

— Bien. Nous avons eu quelques cas d’allergie au produit, mais nous sommes obligés de faire ça. Pour les salles blanches.

J’ai acquiescé de la tête. C’était à l’évidence une procédure destinée à éliminer la poussière et autres polluants. Le liquide vaporisé, hautement volatil, s’évaporait à la température ambiante en entraînant les micro-particules présentes sur le corps et les vêtements. L’air pulsé et le vide complétaient le nettoyage.

— Je m’appelle Vince Reynolds, poursuivit-il sans me tendre la main. Appelez-moi Vince. Vous, c’est Jack ?

J’ai confirmé d’une inclination de tête.

— On vous attend, Jack, ne perdons pas de temps. Nous devons prendre des précautions : nous avons ici un champ magnétique très puissant, plus de 33 teslas, alors...

Il a tendu vers moi une boîte en carton.

— Vous devriez me donner votre montre.

J’ai posé la montre dans le carton.

— Et votre ceinture.

J’ai enlevé ma ceinture, qui a rejoint la montre.

— Des bijoux ? Bracelet, collier, piercing ? Insignes décoratifs ou médailles ?

— Non.

— Vous n’avez pas de métal dans le corps ? Vieilles blessures, balles, éclats d’obus. Pas de broche pour fixer un os fracturé, pas de prothèse de la hanche ni de la rotule ? Pas de valvule ni de cartilage artificiels, pas de pompes vasculaires ni d’implants ?

J’ai répondu que je n’avais rien de tout ça.

— Vous êtes encore jeune, c’est vrai, affirma l’homme en bleu. Et dans votre sac ?

Il m’a fait vider le sac sur une table pour fourrager dans son contenu. Il y avait pas mal de métal : la boucle d’une autre ceinture, un coupe-ongles, une bombe de mousse à raser, un rasoir et des lames, un canif, les rivets de mon jean...

Il a pris le canif et la ceinture, mais a laissé le reste.

— Vous pouvez tout remettre dans le sac. Voici ce que je propose : votre sac va jusqu’à la résidence, mais pas plus loin. D’accord ? Il y a une alarme à la porte du bâtiment ; ne la déclenchez pas en essayant de faire passer des objets métalliques. Une procédure de sécurité coupe automatiquement les aimants, il faut au moins deux minutes pour les remettre en service. Cela embête les techniciens, vous comprenez, surtout s’ils travaillent à la fabrication. Ça fiche leur travail en l’air.

J’ai dit que j’essaierais de m’en souvenir.

— Le reste de vos affaires ne quitte pas cette pièce, poursuivit l’homme en bleu en indiquant le mur derrière moi.

J’ai vu, en me retournant, une douzaine de petits coffres munis d’un clavier électronique.

— Formez votre combinaison et fermez le coffre, reprit Vince en se détournant pour ne pas voir ce que je faisais.

— Je n’aurai pas besoin d’une montre ?

— Nous vous en donnerons une.

— Et ma ceinture ?

— Nous vous en donnerons une.

— Mon ordinateur portable ?

— Il reste dans le coffre. À moins que vous ne préfériez bousiller votre disque dur avec le champ magnétique.

J’ai placé l’ordinateur avec le reste de mes affaires et refermé la porte. Je me sentais étrangement dépouillé, comme quelqu’un qui entre en prison.

— Vous ne voulez pas mes lacets, tant que vous y êtes ? lançai-je en manière de plaisanterie.

— Non, gardez-les. Vous pourrez vous étrangler avec, si besoin est.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Je n’en sais rien, répondit Vince avec un petit haussement d’épaules. Mais les gens qui bossent ici, croyez-moi, ils sont complètement cinglés. Ils fabriquent des petits machins minuscules et invisibles, ils déplacent des molécules de je ne sais quoi et ils assemblent tout ça. Un boulot de précision, crispant, qui les rend dingues. Tous complètement dérangés... Venez par ici.

Nous avons franchi un autre sas ; cette fois, il n’y avait pas de projection de vapeur.

 

Nous sommes entrés dans la centrale électrique. À la lumière bleue des lampes à halogène, j’ai vu d’énormes tubes métalliques hauts de trois mètres et de gros isolateurs en céramique, larges comme la cuisse. Tout bourdonnait autour de nous ; je percevais distinctement les vibrations du sol. Un peu partout des panneaux montrant un éclair rouge portaient l’inscription : danger ! courant électrique mortel !

— Vous utilisez de grandes quantités d’électricité, observai-je.

— De quoi alimenter une petite ville, affirma Vince. Il faut prendre ces avertissements au sérieux, ajouta-t-il en montrant un panneau. Nous avons eu des problèmes il y a quelque temps.

— Vraiment ?

— Il y avait un nid de rats dans le bâtiment. Ces saletés de bestioles venaient cramer ici. Littéralement. Je déteste l’odeur du poil de rat grillé, pas vous ?

— C’est une expérience que je n’ai jamais eu l’occasion de faire.

— Ça sent ce que vous pensez.

— Je vois... Comment les rats entraient-ils ?

— Par la cuvette des toilettes... Vous ne le saviez pas ? demanda-t-il en voyant mon air étonné. Les rats font toujours ça : il leur suffit de nager sous l’eau sur une courte distance. Imaginez la surprise, poursuivit-il avec un petit rire, s’il y en a un qui débouche quand vous êtes sur le siège ! L’entrepreneur n’a pas creusé assez profondément, pour la fosse. En tout cas, les rats entraient. Il y a eu quelques accidents de ce genre depuis mon arrivée.

— Ah bon ? Quels accidents ?

— Ils ont recherché la perfection dans la construction de ces bâtiments, répondit Vince. Ils travaillent sur l’infiniment petit, voyez-vous. Mais la perfection n’est pas de ce monde, Jack. Elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais.

— Quels accidents ? insistai-je.

Nous étions arrivés à la dernière porte, munie d’un clavier. Vince a enfoncé plusieurs touches ; la porte s’est ouverte avec un déclic.

— Le code est le même pour toutes les portes, expliqua-t-il. Zéro-six, zéro-quatre, zéro-deux.

Vince a poussé la porte et nous nous sommes engagés dans le passage couvert reliant la centrale électrique aux autres bâtiments. La chaleur y était étouffante malgré un climatiseur qui tournait à plein régime.

— Encore l’entrepreneur, expliqua Vince. Il n’a jamais réussi à régler l’aération. Nous avons fait revenir les ouvriers cinq fois pour arranger ça mais on crève toujours de chaud dans ce couloir.

Au bout se trouvait une autre porte. Vince m’a fait composer le code : la porte s’est ouverte.

Je suis arrivé devant un autre sas : une épaisse paroi de verre et une autre deux mètres plus loin. Derrière le second panneau vitré se tenait Ricky Morse, en jean et tee-shirt, qui me faisait de grands signes en souriant.

 

— Je prends le relais, Vince, annonça la voix de Ricky à l’interphone.

— Pas de problème, fit Vince en agitant la main.

— Tu t’es occupé du réglage de la pression ?

— Je l’ai fait il y a une heure. Pourquoi ?

— Je ne suis pas sûr que ça marche, dans le labo.

— Je vais vérifier, lança Vince. Il y a peut-être une autre fuite quelque part.

Il m’a donné une tape sur l’épaule et a levé le pouce.

— Je vous souhaite bonne chance, fit-il avant de repartir par où nous étions arrivés.

— Je suis content de te voir, reprit Ricky. Tu connais le code ?

J’ai répondu oui. Il a indiqué un clavier ; j’ai enfoncé les six touches. La paroi de verre a coulissé. Je suis entré dans un espace exigu, large d’un mètre vingt, avec des grilles métalliques sur les deux murs, le sol et le plafond. Un souffle puissant est monté du sol, faisant gonfler les jambes de mon pantalon et battre mes vêtements. Juste après, d’autres souffles ont suivi, provenant des deux murs, et encore un du plafond, dirigé sur mes épaules et mes cheveux. Puis le vide. La paroi de verre devant laquelle je me tenais s’est ouverte ; j’ai lissé mes cheveux et je suis sorti.

— Désolé de te faire subir cette épreuve, lança Ricky en me secouant la main, mais cela nous évite d’avoir à porter une combinaison.

J’ai été frappé par la vigueur qui se dégageait de lui ; mon regard s’est fixé sur les muscles saillants de ses avant-bras.

— Tu as l’air en pleine forme, Ricky. Tu fais de la muscu ?

— Oh, pas vraiment !

— Et pas un pouce de graisse, ajoutai-je en lui tapant sur l’épaule.

— La tension du boulot, fit-il en souriant. Est-ce que Vince t’a fichu la trouille ?

— On ne peut pas dire ça...

— Il est un peu bizarre, poursuivit Ricky. Il a passé sa petite enfance dans le désert, seul avec sa mère. Elle est morte quand il avait cinq ans ; son corps était en état de décomposition avancée quand on l’a trouvé. Pauvre gamin, il n’avait pas su quoi faire. J’imagine qu’il y a de quoi devenir bizarre, conclut Ricky avec un petit haussement d’épaules. En tout cas, je suis content que tu sois là, Jack ; j’avais peur que tu ne viennes pas.

Malgré la vigueur qui émanait de lui, Ricky me paraissait maintenant nerveux, tendu. Il m’a conduit d’un pas vif vers un petit couloir.

— Alors, comment va Julia ?

— Elle a un bras cassé et a reçu un choc violent sur la tête. Elle est en observation à l’hôpital, mais tout devrait bien se passer.

— Tant mieux.

Il s’est mis à hocher vivement la tête en m’entraînant dans un autre couloir.

— Qui s’occupe des enfants ? reprit-il.

J’ai expliqué que ma sœur était à la maison.

— Alors, tu peux rester ici ? Deux ou trois jours ?

— Sans doute. Si vous avez besoin de moi aussi longtemps.

En général, un consultant en programmation logicielle ne passe pas beaucoup de temps sur le site. Un jour, parfois deux, jamais plus.

— Julia t’a-t-elle... euh... expliqué ce que nous faisons ici ? demanda Ricky en lançant un regard par-dessus son épaule.

— Pas vraiment, non.

— Mais tu savais qu’elle y passait le plus clair de son temps ?

— Ça, oui.

— Ces dernières semaines, elle est venue presque tous les jours en hélicoptère. Elle a même dormi deux nuits ici.

— J’ignorais qu’elle s’intéressait tellement à la fabrication.

Ricky a marqué une hésitation.

— Tu comprends, Jack... C’est un domaine entièrement nouveau... Elle ne t’a vraiment rien dit ? insista-t-il, l’air perplexe.

— Non, je t’assure. Pourquoi ?

Il n’a pas répondu.

 

Il a ouvert la porte au bout du couloir et m’a fait signe de passer.

— Voici le module résidentiel, où tout le monde dort et prend ses repas.

L’atmosphère était fraîche après l’étuve du couloir. Les murs étaient recouverts du même matériau rappelant le formica. J’entendais le bruit sourd et continu des aérateurs. Une rangée de portes donnait sur le couloir ; l’une d’elles portait mon nom écrit au marqueur sur un morceau d’adhésif.

— Tu es chez toi, Jack, fit Ricky en ouvrant la porte.

La chambre était monacale : un petit lit, un bureau juste assez large pour un moniteur et un clavier d’ordinateur. Au-dessus du lit, une étagère recevait les livres et les vêtements. Tout le mobilier était revêtu d’un stratifié blanc parfaitement lisse ; pas un creux, pas une aspérité pour retenir la moindre particule de poussière. Il n’y avait pas de fenêtre dans la pièce mais un écran à cristaux liquides montrait une vue du désert.

Une montre en plastique et une ceinture à boucle en plastique étaient posées sur le lit. Je les ai prises.

— Laisse tes affaires ici, fit Ricky. Je vais te faire visiter.

Du même pas rapide, il m’a entraîné dans un salon de dimensions moyennes, meublé d’un canapé et de sièges disposés autour d’une table basse. Tout était revêtu du même matériau stratifié ; un mur portait un tableau d’affichage.

— À droite, il y a la cuisine et le salon, pour se détendre : télévision, jeux vidéo, et cetera.

Nous sommes entrés dans la petite cuisine où deux personnes, un homme et une femme, mangeaient un sandwich debout.

— Je n’ai pas à faire les présentations, glissa Ricky en souriant.

Je les connaissais bien tous les deux : ils avaient fait partie de mon équipe chez MediaTronics.

Brune, mince, typée et sarcastique, Rosie Castro portait un short flottant et un tee-shirt épousant sa poitrine plantureuse, barré d’une inscription : « Tentant, non ? » À Harvard, Rosie était une spécialiste de Shakespeare ; du jour au lendemain, cet esprit indépendant et rebelle avait décidé de changer. « Shakespeare est mort et enterré. Il pourrit depuis des siècles. Il n’y a rien de nouveau à dire. À quoi bon continuer ? » Rosie avait été mutée au MIT, l’Institut de technologie du Massachusetts où, sous la houlette de Robert Kim, elle avait commencé à travailler sur la programmation en langage naturel. Elle n’avait pas tardé à y exceller. À l’époque, les programmes en langage naturel commençaient à inclure le traitement distribué. Il apparaît que les gens évaluent simultanément une phrase de plusieurs manières différentes, au moment où elle est prononcée ; ils n’attendent pas qu’elle soit terminée pour imaginer la fin. Un cas de figure idéal pour le traitement distribué qui aborde simultanément un problème sous plusieurs angles.

— Je vois que tu portes toujours ces trucs-là, Rosie.

Ses tenues vestimentaires avaient été un sujet de discorde chez MediaTronics.

— Eh oui ! C’est pour que les hommes ne m’oublient pas !

— On ne les regarde même pas.

L’homme qui venait de glisser ce commentaire s’appelait David Brooks. Raide, compassé, ordonné jusqu’à l’obsession, il était presque chauve à vingt-huit ans.

— D’ailleurs, ils ne sont pas si terribles que ça, ajouta-t-il en clignant des yeux derrière les verres épais de ses lunettes.

Rosie lui a tiré la langue.

David était ingénieur ; de l’ingénieur, il avait le franc-parler et le manque de tact. Bourré de contradictions, il était méticuleux et propret dans son travail, mais il se couvrait de boue le week-end sur une moto tout-terrain. Il m’a serré la main avec ardeur.

— Je suis très heureux que tu sois là, Jack.

— Il va falloir m’expliquer pourquoi vous êtes tous si contents de me voir.

— Eh bien, parce que tu en sais plus que nous sur les algorithmes multi-agents...

— Je vais d’abord lui faire visiter les lieux, coupa Ricky. Ensuite, nous parlerons.

— Pourquoi ? lança Rosie. Tu veux lui faire la surprise ?

— Drôle de surprise, ajouta David.

— La question n’est pas là, riposta Ricky en les foudroyant du regard. Je tiens à ce que Jack sache de quoi il retourne. Je veux qu’il comprenne ce que nous faisons ici.

— Combien de temps crois-tu que cela prendra ? demanda David en regardant sa montre. Je pense que nous avons...

— J’ai dit que j’allais lui faire visiter les lieux !

Il y avait de la hargne dans la voix de Ricky. Jamais je ne l’avais vu perdre son sang-froid ; pour les autres, apparemment, ce n’était pas la première fois.

— Bon, d’accord...

— C’est toi le patron, Ricky.

— Tout juste ! lança Ricky, visiblement furieux. À ce propos, je vous signale que votre pause est terminée depuis dix minutes. Allez, au boulot ! Où sont les autres ? poursuivit-il en jetant un coup d’œil dans le salon.

— Ils règlent les détecteurs du périmètre vidéosurveillé.

— Quoi ? Ils sont dehors ?

— Non, dans la salle de maintenance. Bobby pense qu’il y a un problème d’étalonnage des détecteurs.

— Génial ! Il en a parlé à Vince ?

— Non, c’est un problème de logiciel. Bobby a dit qu’il s’en occupait.

À ce moment précis, mon portable a sonné. Surpris, je l’ai sorti de ma poche.

— Les portables fonctionnent ?

— Eh oui, répondit Ricky, nous captons, ici.

Puis il s’est retourné vers David et Rosie.

 

J’ai fait quelques pas dans le couloir pour prendre connaissance de mes messages. Il n’y en avait qu’un, de l’hôpital, au sujet de Julia. « Sauf erreur, vous êtes le mari de Mme Forman. Auriez-vous l’obligeance de nous contacter aussi rapidement que possible...» Suivaient un numéro de poste et le nom d’un médecin, le docteur Rana. J’ai rappelé immédiatement ; le standard m’a passé le service des soins intensifs.

J’ai demandé à parler au docteur Rana. Il a pris la communication.

— Jack Forman à l’appareil. Le mari de Julia Forman.

— Ah, monsieur Forman ! fit une voix chaude, mélodieuse. Merci de rappeler si vite. J’ai cru comprendre que vous avez accompagné votre femme à l’hôpital cette nuit. Dans ce cas, vous êtes au courant de la gravité de ses blessures, ou plutôt, devrais-je dire, de ses blessures potentielles. Nous considérons qu’elle doit subir des examens approfondis pour nous assurer qu’elle ne souffre pas d’une fracture cervicale ni d’un hématome sous-dural. D’une fracture du bassin non plus.

— Oui, c’est ce qu’on m’a dit hier. Il y a un problème ?

— En effet. Votre femme refuse nos soins.

— Ah bon ?

— Hier soir, elle nous a autorisés à faire des radiographies et à réduire les fractures de son poignet. Nous lui avons expliqué que ce que nous voyons à la lecture d’une radiographie est limité et qu’il était important qu’elle passe une IRM, mais elle refuse.

— Pourquoi ?

— Elle dit que ce n’est pas nécessaire.

— Bien sûr que si.

— Absolument, monsieur Forman. Je ne voudrais pas vous alarmer, mais le risque, en cas de fracture du bassin, est une hémorragie abdominale pouvant entraîner la mort. Cela peut se produire très vite et...

— Que voulez-vous que je fasse ?

— Il serait bien que vous lui parliez.

— Bien sûr. Passez-la-moi.

— Elle vient malheureusement de quitter sa chambre pour passer d’autres radios. Y a-t-il un numéro où nous pouvons vous joindre ? Votre portable ? Parfait. Encore une chose, monsieur Forman : nous n’avons pas pu obtenir de votre épouse ses antécédents psychiatriques...

— Pourquoi ?

— Elle refuse d’en parler. Je pense à la drogue, à des antécédents de troubles du comportement, ce genre de choses. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?

— Je vais essayer...

— Je ne voudrais pas vous alarmer mais Mme Forman a une conduite quelque peu irrationnelle. À la limite du délire par moments.

— Elle a subi beaucoup de stress ces derniers temps.

— Cela contribue certainement à son état psychique, fit le médecin d’un ton apaisant. Et il y a ce traumatisme crânien pour lequel il nous faudra pratiquer des examens complémentaires. Je ne vous cache pas que le psychiatre incline à penser que votre femme souffre de troubles de la personnalité, qu’elle est sous l’empire de la drogue, ou les deux.

— Je vois...

— Ces questions se posent naturellement dans le contexte d’un accident de la circulation où un seul véhicule est en cause...

Il voulait dire que cet accident pouvait être une tentative de suicide. Cela me paraissait peu probable.

— À ma connaissance, ma femme n’a jamais pris de drogues, mais son comportement m’inquiète depuis, disons, quelques semaines.

Ricky s’est approché ; il montrait des signes d’impatience.

— C’est au sujet de Julia, glissai-je en posant la main sur le téléphone.

Il a hoché la tête, puis il a regardé sa montre en haussant les sourcils. J’ai trouvé curieux qu’il me brusque pendant que je parlais à un médecin de l’état de santé de Julia, qui était ma femme mais aussi son supérieur direct.

Le médecin a continué quelques minutes ; j’ai répondu de mon mieux à ses questions, mais je ne savais pas grand-chose qui pût lui être utile. Il a dit qu’il demanderait à Julia d’appeler à son retour. J’ai dit que j’attendais son appel et j’ai coupé la communication.

— Une bonne chose de faite, déclara Ricky. Désolé de te bousculer, Jack, mais... tu comprends, j’ai beaucoup à te montrer.

— Le temps est-il un problème ?

— Je ne sais pas. Peut-être.

J’ai voulu demander ce que ça signifiait, mais il m’entraînait déjà dans le couloir d’un pas vif. Nous avons quitté la résidence ; derrière une porte vitrée, nous nous sommes engagés dans un autre passage.

Suspendu au-dessus du sol, celui-ci était hermétiquement fermé par des vitres. Le verre avait de petites perforations où aboutissaient des tuyaux d’aspiration. Je commençais à m’habituer au bourdonnement continu des appareils d’aération.

À mi-chemin se trouvait un nouveau sas. Nous avons franchi les parois vitrées l’une après l’autre ; elles s’ouvraient à notre approche et se refermaient derrière nous. J’avais l’impression de plus en plus nette de me trouver à l’intérieur d’une prison, d’avoir devant moi une succession de grilles verrouillées, de m’enfoncer dans des profondeurs inconnues.

Tout était high-tech et parois de verre étincelantes, mais ce lieu était bel et bien une prison.

La proie
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